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Entretien avec le magazine Transkind

 

Entretien par l’ODT

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Entretien avec le magazine Transkind

Le magazine des gentils trans.. ou pas

Bonjour Transkind : qui êtes-vous ?

Bonjour. Transkind est un magazine trimestriel en ligne fait pour les trans Ft* et FtM. La « logistique » (illustrations, mise en page, correction, rédaction des rubriques, réalisation des interviews) est assurée par une petite équipe affinitaire de trans masculins, mais la plupart des articles et des témoignages sont rédigés par des contributeurs occasionnels. Cela dit, il arrive aussi au « noyau dur » de participer au contenu des dossiers.

Le groupe des contributeurs réguliers n’est ni fermé ni statique, et peut – et s’est déjà – enrichi de nouvelles têtes. Si des personnes motivées souhaitent participer plus régulièrement elles sont les bienvenues.

Comment est né le journal ?

J’ai rencontré Armand alors que j’animais un chat vidéo pour trans FtM sur internet. Nous avons sympathisé et lors d’une de nos conversations il m’a parlé d’un projet de recueil de témoignages de trans, projet qui s’est mué en projet de magazine. Nous en avons parlé sur le chat, et assez rapidement un petit groupe de gens enthousiastes, y compris des connaissances à qui nous avons parlé du projet, s’est formé. Même si tous n’ont pas souhaité intégrer l’équipe, ça nous a permis de partir sur des bases assez éclectiques : nous avions tous un passé et/ou un présent, un âge et une situation géographique différents.

C’est à quatre que nous avons conçu et lancé le premier numéro, plutôt centré sur nous – il faut bien commencer quelque part – : Armand (qui vivait à l’époque à Marseille), Josh (de Metz), Joao (à Paris) et moi (j’étais en banlieue lyonnaise).

Comment fonctionnez-vous ?

Killian et moi décidons du thème du futur numéro, de la personne que l’on va interviewer – si possible en rapport avec le dossier mais c’est pas systématique. Ensuite on lance notre appel a contribution – sur les forums, sur facebook, sur notre blog et on en parle aussi a Josh, notre illustrateur. Jusqu’à la dead line pour les contributions, on s’occupe de notre interview, de rechercher de la documentation en ligne et de la rédaction des différentes rubriques (nouvelles, bande dessinée, biographies de trans, critiques de films, de livres, ou d’albums de musique, DIY, etc.), tout en relançant nos réseaux pour collecter des textes. Une fois qu’on a tous nos contenus, on les envois aux correcteurs (souvent à la dernière minute), puis je m’occupe de la mise en page (avec les moyens du bord, je ne suis pas spécialiste, ni très bien équipé) et de mettre le numéro en ligne.

Quels sont les retours sur vos publications ?

Sur la forme, nous avons eu un certain nombre de retours après les premiers numéros, qui n’étaient pas très bien finalisés (et qui contenaient pas mal de fautes d’orthographe et de frappe). Sur le fond, on nous a plusieurs fois demandé, dans les débuts, pourquoi nous ne parlions pas des femmes trans. Il semble qu’il ai fallu un certain temps pour que la thématique générale de Transkind soit évidente pour tout le monde. Nous avons très peu de retours sur nos publications plus récentes (à la grande déception de Killian qui aime la critique).

Selon votre expérience, peut-on dire qu’il y a un déséquilibre de représentations entre MtF et FtM, si oui, en quoi consiste-t-il ?

Il y a surtout un déséquilibre de visibilité ; les FtM sont quasi invisibles pour la grande majorité de la population. Ce qui entraine de fait un déséquilibre des représentations : la plupart des gens ont tout un arsenal de préjugés et d’idées toutes faites à leur disposition pour « traiter » l’identité MtF, mais n’ont rien à « projeter » sur les FtM. Cette absence de représentations liée à notre communauté est à double tranchant : souvent, elle nous empêche d’exister puisque nous somme soit renvoyés a une identité butch (pour ceux qui n’ont retenu que notre sexe de naissance) soit a l’identité MtF (pour ceux qui ont juste compris qu’on était trans). Mais elle nous permet aussi d’exister sans avoir à répondre de stéréotypes imposés par les cis, contrairement aux MtF qui doivent constamment lutter contre des préjugés encore largement relayés par les médias.

Les médias, la télévision en tête a puissamment contribué à cet état de fait. ce constat a-t-il encouragé la création de transkind ?

Pas du tout. Le but de Transkind n’est pas spécialement de faire connaître les FtM au grand public. Nous nous adressons avant tout aux trans Ft* et FtM. C’est plutôt l’absence de magazine communautaire en français (alors qu’il en existe plusieurs dans le monde anglophone, comme par exemple Dude ou Original Plumbing – bien que leur formule soit différente de la notre) qui nous a motivé.

L’un des FtM les plus connus est Thomas Beatie, non en raison de sa transition mais le fait qu’il a donné la vie à 3 enfants. Quelle analyse en faites-vous ?

Le fait est que c’est la paternité de Thomas Beatie qui est mis en avant en premier lieu comme facteur choc : il a été présenté par les médias comme « le premier homme enceint », sans insister particulièrement sur sa transidentité (ce qui paradoxalement a permis d’augmenter le potentiel sensationnel de la nouvelle en transformant sa grossesse en épisode de science fiction ou en violation des lois de la biologie).

Par ailleurs, je pense qu’il a suscité beaucoup de fureur chez certains non pas parce qu’il est trans mais parce qu’en décidant de donner lui-même naissance à ses enfants il a délibérément refusé de renoncer à une « prérogative féminine ».

Quel message politique ou militant portez vous ou / dans quels messages politiques ou militants vous reconnaissez vous ?

Dans l’équipe de Transkind nous ne sommes pas d’accord sur tout et nous n’avons pas forcement les mêmes façons de militer ni une façon identique de concevoir ce qui est ou pas politique. C’est lié en grande partie, je pense, au fait que nous avons des parcours, des identités, des âges, des sexualités diverses et que nous vivons dans des milieux différents ; et aussi au fait que nous ne nous sommes réunis sur une base affinitaire plutôt que sur une ligne politique.

Néanmoins nous sommes tous d’accord sur la nécessité de refléter cette diversité dans les pages de Transkind et de contrecarrer l’idée d’un trans « modèle », qui serai le seul valable.

Nous sommes aussi attachés à l’idée de laisser enfin les personnes concernées parler de ce qui les concerne sans interférences. Plus largement, nous tendons vers une autonomie trans dans la conception du magazine, c’est-à-dire que nous ressentons comme nécessaire dans un projet trans d’échapper à l’ingérence cis.

Où en est-on aujourd’hui des chirurgies FtM? Des progrès ont-ils été réalisés ou non ?

Niveau chirurgie du torse, les techniques sont très satisfaisantes, de moins en moins de rejet de greffon de téton, meilleures techniques au point plutôt qu’à l’agrafe, les chirurgiens prennent en compte l’envie de cicatrices discrètes. Il y a dix ans quand j’ai commencé il n’y avait que deux chirurgiens en France qui proposaient de bonnes opérations aux FtM, aujourd’hui il y a encore de mauvais chirurgiens du torse mais dans l’ensemble un effort général a été fait, on peut enfin trouver un chirurgien compétent avec la prise en charge à 100% pour les FtM les plus en difficultés financières. Pendant longtemps les FtM ont dû payer même pour être opéré par un boucher, je ne considère pas les techniques actuelles comme parfaites, mais les chirurgiens commencent à prendre en compte le besoin de la personne. Je précise que les techniques opératoires utilisées était déjà pratiqué il y a plus de 10 ans aux USA par un chirurgien. De ce que je sais, la Suisse et la Belgique ont suivie, puis l’Allemagne, car les chirurgiens suisses opèrent également en Allemagne et en Espagne. La France n’est pas la dernière mais on ne va pas non plus applaudir ; alors qu’elle a les meilleurs chirurgiens de greffe en sa possession (ironie)

Pour l’hystérectomie la technique est la même que pour les femmes cisgenres donc pas trop de choses à dire là dessus.

Les chirurgies génitales sont plus sujet à controverse, en effet on distingue deux techniques chacune avec ces avantages et inconvénients.

D’une part, la métoidioplastie, qui a bien évolué en Europe et en France : il y a dix ans un seul en France la pratiquait – je n’en suis pas sûr, peut-être qu’un autre chirurgien en officiel tentait des essais mais je n’entendais parler de méta qu’en Serbie (très cher ; sans compter les possibles problèmes post-opératoire).

Aujourd’hui, on la pratique en Europe, pour en avoir vu, celle pratiqué en France à Lyon est belle et fonctionnelle.

Pour ma part la métoidioplastie est arrivé quasiment à son maximum de possibilité, l’envie générale de ceux qui la choisissent est de développer une technique pour augmenter la circonférence et taille du néo pénis.

Je pense cela faisable mais je n’ais pas encore vu de nouveauté sur ce point. Seul soucis pour cette opération : la présence fréquente de fistules et d’infections.

D’autre part, la phalloplastie (celle que j’ai choisi), qui est une technique compliquée et lourde.

Pour moi la technique par greffon d’artère de l’avant bras est la plus satisfaisante. En France, trois chirurgiens commencent à la pratiquer avec plus ou moins de succès. La Belgique et la Suisse sont plus au point (plus d’années d’expérience) esthétiquement et surtout au niveau des problèmes post opératoire (fistules, infections). Malheureusement les chirurgiens ne veulent pas faire évoluer les techniques pour le moment.

Esthétiquement, il y a des choses à améliorer. La circonférence du néo pénis est acquise depuis plusieurs années. Le néo gland par contre reste un mini bourrelet qui se transforme vite en une simple forme plate. Pourtant un chirurgien à Londres et un en Serbie ont de très beaux résultats visuels mais après différentes demandes en Belgique, Suisse et France, aucun chirurgien ne veut l’essayer, certains par peur, d’autres par conviction que leur technique est la meilleure (ils devraient lire les forum FtM pour ouvrir les yeux)

Niveau sensation la greffe a le défaut de perdre en sensibilité de surface (comme le chaud et le froid). Je reste persuadé que des alternatives existent pour améliorer tout ceci, car après des discutions avec des chirurgiens, mes idées sont intéressante (même déjà étudiés) mais personne ne veut les tenter car, m’a-t-on dit, les techniques actuelles sont à peine acquise réellement. Le manque de temps, de moyen pour monter des équipes et surtout le manque de chirurgiens voulant étudier ces opérations ne permettent pas de s’essayer à un réel projet de grandes améliorations.

Niveau sensations sexuelles et orgasmiques, il n’y a plus de soucis mais la mauvaise image de la phalloplastie perdure malgré tout sur ce point.

Contrairement à la métoidioplastie, la phalloplastie a une taille moyenne d’homme cisgenre et pour provoquer une érection le peu d’afflux sanguin reçu dans le dicklit caché dans le néo pénis et l’artère principal qui longe la verge ne suffisent pas. Il est donc nécessaire de recourir aux prothèses.

Deux prothèses sont proposées (elles sont exactement les mêmes que celle proposées aux hommes cisgenres) :

Une semi rigide, qui convient davantage à des hommes qui ne pratiquent pas de sport au quotidien et qui veulent éviter toutes pannes d’érection (sa durée de vie est de 7 a 10 ans). Cette tige est pour moi plus fragile car il y a une tension constante sur la base fixée au coccyx.

La pompe, qui est un élément fragile : la durée de vie de cette prothèse est inférieure (de 5 à 7 ans). Elle a tout de même l’avantage de produire une érection plus réaliste grâce à l’action de la pompe et d’être souple au repos.

Ces deux tiges ne sont parfaites pour personne mais aucun autres choix n’est proposé (un chirurgien m’a confié qu’aucune évolution n’était envisagée par les constructeurs pour le moment, car tant que les deux produits se vendent bien, il n’y aucune raison de perdre du temps et de l’argent pour élaborer une tige enfin efficace)

En conclusion, je dirais que les techniques développées il y a 10 ans sont enfin maitrisées. Nous ne sommes pas assez nombreux pour intéresser des masses de chirurgiens, ni toutes les écoles de médecines. Donc elles n’évoluent pas spécialement mais au moins elles sont maitrisées! Les chirurgiens prennent le temps de discuter et de savoir ce que désire le patient, je crois que l’évolution est surtout évidente là dessus, enfin de l’écoute.

L’avenir de ce type de chirurgie reste floue : ces techniques pourraient être proches de réussir un compromis très agréable entre néo pénis (phallo ou méta) et pénis cisgenre. Des conférences sur ce type de chirurgie existent, des chirurgiens réfléchissent et s’attachent à parfaire leurs techniques actuelles. C’est une belle évolution en 10 voir 15 ans!

Les progrès d’écoute et de partage des techniques entre chirurgien étant en marche, nous sommes encore loin de la chirurgie génitale parfaite, mais pas très loin du torse sans cicatrice visible.

Alors oui des évolutions évidentes ont été faites, que ce soit directement ou indirectement, en matière de chirurgies FtM.

Dernière question : Quels sont les projets de Transkind ?

Nous aimerions pouvoir constituer un réseau de trans FtM et Ft* à l’international – notamment dans des pays moins médiatisés, afin de réaliser tout d’abord une série de portraits et, à plus longue échéance, des dossiers comparatifs sur un sujet particulier (par exemple les thérapies hormonales de substitution ou les chirurgies).

Nous voudrions aussi réaliser une série d’articles sur l’intersectionnalité des luttes, ce qui nécessitera aussi qu’on étoffe notre réseau de personnes intéressées et concernées par ces sujets.

Dans un registre un peu plus léger nous aimerions – quand nous auront trouvé assez de téméraires – sortir un calendrier sur le mode de l’auto-dérision.

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Mise en ligne : 3 mai 2014

Entretien avec le magazine Transkind

Entretien avec Emmanuelle Beaubatie

Emmanuelle Beaubatie

Doctorante à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les Enjeux Sociaux (IRIS-EHESS),

associée à l’équipe « Genre, santé sexuelle et reproductive » de l’INSERM.

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Entretien avec Emmanuelle Beaubatie

Bonjour Emmanuelle : peux-tu te présenter et nous dire deux mots sur ta thèse ?

C’est un travail de thèse en sociologie sur les parcours trans’ en France. Je suis actuellement rattachée à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (EHESS) et associée à l’équipe « Genre, santé sexuelle et reproductive » de l’INSERM. L’enquête s’appuie sur des entretiens individuels avec des personnes estimant poursuivre ou avoir poursuivi un parcours de transition, ainsi que sur des résultats et analyses secondaires de l’enquête « Trans et santé sexuelle » de l’INSERM menée en 2010 et sur laquelle je travaille par ailleurs avec Alain Giami. La thèse s’intéresse à l’hétérogénéité des trajectoires sociales trans’ en France, en particulier du point de vue du genre.

Dans la littérature académique sur le sujet, mais aussi dans les mouvements militants trans’ et LGBT, la diversité sociale des parcours trans’ est souvent négligée. C’est ce même phénomène que le Black feminism a dénoncé à propos des femmes : leurs différentes caractéristiques sociales de race, de classe et autres n’étaient alors (et ne sont toujours) pas prises en compte dans les textes comme dans les mobilisations collectives. Concernant les trans’, les études féministes et genre n’échappent pas à cet écueil. Les universitaires s’intéressent généralement au rapport – normatif ou non – des trans’ à la norme de genre. Le débat tourne beaucoup autour de la question suivante : est-ce que les trans’ reproduisent ou subvertissent la norme de genre ? Mais, comme le rappelle souvent la sociologue Viviane Namaste, la principale préoccupation des trans’ au quotidien n’est pas de reproduire la norme de genre ni d’être des héros de la subversion[1]. Poser cette seule question revient à invisibiliser le cadre socio-institutionnel qui structure les transitions, ainsi que les caractéristiques sociales des trans’, y compris leur genre.

Dans cette recherche, il s’agit de replacer les parcours trans’ dans un contexte social et institutionnel et de prendre en compte les rapports de pouvoir qui le traversent. L’idée est de comprendre en quoi les rapports de genre structurent différemment les parcours d’hommes (female-to-male ou FtM) et de femmes trans’ (male-to-female ou MtF) et en quoi les rapports de classe et de race également, dessinent des transitions qui prennent différents visages. Cette recherche s’intéresse aussi aux constructions subjectives qui découlent de ces différentes trajectoires trans’ en termes de genre et de rapport au risque de transmission sexuelle du VIH.

