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Entretien : Swann et Sandrine

Entretien avec
Swann et Sandrine


Swann et Sandrine : « Nous sommes des aliens pour le reste du monde ! »

 

Bonjour Swan : peux-tu te présenter ? Comment as-tu rencontré Sandrine ?

Je m’appelle Swann (37 ans), une fille de 13 ans, suis FtM ayant commencé ma transition en août 2004. Je suis en couple avec Sandrine depuis bientôt 2 ans. Je venais à peine de m’installer en Auvergne, on s’est rencontré sur un site et le lendemain nous nous sommes donnés rdv. Depuis ce jour là, nous ne nous sommes presque jamais quittés.

Est-ce que le fait d’être en couple a changé quelque chose dans ta transition ?

Le fait d’être en couple n’a rien changé car ça faisait déjà un moment que j’étais bien ancré dans ma vie d’homme. Physiquement, je suis barbu et j’ai une bonne masse musculaire donc seul ou en couple ne change rien pour ma part. Le 1er soir de notre rencontre, nous avons mis les points sur les « i » Sandrine et moi. Elle n’avait jamais connu une personne transgenre donc toutes les questions étaient bonnes à poser, même les plus intimes. Je l’ai laissé choisir son rythme de croisière mais il n’y a eu aucun souci entre nous étant donné que nous avions tenu à installer des bases solides entre notre couple.

On parle pas mal de transidentité. Jamais des transconjoints. Pourquoi d’après toi ?

Je pense que les conjoint(e)s sont souvent oublié(e)s car les gens ne peuvent pas penser ou croire que les transgenres ont des vies comme tout le monde. Avoir un travail, des enfants, une famille. A croire que nous sommes des aliens pour le reste du monde !!
Ce n’est certes pas toujours facile de trouver l’amour en tant que transgenre, mais rien n’est jamais impossible.

C’est plus compliqué d’être en trans-conjugalité ?

Pour ma part ce n’est pas compliqué d’être en couple, il suffit d’être honnête envers l’autre, comprendre aussi la difficulté de l’un et l’autre peut aider, chacun apportant son soutien.

Et les psys dans tout ça ?

Les psychiatres cherchent plus à nous enfoncer qu’à nous aider. J’en ai eu la mauvaise expérience, en parcours officiel à Paris. Quand je suis arrivé dans ce parcours, j’étais déjà bien avancé niveau hormonothérapie. Le psychiatre m’a sorti ses belles promesses « Je ne vous laisserais pas tomber « . Il m’a tendu la carotte pendant 2 ans pour au final me dire « Attendez que votre enfant ait la majorité, car une maman à barbe à la sortie de l’école ça dérange les autres !! ». Je comprends bien qu’une transition doit être plus que désirée, c’est irréversible une fois commencé. Beaucoup de perturbations et de changements s’en suivent, et je pense qu’il faut être prêt(e) psychologiquement pour commencer son hormonothérapie. Il est vrai qu’aujourd’hui il est important de laisser la place aux conjoint(e)s, c’est aussi eux qui nous portent et nous soutiennent quand ça ne va pas comme on veut. Ils supportent nos d’humeur et vivent nos joies autant.

Un dernier message ?

Le plus important est au niveau de la société, nos compagnes/ons facilitent notre intégration dans la communauté. C’est pour toutes ces qu’il est important de ne pas les oublier.

 

Sandrine, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle donc Sandrine (tu peux garder nos prénoms cela ne nous gène pas) et j ai 34 ans. J’ai deux garçons : un de 9 ans et un de 5 ans d’un précédent mariage. Je suis la compagne de Swann depuis bientôt 2 ans. Je ne connaissais aucune personne trans avant de le connaitre. Nous nous somme rencontrés grâce a un site et avons été en osmose directement comme si cela faisait des années que l’on se connaissait !

En quoi est-ce un atout ou en quoi est-ce difficile cette liaison ?

Quand nous en somme arrivés a la partie plus intime, Swann a eu un peu peur. Puis je lui ai demandé de tout me dire, de rien me cacher. Et là, il m’a expliqué qui il était, tout en détail. Je pense que vu mon regard il m’a demandé si je voulais partir… Comme tu peux le voir je suis restée et par contre je lui ai posé des questions plus ou moins intimes ou plus ou moins stupide quand j’y repense. Il fallait qu’il n’y ait aucun secret entre nous. Pendant deux jours ca a été non-stop une discutions sur les personnes transgenres.

Et toi ? Quel rôle a tu joué dans tout ça ?

Le rôle que j’ai joué ? Ca à été de parler de Swann a mon entourage. De faire accepter les personnes trans autour de mon entourage. Aussi, de faire « la secrétaire » pour lui envers les médecins, cela était plus simple qu’ils entendent la voix d’une femme avec son prénom de naissance. Puis j’ai été son soutien. Des fois juste par un regard quand il était obliger de reparler de toute son histoire…

D’après toi, pourquoi n’en parle-ton pas des transconjoints ?

On a tendance a oublier les conjoinst car souvent nous sommes dans leurs ombres. Ils ont tellement à nous apprendre. C’est toutes des personnes avec des coeurs gros comme ça. Puis aussi beaucoup de personnes pensent que les transsexuels, transgenres etc… n’ont pas le droit et/ou ne peuvent pas être heureux sauf que c’est faux ! Donc forcément, pour ces gens là, nous on n’existe pas.

Un dernier mot ?

Je vis un vrai bonheur depuis bientôt 2 ans. Les regards des autres je m’en fous tant que moi-même et mes enfants sont heureux et que ma famille accepte… le reste n’a pas d’importance. Il est important de dire qu’à mes yeux que toute personne a le droit au bonheur, qu’on soit black blanc beur hétéro homo handicapé ou pas, que la partie sexuelle des gens ne regarde qu’eux, eux-mêmes et leur entourage. Il faut que les gens apprennent à vivre heureux.


Mis en ligne : 28.02.2013.

Entretien : Marion et Catherine

Entretien avec
Marion et Catherine


Marion et Catherine : «  ce cheminement est aussi une transition pour le conjoint ».

