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Transidentité et scolarité #2-Introduction

 

M-Y. Thomas, A. Alessandrin, K. Espineira


Transidentité et scolarité #2

 

Introduction : transphobie vs participation scolaire 

            Après avoir proposé un dossier sur la scolarité trans en décembre 2012[1], l’Observatoire Des Transidentités pose une nouvelle fois son regard sur l’école en cette fin d’année 2013. Cette année aura été marquée par la participation de l’Observatoire Des Transidentités à des discutions ministérielles pour l’élaboration de dépliants et plaquettes visant à lutter contre les discriminations et le harcèlement à l’école, dont Eric Debarbieux aura montré qu’ils conditionnent fortement la participation scolaire[2]. Toutefois, notre investissement du côté d’une prise en compte réelle des besoins, notamment préventifs, concernant la transphobie à l’école n’a pu être véritablement entendu (et ce malgré les bonnes volontés multiples qui ont accompagné nos préconisations). A la sortie d’un abécédaire contre le harcèlement à l’école, publié par le ministère de l’éducation nationale fin 2013, il n’était déjà (presque) plus question de genre… encore moins des trans. De ce point de vue, le rapport sur les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre à l’école, rédigé par  M. Teychenné et remis au ministre de l’école nationale en juin 2013, évince lui aussi la question trans et, ce faisant, ne remplit pas son cahier des charges[3]. On notera dans l’enquête de Maria Rita de Assis César ce même lobbying et effacement concourant à la déscolarisation et pauvreté des travestis et transsexuelles au Brésil. Pourquoi un tel effacement confirmant une grave inégalité à l’école ? Pourquoi n’y a-t-il aucun recours devant ces dysfonctionnements graves et répétés, laissant face au vide de la loi comme de la culture, toute place aux pratiques et pouvoirs malveillants ?

Face à ce constat d’échec, l’ODT poursuit sa volonté de visibiliser cette question en prenant en considération que l’école qui, tout en étant le lieu d’une socialisation et d’une réalisation de soi importante, peut aussi devenir le lieu d’un malaise, d’un désamour de soi, de l’institution ou de l’entourage. Le désengagement scolaire est un désengagement social. Et puisque les normes de genre s’appliquent avec violence depuis le plus jeune âge, la question des transidentités, de leur inclusion et de leur prise en compte, ne peut faire l’économie d’une réelle réflexion sur la manière dont l’institution scolaire, et déjà LES institutions scolaires, prennent en charge et luttent contre les discriminations à l’encontre des enfants trans. Cela supposerait de prendre le sujet des variances de genre dès l’enfance, de former adéquatement sur les questions de genre en général. Les reculades du gouvernement Hollande et le déni du Sénat n’aident pas tandis que la communauté trans soupèsent les propositions des autres groupes politiques. Tout se passe comme si chacun attendait un pas (ou un faux pas) pour verrouiller les choses en l’état.

Les vigiles du genre

On aurait pu croire la question du « genre » à l’école masquée par les débats autour du mariage pour tous ou poussé à la marge par le flux des actualités polémiques. Il n’en est rien. Depuis que l’inscription, en septembre 2011, du terme de « genre » dans les manuels scolaires, et notamment en SVT (Sciences et Vie de la Terre), a créé une vague d’indignation parmi la minorité des plus conservateurs en France, et des actions à l’encontre de l’enseignement du « genre » ou des programmes de lutte contre les discriminations n’ont cessés de se multiplier. Dernier en date, après les IMS régulièrement menacées, la fronde de groupes catholiques et droitistes contre le film de C. Sciamma, Tomboy[4], en accentue la pression contre ce qui leur apparaît comme une « plongée dans le monde de l’homosexualité »[5]. Au-delà des hésitations et maladresses gouvernementales, laissant croire entre autre qu’une « théorie du genre » existait et pouvait donc être enseignée[6], des comités de « gender vigilances » ont vus le jour un peu partout en France. La question de l’homosexualité rejoint ici la question trans Sur son site internet, l’observatoire du genre[7] met par exemple en garde contre la diffusion du film « Tomboy » dans les écoles et s’insurge contre les programmes de lutte contre le sexisme ou l’homophobie. Ce mouvement, amplifie le silence par une absence de réflexion. Il s’ensuit l’inertie caractéristique du champ sociopolitique et le maintien dans le champ médical à l’âge adulte pour des individus pauvres, en souffrance et souvent déscolarisés. Un champ laissé en friche nécessitant des praticiens, un diagnostic et un trouble (quelqu’il soit). Par ce dossier, l’ODT souhaite rappeler que les vies trans ne sont pas des « théories » ou des programmes de dégenration mais bel et bien un fait accompli qu’il s’agit de prendre en considération si nous voulons que tous les enfants, adolescents et jeunes adultes puissent avoir et espérer une vie vivable aux côtés d’autres vies humaines sans être poussés en deçà du respect à la vie privée, de la dignité, de la souffrance et de l’exclusion. De manière concomitante, mais peut-être serait-ce là un nouveau dossier à mettre en œuvre, nous incluons, outre la nécessaire réflexion sur l’école, dans nos réflexions les parents trans et les enseignant.e.s trans.

Le concept de « gender creativity »

Rappelons que l’école est avec l’arène familiale, le premier espace de socialisation dans la vie d’un enfant, structurant outre sa préparation à une entrée dans la vie active et donc des revenus, son développement à une vie viable et stable. Afin d’inclure toutes les formes de transidentités, et face aux doutes provoqués par le terme d’ « enfant trans », c’est parfois le terme de « gender-variant » ou de « gender creativ » qui a été retenu. C’est autour de cette notion qu’Elisabeth Meyer travaille depuis quelques années (Meyer, 2004 ; 2010). Ces recherches ont déjà permis de distinguer la « genderphobia »  de l’homophobie et de travailler la notion de « gender creativ spectrum », qu’elle nomme aussi l’indépendance de genre. Dans une présentation de ces travaux sur son site internet[8], Elisabeth Meyer souligne que dans les cours élémentaires, 8% des élèves ne respectent pas strictement les traditions de rôles de genre. Elle rappelle aussi que selon l’enquête du Glsen[9] en 2005, l’expression de genre est la troisième cause de harcèlement à l’école après l’apparence physique (le poids…), l’orientation sexuelle réelle ou supposée, et avant l’ethnicité ou l’appartenance religieuse. L’importance de ces chiffres révèle premièrement la nécessité d’investiguer le sujet, indépendamment des notions de sexisme ou d’homophobie, même si des processus communs font le lit des discriminations. Il s’agit donc de « se compter pour compter ». Aussi, ces chiffres soulignent l’importance du choix méthodologique du calcul. On ne saurait limiter la question trans aux personnes qui entament une transition et ce faisant, comme nous le soulignions en 2012, limiter les transidentités aux univers adultes ou adolescents. L’enfance, comme instant précieux de construction identitaire en délibérée, doit aussi être investiguée au sein des trans studies[10] en dehors de la neutralité avancée des « étapes » psychologiques de l’enfant. 

Quelles recherches ?

Certes, la question trans croise la question homosexuelle dans les mêmes termes à l’école. Mais quels sont ces termes ? Les deux questions ont en commun d’avoir été des objets du champ médical protégeant efficacement le brouhaha des discriminations et effacements des vies non binaires. Mais l’effort pour comprendre ce qu’il en est du sujet trans butte encore sur l’hégémonie médicale tandis que celle-ci se crampronne sur le label de psychiatrie. Alors que la question trans arrive tardivement, longtemps confondue avec l’homosexualité, elle tend à déplacer les lignes du côté du genre, floutant les concepts destinés à distinguer ces deux groupes minoritaires et marginalisés et donc d’ordonner une ligne de partage que les recherches mettent à mal. Le genre apparaît une donnée cruciale telle qu’elle ouvre des perspectives et partant, des pratiques possibles à l’école. Mais quelles sont-elles et quelles en seraient les pratiques ? S’agit-il bien de « redonner leurs chances à l’école » ou n’abdique-t-on pas justement devant cet effort ? Sylvie Ayral[11] montre que l’économie dominante par laquelle nous comprenons et ordonnons les rapports sociaux fait l’impasse sur ces variances. La « fabrique des garçons » produit dans son mouvement, outre la marque d’une fabrique d’une différenciation socialement construite, l’effacement pur et simple des variations de genre à l’intérieur de la catégorie garçon/fille. A fortiori gender-variant. Dans ce chassé croisé où la dymorphie sociale l’emporte sur l’économie psychique des individus, le sujet trans reste la trangression ou l’exception médicale que l’on exhibe et le parent pauvre de la recherche ; inévitablement, il est la monnaie d’échange pour tous les fronts dans les échanges sociopolitiques telle qu’elle se déploie dans l’espace public où la fronde féministe succède à la fronde traditionnaliste et droitiste[12]. Pourquoi s’enquérait-on de ce sujet si le moment trans n’est que ce changement strictement individuel et partant, individualiste, tranche C. Delphy. La controverse SVT est un moment conflictuel typique ou le politique veut pouvoir reprendre la main face aux différentes frondes mais, sans programme ni consultation, vient nier la réflexion issue de ces recherches et l’attribuant à une « militance gender ». Comment appliquer à l’école les études de genre en incluant la question trans et intersexe ? La population trans a été d’autant plus réduite qu’elle a été comptée à l’âge adulte, par le changement chirurgical de sexe et de papiers d’état civil dans et par les seules équipes hospitalières. Sur le fond, cette gestion conservatrice impliquent les préjugés, discriminations et résistances d’une époque, instrumentalisant la recherche, plus économe et plus ardue. Quelle « théorie » croire désormais ? La contestation contre une « théorie sur le genre » s’adresse à cet endroit particulier d’une transition de société et vise typiquement à « défendre un mode de vie » impliquant des représentations identitaires du type binaire-cisgenre.

Comparer : importer les bonnes idées

Afin de résoudre ces multiples questionnements, et ainsi ne rester du côté de l’incantatoire, l’Observatoire Des Transidentités propose de revenir sur des expériences étrangères qui ont fait leurs preuves. Une partie du dossier sera consacré à l’exemple brésilien, ou des politiques volontaires ont mis en avant, localement et nationalement, une politique de lutte contre la déscolarisation des enfants LGBT et plus précisément des enfants Trans. Elizeu Clémentino et Maria Rita Cesar, tous deux sociologues brésiliens et spécialistes de la question de l’école et de la scolarisation des personnes LGBTT, reviendront sur les programmes de lutte contre la discrimination transphobe mis en place par les gouvernements récents. Erik Schneider, membre actif de TransGenderLuxembourg, nous propose une traduction de ces travaux sur les trans à l’école dans un contexte européen et plus précisément luxembourgeois. Dans ses travaux menés au sein de commissions tant nationales que locales, il développe une expertise que l’Observatoire se réjouit d’accueillir. Enfin, Gabrielle Richard et Line Chamberland reviendront sur leurs travaux respectifs sur la transphobie en contexte scolaire québecois. Nous vous invitons à ce propos, à lire le rapport de Line Chamberland[13] sur la transphobie en milieu scolaire ; rapport qui nous convie à poser la question d’une prise en compte réelle du ministère de l’éducation nationale sur cette population. Nous n’aurions pas pu terminer ce dossier sans mettre en avant une « bonne pratique » française. Grace à l’association « Contact Aquitaine », nous vous proposons aussi un entretien avec un psychologue rompu aux IMS (Interventions en Milieux Scolaires) qui n’hésite pas à introduire les notions de genre et de transidentités dans ses interventions afin de lutter contre les stéréotypes de genre notamment.


[1] Dossier « scolarité et transidentité » -première partie- disponible sur : https://www.observatoire-des-transidentites.com/article-transidentites-et-scolarite-113984643.html

[2] Lire par exemple : La violence en milieu scolaire, esf ed. (1999).

[3] Pour lire ce rapport : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000424/0000.pdf

[4] Clarisse Fabre, « Le film « Tomboy » relance le débat sur la question du genre », Le Monde, 23.12.2013, http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/12/23/le-film-tomboy-derange-des-parents-d-eleves_4338878_3246.html

[5] Péittion en ligne hébergée par le groupe actionfrançaise, URL : http://www.actionfrancaise.net/craf/?Petition-Non-a-la-diffusion-du.

[6] Lire le texte « La théorie du genre n’existe pas », rédigé par des chercheurs en sciences humaines et sociales, et publié par Libération le 10 juin 2013 : http://www.liberation.fr/societe/2013/06/10/la-theorie-du-genre-reponse-au-ministre-vincent-peillon_909686

[7] http://www.theoriedugenre.fr/

[8]  http://www.slideshark.com/Landing.aspx?pi=zI3zxIYuCz8bFwz0

[9] Glsen, « The 2005 National School Climate Survey » 2005. Site de l’association : http://glsen.org/

[10]  On retrouve les éléments relatifs à cette partie et au concept de « gender creativity » dans l’article en ligne « Quelle place pour les élèves trans ? » (A. Alessandrin), 2013. URL : http://mixite-violence.sciencesconf.org/browse/speaker?authorid=220811.

[11] Sylvie Ayral, La fabrique des garçons, Ed. PUF, 2011.

[12] http://cestmongenre.wordpress.com.

[13]Disponible ici : http://homophobie2011.org/fileadmin/user_upload/microsites/homophobie2011/Documentation/La_transphobie_en_milieu_scolaire_au_quebec.pdf


Mise en ligne : 31 janvier 2014.

Transcolarité

Caroline Dayer
Université de Genève


Transcolarité 

 

Les trans* au vestiaire

La scolarité est rarement un long fleuve tranquille, d’autant moins lorsque l’eau ne coule pas dans le lit creusé par les attentes socialement construites ou lorsque le ruisseau prend des chemins de traverse sans balise. Des injonctions d’endiguement aux sanctions répétées, le cursus scolaire peut se transformer en parcours de combat.

Les expériences de rejet sont partagées par différent-e-s élèves, à la différence que celles liées au genre ne sont pas de prime abord partageables avec leurs proches : une jeune fille traitée de camionneuse à l’école osera-t-elle en parler à ses parents en rentrant à la maison ? Un jeune garçon qui se fait sans arrêt bousculer – dans la cour comme dans les couloirs – parce qu’il est jugé trop efféminé trouvera-t-il du soutien auprès de ses camarades et de ses professeur-e-s ? Il sera surtout traité de pédé et les mots parleront de sa sexualité alors qu’ils ne savent rien d’elle. Ces derniers signalent par contre la disjonction perçue, dans un contexte donné, entre un sexe assigné à la naissance (basé uniquement sur les organes génitaux externes) et une identité de genre ainsi que des expressions de genre, dites atypiques alors qu’elles ne sont qu’une variation parmi d’autres.

Les discriminations trans* ne sont-elles pas le parent pauvre des discriminations LGBTIQ qui le sont elles-mêmes quant à cette thématique générale ? Et par rapport au contexte scolaire, ces questions ne sont-elles pas l’enfant pauvre de l’école alors qu’il peut s’agir de conflits quotidiens et saillants – s’appareillant dans des espaces bigenrés – comme de ne pas savoir dans quelles toilettes se rendre ou de ne pas savoir « où se mettre » dans un vestiaire. Ce que peut vivre un-e élève trans* dans un vestiaire n’est qu’emblématique de la mise au placard des vécus trans* et des violentes facettes du cissexisme.

Cissexisme en contexte scolaire

L’invisibilisation des questions trans*, de surcroît à l’école, est paradoxale dans le sens où les expressions de genre transgressives sont visibles. Insupportables qu’elles seraient, elles deviendraient objet non seulement de violences verbales et physiques mais également de déni. Les expériences de rejet liées à l’identité de genre et/ou à l’orientation sexuelle sont avant tout de l’ordre de la solitude. L’absence de mots et d’images obstrue la formulation à soi-même puis à autrui. L’informulable et l’indicible amplifient un sentiment de décalage, empêchant de se faire une place à l’école mais aussi dans la famille, de se sentir membre de cette société et de pouvoir se projeter dans l’avenir.

Les enfants trans* savent ce qu’ils/elles ne sont pas et se trouvent en porte à faux avec l’école qui apprend, aussi, à se comporter en garçon ou en fille. De cette socialisation qui fait défaut et s’effectue dans les failles, le seuil de la classe se mue en placard, dont les contours naturalisent les frontières et sanctionnent les personnes qui dérogent aux normes de genre en vigueur.

Cette structure fait système et le cissexisme qui ne dit son nom imprègne les parcours des jeunes trans* qui saisissent rapidement ce qu’il en coûte de ne pas lui porter allégeance. Apprendre à faire semblant, apprendre à mentir, apprendre à se cacher, apprendre à s’aliéner, pour se protéger. Parce que personne ne le fera à leur place. L’école reconduit les inégalités et en tant que fabrique du genre, les violences transphobes se déploient sans même savoir ce que les jeunes vivent ni ce qu’ils/elles deviendront.

Ce système binaire et hiérarchisé s’incarne, dans les formulaires comme dans la littérature de jeunesse, dans l’assignation irrévocable comme dans le refus du prénom choisi. Les conséquences se déclinent de l’absentéisme au décrochage scolaire jusqu’à l’impasse menant au fait de quitter un établissement pour pouvoir (sur)vivre. Toutefois, les transferts transphobes traversent toutes les sphères, même celles qui sont habituellement perçues comme un environnement de protection.

Transparent

Dans les cas présents, les parents ne constituent pas forcément un refuge et des ressources pour l’enfant au genre variant. Par ailleurs, l’enfant d’un parent trans* peut également subir des violences par ricochet. L’élaboration de cette transparence est fondée sur un arsenal médical, psychiatrique et juridique qui produit des corps cisgenrés et hétéronormés, répondant à la suprématie construite du masculin. L’intériorisation des stéréotypes de genre fait rage et le sentiment d’être en sécurité nulle part ne favorise pas les coming out.

Transformation

Ce processus d’affirmation et de transformation s’opère difficilement en terrain hostile et interroge la formation des professionne-le-s rencontré-e-s.

Concernant l’école, cette dernière demande à être repensée autant dans ses contours institutionnels, dans sa matérialité genrée qu’à travers les personnes qui l’incarnent dont il est nécessaire de déployer les aptitudes dans ce domaine, s’inscrivant d’ailleurs dans un cadre plus vaste de politique de lutte contre les discriminations. Des manuels aux programmes, des circulaires aux outils pédagogiques, ce travail s’avère bénéfique pour tout le monde, élèves comme enseignant-e-s, enfants comme adultes.

Transphères

Les devenirs trans* révèlent d’ailleurs également les limites de l’univers académique et du monde professionnel. Les violences transphobes traversent en effet toutes les sphères (famille, ami-e-s, école, travail, rue, sport, etc.). Leur prévention ainsi que leur prise en charge engagent donc une dialectique articulant des niveaux autant intrapersonnel, interpersonnel que sociétal et prenant en compte les transferts de connaissances et de compétences des personnes trans*.   

Faire trans*

Il s’agit donc de se centrer sur le faire trans* et les pratiques des personnes concernées dans toute leur diversité et créativité, afin que ces dernières puissent mettre en lumière leurs propres questionnements et cheminements, tout comme les façons dont elles font de leur vie une histoire, défiant les artefacts moraux, pathologisants et naturalisants. Et pour traverser la scolarité, les possibilités d’information et de soutien se montrent vitales, tout comme les apports des associations et le développement des études trans*.


Mise en ligne : 31 janvier 2014.

Entretien avec SOS Homophobie

SOS homophobie

(écriture collective)


Entretien avec SOS Homophobie

 

SOS homophobie mène des actions dans les écoles sur les représentations et des discriminations LGBT. Comment se passe une action dans les grandes lignes ?

Les interventions[1] durent deux heures et sont animées par des bénévoles de l’association (en binômes de préférence mixtes). Les interventions s’effectuent sur le temps scolaire et s’inscrivent ainsi dans la mission éducative de l’établissement. Elles se font à la demande et en présence d’un personnel de l’établissement (infirmièr-e, professeur-e, proviseur-e) qui n’intervient pas dans les débats mais qui peut témoigner de ce qui a été dit.

 

SOS homophobie est agréé par le Ministère de l’Education Nationale (au titre des associations complémentaires de l’enseignement public) et au niveau local par plusieurs rectorats. Ces agréments ne sont pas indispensables, mais ils valident nos interventions et surtout les inscrivent dans une politique plus globale de lutte contre les discriminations. Ces labels institutionnels constituent également une carte de visite qui rassure les directeurs-trices d’établissement et les parents d’élèves.

 

Nous allons dans des établissements très divers pour intervenir dans les classes à partir de la 4eme : collèges et lycées d’enseignement général ou technique (écoles de bûcherons, d’infirmièr-e-s, jeunes footballeurs de l’OM etc.), publics ou privés…

 

Le principe de l’intervention n’est pas de faire un cours magistral mais d’encourager les jeunes à réfléchir à ce que sont les LGBT-phobies, leurs manifestations, leurs conséquences et leurs origines. Les interventions sont basées sur le respect et la liberté de parole. Nous abordons néanmoins un certain nombre de points et de notions de façon systématique : nous définissons les termes LGBTI (certain-e-s élèves ne savent pas ce que veut dire “hétérosexuel” ou pensent que “les lesbiens sont des hommes homosexuels”), et nous rappelons les lois qui punissent les manifestations de l’homophobie et de la transphobie (injures, violences, diffamation, discriminations). Selon la disponibilité et la maturité des élèves, les débats sont animés de diverses façons : on peut par exemple leur demander d’expliquer si ils/elles sont d’accord (ou pas, et pourquoi) avec une série de phrases du type “un homme gay est souvent efféminé”, “je choisis de qui je tombe amoureux-euse”; ou bien leur demander de faire la liste des raisons pour lesquelles certaines personnes sont homophobes puis les aider à déconstruire ces raisonnements ; réfléchir avec eux à la signification des injures ; les faire réagir à la diffusion de l’un des courts métrages de l’INPES[2] etc. L’intervention se termine par une séance de réponses/débats autour de questions anonymes écrites par les élèves sur des petits papiers, et une évaluation anonyme de l’intervention grâce à un questionnaire simple.

 

Les retours des élèves sont le plus souvent très positifs : les questionnaires font apparaître qu’à l’issue de l’intervention, l’immense majorité des élèves disent “respecter les personnes LGBT”. Presque seize mille élèves ont été sensibilisé-e-s par les bénévoles de SOS homophobie pendant l’année scolaire 2012-2013, dont trois quarts environ en dehors de l’Ile de France : pour ces actions, nous avons besoin d’encore plus de bénévoles. Quels que soient votre âge, sexe, orientation sexuelle et identité de genre, vous pouvez nous contacter en écrivant à nousrejoindre@sos-homophobie.org.

 

 

Dans le cadre de ces interventions, y a-t-il des actions spécifiques sur les Trans et la bisexualité ?

 

Nous définissons le sigle LGBTI au début de nos interventions et nous abordons les LGBTI-phobies dans leur ensemble. Nous parlons donc des personnes bisexuelles et Trans. Ceci implique également de parler et différencier orientation sexuelle et identité de genre.

