Entretien avec
Georges et Jeanne


Georges et Jeanne : « Quelqu’un avec qui partager mes peurs, mais aussi mon bonheur »

 

 

Pouvez-vous vous présenter ? Comment vous êtes-vous rencontré ?

Nous nous appelons Georges (28 ans) et Jeanne (27 ans), nous nous sommes rencontrés en 2004 au début de ma transition. Des amis en commun nous ont présentés, ils avaient prévenu Jeanne de ma transition. Nous nous sommes tout de suite plus et par la suite nous nous sommes revus. Au bout du deuxième rendez-vous nous nous sommes mis ensemble tout naturellement.

Nous sommes mariés depuis 3 ans et avons eu deux enfants en juillet 2012.

Georges, dirais-tu que ta transition a été facilitée par le fait d’être en couple ?

Pour quelques questions pratiques elle se faisait passer pour moi, lors des paiements en caisse car mon physique ne correspondait pas à la photo de ma carte d’identité, pour la prise de rendez-vous au téléphone car ma voix était en pleine mutation. Ça m’a permis d’avoir quelqu’un avec qui partager mes peurs. Mais aussi le bonheur que ça m’a donné après les différentes opérations et l’acceptation de mon identité masculine par le tribunal.

Comment cela s’est-il passé entre vous ?

Jeanne : Ça n’a pas été facile car malgré le fait que je sache qu’il était en transition, sa famille utilisait toujours le pronom « elle » et prononçait tous les mots au féminin, du coup quand j’étais seule avec lui ça allait il n’y avait aucun soucis, mais dès que sa mère ou sa grand-mère me parlait on repassait au « elle » c’était très difficile pour moi car je commençais toujours la discussion avec « il » et ça finissais toujours en « elle ». Ca a duré le temps que la famille s’habitue. C’est sûr que ça n’a pas été évident pour eux non plus de s’adapter et de passer du « elle » au « il » en peu de temps ! Bon cette histoire de pronom c’est une chose… après il y a eu aussi le côté plus intime, et là il a fallu beaucoup discuter, car lui ne voulait absolument pas que je le voit complètement nu car son corps ne correspondait pas encore à son esprit donc petit à petit on y est arrivé, il a fallu lui redonner confiance en lui et qu’il n’ait pas honte de ce corps, lui faire comprendre que moi je voyais la même chose que lui, je le voyais « homme » même s’il avait encore des attributs « femme ». En fait je ne voyais même plus sa poitrine quand elle était encore là. Pour lui elle ne faisait pas partie de son corps et pour moi non plus d’ailleurs, c’est assez difficile à expliquer mais on va dire que c’était un peu comme une excroissance en fait. Après lorsqu’il a été opéré ça été beaucoup mieux. Mais il y a toujours ce corps qui doit s’approprier car il a été modifié et même s’il se faisait une idée du corps qu’il désirait il n’est pas comme dans ses rêve. Donc il doit faire le deuil d’un corps qu’il a toujours voulu et accepter un corps qu’on a façonné pour lui au gré des opérations.

Georges : Je pense que ça été difficile pour Jeanne car au début de la transition, j’avais des sauts d’humeur. J’avais peur qu’elle s’en aille car je n’avais pas confiance en moi. C’était difficile car j’aurai aimé faire toutes les opérations très rapidement mais il faut attendre un certain temps et du coup à chaque fois j’étais déçu et frustré, ça devait se ressentir dans le couple. Heureusement ça s’est amélioré avec le temps, j’ai appris à faire avec cette attente concernant les opérations.    

Jeanne, de ton côté, quel rôle as-tu joué ?

Je crois que j’ai joué un rôle de soutien et j’ai essayé de l’épauler autant que possible. Il a fallu être là pour le soutenir, l’aider à avancer, lorsqu’il y avait le psychiatre qu’il lui disait d’attendre encore un peu pour l’ablation des seins, ça été douloureux, lorsqu’il a fallu remuer le passé pour l’obtention des papiers d’identité, lors des différents entretiens quand on lui demande de raconter de nouveau son histoire, son parcours, lorsque nous avons commencé la procédure pour avoir un enfant, on nous a posé des questions intimes qui n’avaient pas lieu d’être posées… Bref être trans et compagne de trans c’est un combat de tous les jours, parfois ce souvenir est loin mais parfois ça nous reviens en pleine figure au moment où on ne s’y attend pas, c’est toujours là au-dessus de nos tête. On doit apprendre à vivre avec jour après jour, ensemble, nous ne sommes pas deux dans notre couple, nous sommes 3.

On pense toujours la transition des individus, mais, à l’exception des enfants s’il y en a, on oublie les conjoints. Pourquoi d’après vous ?

Nous pensons que le corps médical doit croire que comme  nous sommes « malades », nous ne sommes pas capables de construire une relation durable. Il faut aussi dire que pendant la transition avec la prise d’hormones les humeurs fluctuent énormément et parfois ce n’est pas du tout facile à vivre et à gérer pour la personne en transition comme pour le conjoint. Bon nombre de conjoint sont partis pour cette raison. Il y a aussi ces fois où la personne qui a fini sa transition ne veux plus du tout avoir affaire avec son passé et veux tout recommencer à zéro, comme une renaissance. Du coup il est possible de voir des couples qui se séparent une fois la transition complètement terminée.

Est-ce à dire qu’il est plus compliqué d’être en couple lorsqu’on est trans ?

Justement à cause de ces fluctuations d’humeurs, la personne en transition éprouve de nombreux changements internes et externes qui ne sont pas facile à gérer soit même alors en plus il faut composer avec le conjoint, la personne en transition n’accepte pas son corps tel qu’il est, alors comment accepter que quelqu’un d’autre aime ce corps que l’on déteste tant !

Lorsqu’on s’est rencontré, vous avez eu cette phrase « le problème des trans c’est les psychiatres ». C’est à dire ?

Effectivement les psychiatres sont une barrière haute de 2 ans avant de pouvoir faire la première opération, c’est extrêmement long lorsque l’on attend cette délivrance (ablation des seins ou hystérectomie) on dépend complètement de ces psychiatres qui dirigent nos vies. Maintenant nous pensons qu’il ne faut pas enlever complètement les psychiatres du parcours car certaines personnes sont « perdues » et ne savent plus vraiment qui elles sont, mon psychiatre m’a aider à y voir plus clair sur moi-même, beaucoup d’entre nous savent qui elles sont au fond d’elles. Cependant j’ai aussi rencontré des personnes qui sont encore perdues et grâce aux psychiatres elles ont évité l’opération irréversible. Nous savons combien ce parcours est long et douloureux, mais nous croyons qu’il faudrait diminuer ces 2 ans et passer peut être sur 1 an, nous pensons que ce serait bien que la France y réfléchisse… 

Merci à vous !


Mis en ligne : 28.02.2013.