 

 

– Pouvez-vous vous présenter ?

Marion, j’ai 50 ans. Je suis Psycho-Socio-Esthéticienne à Hôpital Charles Perrens. Catherine, j’ai 41 ans, je suis Auxiliaire de Puériculture à Hôpital Pellegrin.

– Comment vous êtes vous rencontrées ?

La rencontre s’est effectuée sur des lieux de travail différents mais entre collègues de même secteur médical. Moi, sur l’hôpital Charles Perrens, elle à l’hôpital des enfants de Pellegrin.

– Marion, dirais-tu que ta transition a été facilitée par le fait d’être en couple ?

Sans aucun doute ! Le simple fait de miser sur la confiance de l’être aimé, favorise la traversé du  »miroir ». Comment ne pas se  » détruire  », se reconstruire et renaitre sans une aide présente au quotidien ? Le simple fait de pouvoir partager les joies, bonheurs, anxiétés, doutes… sont sources de richesse à la construction de la personnalité. La prise de confiance en real life s’en est trouvée facilité du fait qu’elle m’ait évité certains écueils de comportements ou d’attitudes, parfois non adaptées.

 

– Catherine, de ton côté, quel rôle as-tu joué ?

Je pense lui avoir amené un coté rassurant voir protectrice dans notre relation.

Les hormones aidantes, je me suis trouvé plus calme, plus tolérante qu’avant avec un niveau d’empathie bien plus prononcé. Cette traversée du miroir m’a permis de découvrir l’envers d’une éducation masculine, avec des attentes nouvelles et des résultats autres que ceux que j’attendais. Ainsi, loin de me sentir son égale en termes bio, je savais qu’en moi s’opérait un changement si subtil, qu’à la fin, je pouvais appréhender une certaine connivence, somme toute assez féminine.

 

– On pense toujours la transition des individus, mais, à l’exception des enfants s’il y en a, on oublie les conjoints. Pourquoi d’après vous ?

Dans notre société judéo-chrétienne, le couple a encore (hélas) valeur de normalité mais en focalisant sur un des personnages, elle efface de fait le second et concentre son attention sur la démarche marginale du premier.

– Est-ce à dire qu’il est plus compliqué d’être en couple lorsqu’on est trans ? (Et pourquoi selon vous ?)

Oui, il est plus compliqué d’être en couple lorsque l’on est trans dans la mesure où il s’agit en fait de deux transitions. Je m’explique ; La mienne d’une part, pas évidente, et la sienne qui constitue à suivre et à s’adapter sans cesse aux changements en constante augmentation. Les repères s’en trouvent perturbés et l’adaptation au nouveau genre ne se fait pas sans quelques arguments parfois caustiques (…ou pris pour tels, question d’interprétation.)

De qui à tort à qui à raison, il est souvent bien difficile d’exprimer ses ressentis dans un corps qui change et dont les hormones potentialisent le moindre incident. Socialement, il faut aussi assumer une certaine image. Si mon genre évolue, ma préférence sexuelle reste la même et sommes catalogués de fait dans le milieu lesbien. Pour elle, c’est un peu dur à assumer, vis à vis de sa famille et de la société et pour elle même.

– La prise en charge du « transsexualisme » sont-elle, selon vous, compatible avec le fait d’être et de rester en couple ?

Absolument. Il s’agit d’un travail mis en œuvre communément. Les rigueurs du protocole, viennent baliser un parcours pour une marche à suivre. Et le simple fait d’être au sein d’une association est utile car elle répond aux nombreuses difficultés que peuvent rencontrer le couple dans ce cheminement qui est aussi une transition pour le conjoint.

– Qu’est-ce que vous aimeriez rajouter, dire, sur la place du conjoint dans la transition, qui vous semble important à souligner ?

Du courage, du courage, du courage…

 


Mis en ligne : 28.02.2013.

Entretien : Georges et Jeanne

Entretien avec
Georges et Jeanne


Georges et Jeanne : « Quelqu’un avec qui partager mes peurs, mais aussi mon bonheur »

 

 

Pouvez-vous vous présenter ? Comment vous êtes-vous rencontré ?

Nous nous appelons Georges (28 ans) et Jeanne (27 ans), nous nous sommes rencontrés en 2004 au début de ma transition. Des amis en commun nous ont présentés, ils avaient prévenu Jeanne de ma transition. Nous nous sommes tout de suite plus et par la suite nous nous sommes revus. Au bout du deuxième rendez-vous nous nous sommes mis ensemble tout naturellement.

Nous sommes mariés depuis 3 ans et avons eu deux enfants en juillet 2012.

Georges, dirais-tu que ta transition a été facilitée par le fait d’être en couple ?

Pour quelques questions pratiques elle se faisait passer pour moi, lors des paiements en caisse car mon physique ne correspondait pas à la photo de ma carte d’identité, pour la prise de rendez-vous au téléphone car ma voix était en pleine mutation. Ça m’a permis d’avoir quelqu’un avec qui partager mes peurs. Mais aussi le bonheur que ça m’a donné après les différentes opérations et l’acceptation de mon identité masculine par le tribunal.

Comment cela s’est-il passé entre vous ?

Jeanne : Ça n’a pas été facile car malgré le fait que je sache qu’il était en transition, sa famille utilisait toujours le pronom « elle » et prononçait tous les mots au féminin, du coup quand j’étais seule avec lui ça allait il n’y avait aucun soucis, mais dès que sa mère ou sa grand-mère me parlait on repassait au « elle » c’était très difficile pour moi car je commençais toujours la discussion avec « il » et ça finissais toujours en « elle ». Ca a duré le temps que la famille s’habitue. C’est sûr que ça n’a pas été évident pour eux non plus de s’adapter et de passer du « elle » au « il » en peu de temps ! Bon cette histoire de pronom c’est une chose… après il y a eu aussi le côté plus intime, et là il a fallu beaucoup discuter, car lui ne voulait absolument pas que je le voit complètement nu car son corps ne correspondait pas encore à son esprit donc petit à petit on y est arrivé, il a fallu lui redonner confiance en lui et qu’il n’ait pas honte de ce corps, lui faire comprendre que moi je voyais la même chose que lui, je le voyais « homme » même s’il avait encore des attributs « femme ». En fait je ne voyais même plus sa poitrine quand elle était encore là. Pour lui elle ne faisait pas partie de son corps et pour moi non plus d’ailleurs, c’est assez difficile à expliquer mais on va dire que c’était un peu comme une excroissance en fait. Après lorsqu’il a été opéré ça été beaucoup mieux. Mais il y a toujours ce corps qui doit s’approprier car il a été modifié et même s’il se faisait une idée du corps qu’il désirait il n’est pas comme dans ses rêve. Donc il doit faire le deuil d’un corps qu’il a toujours voulu et accepter un corps qu’on a façonné pour lui au gré des opérations.