 

Les questions autour de l’orientation sexuelle sont généralement assez bien connues par les élèves et nous n’avons jamais eu l’impression que la bisexualité pose aux élèves des questions ou problèmes particuliers. Un certain nombre de points peuvent être néanmoins soulevés autour de la bisexualité : pourquoi est-elle si invisible? que veut dire être bisexuel-le? comment et par qui sont discriminées les personnes bisexuelles? Mais ne nous voilons pas la face, en deux heures il est très difficile d’aborder toutes ces questions. C’est le débat et l’interaction avec les élèves qui déterminent le plus gros des thématiques qui sont abordées. Indépendamment du cadre scolaire, l’association a participé en septembre 2012 à la réalisation d’une enquête sur les représentations de la bisexualité, dont les premiers résultats sont publiés sur la page  http://www.sos-homophobie.org/enquete-biphobie.

 

Pour la plupart des élèves, la transidentité est par contre de l’ordre de l’étrange. Travesti-e, transexuel-le, transgenre… il faut se donner un peu de mal pour débroussailler les idées. Nous intégrons de plus en plus un travail autour de la notion d’identité de genre pour aborder les questions Trans et éventuellement intersexes. L’essentiel des clichés sur les trans tournent encore autour de la question du “changement de sexe”. Nous nous efforçons de sortir de ce cadre médical pour poser des questions sur ce que veut dire être homme ou femme, qui peut définir qui je suis, qui je peux ou ai le droit d’être, etc. Il est intéressant d’introduire l’idée de relativité et subjectivité autour de ce qui constitue chacune de nos identités. De là, nous invitons les jeunes à s’interroger sur le lien entre normes sociales et LGBT-phobies afin qu’ils/elles se rendent compte que les êtres humains ne peuvent être prédéfinis et rangés dans des cases. Dans ce cadre, il est très constructif de faire le lien entre sexisme et LGBT-phobies. 

 

 La question du genre est en train de constituer désormais le terme par lequel l’intersectionnalité permet d’envisager, outre de sortir du sexe et du sexuel, une politique globale en faveur de l’égalité. Est-ce le cas dans vos interventions ?

 

La notion de genre, telle que définie par le milieu universitaire, n’est pas abordée lors de nos interventions en milieu scolaire. Nous préférons travailler à partir de ce que connaissent les élèves pour déconstruire les idées reçues et expliquer les origines des LGBT-phobies. Nous privilégions les notions de normes (comme l’hétéronormativité) ou encore les rapprochements avec d’autres discriminations (sexisme, racisme etc.) pour faire comprendre aux élèves ce qui constitue la base des LGBT-phobies. Le parallèle et la mise en exergue de mécanismes communs avec toutes les formes de rejet (notions de différence, de domination…) parlent beaucoup aux élèves car ils/elles savent très bien ce qu’est le racisme ou le sexisme, l’ayant parfois vécu eux/elles-mêmes. Dans ce sens, nos interventions cherchent à pointer du doigt les catégories, les cases et frontières qui délimitent nos identités afin que tout le monde s’interroge sur leur rôle et la façon dont elles interfèrent avec l’égalité des droits.

 

Aborder tous ces points en deux heures n’est pas toujours possible, mais si certain-e-s élèves entrevoient qu’il y a des façons diverses d’être, alors nous ne sommes pas venu-e-s pour rien. Nous leur laissons à la fin de l’intervention une fiche avec des liens leur permettant de poursuivre s’ils/elles le souhaitent leur réflexion ou d’obtenir du soutien (comme par exemple notre site dédié aux adolescent-e-s[3]).

 

Exemples de “petits papiers” anonymes rédigés par des élèves lors d’intervention :

 

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 [1] http://www.sos-homophobie.org/IMS 

[2] http://www.inpes.sante.fr/professionnels-education/outils/jeune-et-homo/outil-lutte-homophobie.asp 

[3] www.cestcommeca.net 


Mise en ligne, 31 janvier 2014.

Violences homophobes, violences transphobes

Gabrielle Richard
 Doctorante, Université de Montréal

Line Chamberland
 Ph.D., professeure au Département de sexologie
et titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie
à l’Université du Québec à Montréal


Violences homophobes, violences transphobes :

Le double jeu du genre dans les violences en milieu scolaire[1]

Résumé :

A partir de résultats tirés d’une enquête par questionnaire auprès de 2747 élèves de l’école secondaire québécoise et d’entrevues auprès de jeunes s’identifiant comme lesbiennes, gais, bisexuel(le)s ou en questionnement (LGBQ) ou comme trans, cet article propose une réflexion sur les violences prenant pour cible l’expression de genre à l’école. Plus du tiers des élèves s’identifiant comme hétérosexuels rapportent avoir été victimes de violence parce qu’on pense qu’ils sont, ou parce qu’ils sont gais. C’est également le cas de plus des deux tiers des élèves LGBQ. En entrevue, plusieurs élèves, trans comme LGBQ, rapportent que c’est davantage leur inadéquation aux normes de la féminité et de la masculinité qui en font l’objet de réprobation par leurs pairs, plutôt que leurs véritables préférences en matière d’orientation sexuelle. En explorant les parallèles étroits entre l’homophobie et la transphobie, nous suggérons que le « genre » est central pour comprendre les violences sur la base de l’orientation sexuelle et de la non-conformité de genre à l’école.

 

Introduction

« En secondaire 2 [à 14 ans], j’ai décidé de changer mon attitude et mon style vestimentaire pour avoir l’air un peu plus hétérosexuel », explique Brendan, un jeune homme gai de 19 ans. « J’en avais marre de me faire embêter. Je me suis dit que si j’arrêtais de mettre des colliers et de me coiffer, ils allaient arrêter de m’intimider ». C’est en ces termes que Brendan raconte avoir essayé d’échapper au regard de ses agresseurs, au cours d’un bref parcours scolaire où il rapporte avoir vécu des violences quotidiennes en raison de l’orientation sexuelle qui lui était prêtée (Brendan n’était à l’époque pas ouvertement gai). À son instar, plusieurs élèves lesbiennes, gais, bisexuel(le)s ou en questionnement (LGBQ) interviewés dans le cadre d’une enquête québécoise sur l’homophobie à l’école ont clairement suggéré que ce n’était pas tant leur orientation sexuelle qui leur posait problème à l’école – d’ailleurs, plusieurs d’entre eux ne connaissaient pas leur orientation sexuelle ou ne l’avait pas encore divulguée lors des premiers épisodes de violence –, mais bien le fait d’avoir l’air gai ou lesbienne.

Questionnés quant à ces apparences d’homosexualité dont plusieurs d’entre eux rapportent chercher à se détacher, les élèves expliquent qu’il s’agit de la non-conformité d’un élève à son genre[2] et, par ce biais, interpellent les stéréotypes communément associés à un homme gai ou à une femme lesbienne. Dans leurs termes, un élève homosexuel « [est susceptible de] porter un chandail mauve avec un personnage manga » (Richard, 24 ans, queer), ou encore « n’est pas un joueur de hockey de six pieds quatre [1m90], plein de muscles » (Marjorie, 20 ans, lesbienne), suggérant que cet élève est nécessairement chétif et par conséquent incompatible, du moins dans les représentations courantes, avec les symboles courants de virilité, de force, voire de charisme. Quant aux jeunes filles lesbiennes, décrites comme « pas très féminines » (Ariane, 17 ans, lesbienne) et « [exemptes] du mouvement de grâce des jeunes filles hétéros » (Marianne, 21 ans, lesbienne), ils se les représentent comme s’éloignant en certains points des attributs valorisés chez les filles (par exemple, se maquiller, avoir de la retenue, s’habiller de façon « féminine »). Notons qu’il s’agit là des représentations que se font les jeunes LGBQ eux-mêmes de personnes ayant l’air gai ou ayant l’air lesbienne, mais qu’elles font sensiblement écho à celles des jeunes hétérosexuels (Bastien Charlebois, 2011 ; Horn 2007).

Un bon nombre des jeunes rencontrés rapportent donc avoir usé de stratégies diverses pour se conformer en apparence aux attentes hétéronormatives dont ils faisaient l’objet. Des stratégies, telles que modifier son apparence afin d’avoir l’air hétérosexuel, dissimuler entièrement son orientation sexuelle, fréquenter un partenaire de sexe opposé, tenir soi-même des propos homophobes ou encourager les pairs qui commettent des actions homophobes, sont mobilisées par bien des jeunes LGBQ soucieux de se distancier d’une homosexualité inacceptable et d’éviter l’ostracisme et la victimation qui l’accompagnent.

Ceci dit, à quel point les impressions des élèves LGBQ quant à l’étroitesse des liens entre l’homophobie et l’expression de genre passent-elles l’épreuve des données à grande échelle? Comment est-il possible de mobiliser les concepts de genre et de conformité au genre pour exposer les mécanismes communs à deux types de violences de genre, soit l’homophobie et la transphobie? Dans cet article, nous proposons de réfléchir aux violences scolaires ciblant les élèves en raison de leur appartenance de genre ou de leur non-conformité aux rôles socialement attribués à leur sexe. Nous verrons que le caractère genré de ces violences se donne à voir, tantôt parce qu’elles ciblent davantage les garçons que les filles (ou bien entendu, l’inverse), tantôt encore parce qu’elles réprimandent les garçons chez qui l’on distingue des caractéristiques socialement associées au genre féminin (ou les filles présentant le profil inverse).

Revue de littérature

Les violences de genre à l’école ont été théorisées et documentées sous au moins deux angles dans la littérature scientifique. Le premier de ces angles considère les violences et les discriminations plus susceptibles d’être exercées ou vécues par des individus en fonction de leur appartenance de sexe. Il est ainsi communément évoqué que la fréquence, la sévérité et les modes de victimisation diffèrent selon les sexes (Olweus et al. 1999, Smith et Sharp, 1994). Les filles seraient plus susceptibles de vivre de la violence sexuelle, de la cyberintimidation, ou encore d’être rejetées ou mises à l’écart, tandis que les garçons seraient davantage impliqués dans les confrontations physiques, les injures ou le harcèlement verbal (Cornell et Loper, 1998 ; Furlong et Morrison, 2000). On considère ainsi, sans nécessairement le problématiser, le sexe des élèves impliqués dans des épisodes de violence, que ce soit en tant qu’agresseurs, victimes ou témoins.

Ceci dit, certaines enquêtes sur le climat scolaire et l’homophobie, parce qu’elles s’intéressent de facto à l’orientation sexuelle réelle ou perçue des élèves, ont mis en évidence l’existence de violences prenant pour objet la conformité au genre. On y postule que les élèves, dès lors qu’ils se retrouvent entre pairs, sont impliqués dans une véritable gestion du genre, une dynamique récompensant (par exemple, en étant adulés par leurs pairs) les élèves dont la sexualité et l’expression de genre sont conformes aux attentes sociales hétéronormatives (Boyle, Marshall et Robeson, 2003). Les élèves qui ne se conforment pas en tous points à cette régulation, ou qui s’y soustraient, s’exposent à une certaine répression de la part de leurs pairs, répression qui peut notamment se manifester par une mise à l’écart ou par l’insulte. Dans ce contexte, les élèves ne ratifiant pas le contrat social hétérosexuel (Wittig, 2001) (par exemple, les jeunes s’identifiant comme LGBQ) ou ne se pliant pas d’une quelconque manière aux normes de genre dominantes (par exemple, les élèves perçus comme LGBQ, les élèves trans[3] ou questionnant leur identité de genre, mais également ceux et celles qui s’écartent même minimalement des expressions de genre conventionnelles) peuvent être conséquemment victimisés, notamment par l’insulte homophobe (Chamberland, Richard et Bernier, 2013).

C’est à ce second cas de figure, c’est-à-dire aux violences basées sur l’orientation sexuelle et l’expression de genre, que nous référerons dans le cadre de cet article. Il sera d’abord question des violences homophobes et de leurs impacts sur les jeunes qui rapportent en faire les frais, mais également des « victimes » de ces violences et discriminations. Nous verrons que les violences scolaires sont doublement genrées, d’abord parce qu’elles ciblent différemment les élèves en fonction de leur sexe, mais également de leur conformité de genre, par le biais de leur orientation sexuelle réelle ou présumée.

Les violences homophobes et la non-conformité de genre

Les impacts documentés des violences homophobes sont pluriels et touchent autant au bien-être psychologique qu’à la réussite scolaire des jeunes qui en sont victimes et ce, quelle que soit leur orientation sexuelle réelle (Saewyc, 2011; Goodenow et al., 2006). Ils seraient en effet plus prompts que leurs pairs non victimisés à rapporter vivre de la détresse psychologique (anxiété, angoisse, automutilation, faible estime de soi), consommer des drogues et de l’alcool de façon abusive, présenter des comportements sexuels à risque, ainsi qu’avoir des idéations suicidaires ou avoir fait une tentative de suicide (Saewyc, 2011 ; Almeida et al., 2009 ; Marshal et al., 2008 ; Saewyc et al., 2007 ; D’Augelli, Grossman et Starks, 2006 ; Bontempo et D’Augelli, 2002).

Lorsqu’elles ont lieu à l’école qu’ils fréquentent, les violences homophobes sont susceptibles d’engendrer des séquelles sur la réussite et la persévérance scolaires des jeunes qui en sont victimes. La plupart des indicateurs étroitement liés au décrochage scolaire, tels que le faible sentiment de sécurité dans l’établissement scolaire, l’absentéisme marqué, le moindre sentiment d’appartenance à l’école et les aspirations scolaires limitées (DeBlois et Lamothe, 2005) sont également associés à l’homophobie vécue, dont les conséquences s’accroissent au fur et à mesure qu’augmente en fréquence la victimisation (Chamberland, Richard et Bernier, 2013). Il en va de même pour le manque de sommeil, la perte d’appétit, l’isolement social et d’autres facteurs similaires qui peuvent contribuer indirectement à diminuer les résultats scolaires d’un élève et à atténuer ses chances de poursuivre son cheminement scolaire au-delà de l’école secondaire (Warwick et al., 2004).

Ceci est à bien des égards similaire aux impacts occasionnés par d’autres types de victimisation par les pairs (Murdock et Bolch, 2005), à la différence près que les violences homophobes prennent autant pour cibles les jeunes s’identifiant comme LGBQ que ceux qui ne sont que perçus comme tels par d’autres élèves, notamment en raison de leur expression de genre (Toomey et al., 2010). Un élève non conforme à son genre est susceptible de s’exposer à une même victimation homophobe qu’un élève ouvertement gai ou lesbienne et ce, même s’il ou elle s’identifie comme hétérosexuel(le). Quant aux jeunes trans ou présentant une expression de genre atypique (gender-nonconforming youth), ils seraient particulièrement visés par les violences scolaires (McGuire et al., 2010; Toomey et al., 2010; Wyss, 2004; Human Rights Watch, 2001) et distinctement touchés par leurs impacts (D’Augelli, Grossman et Starks, 2006).

La littérature existante ne distingue que peu, voire pas du tout, les expériences scolaires des jeunes trans de celles des jeunes LGBQ. Bien qu’il soit impossible de réfuter l’existence de liens robustes entre l’homophobie, les stéréotypes sexuels et genrés, ainsi que la transphobie (Hill et Willoughby, 2005; Wyss, 2004), fusionner par défaut les violences à l’égard des personnes trans et celles ciblant les individus LGBQ comme relevant des mêmes mécanismes est problématique, en ce sens que cette fusion contribue à effacer la particularité des expériences des premiers. En nous appuyant sur les résultats d’une étude à méthodologie mixte sur l’homophobie à l’école secondaire québécoise (questionnaires auprès d’élèves de 14 à 19 ans et entrevues auprès de jeunes LGBQ ayant vécu de l’homophobie) et sur des entrevues menées auprès de jeunes s’identifiant comme trans, nous proposons dans cet article de répondre aux questions suivantes. Quelles sont certaines des singularités des expériences scolaires des jeunes trans? Quelle est la prévalence des expériences de victimation liées à l’expression de genre, ou à la non-conformité d’un élève aux normes de genre (relatives au masculin et au féminin) à l’école secondaire québécoise? Quels parallèles peuvent être établis entre les violences homophobes et les violences transphobes à l’école?

Méthodologie

Les données de cet article sont basées sur une recherche Les impacts de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires, dirigée entre 2007 et 2010 par Line Chamberland (Université du Québec à Montréal). Première recherche sur l’homophobie dans les écoles à l’échelle de la province du Québec, elle visait à dresser le portrait du climat scolaire relatif à l’homophobie dans les écoles secondaires du Québec, ainsi qu’à examiner les impacts de l’homophobie sur les expériences scolaires des jeunes qui en sont victimes.

Il nous est rapidement apparu nécessaire de consacrer un sous-volet spécifique à l’expérience scolaire des jeunes trans, en raison des spécificités de leur vécu personnel et scolaire (relatives à leur transition sociale ou scolaire, à l’enchevêtrement des discriminations homophobes et transphobes vécues), mais également pour des raisons d’ordre méthodologique (difficultés de recrutement de jeunes trans, d’emblée peu nombreux et potentiellement doublement victimisés et vulnérables). Si les principales réflexions de cet article s’appuient sur les résultats de la recherche à grande échelle sur l’homophobie, c’est néanmoins à partir des expériences des élèves trans que nous les illustrerons, dans la mesure où leurs propos rendent compte de façon singulière de l’intersection entre le genre, l’expression du genre et l’orientation sexuelle.

Volet sur le climat scolaire et l’homophobie

Un questionnaire d’enquête auto-administré sur le climat scolaire eu égard à la discrimination homophobe a été rempli, au printemps 2009, par 2 747 élèves de niveau 3 et 5 de l’école secondaire québécoise[4]. Un échantillon représentatif de l’ensemble de la province a été constitué en deux temps. Des établissements ont d’abord été identifiés sur la base de leur localisation, de leur taille et de leur langue d’enseignement (la collecte s’est faite en français et en anglais). Des classes ont ensuite été sélectionnées dans chacun de ces établissements, à raison de deux par niveau scolaire. Le taux de réponse considérablement élevé (90%) s’explique par le caractère obligatoire de la complétion du questionnaire, lors d’une séance régulière de cours.

Les répondants avaient entre 14 et 19 ans au moment de la complétion du questionnaire, pour un âge médian de 16 ans. Plus de la moitié (52,6 %) d’entre eux sont de sexe féminin et 47,4 %, de sexe masculin. Questionnés sur leur auto-identification en matière d’orientation sexuelle, 92 % des répondants se sont déclarés hétérosexuels. Des 8 % restants, 1 % se sont identifiés comme gais ou lesbiennes, 2 % comme bisexuel(le)s, 2 % comme queer, et 3 % ont rapporté questionner leur orientation sexuelle ou ne pas savoir comment se définir.

Parallèlement à la passation du questionnaire, des entrevues semi-structurées ont été menées entre 2007 et 2010 auprès de 64 élèves âgés de 14 à 24 ans, s’identifiant comme LGBQ et rapportant avoir vécu des difficultés en milieu scolaire en lien avec leur orientation sexuelle. Le recrutement des individus formant cet échantillon de convenance s’est fait par l’entremise d’organismes et d’associations oeuvrant auprès de jeunes de niveau secondaire, grâce à la collaboration d’intervenants-alliés travaillant dans les écoles, ainsi que par les réseaux sociaux. D’une durée moyenne de 90 minutes, ces entrevues portaient sur les expériences scolaires des jeunes (notamment en lien avec l’homophobie vécue) et sur les facteurs ayant contribué à leur résilience ou à accentuer leur vulnérabilité.

Volet sur les expériences scolaires des jeunes trans

Des entretiens semi-structurés ont été menés en 2008-2009 auprès de huit jeunes s’identifiant comme trans ou rapportant être en questionnement sur leur identité de genre, et six personnes identifiées comme informateurs clés en raison de leur connaissance des réalités des jeunes trans. Les critères de recrutement étaient à dessein larges, un choix préconisé à la fois par le faible nombre absolu de jeunes trans québécois et par le caractère exploratoire de notre recherche. La majorité des jeunes rencontrés ont rapporté qu’ils étaient déjà en questionnement par rapport à leur identité de genre pendant leurs études secondaires, mais qu’ils ont cherché à obtenir leur diplôme avant d’entamer une transition, sociale (se présenter publiquement sous le genre désiré, demander à ce que soit utilisé leur prénom choisi) ou médicale (prise d’hormones, traitements chirurgicaux).

Le recrutement de participants aux entrevues s’est fait par le biais d’organismes, de comités et de groupes œuvrant auprès des trans, par Internet (forums, blogues, réseaux sociaux) et au cours d’évènements organisés par la communauté trans. Les thématiques abordées au cours des entretiens étaient variées et touchaient différents aspects de la vie des participants : le déroulement de la transition de sexe/genre, les relations familiales, la vie de couple, le milieu de travail, avec un accent sur le parcours scolaire depuis l’école primaire.

Résultats

Les discriminations à l’école  

L’un des items du questionnaire visait à évaluer la part relative des violences homophobes et genrées dans la totalité des violences et des discriminations qui peuvent avoir lieu en milieu scolaire. La question était posée comme suit : « À ta connaissance, depuis que tu fréquentes cette école secondaire, à quelle fréquence les élèves se font-ils taquiner méchamment, « écoeurer », intimider, insulter ou harceler pour les raisons suivantes…? ». Neuf types de raisons étaient par la suite énumérés. Le tableau 1 présente les principaux résultats.

Tableau 1

Deux des trois motifs de discrimination les plus fréquemment rapportés par les élèves, soit la non-conformité de genre (« Parce qu’un gars se comporte de manière trop féminine ou qu’une fille se comporte de manière trop masculine ») et l’orientation sexuelle réelle ou présumée (« Parce qu’ils sont ou qu’on pense qu’ils sont LGB »), évoquent clairement l’existence à l’école secondaire d’une violence basée sur le genre. En d’autres termes, et sans égard à une violence peut-être plus traditionnellement sexiste (« En raison de leur sexe »), une large proportion de la violence scolaire semble basée sur la conformité aux normes de genre, c’est-à-dire prend pour cibles des élèves qui dérogent d’une manière ou d’une autre aux attentes normatives propres à leur sexe. Il peut s’agir d’un garçon affichant une apparence, ou présentant des comportements et des goûts réputés « féminins », incluant les attirances envers d’autres garçons – et bien sûr, le contraire pour une fille. Cette dite conformité au genre peut également s’appréhender sur la base de l’orientation sexuelle, réelle ou telle que perçue.

Les violences homophobes

Afin de documenter la fréquence des violences homophobes, c’est-à-dire ciblant un individu en raison de son orientation sexuelle réelle ou présumée, nous avons demandé aux répondants à quelle fréquence ils avaient personnellement vécu différents types de violences, parce qu’on pense qu’ils sont, ou parce qu’ils sont gais, lesbiennes ou bisexuel(le)s. L’énoncé était suivi de neuf types de violences, tels que « se faire vandaliser ou voler des effets personnels », « se faire exclure, rejeter ou être mis à l’écart » et « se faire insulter, subir des moqueries ».