Il y a 3 ans, tu publiais avec Julie Guillot un article sur l’invisibilité des FtMs : vous notiez que la science, par son androcentrisme, avait pleinement participé à l’invisibilisation des FtMs…

Oui, il y a une prise en compte scientifique différentielle des trans’ selon le genre. Les FtMs sont rarement mentionnés dans la littérature. Les travaux de médecine, de psychologie ou de sociologie portant sur les parcours FtMs ou même les incluant sont bien moins nombreux que les travaux portant exclusivement sur les MtFs. Ce constat s’étend aux travaux d’épidémiologie portant sur le VIH/sida dans la population trans’ : les FtMs, considérés d’emblée comme étant épargnés par l’épidémie, ne sont que très rarement inclus.

Par ailleurs, l’offre médicale qui est proposée aux hommes trans’ est bien moins fournie que celle qui s’adresse aux MtFs. Il y a cette idée reçue selon laquelle un pénis serait plus compliqué à fabriquer qu’un clitoris et un vagin. Je préfère avancer l’hypothèse que la médecine s’intéresse moins plus aux MtFs qu’aux FtM, comme elle médicalise davantage les corps des femmes que ceux des hommes cisgenres[2]. Les techniques chirurgicales dites de phalloplastie[3] et de métaoïdioplastie[4] sont moins pratiquées et présentent davantage de complications que la chirurgie de vaginoplastie destinée aux MtFs. Et comme le remarque justement l’anthropologue Jason Cromwell[5], le terme de pénoplastie demeure réservé aux hommes cisgenres[6] qui se font allonger ou élargir le pénis. Le phallus symbolique est accordé aux hommes trans’, mais on leur refuse le pénis biologique. L’accès au masculin est impensable, pour reprendre les termes de Julie Guillot, qui est l’une des rares chercheuses à s’être penchée sur l’invisibilité des FtMs[7].

Tout se passe comme si, contrairement au genre féminin, le genre masculin se devait d’être biologique. La psychologue Suzanne Kessler l’a bien montré dans le cadre du traitement médical des nouveaux nés intersexués[8]. Elle remarque que la plupart de ces bébés sont assignés au féminin. Dès lors que la taille du présumé pénis est estimée « naturellement » insuffisante (selon des critères plus ou moins obscurs), ce qui est le cas dans la plupart des situations d’intersexuation, c’est le genre féminin qui est attribué. La taille du clitoris-pénis est alors réduite par un acte chirurgical, dénoncé comme étant mutilant par les associations d’intersexués. On considère que l’on peut construire une femme, mais pas un homme. Le genre masculin est représenté comme neutre, donc comme inné. C’est cette même représentation qui est responsable de l’invisibilité des hommes trans’.

Les médias y sont aussi pour quelque chose : comment analyses-tu leur rôle dans ce choix de monstration / invisibilisation ?

Le rôle des médias est indéniable en cela qu’il contribue à façonner le sens commun sur ces questions. Les médias nourrissent une fascination sexiste pour les MtFs en même temps qu’ils invisibilisent les FtMs. Très récemment, un article du magazine Le Point publié à la suite du rapport de l’Académie de Médecine sur la conservation des gamètes pour les trans’ en donne un exemple flagrant[9]. Illustré par une photographie de femmes trans’ en tenue de cabaret, il a fait grand bruit sur les réseaux sociaux (la photo a été changée depuis). Sur cette image censée représenter la population trans’ : pas de FtM, mais des MtFs mises en scène dans la performance burlesque de la féminité.

La fascination des médias pour les femmes trans’ ne date pas d’hier. Déjà en 1953, le recours à la chirurgie génitale d’une MtF ex-GI américain, Christine Jorgensen, avait fait les gros titres de la presse et était sur toutes les télévisions. Jorgensen était alors mise en scène comme une incarnation de stéréotypes féminins, qui plus est blancs et bourgeois. Des images d’archives analysées par Karine Espineira montrent même des journalistes l’attendre en masse sur le tarmac, telle une star ou une femme politique, alors qu’elle sort de l’avion qui la ramène aux États-Unis après son opération[10]. Étrangement, on n’a jamais assisté à une telle scène dans le cas d’un FtM. Il semble impensable pour des journalistes d’attendre le retour d’un homme trans’ après la réalisation de sa phalloplastie. Vouloir devenir un homme est socialement et médiatiquement considéré comme un désir normal puisqu’il s’agit de rejoindre le groupe dominant. La théorie psychanalytique de l’envie universelle du pénis chez les femmes contribue également à banaliser le désir de transition des FtMs. En revanche, les MtFs intriguent d’autant plus que leur transition est perçue comme illogique compte tenu des rapports de genre : dans une société patriarcale, quel intérêt aurait-on à devenir une femme ?

La biologiste et essayiste Julia Serano voit dans la fascination des médias pour les femmes trans’ une imbrication entre transphobie et sexisme qu’elle qualifie de transmisogynie[11]. Elle distingue deux types de représentations des femmes trans’. Il y a les trans’ « pathétiques », qui tentent de construire une féminité stéréotypée mais ne sont pas vraiment « crédibles ». On les voit dans des reportages sur les parcours trans’ : les MtFs y sont mises en scène en train de s’habiller, de se maquiller, de performer la féminité. Les hommes trans’ en revanche, apparaissent plus rarement dans de tels documentaires et ils ne sont évidemment jamais représentés en train de tenter de performer la masculinité (la masculinité se doit d’être innée, ndlr). Et il y a les femmes trans’ « imposteures » (« deceptive transsexual » selon ses termes), qui elles, jouent le rôle de prédatrices sexuelles et se servent de leur bon passing[12] pour « piéger » les hommes. Dans des films, publicités (je pense à un opérateur téléphonique), ou encore des séries comme Nip Tuck, on voit souvent des hommes qui découvrent que leur partenaire est en fait trans’, comme s’il s’agissait d’une imposture les renvoyant à l’homosexualité masculine. Dans les films et les séries, la présence de FtMs est encore plus rare que dans les documentaires, mais on peut penser qu’ils n’y seraient pas représentés ainsi : la figure sexiste de la prédatrice sexuelle maléfique est réservée aux femmes.

Je vais m’éloigner un peu du sujet, mais au-delà du traitement médiatique différentiel des hommes et des femmes trans’, il y aurait aussi beaucoup à dire sur ce que les médias choisissent de montrer ou d’invisibiliser par rapport aux parcours trans’ en général. On entend peu de choses sur la psychiatrisation ou encore sur la stérilisation forcée des trans’[13], qui constitue pourtant une violation des droits humains. D’un côté, les institutions médicales et légales limitent l’accès aux chirurgies souhaitées par les trans’ en les psychiatrisant, mais de l’autre, elles les obligent à subir d’autres chirurgies qu’ils ne souhaitent pas forcément s’ils veulent pouvoir changer leurs papiers. Ce paradoxe institutionnel reste invisible dans les médias, ceci alors qu’il structure très concrètement les parcours de transition en France comme dans de nombreux pays.

Une des premières questions, lorsqu’on parle des FtMs, est de savoir s’ils sont aussi nombreux que les MtFs. Que répondre à cette question?

L’idée reçue selon laquelle les FtMs seraient moins nombreux que les MtFs est souvent avancée pour justifier l’invisibilité des FtMs. Il est important de questionner cette fausse croyance qui, en elle-même, contribue à l’invisibilisation des hommes trans’. On lit dans beaucoup de rapports, articles ou ouvrages scientifiques, qu’il existe un ratio de 3 MtFs pour 1 FtM. D’où vient ce ratio ? Il est parfois fondé sur les chiffres des assurances maladie concernant le recours à la chirurgie génitale. Or, on sait que les hommes trans’y ont moins recours que les MtFs étant donné que l’offre chirurgicale qui leur est proposée est plus réduite et que, en conséquence, la phalloplastie ou la métaoidioplastie ne sont pas obligatoires pour changer leur état civil en France, contrairement à la vaginoplastie, qui est imposée aux MtFs. Un tel ratio est aussi avancé au prétexte d’une plus grande participation des femmes trans’aux enquêtes. Mais cette moindre participation des FtMs à des recherches d’origine institutionnelle peut être expliquée par une hypothèse sociohistorique. Les trans’ont développé une grande méfiance à l’égard de l’expertise médicale et, plus largement, à l’égard de toute forme d’expertise professionnelle, car les médecins leur ont historiquement confisqué leur expertise profane. Mais cette méfiance est d’autant plus marquée chez les FtMs qu’ils ont été invisibilisés par le discours médical lui-même. Il n’est donc pas étonnant qu’ils participent encore moins aux enquêtes.

Une autre idée reçue est fréquemment avancée pour justifier l’invisibilité des FtMs : les hommes trans’auraient un meilleur passing que les femmes trans’. On entend souvent que la testostérone « fonctionne mieux » que les œstrogènes et la progestérone, une hypothèse qui véhicule un stéréotype de genre selon lequel l’hormone prédominante chez les hommes serait plus puissante que celles qui prédominent chez les femmes. Ainsi, les FtMs sous hormones passeraient mieux que les MtFs sous hormones. Pourtant, il y a des hommes trans’qui ne sont pas satisfaits de leur passing et il y a des femmes trans’qui le sont. Par ailleurs, les psychologues Suzanne Kessler et Wendy MacKenna, en enquêtant sur les déterminants de la perception du genre des personnes, ont démontré que dès lors qu’une personne présente des caractéristiques physiques considérées comme masculines, même quand elle en présente d’autres féminines, c’est le genre masculin qui est attribué à la personne. Autrement dit, notre regard n’échappe pas à la représentation du masculin comme référent neutre. Ça n’est pas la testostérone qui « fonctionne mieux », c’est notre regard qui est androcentré.

Pour en revenir à la question, je répondrais que les FtMs ne sont vraisemblablement pas moins nombreux que les MtFs, mais qu’ils sont socialement, scientifiquement et institutionnellement invisibilisés. Le genre masculin est représenté comme étant inné : en conséquence, l’existence même des hommes trans’est niée.

On pourrait avant tout penser que leurs parcours sont différents…

Oui, à l’image des cisgenres, les trans’sont traités de manière différente selon que ce sont des hommes ou des femmes, ce qui engendre des différences dans leurs parcours. Les trans’n’échappent pas aux rapports de pouvoir, qu’ils soient de genre, de classe, de race, ou de sexualité.

Dans la littérature académique, dans le domaine cinématographique, artistique et dans le sens commun, il y a cette croyance selon laquelle les trans’seraient des personnages hors du monde social, presque mystiques. Dans les films et les séries, il n’est pas rare que les femmes trans’ soient incarnées par des tireuses de cartes. Et les séries gays ou lesbiennes ne sont pas épargnées : Arnaud Alessandrin a d’ailleurs remarqué dans son article sur les trans’ dans les séries que dans Queer as Folk, la seule MtF qui apparaît à l’écran est une voyante[14]. Les trans’ sont aussi désocialisés dans les travaux universitaires et même, c’est le comble, en sociologie. La plupart des travaux ne s’intéressent pas aux parcours trans’ pour eux-mêmes. On regarde plutôt à travers les trans’ pour en savoir plus le genre en général. C’est le cas dans la fameuse étude du cas Agnès par le sociologue Harold Garfinkel. Partant du postulat que les trans’ reproduisent fidèlement la norme de genre, Garfinkel a formulé des normes de genre universelles à partir de l’observation d’une MtF, Agnès. Mais les vies des trans’ ne se résument pas à leur rapport subjectif à la norme de genre. Comme les cisgenres, les trans’ évoluent dans un contexte social et ses rapports de pouvoir, qui s’articulent avec la domination cisgenre.

Les parcours trans’ peuvent donc prendre différents visages selon les caractéristiques sociales des personnes, notamment le genre. On remarque par exemple que les FtMs transitionnent en moyenne beaucoup plus tôt dans leur vie que les MtFs. Pour les hommes, l’injonction à la masculinité exclusive de la féminité est plus forte que l’injonction à la féminité exclusive de la masculinité. La sociologue Raewyn Connell le montre bien : être un homme, c’est avant tout ne pas être une femme[15]. Un homme qui commence à se féminiser sera davantage stigmatisé, marginalisé et violenté qu’une femme qui commence à se masculiniser. Pour un homme, le fait de se féminiser est considéré comme une déviance, un déclassement. C’est ce qui amène environ une femme trans’ sur deux à repousser l’âge du début de sa transition, à vivre une « première vie » maritale hétérosexuelle et à avoir des enfants en tant qu’homme. Ce phénomène est très rare chez les FtMs. Chez les MtFs qui transitionnent plus jeunes, sans avoir connu cette « première vie », leur situation professionnelle encore instable engendre généralement une forte précarisation. Bien sûr, les FtMs aussi subissent cette dynamique de précarisation tant qu’ils n’ont pas leurs papiers[16]. Mais ils s’en trouvent généralement moins marginalisés que les MtFs (moins de rupture familiale, moins de difficultés à poursuivre des études ou trouver un emploi) car la transgression de genre ne prend pas la même signification sociale de part et d’autre.

Y-a-t-il une spécificité FtM face aux discriminations ?

Oui, les FtMs sont confrontés à des discriminations qui leurs sont bien spécifiques. Ils rencontrent des problèmes d’ordre administratif lorsqu’ils ont un bon passing, mais n’ont pas ou pas encore changé le sexe de leur état civil. Historiquement invisibilisées, les transitions FtMs n’existent pas ou peu dans le sens commun. Les gens ne connaissent donc souvent pas l’existence des FtMs et ils ne croient donc pas aux explications que les hommes trans’ leurs donnent quand ils sont forcés de justifier de la discordance entre leur apparence et leurs papiers. A cela s’ajoute le fait que l’on soupçonne davantage les hommes que les femmes de délinquance. C’est encore plus flagrant quand les FtMs sont racisés : ils sont d’autant plus soupçonnés.

Les hommes trans’ se confrontent ainsi à un certain nombre de situations ubuesques. Par exemple, un FtM peut se voir résilier sa carte de crédit par son banquier, qui, après l’avoir eu au téléphone avec une voix un peu plus grave que quelques mois auparavant, pense qu’elle a été volée par un homme. Les hommes trans’ ont beaucoup de difficultés à récupérer des colis ou recommandés, même s’ils font leur coming-out au personnel qui refuse d’accéder à leur demande. Quand ils sont racisés, qu’ils ont un bon passing et qu’ils présentent une pièce d’identité avant d’avoir changé leur état civil, ils peuvent être accusés d’avoir volé les papiers d’identité d’une femme : la personne qui les soupçonne pense alors qu’ils sont des hommes cisgenres sans-papiers. Les femmes trans’ connaissent évidemment ces mêmes problèmes administratifs, mais dans une moindre mesure.

On voit ici que les rapports de pouvoir sont imbriqués, mais qu’ils ne s’additionnent pas de manière arithmétique. C’est ce qu’on appelle en sociologie la consubstantialité des rapports de pouvoir[17] : leur imbrication fait qu’ils se construisent et se transforment mutuellement. La position la plus « défavorable » socialement n’est donc pas toujours l’addition de la position de dominé.e sur tous les plans, par exemple celle d’une trans’/femme/racisée. Dans certains domaines, les trans’/hommes/racisés, malgré le fait qu’ils sont perçus comme appartenant au sexe socialement dominant, rencontrent des difficultés qui affectent moins les femmes aux mêmes caractéristiques sociales.

Et dans le domaine de la santé ?

D’abord, il me semble important de dire un mot sur le VIH. Parce la plupart des enquêtes sur les trans’ et le VIH ont tendance à prendre les différences de genre pour acquises. Comme les lesbiennes, les FtMs ne sont inclus que dans très peu d’enquêtes sur le sujet. Pourtant, ça n’est pas parce qu’ils sont moins touchés par l’épidémie qu’ils échappent au risque de contamination par le VIH. Comme chez les MtFs, l’expérience de la stigmatisation et de la précarisation liées à la transition contribue à faire passer la préoccupation d’une éventuelle infection au VIH au second plan pour les FtMs. Comme certaines MtFs, des FtMs déclarent prendre des risques dans leur sexualité car ils ne sont « plus à ça près » compte tenu de tous les risques qu’ils encourent déjà en poursuivant leur transition. En situation de rupture familiale, d’impossibilité à être embauché nulle part car on n’a pas ses papiers ou encore de manque d’argent pour réaliser sa transition comme on le souhaite, on se préoccupe moins du VIH. Et c’est valable pour les FTMs aussi, même si les MtFs, plus touchées par la précarisation que les hommes, relègueront davantage le souci du VIH au second plan dans leur parcours.