Georges : Je pense que ça été difficile pour Jeanne car au début de la transition, j’avais des sauts d’humeur. J’avais peur qu’elle s’en aille car je n’avais pas confiance en moi. C’était difficile car j’aurai aimé faire toutes les opérations très rapidement mais il faut attendre un certain temps et du coup à chaque fois j’étais déçu et frustré, ça devait se ressentir dans le couple. Heureusement ça s’est amélioré avec le temps, j’ai appris à faire avec cette attente concernant les opérations.    

Jeanne, de ton côté, quel rôle as-tu joué ?

Je crois que j’ai joué un rôle de soutien et j’ai essayé de l’épauler autant que possible. Il a fallu être là pour le soutenir, l’aider à avancer, lorsqu’il y avait le psychiatre qu’il lui disait d’attendre encore un peu pour l’ablation des seins, ça été douloureux, lorsqu’il a fallu remuer le passé pour l’obtention des papiers d’identité, lors des différents entretiens quand on lui demande de raconter de nouveau son histoire, son parcours, lorsque nous avons commencé la procédure pour avoir un enfant, on nous a posé des questions intimes qui n’avaient pas lieu d’être posées… Bref être trans et compagne de trans c’est un combat de tous les jours, parfois ce souvenir est loin mais parfois ça nous reviens en pleine figure au moment où on ne s’y attend pas, c’est toujours là au-dessus de nos tête. On doit apprendre à vivre avec jour après jour, ensemble, nous ne sommes pas deux dans notre couple, nous sommes 3.

On pense toujours la transition des individus, mais, à l’exception des enfants s’il y en a, on oublie les conjoints. Pourquoi d’après vous ?

Nous pensons que le corps médical doit croire que comme  nous sommes « malades », nous ne sommes pas capables de construire une relation durable. Il faut aussi dire que pendant la transition avec la prise d’hormones les humeurs fluctuent énormément et parfois ce n’est pas du tout facile à vivre et à gérer pour la personne en transition comme pour le conjoint. Bon nombre de conjoint sont partis pour cette raison. Il y a aussi ces fois où la personne qui a fini sa transition ne veux plus du tout avoir affaire avec son passé et veux tout recommencer à zéro, comme une renaissance. Du coup il est possible de voir des couples qui se séparent une fois la transition complètement terminée.

Est-ce à dire qu’il est plus compliqué d’être en couple lorsqu’on est trans ?

Justement à cause de ces fluctuations d’humeurs, la personne en transition éprouve de nombreux changements internes et externes qui ne sont pas facile à gérer soit même alors en plus il faut composer avec le conjoint, la personne en transition n’accepte pas son corps tel qu’il est, alors comment accepter que quelqu’un d’autre aime ce corps que l’on déteste tant !

Lorsqu’on s’est rencontré, vous avez eu cette phrase « le problème des trans c’est les psychiatres ». C’est à dire ?

Effectivement les psychiatres sont une barrière haute de 2 ans avant de pouvoir faire la première opération, c’est extrêmement long lorsque l’on attend cette délivrance (ablation des seins ou hystérectomie) on dépend complètement de ces psychiatres qui dirigent nos vies. Maintenant nous pensons qu’il ne faut pas enlever complètement les psychiatres du parcours car certaines personnes sont « perdues » et ne savent plus vraiment qui elles sont, mon psychiatre m’a aider à y voir plus clair sur moi-même, beaucoup d’entre nous savent qui elles sont au fond d’elles. Cependant j’ai aussi rencontré des personnes qui sont encore perdues et grâce aux psychiatres elles ont évité l’opération irréversible. Nous savons combien ce parcours est long et douloureux, mais nous croyons qu’il faudrait diminuer ces 2 ans et passer peut être sur 1 an, nous pensons que ce serait bien que la France y réfléchisse… 

Merci à vous !


Mis en ligne : 28.02.2013.

Entretien : le Collectif TXY

 Collectif TXY

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Pouvez-vous nous présenter votre projet ?

Animé par un esprit de solidarité et de collaboration par des filles et des garçons transgenres, nous avons lancé le projet Txy comme un lieu de rassemblement, d’information, d’échange, de partage, de rencontres et d’activités pour toutes les personnes transidentitaires mais aussi pour toutes celles et ceux qui s’intéressent au sujet.

Quand avez-vous commencé ?

Nous étions plusieurs copines travesties et transgenres, respectueuses de nos différences dans nos parcours personnels, et dans une dynamique de partage pour nous entraider et nous soutenir dans l’épanouissement de notre identité de genre ; sortir du placard donc ! Cela a d’abord pris la forme de sorties avec atelier maquillage, trocs de vêtements et échanges d’astuces pour se travestir.

Pour accompagner cette dynamique et garder le contact entre nous, nous avons ouvert le site début avril 2012, sous le haut patronage de Florence, la Florence de Déshabillez-nous – Ces Messieurs Dames !

Depuis l’ouverture, ce site est en constante progression (il aura été visité par plus de 25 000 personnes en novembre 2012), nous surprenant et nous obligeant à nous structurer plus fortement dès le mois de mai dernier. Preuve sans équivoque d’un réel besoin de recherche d’information et de contacts dans la communauté transidentitaire. Et nous recevons aussi régulièrement des messages de remerciement et de soutien très clairs en ce sens.