Sur le plan de la victimation homophobe, donc, 38,6 % de tous les répondants ont rapporté avoir personnellement vécu au moins un des types d’incidents mentionnés parce qu’on leur avait attribué, que ce soit à tort ou à raison, une orientation sexuelle homosexuelle ou bisexuelle. Plus du tiers des élèves s’identifiant comme hétérosexuels (35,4 %) ont rapporté avoir vécu au moins une fois un incident de nature homophobe, alors que c’est le cas de 69,0 % des élèves LGBQ. Les types d’incidents les plus récurrents sont les violences verbales (insultes, moqueries et humiliations) (24,0 %), suivies de près par les rumeurs visant à nuire à la réputation (23,2 %), par les gestes de rejet ou d’exclusion (16,8 %) et la cyberintimidation (10,9 %). Les violences visant l’intégrité physique de quelqu’un sont moins fréquentes : 8,5 % des élèves rapportent avoir été visés par des violences physiques (bousculades, coups, crachats), 7,0 % par du harcèlement sexuel (avances sexuelles insistantes, attouchements non désirés), 6,4 % par des menaces, 5,6 % par des actes de vandalisme ou de vol, et 3,9 % par des agressions sexuelles (participation à des gestes sexuels sous la contrainte, voyeurisme/exhibitionnisme).

Afin d’observer l’influence sur la victimation homophobe des deux « types » de variables de genre évoquées précédemment (référant tantôt aux garçons et aux filles ; tantôt à la conformité de genre), nous avons mené des analyses croisées en fonction du genre (référant ici aux garçons et aux filles) et de l’orientation sexuelle réelle ou perçue – des réponses aux questions de victimations vécues par les élèves parce qu’ils sont ou parce qu’on pense qu’ils sont LGB. Quatre types de violences ont fait l’objet de telles analyses : violences physiques, verbales, sexuelles et la cyberintimidation. Le tableau 2 résume ces résultats.

Tableau 2

Pour ce qui est des violences physiques, c’est-à-dire touchant l’intégrité corporelle d’un élève (coups, bousculades et crachats), 8,5 % de tous les répondants sondés rapportent avoir vécu au moins un tel épisode depuis le début de l’année scolaire parce qu’ils sont ou parce qu’on pense qu’ils sont LGB. Si l’on considère les résultats selon l’orientation sexuelle, cette proportion est de 7,4 % chez les élèves hétérosexuels, et 18,3 % chez les élèves LGBQ. Plus particulièrement, 9,9 % des garçons hétérosexuels et 5,2 % des filles hétérosexuelles rapportent avoir vécu de la violence physique à l’école en raison de leur orientation sexuelle réelle ou présumée, alors que ces proportions sont plus que doublées pour les élèves LGBQ (23,4 % des garçons GBQ et 14,4 % des filles LBQ disent avoir été victimes de telles violences).

Si l’on regarde cette fois uniquement les violences verbales (de type insultes, moqueries et humiliations), 24,0 % de l’ensemble des répondants déclarent avoir vécu au moins un épisode de violence verbale en raison de leur orientation sexuelle réelle ou prêtée. Une analyse plus poussée des victimes suggère toutefois que ces résultats sont à comprendre en considérant le genre et l’orientation sexuelle de ces dernières. En effet, 21,3 % des élèves hétérosexuels rapportent avoir vécu des violences verbales homophobes depuis le début de l’année scolaire (25,8 % chez les garçons hétérosexuels, 17,2 % chez les filles hétérosexuelles). C’est toutefois le cas de 50,2 % des élèves LGBQ (52,1 % chez les garçons GBQ et 48,3 % chez les filles LBQ).

Du côté des violences sexuelles (p. ex. avances insistantes, attouchements non désirés), ce sont 7,0 % de tous les élèves sondés qui rapportent en avoir fait l’objet à cause de leur orientation sexuelle réelle ou présumée. Une lecture par orientation sexuelle met en évidence qu’il s’agit de violences sensiblement plus rapportées chez les élèves LGBQ que chez ceux qui s’identifient comme hétérosexuels, et chez les filles que chez les garçons. Cette proportion est donc de 6,2 % chez les élèves hétérosexuels (4,4 % des garçons, 7,8 % des filles), comparé à 16,5 % chez les élèves LGBQ (10,8 % des garçons, 21,1 % des filles).

En dernier lieu, les élèves victimes de cyberintimidation (c’est-à-dire de victimation par voie électronique) sont proportionnellement plus susceptibles d’être LGBQ et de sexe féminin. Chez tous les répondants de l’enquête, 10,8 % des élèves disent avoir vécu au moins un épisode de cyberintimidation depuis le début de l’année scolaire parce qu’ils sont ou parce qu’on pense qu’ils sont LGBQ. Si l’on observe ces données par orientation, cette proportion est de 9,6 % chez les élèves hétérosexuels (8,2 % des garçons, 10,8 % des filles), alors qu’elle augmente à 23,6 % chez les élèves LGBQ (14,0 % des garçons, 31,4 % des filles).

Les expériences scolaires des jeunes trans

Bien des jeunes trans rencontrés dans le cadre de notre enquête partageaient des expériences similaires de discrimination, évoquant s’être faits intimider en raison de leur expression de genre atypique, interprétée par leurs pairs comme l’incarnation d’une évidente homosexualité. La plupart des incidents répertoriés sont de trois types : 1) l’exclusion ou le rejet; 2) les violences verbales; 3) les agressions physiques. Plusieurs des jeunes trans ont rapporté des instances où ils avaient explicitement été exclus d’un groupe ou mis à l’écart par leurs pairs, en raison du caractère étrange qui leur était prêté, alors que d’autres choisissaient eux-mêmes de se tenir à distance d’individus ou d’endroits qui ne leur paraissaient pas rassurants, ou sécuritaires.

Parmi les violences verbales desquelles rapportent être victimes les élèves trans figurent non seulement les insultes, les rumeurs et les blagues mal intentionnées, mais également le recours délibéré aux mauvais prénom et pronom, ou le fait de tourner en dérision les prénom et pronom choisis. Le choix d’un prénom reflétant l’identité de genre du jeune trans est une étape majeure de son parcours identitaire et de sa transition sociale. Sa pleine acceptation par ses pairs est donc en partie tributaire de la constance avec laquelle ses interlocuteurs font usage des prénom et pronom correspondant au genre désiré, dans la mesure où l’identité trans est dévoilée lorsque ces derniers ne correspondent pas à l’expression de genre de l’individu.

[Les élèves] ne disaient pas : « Tu es laid, le transsexuel! ». C’était plus subtil. Ils m’appelaient Benoit, mais de la manière qu’ils le disaient, c’était vraiment rire de moi. (Benoît, homme trans, 19 ans)

Dans un cours en particulier, c’était difficile parce que [l’enseignante ne savait pas] si j’étais un garçon ou une fille. Ça mélangeait tout le monde. Les élèves ne le savaient pas non plus, alors ils m’embêtaient avec ça. (Claude, homme trans en questionnement, 20 ans)

Il s’agit là de violences particulièrement insidieuses dans leurs impacts, dans la mesure où elles sont susceptibles de se jouer de façon répétitive, et d’être potentiellement banalisées ou non interrompues, voire reproduites, par les adultes en situation d’autorité. Certains ont même vécu jusqu’à des agressions physiques fréquentes.

Également, des circonstances a priori banales vécues au quotidien par les élèves et nécessitant une ségrégation par sexe (p. ex., l’usage d’espaces sexués comme les salles de bain ou les vestiaires, ou encore la séparation en groupes d’individus du même sexe) peuvent s’avérer particulièrement problématiques pour des jeunes trans. Comme il s’agit d’espaces non mixtes réservés tantôt aux garçons, tantôt aux filles, la présence d’un élève trans ou ne présentant pas une apparence de genre typique peut être vue comme menaçante, tant d’un côté que de l’autre (Holman et Goldberg, 2006). Les élèves trans peuvent alors craindre la fréquentation de tels lieux, voire les éviter (absentéisme).

J’allais dans les toilettes pour hommes, mais, durant la première session, j’avais encore mes règles, alors c’était un peu compliqué. J’allais dans la cabine et j’urinais assis. J’avais toujours la crainte que la personne qui est à côté m’entende uriner assis, [qu’il se dise] : « à son débit, il y a quelque chose d’étrange ». (Antonin, homme trans, 20 ans)

Il est passablement complexe de départager ce qui relève de l’homophobie, de la transphobie et des violences de genre. Les incidents dont les jeunes trans sont victimes peuvent souvent être qualifiés d’homophobes, dans la mesure où ils répriment ou pénalisent chez eux certaines caractéristiques associées (à tort ou à raison) à l’homosexualité, et ce, qu’ils s’identifient comme LGBQ ou comme hétérosexuels. Ils peuvent également être les victimes de transphobie. Bien que la transphobie au sens strict du terme réfère aux réactions négatives ou d’hostilité envers des personnes transidentifiées (ce que ne sont pas nécessairement encore des élèves adolescents) des jeunes trans nous ont d’ailleurs rapporté avoir vécu de la discrimination et de l’exclusion sur la base de leur expression de genre atypique et ce, dès le début de leur scolarité, avant même l’émergence des premiers questionnements sur leur identité de genre, et des années avant qu’ils n’entament de transition à proprement parler.

Conclusion

Au terme de l’analyse des données, il est possible de suggérer qu’il existe un double jeu relatif au genre dans les violences homophobes en milieu scolaire. D’une part, certaines violences homophobes sont genrées dans la mesure où elles ciblent davantage les garçons que les filles (ou les filles que les garçons), quelle que soit leur orientation sexuelle. Par exemple, les garçons sont plus sujets que les filles aux violences physiques (bousculades et coups), aux violences verbales (insultes, taquineries méchantes, humiliations), ainsi qu’au vol et au vandalisme. Les filles sont plutôt ciblées par les violences sexuelles, par la cyberintimidation et par certaines violences dites symboliques (par exemple, elles font davantage l’objet de rumeurs visant à nuire à leur réputation). Ces résultats portant sur les violences homophobes convergent avec des données établies de longue date sur le caractère genré des violences à l’école (voir notamment Smith et Sharp, 1994).

De l’autre côté, les violences homophobes, c’est-à-dire celles ciblant des élèves en raison de leur orientation sexuelle réelle (parce qu’ils sont LGBQ) ou de leur homosexualité/bisexualité présumée (parce qu’on pense qu’ils sont LGBQ) touchent plus d’un élève sur trois (38,6 %) à l’école secondaire, sans égard à l’orientation sexuelle. Bien que les élèves hétérosexuels soient nombreux à être ciblés par des violences homophobes (35,4 %), les élèves s’identifiant comme LGBQ sont systématiquement plus victimes de ces violences (69,0 %). Ils sont en effet au moins deux fois plus victimisés que leurs pairs hétérosexuels, et ce, pour tous les types d’incidents homophobes répertoriés. Ces violences homophobes sont également fortement genrées dans la manière dont elles ciblent des individus non-conformes à leur genre, c’est-à-dire des garçons auxquels sont attribuées des caractéristiques du genre féminin ou des filles auxquelles sont attribuées des caractéristiques masculines.

Notre enquête sur l’homophobie à l’école met à jour un double jeu du genre, dans la mesure où les effets de l’appartenance de sexe et de l’orientation sexuelle rapportée se conjuguent pour devenir des prédicteurs importants de la victimation scolaire. De ce fait, pour les épisodes de violences physiques et verbales, de même que de vandalisme, de vol et d’exclusion/rejet, on remarque un modèle de victimation ciblant, par ordre, d’abord les garçons GBQ et les filles LBQ, puis les garçons hétérosexuels, suivis des filles hétérosexuelles. Quant aux violences sexuelles, à la cyberintimidation et à la diffusion de rumeurs négatives, elles se déclinent presque suivant un modèle inverse : soit les filles LGB en premier, suivies des garçons GBQ, puis des filles hétérosexuelles et, finalement, des garçons hétérosexuels.

Qu’ils s’identifient comme trans ou qu’ils soient LGBQ, les élèves ayant pris part à l’étude estiment que les violences dont ils sont ou ont été les cibles en milieu scolaire résulteraient davantage de leur non-correspondance aux canons normatifs de la féminité́ ou de la masculinité́, plutôt que de leurs véritables préférences en matière d’orientation sexuelle. En évoquant leur difficulté à fréquenter des espaces sexués, en suggérant que les demandes faites à leurs interlocuteurs de modifier les prénoms et pronom qui leur sont accolés puissent être reçues avec réticence, voire avec dégoût, les récits des élèves trans confirment, par des exemples très concrets et propres à leur cheminement transidentitaire, le « problème » que pose l’inadéquation de genre en milieu scolaire. Ils appuient ce faisant l’hypothèse selon laquelle les violences entre pairs agissent comme des mécanismes de gestion du genre et des orientations sexuelles à l’école. Ces épisodes de violence seraient en effet à comprendre comme autant d’exercices visant à prouver tantôt la virilité, et donc la masculinité, des garçons (Ayral, 2010 ; Martino 2000), tantôt la désirabilité sociale et sexuelle des filles (Hamilton, 2007).


Références

Almeida, J., R.M. Johnson, H.L. Corliss, B.E. Molnar et D. Azrael (2009). Emotional distress among LGBT youth: The influence of perceived discrimination based on sexual orientation. Journal of Youth and Adolescence, 38, 1001-1014.

 Ayral, S. (2010). Sanctions et genre au collège. Socio-logos, Revue de l’association française de sociologie, 5, disponible en ligne au http://socio-logos.revues.org/2486.

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Les données de cette étude sont tirées d’une recherche ayant bénéficié du soutien financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et du programme d’Action concertée sur la persévérance et la réussite scolaire géré par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) et le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC).

[2] Dans cet article, l’expression non-conformité de genre évoque la non-correspondance d’un individu aux normes sociales de genre, c’est-à-dire relatives à la masculinité pour un garçon, à la féminité pour une fille.

[3] Dans cet article, le terme « trans » réfère aux élèves s’identifiant comme transsexuel(le)s ou transgenres, ou encore questionnant leur identité de genre.

[4] Soit l’équivalent de la troisième et de la première du système scolaire français.


Mise en ligne : 321 janvier 2014.

Scolarisation Trans au Brésil

Maria Rita de Assis César 

UFPR-Brésil/CNPq[1]


Scolarisation Trans au Brésil 

 

Entre le 20/11/2011 et le 31/10/2013, 95 personnes ont été assassinés au Brésil. Qu’avaient-elles en commun ? Le fait d’être des personnes travesties et transsexuelles.[2] Le Brésil présente des taux très hauts d’assassinats des personnes travesties et transsexuelles, même en dépit de problèmes très sérieux dans le système de notification de tels méfaits, et en dépit de l’absence d’études plus approfondis sur le sujet. Il y a des nombreuses hypothèses pour essayer d’expliquer l’importance de ces chiffres, et les informations ainsi que des réflexions critiques, viennent des mouvements sociaux LGBTT (Lesbiennes, Gays, Bissexuels, Travesties et Transsexuels). La vulnérabilité sociale, économique et juridique dans laquelle se trouvent les personnes travesties et transsexuelles, aussi bien que la violence sociale brésilienne envers la population LGBTT, et les très faible indice de scolarisation, constituent des facteurs importants. Due à l’absence de reconnaissance de leurs droits, manifesté par la négation de leur identité sociale, par la violence fréquemment dirigée envers la population LGBTT, et par l’absence d’une loi qui criminalise l’homo-phobie (trans-phobie et lesbo-phobie y comprises)[3], leurs vies sont tuées à même les rues, les bars, les trottoirs ou chez-eux. Au Brésil, les papiers d’identification officiels ne reconnaissent pas l’identité civile en concordance avec leur genre choisi. Par ailleurs, le changement de l’identité civile est un processus juridique presque impossible, il est onéreux et dure des années, l’identification des victimes de la violence contre les personnes travesties et transsexuelles se montre très difficile, et fréquemment elles sont comptées sans distinction dans les statistiques générales des assassinats.

Paradoxalement, il y a au Brésil un nombre substantiel de mouvements sociaux qui représentent les personnes trans, en général des mouvements liés à d’autres mouvements LGBTT. Dans la dernière décennie, surtout durant le gouvernement du président Luis Inácio Lula da Silva (2003-2009), une importante relation de partenariat s’est établie entre le gouvernement et les mouvements sociaux LGBTT. Certains dirigeants de ces mouvements ont étés placés à des postes dans des ministères et secrétariats, de même qu’ils étaient aussi reconnus et consultés pour l’élaboration de politiques publiques d’éducation, de santé et de justice. Un secrétariat spécial pour les droits humains a été institué et doté du statut de Ministère, et il a incorporé un important nombre des revendications LGBTT. En partenariat avec le ministère de la santé, le secrétariat spécial pour les droits humains a produit un document politique interdisciplinaire appelé « Brésil sans homo-phobie – Programme de Combat à la violence et à la discrimination contre les GLBT et pour la promotion de la citoyenneté homosexuelle ». [4]

Dans le champ de la Santé publique, des avancées ont eut lieu pour la population trans. Les rapports déjà existants avec d’autres groupes LGBTT, surtout ceux concernés au combat du HIV/SIDA, ont rendu possible un dialogue entre le ministère de la santé et les mouvements trans. Ces rapports ont produit un protocole d’accueil et d’attention dirigé à cette population spécifique. Le système public de santé a été ouvert pour que les personnes trans puissent réaliser leurs processus de transsexualisation, comme les traitements hormonaux et des chirurgies de redéfinition sexuelle, surtout pour les femmes trans (BRASIL, 2009)[5]. Il est important de signaler que l’accueil aux personnes trans dans le système public de santé, aussi bien que leur accès au programme de transsexualisation, est encore réalisé de manière très faible et inégal selon les régions du Brésil. Il est aussi important de remarquer que les mouvements élaborent des nombreuses critiques à cause de l’inclusion des personnes trans dans des protocoles médico-psychiatriques de nature pathologique. L’accueil par des professionnels qui n’ont pas reçu une formation spécifique et dirigée aux thématiques LGBTT est aussi fortement critiqué.

En dépit de ces problèmes, l’accueil à des personnes trans dans le champ de la santé publique est devenu progressivement meilleur, et les demandes des mouvements sociaux LGBTT commencent à être entendues. Cependant, dans le champ éducationnel les progrès sont encore peu significatifs et des recherches récentes démontrent que l’éducation reste encore une immense barrière à franchir. Des données de recherches réalisées dans les universités brésiliennes, aussi bien que des recherches informatives réalisées par les mouvements sociaux, démontrent que la population travestie et transsexuelle reste encore à des très bas niveaux de scolarisation. Ce déficit de scolarisation est directement associé aux préjugés dont les personnes trans souffrent dans les institutions scolaires brésiliennes, ce qui constitue un des principaux motifs de leur abandon de l’école[6]

L’accès à des institutions d’enseignement et le droit à l’éducation sont des importantes revendications des mouvements trans. L’accès et la permanence à l’école constituent un défi à affronter aussi bien par les mouvements que par l’institution scolaire. Dans les dernières années, avec les gouvernements Lula et Dilma Roussef (2010-2014), le système éducationnel brésilien a été grandement élargi dans tous les niveaux du processus de scolarisation et les taux de scolarisation aux niveaux secondaires et universitaires, comme jamais dans l’histoire brésilienne. En plus de l’augmentation significative de l’offre éducative, notons l’implémentation des politiques affirmatives et de soutien à la population la plus pauvre, comme l’attribution des ressources financières à des familles dont les enfants fréquentent l’école (bourse famille). Finalement, le droit à l’éducation a été considéré comme un droit fondamental assuré par la constitution et par des moyens financiers qui ont permis à la population pauvre d’aller et de rester à l’école.

Au cours de l’année 2008, la première conference nationale LGBTT a été réalisée par le secrétariat spécial pour les droits humains qui a été promue par le programme « Brésil sans Homo-phobie » (Brasil, 2004)[7]. Dans cette conference, une attention spéciale a été dédiée au thème de l’éducation, et des relations conflictuelles entre l’école et la population LGBTT. Concernant l’éducation, beaucoup de délibérations ont étés formulées, et, parmi elles, une d’elle, spécifiquement vouée à la difficulté de l’accès et de la permanence de la population trans dans les institutions scolaires. La proposition numéro 4 a délibéré sur la nécessité de « proposer et d’adopter des mesures législatives, administratives et organisationnelles considérées nécessaires pour assurer aux étudiants l’accès et la permanence dans tous les niveaux et modalités de l’enseignement, sans aucune discrimination pour des motifs d’orientation sexuelle et de l’identité de genre » (Brasil, 2008, p. 209).

Profitant des récentes politiques d’inclusion sociale et éducationnelle, en plus de revendiquer le droit constitutionnel à l’éducation, les mouvements LGBTT se concentrent aujourd’hui sur le déficit de scolarisation de la population trans et parfois associent ce problème aux sujets de la prostitution et de la vulnérabilité qui s’ensuit. Selon quelques mouvements, l’éducation serait l’alternative pour placer les personnes travesties et transsexuelles dans le marché formel de travail, en les sortant des rues. D’autre part, il y a aussi des mouvements sociaux plus récents qui, prenant appui sur des recherches universitaires, développent des réflexions moins moralisatrices sur la prostitution, questionnant aussi les relations entre prostitution, baisse de scolarité et manque d’opportunité dans le marché de travail. Comme la prostitution est une expérience significative pour une partie importante de la population travestie et transsexuelle, l’attribution d’autres significations à cette pratique constitue une stratégie visant à affronter les préjugés. Des recherches montrent que, même scolarisées et insérées dans le marché formel de travail, un certain nombre de travesties et de transsexuels continuent à exercer la prostitution. Il s’agit d’un thème qui requiert encore des études plus approfondies.

« L’école a été le pire lieu de ma vie, beaucoup plus pire que les rues. » C’est une phrase prononcée dans une recherche réalisée avec des travesties et des transsexuel(e)s autour de leurs histoires de scolarisation (SANTOS, 2010). Cette phrase n’est pas du tout exceptionnelle dans la narration des personnes trans. Le trauma que l’école a produit démontre clairement le décalage actuel entre les politiques d’inclusion scolaire et les pratiques de discrimination qui sont quotidiennes. L’accès à l’école est un droit assuré par la constitution et la permanence dans l’univers scolaire devrait être garantie par des politiques d’inclusion. Cependant, l’école demeure un lieu de violence et d’exclusion. Pourquoi ? Certainement parce que l’institution scolaire demeure un lieu disciplinaire, normalisateur et moralisateur des corps et des conduites. S’agissant des identités de genre et des orientations sexuelles non normatives, les préjugés et la violence à l’école sont très bien documentés dans des recherches et des statistiques.

Avec un programme d’études et des pratiques scolaires hétéronormatives, l’école devient un lieu insupportable pour la population LGBTT. Les actions éducationnelles qui abordent la diversité sexuelle sont encore très timides, et aujourd’hui les politiques publiques d’éducation sont confrontées à l’action de nombreux députés d’orientation religieuse fondamentaliste, issus surtout des sectes évangéliques, lesquels empêchent et bloquent les politiques vouées au combat contre la violence envers la population LGBTT. Pendant le gouvernement Dilma Roussef, le nombre de députés d’orientation religieuse a augmenté et on observe une diminution des politiques de combat aux préjugés envers la population LGBTT.