Par ailleurs, il faut rappeler que tous les hommes trans’ ne sont pas hétérosexuels. Et dans la population homosexuelle masculine, on sait que la prévalence du VIH est considérable. En cas de rapports sexuels non protégés, les FtMs gays sont donc fortement exposés. Sans compter que les messages de prévention spécifiquement adressés aux FtMs sont très rares, bien qu’il en existe de plus en plus en provenance d’associations trans’, de commissions trans’ d’associations de lutte contre le VIH et de médias communautaires.

Il y a également la question bien spécifique du suivi « gynécologique » des FtMs qui en ont besoin. En plus de son lot de violences symboliques, qui affecte aussi les femmes cisgenres, et de la réassignation de genre qu’il peut imposer aux hommes trans’, ce suivi donne parfois lieu à des maltraitances, voire à un refus d’examen. Encore une fois, les hommes trans’ peuvent être perçus comme de potentiels imposteurs cisgenres dangereux, car ils sont des hommes, et se voir refuser la consultation. En médecine générale, les trans’ rencontrent par ailleurs des comportements paternalistes de la part des médecins. Certains généralistes mettent tous les maux des FtMs sur le compte de la prise de testostérone, même quand ils consultent pour une simple rhino-pharyngite. Les MtFs hormonées rencontrent un peu moins ce type de discours, qui est une manifestation courante de l’interdiction de l’accès au masculin.

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[1] NAMASTE, Vivane. Invisible Lives. The erasure of transsexual and transgendered people, Chicago: The University of Chicago Press, 2000.

[2] Cisgenre est l’antonyme de transgenre. Ce terme désigne les personnes dont le genre correspond à celui qui leur a été assigné à la naissance.

[3] La phalloplastie consiste à fabriquer un pénis avec prothèses testiculaires à partir de peau prélevée sur une partie du corps (bras, cuisse, ventre, flanc).

[4] La métaoidioplastie consiste à allonger le clitoris pour en faire un pénis en réalisant la section du ligament suspenseur. Elle s’accompagne souvent de la pose de prothèses testiculaires.

[5] CROMWELL, Jason, 1999. Transmen and FtMs : identities, bodies, gender and sexuality, Chicago: University of Illinois Press.

[6] Cisgenre est l’antonyme de transgenre. Il désigne les personnes dont le genre correspond à celui qui leur a été assigné à la naissance.

[7] GUILLOT, Julie. Entrer dans la maison des hommes. De la clandestinité à la visibilité : trajectoires de garçons trans’/FtM, Mémoire de Master 2 Recherche, Dir Rose-Marie Lagrave, EHESS IRIS), 2008.

[8] KESSLER, Suzanne. « The medical construction of gender: case management of intersexed infants », Signs : Journal of women in culture and society 1990, vol.6, n°1.

[9] « Quand les transsexuels ont des projets parentaux… », par Anne Jeanblanc, Le Point, 27 mars 2014.

[10] ESPINEIRA, Karine, « La construction médiatique du sujet trans : apports de l’analyse intersectionnelle », séminaire « Genre, médias et communication », animé par Nelly Quemener et Virginie Julliard, 13 décembre 2013.

[11] SERANO, Julia. Whipping girl: a transsexual woman on sexism and the scapegoating of femininity, Berkeley: Seal Press, 2007.

[12] Avoir un bon passing signifie pour les trans’ le fait de passer pour un homme cisgenre (FtMs) ou pour une femme cisgenre (MtFs)

[13] En France comme dans de nombreux pays, les trans’ doivent se soumettre à une chirurgie de stérilisation obligatoire pour pouvoir obtenir le changement du sexe de leur état civil.

[14] Alessandrin, Arnaud, “Fictions G&L et la minorité B&T (Queer as Folk et The L Word)», Cahiers de la Transidentité, vol.2, pp : 103-119, Harmattan, 2013.

[15] Connell Raewyn, (2005). Masculinities. Berkeley, University of California Press.

[16] Rappelons que pour pouvoir changer le sexe de son état civil, il faut obligatoirement avoir réalisé certaines opérations chirurgicales, dont la stérilisation.

[17] KERGOAT, Danièle. “Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux”, in DORLIN, Elsa. Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Paris: PUF, 2009.

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Mise en ligne : 3 mai 2014

Entretien avec Marcel Nuss

 

Marcel Nuss

Chris Gerbaud

Appas

Source : http://www.appas-asso.fr


Entretien avec Marcel Nuss

 

Tu as créé avec d’autres personnes l’association l’APPAS dont je suis membre, mais j’aimerai bien savoir où en sont les choses, comment cela avance et comment une personne transidentitaire peut s’inscrire dans les processus de construction de cette association » avant-gardiste. »  

Elle s’inscrit très simplement dans notre processus de construction puisque, parmi nos accompagnant(e)s sexuel(le)s, nous avons à Strasbourg Cornélia qui est transgenre. Personnellement, cette inscription me semble normale et essentielle dans la mesure où nous revendiquons la reconnaissance de l’accompagnement sexuel pour toutes les personnes « handicapées », quelle que soit leur orientation sexuelle. De ce fait, cette question n’a même jamais été débattue dans l’association, tant la réponse est évidente pour nous. Par contre, nous n’estimons pas être d’avant-gardes, nous ne faisons que militer pour faire accepter ce qui est en place dans plusieurs pays d’Europe (Pays-Bas, Danemark, Allemagne, Suisse, Autriche, Italie, etc.), parfois depuis plus de 30 ans.

–           Qu’est-ce que l’APPAS ?

l’APPAS a pour but de promouvoir, par des actions concrètes allant à l’encontre de la loi actuelle, la reconnaissance et la mise en place de l’accompagnement sexuel en France. Pour ce faire, nous sommes conseillés par plusieurs juristes, dont une avocate en situation de dépendance vitale. C’est-à-dire que nous assumons clairement une opposition frontale à la législation actuellement en vigueur en France en matière de proxénétisme et de prostitution. Nous réclamons ouvertement le respect du droit-liberté, mais aussi du libre choix. En nous appuyant, entre autres, sur des droits à la santé sexuelle, édictés notamment par l’OMS.

 

–            Qu’entendre par l’expression que l’on entend souvent « assistance sexuelle » ?

Tout d’abord, nous ne parlons pas d’assistance sexuelle, désignation d’origine anglo-saxonne, qui, pour les personnes « handicapées », dans notre culture, a une connotation stigmatisante. Nous parlons « d’accompagnement sexuel » et d’accompagnant(e)s sexuel(le)s. En effet, il s’agit d’accompagner et non d’assister ces personnes dans la quête d’une réappropriation, d’une reconnexion et d’une (ré)incarnation de leur corporéité, de leur charnalité et de leurs sens. De ce fait, l’accompagnement sexuel peut aller de simples massages, travail sur le toucher, sur le contact peau à peau, jusqu’à l’expérience de rapports sexuels. Dans les deux cas, les séances sont limitées en nombre. Car il ne s’agit pas de pallier à un manque qui n’est pas spécifique aux personnes « handicapées » – loin s’en faut, puisque plus de 3 millions de personnes souffrent de misère affective et sexuelle, en France -, mais de leur redonner de l’estime de soi et donc de la conscience en eux, leur offrant ainsi les outils pour recréer du lien et entrer en relation par leurs propres moyens. L’accompagnement sexuel, sous cette optique, est une forme de thérapie. C’est une réponse à une demande légitime mais pas la réponse, la seule réponse possible. À nous de nous adapter aux demandes et de proposer un cadre contractuel dès le départ, offrant une sécurité et un confort maximums à toutes les parties prenantes d’un accompagnement sexuel. Ce cadre sera néanmoins assez souple pour offrir une latitude suffisante pour permettre l’expression des individualités et des sensibilités en présence.

 

–          Comment pourrait évoluer l’accompagnement sexuel par rapport  aux avancées des autres pays ?

     Notre objectif est d’importer en France ce qui se pratique déjà chez nos voisins européens avec succès. Mais cela suppose que nous assumions une opposition frontale avec la législation en vigueur dans l’Hexagone. Ce que nous allons faire, et que nous avons déjà commencé à faire, en ayant prévenu le gouvernement et les pouvoirs publics de nos intentions et de nos objectifs. À ce titre, nous avons commencé à mettre, dans plusieurs régions, en relation des personnes « handicapées » et des accompagnant(e)s sexuel(le)s provenant d’horizons différents (médico-social, prostitution, etc.). Et, parallèlement, nous allons proposer d’ici le printemps des formations à l’accompagnement sexuel pour les postulants à ce travail, mais également pour les professionnels travaillant en milieu institutionnel. Enfin, nous sommes en train de mettre en place des partenariats avec des partenaires associatifs européens militant pour la même cause.

     Et, évidemment, nous sommes entourés de juristes qui nous conseillent car il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, n’importe comment.

 

–          Connais-tu les avancées en matière associative sexe et handicap dans les pays Anglos-Saxons ?

    À ma connaissance, côté anglo-saxon, ils ont les mêmes difficultés que nous en France, et ils essaient d’avancer comme nous, c’est-à-dire en passant par une certaine transgression, en Angleterre par exemple. À ma connaissance également, aux États-Unis, seuls deux Etats permettent la pratique de l’accompagnement sexuel, au Canada c’est impossible pour le moment ; par contre, en Australie et en Nouvelle-Zélande, l’accompagnement sexuel est pratiqué.

     Quoi qu’il en soit, la reconnaissance de l’accompagnement sexuel dépend principalement du contexte culturel. Les blocages sont bien plus d’ordre moral qu’éthique, malheureusement.

–          Si est envisagé un accompagnement sexuel par des personnes transidentitaires, quelles pourraient être les obstacles de représentations possibles à briser selon toi ?

    Au niveau de l’association, il n’y a aucun obstacle. Que des personnes trans nous rejoignent, cela signifie d’offrir aux personnes « handicapées », quelle que soit leurs orientations sexuelles, de trouver leur compte, de trouver une réponse adaptée à leur demande et à leurs besoins. Ce qui est primordial, dans une association qui défend le respect du libre choix et du droit-liberté. Je refuse toute forme de discrimination et de rejet, la seule frontière à ne pas dépasser, c’est le respect des limites et des choix de son prochain.

 

–       Peux-tu voir et concevoir des liens d’engagement (un « espace » commun) politique  entre les personnes transidentitaires et les personnes handicapées, le terrain militant peut-il être le même ?

Oui, il peut y avoir un espace commun d’engagement politique même si, par ailleurs, notre militantisme réciproque n’est pas nécessairement identique mais complémentaire. Là où nous nous rejoignons pleinement, c’est sur la défense du respect des droits et des libertés, dans quelque domaine que ce soit et, particulièrement, dans celui de disposer librement de son corps et de notre vie.

 

Propos recueillis par Chris Gerbaud


Mise en ligne, 1 mars 2014

Entretien avec Vincent Buraud de Contact Aquitaine

Vincent Buraud

Psychopraticien et formateur, consultant pour Contact Aquitaine


Entretien avec Vincent Buraud

– Bonjour Vincent, pourrais-tu te présenter ainsi que Contact ?

Bonjour. Je suis psychopraticien et formateur, j’exerce mon activité en cabinets et en tant que consultant pour Contact Aquitaine. Je suis rentré dans l’association vers 2006-2007 ou j’ai démarré très vite par des interventions en milieu scolaire (IMS) permettant de lutter contre les discriminations au lycée et au collège. Depuis, j’interviens en tant que professionnel en animant des groupe d’écoute et de parole, en régulant, régulateur de l’équipe de bénévoles « écoute téléphonique » et en proposant des formations à la relation d’aide.

J’ai grandi avec Contact, c’est une expérience fondatrice pour moi.

Contact ce sont au départ des parents qui ont cherchés à se retrouver autour d’une difficulté : l’annonce de l’homosexualité de leurs enfants. Je te parle de ça, il y a vingt ans, avec le temps les choses se sont élaborées les activités se sont développées.

Aujourd’hui, on compte une vingtaine d’associations Contact sur le territoire français avec des antennes qui seront des futures associations ainsi qu’une association nationale réseau qui est Contact France. Toutes ces associations sont composées de parents d’enfants LGBT, ce qui marque une belle diversité de personnes.

Les actions de Contact sont concentrées sur de l’écoute téléphonique avec une ligne mutualisée, des groupes d’écoutes et de paroles (chaque dernier samedi du mois pour Bordeaux), des entretiens individuels, des interventions en milieu scolaire pour lutter contre les discriminations et tout particulièrement celles qui touchent les LGBT, de la formation professionnelle et des temps de convivialité.

Notre action, à l’échelle nationale, est reconnue par deux agréments ministériels : éducation nationale et éducation populaire. Nous participons aussi, autant que possible, aux questions sociétales et familiales. Pour Contact Aquitaine, nous faisons partie de l’UDAF, de la CAF et de divers réseaux sociaux de notre région LGBT et autres.

– Depuis quand mettez-vous en avant la question du genre dans vos IMS ?

Je crois que dès le départ cette question existe. Je pense ne pas pouvoir aborder ces discriminations sans faire un tour par la norme et donc l’hétéronormativité.

Avec le temps, les choses se sont élaborées aussi pour moi, j’ai toujours été très prudent afin d’éviter le prosélytisme ou la stigmatisation des LGBT même si lever cette dernière est très certainement une de mes motivations premières.

Pour cela je passe par le sexisme, il est important pour moi d’accompagner les élèves et de partir de là où ils sont, sinon c’est compliqué et l’on rentre dans une confrontation ou bien une empathie dégoulinante qui ne me va pas.

Je les force à réagir, à réfléchir sur le pourquoi des choses qui sont ainsi et à aller au-delà du « c’est comme ça depuis toujours surtout ne touchont à rien ».

– Quels sont les écueils que vous rencontrez sur ce thème ?

Ils sont différents à chaque fois en fonction de l’établissement, du niveau de classe et des élèves bien sûr, la proportion filles/garçons peut jouer mais pas toujours.

Comme je te le disais, pour aborder le genre je passe par le sexisme en utilisant des situations courantes d’inégalités femmes/hommes. Les jeunes sont en train de terminer de se construire et entrent dans l’expérience pour consolider cette structure, ils apprennent à quitter un monde pour entrer dans un autre et en fonction de l’éducation, des modèles familiaux, des dogmes religieux il est parfois très difficile de questionner la norme.

J’essaie le plus possible de faire en sorte qu’ils se sentent concernés pour permettre une simplification de compréhension de la norme.

– Est-ce que vous abordez la question de la transidentité aussi ?

Oui aussi quand je sens qu’il y a de l’espace pour ça, si le groupe n’y est pas je n’y vais pas.

J’ai fait l’expérience d’y aller quand même à plusieurs reprises et si trop de personnes dans le  groupe ne sont pas prêtes (stéréotypes très marqués) cela se transforme en bouffonnerie géante qui peut renforcer les stéréotypes.

– Comment est-ce reçu lorsque vous l’abordez ? (par les élèves et l’institution)

Quand l’espace est ouvert cela déclenche beaucoup de réactions, la fascination est à mon avis la principale car elle convoque la transgression d’un interdit lié à la norme.

Je tâche de les accompagner pour quitter les fantasmes qui s’y sont associés et des représentations pour entrer dans le sujet, souvent je passe par un exemple qui est le suivant : c’est l’histoire d’une petite fille de 5 ans qui vient dire à ses parents qu’ils se sont trompés en la fabriquant ils lui ont mis une zezette alors qu’elle devrait avoir un zizi.

Cet exemple paraît naïf et il l’est peut-être mais par là je cherche à montrer ce qu’une personne ressent d’elle avant d’être configurée de manière trop forte par la norme.

Pour l’institution et bien je ne sais pas trop, j’ai deux situations en mémoire, la première c’est la participation à une journée d’intervention d’une femme d’origine transsexuelle et ça n’a posé aucun problème il me semble et l’autre c’est à la demande d’une assistante sociale d’un collège ou l’établissement avait du mal à gérer un élève primo-arrivant brésilien qui manifestait fortement son désir d’être une fille.

Je crois que l’institution n’en est pas arrivée à ces questions.

– Du point de vue du formateur : est-ce que ces questions sont suffisamment mises en avant ? Et que pourrait-on envisager/ penser pour qu’elles trouvent une place au quotidien dans les établissements ? (des fascicules ? des clips ? des sites ? des bonnes pratiques ?)