D’où vient le nom Txy ?

Le nom du projet Txy peut sembler imprononçable, ce qui ne semble nullement gêner sa diffusion dans la communauté Trans’. Trois lettres, ça reste très facile à mémoriser.
Il faut prononcer Té ix y => phonétiquement juste prononcer les lettres comme dans l’alphabet.
Si tu es né homme, le nom peut être vu comme, quoique tu fasses, tu as des chromosomes XY : Té ix y
Si tu es née femme, le nom peut être vu comme, ben finalement t’es comme les garçons bio : Té ix y
Et pour tous les autres qui ne veulent pas être classifiés, té ix y rappelle juste que XY est le système biologique donc Té juste un être humain. Et qu’il existe aussi des XXY…
Le nom ayant été trouvé lors d’une séance brainstorming avec 5 ou 6 copines, je ne saurais même plus dire dans quel délire nous étions … en tout cas j’ai souvenance d’une bonne crise de fou-rire aux larmes avec tous les noms que fort heureusement nous n’avons pas utilisé …

D’où est venue l’idée de créer un tel projet ?

D’un ras-le-bol de voir les personnes transidentitaires associées systématiquement à la prostitution, au fétichisme, aux comportements déviants, voir à la maladie mentale.
Aussi d’un fort besoin d’aider les personnes transidentitaires à se rencontrer, à sortir de leur placard, car bien trop souvent seules dans leur coin avec de grosses difficultés, des déprimes, de la solitude, de l’incompréhension …

A ce sujet, nous avons découvert une communauté assez peu solidaire et souvent très discriminante envers celles ou ceux qui ont un parcours transidentitaire non-normatif ; nous voulons aussi lutter contre cela, montrer que chaque personne transgenre peut s’auto-définir dans son genre, suivre un parcours qui lui est très personnel et trouver sa zone de confort et que personne n’a le droit de la juger pour cela. Et que notre richesse à touTEs vient de cette diversité.

C’est d’ailleurs la principale raison qui nous a poussée à sponsoriser l’Existrans 2012 et à supporter l’ensemble des revendications, tant la frontière transidentitaire entre un travesti, un transgenre et un « transsexuel » est fluide et évolutive dans la vie d’une personne. Ce fût une belle occasion pour notre communauté Txy de nous retrouver touTEs ensemble et montrer que la diversité de nos parcours fait notre force !

Nous avons même lancé un appel pour que la voix des Trans’ pèse encore plus fort et que le collectif de l’Existrans se maintienne au delà de la marche et qu’il fasse entendre nos revendications unitaires. Force est de constater qu’il y a encore beaucoup de travail pour fédérer les énergies… mais c’est une idée que nous remettrons sur la table en 2013, fort de la dynamique de Txy et de ses soutiens.

Quels sont les principaux objectifs ?

Nous voulons aborder l’ensemble des sujets transidentitaires (relations aux autres, parcours de transition, féminisation, coming-out, traitements médicaux, changement d’état-civil, vie dans le couple, …), sans ignorer le sujet de la sexualité mais en luttant contre l’image stigmatisante, réductrice et faussée de la société bien-pensante.

Nous privilégions les relations sociales, l’entraide, l’échange et le partage et nous impliquons les compagnes et compagnons des personnes transgenres dans cette dynamique ainsi que toutes les personnes qui souhaitent apprendre et comprendre. Beaucoup des problèmes vécus par les personnes transgenres viennent de l’ignorance ou des préjugés d’une société médiatique ayant une propension naturelle à pointer du doigt la différence pour faire de l’audience.

Nous sommes aussi inspirés par des approches comme celles de Yagg ou de Têtu ; alors que ces communautés se positionnent principalement sur l’orientation sexuelle, nous voulons nous positionner principalement et clairement sur l’identité de genre.

Nous organisons entre autres des sorties avec atelier de maquillage et groupe de paroles pour aider nos copines à sortir de leur placard ; des compagnes participent aussi au grand bénéfice des couples qui veulent avancer ensemble sur un chemin parsemé d’embûche.

Le dernier événement a été réalisé le 13 janvier 2013 à midi à La Mutinerie – Paris pour la Galette des Reines où nous avons pu fêter touTEs ensemble la nouvelle année mais aussi discuter de la mise en place d’un groupe Narratif pour que les Trans travaillent à la réappropriation de leur parole et de leur image.

Au-delà d’une présence médiatique sur Internet les réseaux sociaux, nous voulons surtout pousser des activités qui permettent de nouer des relations sociales et de développer une image positive de la transidentité.

Nous avons par exemple réalisé un concours d’écriture sur la transidentité pendant l’été, concours qui a recueilli pas moins de dix sept textes de grande qualité que nous venons de publier dans le recueil Trans’ avec les Loups. Ce recueil de plus de 170 pages en couleur nous a permis aussi de mettre en valeur des artistes transgenres, plasticien, photographes, dessinateurs et des auteurEs de poèmes !

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Vous pouvez nous décrire un peu plus ce livre ? Qu’y trouve-t-on ?

Ce qui est fabuleux dans ce recueil qui s’est construit en quelques semaines avec la participation d’une vingtaine de personnes différentes entre les contributions, les relectures, l’infographie, … c’est qu’on y retrouve toute la diversité et la générosité de notre communauté Trans ! Le monde Trans est un monde de joie de vivre, de partage, d’épanouissement des personnes et qui sait approcher ses difficultés avec lucidité, sérieux, mais aussi avec légèreté. Ce livre, sous son aspect ludique de la création de nouvelles romanesques, de poèmes, permet de découvrir toute cette chromatique présente au sein des transidentités.

Roxanne Sharks, auteure transgenre est sortie de l’ombre après quarante années et a entamé un parcours transgenre depuis fin 2011. Elle est fervente protectrice des requins, espèce essentielle à l’équilibre des océans et de la planète, et pourtant allègrement détruite par les hommes. Son nom vient de là. Son prénom est tiré d’une célèbre chanson des années 80. Elle a réalisé une très belle synthèse de la transidentité telle qu’elle est vécue en France et 2012 et écrit un poème dans le cadre de ce concours. Roxanne a un style d’écriture très fluide qui met la transidentité à la portée de tout un chacun. Sa plume est légère et incisive. Elle est la gagnante de ce concours. Elle est aussi auteure du roman « Le siècle des pénombres » dont l’héroïne est une trans’.