Mais d’autre part, par le moyen des partenariats entre les mouvements LGBTT, les secrétariats de gouvernement et les ministères, quelques avancées ont étés obtenues. Le ministère de l’éducation a crée un secrétariat spécial qui aborde l’alphabétisation des adultes, des questions ethnico-raciales et des questions de genre et de diversité sexuelle. Ce secrétariat a également crée des politiques de formation continue pour des professeurs de l’enseignement autour des relations de genre et de diversité sexuelle, comme le cours Genre et Diversité à l’École – GDE -, lequel est en train d’être offert dans plusieurs villes brésiliennes.[8] Au Brésil, l’éducation basique, c’est-à-dire le processus initié dans l’éducation infantile jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire, est sous la responsabilité des provinces brésiliennes[9]. Dans les trois dernières années, les partenariats entre les mouvements sociaux et les états brésiliens ont aussi produit un ensemble des lois provinciales qui visent à assurer l’entrée et la permanence des personnes trans dans l’institution scolaire.

Dans certains états brésiliens, parmi lesquels les états du Paraná, Rio Grande do Sul, Paraíba, Piauí, São Paulo, Sergipe, Espírito Santo et Rio de Janeiro, il y a déjà des législations provinciales qui assurent le registre des élèves sous leur “nom et prénom social”, c’est-à-dire en accord avec l’identité de genre, dans la documentation scolaire (GAZETA DO POVO, 2009). Il y a aussi des normes et des lois qui orientent l’utilisation des toilettes en accord avec l’identité de genre. Le registre scolaire sous le “nom et prénom social”[10], aussi bien que l’usage des toilettes en accord avec l’identité de genre, sont une des principales demandes des mouvements trans concernant l’école. L’utilisation du prénom civil au détriment du “prénom social” est reconnue comme un important facteur d’embarras des personnes trans dans l’univers scolaire. L’usage des toilettes est aussi mentionné dans les récits des personnes trans comme un élément d’angoisse et de violence. « Je suis femme, comment est-ce que je peux utiliser les toilettes masculines ? » Ou alors, « Moi, je me sens très embarrassée et en plus il y a le risque d’être un cible de la violence ». (Santos, 2010). En face de la présence de la population trans à l’école, et dans l’absence d’une législation concernée à la question, parfois se produisent des fausses solutions, comme l’utilisation des toilettes des professeurs et fonctionnaires ou même la confection des toilettes spécifiques pour la population trans.

Il est important d’observer qu’à l’intérieur de l’institution scolaire l’usage du “prénom social” apparaît comme un facteur de perturbation de l’ordre, et en l’absence d’une législation adéquate, les autorités scolaires concervant le fonctionnement ordinaire des normes de genre ne permettent pas leur emploi. Le prénom dans l’institution scolaire est une identité fondamentale, il est l’objet constant de scrutation et d’attention, aussi bien pour les professeurs et les équipes institutionnelles que pour les élèves eux-mêmes. Des récits provenant de sources diverses autour de l’expérience transsexuelle à l’école démontrent que le refus de la part des professeurs et directeurs d’accepter l’usage du prénom social est une des raisons principales de l’évasion scolaire de la population trans. Face à l’impossibilité d’effectuer le changement du nom et du prénom civil, la reconnaissance du prénom social est vue comme la principale forme de constitution subjective dans l’expérience contemporaine de la transsexualité. Des documents scolaires, tels que les listes de présence, les examens et même le simple appel dans la salle des classes, emploient des prénoms qui se trouvent toujours déjà placés à l’intérieur du système des règles normatives concernant les relations entre corps-sexe-genre. Comme l’expérience transsexuelle et travestie sont justement celles qui mettent en échec ce système normatif, elles ne peuvent pas avoir lieu dans des institutions comme l’école, et cela en dépit des transformations dont elle a récemment été l’objet. Ainsi, l’école ne peut reconnaître que les subjectivités qui se sont engendrées à l’intérieur de ce système normatif associant corps-sexe-genre et les replace dans des positions strictement binaires (Cesar, 2010).

Dans les derniers mois de 2013, les mouvements sociaux trans revendiquent une modification dans la législation qui assure l’utilisation du “prénom social” où elle existe. Dans les états disposant de cette législation, ce droit est encore restrictif à des citoyens qui ont 18 ans ou plus. Les mouvements argumentent qu’une partie significative de la population trans est composée par des jeunes gens entre 14 et 17 ans, et en conséquence, ne sont pas considérés par la loi. Ainsi, dans divers états brésiliens, ces mouvements formulent des demandes pour le changement de cet aspect de la loi. Cette nouvelle demande est bloquée par ceux qui, dans les parlements et dans le système judiciaire, défendent une conception plutôt asexuée de l’enfance. Le débat vient de s’installer et il apportera certainement des conséquences importantes pour la réflexion sur les relations entre école, transsexualité, enfance et jeunesse. Il est certain que la législation essaie aujourd’hui de considérer la population trans qui vient de retourner à l’institution scolaire après de nombreuses d’années, à cause de la violence, de l’exclusion et de la discrimination. Tout cela est dû aux effets des revendications des jeunes et des mouvements LGBTT pour une éducation libérée des préjugés, contre les discriminations envers l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et les législateurs ne peuvent plus les ignorer. De ce point de vue, on attend d’importants changements en ce qui concerne les vieilles idées autour de l’enfance, de la jeunesse et de l’école. Et tous ces changements sont vraiment bienvenus…

 


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SANTOS, Dayana Brunetto Carlin. Cartografias da transexualidade: a experiência escolar e outras tramas. Curitiba: Programa de Pós-Graduação em Educação/UFPR, 2010. Dissertação (Mestrado em Educação).


[1] Professeur à la Faculté d’Éducation et au Programme de Post-graduation en Éducation de l’Université Fédérale du Paraná – UFPR. Coordinatrice du LABIN – Laboratoire de l’investigation des corps, genre et subjectivité en Éducation. Chercheuse du CNPq – Conseil National de la Recherche Scientifique.

[3] Il y a un Projet de Loi – PLC no. 122, de 2006, qui vise à criminaliser la discrimination due à l’orientation sexuelle et l’identité de genre.Voir : http://www.plc122.com.br/entenda-plc122/#axzz2neqIUKzo

[4] Pour en savoir plus, voire : http://bvsms.saude.gov.br/bvs/publicacoes/brasil_sem_homofobia.pdf

[5] Voire : http://bvsms.saude.gov.br/bvs/saudelegis/sas/2008/prt0457_19_08_2008.html

[8] Voire : http://gde.virtual.ufc.br

[9] Politiquement, le Brésil est organisé comme une république fédérative composée par des provinces ou des états. Chaque état a un ensemble de responsabilités politico-administratives, parmi lesquelles l’éducation basique. Le financement, la réglementation et les professeurs sont sous la responsabilité des états et chaque état a un ensemble de lois et des normes qui régissent l’éducation.    

[10] Ici, on nomme « prénom social » le prénom socialement utilisé par l’élève.


Mise en ligne : 31 janvier 2014.

Vu du Luxembourg

Erik Schneider

Psychiatre et psychothérapeute, militant trans


Vu du Luxembourg

 

Introduction

Avant de débuter cet article et de me présenter, je voudrais préciser une chose : lorsqu’une personne est experte et en même temps concernée par une question, sa prise de parole est toujours plus attendue en tant qu’experte. Alors même que tous les gens de nos sociétés (européennes) sont concernés par le sujet du genre, et que  personne n’est neutre envers cette question. Si une personne trans’ détient aussi une expertise sur la question trans’, on n’hésitera pas à dévaloriser son travail, son expertise, voire sa dimension scientifique. On l’invisibilise mais surtout on la dévalorise. Chaque fois que je me vois concerné par cette question c’est compliqué, non pas se dire trans’, de faire un « coming out », mais d’être obligé de faire un choix entre trans’ et expert, par peur que mes mots ne sont pas reconnus.

Je suis donc trans’, militant à l’association Intersex & Transgender Luxembourg (ITGL)[1] et psychiatre et psychothérapeute[2]. Ici je m’intéresserai à la question des trans’ à l’école.

Pourquoi la question de la transphobie a l’école me tient-elle à cœur ?

En ce moment, ni le développement personnel de l’enfant selon ses propres capacités, ni l’égalité des chances, ni même la sécurité des enfants qui s’écartent des normes de genre (dis enfants/adolescents trans’) ne sont garantis à l’école. La vie dans un établissement scolaire dépend alors de beaucoup de paramètres : l’équipe, le/la professeur/e, le/la proviseure… C’est donc un hasard si cela se passe bien pour un enfant trans’, ou une sorte de chance. Certains témoignages positifs me sont parvenus, en provenance d’Allemagnes. Mais d’autres, mettent en avant de beaucoup de problèmes. C’est-à-dire qu’on ne trouve pas de paramètres réguliers, mais des éléments incertains, indépendants de la loi, même celle-ci reste bien évidemment une dimension importante de la lutte contre la transphobie.

Il y a un lien entre la famille et la manière dont se passe l’expérience trans’ à l’école. Le risque d’exclusion semble augmenter en situation de manque de soutien à l’école (des professeur/ e/s eux/elles même liés à la production de stéréotypes). Cette situation pourrait être caractérisée par une méconnaissance du personnel professionnel à l’école, ou par une préférence à traiter les enfants/adolescents trans’ dans un cadre « normalisant », c’est à dire ignorer le plus souvent l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) de ceux et celles qui divergent des normes de sexe, et de genre assignées à la naissance. La transphobie est une des conséquences des stéréotypes liés au système sexes/genres binaire.

La question de la violence physique apparait aussi, accompagnée de la violence verbale, des dévalorisations comme des exclusions sociales. La plupart des trans’ ont reçu des mots blessants, ce qui met en péril leur « coming-out » mais aussi leur maintien au sein des établissements. La question se pose aussi concernant des enfants considérés comme trans’ mais ne l’étant pas. A l’image de l’homosexualité, certains enfants sont victimes de brimades lorsqu’ils ne respectent pas les normes de genre.

Il y a bien évidemment des effets psychologiques à cela : le stress, le sentiment de malaise scolaire (surtout lorsque le soutien familial est inexistant), l’absentéisme et le décrochage scolaire. En 2011 à TGL nous avons reçu 3 personnes qui ont décidé d’arrêter l’école pour ces raisons[3].

Mais ce n’est pas tout : il y a aussi de plus en plus des problèmes d’alimentation par exemple, ou d’hydratation (ne pas boire pour éviter les toilettes). Tout peut être fait afin d’éviter les changements corporels, l’obésité et l’anorexie apparaissent alors pour éviter ou cacher les changements que connaissent les adolescents.

On remarque cependant que chaque enfant réagit différemment, mais le stress, le suicide (les idées suicidaires ou les tentatives de suicide) reviennent très souvent dans les témoignages. Et toujours, cette question de la problématique trans à l’école est en lien avec la qualité relationnelle des liens familiaux et parentaux !

Quelle est la situation au Luxembourg ?

Comme je l’ai décrit dans la première réponse, la non-acceptation de l’auto-perception et de l’auto-détermination (y compris liée à l’identité sexuée) est un des problèmes les plus graves concernant cette question. Depuis 2010 nous offrons des formations pour les professeur/e/s sur ces sujets mais ils/elles ne semblent pas intéressé/e/s d’y participer.

Au Luxembourg, Natacha Kennedy a transposé les chiffres connus en Angleterre et a dénombré possiblement 550 enfants mineurs[4]. Selon notre propre estimation, ils seraient au moins 100. Il faut attendre cependant d’autres enquêtes car nous recevons de plus en plus d’enfants trans’, avec de nouvelles questions. Pour chaque école de nouveaux cas, mais aussi des crèches et des écoles primaires. Certaines professionnel.le.s ne se sentent pas concerné.e.s, c’est-à-dire qu’ils ne reconnaissent même pas les enfants trans’ !

Cet été j’ai reçu deux témoignages dans lesquels un éducateur se posait des questions avec des enfants dont il avait l’impression qu’ils étaient trans’. Ils nous ont certes appelés mais il n’y eut aucune réaction de l’équipe.

Face à la forme « normalisante » des comportements, il faut donc développer des formes « acceptantes », en les accompagnants car cela peut être destructeur pour les enfants, pour les adolescents.

L’ancienne ministre luxembourgeoise de l’éducation avait considéré les enfants trans comme plus vulnérables[5]. A la suite d’une question parlementaire, ITGL a reçu en entretien la ministre et nous avons permis la création d’un groupe pour les jeunes trans’ dans les locaux du Centre de psychologie et d’orientation scolaires[6]. Cette possibilité nous donnait une reconnaissance importante au Luxembourg. On espère travailler sur la question des adolescentes maintenant.

Qu’est-ce que propose ITGL sur cette question ?

Le respect et l’acceptation inconditionnelle de l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) d’un enfant/adolescent trans’. Cela inclut l’utilisation de prénom choisi par la personne concernée dans le cadre de l’école y compris le pronom. Comme prévu dans une loi californienne l’enfant/adolescent peut choisir les endroits réservés à l’utilisation de « l’un ou l’autre » sexe (comme les vestiaires, dans le sport etc.).

Le sexisme, la misogynie ou l’homophobie, sont trois éléments à prendre en considération pour travailler contre la transphobie. Le problème néanmoins reste qu’entre « sexualité » « orientation sexuelle » et « identité de genre », le mélange de ces concepts différents, la méconnaissance occulter le problème et l’accentue.

Dans mon discours, je ne parle pas des enfants travestis ou pour lesquels l’identité de genre est changeante car toutes ces questions nécessitent aussi de travailler en amont de cette complexité, en commençant par la question trans’ par exemple. Même si l’on sait qu’il existe des enfants dans cette situation, en disant « les enfants qui s’écartent des normes de genres », on inclut les travestis. La question devient : qu’est-ce que cela signifie pour l’école ? Notamment lorsque les jouets et les vêtements, c’est-à-dire les stéréotypes, sont bousculés ? La Suède, sans toucher à la question des trans’, essaye par exemple de diffuser les jeux au-delà des catégories garçons filles ! Voilà qui semble être important !

Quelles expérimentations scolaires limiteraient la transphobie à l’école ? 

Il y existe des projets « « LGBT » en Allemagne et aux Pays Bas qui travaillent là-dessus dans le cadre de la lutte contre « l’homophobie/la transphobie ». Mais je ne connais aucun projet en Europe qui travaille sur l’acceptation inconditionnelle de l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) d’un enfant/adolescent trans’ à l’école. On pourrait aussi noter, évidemment, la loi argentine sur l’identité de genre[7], qui prévoit que les enfants (au même titre que les adultes) puissent bénéficier du prénom souhaité ainsi que du genre souhaité, même si celui-ci ne correspond pas à la mention de sexe sur l’état civil. Aussi, nous pouvons noter les avancées californiennes en la matière, puisqu’en 2013 une loi[8] accorde le droit aux enfants trans à participer aux activités scolaires non mixtes, y compris aux activités sportives, et d’utiliser toutes les installations, conformément à leur identité de genre, quel que soit le sexe mentionné à l’état civil A 18 mois, selon certains témoignages parentaux, certains signes peuvent être perçus. Il faut y faire attention. C’est-à-dire qu’avant même l’accès aux mots, il y a quelque chose comme l’auto perception (plus que l’identité, car cela peut prendre du temps… sans être stable, fixe) d’une identité de genre non cis (voir même dès les premiers mots, sans forcément se dire comme « trans » ce qui reste un langage plus adulte). De plus un enfant ne peut pas s’identifier au sexe qui lui a été attribué au même âge qu’un enfant qui accepte l’identification en tant que fille ou garçon. Cela nécessite donc une prise de conscience de ces catégories sociales[9].

En Argentine, suite à la loi en faveur des personnes trans’ (et aussi des enfants trans’), une publication, une première évaluation est en vue. En Allemagne, il y a une avocate qui a écrit une expertise sur la possibilité d’utiliser un nom préféré, disant ainsi qu’il n’y a aucun droit de l’enfant en ce domaine mais que néanmoins, juridiquement, cela ne posait pas de problème à l’école (sur les bulletins, à l’inscription). Ce n’est ni un délit, ni un tabou. L’expérience est alors faite que certaines écoles acceptent à la condition d’une certaine sécurité, alors que d’autres n’acceptent que lorsqu’il y a des changements légaux.

Mais on a souvent tendance à dire que les personnes trans’ ne sont pas nombreux. Alors que les chiffres ont tendance à monter que ce chiffre n’est pas négligeable. De plus, selon une enquête, sur 100 personnes sous bétabloquants, 1 personne environ a changé d’avis[10]. Ce qui prouve que cette question doit et peut être prise en amont.

Il persiste un chiffre de l’ombre, plus grand que les cas connus. Or, dans nos groupes au Luxembourg on touche de plus en plus de jeune… peut-être que ce chiffre de l’ombre diminue… malgré la transphobie !

Conclusion

L’étape conséquente serait d’inscrire un sexe temporaire le temps de choisir. Mais cela ne doit pas toucher que les enfants trans’, pour ne pas les discriminer, pour ne pas les stigmatiser ou créer des inégalités. Et c’est aussi une manière de dire qu’on touche les murs de la société et permet aux personnes cis-genres d’élargir leurs propres espaces de vie, dans un environnement plus souples. Aussi, la politique a un rôle important à jouer. Si les parlementaires peuvent créer des lois, ils peuvent aussi faire en sorte d’éviter les réactions transphobes : on pourrait recommander de garantir l’auto-perception et l’auto-détermination pour protéger les enfants dans TOUTES les institutions de l’Etat. En plus il faut éviter la psycho-pathologisation des enfants/adolescents trans’ comme cela s’est malheureusement passé au Luxembourg récemment via un arrêt ministériel du 19 décembre 2013[11] qui écrit que : « La prise en charge des soins liés au syndrome de dysphorie de genre est limitée aux actes et services liés à l’accompagnement psychiatrique » et entre en vigueur le 1er janvier 2014. La sécurité de ces enfants importe. On ne parle pas de la Russie, pas de l’Iran, mais de nos « démocraties » dites comme telles qui n’assurent pas la sécurité des enfants trans’. Pour ça l’Etat est responsable. La politique doit donc accepter sa responsabilité.


[1]  L’association est créée en juin 2013 et la suite du groupe informel « Transgender Luxembourg » (TGL) fondé en janvier 2009.

[2] Mon prochain livre : Erik Schneider, Christel Baltes-Löhr (dir.), Normierte Kinder, Transcript, 2014.

[3] RADELUX II (2012): Complément commun au rapport supplémentaire au 3e et 4e rapport national (2001 – 2009) sur les droits de l’enfant au Luxembourg. Les droits des enfants trans’ et des enfants intersexes. L’exemple de leur situation au Luxembourg, ci-après « RADELUX II ». URL: http://www.ances.lu/attachments/155_RADELUX_transgender%2006-02-2013%20DINA4%20layout.pdf [27.10.2013].

[4] Kennedy, Natacha (2014) : Gefangene der Lexika: Kulturelle Cis-Geschlechtlichkeit und Trans‘-Kinder. Dans: Schneider/Baltes-Löhr (dir). Normierte Kinder. Bielefeld: Transcript. 

[7] Loi argentine établissant le droit à l’identité de genre. URL : http://www.infoleg.gov.ar/infolegInternet/anexos/195000-199999/197860/norma.htm [21.01.2014].

[8] Assembly Bill – 1266 (2013): Pupil rights: sex-segregated school programs and activities. URL: http://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billNavClient.xhtml?bill_id=201320140AB1266 [15.11.2013].

[9] Emmanuelle Ravets (2013) :Aider les jeunes trans à sortir de leur isolement. L’essentiel.lu. URL : http://www.lessentiel.lu/fr/news/story/31729427 [21.01.2014].

[10] Wüsthof, Achim (2014) : Hormonbehandlung transsexueller Jugendlicher. Dans: Schneider/Baltes-Löhr (dir). Normierte Kinder. Bielefeld: Transcript.

[11] Modifications des statuts de la Caisse nationale de santé. Comité directeur du 11 décembre 2013. URL : http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/2013/0232/a232.pdf [21.01.2014].


Mise en ligne : 31 janvier 2014.

TDor : Journée du souvenir trans 2013

Tom Reucher
Karine Espineira

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Crédit : Aurélie Maestre


Journée du souvenir trans

Une brève présentation : la Journée du souvenir trans, déclinaison française du Transgender Day of Remembrance (TDoR), se tient internationalement le 20 novembre. Elle commémore les personnes qui ont été assassinées à cause de la transphobie, c’est-à-dire la haine ou la peur des personnes trans, et elle veut attirer l’attention sur les violences endurées par la communauté trans.

 Il semblerait qu’il y ait une corrélation entre la montée du débat sur les transidentités et les meurtres commis par transphobie dans un contexte d’une double invisibilisation. Par exemple, lors de la présentation du film de K. Pierce, Boy dont cry, la presse LG parlait toujours d’une lesbienne. Les meurtres des personnes trans se double très souvent de tortures et d’effacement de la personne, les suicides mués en regret d’une transition non assumée.

 Nous présentons ici les interventions de Tom Reucher et Karine Espineira à l’ocassion de la projection de L’ordre des mots (Cynthia et Mélissa Arra) au MuCEM, le 20.11.2013 qui ont insisté sur les différents contextes sociopolitiques. Comment parle-t-on encore des trans en 2013, pourquoi sommes-nous encore inscrit dans le DSM 5 et la CIM 10 ? Ou en est la réécriture de de la CIM 11 de l’OMS qui proposait une consultation (Sorbonne, 2010, CF, l’ouvrage collectif, ODT n°1, Histoire d’une dépathologisation-2012) ? Quelles propositions politiques après l’Argentine ? L’impact est global comme en témoigne ce contrôle de la SNCF rappellant l’ordinaire transphobie tandis que le politique n’a cessé de botter en touche. 

Le MUCEM propose une exposition sur le Genre qui se veut globale et pédagogique. Mais l’est-elle ? Nous avions écrit un article analysant cette exposition, les quelques a-propos centrés sur une décontextualisation très problématique.

Maud-Yeuse Thomas

Pour l’ensemble des journées liées au T-Dor (le programme est ici), nous tenons à remercier chaleureusement les associations qui se sont mobilisées ainsi que les partenaires et les lieux accueillants : l’Association des Transgenres de la Côte d’Azur, SOS homophobiePolychromes, le relais LGBT Alpes maritimes et des Bouches du Rhône de Amnesty International, le bar associatif les 3G, AIDES, le Planning Familial 13Solidaires 13, le MuCEMl’Observatoire des transidentités et les cinémas Les Variétés et le Mercury. Une dédicace particulière à notre ami Christophe Léger pour avoir porté cette organisation, et Aurélie Maestre pour le beau visuel de ce T-Dor.