J’ai commencé du coup à répondre à cette question. A mon avis, non, elles ne sont clairement pas assez mises en avant. Au sein du ministère de l’éducation nationale, les dernières directives ne font pas place à ces questions. Pourtant donner de la place à ces questions est nécessaire ! Je pense aussi que nous sommes en partie responsables de cette situation, les fantasmes autour de ces sujets ont créé des phobies qui n’ont pas lieu d’être. En maintenant la ou les phobies, on maintient le fantasme.

Donc, à mon sens, il faut encourager les personnes qui ont traversé ces expériences à venir en parler pour démystifier la situation, nous avons aussi besoin de créer des supports pédagogiques. L‘objectif est bien de continuer de développer le vivre ensemble.


Mise en page : 31 janvier 2014.

Entretien avec SOS Homophobie

SOS homophobie

(écriture collective)


Entretien avec SOS Homophobie

 

SOS homophobie mène des actions dans les écoles sur les représentations et des discriminations LGBT. Comment se passe une action dans les grandes lignes ?

Les interventions[1] durent deux heures et sont animées par des bénévoles de l’association (en binômes de préférence mixtes). Les interventions s’effectuent sur le temps scolaire et s’inscrivent ainsi dans la mission éducative de l’établissement. Elles se font à la demande et en présence d’un personnel de l’établissement (infirmièr-e, professeur-e, proviseur-e) qui n’intervient pas dans les débats mais qui peut témoigner de ce qui a été dit.

 

SOS homophobie est agréé par le Ministère de l’Education Nationale (au titre des associations complémentaires de l’enseignement public) et au niveau local par plusieurs rectorats. Ces agréments ne sont pas indispensables, mais ils valident nos interventions et surtout les inscrivent dans une politique plus globale de lutte contre les discriminations. Ces labels institutionnels constituent également une carte de visite qui rassure les directeurs-trices d’établissement et les parents d’élèves.

 

Nous allons dans des établissements très divers pour intervenir dans les classes à partir de la 4eme : collèges et lycées d’enseignement général ou technique (écoles de bûcherons, d’infirmièr-e-s, jeunes footballeurs de l’OM etc.), publics ou privés…

 

Le principe de l’intervention n’est pas de faire un cours magistral mais d’encourager les jeunes à réfléchir à ce que sont les LGBT-phobies, leurs manifestations, leurs conséquences et leurs origines. Les interventions sont basées sur le respect et la liberté de parole. Nous abordons néanmoins un certain nombre de points et de notions de façon systématique : nous définissons les termes LGBTI (certain-e-s élèves ne savent pas ce que veut dire “hétérosexuel” ou pensent que “les lesbiens sont des hommes homosexuels”), et nous rappelons les lois qui punissent les manifestations de l’homophobie et de la transphobie (injures, violences, diffamation, discriminations). Selon la disponibilité et la maturité des élèves, les débats sont animés de diverses façons : on peut par exemple leur demander d’expliquer si ils/elles sont d’accord (ou pas, et pourquoi) avec une série de phrases du type “un homme gay est souvent efféminé”, “je choisis de qui je tombe amoureux-euse”; ou bien leur demander de faire la liste des raisons pour lesquelles certaines personnes sont homophobes puis les aider à déconstruire ces raisonnements ; réfléchir avec eux à la signification des injures ; les faire réagir à la diffusion de l’un des courts métrages de l’INPES[2] etc. L’intervention se termine par une séance de réponses/débats autour de questions anonymes écrites par les élèves sur des petits papiers, et une évaluation anonyme de l’intervention grâce à un questionnaire simple.

 

Les retours des élèves sont le plus souvent très positifs : les questionnaires font apparaître qu’à l’issue de l’intervention, l’immense majorité des élèves disent “respecter les personnes LGBT”. Presque seize mille élèves ont été sensibilisé-e-s par les bénévoles de SOS homophobie pendant l’année scolaire 2012-2013, dont trois quarts environ en dehors de l’Ile de France : pour ces actions, nous avons besoin d’encore plus de bénévoles. Quels que soient votre âge, sexe, orientation sexuelle et identité de genre, vous pouvez nous contacter en écrivant à nousrejoindre@sos-homophobie.org.

 

 

Dans le cadre de ces interventions, y a-t-il des actions spécifiques sur les Trans et la bisexualité ?

 

Nous définissons le sigle LGBTI au début de nos interventions et nous abordons les LGBTI-phobies dans leur ensemble. Nous parlons donc des personnes bisexuelles et Trans. Ceci implique également de parler et différencier orientation sexuelle et identité de genre.

 

Les questions autour de l’orientation sexuelle sont généralement assez bien connues par les élèves et nous n’avons jamais eu l’impression que la bisexualité pose aux élèves des questions ou problèmes particuliers. Un certain nombre de points peuvent être néanmoins soulevés autour de la bisexualité : pourquoi est-elle si invisible? que veut dire être bisexuel-le? comment et par qui sont discriminées les personnes bisexuelles? Mais ne nous voilons pas la face, en deux heures il est très difficile d’aborder toutes ces questions. C’est le débat et l’interaction avec les élèves qui déterminent le plus gros des thématiques qui sont abordées. Indépendamment du cadre scolaire, l’association a participé en septembre 2012 à la réalisation d’une enquête sur les représentations de la bisexualité, dont les premiers résultats sont publiés sur la page  http://www.sos-homophobie.org/enquete-biphobie.

 

Pour la plupart des élèves, la transidentité est par contre de l’ordre de l’étrange. Travesti-e, transexuel-le, transgenre… il faut se donner un peu de mal pour débroussailler les idées. Nous intégrons de plus en plus un travail autour de la notion d’identité de genre pour aborder les questions Trans et éventuellement intersexes. L’essentiel des clichés sur les trans tournent encore autour de la question du “changement de sexe”. Nous nous efforçons de sortir de ce cadre médical pour poser des questions sur ce que veut dire être homme ou femme, qui peut définir qui je suis, qui je peux ou ai le droit d’être, etc. Il est intéressant d’introduire l’idée de relativité et subjectivité autour de ce qui constitue chacune de nos identités. De là, nous invitons les jeunes à s’interroger sur le lien entre normes sociales et LGBT-phobies afin qu’ils/elles se rendent compte que les êtres humains ne peuvent être prédéfinis et rangés dans des cases. Dans ce cadre, il est très constructif de faire le lien entre sexisme et LGBT-phobies. 

 

 La question du genre est en train de constituer désormais le terme par lequel l’intersectionnalité permet d’envisager, outre de sortir du sexe et du sexuel, une politique globale en faveur de l’égalité. Est-ce le cas dans vos interventions ?

 

La notion de genre, telle que définie par le milieu universitaire, n’est pas abordée lors de nos interventions en milieu scolaire. Nous préférons travailler à partir de ce que connaissent les élèves pour déconstruire les idées reçues et expliquer les origines des LGBT-phobies. Nous privilégions les notions de normes (comme l’hétéronormativité) ou encore les rapprochements avec d’autres discriminations (sexisme, racisme etc.) pour faire comprendre aux élèves ce qui constitue la base des LGBT-phobies. Le parallèle et la mise en exergue de mécanismes communs avec toutes les formes de rejet (notions de différence, de domination…) parlent beaucoup aux élèves car ils/elles savent très bien ce qu’est le racisme ou le sexisme, l’ayant parfois vécu eux/elles-mêmes. Dans ce sens, nos interventions cherchent à pointer du doigt les catégories, les cases et frontières qui délimitent nos identités afin que tout le monde s’interroge sur leur rôle et la façon dont elles interfèrent avec l’égalité des droits.

 

Aborder tous ces points en deux heures n’est pas toujours possible, mais si certain-e-s élèves entrevoient qu’il y a des façons diverses d’être, alors nous ne sommes pas venu-e-s pour rien. Nous leur laissons à la fin de l’intervention une fiche avec des liens leur permettant de poursuivre s’ils/elles le souhaitent leur réflexion ou d’obtenir du soutien (comme par exemple notre site dédié aux adolescent-e-s[3]).

 

Exemples de “petits papiers” anonymes rédigés par des élèves lors d’intervention :

 

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 [1] http://www.sos-homophobie.org/IMS 

[2] http://www.inpes.sante.fr/professionnels-education/outils/jeune-et-homo/outil-lutte-homophobie.asp 

[3] www.cestcommeca.net 


Mise en ligne, 31 janvier 2014.

Vu du Luxembourg

Erik Schneider

Psychiatre et psychothérapeute, militant trans


Vu du Luxembourg

 

Introduction

Avant de débuter cet article et de me présenter, je voudrais préciser une chose : lorsqu’une personne est experte et en même temps concernée par une question, sa prise de parole est toujours plus attendue en tant qu’experte. Alors même que tous les gens de nos sociétés (européennes) sont concernés par le sujet du genre, et que  personne n’est neutre envers cette question. Si une personne trans’ détient aussi une expertise sur la question trans’, on n’hésitera pas à dévaloriser son travail, son expertise, voire sa dimension scientifique. On l’invisibilise mais surtout on la dévalorise. Chaque fois que je me vois concerné par cette question c’est compliqué, non pas se dire trans’, de faire un « coming out », mais d’être obligé de faire un choix entre trans’ et expert, par peur que mes mots ne sont pas reconnus.

Je suis donc trans’, militant à l’association Intersex & Transgender Luxembourg (ITGL)[1] et psychiatre et psychothérapeute[2]. Ici je m’intéresserai à la question des trans’ à l’école.

Pourquoi la question de la transphobie a l’école me tient-elle à cœur ?

En ce moment, ni le développement personnel de l’enfant selon ses propres capacités, ni l’égalité des chances, ni même la sécurité des enfants qui s’écartent des normes de genre (dis enfants/adolescents trans’) ne sont garantis à l’école. La vie dans un établissement scolaire dépend alors de beaucoup de paramètres : l’équipe, le/la professeur/e, le/la proviseure… C’est donc un hasard si cela se passe bien pour un enfant trans’, ou une sorte de chance. Certains témoignages positifs me sont parvenus, en provenance d’Allemagnes. Mais d’autres, mettent en avant de beaucoup de problèmes. C’est-à-dire qu’on ne trouve pas de paramètres réguliers, mais des éléments incertains, indépendants de la loi, même celle-ci reste bien évidemment une dimension importante de la lutte contre la transphobie.

Il y a un lien entre la famille et la manière dont se passe l’expérience trans’ à l’école. Le risque d’exclusion semble augmenter en situation de manque de soutien à l’école (des professeur/ e/s eux/elles même liés à la production de stéréotypes). Cette situation pourrait être caractérisée par une méconnaissance du personnel professionnel à l’école, ou par une préférence à traiter les enfants/adolescents trans’ dans un cadre « normalisant », c’est à dire ignorer le plus souvent l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) de ceux et celles qui divergent des normes de sexe, et de genre assignées à la naissance. La transphobie est une des conséquences des stéréotypes liés au système sexes/genres binaire.

La question de la violence physique apparait aussi, accompagnée de la violence verbale, des dévalorisations comme des exclusions sociales. La plupart des trans’ ont reçu des mots blessants, ce qui met en péril leur « coming-out » mais aussi leur maintien au sein des établissements. La question se pose aussi concernant des enfants considérés comme trans’ mais ne l’étant pas. A l’image de l’homosexualité, certains enfants sont victimes de brimades lorsqu’ils ne respectent pas les normes de genre.

Il y a bien évidemment des effets psychologiques à cela : le stress, le sentiment de malaise scolaire (surtout lorsque le soutien familial est inexistant), l’absentéisme et le décrochage scolaire. En 2011 à TGL nous avons reçu 3 personnes qui ont décidé d’arrêter l’école pour ces raisons[3].

Mais ce n’est pas tout : il y a aussi de plus en plus des problèmes d’alimentation par exemple, ou d’hydratation (ne pas boire pour éviter les toilettes). Tout peut être fait afin d’éviter les changements corporels, l’obésité et l’anorexie apparaissent alors pour éviter ou cacher les changements que connaissent les adolescents.

On remarque cependant que chaque enfant réagit différemment, mais le stress, le suicide (les idées suicidaires ou les tentatives de suicide) reviennent très souvent dans les témoignages. Et toujours, cette question de la problématique trans à l’école est en lien avec la qualité relationnelle des liens familiaux et parentaux !

Quelle est la situation au Luxembourg ?

Comme je l’ai décrit dans la première réponse, la non-acceptation de l’auto-perception et de l’auto-détermination (y compris liée à l’identité sexuée) est un des problèmes les plus graves concernant cette question. Depuis 2010 nous offrons des formations pour les professeur/e/s sur ces sujets mais ils/elles ne semblent pas intéressé/e/s d’y participer.

Au Luxembourg, Natacha Kennedy a transposé les chiffres connus en Angleterre et a dénombré possiblement 550 enfants mineurs[4]. Selon notre propre estimation, ils seraient au moins 100. Il faut attendre cependant d’autres enquêtes car nous recevons de plus en plus d’enfants trans’, avec de nouvelles questions. Pour chaque école de nouveaux cas, mais aussi des crèches et des écoles primaires. Certaines professionnel.le.s ne se sentent pas concerné.e.s, c’est-à-dire qu’ils ne reconnaissent même pas les enfants trans’ !

Cet été j’ai reçu deux témoignages dans lesquels un éducateur se posait des questions avec des enfants dont il avait l’impression qu’ils étaient trans’. Ils nous ont certes appelés mais il n’y eut aucune réaction de l’équipe.

Face à la forme « normalisante » des comportements, il faut donc développer des formes « acceptantes », en les accompagnants car cela peut être destructeur pour les enfants, pour les adolescents.

L’ancienne ministre luxembourgeoise de l’éducation avait considéré les enfants trans comme plus vulnérables[5]. A la suite d’une question parlementaire, ITGL a reçu en entretien la ministre et nous avons permis la création d’un groupe pour les jeunes trans’ dans les locaux du Centre de psychologie et d’orientation scolaires[6]. Cette possibilité nous donnait une reconnaissance importante au Luxembourg. On espère travailler sur la question des adolescentes maintenant.

Qu’est-ce que propose ITGL sur cette question ?

Le respect et l’acceptation inconditionnelle de l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) d’un enfant/adolescent trans’. Cela inclut l’utilisation de prénom choisi par la personne concernée dans le cadre de l’école y compris le pronom. Comme prévu dans une loi californienne l’enfant/adolescent peut choisir les endroits réservés à l’utilisation de « l’un ou l’autre » sexe (comme les vestiaires, dans le sport etc.).

Le sexisme, la misogynie ou l’homophobie, sont trois éléments à prendre en considération pour travailler contre la transphobie. Le problème néanmoins reste qu’entre « sexualité » « orientation sexuelle » et « identité de genre », le mélange de ces concepts différents, la méconnaissance occulter le problème et l’accentue.

Dans mon discours, je ne parle pas des enfants travestis ou pour lesquels l’identité de genre est changeante car toutes ces questions nécessitent aussi de travailler en amont de cette complexité, en commençant par la question trans’ par exemple. Même si l’on sait qu’il existe des enfants dans cette situation, en disant « les enfants qui s’écartent des normes de genres », on inclut les travestis. La question devient : qu’est-ce que cela signifie pour l’école ? Notamment lorsque les jouets et les vêtements, c’est-à-dire les stéréotypes, sont bousculés ? La Suède, sans toucher à la question des trans’, essaye par exemple de diffuser les jeux au-delà des catégories garçons filles ! Voilà qui semble être important !

Quelles expérimentations scolaires limiteraient la transphobie à l’école ? 

Il y existe des projets « « LGBT » en Allemagne et aux Pays Bas qui travaillent là-dessus dans le cadre de la lutte contre « l’homophobie/la transphobie ». Mais je ne connais aucun projet en Europe qui travaille sur l’acceptation inconditionnelle de l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) d’un enfant/adolescent trans’ à l’école. On pourrait aussi noter, évidemment, la loi argentine sur l’identité de genre[7], qui prévoit que les enfants (au même titre que les adultes) puissent bénéficier du prénom souhaité ainsi que du genre souhaité, même si celui-ci ne correspond pas à la mention de sexe sur l’état civil. Aussi, nous pouvons noter les avancées californiennes en la matière, puisqu’en 2013 une loi[8] accorde le droit aux enfants trans à participer aux activités scolaires non mixtes, y compris aux activités sportives, et d’utiliser toutes les installations, conformément à leur identité de genre, quel que soit le sexe mentionné à l’état civil A 18 mois, selon certains témoignages parentaux, certains signes peuvent être perçus. Il faut y faire attention. C’est-à-dire qu’avant même l’accès aux mots, il y a quelque chose comme l’auto perception (plus que l’identité, car cela peut prendre du temps… sans être stable, fixe) d’une identité de genre non cis (voir même dès les premiers mots, sans forcément se dire comme « trans » ce qui reste un langage plus adulte). De plus un enfant ne peut pas s’identifier au sexe qui lui a été attribué au même âge qu’un enfant qui accepte l’identification en tant que fille ou garçon. Cela nécessite donc une prise de conscience de ces catégories sociales[9].