Florence Grandema a réalisé la postface du livre. Florence est une personne transgenre dont le genre est de ne pas accepter d’avoir un genre, de surcroît décrété par l’anatomie sexuelle. Elle est mariée à Pascale depuis vingt-huit ans qui a toujours connu la particularité identitaire de Florence. Elles ont eu trois enfants et ont des petits enfants. Florence est totalement épanouie dans les sphères familiale, sociale et professionnelle.  Florence et Pascale militent ensemble pour une approche respectueuse de chacun et chacune dans l’expression ressentie par la personne. Toutes deux sont très attentives à la difficulté de la transidentité au sein du couple et œuvrent à faciliter l’intégration de cette dimension dans les couples où l’un-e des conjoint-e-s est transidentitaire.

Alixia Rainier est une créatrice papier, artiste plasticienne performer engagée contre le dictat du consumérisme. Elle réalise son travail de création à partir du papier qu’elle recycle et détourne de ses usages initiaux. Elle est en constante recherche de nouvelles formes, de nouvelles idées dans la réutilisation de ce matériau tiré du bois. Alixia est détachée de toute représentation de la femme telle que la société la conçoit. Elle représente une partie du spectre transgenre qui se refuse à se couler dans un moule au risque de choquer, et qui vit sa vie très librement. Sa joie, sa bonne humeur, son énergie, son attachement aux choses simples en font une artiste très appréciée par ses pairs. Son leitmotiv ? « « Envie d’être « moi » sans avoir à me prendre des réflexions sur le comment je dois être pour que les autres m’acceptent. Etre « moi », ce n’est pas la fin du monde… Si ! Pour les autres. » ».

Sophye Glamour transgenre et Dominique cisgenre forment un duo épatant et ont apporté leur contribution à ce recueil tant par l’écriture pour l’une que par le dessin pour l’autre. Domy appuie sa vie sur la devise « Aide toi, le ciel t’aidera ! », si tu veux quelque chose, cherche-le, et travaille pour l’obtenir ! Sophye n’est plus tout à fait un garçon mais pas tout à fait une fille issue d’une famille compliquée et éclatée, cultive la rencontre des autres. Sa devise : « Pourquoi devrions-nous avoir peur de l’inconnu ? ». Amoureuse de l’écriture, elle aime jouer avec les mots, ces petits êtres facétieux, pas toujours faciles à dompter. Sophye et Domy réalisent l’accord parfait entre la poésie et le dessin.

Louise Dumont a réalisé la photo de couverture du recueil.

Louise est surtout l’auteure d’une série de photos faites avec Diane sur le thème de la chrysalide homme vers femme. La photo de couverture du recueil présente toute la diversité des transidentités au travers de ce portrait où s’entremêlent la femme, l’homme, la transidentité dans une seule œuvre. La photo est pour elle un moyen de communiquer sans parler. Dans son dialogue avec la photo, elle estime que c’est plus la photo qui est venue à elle, qu’elle qui est allée à la photo. Autodidacte, elle pose d’abord pour un photographe qui travaille en argentique, et qui lui apprend la technique du développement, des effets sur le temps qui s’écoule dans les bains et les planches contacts. Louise a besoin de scénariser ses images, celles-ci fonctionnent rarement seules. C’est une idée, une valeur, un concept au départ à défendre. Puis le visuel et l’esthétisme viennent après.

Lors de sa séance avec Diane, elle lui proposera avant de la voir en studio, de réfléchir à une mise en scène minimaliste autour du passage du masculin vers le féminin. Cette approche plus sociologique qu’artistique, l’amène à vouloir plus tard se diriger vers l’art thérapie, l’art revendicatif et l’œuvre d’art comme fonction inutile. La photo est pour elle le moyen de se sentir utile notamment lorsqu’elle pousse ses modèles à décomplexer leurs complexes.

Nath-Sakura nous a fait le plaisir d’accepter d’utiliser ses œuvres d’art pour l’illustration de certains textes de ce livre. L’œuvre de Nath-Sakura ne commence à prendre toute sa dimension qu’à partir de septembre 2004, date à laquelle elle entame son changement de sexe. Forte de ce choix radical, la démarche de Nath-Sakura est particulièrement originale et contemporaine.

Nous ne pouvons énumérer toutes les personnes présentes dans ce livre, mais chacune a apporté sa pierre et chacune est aussi importante que l’autre.

La preuve par neuf qu’il est possible de construire touTEs ensemble un projet de visibilité positive. Le livre est toujours en vente ! 

Combien de personnes travaillent sur ce projet ?

Le projet Txy fédère plusieurs animatrices, géographiquement à Bordeaux, Nantes et Paris et plus de 70 contributeurs / auteurs dans une approche collective, bénévole et auto-gérée.

Nous sommes en permanence à la recherche de nouveaux participants et nous souhaitons une communauté la plus large possible, la plus diverse possible. Notamment nous trouvons la présence des FtM et des intersexes bien trop discrète (ceci est un appel !) !

Tout en restant indépendant et libre de tout mouvement associatif, nous avons des relations assez privilégiés avec certaines associations comme l’ABC et leurs membres actifs qui ont bien compris que notre approche est complémentaire de la leur et leur donne un surcroit de visibilité pour leurs activités. Nous tenons d’ailleurs à remercier Loan, la Présidente de l’ABC, qui a porté un regard bienveillant et des conseils précieux dès le début de cette aventure.

La coopération avec les principaux acteurs de la communauté, les associations mais aussi les organismes comme l’ODT, est un axe que nous souhaitons continuer à développer fortement dans le futur.

Que pouvez-vous nous dire des « huitièmes merveilles du monde » ?

Ce projet a vu le jour début janvier 2013 suite à l’idée que nous devons absolument présenter ce que nous avons de meilleur en nous.