M&K

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Crédit


Avec Tom Reucher nous avions choisi de proposer des communications courtes dans le cadre de cette conférence au MuCEM afin de disposer d’un maximum de temps pour les échanges avec le public. A cette fin, Tom Reucher proposait une synthèse de la condition des trans via le sexisme et de mon côté je privilégiais deux aspects du documentaire « L’Ordre des mots » de Cynthia et Mélissa Arra ; réflexion éclairée par les apports de ma recherche sur la contruction médiatique des transidentités.


 

  Tom Reucher

 

Aujourd’hui est un jour spécial pour les trans’ dans le monde. C’est le jour du T-DOR (Trans’ Day Of Remembrance), le jour de commémoration des personnes assassinées parce qu’elles sont trans’. L’assassinat est l’expression la plus extrême de la transphobie.

Limoges, 24/07/2013: Mylène, 42 ans, une figure de la ville unanimement appréciée, battue à mort avec un marteau.

Rouen, 04/11/2012: Cassandra, étranglée, corps partiellement brulé après la mort.

Vous pouvez trouver plus d’information en anglais sur le site http://www.transgenderdor.org/

Je vous propose une minute de silence à leur mémoire. Les croyants qui le souhaitent peuvent prier pour l’amélioration de la vie des trans’ dans le monde, car ils et elles en ont bien besoin.

Le sexisme est le plus important des racismes car il existe dans toutes les cultures. Il prend sa source dans la hiérarchie des sexes. La transphobie et l’homophobie découlent du sexisme. Les minorités de sexe et de genre ont intérêt à travailler avec les féministes pour faire avancer l’égalité des sexes et des genres. C’est par l’éducation que les valeurs d’égalité doivent passer.

Le film aborde des questions politiques que posent les trans’ et les intersexes à la société civile et comment cette société dominée par des conservatismes résiste aux changements et à l’évolution. Ce faisant, elle maltraite et pathologise des identités et des comportements qui n’ont pourtant rien de répréhensibles (cf. les manuels de psychiatries). Les changements que demandent les trans’ et les intersexes ne révolutionneraient pourtant pas la société mais ils amélioreraient considérablement leur vie sans modifier celle des autres.

–   un changement de sexe et prénoms sans condition, gratuit et en mairie, ce qui désengorgerait les tribunaux, éviterai les demandes abusives d’argent par des avocats alors qu’une aide juridictionnelle a été accordée, éviterait la disparité en fonction des juges et des procureurs;

–   des soins médicaux adaptés qui respectent le choix de ses médecins;

–   l’arrêt des chirurgies mutilatrices pour conformer un bébé intersexe à un sexe qui ne lui correspondra pas forcément plus tard car on se sait rien de son développement futur;

–   considérer l’intersexuation comme une sexuation atypique et non pathologique tout en permettant aux personnes concernées qui le souhaitent de bénéficier de soins médicaux pour rejoindre une conformation génitale spécifique;

–   réfléchir à la suppression de la mention du sexe à l’état civil, tout comme a été supprimé la religion, la profession… Concernant les documents d’identité (carte nationale, passeport) et administratifs, soit supprimer les mentions de sexe, soit les rendre déclaratives en devenant des mentions de genre et donc évolutives.

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Crédit


Karine Espineira

Ma recherche :

– 5 années d’observation participative

– 1 corpus de 886 documents audiovisuels formés à l’Institut National de l’Audiovisuel

– L’enjeu : Comprendre comment se fabriquent les modèles, les figures archétypales. Croiser les données obtenues sur le terrain avec les modèles proposés par les médias, la télévision surtout.

Je vais aborder deux points en relation avec le documentaire L’Ordre des mots au programme ce soir avec le cas du Groupe Activiste Trans que vous verrez ce soir et la question de la construction médiatique du sujet trans comme figure archétypale que l’on donne à voir à tous.

Le GAT :

Sans dévoiler le film, l’une des originalités de L’Ordre des mots c’est qu’à l’égal du documentaire Transsexual menace de Rosa Von Praunheim de 1995, il montre la politisation des personnes trans sans pour autant faire l’impasse sur les difficultés d’être « trans » dans des sociétés loin d’être aussi bienveillantes que l’on voudrait.

Le GAT est souvent traité à part dans les études sur les trans’. Les formes de l’action militante du GAT sont spectaculaires dans le contexte français. Elles sont nouvelles dans le contexte du début des années 2000, mais elles sont déjà appliquées aux États-Unis par l’associationTranssexual Menacedepuis les années 1990. Les « zaps »[3] sont contre-productifs pour les uns, « salutaires » et « fiers » pour les autres. Quoi qu’il en soit, lezap Mercaderà la Cité des sciences[4], dont vous verrez les images, place d’emblée le GAT comme le premier collectif politique trans.

Mais qu’est-ce un zap ? Il s’agit d’une action utilisant le corps comme outil de revendication et de contestation. On pense au Diying par exemple. Des gens allongés comme des morts parfois recouverts de faux sang entre dispositif. Cette forme d’action a été importée par Act up Paris sur le modèle d’Act Up New York en 1989.

Rappelons aussi que le GAT est constitué en 2002, je cite : « en dehors de toute forme associative, politique ou syndicale responsable aux yeux de ses membres d’une corruption liée aux notions consubstantielles de domination et de pouvoir »[5]. Ce courant se définit ainsi comme libertaire.

On note au passage l’importance de cette dénomination au sein des groupes trans comme si, face à l’opposition institutionnelle et la désapprobation sociale sous forme discriminatoire, les trans’ n’avaient d’autre choix que celui d’être ouverts aux autres causes. Ainsi le GAT s’est dit publiquement et en plusieurs occasions solidaire avec les sans-papiers, les chômeurs, les prostituées etc. Le documentaire L’Ordre des mots[6] en donne un aperçu. En 2008, j’avais qualifié ce groupe de radical. Ils n’étaient pas forcément d’accord avec moi. Il n’y avait rien de péjoratif ou d’accusateur dans ce qualificatif. Pour moi, sur l’échelle de l’activisme trans’, il figurait tel un séisme rompant avec une militance que l’on voit depuis très modérée. Le GAT a été immédiatement accueilli par les groupes gays et lesbiens de l’époque comme un groupe trans d’avant-garde rompant avec un essentialisme affiché dans les médias (« une femme dans un corps d’homme » et inversement) et un positionnement politique anti-assimilationniste leur permettant des mises en commun avec d’autres luttes comme celles des féminismes, des intersexes, des sans-papiers, des prostitué-e-s, etc.

La question de la représentation

Dans mon étude, on voit que les médias – dont la télévision surtout – abordent « l’institué transsexuel », c’est ainsi que j’ai nommé la représentation dominante, la représentation la plus valorisée, la représentation la plus rassurante. Ce modèle est construit au au détriment  de « l’institué transgenre ». On parle d’une représentation confidentielle, d’une représentation minorée, d’une représentation paniquante (qui fait peur). On pourrait donc parler d’une modélisation plus ou moins souple, entretenant une forte adéquation avec l’ordre social et historique (ici celui du Genre), en faisant place à une certaine perturbation (le « trouble » dans le genre et j’ajoute à l’ordre public).

 Les études culturelles autorisent l’analyse de la culture populaire ou du « grand public » comme « ensemble de minorités intentionnellement construites à travers des affirmations identitaires, subculturelles ou militantes ». J’applique aux trans : dits minoritaire, en souffrance et en désir d’intégration, plus que montré revendicateur et créateur de subcultures, le groupe transidentitaire n’en demeure pas moins partie prenante de la culture populaire. Pour le formuler autrement en m’inspirant d’Edgar Morin, la transidentité n’est pas la culture de tous, mais elle est connue de tous.

A la télévision, le sujet trans est avant tout une femme. Les garçons trans ont été longtemps très invisibilisés. Cette femme est blanche, citadine, occidentale et hétérosexuelle. Elle dit en télévision vouloir adhérer au système sexe-genre et s’inscrire socialement dans le genre. Le genre au sens de rapports sociaux de sexe pour mémoire. Ce sujet doit donner toutes les garanties possibles : des gages à la normalité mais aussi des gages de docilités. J’ai une approche très foucaldienne et je dirais même : ce sujet doit être docile et utile. Je viens de vous décrire le modèle qui rassure la société.

Les identités trans contestataires comme vous en verrez dans le documentaire de Cynthia et Mélissa Arra sont souvent qualifiées de militantes et leur discours sont disqualifiés. Inscrites dans la pensée féministes elles interrogent le genre dans une situation de contre-public subalterne. Le concept a été formulé par Nancy Fraser (1990) et il me semble propre à illustrer l’espace médiatique et l’espace internet comme des arènes discursives et parallèles à l’espace public. Les contre-discours visant à reformuler des identités différentes sont aussi des contre-représentations et s’inscrivent dans une dynamique constructiviste de l’espace public depuis des positions subalternes. Les contre-discours formulés pourraient se résumer à : nous ne sommes pas que des femmes trans, nous sommes féministes, nous ne sommes pas que des hétérosexuels, nous ne voulons pas nous définir seulement comme des « vrais hommes » ou de « vraies femmes », nous sommes solidaires des classes discriminés et opprimés. Nos identités sont bien plus complexes que cela ». Je viens de vous décrire le modèle qui fait peur. Sur le terrain ce modèle n’est pas exceptionnel, il est même majoritaire dans les associations trans les plus récentes comme Outrans à Paris, Chrysalide à Lyon, ou encore dans des collectifs et associations plus anciennes comme le GAT à Paris, STS à Strasbourg et l’ANT à Nancy.

Les identités trans ont vu tout de même leur représentation évoluer au cours de la dernière décennie. Cette représentation fait plus de place aux identités politiques avec des documentaires comme L’Ordre des mots, mais aussi comme Screaming Queens de Victor Silverman & Susan Stryker (2005), Diagnosing Difference d’Annalise Ophelian (2009), Identités remarquables d’Emmanuelle Vilain & Nathalie Lépinay (2010), de Fille ou garçon mon sexe n’est pas mon genre de Valérie Mitteaux (2011), entre autres productions. On remarquera au passage qu’un seul de ces documents a été télédiffusé.

Cette évolution a été le fait de personnes en grande majorité militantes ou engagées, de journalistes ou documentaristes plus curieux. À défaut de maîtriser « le dossier trans », tous tentent d’en saisir les enjeux, et  l’intérêt de nouvelles questions existentielles semblent réactivées : qui suis-je au-delà du genre assigné et reproduit ? La culture inhérente à mon genre est-elle effet de domination, de soumission, ou rien de tout cela ? Ma place détermine-t-elle mon rôle ? Mon rôle détermine-t-il mon rang dans le monde? La condition transidentitaire amorce ou confirme à notre avis un tournant culturel. Croire que ces questions ne concerne que les trans serait une erreur monumentale. Comme l’ont démontré les luttes féministes, ces questions concernent tout le monde.


Ci-dessous suivent des notes mises de côté si la question de la partie transgenre de l’exposition « Au Bazar du genre » venait à être soulevée.

MuCEM : Sur le Bazar du genre

– Pour la photographie de Thomas Beatie :

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J’avais prévu de donner l’exemple de ce que j’avais pu entendre comme horreurs en écoutant les personnes commenter la représentation de l’homme enceint.

Avant la conférence, nous avons accompagné Tom Reucher à l’exposition. Nous avons relevé les mêmes commentaires déjà entendues lors de nos précédentes visites : « c’est monstrueux », « un monstre », « dégueulasse », sale », « crade », « écoeurant », « où va-t-on ? », « tous les goûts sont dans la nature ! », etc. Nous avons noté d’autres expressions plus grossières encore liant Beatie à « ces travelos qui se font opérer » sans oublier les commentaires dans notre propre « communauté ». Dans ce flot de propos blessants, j’ai entendu une seule fois une maman expliquer à son enfant, ce qu’étaient les personnes trans et pourquoi « ce monsieur avait choisi de porter le bébé à la place de sa femme ». Sur le coup, je l’aurais embrassée si j’avais pu le faire !

La critique de l’exposition du MuCEM, suite à notre article sur le NouvelObs, nous a valu, plus d’insultes que de soutiens. On nous a accusé de propagande avec nos références aux études de genre ; probalement par des personnes « paniquées ». Celles-là même qui voulaient « saigner du pédé » durant les débats du mariage pour tous et toutes. Un élu de  la région, de 25 ans, nous a aussi étrillées. Etait-il paniqué lui aussi ? Son homosexualité connue en faisait-elle un allié « naturel » ? Apparement non. Peut-être était-il blanc ? Peut-être était-il issu d’une classe socio-culturelle élevée ? Que savait-il de la condition des trans en France et dans le monde ? Et ce, mieux que nous-mêmes puisque nous sommes « irresponsables » de nos propos, et donc de nos vies. L’ironie de cette pensée, c’est qu’elle correspond à ce que disent les plus fervents soutiens et acteurs de la psychiatrisation des personnes trans.

Dans la foulée, comment expliquer à nos deux Christine’s bien connues que : non les trans n’éclipsent pas les questions féministes au sein des LGBT, au sein desquels nous restons dans de nombreuses villes et régions un public exotique, souffreuteux, subalterne, moqué, réduit à des « opérations » ou des « non-opérations » comme si l’entre-jambe devenait l’enjeu théorique (et de comptoir) du genre chez les personnes trans. 

Bien au-delà d’un positionnement théorique ou militant, comment expliquer la violence qu’exercent les propos tenus par le public comme par des « allié-e-s » présumé-e-s sur « nous » ? Sur moi comme trans pour personnaliser le propos. Et comme cela l’a été pour toutes les personnes qui m’ont confiées leurs ressentis après avoir vécu cet épisode en visitant l’exposition. Comment partager le sentiment de colère, de peine et d’oppression quand on voit des mamans valider la peur de leur enfant : « oui c’est sale » ? Comment partager le réconfort trop rare de cette maman qui prend le temps d’expliquer à son enfant ce qu’est la diversité humaine ? Un seul exemple bienveillant efface-t-il l’ardoise d’un harcèlement public continu ?

Plus que jamais, j’ai en tête cette expression inscrite en moi depuis longtemps : « homme mieux que femme », « gay mieux que lesbienne », « tout mieux que trans ». Faut-il rappeler l’image de Cuvier si bien illustrée par Abdellatif Kechiche dans « Vénus Noire » ? Celle d’un vagin en forme de coeur dans un bocal de formol exposé dans un amphithéatre ou un public d’hommes s’extasiait devant un « caprice de la nature ». Devons-nous accepter l’idée qu’on y parlait de « science » et que ces hommes étaient persuadés de faire de la science ? Quand un sujet ne fait pus partie de l’humanité, l’on peut ainsi justifier cet effroyable réductionnisme et faire passer cette horreur pour (de la) science.

Si on ne juge pas les personnes trans aptes à être responsables de leurs propos et de leurs vies, en revanche, sachez qu’elles vous jugent bien responsables de vos propres écrits et de vos propres actes. Nous sommes bien un contre-public subalterne. 

– Turquie :

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On retrouve ici des données connues sur Pinar Selek plus crédible que je ne le serais jamais pour illustrer la condition des trans en Turquie : Le 11 juillet 1998, Pinar Selek, sociologue, militante féministe, est arrêtée par la police d’Istanbul et torturée pour la forcer à donner les noms des personnes qu’elle a interrogées dans le cadre de ses recherches sur les violences policières faites aux transsexuels et sur la question kurde.

Rappelons qu’en 1997 elle obtient son DEA de sociologie avec un mémoire intitulé : « La rue Ülker : un lieu d’exclusion », recherche menée sur et avec les transsexuels et travestis. Recherche publiée en 2001 sous le titre: « Masques, cavaliers et nanas. La rue ülker : un lieu d’exclusion ». Elle est aux côtés des trans. 

La situation des transidentités, a été aussi exposée par Kemal Ördek, ancien secrétaire de l’association Pembe Hayat (Pink Life LGBTT Solidarity Association) aux UEEH en 2011. Les personnes trans s’y trouvent manifestement en danger[1] – danger au moins égal à ce que décrivait Maria-Belén Correa[2] pour l’Argentine (dont on connaît les avancées stupéfiantes sur ce point depuis).

On retrouvait donc la même situation en Argentine dans les années 1990 et le début des années 2000. Le témoignage de Maria Belén Correa peut être consulté dans mon essai (La transidentité, de l’espace médiatique à l’espace public,L’Harmattan, 2008).

– Iran :

Souvent exotisée la situation en Iran est plus complexe qu’il n’y parait. La prise en charge en Iran débute après la révolution islamique et une fatwa d’Ayatollah Khomeiny sous l’action de Maryam Molkara qui rencontrera le leader iranien. Au début des années 1980, les personnes sont officiellement reconnues par le gouvernement et autorisées à subir des opérations chirurgicales afin de changer de sexe. Pour mémoire l’homosexualité est punie de mort et les exécutions ont été nombreuses dans les années 2000. Face aux réactions de l’Occident, le régime iranien ne manque pas de dire qu’il traite mieux ses transsexuels que l’Occident. Certes, mais l’acceptation sociale n’est pas au rendez-vous et si les personnes trans sont effectivement opérées, elles sont rejetées par leur famille et le corps social. 

Pour information, je conseille un documentaire ainsi qu’une œuvre cinématographique. Pour le documentaire : Transsexuel en Iran de Tanaz Eshaghian, 2008. Pour le film, il s’agit de Facing Mirrors de Negar Azarbayjani, 2012.

Karine Espineira 


[1] Pembe Gri, documentaire d’Emre Yalgin, Turquie, 27’’30, 2008.

[2] « Du côté de chez Belén », in La transidentité, de l’espace médiatique à l’espace public, p. 91. 

[3] Forme d’action et de revendication « spectaculaire » : actions rapides et ponctuelles dirigées contre des personnages, des institutions ou encore des bâtiments. Le zap a été introduit en France en 1989 par Act Up-Paris sur le modèle d’Act Up-New York. La spécificité de cette forme d’action réside dans l’utilisation du corps comme outil de revendication et de contestation. Réf. : Le corps comme outil militant à Act Up, Victoire Patouillard. Publié dans EcoRev, revue critique d’Écologie Politique, numéro 4, 2001.

[4] Le 2 juin 2004 pour empêcher la prise de parole de Patricia Mercader, auteure des propos : « La conviction de ne pas être de son sexe mais de l’autre relève du domaine de l’illusion voire du délire», «Le syndrome transsexuel peut se concevoir comme une forme particulière de décompensation psychotique ou bien de décompensation chez un borderline ».

[5] [En ligne], http://transencolere.free.fr. Le GAT s’est auto-dissout en juillet 2006.

[6] Autoproduit par Cynthia Arra et Mélissa Arra, France, 2007 ; [En ligne], blog du film : http://lordredesmots-le-film.blogspot.com/


Sites

Tom Reucher : http://syndromedebenjamin.free.fr

Karine Espineira : http://karineespineira.wordpress.com

http://www.transgenderdor.org/


Mise en ligne : 2 décembre 2013.

EXISTRANS : REVUE DE PRESSE

M-Y. Thomas, A.Alessandrin, K. Espineira

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EXISTRANS : REVUE DE PRESSE

 

 

Introduction

Le mois d’octobre rime avec l’Existrans. Fondée en 1997 par un groupe au sein de l’ASB[1], l’Existrans est la marche des trans’ et de celles et ceux qui les soutiennent[2]. L’affiche signale la présence de STP (Stop Trans Pathologisation), mouvement international de dépathologisation des trans.

Cette année, la marche s’est effectuée derrière le slogan « TRANS, INTERSEXES : UNE LOI, DES DROITS ! » et s’accompagne de 13 revendications[3]. Le contenu visuel des affiches et des revendications indiquent la progression d’un fait mineur en fait de société, de l’individu vers le collectif, une dépathologisation vers le droit. La marche 2006 focalisait déjà sur l’égalité et postulait une Liberté-Egalité-Transidentité : 2007, quel.le candidatE pour la cause trans ?

 

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Affiche Existrans 2007

L’ODT s’est penché sur la presse quotidienne afin de proposer une revue de presse liée à l’évènement. Il faut bien le dire, peu de médias papiers se font l’écho de la marche (tout particulièrement les journaux de droite). Même constat chez les militant.e.s avec Coline Neves. En revanche, internet joue tout son rôle de mise en débats. Notons néanmoins quelques articles. Libération ouvre le bal avec un article d’Anne-Claire Genthialon intitulé « Les trans veulent pouvoir disposer de leur état civil »[4] et publié le 13 octobre dans les pages du quotidien. Le 18, la veille de la marche, l’AFP (Agence France Presse) poursuit avec un reportage autour de l’Existrans. Coline Neves de l’association OUTrans (que la journaliste nomme toujours « transsexuelle ») est interviewée dans une vidéo de 18 minutes intitulée « Transsexuels : le long chemin vers la reconnaissance »[5]. La même date, L’humanité rappelle dans sa version web, son engagement aux côtés des revendications de l’Existrans[6]. Enfin, toujours dans libération, c’est Hélène Hazera qui prend la parole en cette veille de marche, pour un article intitulé « Une trans à libé c’était hier », dans les pages « rebonds » du quotidien. L’article, s’il ne porte pas réellement sur la marche se conclue tout de même par « Comme tous les ans, j’irai demain à l’Existrans ». Le jour même de la marche, c’est encore Libération qui revient sur le nombre de participant.e.s et sur les mots d’ordre. L’article est intitulé « Des ‘trans’ défilent à Paris pour réclament des droits » (initialement publié par l’AFP). A travers ces articles, nous proposons de revenir sur deux points : 1- la presse traduit-elle correctement les revendications de l’Existrans ? 2- quelle monstration fait-elle des corps en présence dans la manifestation ?

Conscient.e.s que les médias actuels ne se limitent pas au format papier, nous tenterons un bref retour sur ce qui a été dit, lu, sur Internet, notamment sur les sites « Txy », « Yagg » et « Barbiturix » (tiens : rien sur Têtu ?…). Nous avons aussi demandé à Coline Neves son analyse de la situation.


 

Entretien avec Coline Neves*

 1- Bonjour Coline, tu étais en charge de la relation presse pour l’Existrans, peux-tu nous dire si cette édition a attiré les médias ? 

Non cette édition n’a pas attiré énormément les médias Le bilan de la revue de presse est assez maigre, mis à part un dossier assez complet de l’AFP avant la marche, suivi d’une dépêche pour relater de la marche, et un bon article publié dans Libération le lundi précédant la marche. Certains journaux ont apparemment repris les dépêches AFP, au moins dans leur version en ligne, mais je n’ai pas de bilan précis des articles publiés dans les versions imprimées de la presse papier. Des sites d’information comme Yagg ou Barbieturix ont également bien relayé l’événement.

Il y a eu aussi un reportage par l’AFP vidéo, diffusé au moins par BFM TV, et un long entretien sur radio pluriel à Lyon le mercredi 22 octobre dans l’émission « pluriel gay » avec également Vincent Guillot de l’OII.

2- Quelles ont été les limites de cet exercice face aux médias ? Y a t-il eu des incompréhensions de leur part ou au contraire des approches bienveillantes, ouvertes ?