En Argentine, suite à la loi en faveur des personnes trans’ (et aussi des enfants trans’), une publication, une première évaluation est en vue. En Allemagne, il y a une avocate qui a écrit une expertise sur la possibilité d’utiliser un nom préféré, disant ainsi qu’il n’y a aucun droit de l’enfant en ce domaine mais que néanmoins, juridiquement, cela ne posait pas de problème à l’école (sur les bulletins, à l’inscription). Ce n’est ni un délit, ni un tabou. L’expérience est alors faite que certaines écoles acceptent à la condition d’une certaine sécurité, alors que d’autres n’acceptent que lorsqu’il y a des changements légaux.

Mais on a souvent tendance à dire que les personnes trans’ ne sont pas nombreux. Alors que les chiffres ont tendance à monter que ce chiffre n’est pas négligeable. De plus, selon une enquête, sur 100 personnes sous bétabloquants, 1 personne environ a changé d’avis[10]. Ce qui prouve que cette question doit et peut être prise en amont.

Il persiste un chiffre de l’ombre, plus grand que les cas connus. Or, dans nos groupes au Luxembourg on touche de plus en plus de jeune… peut-être que ce chiffre de l’ombre diminue… malgré la transphobie !

Conclusion

L’étape conséquente serait d’inscrire un sexe temporaire le temps de choisir. Mais cela ne doit pas toucher que les enfants trans’, pour ne pas les discriminer, pour ne pas les stigmatiser ou créer des inégalités. Et c’est aussi une manière de dire qu’on touche les murs de la société et permet aux personnes cis-genres d’élargir leurs propres espaces de vie, dans un environnement plus souples. Aussi, la politique a un rôle important à jouer. Si les parlementaires peuvent créer des lois, ils peuvent aussi faire en sorte d’éviter les réactions transphobes : on pourrait recommander de garantir l’auto-perception et l’auto-détermination pour protéger les enfants dans TOUTES les institutions de l’Etat. En plus il faut éviter la psycho-pathologisation des enfants/adolescents trans’ comme cela s’est malheureusement passé au Luxembourg récemment via un arrêt ministériel du 19 décembre 2013[11] qui écrit que : « La prise en charge des soins liés au syndrome de dysphorie de genre est limitée aux actes et services liés à l’accompagnement psychiatrique » et entre en vigueur le 1er janvier 2014. La sécurité de ces enfants importe. On ne parle pas de la Russie, pas de l’Iran, mais de nos « démocraties » dites comme telles qui n’assurent pas la sécurité des enfants trans’. Pour ça l’Etat est responsable. La politique doit donc accepter sa responsabilité.


[1]  L’association est créée en juin 2013 et la suite du groupe informel « Transgender Luxembourg » (TGL) fondé en janvier 2009.

[2] Mon prochain livre : Erik Schneider, Christel Baltes-Löhr (dir.), Normierte Kinder, Transcript, 2014.

[3] RADELUX II (2012): Complément commun au rapport supplémentaire au 3e et 4e rapport national (2001 – 2009) sur les droits de l’enfant au Luxembourg. Les droits des enfants trans’ et des enfants intersexes. L’exemple de leur situation au Luxembourg, ci-après « RADELUX II ». URL: http://www.ances.lu/attachments/155_RADELUX_transgender%2006-02-2013%20DINA4%20layout.pdf [27.10.2013].

[4] Kennedy, Natacha (2014) : Gefangene der Lexika: Kulturelle Cis-Geschlechtlichkeit und Trans‘-Kinder. Dans: Schneider/Baltes-Löhr (dir). Normierte Kinder. Bielefeld: Transcript. 

[7] Loi argentine établissant le droit à l’identité de genre. URL : http://www.infoleg.gov.ar/infolegInternet/anexos/195000-199999/197860/norma.htm [21.01.2014].

[8] Assembly Bill – 1266 (2013): Pupil rights: sex-segregated school programs and activities. URL: http://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billNavClient.xhtml?bill_id=201320140AB1266 [15.11.2013].

[9] Emmanuelle Ravets (2013) :Aider les jeunes trans à sortir de leur isolement. L’essentiel.lu. URL : http://www.lessentiel.lu/fr/news/story/31729427 [21.01.2014].

[10] Wüsthof, Achim (2014) : Hormonbehandlung transsexueller Jugendlicher. Dans: Schneider/Baltes-Löhr (dir). Normierte Kinder. Bielefeld: Transcript.

[11] Modifications des statuts de la Caisse nationale de santé. Comité directeur du 11 décembre 2013. URL : http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/2013/0232/a232.pdf [21.01.2014].


Mise en ligne : 31 janvier 2014.

Entretien avec Estelle Beauvais

 Entretien avec Estelle Beauvais

Réalisatrice et cinéaste


 

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Étant un tant soit peu en décalage par rapport au paysage vidéographique actuel, dont le rythme est de plus en plus soutenu, et qui représente des choses de plus en plus violentes, j’ai décidé que ma démarche devait privilégier un cinéma de proximité, sensible, modeste, qu’elle devait être construite dans un souci d’échange direct avec les personnes et les paysages que j’affectionne, que je filme, que je présente.

Source : http://www.estelle-beauvais.com/estelle_beauvais/biography.html

ODT : La genèse du projet ?

E.B. : L’impulsion première vient du fait que je n’ai jamais supporté la notion de normalité, je ne l’ai jamais comprise. Les notions de normalité et de perfection sont illusions. Elles nuisent à notre bonheur, à l’existence.

 

À mon sens, renouer avec sa propre fragilité permet de dépasser l’illusion de la perfection humaine. J’ai la conviction qu’accepter sa fragilité, c’est se donner les moyens d’exister et d’avancer. J’ai décidé de réaliser ce projet afin de mettre en valeur une notion refoulée, perçue comme négative dans nos sociétés et qui, assumée, représente pourtant (à mon sens) une grande qualité et même une force.

 

Il s’agit donc, à travers cette série de films, de soutenir une notion qui existe malgré nous et dont je suis persuadée que nous avons besoin pour nous accomplir en tant qu’humains. Il s’agit de s’avouer que pour avancer, il faut assumer et dépasser le fait que nous sommes ontologiquement fragiles.

Ce projet est une façon de participer et tenter d’aider ce processus de dépassement.

 

ODT : Comment t’es-tu donnée les moyens de le mener à bien ?

E.B. : J’ai commencé à dresser de façon organique une carte, la « Fragility Map » afin d’organiser le projet. Y sont inscrits mes lectures, les livres sources, les auteurs qui m’ont inspirés. Par ailleurs, il s’en dégagent les grandes thématiques que j’aimerais aborder à travers ce projet, les personnes (connues ou anonymes) et les lieux que j’aimerais filmer. En lien avec tout cela, j’y ai également posé les intentions de réalisation ainsi que les intentions plastiques.

 http://www.flickr.com/photos/daseinprojekt/6895567398/sizes/l/in/set-72157628717679039/

A partir de cette carte, j’ai commencé à prendre des rendez vous et organiser les premiers tournages.

Il s’agit d’un projet empirique, il se construit au fur et à mesure de la quête et des rencontres. La carte évolue en parallèle, au fil du projet.

 

ODT : Le rôle de ton entourage, de tes amies, des réseaux, etc., dans l’aide qui t’a éventuellement été apportée ?

E.B. : Très important ! J’ai des amis merveilleux qui me soutiennent tant dans ma vie personnelle que dans mon travail. Mon activité est très solitaire. Il y a toujours des moments où on a envie de baisser les bras, ou plus rien ne nous supporte, où on se sent très seul. Un sourire, une rencontre, une belle parole, un indice, et la motivation reprend.

Rencontrer mes amis, ma famille, les personnes qui me sont chers afin d’échanger est un moteur indéniable dans tout ce que je réalise.

Je suis entourée par des personnes issus de milieux, de communautés, de classes sociales très différents, ce qui représente à mon sens grande richesse.

Je tiens à remercier tout particulièrement Jef Guillon pour les réalisation musicales sur mesure et Bernard Zirnheld pour la réalisation des sous titres des films vers l’anglais.

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ODT : Quelles retombées ? Audience ? Succès d’estime ? 

E.B. : Il s’agit d’un projet de 24 épisodes, et j’aimerais aussi beaucoup réaliser un long métrage à l’issus de la série. Il s’agit donc d’un projet à long terme. Aujourd’hui, les retombées se font de façon progressive.

Le premier episode a beaucoup tourné en festival et lors d’événements divers, en Europe et dans le monde entier.

Pour l’instant 4 épisodes sont sortis et sont maintenant disponibles sur le site du projet. Les épisodes 5 et 6 sortiront  à la rentrée 2013 

ODT : Des projets ?

E.B. : Je réalise actuellement une série de portraits, des films courts. Il s’agit ici d’aller à la rencontre de personnes issues de milieux divers, sans contrainte de thématique. Ces portraits sont réalisés sur l’idée de mettre en valeur « le meilleur de chacun».

Je travaille aussi actuellement sur la réalisation d’un blog vidéo sur au CINEMA

Et puis je rêve, un peu secrètement, de réaliser un film d’anticipation…

ODT : Le concept de départ ?

E.B. : L’idée dans ce projet est de proposer au public de suivre la réalisation d’un documentaire en cours de création. Aussi ai-je décidé de l’articuler à travers une double lecture :

« La Fragilité » est tout d’abord une série de 24 films courts. Les films seront présentés régulièrement, dès leur production, dans des cinémas ou des événements publics divers et seront aussi intégralement mis en ligne sur le site internet dédié au projet.

En parallèle de cette série j’aimerais également réaliser un film long. Le montage rassemblerait de façon organique tout ce qui se sera passé durant la réalisation de la série. Il en emergera une nouvelle interprétation.

La série est divisée en deux parties.

 

Il y a tout d’abord ce que j’appelle « Les Histoires ».

Il s’agit de 12 films. Dans ces films vous rencontrerez des personnes dont l’expression de la fragilité et de des différences m’ont particulièrement touchée. En effet, ces personnes expriment à travers leurs histoires toute la beauté de la précarité de nos vies. Ces êtres ont fait le pari d’aller au fond d’eux-mêmes.

 

Il y a ensuite ce que je nomme « Les Clefs ». Il s’agit d’une deuxième série de 12 films.

Les philosophes et les penseurs aident à changer le monde. Ils utilisent les mots comme matériau et nous aident à formuler et rendre intelligibles nos idées. Il est nécessaire de leur réserver une place importante au sein de ce projet. Chaque film relatera d’une rencontre avec un auteur, un chercheur, philosophe, sociologue, physicien, psychanalyste, cinéaste… ayant un intérêt profond pour le domaine de la fragilité ou des notions voisines. Dans chacun de ces films seront apportés des outils de réflexion pour mieux intégrer la notion de fragilité aujourd’hui.

« Les Histoires » et « les clés » sont présentées au public de manière alternative.

 

 

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ODT :  Pourquoi ce titre ?

E.B. : Pour aller à l’essentiel. La simplicité. Le titre c’est le sujet, le sujet c’est le titre !

ODT : Questions trans ? De genre ou bien au-delà ?

E.B. : La réflexion trans nous appartient à tous. Elle permet une lecture significative de notre société et également de nos propres identités. Il était pour moi nécessaire d’aborder ce sujet, de l’intégrer dans un projet global tel que La Fragilité.

Le premier épisode de la série « La Lumière n’est ni juste ni injuste » a été réalisé en collaboration avec Jayrôme C. Robinet, jeune homme trans basé à Berlin.

L’épisode 6 est une rencontre avec la philosophe Françoise Brugère qui a notamment écrit « La Sexe de La sollicitude ». La question du genre y est largement abordée.

Dans la série « La Fragilité », la question du genre n’est pas une thématique en soi. Elle s’intègre naturellement dans le projet.

ODT : Merci Estelle.

 


Sites :

http://www.estelle-beauvais.com/estelle_beauvais/HOME.html

 http://www.la-fragilite.com/La_Fragilite/HOME.html

King’s queer Art Collection

King’s queer Art Collection

 

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A l’ODT, nous aimons, outre les articles, dossiers et autres coms universitaires, d’autres univers : celui des fous furieux avec des cœurs gros commeça, entre autres. Ca n’existe plus, sont foutus, ce qui nous rappelle que ceux qui ont pris le No future le plus au sérieux ne sont pas ceux qu’on croit.

Quel est donc notre No future à nous ? Nous aimerions beaucoup que cela soit aussi ce cœur là qui palpite, qui sait donner, échanger, chanter et peindre. dans les liens et lieux qui palpitent. Celui de Grib&Laet sonnait non comme une évidence mais une écoute nécessaire des projets à vivre en tentant de faire venir  artistes et autres têtes furieuses & fumeuses sous le même chapiteau d’Utopie. Une manière de dire que le queer des King’s peut être cette réponse au cauchemar identitaire d’hétéroland que nous avons vu au moment du mariage universel. C’est que 1984 est derrière nous et sa dystopie devant nous. Alors ? Alors rien ?

Alors : Amours et révoltes, Amour, Amours… et Révolte !


Entretien avec les King’s Queer

 

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Photo : Nico Witz

 

L’historique

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C’est encore une histoire un peu folledingue et inattendue pour pas changer. On a fait pressé notre vinyle Amours et révoltes en 300 exemplaires que l’on vend comme objet de collection. Ils sont numérotés de 1 à 300. On réalise les pochettes à la main avec des tampons, donc chaque pièce est unique. Mais on s’aperçoit que le fabriquant de disque nous en a livrés 30 exemplaires en plus. Impossible de les mettre en vente de la même manière que les autres, numérotation oblige. Donc un matin de janvier, on se dit qu’on va proposer à des artistes de nous créer une œuvre d’art originale et unique. Seule contrainte le nom du groupe: King’s queer, et le nom de l’album, Amours et révoltes… Ensuite on a réfléchi quels artistes, on a envoyé des mails de proposition. On a proposé 6 pochettes à des élèves de l’Isba de Besançon car on avait envie d’associer cette structure à ce projet. Tous ont répondu OK. On a monté le site King’s queer Art Collection. Bon honnêtement tout ceci s’est misen place en une semaine. C’est pas un truc sur lequel on a passé des heures à réfléchir, encore une fois l’instinct et une envie de faire.

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Jérôme Mesnager
(acrylique 30×30)
Photo : Stéphane Léonard

Au départ on voulait juste faire une petite vente internet aux enchères, les sous 50% pour les artistes, 50% pour nous. Mais vu l’ampleur du truc avec les « pointures » qui ont répondu présents, on s’est dit il faut les exposer, faire un catalogue etc… Et la machine s’est mise en route, et là on court après pour ne pas changer ! Du coup on s’est adressé à deux auteurs qui nous semblaient comme une évidence pour faire les textes de préface du catalogue. Pierre Mikailoff pour le côté présentation de King’s Queer, un auteur et musicien pour qui l’on a un énorme respect. Et Laurent Devéze directeur de l’Isba, qui nous suit depuis notre premier concert et nous soutient. Lui c’était pour le coté artistes. Evidemment les deux nous ont fait cela à titre gracieux avec enthousiasme comme le reste des artistes….Bref on est totalement ébahi par la magie de l’histoire simple est facile !

Donc il fallait trouver des lieux d’expositions… Évidemment la première se fait à l’Isba… Et ensuite pour Paris on tout de suite pensé à Corinne Bonnet qui a une galerie, Dufay/Bonnet. On avait déjà rencontré Corinne pour un projet antérieur et sa position dans le monde de l’art, son regard critique par rapport à tout ce business nous correspondait. Donc elle devenue une partenaire au même titre que l’Isba et l’expo est prévue en novembre…

Ensuite on s’est dit il nous faut une structure média partenaire : on a tout de suite penser à « La tête dans l’artiste ». Il nous avait suivi lors de notre guérilla sonore pour la sortie du CD en sept 2012. On a gardé des contacts avec lui.