Nous nous sommes fondées sur un concept outre-Atlantique consistant à poser une série de questions, toutes positives, à laquelle le-la T répond comme ille l’entend.

« Les huitièmes merveilles du monde » est une interview composée de huit questions auxquelles nous demandons à chaque T se prêtant à l’exercice, de répondre par écrit librement et au moins une des huit questions sous forme de séquence vidéo libre.

Au travers de ce projet, nous comptons présenter une dimension humaine aux transidentités et ainsi dé-montrer que la télé-réalité, les plateaux d’émissions à sensation ne sont plus les uniques espaces audiovisuels pour nous exprimer. Nous commençons ainsi à nous approprier notre image et ne plus la laisser être déformée au travers de montages parfois hasardeux, pour ne pas dire bien trop souvent dévalorisants. Ce projet d’envergure, ambitieux, nous en sommes conscientes, peut considérablement modifier à terme la perception que la population a de nous, ayant ce nouveau repère, les T vu-e-s par eulles-mêmes.

Nous souhaitons bien entendu arriver à séduire l’ensemble des personnes se sentant capables de réaliser leur propre interview. La liberté d’expression est telle que les pièges propres aux canaux audiovisuels classiques ne sont plus un frein.

La liste des personnes souhaitant participer activement à ce projet s’allonge de jour en jour. Une première interview est d’ores et déjà disponible par ici.

Quels sont vos prochains projets ?

Nous mettons en place un Groupe Narratif Transgenre, basé sur les Pratiques Narratives, pour identifier nos talents et savoirs particuliers, nos initiatives personnelles et extraire les problématiques sociales construites par les contextes dominants, puis laisser derrière nous notre « histoire » actuelle et trouver notre histoire « préférée ». Cela devrait donner lieu à la rédaction d’un ouvrage sur l’histoire transgenre. Tout un programme !

Sous l’’impulsion d’une contributrice fabuleuse, Nadine, nous sommes aussi en train de publier une série d’articles (la « timeline ») sur l’’histoire chronologique de la transidentité en France, de 1900 à nos jours. Un travail colossal bâti à partir de plusieurs sources fiables.

Sinon nous réfléchissons aussi à une web-radio, un calendrier de transgenres et à quelques autres projets que nous préférons garder secret ;), notamment pour aider les associations dans leurs activités.

Baobab1

Pratiques narratives et Transidentité

Avez-vous quelque chose à rajouter ?

Oui. Nous sommes sur un sujet encore tabou dans la société et nous sommes souvent discriminés avec de très lourds et difficiles préjugés. Nous espérons que ce projet Txy permette à la société de mieux comprendre et accepter la diversité de l’être humain. Et nous espérons convaincre un maximum de transidentitaires de nous rejoindre dans cette dynamique !


Mis en ligne : 31.01.2013.

Introduction et Entretien

Eric DEBARDIEUX

Sociologue

Johanna DAGORN

Sociologue


Eric Debardieux

Délégué ministériel en  en charge de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire

La prise en compte des violences de genre  en milieu scolaire représente un enjeu important.

En tant que délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, j’ai décidé de prendre ce phénomène en considération dans sa globalité, en allant au-delà des questions sexuées.

Notre approche est résolument genrée ; nous parlons d’ailleurs de LGBTphobie aussi la lesbophobie qui cumule à la fois le sexisme et homophobie.

Nous envisageons de traiter des violences de genre dans la prochaine enquête de victimation au lycée. Notre délégation est en train de construire un lexique relatif aux violences de genre qui traite à la fois du sexisme et de la LGBTphobie. L’observatoire des transidentités y sera associé.

Il est inacceptable que des élèves soient harcelés pour leurs choix ou pour des raisons identitaires.


Entretien

Délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire

Bonjour Johanna, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis membre de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire. Ma feuille de route à la délégation est relative à la prévention des violences de genre et à la lutte contre l’homophobie. J’ai soutenu ma thèse sur les violences scolaires dans les collèges favorisés en 2005, et je coordonne les CIDFF d’Aquitaine depuis 3 ans.

Vous venez d’être nommée dans une délégation ministérielle de l’éducation qui s’intéresse aux violences scolaires : en quoi ceci concerne t-il aussi les questions de genre ou, formulé différemment, les études de genre apportent-elles quelque chose à l’éducation ? Pouvez-vous nous donner quelques éléments concernant les garçons et les filles en prise aux violences scolaires de manière à voir si cela fait écho aux chiffres concernant la transphobie ? 

La dernière enquête sur la perception du climat scolaire selon le sexe (MEN, novembre 2012) montre des différences notables entre les garçons et les filles. Majoritairement, les filles se sentent très bien à 94% dans leur collège, contre 92% pour les garçons. Les garçons sont significativement plus nombreux à être victimes de violences physiques (38% contre 21% des filles). Par contre, la violence verbale, en particulier sexiste touche davantage les filles. Pour une fille insultée sur quatre, les injures proférées sont de nature sexiste, alors qu’elles ne concernent qu’un garçon insulté sur sept. Elles sont surexposées aux violences à caractère sexuel (7% en moyenne contre 4% pour les garçons). Seule variante, le voyeurisme qui touche 7% des filles et 5% des garçons… car la majorité des victimes de voyeurisme ont pour offenseur un jeune du même sexe. Mais de manière générale, la prévalence globale des victimations est prépondérante chez les garçons avec une fréquence répétée.

Vous avez déjà travaillé sur les violences scolaires, et il me semble que ce travail avait déjà permis de mettre à mal certain préjugés, notamment en terme de classes sociales : quels sont ces résultats ?

Mes travaux de thèse ont mis en perspective que la violence scolaire n’était pas l’apanage des milieux défavorisés et des banlieues comme il est régulièrement pointé. Elle renouvelle la problématique de l’effet-établissement comme instrument de domination dans ce type de collège. Dans le même renversement sociologique que M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot lorsqu’ils se sont rendus « dans les beaux quartiers » pour comprendre l’exclusion sociale, cette étude explore l’univers des collèges favorisés pour saisir les rouages de l’exclusion scolaire. L’analyse des données à travers les entretiens, les observations ethnographiques, mêlée à l’étude de traces et aux résultats du questionnaire pointe l’exclusion des élèves issus de milieu populaire. L’analyse thématique des entretiens et l’observation prolongée des actants en présence montrent que la culture d’établissement engendre cette exclusion et des violences très souvent occultées.