La journaliste de Libération qui a proposé un article dans le dossier « sexe et genre » du lundi a fait un travail consciencieux et respectueux. Elle a respecté les demandes concernant le vocabulaire utilisé, n’a pas cherché à aller vers la biographie et le témoignage personnel, et a proposé une relecture de mes citations et la prise en compte de mes corrections suite à cette relecture. Elle était visiblement bien informée et avait bien compris les enjeux avant de s’entretenir avec moi.

La journaliste de l’AFP (article) a été un peu moins précise, mais a fait un dossier plutôt correct qui n’évite pas le recours à de nombreux témoignages personnels. Par ailleurs, si je suis citée, c’est au nom de l’association OUTrans et pas du collectif Existrans qu’elle n’a pas souhaité interviewer (l’entretien au nom d’OUTrans a été fait avant que je ne sois désignée comme contact presse de l’Existrans).

Les journalistes de l’AFP vidéo ont été globalement beaucoup moins respectueuses. D’abord elles ont essayé de me pousser de manière intensive vers un témoignage autobiographique, par mille moyens directs ou indirects. Pire, malgré mes exigences très claires rappelées juste avant la finalisation de leur reportage suite à une demande insistante de leur part, elles m’ont désignée dans le commentaire du reportage non seulement comme porte-parole du collectif Existrans, mais aussi en me mêlant insidieusement à leur vocabulaire stigmatisant (« changer de sexe, pour elle, comme pour beaucoup de transsexuelLEs »). Elles se sont d’ailleurs excusées après mes protestations furieuses ! Ensuite elles se sont obstinées à utiliser un vocabulaire que j’avais désigné comme non pertinent, pathologisant et irrespectueux du point de vue de l’Existrans (« changer de sexe » « transsexuelles ») tout au long de leur reportage. Pour autant leur reportage, très court, parvient à retranscrire plutôt bien les idées fortes défendues par l’Existrans et respecte assez mes propos.

La journaliste de Barbieturix qui m’avait demandé un entretien a été très respectueuse et bienveillante dans son approche, et elle a bien retranscrit les enjeux dans son article.

Pour finir, si l’ensemble des revendications n’ont clairement pas été abordées, il y a surtout une nette invisibilité dans tous les articles et reportages autour de cette édition des revendications Intersexe, à commencer par l’arrêt des mutilations des enfants Intersexes à la naissance qui n’a jamais été citée…

3- Du point de vue de la réception, comment juges-tu les papiers sortis autour de cette manifestation ?

Je crois que j’ai un peu répondu déjà dans la question précédente, désolée…

Surtout je pense que nous aurions dû faire un travail de communication plus efficace, notamment avec une conférence de presse par exemple, et un dossier de presse plus fourni, de plus nombreuses relances, et de meilleures consignes aussi pour d’éventuelles demandes de la presse en cours de manifestation (quelques journalistes ont interrogé des personnes au hasard sans s’intéresser spécialement au collectif Existrans et à ses représentantEs.

Il y a au final très peu d’articles, et pas assez complets. La télévision a relativement pu suivi l’évènement, et ni le Monde ni le Figaro n’ont rien publié dans leurs pages, ce qui montre un certain désintérêt de la part de la presse nationale… D’après mes informations, l’Existrans a été bien mieux couverte à l’occasion d’éditions précédentes.

Je voudrais aborder aussi la question particulière des illustrations choisies par l’AFP ou par les journaux directement qui posent souvent les même problèmes : utilisation de photos des années précédentes (avec par exemple la banderole de tête et son slogan de 2012 au lieu de la photo de la banderole et du slogan de 2013), choix souvent folklorisants et voyeuristes de personnes les plus « excentriques » et/ou « visiblement trans », choix de mise en avant de slogans et pancartes pas très représentatives des revendications les plus importantes (« c’est moi qui décide comment je m’habille »), légendes transphobes avec par exemple un mauvais genrage d’une personne trans visiblement MTF appelée « un trans » transmise par l’AFP et reprise par plusieurs journaux dans leurs versions en ligne (corrigée sur le site de Libération suite à mon signalement).

Du côté de Yagg, je trouve qu’il y aurait pu avoir un dossier bien plus poussé que la seule reprise du communiqué de presse de l’Existrans et un reportage photo à peine commenté. Si la presse communautaire ne fait pas un travail pédagogique plus ambitieux, qui va le faire ?

*Coline Neves, chargée des contacts avec la presse au nom du collectif Existrans pour la marche du 19 octobre 2013 


1° Que dit la presse ?

1.1° Définitions et rappel des revendications 

C’est l’article de L’Humanité, dans sa version électronique, qui rappelle le mieux les revendications de l’Existrans. L’article en signale d’ailleurs un bon nombre. Dans une mise en ligne austère, l’article revient l’engagement communiste aux côtés des personnes trans :

Nous soutenons donc les principales revendications de cette Marche […] L’ambition communiste d’émancipation humaine et d’épanouissement des personnes est universelle. A l’heure où un pas significatif a été franchi pour l’égalité des personnes homosexuelles et lesbiennes, nous refusons d’en mettre à l’écart les personnes Transsexuelles et/ou Transgenres. Il s’agit maintenant de franchir un nouveau cap sur le chemin de l’égalité des droits. Nous exprimons notre solidarité à la Marche Existrans et souhaitons par notre participation contribuer à son succès.

Dans son article du 13 octobre, Libération revient aussi sur les revendications à l’occasion de la marche. C’est l’occasion pour le journal de revenir brièvement sur l’histoire de l’Existrans :

« Elle était de la première marche en 1996. A l’époque, Camille Barré était encore «un garçon androgyne» qui, avec une trentaine de transsexuelles, manifestait pour plus de visibilité. Elle a vu les cortèges s’étoffer, d’une poignée à quelques milliers, et le mouvement Trans évoluer vers plus de diversité. Samedi à Paris, Camille Barré, 54 ans, désormais une des doyennes de la manif, marchera pour la 17e édition de l’Existrans, «la marche des trans, des intersexes et de celles et ceux qui les soutiennent». Et elle scandera encore et encore, des Invalides à l’Hôtel de Ville : «Trans, intersexes : une loi, des droits !

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Lors de la 16e marche Existrans, le 20 octobre 2012, à Paris.

(Photo François Guillot. AFP)[7]

L’article s’accompagne d’une promesse de débat : le corps, quel engin !, programmé par Libération le 8 et 9 nombre à Montpellier et animé par  des « personnalités aux profils variés et aux parcours étonnants »[8]. Toutefois, entre essayistes célèbres et scientifiques rompus à l’exercice de production/transmission des savoirs, Olivia Chaumont est invitée à « témoigner de son passage d’un corps à l’autre ». L’AFP est, quant à elle, plus timide sur les revendications : « Certaines de ces personnes [trans] réclament aujourd’hui un état civil plus « conforme » à leur genre. « Un état-civil conforme à mon genre », « la transphobie tue », « mon sexe n’est pas mon genre », pouvait-on lire sur les banderoles déployées dans le cortège. » L’agence met beaucoup de guillemets et de distance. Peut-être est-ce dû à un sujet non maitrisé. Pour preuve, une définition essentialiste critiquable et une formulation maladroite :

« Trans, kezaco ? On appelle communément « transgenre » une personne dont le genre « intérieur » diffère du sexe biologique. Une personne transsexuelle a opéré une transformation physique. Plus globalement, « trans » regroupe ces catégories, et ceux dont le genre est « fluide », oscillant entre masculin et féminin. Les personnes « intersexes » sont les personnes pour lesquelles il est difficile de dire si leurs organes génitaux sont mâles ou femelles. »

A ce drôle de kezaco naturaliste fortement réducteur, accompagné par une photo (ci-dessous), l’on répond avec les termes et discours de leur pathologisation sociale, identité vs sexe, même si la photo propose manifestement un message de fierté par la sourire et (signe des temps), l’exposition de leurs corps à l’instar des Femen : le corps prouve.

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Photo : BORIS HORVAT, AFP[9]

On soulignera la fin de l’article de Libération (du 13/10) qui revient sur les récents éléments juridiques en la matière : « En juin, pourtant, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis dans lequel elle préconisait une démédicalisation complète de la procédure de changement d’état civil. Mais le Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’égalité hommes-femmes, a rejeté l’ensemble des amendements traitant du sujet ». L’AFP concluera de même :

« En France, le changement d’identité repose sur la jurisprudence. Les tribunaux exigent de nombreuses expertises médicales, et souvent la preuve de la transformation physique donc de la stérilisation. Seule une centaine de demandes sont faites chaque année en France, pour quelque 15.000 personnes trans selon les associations (en comptant les transgenres, qui ont l’apparence du sexe opposé mais sans modifier le corps, et les transsexuels, qui vont au bout de la transformation). L’arrivée de la gauche au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir mais les dispositions tant attendues par les trans viennent d’être de nouveau reportées au premier semestre 2014 dans un projet de loi de simplification du droit. »

Notons que la question intersexe n’apparait pas. Sur trois papiers, Libération ne reviendra jamais dessus alors même que cette dimension était partie prenante des revendications et l’OII signait le communiqué de presse commun en 2006[10].

1.2° Paroles de trans :

Au-delà de l’article d’Hélène Hazera, écrit à la première personne du singulier, c’est l’ensemble de la presse qui traite du sujet en donnant la parole aux trans. C’est bien évidemment le cas du reportage de l’AFP (même si une juriste vient, à juste titre, rappeler aussi que les procédures sont longues, sur-médicalisées, et aléatoires d’un tribunal à l’autre), mais aussi de Libération qui, pour son édition du 13, laisse à parole à de nombreuses trans (Camille Barré, Coline Neves, Karine Espineira…).

«Les premières marches étaient très graves : quelques participants portaient des masques de peur d’être reconnus», rappelle Karine Espineira, coresponsable de l’ODT. «Mais si, depuis, nous avons inspiré d’autres pays et gagné en visibilité, globalement, rien n’a changé pour nous.» L’ambiance cette année risque d’être morose. «Bien sûr que le mariage pour tous a été une avancée concrète et importante pour les LGBT, et nous nous en réjouissons», explique Coline Neves, porte-parole du collectif Existrans 2013 qui rassemble une quarantaine d’associations et organise la marche. «Mais ça ne résout pas les problèmes des personnes trans et intersexes, qui attendent toujours…» La revendication principale du collectif, celle pour laquelle ils bataillent depuis des années ? Le changement d’état civil «libre et gratuit, sans condition médicale, sans homologation par un juge». »

2° Que montre la presse :

            2.1° La dimension biographique

Si les articles reviennent, en général, sur la dimension politique de l’évènement, l’AFP biographise le propos avec l’exemple de Natacha et Lola en interview dans le texte :

« Je travaille en garçon, mais dans le privé je suis une fille« . Dans le cortège, Natacha, 38 ans, cheveux mi-longs auburn, jupe noire et talons, veut une « reconnaissance sociale et professionnelle« . « Je suis bloquée pour trouver un emploi, en fille c’est impossible », raconte cette ex-sommelière, qui n’a pas encore commencé de traitement hormonal. « Comment vit-on si on ne veut pas être au RSA et se prostituer ? », interroge-t-elle. Son amie Lola acquiesce : « On n’a pas envie d’aller travailler, on se retranche chez nous car on ne se sent pas dans le bon corps ». « Même pour aller retirer un colis à la Poste c’est compliqué », témoigne de son côté Maria, 28 ans, réceptionniste dans un hôtel, qui « travaille en garçon« . »

C’est ce que va aussi reprendre Libération dans son édition du 19/10, avec les mêmes témoignages, pris dans le texte de l’AFP. Dans son reportage aussi, l’AFP pousse souvent le propos de Coline vers les filets biographiques : « Pour Coline comme pour les autres ‘transsexuels’… »

            2.2 La problématique des corps montrés

Dans le « libé » du 19 octobre, une personne trans illustre l’article. La photo, en contre plongée, est sous-titrée de la sorte : « Un trans participe à la manifestation Existrans à Paris le 20 octobre 2012 ». Un trans ? Mais rien sur la photo ne donne prise à du masculin, rien !

Si le reportage de l’AFS montre des garçons et des filles trans (sans dire qui l’est ou qui ne l’est pas), le papier du l’agence, daté du 18/10, est illustré par deux personnes trans, dont un transboy (c’est assez rare pour être noté). Pour le reste, c’est en immense majorité des filles trans qui servent d’illustration. La thèse de Karine Espineira porte précisément sur cette monstration sociale et ses logiques et apories, survisibilisant une MtF qu’incarnera Christine Jorgensen depuis les années 50 et, en France, une Coccinelle. Courant de la décennie 1990, la télévision recentre son propos avec la présence des « experts ». La narration des histoires trans est parlée par autrui et objectifiée. Dès lors, le mode de narration insiste sur une biographisation typique d’un trajet de vie résumé dans l’instant d’un changement de sexe. Le retrait des experts à la télévision après 2000 ne s’accompagne nullement d’un regard vers la politisation du mouvement trans mais poursuit sa modélisation propre en insistant sur le déterminant sexuel et sa supposée rupture avec le genre. Au total, la télévision jusqu’à présent ne montrera jamais qu’elle-même, tel que Debord l’avait théorisé dans les années 60-70 : la société du spectacle. Mais il ne s’agit plus ici des scènes du cabaret ou du cinéma abordant ce sujet mais de la scène ordinaire de notre société telle qu’elle est : inégalitaire, sexiste, homophobe et encore raciste. L’item de la transphobie vient donc s’ajouter à une transition de société telle que nous la montre le « mariage pour tous » (ignorant ou oubliant les femmes) : brutale.

3° Et sur Internet ?

3.1 Lecture tout azimut des blogs

La lecture tous azimuts des blogs, forums, profil Facebook et autres, nous emmène dans une profusion de positions alimentant un horizon des conflits résumé ici[11], rappelant l’avis de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme et du groupe de travail du Défenseur des Droits. Certes, ceux-ci rendent le fait T médiatiquement très visible. Mais est-ce là l’effet d’une reconnaissance ? Ainsi : « Le gouvernement a bien envie de contribuer à leur démarche de bouleversement sociétal… Mais il n’est pas chaud pour affronter une seconde fois les manifestations rencontrées ce printemps et d’autant plus dans un contexte de crise sociale. Il préfère temporiser, mais pour combien de temps ? » (M-M. Courtial).

Un mot d’ordre structure l’aspect contextuel et le débat de fond depuis ses origines, en appelant aux gouvernements à réagir : la Gauche doit tenir ses engagements[12] contre la frilosité et brutalité ambiantes. Le focus sur les personnes intersexe et la stérilisation, commune à la régulation du fait trans et intersexe, va dans ce sens mais la presse, on l’a vu, ne connaît pas les intersexes et spectacularise les trans. Les Panthères roses en feront une campagne vivifiante mais peu vue hors d’internet et milieux militants[13].

Politisation des terrains et des débats, intérêt porté à la réflexion plus large qu’un groupe particulier. Le site Barbieturix va en ce sens en proposant lui aussi un papier sur l’Existrans[14].

3.2 Une avancée ou l’inverse ?

Faute d’une couverture médiatique prenant son temps, Internet joue un rôle d’espace de représentation, communication et médiatisation des contres-publics subalternes. Non sans bousculade. TXY publie une nouvelle chronique du temps-qui-passe : « Pourquoi je n’irai pas à l’Existrans… »[15]. Tout un programme par la négative (le je-n’irai-pas, faisant résonner le Nous n’irons plus au Bois de J. Dayan), à l’ombre de la société normée. Loin de la rue, les débats sur internet, lieu de production et diffusion très intense des politiques trans, font réfléchir la condition trans comme étant une condition marginalisée, discriminée et paradoxalement, sollicitée de maints endroits et autant de pouvoirs minuscules mais décisifs sur le cours de leurs existences.

Le propos de la revendication : faire advenir un individu trans intégré par la porte du droit. Ce qui est une bonne idée. L’égalité tant attendue entre femmes et hommes, homos et hétéro ne doit pas faire oublier les trans. Frileux, oublieux ou méprisant de la question trans, les promesses de campagne du candidat Hollande, la revendication d’égalité et de respect de la vie privée, vont (de nouveau) tomber dans les oubliettes, laissant toute la place aux pathologisations et exotisations, largement représentés dans les médias. Combien de responsables associatifs trans aux JT pour porter des revendications d’égalité et dénoncer un discours méprisant ? Extrait de l’article sur Txy :

« Si la prostitution reste l’unique solution de survie pour certaines, elle ne l’est plus pour le plus grand nombre, celles qui composent la majorité invisible et silencieuse. »

La question Trans, dépolitisée par la théorie de l’individu anonyme, silencieux et conforme n’est pas nouvelle. Tous les groupes minoritaires, la France catholique de C. Boutin en tête, s’inspire de ce mythe public. Elle pose ici la question politique, toujours ouverte, des papiers d’identité, des conditions de vie ordinaire, des discriminations exercées sur le faciès ou l’habit ou encore à l’isolement, la vulnérabilité des parias désignés et la pauvreté. Deux positions : l’une intégrationniste, validant une transition médicale strictement individuelle. L’autre, tenant du débat de société, faisant rejoindre le fait intersexe au fait trans et au bouillonnement queer. Pourquoi dois-je changer de sexe pour avoir des papiers, enfiler jupe ou pantalon ? Pourquoi place-t-on le champ médical en amont du champ juridique, le changement de sexe en amont du changement d’état civil ? Ne peut-on légiférer afin de faire advenir la réponse sociopolitique de l’Argentine ? En l’état des conflits et du silence des médias, la réponse est nette. La France peut refuser ce changement de fond, préférant gérer des changements corporels au goutte-à-goutte, quitte à la qualifier de castration pathologique et glosant sur les boites-de-Pandore pour faire oublier les placards-de-la-République.

Faute de penser, on dénonce. Exit la pathologisation ordinaire et l’oubli institutionnel ayant conduit au Bois. Le sujet trans se veut intégré, invisible dans la société « qui l’accueille ». La prostitution et le travesti, condition d’hier et infamies d’aujourd’hui sont l’ennemi avancé, cette « mauvaise image ». Une bataille des chiffres est avancée pour être entièrement définie : la majorité doit être invisible et silencieuse. Selon quelle étude, quels chiffres ? Quelle philosophie ? La populace trans serait-elle, une classe sociale indûment distinguée ? Invisible et silencieuse : c’est précisément cette logique qui en avait permis l’arraisonnement par le pouvoir policier au XIXe et médical au XXe via une « pensée sexologique » qui de Kraff-Ebbing à la Sofect[16] contrôle les représentations et émotions, avance dans médias et les ministères en « experts », exerce un lobbying envers le DSM et la CIM. Celle-là qui, précisément, nous fait admettre qu’il n’y a, pour les trans, d’autre solution que celle individuelle de la réassignation sexuelle quand elle doit d’abord être sociojuridique.

Réponse qui, à son tour, donne le ton d’une contre-réponse[17] : le sujet intégré n’est, au mieux, qu’un sujet normé, apportant sans cesse des gages à la normalité. Or, c’est précisément ce qu’est devenu le sujet-du-transsexualisme normé. L’on oublie que théoriser un individu silencieux, c’est accepter un contrôle fort. Face à la militance politique pour une dépathologisation, l’individu ne peut que valider par adhésion au lobbying de la Sofect.

 

Conclusion

Faut-il une loi ? Peut-on vraiment dépathologiser sans démédicaliser ? Les divergences atteignent leur acmé maximum sur ces questions intriquées l’une à l’autre, simplifiées par un discours médiatique modélisé quand il ne s’agit pas d’impasses discriminantes.

L’opposition au mariage pour tou.te.s et son traitement médiatique nous donne de précieux enseignements. L’ancienne majorité silencieuse, ces « normaux » autoproclamés, sont descendus dans la rue pour revendiquer. Non pas pour un droit mais un refus de droit, contre un principe d’égalité toujours diffusé et régulé par les institutions. Dans cette bataille des images, la droite catholique s’est révélée comme une minorité parmi d’autres minorités mais elle exige et obtient des médias une surreprésentation télévisuelle. Aussi et plus que jamais, la loi apparaît comme l’ultime recours et refuge.

Ce que la médiatisation autour du mariage nous suggère aussi, c’est la nécessité d’une visibilité multiple, donc forcément polémique. Durant les six mois de sur-médiatisation des débats autour du mariage, où sont passées les figures folles, butch, minoritaires ? Le montrable, le médiatisable était devenu l’intégrable. La mobilisation trans procède des mêmes questions et des mêmes écueils (même si son impact médiatique est largement plus limité). Nous serions donc en mesure de poser la question d’une reconnaissance inclusive à l’intérieur et à l’extérieur de la « communauté » trans, c’est-à-dire, pour faire simple, non seulement « d’être admis dans ce que l’on est, ou de demander un droit à exister tel que l’on est, mais aussi de solliciter une vie humaine vivable aux côtés d’autres vies humaines.»[18]. On retrouve ici Nancy Fraser et son concept central la parité de participation selon lequel « être privé de reconnaissance, c’est être interdit de participation bien davantage que de ne pas être valorisé dans une part de son identité »[19]. 


[1] Association du Syndrome de Benjamin.

[2] http://karineespineira.wordpress.com/tag/existrans/

[3] http://www.existrans.org/

[4] http://www.liberation.fr/vous/2013/10/13/les-trans-veulent-pouvoir-disposer-de-leur-etat-civil_939216

[5] http://www.afp.com/fr/search/site/transsexuel/

[6] http://www.humanite.fr/fil-rouge/soutien-a-la-marche-existrans-2013-pcf

[7] http://www.liberation.fr/vous/2013/10/13/les-trans-veulent-pouvoir-disposer-de-leur-etat-civil_939216

[8] http://www.liberation.fr/evenements-libe/2013/10/16/forum-de-montpellier-le-programme_939682

[9] http://actu.orange.fr/une/existrans-2013-des-trans-defilent-pour-un-etat-civil-conforme-a-leur-genre-afp-s_2625482.html

[10] URL : http://existrans.free.fr/#CP. L’Organisation mondiale des Intersexes (OII) était représentée par Vincent Guillot.

[11] Marie-Madeleine Courtial, « La marche Existrans du 19 octobre », 25.10.2013,  URL : http://medias-presse.info/?p=380

[12] Maëlle Le Corre, Yagg : http://yagg.com/2013/10/16/existrans-2013-le-gouvernement-doit-tenir-ses-engagements/

[13] http://www.pantheresroses.org/Pancartes-Existrans-2008.html

[14] http://www.barbieturix.com/2013/10/16/existrans-rendez-vous-samedi-pour-la-17e-edition/

[16] Notre article du mois dernier.

[17] http://no-life.info/blog/2013/10/17/pourquoi-la-prise-en-compte-des-trans-sans-papiers-est-importante/

[18] Bellebeau Brigitte, « A quelle condition puis-je faire quelque chose de ce qui est fait de moi ? », Actes de la journée d’étude, Le désir de reconnaissance, entre vulnérabilité et performativité (B. Bellebeau et A. Alessandrin dir.), en ligne.

[19] Ansey Pierre, « Nancy Fraser, Luttes culturelles et luttes de redistribution, Politique, (en ligne).