Mais là, on travaille à trouver d’autres partenaires…

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Loulou Picasso – 2013
(acrylique et collage – 31×31)
Photo : Stéphane Léonard

Mais quand on parle expo… Là aussi, on s’est dit on a pas envie d’un truc conventionnel et poussiéreux et chiant. Donc on est parti sur l’idée de prendre d’assaut les galeries et les détourner de leur rôle premier ! On s’est dit merde les covers de disque ont une sacrée histoire : la banane de Warhol pour le velvet, la photo du kids pour le disque War de U2… Alors on a proposé à Pierre Mikailoff de faire une conférence sur l’histoire des pochettes de disque à nos jours. On aime bien mélanger le truc de mémoire, c’est un point très important dans notre travail. Ensuite on s’est rappelé des images de vernissage dans les années 80 à New York où Basquiat empoignait la clarinette pour de la musique expérimentale jazzy. Vu que c’est des illustrations de notre album qui sont exposées, on va balancer un show-case de King’s queer au milieu. Mais encore une fois on va faire des shows un peu spécial en invitant des guests. Par exemple à Paris, Nicolas Kantorowicz nous rejoint pour deux titres. Dans nos artistes, il y en a qui pratiquent l’art de la performance. A Paris, Amaury Grisel va nous faire une perf art et bondage, Kim Prisu vient spécialement du Portugal pour réaliser une peinture en direct, Dowtown va jouer des aérosols…etc…A Besançon, on embauche Les LEZ Appétissantes (duo de burlesque) pour un effeuillage de vinyles sur deux de nos morceaux, Fréderic Wiegel va nous produire une performance en direct du Japon (où il vit) grâce aux moyens multi-medias… Et on a pas encore fini les programmes…

Aujourd’hui, on travaille sur le catalogue avec Julie Chu. On n’a pas envie d’un résultat classique, on cherche un format, une façon de réaliser…

Au final on a profité de ces pochettes pour réaliser des événements de free art Party (comme les mouvements Free party d’Angleterre). Se réapproprier des espaces, les détourner, et surtout mélanger toujours et encore les gens, les genres, les styles… être vivant, debout créatif et résistant !

Par ailleurs, il y a toutes les générations confondues et des mouvances diverses. Des artistes « confirmés » comme des élèves, inclus dans un même projet. En fait nous sommes un liant… Il faut savoir qu’on a aucune subvention, que King’s queer fait son propre auto-financement comme d’habitude au détriment des loyers. D’autre part, on est complètement néophyte dans le monde de l’art ; on apprend les choses sur le tas, système D comme toujours… Donc ça interloque un peu les gens car on n’a pas la façon usuelle de s’adresser à eux.

De plus quand on fait le bilan de cette collection on voit le côté hors des frontières au sens propre (on a des artistes qui vivent au Portugal, au Japon, en Suisse, Islande, Inde, France) comme au figuré… De plus sans que se soit une volonté de notre part à l’arrivée on a deux artistes transgenres, deux gouines, des pd… C’est amusant.

La démarche

L’association « Allez viens on s’en va » lance le King’s Queer Art Collection.

Le King’s Queer Art Collection est une initiative dédiée à la création contemporaine. Mettre en place une synergie entre le travail de King’s Queer et des créateurs venant d’horizons les plus divers… Créer une véritable collection aux médiums multiples…

Au fil des mois vous pourrez découvrir différents projets, de la pochette de disque œuvre d’art, en passant par la littérature, le stylisme, la photographie, la peinture, la danse, vidéo…Des collaborations vont petit à petit se mettre en place.

Depuis l’apparition du vinyle, de nombreuses pochettes de disque sont devenues mythiques, des œuvres d’art à part entière qui ont marqué l’histoire contemporaine.

Qui ne se souvient pas de la célèbre banane d’Andy Warhol pour un disque du Velvet Underground ?

Sortir un 33 tours aujourd’hui, c’est s’inscrire dans une certaine démarche, une empreinte qui résiste au temps, laisser un « objet » aussi bien sonore que visuel.

Après avoir mis en vente 3oo exemplaires numérotés et tamponnés par leur soin, King’s Queer se lance dans le projet « Spécial Cover Collection ».

King’s Queer puise depuis toujours son inspiration dans la littérature mais aussi dans la peinture, le graphisme, la photographie…

Alors, en guise d’hommage et par amour du partage, ils ont proposé de mettre à disposition 20 pochettes de leur vinyle « amours et révoltes »  au recto vierge à des artistes dont ils apprécient le travail.

 


La collection

 

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Les différents artistes rassemblés représentent soit une influence pour le groupe, soit se sont inscrits dans l’histoire de King’s Queer…

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Photo : David Twist (Paris)

Liens

http://www.kingsqueer.com
http://kingsqueer-art-collection.tumblr.com/covers
Vente disques&CD : http://www.kingsqueer.com/#!musique
http://www.isbabesancon.com
http://www.dufaybonnet.com/
http://latetedelartiste.com/
http://www.leparisien.fr/espace-premium/seine-saint-denis-93/c-est-la-que-j-ai-decouvert-la-scene-punk-03-03-2012-1887259.php
https://www.facebook.com/Lezappetissantes?fref=ts

Pochette

 Laurent Deveze

 

 

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Écrire,

Écrire à partir de pochettes de disques,

Écrire sur les pochettes de disques des King’s Queer.

La philosophie comme la poésie se permet souvent des audaces que le linguiste ou le sémiologue n’oserait pas assumer, notamment le fait de considérer un mot dans sa résonance.

Entendons nous bien, non pas dans son étymologie, ni même dans son réseau sémantique mais dans sa faculté d’évocation.

Comme le gong frappé dans le temple porte bien longtemps après le coup, la trace d’une profonde musique, qui, loin d’être une trace justement, en livre en quelque sorte la vérité, le mot dans sa résonance sait égrener des significations en chapelets d’associations qui ne sont subjectives qu’en apparence.

Ainsi le mot « pochette » n’en finit pas de résonner et tout bien considérer mieux vaut ici pour des musiciennes se soucier de résonance que de raisonnement.

« Pochette » évoque ce petit morceau d’étoffe colorée que les dandys comme les hommes bien mis arboraient et arborent parfois encore sur leur veston.

Dans un univers souvent uni et sombre le plus souvent, la pochette froufroute, étincelle, virevolte, quand elle ne souligne pas simplement l’austérité de l’ensemble en mince liseré  blanc.

Le tout « après cinq heures » disait on aux anciens temps du Quai d’Orsay, heure où l’on pouvait enfin s’encanailler puisque le soir venant.

Car ne nous y trompons pas, la pochette a un je ne sais quoi d’olé olé ou plutôt de féminin qui transforme le costume sérieux en lui apportant une touche certes de raffinement, mais aussi  de gaudriole.

Aussi la pochette fut elle très vite suspectée d’être une sorte d’indice de l’ambiguïté sexuelle ; en un temps où seules les femmes étaient autorisées vraiment à choisir entre plusieurs imprimés et où seul le choix de la cravate  n’était permis aux hommes respectables (quand ce ne sont pas leurs femmes qui les choisissaient), le fait que le gentleman essaie si le vieux rose serait mieux ou moins bien assorti que les pois jetait sur sa virilité d’apparence un léger voile de  suspicion.

Bien vite les pochettes exubérantes qui s’échappaient en belettes espiègles ou en mousse débordante devinrent les signes de ralliement des « invertis » qui, en envahissant de soie revendicative leur laine trop froide, ne laissaient à la conscience commune plus aucun doute sur leur orientation amoureuse.

Plus tard, les pochettes se muèrent en bandanas et de la poche, du pantalon cette fois, s’échappèrent des fanions au code secret selon la couleur ou le côté envisagés : à gauche homo, à droite bi, rouge sm, etc. et le jeune homme au jean ainsi marqué pouvait croiser dans les eaux troubles de la nuit urbaine, cherchant le délicieux abordage en une amusante parodie du célèbre code des  fanions maritimes.

C’est d’ailleurs à la même époque que Jean Paul Gaultier remettait la marinière au goût du jour et que Fassbinder osait porter à l’écran les heurs et malheurs d’un marin nommé Querelle…

Ainsi donc la pochette porterait en sa résonance la marque sinon de l’infamie en tous cas du soupçon…trop chatoyante pour être honnête.

Le sage vinyle noir recouvert de toutes ces couleurs et de toutes ces parures retrouverait donc en une posture très « dandy en goguette », le zazou révolté des sombres années 40 ou le jeune homme des encore insouciantes années 80 parti chercher fortune pochette au vent.

L’exposition de ces pochettes se muant par résonance interposée en un défilé de mode où Brummel et Poiret disputeraient à Brad Davis la palme des élégances vénéneuses.

Et ce n’est certes pas l’autre image associée qui s’en vient alors, qui changerait l’atmosphère car pochette désignait également l’ersatz du sac à main pour les hommes.

En effet, dans ces dernières années du vinyle, l’homme était flanqué d’un affreux petit rectangle de cuir qui devint quelque temps plus tard  la marque quasi exclusive de l’identité enseignante.

L’homme avec sa pochette externalisait des attributs virils les mettant dangereusement à distance ; la pipe, le portefeuille et autre stylo plume, quittaient le nid douillet de la poche intérieure pour se séparer du corps en un objet indépendant de lui.

Aujourd’hui son avatar peut faire sourire lorsqu’en banlieue le plus teigneux des « kéké », qui s’estimerait déshonoré de la moindre interrogation sur ses désirs, arpente les Champs Elysées petite pochette siglée au vent dans une posture bien nette de jeune fille d’antan fier de son nouveau sac à main.

La pochette s’arbore fièrement, conditionne la posture et dénonce non sans un certain exhibitionnisme les attraits de celui ou de celle qui la brandit ainsi fièrement. Inutile ici de rappeler l’éloquente expression de « base en ville » qui la désignait souvent.

Il nous faut donc bien le reconnaître tantôt petite besace, tantôt carré de soie, la pochette semble toujours avoir à faire avec la sexualité où le désir qui rôde. Rien d’étonnant finalement à ce que les Kings Queer aient ajouté encore par résonance interposée à cette douce ambivalence.

De Speedy Graphito à Jérôme Mesnager, de Kiki Picasso à Frédéric Weigel ou Julie Chu, les pochettes de leur disque tantôt externalisent le contenu de leurs chants tantôt jouent les frivoles pour mieux piéger l’inconscient qui ne reconnaitrait pas encore la puissance de leurs mots.

Jouant ironiquement et tour à tour des codes de la pépette et du petit mec leur beau tour de chant hésite entre le happening visuel et la déclaration d’amour ou de guerre.

Aussi l’on pourrait à bon droit se demander si cette exposition de galettes ne serait pas en fait une exposition de techniques de drague : les pochettes renseignent sans vraiment dire, suggèrent ce qu’on peut attendre si l’on ose enfin les défaire et poser le disque à nu l’exposant à la morsure du saphir. Elles mettent sur la voix si l’on ose le mauvais jeu de mots.

Andy Warhol ne savait peut être pas en la concevant que la fameuse banane du disque du Velvet Underground serait un jour comme le disent les enfants  « collector ». Mais une chose est sûre, il savait qu’elle ferait  « œuvre », en ce  qu’elle exprimait avec la plus grande pertinence possible ce qu’était un tel groupe tout habité de juvéniles tentations  promptes, pour parler comme les Anciens, à créer l’effroi. Et Dieu sait si la fascination opéra puisque la censure s’empressa de confirmer la réussite de cette création en exigeant qu’on la retire du marché.

La pudibonderie est bonne conseillère : mieux que la perversion, elle sait toujours détecter le chef d’œuvre.

Tantôt voile dissimulant son contenu pour mieux aguicher, tantôt tatouage qui joue les définitifs à fleur de peau, tantôt parure qui souligne les formes les plus irrésistibles ou sobre uniforme un rien trop sanglé pour ne pas inviter en fait à son déboutonnage, les pochettes du disque des King’s Queer n’en finissent pas de jouer les effeuillé(e)s.

L’exposition prendrait alors l’apparence d’un striptease où l’on serait irrésistiblement invité à deviner sous chacune des parures la beauté de la chair noire et luisante enfin mise à l’air libre et livrée à nos sens, tout du moins à notre écoute.

Moins illustrations qu’invites, ces pochettes contiennent en elles mêmes leur propre capacité à laisser apparaître le disque dans son plus simple appareil.

Aussi doit on reconnaître la maestria de ces artistes qui ont joué le jeu de l’humilité en sachant que leurs œuvres signalent sans jamais le recouvrir complètement un autre contenu. Savoir s’effacer tout en donnant à voir, le paradoxe aurait plu aux élégants de la Belle Époque tout comme aux maîtres des icônes saintes. Indiquer sans ensevelir ce qu’on est sensé précisément magnifier voilà ce qu’Andreï Roublev cherchera toute sa vie…

Et c’est sans doute là l’habileté de nos chanteuses capables de nous faire valser en compagnie de références aussi éparses sans autre forme d’unité que, et c’est peut être en définitive la seule qui compte, la volonté de nous retrouver tous ensemble.

C’est le secret des meilleurs groupes musicaux de savoir ainsi rassembler autour d’eux des créateurs de tous horizons, répondant à un simple appel tribal. « Qui m’aime me suive » hasardera t-on en risquant même encore de réveiller la métaphore du minet-minette à pochette …

Mais comment ne pas évoquer avec sérieux en ces temps d’obscurantisme forcené cette capacité mobilisatrice qui fait des King’s Queer un lieu commun au sens grec, un espace imaginaire d’accueil dont l’hospitalité permet à la révolte de prendre pied pour s’organiser ou souffler un peu.

Que tant d’artistes venus d’horizons picturaux les plus divers, d’étudiants de l’Institut Supérieur des Beaux Arts de Besançon l’utopique libertaire (et même un philosophe…) se retrouvent justement autour d’un tel projet, délivrerait en fait le sens ultime de cette œuvre d’essence collective.

« Bizarres de tous pays unissez vous ! », reconnaissez vous dans ce décalage commun et revendiqué, dans ce « petit caillou dans la sandale » dont le vieil Aristote parlait pour définir ce que pouvait être un authentique philosophe, les King’s Queer connaissent par leur chant et leur générosité, le secret alchimique du mélange des genres.

Ces pochettes sont signes d’appartenance « rhizomatique » et de mise en réseau ; leur diversité n’est pas synonyme de solitude mais de maquis possible, rose et réséda mêlés ; en somme même si Laeticia et Grib l’ignorent, elles réinterprètent à leur manière le chant des partisans.

« Les corbeaux dans la plaine » n’ont qu’à bien se tenir car cette exposition ressemble finalement moins à un défilé de mode ou à un cabaret cochon qu’à un campement de maquisards combattants  et, tout bien considéré, la pochette peut dissimuler message ou arme, elle l’a fait souvent dans l’Histoire, comme elle peut souvent, nouée autour du visage, protéger utilement des lacrymogènes policiers.

Laurent Deveze est directeur de L’ISBA de Besançon (http://www.isbabesancon.com)

 

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Photo : Sarah W. Bernard

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Photo : Penelope Kuriakin


Mise en ligne : 24 août 2013.

La transphobie dans les discours et les pratiques psychologiques

L. R

Militante fem & féministe, engagée dans les luttes transpédégouines
(Ex-?) étudiante en psychologie

La transphobie dans les discours et les pratiques psychologiques

 

Mon engagement militant, au sein des luttes féministes et transpédégouines, allié à la colère grandissante que m’inspirait une partie de mon cursus universitaire en psychologie, m’ont amené à vouloir étudier la transphobie dont se rendait coupable un certain pan de la psychologie. Je vais vous présenter un résumé de mon Travail d’Etudes et de Recherche (TER) de fin de licence, datant de 2011.

L’objectif de ce TER était donc de faire un état des lieux des dysfonctionnements dans la prise en charge des personnes trans par les professionnels de la santé mentale et dans la voix dominante de la psychanalyse sur les transidentités, ainsi que de mener une réflexion sur les causes et les éventuelles solutions que nous pouvons leur associer. En guise d’illustrations, quelques extraits de témoignages de trans sur leur vécu personnel de psychologie transphobe .

Je précise que je suis cissexuelle, si j’ai décidé d’écrire sur ce sujet, c’est parce que je me sens plus proche de la communauté TPG que du monde psy et j’ai vu les effets néfastes que provoque la transphobie des psys, sur des proches. Malheureusement, nous ne sommes pas beaucoup à essayer de distiller des idées allant à contre-courant en psychologie et quand nous le faisons, nous ne sommes pas toujours écouté-e-s car il est facile d’invalider nos dires propos sous prétexte que nous sommes « trop militant-e-s » et trop peu « neutres », mais qui peut l’être..?