Qu’en est-il de la prise en compte des questions LGBT dans ces violences scolaires ? (ou pour commencer, la question homosexuelle)

La prise en compte des questions des violences de genre au niveau scolaire est très récente en France. Jusqu’à présent, l’école était indifférente au genre. Elle prend en compte cette dimension au sein même de l’éducation nationale avec un service dédié à la question de l’homophobie et de la transphobie. Nous travaillons d’ailleurs en collaboration avec les associations LGBT pour prendre en compte cette variable dans les prochaines enquêtes de victimation auprès des élèves.

Sur les questions trans justement, comment les appréhendez-vous ? Des propositions ont-elles été formulées? Ou, au contraire, tout reste à faire ?

Sur la question trans, à mon sens, tout reste à construire avec l’aide des associations de terrain. Les trans apportent des réflexions intéressantes sur les identités de genre par exemple. Nous les rencontrons régulièrement à la délégation (le délégué ministériel également en personne). Les questions liées au décrochage scolaire et au harcèlement entre pairs sont à recouper avec la question trans comme des facteurs de risque de décrochage et d’exclusion scolaire et sociale.

Les chiffres montrent un décrochage scolaire élevé pour les jeunes « trans ». L’explication classique est celle de l’effet de la « transphobie » mais une autre explication serait de dire qu’en ne parlant pas d’altérité de genre à l’école, celle ci ne permet pas aux élèves « trans » de créer des espaces de visibilité et de solidarité, un pas-vu-pas-connu institutionnalisé, la question trans étant définitivement une affaire d’adulte. Qu’en pensez-vous ?

C’est toute la question des discriminations. En étant « indifférente aux différences », l’école ne réduit pas les inégalités ; elle les perpétue. A la délégation, nous appréhendons les violences non d’un point de vue de la victime ou de l’agresseurE, mais  principalement des témoins. A mon sens, on devrait en faire de même pour les questions de genre en ne faisant pas une focale sur les individuEs, mais sur le social dans son ensemble. En remettant en cause les normes de genre hétéronormatives et figées dans les identités plutôt que les logiques et interactions des personnes dans leur singularité.

La controverse SVT, politisée à droite et muette à gauche, est loin d’être terminée. Quel est le rôle des programmes dans tout ça ?

Les programmes scolaires ne sont pas neutres et le choix de ce qui est enseignable ou non, induit des représentations du monde. En introduisant les théories de genre dans les manuels scolaires, l’école contribue à combattre les stéréotypes en instituant ce qui est  légitime ou non. Il en est de même concernant les femmes et les personnes issues de l’immigration dans les livres d’histoire. Même si cela n’est jamais suffisant, il permet de contribuer à combattre l’essentialisation des normes de genre, notamment.

Les chiffres de SOS Homophobie montrent aussi des barrières du côté des enseignants. Qu’en est-il de ce côté-ci de l’école ?

L’éducation nationale même si c’est récent a décidé de prendre ces questions en compte. Au ministère, M. Teychenné  est en charge de la lutte contre l’homophobie et la transphobie à l’école, et ma mission prend en compte ces dimensions au sein de l’éducation nationale. Des actions de formation envers la communauté éducative vont être mises en place avec toujours des liens avec les associations féministes et LGBT. 

Quels sont les projets sur lesquels vous êtes amenée à travailler qui pourraient permette de faire entrer la question trans à l’école ?

Je suis en train d’élaborer un lexique concernant la question du sexisme et des discriminations. La question y sera traitée. La prochaine campagne de lutte contre le harcèlement à l’école prendra en compte la question des violences de genre dans toutes ses dimensions et non pas que d’un point de vue sexuel ou sexué.


Mise en page : 01.01.2013

La transphobie en milieu scolaire

David Latour

Membre de l’association Chrysalide
Doctorant en civilisation américaine à l’université de Provence, Aix-Marseille I


Cet article est une version remaniée de « Témoignages d’élèves trans : Une parole différente à l’école des filles et des garçons » paru en février 2011 dans le n° 487 Des Cahiers Pédagogiques sur le thème « Filles et garçons l’école » (http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article7268), avec l’aimable autorisation des CRAP. Je tiens à remercier chaleureusement Isabelle Collet qui s’est battue pour que soit publiée la première mouture de cet article. 

 

La transphobie en milieu scolaire : témoignages d’élèves en transition  

Je suis un homme trans et je suis enseignant dans la fonction public ; avant cela, j’ai été élève et j’ai été très seul : c’est pour cette raison que je veux donner la parole à ceux et celles dont la différence reste inimaginable et inouïe pour l’institution et ses représentants, et qui souffrent en silence à « l’école des filles et des garçons ». Je veux parler des élèves en transition de genre et/ou de sexe[1] dont j’entends esquisser à grands traits la réalité méconnue en France. Afin de suggérer des pistes de réflexion, je compte notamment établir des parallèles avec la recherche menée en Belgique, au Québec, aux États-Unis et en Angleterre, en examinant la place de l’élève trans au sein de l’institution scolaire, les types de violences auxquelles il est confronté de la part des autres élèves et les solutions envisagées pour faire sa transition lorsqu’un jeune est encore au collège ou au lycée.