Mise en ligne : 30 octobre 2013.

Sofect, du protectionnisme à l’offensive institutionnelle

K. Espineira, M-Y. Thomas,  A. Alessandrin

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Sofect, du protectionnisme à l’offensive institutionnelle

Rappel des faits

Fin juin 2013, l’université Paris 7 annonce la création d’un DIU (Diplôme Inter-Universitaire) de prise en charge du « transsexualisme ». Ce diplôme, en lien avec les universités de Lyon, Marseille de Bordeaux, c’est-à-dire en lien avec les principaux protocoles hospitaliers, est labélisé par la SOFECT (SOciété Française d’Étude et de prise en Charge du Transsexualisme), instance elle-même largement discutée. On y retrouve tous les praticiens français -ou presque- dont des noms connus et controversés comme Mireille Bonierbale, Colette Chiland, Marc-Louis Bourgeois et d’autres en provenance des sciences humaines. Enfin, quelques associations sont aussi citées comme intervenantes (on reviendra sur leurs caractéristiques).

Par ce papier, nous entendons porter un regard critique, et quelque peu désabusé, sur la manière dont le « transsexualisme » tel que défini par la SOFECT s’institutionnalise en France, à l’opposé de ce que souhaitent, de ce que font, les personnes et les associations trans. De ce point de vue, les dernières revendications de l’Existrans ou de STP semblent bien éloignées du programme de ce DIU. De même, les espoirs ouverts par les récentes conclusions de la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) apparaissent en contradiction avec les positions défendues par les intervenant.e.s et organisateurs/trices de ce diplôme.

Le contexte est générateur par défaut de cette nouvelle annonce : promesses électorales non tenues, recul de la gauche présidentielle au moment du mariage pour tous, affairisme de HES[1], division des associations, violences de minorités réactionnaires contre les minorités sexuelles. Dans le déclin de la puissance étatique par émiettement, les places sont vacantes pour remplir ce rôle. La présidente d’honneur, C. Chiland,  déjà auteure très prolifique, transformait des luttes civiques en « propagande nazie » dans la plus parfaite indifférence. Or cette stratégie rappelle celle d’une Mercader agitant des « hérésies » et en appelait au suicide « que les trans devraient s’accorder »[2]. La même propose aujourd’hui des colloques sur les « violences à l’école » mais nul enfant trans à l’horizon des « pratiques genrées » et « violences entre pairs »[3]. Le « devenir homme ou femme » s’exemple de l’exception trans, nourrissant une vision sexologique du monde. L’analyse réellement universaliste de Françoise Sironi[4] nous met en face : utopie ou dystopie.

Une institutionnalisation sujette à controverse

La constitution de ce DIU sonne comme l’institutionnalisation d’une clinique du « transsexualisme » pourtant critiquée par de nombreuses recherches récentes (Sironi 2011, Alessandrin 2012, Espineira, 2012, Segev 2012) qui mettent en cause la maltraitance et l’obsolescence des protocoles français. Aux côtés des chercheurs, de nombreuses associations mettent elles-aussi en avant la nécessité de porter un regard critique sur la SOFECT et sur les protocoles, non seulement sur les relations patients-praticiens qui s’y déroulent mais, plus généralement, sur le monopole qu’exercent ces protocoles aux niveaux du droit, de la sécurité sociale et des représentations sociales pathologisantes qu’ils véhiculent. Plus problématiques sont les différents noms qui apparaissent dans la liste des formateurs. Colette Chiland, présidente d’honneur de la SOFECT, à qui le diplôme laisse 2h30 d’interventions sur l’histoire du transsexualisme en France, 2h30 sur « les troubles de l’identité sexuée chez l’adolescence » et 2h30 sur « les troubles de l’identité sexuée chez l’enfant ». La même Chiland écrivait en 2005 qu’il était « déconcertant, effrayant, non pas qu’il aurait été une caricature de femme, un travelo sans talent, il n’était rien, ni homme ni femme, il attirait l’attention en se présentant comme un repoussoir à la relation » ? Ou en 2003 que « tous souffrent. Ils en sont même si pathétiques qu’ils finissent par entrainer avec eux les médecins dans un affolement de la boussole du sexe »… Autre intervenante de ce DIU, Mireille Bonierbale, présidente de la SOFECT, à qui le DIU propose, 1h de présentation, et 5h sur les organismes (WPATH, CNAM, HAS … et SOFECT). Cette dernière ne s’était-elle pas interrogée en 2005, avec N. Morel Journel et B. Mazenod, tous deux présents dans ce DIU, sur les « épidémies de transsexualisme » qui suivaient les émissions télévisées à ce sujet ? De même n’avait-elle invoquée à ses côtés le prêtre et psychologue Tony Anatrella pour rappeler que « il n’est pas possible d’être humain sans être homme ou femme et que ne sachant plus quoi privilégier, la société peut aller vers une régression. Ainsi l’éducation androgyne fabrique des asexués qui se rabattent sur des pulsions partielles, la violence étant souvent au-devant de la scène » …

Le soubassement d’une vision sexologique de la société et des devenirs n’est autre que le socle théologique. L’enjeu vise à démontrer que l’enseignement au sein ce DIU pluridisciplinaire et multi-site, ne restitue en rien les controverses qui animent les communautés scientifiques et militantes, nationales et internationales, à ce sujet. Mais, au contraire, qu’il restreint son point de vue aux seules équipes existantes en France.

Quelques aperçus sur la formation

Fort de cette « pensée sexologique » (Bonierbale) du monde, on renoue avec la sexologie début XXe siècle proposant des « pré-requis en sexologie » et ses « aspects psychologiques et psychopathologiques » (Bonierbale -Session 1). D’emblée, la formation y inscrit une « neurobiologie des comportements sexuels » (C. Boulanger) et une « éthique en sexologie » et propose des lectures sur le « comportement sexuel et ses bases étiologiques » (M. Aubry) pour se prolonger avec des « types d’attachements et construction de l’affectivité et de la sexualité (M. Chollier). En un mot, réaffirmation d’une pensée où sont proposés une formation sur le « développement psychosexuel de l’enfant » et une « construction de la personnalité, crises et cycle de vie » (C. Pénochet – Session 2). Mieux : sur « Les différents concepts de désir, de l’imaginaire, de la séduction et l’érotisme et du sentiment amoureux (C. Pénochet). Enfin, le programme (Session 2) s’élargit : « Culture, religion et sexualité » (G. Durand).

Ces diverses préludes sont complétées en Session 3 et 4 par un programme sur les sciences sociales : « Le féminisme et l’évolution des représentations de la sexualité » (Bonierbale) et « Le genre ; concepts actuels de Genre, identité de Genre, identité sexuelle, identité sociale, rôles sexuels, homosexualité » (Bonierbale, A. Gorin). Comment ces deux champs interviennent-ils pour proposer une réponse sociologique et politique distincte, voire concurrente, d’une « pensée sexologique » ? L’analyse de l’inégalité structurelle de société permettant la psychiatrisation des exceptions culturelles s’oppose ici frontalement à une pensée théologique en la dépolitisant.

La session 5, fort de tous ces « pré-requis » généraux, peut débuter  sur « La plainte sexologique, le symptôme sexuel et la demande du patient, l’anamnèse » (M.H. Colson). Il s’agit de réaffirmer le trouble dans un champ précis et lui seul afin de pourvoir à la disparition programmée d’une psychiatrie sans psychiatres, et d’un trouble sans malades. Comment faire revenir ce public insaisissable sous la houlette institutionnelle ? Sous cette question, l’aspect juridique : comment maintenir une indisponibilité de l’état de la personne (et de son corps) permettant l’indisponibilité des caractéristique de l’état civil ? En un mot, comme restaurer une invariabilité totale ?

Sarkozy aussi avait fait de « l’ouverture »

Il reste cependant quelques points « d’ouverture » dans ce DIU. Le mot « ouverture » n’est pas anodin. Il rappelle la politique du début de mandat de Nicolas Sarkozy, lorsque ce dernier avait fait entrer au gouvernement des élus non UMP. Il en va de même pour ce DIU. L’une des premières ouvertures est associée aux « aspect paramédicaux et infirmiers ». A cet endroit précis, aucun nom de praticien hospitalier n’est visible. Nous ne sommes pas certains que cet enseignement sera bel et bien ouvert à des professionnels externes à la SOFECT ou aux protocoles Français (sur ce sujet, comme sur l’ensemble de la formation, la dimension internationale, c’est-à-dire la dimension comparative, est absente).

Autre élément « d’ouverture », la présence d’association. 4 associations, qui doivent confirmer leur présence, semble participer à ce DIU : Le PASTT (Groupe de prévention et d’action pour la santé et le travail des transgenres, Mutatis Mutandis, Collectif Trans Europe et l’ORTrans. Nous aimerions revenir sur au moins deux des associations pressenties (Mutatis Mutandis et le Collectif Trans Europe) et rappeler qu’aucune des associations de ce DIU ne participe à l’Existrans (dont la liste des signataires est disponible sur le lien en première page). C’est dire que ce DIU s’entoure d’’association ami.e.s ou tout du moins d’associations moins critiques. Ceci n’est pas sans rappeler ce qu’écrivait Colette Chiland : « Depuis quelques années s’est développé un mouvement transgenre ou trans qui se définit comme n’ayant plus rien à voir avec le transsexualisme calme, bien élevé et caché, attendant poliment que les juges et les professionnels médicaux leur donnent le traitement bienfaisant dont ils avaient besoin pour poursuivre leur vie dans l’ombre de la société normale » (2006). Mépris et populiste viennent remplir cet échec de la psychiatrie à juguler et faire disparaître le fait trans que commentait P-H. Castel dans La métamorphose impensable. Sur les associations Trans-Europe et Mutatis Mutandis, on serait en mesure de se poser la question de l’existence propre de ces associations qui, pour l’une, repose uniquement sur une présidente active (notamment sur les réseaux sociaux), et pour l’autre vient de connaître une schisme interne avec la création de l’association trans 3.0.

Enfin, peut-être pourrait-on entrevoir une réelle ouverture du côté des humanistes (au sens de « sciences humaines ») présents dans ce DIU tels le sociologue Éric Macé (à qui l’on doit des textes critiques vis-à-vis du concept de transsexualisme ou de la SOFECT). Si l’on pourrait croire qu’une critique « du dedans est aussi forte qu’une critique « du dehors », le nombre d’heures laissées aux sciences humaines sur l’ensemble de la formation n’inaugure rien en termes d’une réelle « ouverture »

Du bouclier thérapeutique au principe de précaution : qu’en disent les « usagers »[5]

Because difference is not disease.
Because nonconformity is not pathology
Because uniqueness is not illness[6] 

Quelques mois avant l’annonce du DUI, des acteurs de terrain ont appris que le Conseil National Professionnel de Psychiatrie (FFP : Fédération Française de Psychiatrie) s’alignait sur les positions de la Sofect pour contester la classification soumise à consultation. Nous parlons du processus de révision de la Classification Internationale des Maladies, de l’Organisation Mondiale de la Santé. Autre champ institutionnel, autre champ de bataille dans lequel la SOFECT semble influente et où la parole des usagers à peine à porter.

La FFP comme la Sofect estiment que la contestation des usagers s’inscrit dans une « confusion des registres sociologiques et culturels et des registres médicaux ». La création du DIU tient-elle de la contradiction, du paradoxe ou de la stratégie ? Associations et collectifs trans comme associations et conseils de psychiatrie n’ignorent plus les positions des uns et des autres prenant le plus souvent la forme d’un débat terminologique : gender identity et identité sexuelle, transsexualism et transsexualité, apport des Gender studies et des épistémologies féministes, etc. D’un côté le « Bouclier thérapeutique[7] » (un appareil de légitimation) est déployé dans le déni, tandis que de l’autre est avancée l’idée d’un parcours de vie spécifique plus ou moins politisé et théorisé.

En 2004, année de la classification ALD 23 (Affection Longue Durée, dans la nomenclature de la Sécurité Sociale en France), à l’initiative du Groupe Activiste Trans (GAT) est convoquée une Assemblée Générale des associations et collectifs trans qui votent la « dépsychiatrisation ». Nul n’ignore que les trans demande une déclassification sans démédicalisation et par conséquent sans « déremboursement ». Nous parlons donc plus largement d’une dépathologisation, terme qui va suivre des routes inattendues.

Les acteurs de la psychiatrie en responsabilité de la prise en charge des personnes trans y voient une problématique exclusive à leur travail clinique comme suit : « une erreur de la nature » avancée par le ou la patiente, « trouble » ou « incongruence » qui exige un traitement palliatif impliquant un « principe de précaution ».  Cette dernière notion est questionnante. Le principe de précaution a été avancé lors du Sommet de la Terre (« Sommet de Rio » : Conférence des nations Unies sur l’environnement et le développement, du 3 au 14 juin 1992) et il n’est pas formulé, dans un sens scientifique : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Ce qui pourrait passer pour une nouvelle inscription dans le bouclier thérapeutique peut cependant être repris par les « usagers » à leur compte.

Détaillons en premier lieu les problèmes avancés par les médecins pour qui il s’agirait de dépister : une maladie mentale (du domaine des psychoses) ; des vulnérabilités (psychologiques, environnementales, médicales) ; des risques de santé (opérations, prises d’hormones) ; des attentes irréalistes et « regrets post-traitement » ; des fragilités sociales (« banalisation du genre » comme un « choisi »).

Le même principe de précaution envisagé cette fois depuis les « associations d’usagers » impliquerait un autre processus de « dépistages » : les effets symboliques, psychologiques et sociaux des définitions médicales (stigmate, opprobre, pathologisation) ; la « standardisation » de la prise en charge (un diagnostic unique) ; la « transsexualisation globale » des personnes trans d’autres cultures et de tous âges[8].

D’un côté on craint que le « transsexualisme » – non plus considéré comme « trouble mental » – vienne rejoindre l’homosexualité qui, elle, n’a pas de liens avec les soins médicaux. Les « usagers » (dans le cas français comme avec les associations et collectifs[9] : OUTrans[10] – Paris, Chrysalide[11] – Lyon, STS[12] – Strasbourg, l’ANT[13] – Nancy, SC et l’Observatoire Des Transidentités[14] – Marseille, ou encore Trans 3.0[15] – Bordeaux, ou comme GATE[16], STP[17] et TGEU[18] entre autres structures internationales) disent pourtant sans ambiguïtés la diversité des parcours de vie trans et des « demandes » qui ne correspondent pas à « l’offre » des tenants de la prise en charge. La revendication contre la « stérilisation forcée »[19] devrait être considérée avec sérieux et non disqualifiée sous le prétexte d’une « banalisation du genre ». L’argument selon lequel que seule une psychiatrie expérimentée serait apte au diagnostic différentiel est largement remit en cause par les travaux du psychologue clinicien Tom Reucher on l’a vu, mais aussi par la pratique du terrain comme avec le groupe santé trans de Lille qui a valeur d’exemple quand le parcours de vie passe par l’intervention d’une bienveillance médicale. Depuis trois ans des médecins de toutes spécialités, en collectif, sans l’aide de la psychiatrie, travaillant de concert avec des associations locales, le centre LGBTIQF « J’en suis, j’y reste », la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, ont accompagné près de 45 personnes dans leurs parcours médicaux et sociaux. Cette expérience de terrain ne doit pas être minimisée. Un autre point qui plaide en faveur du « principe de précaution » depuis une posture trans : le « protocole » à  sens unique isole peut être aussi les personnes du social. Une écologie des milieux responsable ne l’ignore pas.

Bien que la Sofect et ses alliés s’en défendent, l’analyse des discours démontrent que des professionnels de la santé, tout scientifiques qu’ils soient dans leur champ de compétence ou se prétendant comme tels, ne sont pas non plus isolés de « leur monde » et à l’abri des imprégnations symboliques de leur éducation, de leur vécu, de leur culture et des structures socio-sémio-historiques.

L’épisode récent d’un rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (décembre 2011,  communiqué le 7 mai 2012), est à cet égard significatif[20].

Le rapport lui-même a suscité approbations et désapprobations sur le terrain, mais reprend de très précieux éléments comme les recommandations Hammarberg (2009) qui se réfèrent aux principes de Yogyakarta (ou Jogjakarta, 2007). L’introduction en particulier nous rappelle le « bouclier thérapeutique ». C’est en effet, dit ce rapport, après les propositions du 27 avril par le ministère devant les seules associations présentes, qu’un comité de consultation (représentants médicaux, associatifs et administratifs) s’est réuni à deux reprises (28 septembre et 10 novembre 2010), tandis que se crée la Sofect « fédérant les équipes hospitalières publiques et quelques psychiatres libéraux ». Le rapport ajoute : « Les travaux ont été interrompus sur le constat d’un dialogue impossible entre représentants désignés par les associations et par les médecins, dialogue à peine initié au travers de ces deux seules réunions (…) Face à l’impossibilité de poursuivre la discussion et au blocage de la situation, le Ministre de  la Santé a saisi l’Inspection Générale des Affaires Sociales (…) » [21]. Sous le terme « blocage », il faut lire lobbying ou lutte d’influence de la part d’une des parties. On apprend en effet que des représentants de la Direction Générale d’Offre de Soins étaient devenus membres de la Sofect durant les rencontres. Et le rapport de poursuivre : « La création de la Sofect est alors apparue pour les associations comme pour les représentants de l’État, comme une tentative de préempter le débat, de s’octroyer le monopole de la prise en charge des trans en définitive, de tuer dans l’œuf l’ouverture recherchée au départ »[22].  Sans l’étude attentive de la parole des experts de la question trans dans les médias comme dans la littérature scientifique, serions-nous capables  de saisir de tels enjeux idéologiques, au-delà ou en deçà des descriptions techniques ?

Nous incluons bien entendu les questions de Genre dans ces enjeux idéologiques, et faisons nôtres ces propos du sociologue Jean-Claude Kaufmann quand il écrit : « Le débat démocratique est très souvent beaucoup moins une recherche sans a priori de nouvelles connaissances qu’un affrontement aveugle entre groupes d’opinions fermés »[23]. Tentative, parmi d’autres, d’arraisonnement de la question trans ?

« Défaire le genre », c’est aussi défaire les modélisations. “Changer son image d’abord”, dit-on en marketing. Les colloques de ces dernières années en France, centrés sur l’identité de genre (examen compris de la transidentité) ont à peu près tous ignoré l’expertise transidentitaire, hormis quelques témoignages en tables rondes. La journée d’études organisée par l’OMS le 17 décembre 2010 fait exception sinon tournant : le poing sur la table  de Tom Reucher, Maud-Yeuse Thomas ou Vincent Guillot face aux représentants de la Sofect. Un amphithéâtre de La Sorbonne était ce jour-là le théâtre – le vase clos – d’enjeux de savoirs et de pouvoirs : experts trans de la question trans contre experts de la prise en charge[24].

La Sofect telle une machine électoraliste sait s’adapter, rapidement et sans bruit. Quand on pointe ses résistances aux sciences sociales, elle recrute des acteurs en sciences sociales. Quand on lui reproche de ne pas tenir compte des associations et collectifs, elle s’allie des associations dont nous avons dits que leur représentativité est plus que discutable. Mutatis a connu un schisme et ses positions homophobes, entre autres positions condamnables, l’ont isolé. Trans Europe repose sur une page Facebook avec des milliers d’ « amis » faisant office de « membres » et de caution, avec une personnalité aux commandes, au fort relationnel, qui l’impose partout. Enfin Ortrans est connue pour avoir été formée par la frange la plus conservatrice de feu l’ASB. Les choix de la Sofect interrogent beaucoup. Ces associations de « gentils usagers » qui représente-elle ? Des « transsexuel-l-e-s utiles et dociles » ? De même, quand les associations demandent une formation du corps médical, la Sofect ne dit rien mais agit. Coupant l’herbe sous le pied de l’associatif elle propose sa version de la formation et là où elle se révèle fine stratège c’est que la moindre de ses initiatives porte toujours la marque institutionnelle.

Nous disons bien que la Sofect est une machine de guerre, telle une entreprise forte de ses actionnaires qui attendent d’elle soit efficace. Et elle l’est. Peu importe les moyens, seul le résultat compte. Elle sait encaisser, faire le dos rond et repartir mieux armée. Les associations et les « usagers en colère » se retrouveront toujours en porte à faux, toujours en déficit de crédibilité face aux pouvoirs publics, face à l’institutionnel, « la marque d’une grande marque » dirait-on dans un cadre ultralibéral. L’ouverture aurait été d’oser approcher et associer les associations et les collectifs les plus actifs. Les outils d’auto-support sont aujourd’hui et portés un peu partout en France (SAS et Arc-en-Ciel à Toulouse, OUTrans à Paris, Chrysalide à Lyon, Trans 3.0 à Bordeaux, STS à Strasbourg, l’ANT à Nancy, le GEST à Montpellier, sachant que plusieurs des associations de cette liste non exhaustive ont des actions qui couvrent plusieurs régions). Comment ne pas penser au collectif de médecins et d’associations de Lille ? La Sofect répliquera qu’elle ne trouve pas l’occasion d’un dialogue. Non, ce n’est pas le dialogue le problème, c’est l’incapacité de la Sofect à accepter et à composer avec d’autres discours que le sien. Le désaccord a été, est et sera toujours disqualifiant tant que qu’elle ne se départira pas de l’idée de « fabriquer des transsexuels » trouvant grâce aux yeux des médecins.

L’état des lieux de l’associatif français, pour se cantonner à lui seul, montre que sur le terrain, on trouve des courants hétérogènes, parfois contradictoires, des réseaux pluriels, mobilisés au nom d’idéologies et de constructions identitaires souvent adverses. Cette plasticité correspond donc bien plutôt, quant aux transsexuels et transgenres, au mode herméneutique de l’invention de soi. On prend ainsi peu à peu la mesure d’une transidentité co-construite, institutionnalisée par exemple entre journalistes et trans, chacun « donnant des gages » à l’autre pour s’entendre, à défaut de se comprendre et respecter. Le sociologue Miquel Missé estime que le modèle médical de la transsexualité (ce que nous appelons l’ « institué transsexe », Espineira, 2012) est normatif et « qu’il conditionne les personnes trans dans leur façon d’être dans leur vie et dans leur corps. Le fait de penser la transsexualité comme un trouble mental oriente les personnes trans vers la condition de malades, de patients. Cela les condamne à se lire depuis cette position [note de traduction : « position » au sens de condition] »[25]. Missé souligne encore à travers une référence à l’un de nos écrits ce que les personnes trans attendent de leur médecin : « Nous demandons aux médecins de redevenir des médecins. S’ils se préoccupent de nous, que ce soit pour nos taux d’hormones ou l’évolution de nos cicatrices, mais non pas pour mesurer si nous sommes suffisamment hommes ou femmes, ou pour ce qui pourrait se passer si nous décidions de n’être aucun des deux »[26].  

Parler de la Sofect est toujours un exercice périlleux sauf à la considérer comme une formation militante qui étudie aussi les personnes trans sous cet angle. Elle le prouve à chacune de ses initiatives qui sont toujours une réponse graduée aux mouvements associatifs. Il est bien question de savoir et de pouvoir.