Comment la transphobie psychologique s’exprime-t-elle ?

J’ai proposé quelques pistes de classification des actes et écrits transphobes liés au domaine de la psychologie : le choix des (mauvais) pronoms, l’exotisation et la stigmatisation du sujet trans, la construction du thème de la souffrance et son essentialisation (cette idée récurrente que c’est le fait même d’être trans qui provoque la souffrance et non le fait de le vivre dans une société transphobe), la réassignation ainsi que la pratique de tests (psychométriques et dits « de vie réelle »).

« Le temps qu’il prenne ma carte vitale, se rende compte que mon état civil était féminin, et s’en amuse. Je lui ai expliqué ce qui m’amenait. Il m’a répondu aussi sec qu’il comprenait que tout ça devait être très douloureux (je n’ai absolument pas parlé de souffrance) mais qu’il ne pouvait pas se mettre en danger en me mettant « encore plus dans la merde ». […] J’ai trouvé ça formidable qu’une personne qui ne voulait pas me mettre « encore plus dans la merde » me laisse ressortir de son bureau en larmes, sans m’orienter vers un-e collègue, après s’être moqué de mon identité […] J’allais plutôt bien en entrant dans son bureau, et j’en suis ressorti dans un état catastrophique. J’ai mis 2 ans à pouvoir envisager de retourner voir un-e psy après cette visite. »

Extrait du témoignage de S.

Pourquoi tant de haine ?

Difficile de comprendre les diverses raisons qui motivent la transphobie de la part des psychologues et autres professionnels de la santé mentale.

Cependant, la notion de contre-transfert (en dépit de sa connotation très psychanalytique) est intéressante dans ce contexte : le contre-transfert désigne la projection d’affects de la part du psy sur le-a patient-e, ce qui vient troubler, plus ou moins, la neutralité du psy et la qualité de son écoute ou de son aide.

Le moins que l’on puisse dire est que certains spécialistes de ce qu’ils appellent « la question transsexuelle » ont une façon très étrange de recevoir ces sujets trans et de retranscrire les pensées qu’illes leur évoquent par la suite.

Preuve en est cette phrase malheureuse de P. Mercader :

« Pendant la première phase de mon travail, alors que je rencontrais des femmes en demande de changement de sexe, et par conséquent d’abord d’une mammectomie, je me suis aperçue un soir que depuis quelques temps, je m’endormais les mains posées sur ma poitrine, comme pour la protéger. »

Les psychologues qui ont sciemment choisi de faire de la transidentité un fond de commerce sont précisément ceux qui font le plus preuve de violence dans leurs écrits.

On ne leur reproche pas tant d’être incapable de faire preuve d’une neutralité parfaite, mais de médiatiser leur « connaissance » du sujet en dépit du fait qu’illes ne peuvent le faire sans l’accompagner de propos discriminants, insultants, culpabilisateurs à l’égard des trans : de leurs patient-e-s trans, mais aussi de tou-te-s les lectrices trans potentiel-le-s.

Un autre exemple dans la littérature illustre bien cette notion de contre-transfert et de violence dans les propos, il s’agit d’une citation extraite de l’ouvrage de G. Morel : Des ambiguïtés sexuelles, sexuation et psychose :

« Dans le cas de Ven, il n’était pas possible, au moment de la cure, d’essayer de lui créer une identité féminine dont il ne voulait même pas entendre parler. C’est pourquoi j’ai pris le parti d’accepter le travestissement et de rentrer dans la logique qui l’amenait à l’opération pour, à un moment donné, intervenir contre, mais conformément à cette logique originale. »

On remarque que G. Morel négocie avec ses propres limites et ses propres mœurs ce qu’elle accepte pour Ven, trans FtM, et ce qu’elle lui refuse. Qu’entend-elle par « j’ai pris le parti d’accepter le travestissement », comme un parent ferait référence à une facétie de leur enfant adolescent ? Et si elle ne l’avait pas accepté, que ce serait-il passé ?

La question du transfert -que l’on y croie ou non- ici est cruciale puisqu’on voit bien que c’est sa position dans le transfert qui lui laisse penser qu’avec le temps et une stratégie d’apparente « acceptation », elle pourra faire rebrousser chemin à son patient.

Je m’interroge aussi sur cette phrase : « il n’était pas possible, au moment de la cure, de luicréer une identité féminine ».

G. Morel aurait-elle ce pouvoir ?

S’essaie-t-elle à cet étrange tour de passe-passe avec des patients moins avancés dans leur transition? L’histoire ne dit pas, en tout cas, si elle a réussi à infléchir la volonté de Ven de bénéficier d’une opération. Plus loin, elle évoque la « stratégie de l’analyste »… mais pour arriver à quelles fins ?

« Après lui avoir expliqué en quoi consistent les parcours officiels, notamment sur la très longue durée du suivi psychiatrique avant de commencer quoi que ce soit de concret, il a pris systématiquement la défense de ses confrères, comme quoi il y avait bien une raison et que 2 ans sur les 60 ans qu’il me reste encore à vivre, ce n’est pas dramatique. Il a fini par « il faudra que vous soyez patiente ». Oui, après tout mon discours, il s’est quand même permis d’utiliser le féminin, le genre qui ne m’est pas adapté. Comme pour enfoncer le clou et me rappeler qu’il ne peut absolument rien pour moi, pas même le respect d’utiliser le genre que j’étais venu revendiquer. »

 Extrait du témoignage de J.

Évidemment, il est impossible d’oublier de parler de C. Chiland, à qui j’avais réservé dans mon TER un chapitre entier intitulé « un cas d’école » car c’est finalement comme ça que j’ai été amenée à la considérer après avoir compulsé nombre de livres et articles sur le sujet.

J’ai appris l’existence de cette personne par mon copain, qui est trans, et qui discutait avec un autre mec trans, découvrant par la même occasion que C. Chiland était une institution (et pas dans le bon sens du terme!) à elle toute seule dans le militantisme trans. Le genre dont on parle avec un petit sourire ou une moue d’exaspération.

C’est d’ailleurs un article édifiant d’elle qui m’a donné envie de réfléchir à la violence psychologique dont peuvent faire preuve certain-e-s psychologues à l’égard des sujets trans.

L’article « Problèmes posés aux psychanalystes par les transsexuels » est révélateur de la position de C. Chiland et celle-ci a valeur de vérité pour malheureusement trop de psychologues concernant la manière de penser et traiter les trans.

Le plus grave problème avec C. Chiland est qu’elle fait preuve d’une redoutable imperméabilité à ce qu’on lui dit, l’inverse lui permettrait peut-être de cesser de comparer la transidentité à une idée folle.

Je ne reproduirais pas ici les citations de C. Chiland que j’ai utilisé dans mon travail de peur que ce texte devienne à son tour violent pour une personne trans qui le lirait. À mon humble avis, aucun-e trans ne devrait être amené-e à tomber par surprise sur une citation de C. Chiland.

Je dirais seulement que C. Chiland va jusqu’à parler d’humaniser une patiente trans. Quel-le humain-e peut se permettre de vouloir entreprendre « l’humanisation » d’un-e autre ?

J’ai beaucoup entendu parler des dérives liées à la toute-puissance accordée au psychologue dans le cadre du suivi de trans, c’en est un exemple édifiant.

« Et là, suspens de quelques secondes, suivi d’un « C’est non, c’est un effet de mode que je ne tolère pas, si la thérapie ne vous intéresse pas, je ne peux rien pour vous »… Au plus haut niveau de déception, je me suis donc levé en lui disant qu’on avait plus rien à se dire dans ce cas, et je suis parti… »

Extrait du témoignage de J.

« Il est arrivé en retard m’a appelé par mon prénom féminin en insistant bien sur le « mademoiselle » et est rentré dans son bureau sans plus me regarder, ni me dire bonjour. Je me suis assis en face de lui et lui ai exposé le problème. Me coupant en plein milieu de mon explication il m’a dit « je vous appellerai mademoiselle, vous n’avez entamé aucun parcours et vu votre jeunesse, vous n’en entamerez aucun pour le moment. Vous êtes donc une femme, inutile de me dire le contraire. De plus, je pense que vous avez surtout un problème d’ordre psychologique ».

Extrait du témoignage de A.

Dans l’idéal éthique que je m’imagine de la pratique de psychologue, de telles paroles auraient dû provoquer un tollé de réactions indignées. Ce ne fut pas le cas -dans le monde psychanalytique et psychologique du moins.

Le code de déontologie des psychologues commence ainsi :

« Le respect de la personne humaine dans sa dimension psychique est un droit inaliénable. Sa reconnaissance fonde l’action des psychologues. »

Il dit aussi :

« Article 19: Le psychologue est averti du caractère relatif de ses évaluations et interprétations. Il ne tire pas de conclusions réductrices ou définitives sur les aptitudes ou la personnalité des individus, notamment lorsque ces conclusions peuvent avoir une influence directe sur leur existence »

Il semble évident que le seul fait de parler d’ « humaniser » une patiente va tout à fait à l’encontre de ce principe.

Je ne finirai pas ce syllogisme car je crois savoir que C. Chiland s’est montrée plutôt mécontente et irritée à la lecture de mon travail, au point de rédiger une petite lettre au président de l’université où j’étudie pour protester et crier au scandale s’il s’avérait que mon TER me permettait d’obtenir ma licence de psychologie (et un rapide calcul de coefficients me prouva que ce fut bien le cas !).

Bref, fort heureusement, la communauté trans a fait un remarquable travail d’information sur les productions de C. Chiland et j’ai l’impression qu’en ce qui concerne le monde psychologique, son style pour le moins abrupt a le mérite de refroidir la plupart des psys. Cela n’empêche qu’il est très problématique qu’elle soit l’auteure d’un Que-sais-je ? -c’est à dire d’un ouvrage grand public- sur le sujet.

Même Jacques Lacan, le « grand Maître » de la psychanalyse moderne (en (f)rance, dont tout-e étudiant-e de psycho a entendu vanter les mérites pendant des heures entières de son cursus universitaire… y est allé de sa contribution transphobe. (J. Lacan, Sur l’identité sexuelle: à propos du transsexualisme, Entretien avec Michel H. (Le discours psychanalytique), Paris, Association Freudienne Internationale, (1996) pp. 312-347)

Heureusement, tous les concepts créés par la psychologie ne sont pas transphobes et il en est un qui est à la fois très intéressant et utile pour discuter des nombreux travers dont se rend coupable la psychologie vis-à-vis des trans, ce concept est celui de maltraitance théorique, développé par Françoise Sironi :

« Ce phénomène apparaît lorsque les théories sous-jacentes à des pratiques sont plaquées sur une réalité clinique qu’elles recouvrent, qu’elles redécoupent ou qu’elles ignorent. Elles agissent alors comme de véritables discrédits envers la spécificité des problématiques et des populations concernées. Ce type de maltraitance a un impact direct et visible sur les patients, les cliniciens, et sur la production de savoir dans la discipline concernée. On comprend alors que la portée de la maltraitance théorique n’est pas uniquement clinique, elle est politique. »

(extrait de F. Sironi, Psychologie(s) des transsexuels et des transgenres,Odile Jacob, 2011. p 14)

Ce qui est à la fois déstabilisant et révolutionnaire dans son propos est la reconnaissance d’une possible aggravation de l’état mental d’origine (due au contre-transfert) et la méprise qui consisterait à confondre le résultat de cette aggravation avec la pathologie qu’on essaie de déceler.

« La maltraitance par les théories et les pratiques génère des symptômes spécifiques qui sont souvent confondus avec la pathologie initiale du patient. Ces symptômes sont mis sur le compte d’une atypicité du tableau clinique, ou d’une “réactivité trop forte” du patient à l’impact de la pathologie initiale. Il s’agit de l’exacerbation du sentiment d’injustice et d’incompréhension, d’apparition de phobies, de généralisation de la méfiance, d’une hyper-réactivité, d’une anxiété permanente et diffuse, d’un repli taciturne et de vécus dépressifs majeurs. »

L’apparition de phobies puis de comportements d’évitement n’est qu’un des symptômes possibles de cette pathologie iatrogène, réactionnelle. Le mot iatrogène signifie « produit par le traitement ». Celle ci est, concrètement, cause de souffrances « comme la répétition de rejets préalablement vécus, une attitude de combat contre les projections inconscientes mais fortement ressenties, et une attitude de préservation, peu propice à l’introspection confiante qui est normalement attendue en pareille situation. » et d’après F. Sironi, ce phénomène n’est pas tout à fait étranger au risque de suicide :

« C’est cet enfermement « hors les murs », produit à la fois par une incompréhension familiale, sociale et aussi de la part des « psys » qui a conduit plus d’une personne transsexuelle au suicide »

Un autre effet néfaste est le discrédit et la méfiance des trans vis à vis des psychologues, perçu-e-s comme un groupe homogène hostile à leur démarche de transition. En effet, les psychologues et psychanalystes qu’on entend le plus, qu’on lit le plus sont ceux qui ont les idées les plus réactionnaires et empreintes de maltraitance théorique !

Au fond, la question n’est en effet pas tant de savoir pourquoi certain-e-s psychologues se comportent de la façon précédemment décrite envers les trans mais pourquoi illes ont fait en sorte que ce soient elles et eux que l’on entende, que l’on lise ou à qui l’on se réfère lorsqu’il est question des trans.

L’hypothèse selon laquelle certain-e-s d’entre eux agissent en quelque sorte par militantisme, par conviction en se portant garant d’une certaine morale n’est pas excluable. Si l’on revient sur l’exemple de C. Chiland, on peut noter que son discours sur les trans revêt la même rigidité conservatrice que son discours sur les homosexuel-le-s. On peut réellement faire un parallèle entre le traitement psy de ces deux minorités, à la différence près qu’en (f)rance, les trans, contrairement aux homosexuel-le-s subissent toujours une pathologisation officialisée, le rapport à la psychiatrie et la psychologie est donc différent.

« Le rendez-vous avec elle a duré tout au plus 10 minutes : elle m’a regardé d’un air méprisant pour commencer, et dans l’ordre : a ouvert mon dossier à toute vitesse, l’air exaspéré, lu les 3 premières lignes de ma bio, regardé mes photos d’enfance en en sautant la moitié du paquet, bref… Le tempo était donné… Pour conclure par un « bon alors vous voulez quoi hmmm…? Vous savez ce qu’on fait aux transsexuels qui veulent une phallo ? On leur prélève un lambeau radial d’un cm dont la cicatrice reste affreuse tout le reste de leur vie…! » Alors qu’il n’a jamais été question pour moi d’envisager une phalloplastie… Je n’ai même pas eu la liberté de lui répondre qu’elle avait déjà clos le dossier et la consultation par la même occasion d’un « bon allez… (sourire entendu) Vous êtes plutôt bien de votre personne alors restez comme ça hmm… » »

Extrait du témoignage de M.

Pour ce qui est des propositions et des solutions pour que le suivi des trans (que ce suivi soit en lien ou non avec la transition) s’améliore, je pense que la communauté trans aurait bien plus à dire que moi. J’ai cru comprendre à son contact qu’elle a même beaucoup à apprendre aux psychologues en matière d’écoute, d’entre-aide et d’empathie.

La communauté trans a d’ailleurs développé, pour pallier à la mauvaise qualité des soins psys qui lui étaient proposés, un remarquable réseau d’auto-support et de solidarité, notamment via Internet.

L’empowerment, la création de dispositifs comme les forums, les sites informatifs et les brochures faites par des trans et des associations trans comme Chrysalide à Lyon ou Outrans à Paris permettent une réappropriation de la parole et des savoirs.

En parlant de réappropriation de la parole, voici un entretien réalisé avec Raph, un militant trans rennais qui propose des formations sur les transidentités.

* * *

• Quelle est la raison de la création de tels ateliers-formations ? En quoi consistent les ateliers-formations que vous proposez à Rennes et à qui s’adressent-ils?

• L’idée de ces ateliers-formations est née du constat du manque d’information dont les associations LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) sur les thématiques trans. Des trans venaient aux permanences proposées par les associations, mais celles-ci n’étaient pas en mesure de répondre aux questions sur les parcours trans, et les trans reçu-e-s ou fréquentant ces associations étaient parfois victime de la transphobie (de la transphobie basique ou émanant d’un manque d’informations) de la part des bénévoles LGB.

Ces formations mettent aussi en avant les revendications des trans, qui sont parfois méconnues par des associations qui se revendiquent comme LGBT, mais qui n’ont des revendications axées que sur l’homosexualité.

Ces ateliers-formations consistent concrètement à présenter les parcours trans médicalisés ou non (dans leur diversité, comme il n’existe pas un seul type de parcours et que ce parcours n’est pas forcément médicalisé), la distinction entre orientation sexuelle, genre social et genre psychologique, les revendications trans, les difficultés que rencontrent les trans face à l’État, aux professionnel-le-s de santé et aux administrations, et des conseils concernant l’accueil des personnes trans (ne pas genrer les personnes avant qu’elles ne le fassent elles-même, utiliser le bon prénom, ne pas poser de questions intrusives, etc…).

• Quelles sont les réactions du public auquel vous les proposez ?

• Le public est généralement intéressé par la formation, et en ressort plutôt choqué par le traitement des trans par l’État français et les médecins.

• Pourquoi estimez vous qu’en tant que trans, vous êtes les plus à même de dispenser ces formations ?

• Les expert-e-s auto-proclamé-e-s ont eu la parole pendant trop longtemps. Il-le-s parlent de ce qu’il-le-s connaissent à travers des témoignages biaisés de personnes trans obligé-e-s d’adapter leur discours (même si ce discours correspond dans certains cas ce que vivent certain-e-s trans, mais de loin pas tout-e-s) à ce qu’attendent les psys pour pouvoir vivre leurs vies comme il-les l’entendent. Nous devons nous ré-approprier cette expertise.

Nous sommes les seul-e-s capables de dire (et légitimes à le faire) comment nous vivons nos identités. Nous n’avons pas besoin d’études sur pourquoi nos identités sont différentes de celles des cisgenres, nous avons besoin que les médecins écoutent nos vécus et se rendent à l’évidence qu’il-le-s n’ont jamais réussi à changer l’identité de quiconque, et que la solution pour les trans qui désirent entamer une transition médicalisée est de l’entamer.

Les psys qui ont de toute évidence un gros problème de transphobie (comme Chiland, Mercader, etc, etc, etc…) et qui semblent avoir peur des trans (Chiland avec son affolement de la boussole, Mercader qui s’endort avec ses mains sur ses seins depuis qu’elle prend des transboys en consultation, etc…) devraient, pour le bien de tout le monde (aussi bien des médecins que des trans) arrêter de travailler sur nos vécus.

La dernière chose dont ont besoin les trans, c’est de médecins méprisant-e-s qui pensent qu’on a une « idée folle ». Ces personnes n’ont de toute évidence pas compris grand chose aux transidentités et devraient se mêler de ce qui les regarde: leur transphobie.

On peut nous répondre que les médecins sont des professionnel-le-s et savent ce qu’ille-s font, mais si c’était vraiment le cas, les trans n’auraient pas à ce soucier de la maltraitance théorique de la part de leurs psychiatres, des prescriptions d’hormones inutiles et dangereuses de la part de leurs endocrinologues (Lutéran) et des non-compétences des chirurgien-ne-s français-e-s en matière de chirurgie pour certains types d’opérations et de suivi post-opératoire.

• Votre dernière formation était destinée aux professionnel-le-s de santé.

Comment s’est-elle déroulée?

• Bien que 100 lettres et des mails aient été envoyés à des médecins, à l’Ordre des Médecins du 35 et au deux IFSI de Rennes par Commune Vision, l’association qui organisait, AUCUN médecin n’est venu. J’ai été très déçu de l’indifférence des professionnel-le-s de santé face à ce sujet. L’indifférence face au fait qu’une partie de la population préfère souvent ne pas aller se faire soigner en raison des préjugés des professionnel-le-s de santé sur les transidentités est tout simplement dangereux. Le fait d’être trans, de donner gratuitement de son temps, d’accepter de servir de support pédagogique pour pallier le manque de formation des médecins, et le manque d’informations sur les transidentités, tout ça pour se retrouver sans professionnel-le-s de santé, ça me met vraiment en colère.

Je pense soit que les médecins se sentent super aptes à accueillir des trans (et en tant que trans qui va comme tout le monde chez le médecin de temps en temps, je peux attester que je n’ai jamais rencontré un-e médecin qui n’ait aucun préjugé sur les trans, qui ne m’ait jamais soit posé une question déplacée ou qui n’ait jamais fait de lien entre ma transidentité et la raison pour laquelle je venais le/a consulter), soit ille-s refusent d’écouter des trans parler de leurs problèmes avec les médecins, de leur santé, de leurs identités, d’écouter les conseils qu’il-le-s ont à leur donner, parce qu’ille-s ne veulent pas reconnaître que nous savons mieux qu’ell-eux ce que nous vivons.

* * *

Et ensuite ?

Les années passent et malgré les tracts des assos, les communiqués, les Existrans et autres manifs, la transidentité figure toujours dans le DSM et est toujours considérée comme une maladie mentale.

L’amélioration globale du suivi des trans risque de rester plafonnée tant que cela sera le cas.

On ne peut pas nier qu’il y a beaucoup de dérives dans le traitement discursif et clinique de la transidentité et donc des personnes trans. Des témoignages émergent, révélant des comportements indignes du potentiel de la psychologie clinique. Les trans en ont marre d’entendre parler d’elleux et de leurs réalités en des termes qui ne les reflètent pas et semblent bien décidés à faire entendre leur voix pour que cela évolue.

Un réel défi se pose dès lors à la psychologie, à la psychanalyse et à la psychiatrie : sauront-illes entendre cette indignation et y apporterons nous notre soutien ? Cela ne pourra se faire sans se détourner de certains discours qui ne peuvent plus être tolérés, comme ceux de C. Chiland dont nous avons étudié et critiqué la teneur.

Il sera dur pour certain-e-s de reconnaître que dans cette situation un choix s’impose et que se placer du côté des militants ne peut que rapprocher de l’éthique que se doit d’avoir tout-e psychologue. Si l’on fait un parallèle avec le traitement de l’homosexualité, il est naturel que ce changement s’accompagne de l’abandon du statut d’expert-e par des psychologues non-trans et du retrait de la transidentité de la nosographie internationale des pathologies mentales.

Ce qui peut nécessiter un accompagnement psychologique -volontairement engagé par la personne et non imposée dans le cadre d’un parcours- doit être laissé à l’appréciation de celle-ci : il se peut que les changements corporels occasionnés par l’hormonothérapie, même s’ils sont quasiment tout le temps accueillis avec joie et soulagement, donnent matière à discuter de cette nécessité de s’adapter à un corps et un regard social modifiés, par exemple. Ou pas.

Pour cette raison, nous pouvons conclure sur l’hypothèse qu’il serait bénéfique à la fois pour les professionnel-les de la santé mentale et les trans que les premier-e-s apprennent à écouter les seconds et prennent la responsabilité de prendre leurs distances par rapport aux discours discréditants, irrespectueux et inadaptés produits sur les trans et souvent contre elleux.. Il serait aussi très bénéfique que les psychologues respectueux-ses des trans, dont je n’ai pas beaucoup parlé, il est vrai, mais dont je ne doute pas de l’existence pour autant, se fassent connaître et partagent leur expérience, notamment sur le phénomène du contre-transfert et la manière dont illes ont réussi à le gérer afin de faire alliance avec les trans contre la transphobie institutionnalisée dans les discours et les pratiques psychiatriques, psychologiques et psychanalytiques…


 Biblio (pas très recommandable)

• J.P JACQUES « Le discours transsexuel sur le corps », Cahiers de psychologie clinique 1/2008 (n°30), p. 147-158.

• C.MILLOT, Horsexe, essai sur le transsexualisme, 1983.

• J. LACAN, Sur l’identité sexuelle : à propos du transsexualisme, Entretien avec Michel H. (Le discours psychanalytique), Paris, Association Freudienne Internationale, (1996)

• J. LACAN, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, séance du 27 février 1957

• C. CHILAND, Changer de sexe, 1997.

• P. MERCADER, L’illusion transsexuelle, 1994.

• C.CHILAND, Le transsexualisme, collection Que sais-je ?, 2003.

• G. MOREL, Ambiguïtés sexuelles, sexuation et psychose, 2000.


Mise en ligne : 30 mai 2013.

Qui a peur des transféministes ?

Genres Pluriels

Association de Bruxelles

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Qui a peur des transféministes ?

Suite à une demande de partage de nos expériences sur les violences faites envers les personnes trans* et intersexes dans le cadre du festival « Tous les genres sont dans la culture » 2012, nous avons souhaité faire apparaître les violences institutionnalisées, dont les mécanismes sont ceux du sexisme et de l’hétéropatriarcat.

Au quotidien, nous avons pu constater l’expression de ce sexisme autant dans les structures sociales dominantes, que dans nos rapports avec certaines associations féministes, et qu’au sein même des structures trans*. Ces mécanismes alimentent toutes les formes de transphobie.

Voici l’avant-propos qui a introduit la brochure du festival 2012 :

« Saviez-vous que Genres Pluriels fête cette année ses cinq ans ? Que de chemin parcouru depuis les débuts de l’association en 2007 !  Ce parcours, nous l’avons pour une bonne part accompli côte à côte, non seulement avec les associations LGBTQI, mais aussi avec les féministes.

Ce qui nous est toujours apparu comme une évidence ne va pas sans heurs (nous incitant constamment à la remise en question), mais force est de constater que la méfiance cède peu à peu le pas à des convergences prometteuses, qui semblent annoncer l’avènement d’un courant fort.


En effet, même si nous n’avons pas tous.tes les mêmes positions et les mêmes actions, c’est ensemble que nous devons lutter pour les droits humains, et contre toutes les formes de discrimination et d’oppression, à commencer par le sexisme et l’hétéropatriarcat.

Aussi les liens, forcément complexes mais très encourageants, qui sont en train de se tisser entre les mouvements trans* et féministes, constitueront-ils le fil conducteur de la quatrième édition du festival « Tous les genres sont dans la culture ».

Nous vous invitons à le suivre, et à nous accompagner, par votre participation, tout au long de la programmation que vous découvrirez dans ces pages. »

 

Esquisse d’une définition de « transféminismes »

L’exigence d’une pensée non figée et fluide impose une définition en perpétuel mouvement. Les transféminismes sont des réflexions qui se nourrissent des féminismeS et qui s’émancipent des postulats binaires de corporalité et de genres. 

« Il ne suffit plus d’être une femme pour être traitéE comme une femme »

Les perspectives trans*-spécifiques dans la lutte

contre le sexisme et l’hétéropatriarcat

En changeant de rôle social, les personnes trans* modifient les attentes de la société, rendant caduques les postulats naturalistes sur lesquels se fondent les discriminations sexistes. Quand une personne ne peut rentrer dans une des catégories binaires pré-établies, la société force la catégorisation par le renvoi systématique aux aspects pseudo-biologiques – excluant de fait les réalités intersexes – et par la pathologisation des comportements et revendications « non cis-conformistes ». Les personnes assignées en filles ou en garçons à la naissance, quel que soit leurs comportements effectifs, ne bénéficient pas des mêmes réactions de la part de leur entourage. Les personnes trans* et intersexes sont, de ce fait, mises dans des situations paradoxales, où elles doivent correspondre à des schémas incompatibles.

Par exemple, si une personne trans* se masculinisant décide de prendre la parole en public, elle bénéficiera potentiellement de plus de temps de parole et d’attention, mais s’octroiera moins facilement ces possibilités. De plus, le refus de certains groupes essentialistes ou naturalistes à reconnaître le nouveau rôle social de genre d’une personne manifeste une prise de pouvoir sur la corporalité et la parole d’autrui.

Pour pouvoir se construire et avoir une bonne estime de soi, il est nécessaire d’avoir des représentations positives de ses propres corporalités. Les personnes trans* et intersexes n’ont pas de modèles de base et sont obligéEs de créer les leurs. Historiquement, même les féministes, qui pourtant avaient des modèles existants, ont eu besoin de créer des ateliers pour se réapproprier leurs corps. Une des démarches des transféminismes consisterait donc en la réappropriation des corps, en la modélisation des corps trans* et en la visibilisation bienveillante de ceux-ci. Un des aspects de la réappropriation effectuée par les réflexions transféministes résiderait dans la création perpétuelle de nouveaux mots, nouveaux concepts et nouveaux comportements afin d’appréhender une multitude de réalités. Ceci découle du constat qu’on peut établir trois périodes sur la courte histoire trans* : la première correspondant au recours à la psychiatrisation par nécessité, la deuxième se positionnant en opposition avec les normes binaires pré-établies mais donc ne réagissant toujours qu’en fonction de la norme, et la troisième créant des discours propres et autonomes.

Certaines revendications trans* et intersexes, comme celle du retrait de la mention du « sexe » sur la carte d’identité profite non seulement aux personnes trans* et intersexes, mais aussi aux combats féministes puisque sans cette indication, on ne peut plus faire de discriminations administratives basées sur le genre. Par ailleurs, cela engendrerait une obligation de créer d’autres interfaces de réflexions pour nommer une multitude de catégories sans les hiérarchiser.

L’hétéropatriarcat et le sexisme créent des corps normaux et des corps a-normaux, avalisés par l’idéologie médicale occidentale. La croyance que le masculin singulier vaut pour l’universel participe à la perpétuation de la considération comme « autre » de tout ce qui n’est pas masculin singulier. En découle la dévalorisation perpétuelle des corps intersexués et trans*.

Comment Genres Pluriels ancre ses activités dans des valeurs féministes ?

La notion de mixité à Genres Pluriels est déplacée sur les notions de trans* et intersexes d’une part, et cisgenres de l’autre. La pseudo-catégorisation ne repose que sur l’autodéclaration : il est inenvisageable à Genres Pluriels de catégoriser à la place d’une autre personne.

Le groupe de parole est un lieu de non-mixité (avec des exceptions filtrées notamment pour les stagiaires), ce qui se justifie par la nécessité d’un espace de parole libre et de création d’une pensée collective détachée d’une influence cis-normative.

La permanence mensuelle, de l’autre côté du spectre des activités, est ouverte à toustes, d’une part parce que celle-ci s’effectue au bar de la Maison Arc-en-Ciel de Bruxelles et qu’il s’agit d’une des conditions, d’autre part par soucis d’inclusion et d’accueil et pour ne pas reproduire un schéma de domination.

Les ateliers Drag Kings, créés avant Genres Pluriels, se veulent un espace de mixité dans lequel tous les êtres humains peuvent explorer les masculinités. Celles-ci sont donc conçues comme un outil de déconstruction du sexisme et de l’hétéropatriarcat.

L’atelier de féminisation, ouvert à toustes les personnes trans* et intersexes, est l’activité la plus récente, qui propose de donner de l’information sur des techniques dans un cadre de réflexions féministes. Par exemple, des exercices vocaux ont mis en avant les caractéristiques socialement construites de la voix. De même, le maquillage est appréhendé de manière diverse et dépendante du contexte : vie quotidienne, théâtre, télévision… Cela aide les personnes en transition à prendre conscience des stéréotypes sous-jacents et à les manipuler, afin de trouver leurs propres points de confort à travers la performativité de l’outil.

Il existe deux groupes de travail en interne : le Groupe Santé et le Groupe Média. Leur objectif est notamment de faire prendre conscience aux membres de leurs  positions d’expertEs, ce qui est une forme d’empowerment.

Le Groupe Média, constitué en réaction aux multiples reportages et articles de presse traitant d’une manière racoleuse et par dessus la jambe du sujet des transidentités comme d’un phénomène de foire, attaque le discours stéréotypé et transphobe des médias, notamment en mettant en exergue les caractères hautement sexistes des propos véhiculés. Des montages ont été réalisés, utilisant différents reportages reprenant systématiquement les mêmes images qui sont des clichés sexistes de féminité : par exemple les scènes de maquillage devant un miroir pour des discriminations au travail, comme s’il s’agissait d’une représentation complète d’une « essence trans ».

Renforcer les différents mouvements

Un constat s’impose pour tous les groupes minorisés : les mêmes mécanismes de domination sont à l’œuvre.

Le recours permanent à la pseudo-naturalisation, l’impossibilité d’une vision collective et d’entraide marquée par la pathologisation et l’interdiction de la parole publique, en sont des exemples.

L’avancée théorique des gender studies est un axe d’unification des différents mouvements féministes et trans*… justifiant l’utilisation du terme transféminismes.


Genres Pluriels, Visibilité des personnes aux genres fluides, trans’ et intersexes, Site de l’association, http://www.genrespluriels.be/-Accueil-Site-.html


Mis en ligne, 6 avril 2013.

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