Conclusion : ceci n’est pas la formation demandée par les associations !

On aura souvent entendu les associations trans demander une formation aux praticiens en charge des opérations et des transitions. Mais ce diplôme « d’expert en transsexualisme » est loin des attentes associatives qui se voient une fois de plus mises à l’écart de ces formations, lesquelles excluent d’emblée les controverses, pourtant violentes, qui animent l’espace des transidentités. En ce sens, nous exprimons une crainte ainsi qu’une déception. Une crainte d’abord : celle de voir des futurs acteurs professionnels formés par une SOFECT très largement critiquée. Une déception enfin : que la force de frappe institutionnelle de la SOFECT n’aie pour contradicteurs qu’un archipel d’associations trans non-unifiées.

Reste le fond : quelle vision de société quand celle-ci accepte les violences inhérentes à la fabrique d’exceptions quasi ethniques dont on sait aujourd’hui, avec les faits entourant le mariage universel, ce qu’il en coûte socialement ? Comment parler encore d’éthique dans le déni du pluralisme ? Non seulement, la « métamorphose » est devenue pensable mais encore, elle s’enseigne. L’on nous rapporte qu’in vivo, l’on rit et se gausse de ces « castrés, mutilés et châtrés » volontaires que l’on fait mine d’accompagner (« Choisir son sexe au XXIe siècle », Colloque Bordeaux, septembre 2013). Derrière le savoir, le mépris. L’éthique médicale a fondu sous l’impact de l’épreuve au réel et se fait pouvoir. Le métasavoir qui visait à rendre impossible de telles transformations s’est avéré un piège mortel pour des milliers de transidentités, et s’est retourné sur son inertie : il s’agit désormais de les rendre possible au risque de produire plus de « transsexes » qu’il y en a. Mais nous savions déjà tout cela. 

Programme : URL : http://www.fmc-marseille.com/upload/du-med/etude-sexualite-diu-prog.pdf

Site ressources : http://www.fmc-marseille.com


ERRATUM (décembre 2013)

Suite à la publication de notre article sur le DIU de « transsexualisme », nous apprenons que l’association ORTrans, contrairement à ce que le site internet du DIU annonçait ne participait pas à cette formation. L’association ORTrans rappelle ainsi que :

– nous n’avons aucun lien avec l’association Sofect.

– nous condamnons les équipes hospitalières qui verrouillent le système de santé et de prise en charge des personnes trans.

– à l’inverse nous travaillons pour le libre choix du médecin (pour que, par exemple, un chirurgien hospitalier soit accessible à toute personne, quelque soit la forme de son parcours).

– ainsi que pour qu’une formation sur le sujet trans soit enseignée par/accessible à tout médecin sensible à ce thème (libéral ou hospitalier dès l’instant que sa pratique est respectueuse de la diversité des profils trans et que sa compétence est reconnue).


[1] À qui nous donnons par cet écrit de nouvelles raisons de figurer sur leur liste-noire.

[2] Patricia Mercader, L’illusion transsexuelle, Ed. L’Harmattan, 1994.

[3] Patricia Mercader, Genre et violence dans les institutions scolaires et éducatives, URL : http://www.univ-lyon2.fr/actualite/actualites-scientifiques/genre-et-violence-dans-les-institutions-scolaires-et-educatives-496703.kjsp.

[4] Françoise Sironi, Psychologies des transsexuels et des transgenres, Ed. Odile Jacob, 2011.

[5] La base de ce chapitre provient d’un article adressé à l’Organisation Mondiale de la Santé : « Une brève histoire d’une révision (ce qui se fait et se défait) ? », Karine Espineira, avril 2013.

[6] Kelley Winters, GID Reform Advocates, http://gidreform.org/

[7] Karine Espineira, « Le bouclier thérapeutique, discours et limites d’un appareil de légitimation », Le sujet dans la Cité, « Habiter en étranger : lieux mouvements frontières », Delory-Momberger C., Schaller J.-J. (dir.), Revue internationale de recherche biographique, n° 2, Téraèdre, Paris, 2011, p. 189-201.

[8] Lire  « Minding the body: situating gender identity diagnoses in the ICD-11 », de Jack Drescher, Peggy Cohen-Kettenis Peggy et Sam Winter  (2012) et « Controversies in Gender Diagnoses », de Jack Drescher, LGBT Health, vol. 1, n° 1, 2013.

 International Review of Psychiatry; Early Online, 1-10

[9] Liste non-exhaustive, il existe d’autres groupes et associations. On voit à travers les villes citées que l’ensemble du territoire est couvert.

[10] En ligne, URL : http://outrans.org

[11] En ligne, URL : http://chrysalidelyon.free.fr

[12] En ligne, URL : http://www.sts67.org

[13] En ligne, URL : http://www.ant-france.eu/ta2-accueil.htm

[14] En ligne, URL : https://www.observatoire-des-transidentites.com

[15] En ligne, URL : http://trans3.fr

[16] Global Action for Trans* Equality. Ici aussi je dois me situer en précisant que j’ai participé aux derniers travaux du Gate Expert Group. En ligne : http://transactivists.org

[17] Stop Trans Pathologization, campagne internationale pour la dépathologisation. Je dois de préciser que je fais partie de l’équipe de coordination depuis 2010. En ligne : http://www.stp2012.info/old/

[18] Transgender Europe. En ligne : http://tgeu.org

[19] Depuis 2010, L’Existrans, l’ANT et la plupart des associations françaises considèrent cette question, tout comme STP-2012 à l’international entre autres.

[20] Précisons que je n’ai pas été entendue quoique recommandée comme personne ressource par plusieurs acteurs du terrain (au moment du contact établi avec l’IGAS, fin octobre 2011, la consultation était close.

[21] IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), Évaluation des conditions de prise en charge médicale et sociale des personnes trans et du transsexualisme, rapport établit par Hayet Zeggar et Muriel Dahan, décembre  2011, p. 11.

[22] IGAS, op. cit. p. 55.

[23] Jean-Claude Kaufmann, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Armand Colin, Paris, 2004, p 322.

[24] Arnaud Alessandrin, Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas, Transidentités, histoire d’une dépathologisation, Ed. L’Harmattan, 2012.

[25] Miquel Missé, Transexualidades : Otras miradas posibles, Egales, 2013, p. 52. J’ai traduit ce passage de l’espagnol.

[26] (Espineira 2010 : 4), Miquel Missé, op. cit. p. 51.


Mise en ligne : 4 octobre 2013.

L’art des corps

Isabelle Flumian, Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas

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Affiche du festival, juin 2013


Comprendre comment le corps nous construit et construit nos relations au autres, au monde. Comprendre les questionnements autour de la notion de Masculin/féminin : Est-ce une affaire de biologie ? De vocabulaire ? Une idéologie ? Une construction ? Peut on refuser de se définir ? La liberté sexuelle est-elle un enjeu politique ? On s’aperçoit que ce que l’on croyait figé est extrêmement mouvant. Et aborder ce sujet c’est comprendre sa complexité. 

(extrait de l’édito du festival L’art des corps de Lagorce)

De « l’identité » des passages

Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas

emispheres

(Photo, Emisphères)

 

A la demande d’une association, Pas de panique, nous sommes intervenues à Lagorce, minuscule village en Ardèche. Notre constat : le débat, pour peu qu’il corresponde à un interrogation profonde d’époque, réinterroge désormais à la fois ce qui compose nos identités et le lien social. Nous nous sommes appuyées sur cette expérience pour cette chronique du temps présent.

Est-ce une affaire de biologie ? De vocabulaire ? Une idéologie ? Une construction ?

A toutes ses questions, répondons « pas seulement », d’où cette « complexité » qui semble surgir alors qu’elle est déjà notre monde multiculturel et multi-identitaire ; partout où cette multitude se croise chaque jour dans l’espace public en étant soigneusement (re)genré pour adhérer aux normes publiques de genre et n’est jamais dite, entièrement absorbée par la symbolique du sexe d’où semble partir et se déployer. Il s’ensuit ce brouillage instrumentalisé dans l’espace médiatique par l’assaut contre les « théories du genre » et, ce qui nous intéresse ici, un dialogue d’aller et retours sur l’approche culturaliste que propose les études de genre. Comment passer du sexe au genre ? Que passe-t-on ? L’exposition d’Emilie (Emisphères) nous montre ce qu’il en est des graphies regenrées selon des envies, sensibilités, introspection. D’emblée, ces personnes semblent venir d’un espace hors-norme travesti. Sont-elles des femmes, des hommes, des travestis, des queers ? Emilie répond, non, juste « XXY ». Elle pousse l’indétermination au paroxysme des chromosomes prétendant dire, depuis cette détermination minuscule, invisible mais déterminante, ce qu’il en est dela biologie et n’est pas du côté du genre. Or n’est-ce pas là l’un des piliers de la modernité ? On se souvient du démenti d’Elisabeh Badinter, « XY, l’identité masculine ». Plus récent, l’analyse de Anaïs Bohuon sur le monde du sport, les tests de féminité et la Sud-africaine Caster Semenya. De quoi ce « XXY » est-il le nom ? Il ne surgit, non du corps et des éventuelles sexualités, mais de ce lieu anthropologique par excellence : l’identité. Et ainsi, cette question, lors du débat après le film de Ludwig Trovato : « Mais qu’est-ce que ce « genre » dont vous parlez, quelle différence entre sexe et genre ? » Ici, c’est moins le « transsexualisme », saturé de termes médicaux, que la norme qui devient problématique dans cet écart béant entre tradition et modernité, entre mondes encore fixes et mondialisme pressé qu’analyse Z. Bauman. Le trouble est ici à son comble. Remplacer le sexe par du genre revient-il à l’effacer ? Pour nombre d’entre nous, aucun doute. L’effacement de cette « frontière » biffe la frontière elle-même où il s’ensuit une perte de sens manifeste que d’aucuns ont analysé comme psychose. Défaite par une science dont la mission devait en confirmer la réalité surplombante, elle vient à défaire le surplomb attendu. XX ou XY ne fait pas de nous des femmes ou des hommes si nous ne le sommes pas. Ludwig dit sa complexité, changer de genre, et d’une partie des caractéristiques de la sexuation secondaire, mais non de sexe. Voilà qui dit le genre et ce que le genre fait au « sexe social » sans toucher au sexe biologique.

On l’imagine, public perplexe donc mais public curieux, fasciné mais non tétanisé : qu’en est-il de la limite à la liberté individuelle, me demande un bénnévole du festival. Se perd-on si l’on n’est plus limité, encadré ? La problématique du trans et sa pratique et théorie sont déjà comprises à ce stade en ce qu’elles reposent les questions anciennes, abattent la frontière supposée qu’occupait silencieusement le genre dans le clivage homo/hétérosexualité que Kevin Voinet met en scène dans ses clips. Comment aborder un tel sujet, au-delà de la simple figure d’un transsexualisme fabriqué « à coups d’hormones et d’opérations mutilantes », dit ce médecin dans « Je suis née transsexuelle » (1995, de Béatrice Pollet) ou d’un travestissement dont la fonction est de maintenir une frontière homo/hétérosexualité ? Plus ardu : quel est le corps de l’intersexe ? Si le corps n’est plus cette origine d’une nuit des temps, quel est-il ? En suis-je ce simple locataire de part l’indisponibilité sociojuridique, ou ce propriétaire de ses fonctions comme le soumet le questionnement féministe ? Pourquoi y a-t-il de l’indisponibilité ? Notre corps est-il ce que fait notre sexualité et, dans ce cas, comment continuer à dire et croire que le corps nous construit ? Qui est ce nous ? Ce qui surgit du corps ou de la relation, d’un rapport d’ordre des normes sur le corps, la sexualité, la différence entre les sexes ou son différent hiérarchique, sa mécanique injuste, inégalitaire ?

Peut-on refuser de se définir ? La liberté sexuelle est-elle un enjeu politique ?

Le genre surgit ici de manière nette. Nous nous nommons, nous fondons en tant qu’humanité au côté des déterminismes biologiques. L’humain ne se fonde nullement comme mâle ou femelle mais bien comme femme(s) et homme(s). Ajoutons : comme androgyne(s), intergenre(s). Le sens prédomine la matérialité corporelle, la sexualité et la procréation nous en rapproche. Mais s’il existait d’autres identités que l’ethno-anthropologie a analysé dans d’autres sociétés non-binaires ? L’édito nous questionne encore, insistant :

« Pourquoi notre société française, occidentale est elle si catégorisée, si « binarisée » ? Pourquoi doit-on s’identifier à un genre sexuel ? Que se passerait-il si on pouvait ne pas avoir à choisir entre il ou elle ? Qu’est ce qui est normal ? Quel est le référent ? »

Le corps ne serait-il donc pas (plus ?) le référent, ce point de départ à ces identités et sexualités ? Il s’ensuit cette remise en question qui peut être pour certain.es remise en cause et c’est le cas si l’on s’en tient aux multiples polémiques, des manuels SVT au mariage pour tou.te.s et aux compagnes actuelles où s’affrontent non seulement la tradition à la modernité mais encore des logiques scientifiques, des disciplines de la nature contre des disciplines sociales et humaines. Tant que l’homosexualité était ce « manque » que prétendait décrire une vision sociobiologiste, opposée à une hétérosexualité naturelle, nul doute : la liberté sexuelle par laquelle l’identité peut espérer atteindre un épanouissement, même temporaire et fugace, est bien cet enjeu débordant largement la seule sexualité. En un mot, cette épaisseur reliant le corps et ses corpus faisant « société ». Ainsi, « L’homme est indiscernable de son corps qui donne l’épaisseur et la sensualité du monde », phrase de David Lebreton que reprend Emisphères, titre de l’exposition d’Emilie. Le débat actuel sur le « Genre » ne fait pas exception puisqu’il rend visible ce qui tient du genre, ce qui le fonde dans/par l’articulation du genre à une tradition naturaliste. Mais que faire du trans, cet espace des transitions, traversées, reformulations de cette articulation lorsque la tradition bouge ? Fortement ancré dans une binarité et inégalité structurelles, ce débat peut surmonter les réflexes et clivages ordonnant hiérarchiquement et maintenant un tel édifice sans les esquiver, devant « déconstruire » cette « coïncidence sexe-genre » en tradition  pour pouvoir la « reconstruire ». Enjeu donc dans ce « malaise ». Beetwen the 2 de Tanvi Talwar n’esquive pas la question fâcheuse : « la conception du film est née de la gêne et peur de l’auteur envers les trans-sexuels. », écrit la réalisatrice.

L’enjeu dressé aujourd’hui des identités complexes et mouvantes aux côtés des identités monistes et fixes ne peut se rabattre en une modernité versus traditionalité, Occident vs non-Occident. L’étonnement, la curiosité faisaient place aux difficultés à aborder un type de savoir qui semble surgir de l’espace urbain, propre à sa logique de métamodernité en ligne dans un village où précisément les téléphones portables, cet outil de l’hypermodernité en ligne, sont muets. Etonnement mais aussi malaise dans le rapport aux « anciens » et sa hiérarchie naturaliste, non pensée. L’art des corps n’est donc pas une réponse univoque et se déploie en tant qu’interrogation des lieux et leurs usages culturels comme économiques.

L’art des corps est avant tout un art de vivre-ensemble que l’équipe de Lagorce (petit village de 200 habitants) autour d’Annie Goy ont investi et su montrer. A lui seul, le « Cabaresto » (mot-hybride de Cabaret et restaurant) en incarne la volonté et la voix gouailleuse de Danielle, élue aboyeuse, fidèle Madame Loyale écumant les rues et caves de Lagorce. Nous sommes accompagnées par Isabelle, élue médiatrice des Tablées (joli terme rapelllant le rituel de la parole autour d’une tablée), distribuant la parole pour ce qu’elle est : un don collectif à exprimer. 


Sur le fond

Isabelle Flumian

(Médiatrice des Tablées au festival de Lagorce)

 

Maud nous a posé une question qui n’a pas fini de tracer son sillon en moi :

Si nous pouvions ôter de nos identités tous les attributs sexuels secondaires, ainsi que tous les éléments culturels de genre qui nous constituent et nous ont constitué : que resterait-il ?

J’ai dit pendant la tablée qu’il m’était bien difficile de concevoir ce qui resterait ; que ça semblait être de l’ordre de l’inconcevable. Impression que mon genre « me colle à la peau » depuis l’exclamation primordiale « c’est une fille ! », le jour de ma naissance.

J’ai d’ailleurs un récit familial sur ce premier jour. Dont ma grand-mère paternelle est l’héroïne. Elle avait elle-même accouché de 2 garçons. Et j’étais la première de ses petits enfants. En ce temps-là, déjà, elle souffrait des jambes, et se déplaçait avec quelques difficultés. Le mythe dit que sous le coup de la joie, emportée par l’émotion, proférant en VO des « Santa Maria Benedetta ! », elle s’est précipitée dans les étages de la clinique…alors que ma mère et moi étions logées au rez de chaussée…

Bref.

Je ne trouvais pas d’impressions sensorielles, d’émotions qui m’auraient atteinte sans passer par le filtre de mon genre : j’ai écouté, senti, compris, coléré, craint, me suis réjouie ou désespérée, j’ai touché, été touchée…aussi en tant que femme. Et jamais en tant qu’être humain non genré. Donc tout ce qui me constitue s’est constitué autour d’un noyau genré. 

Sensible au vertige engendré par la question, je l’ai colportée. Je ramène une réponse qui m’a paru évidente une fois entendue, comme le « rien » me paraissait évident tant que je ne me posais la question qu’à moi-même :

il resterait le souffle ; la respiration.

Et je me dis du coup que peut-être, les cieux étoilés, les soleils couchants et les clairs de lune, ce que leur contemplation me fait, pourraient peut-être aussi compter parmi « ce qui resterait ».

C’est étrange, non ? Que les réponses se promènent du tréfonds de l’être, de l’essence de la vie, aux confins atmosphériques, voire cosmiques…

Autre écho :

Hors tablée, les débats se poursuivaient au Cabaresto.

Je garde en mémoire la récurrence des perplexités vis-à-vis de la trajectoire de Ludwig. De l’expression d’une certaine incompréhension sur cette distinction genre/sexe, incarnée dans une vie humaine. Les récits de trajectoires transexuelles nous stupéfient, nous édifient, ne cessent de nous enseigner des doutes sur ce qui semblait évident ou « naturel ». Le fait que Ludwig décide de « vivre une vie d’homme », dans un corps de femme partiellement transformé dépasse, pour certains d’entre nous, nos possibilités d’empathie.

L’auteur nous donne beaucoup d’indications, nous montre plusieurs facettes de ce qu’il est : des photos d’adolescence, des trajectoires de création audiovisuelle, des points de vue d’amis, de proches, de sa mère. Il retourne avec nous, pour le film, dans le village sicilien natal, la confrontation avec son père, des représentations de jeux sexuels,…

Et l’ensemble peine à faire un « tout » dans la représentation des spectateurs qui en parlent. Il y a toujours un aspect qui semble nous dire que nous n’avons pas compris l’ensemble, qui réfute une hypothèse d’entendement…

Une œuvre d’autant plus perturbante que la sincérité y scintille comme un diamant.

La violence de la mise à nu du père, pour les spectateurs. La séquence au cours de laquelle Ludwig parviendra à faire dire à son père qu’il ne l’a pas reconnu et ne le reconnaît toujours pas comme fils a été perçue comme violente dans sa longueur, violente par ce « forçage » médiumnique via la caméra, qui ne lâche pas le père comme s’il était prisonnier entre deux lamelles sous un microscope. La légitimité du fils était discutée, même si elle était aussi explicable par une violence (plus forte ? équivalente ?) de n’être pas reconnu.

      Le film de Jan Fabre « Quando l’uomo principale è una donna », a occupé une partie significative des échanges de la seconde tablée. Des réceptions contrastées se sont exprimées, allant de la fascination au dégoût.

L’interjection

Au cours des tablées, pour donner la parole à une personne qui l’avait demandée, lorsque je ne connaissais pas le prénom de cette personne, je me suis entendue la solliciter par un « Monsieur », ou « Madame », et, si la personne était jeune « Mademoiselle ».

Je me suis déçue moi-même, d’assigner un genre supposé à chacun(e ), à haute voix et en public.

Je me suis déçue aussi avec le « Mademoiselle », que j’ai personnellement œuvré à rayer de mes bulletins de salaires, relevés de caisses d’assurance maladie et bancaires. Je ne me voyais néanmoins pas interpeller une vraiment jeune femme par un « Madame ».

A un moment donné, une personne, peu « genrée » (je dis peu, car j’avais une hypothèse dominante, mais pas exclusive…), avait visiblement des choses à dire. Alors je lui ai proposé : « Oui ? Vous souhaitez dire quelque chose ? ».

Et cette manière de faire à son égard ne m’a pas plu davantage. Trop impersonnel. Alors excusez-moi (M’ssieursdames !!!!!), mais le langage me pose problème.

Karine nous a raconté comment elle s’y prenait avec un(e ) ami( e) au genre fluctuant. Qu’elle fonctionnait au feeling et employait selon les moments « il », « elle », ou « iel » (une invention permettant de concilier personnalisation du pronom, et double genre).

D’une part ça ne m’aidait pas avec des personnes dont je ne connais pas les choix. D’autre part, nous ne partagions pas (encore) les codes, nous autres attablés !!!

Sur les tablées

Heureusement que nous n’étions pas dans un lieu de passage. Que nous étions dans un lieu où l’on pouvait entendre, se concentrer sur l’écoute.

Il était précieux d’avoir avec nous Karine Espineira et Maud-Yeuse Thomas qui ont réussi quelque chose de rare : éclairer nos questionnements plutôt qu’y répondre. C’est-à-dire qu’elles nous ont apporté des clés sur l’histoire, les représentations médiatiques et culturelles du transexualisme ; ont formulé en termes accessibles à tous quelques problématiques sociétales liées à l’intersexualité et l’intergenre. Elles ont aussi beaucoup écouté et nous ont dit ce qu’elles avaient entendu de nous.

 Bref, tout sauf nous dire ce qu’il fallait penser : « chapeau bas ! ».

Le débat après Ludwig

Une partie des questions portaient sur le « hors champ », le « hors cadre ». Le film amène des questions. Selon moi, il n’y a pas à regretter l’absence de l’auteur. Les questions auxquelles il aurait (ou n’aurait pas) répondu, ont leur valeur en tant que questions. Nous aurions peut-être été plus « renseignés », informés, voire enseignés, par des réponses sur l’après, l’avant, les choix de ou de ne pas…

Mais la valeur de l’œuvre et de sa présentation ne réside pas dans l’histoire de vie de l’auteur. Mais dans ce que nous fait de voir ce que nous voyons, d’entendre ce que nous entendons, de comprendre ce que nous comprenons, dans le miroir qu’il nous tend, dans nos vies qui s’y reflètent et s’y réinterprètent. De le partager, de le mettre en culture, d’en faire culture. Et personnellement c’est ce qui m’intéresse.

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Ludwig Trovato


 Mise en ligne, 30 août 2013.

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