I. Exclusion et violence symbolique de l’institution

Y compris dans sa volonté d’ouverture républicaine, l’école « mixte » se heurte à ses propres contradictions puisque son appellation même présuppose une opposition irréductible entre le pôle « filles » et le pôle « garçon ». Dés lors, comment un-e élève dont l’identité psychologique n’est pas en conformité avec le genre social qu’on lui a assigné à la naissance peut-il/elle s’épanouir dans un système éducatif qui ne parle que des hommes et des femmes, rarement des homosexuel-le-s, et jamais des trans[2] ? Quentin[3], FtM de 29 ans, dresse un constat amer : « …j’aurais vraiment aimé pouvoir trouver une écoute et un peu d’aide extérieure à mon milieu familial dans mon établissement scolaire (…), être informé m’aurait considérablement aidé à cette période de ma vie où tout semblait si confus et insurmontable. »[4] Le sentiment tenace de ne pas être à sa place – sorte de « dé-placement affectif » dans la solitude – marque le début du questionnement transidentitaire. Nos voisins belges tirent le même constat puisque « c’est surtout l’absence de ‘communauté’ et d’ ‘empowerment’ qui constitue le principal problème »[5], constate le « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres ». Un accompagnement psychosocial grâce à des groupes de parole au sein de l’école semble d’autant plus nécessaire que le soutien familial fait souvent défaut.

Un-e élève trans comprend que l’école n’a pas prévu son existence dès le moment où il/elle veut simplement aller aux toilettes. Dominique, FtM, explique la stratégie qu’il avait réussi à mettre en place plus jeune : « Mon premier souvenir trans date de mes 4 ans. Grâce à mon prénom de naissance, Dominique, je me faufile du côté garçon à l’école maternelle ; juste un flip pour les moments pipis…». Et Quentin fait part du rejet dont il a été victime de la part des deux clans genrés : « Les petites filles me viraient des toilettes des filles parce que j’avais l’apparence d’un garçon (…). Les garçons me viraient des toilettes des garçons puisque j’avais un prénom de fille (…) Au final, je me débrouillais pour ne jamais avoir à aller aux toilettes à l’école ». L’organisation binaire de lieux tels que les toilettes, les vestiaires ou les dortoirs – ce que la sociologue Line Chamberlain nomme « les lieux scolaires sexués »[6] – semble indépassable aux yeux des élèves trans, car elle signifie qu’il n’y a pas de place pour eux dans l’institution.

Finalement, la ségrégation par sexe, ce cloisonnement binaire des corps, des esprits et des identités, pousse l’élève trans à s’exclure lui/elle-même du groupe classe puisqu’il considère que – symboliquement – il en est déjà exclu. Damien raconte :

Le pire je crois que c’était les cours de sport et la séparation activités de filles/activités de garçons. D’un côté la gymnastique (AGRS) et de l’autre les sports collectifs (foot, basket). Me retrouver à faire des pirouettes gracieuses sur une poutre ou un tapis de sol en justaucorps moulant devant tout le monde était carrément un enfer et j’ai préféré simuler un problème de santé et me faire dispenser de sport jusqu’au Bac. Cela a été très mal perçu de la part du corps enseignant et j’ai été considéré comme une ‘flemmarde’ pendant des années sans que jamais personne n’essaie de comprendre ce qui pouvait bien se passer pour moi.

Non sensibilisés, non informés mais façonnés par les mêmes préjugés que le reste de la population, l’écrasante majorité des enseignants sont incapables de lire les signes révélateurs d’un malaise sans doute exacerbé par la participation obligatoire à des activités largement hétéro-normatives. A propos de ce malentendu aux conséquences désastreuses, le « Rapport sur les transgenres en Belgique » conclue aussi que « (l)e comportement de coping le plus fréquent des jeunes (est) la fuite et l’éloignement vis-à-vis des facteurs de stress, en se distanciant de l’école. »[7] L’école est loin d’être un lieu positif et valorisant de socialisation pour les jeunes trans qui choisissent encore trop souvent de se priver d’études plutôt que de continuer à être brimé.es.

Une autre stratégie de survie par l’anticipation et l’évitement consiste à donner le change et à faire mine d’adopter l’identité dont les autres nous affublent. En jouant à ce jeu dangereux, Quentin se rappelle comment il a été très tôt rattrapé par la réalité :

Je me rappelle aussi qu’un jour notre instit’ nous a fait faire un exercice de dessin qui consistait à se dessiner soi-même à 20 ans. Moi j’avais dessiné une fille aux cheveux longs, parce que je pensais que (…) c’était ce qu’on attendait de moi. Tout le monde avait été extrêmement surpris par mon dessin et moi j’avais été extrêmement surpris que tout le monde soit surpris. Je me rappelle m’être senti encore plus perdu puisque quand j’étais moi-même je voyais bien que ça mettait mal à l’aise les gens, mais quand j’essayais de me conformer à ce que je pensais qu’ils attendaient de moi, ils semblaient à nouveau déroutés.

Trois grands types d’exclusion apparaissent donc : soit les élèves trans sont rejeté-e-s par leurs pairs dans les activités hétéro-normées mises en place par l’institution et les enseignants, soit ils s’excluent eux-mêmes pour ne pas subir d’avantage de discriminations, soit ils font semblant de jouer le jeu de la norme de genre et souffrent en conséquence.

 

II. Les violences transphobes en milieu scolaire

Les données scientifiques sur la transphobie et les actes transphobes au collège et au lycée sont rares. Sans surprise, il n’existe aucune étude française spécifique sur ce sujet, même si nous avons pu récolter bon nombre de témoignages personnels. Pour essayer d’y voir plus clair, nous devons donc regarder ce qui se fait au Québec, aux États-Unis et en Angleterre et recouper ses informations avec des études françaises à portée générale. Les travaux existant dressent un état des lieux alarmant de la situation des élèves trans. En 2009, Line Chamberland a conduit une étude au Québec ayant pour titre « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaire ». Elle y conclut que « (l)es jeunes lesbiennes, gais, bisexuel-le-s et transsexuel-les/transgenres (LGBT) sont plus à risque que leurs pairs non LGBT de subir de l’intimidation, des menaces, du harcèlement et des agressions physiques en milieu scolaires »[8]. Les élèves déviant de la norme hétérosexuelle et/ou hétérogenrée sont donc victimes d’actes violents de la part de ceux et de celles qui veulent représenter la norme. Ajoutons à cela qu’y compris à l’intérieur du groupe dit « LGBT », des disparités de traitement existent. En effet, aux Etats-Unis par exemple, insultes et insécurité sont le lot quotidien des « élèves transgenres [qui] sont confrontés à plus de persécutions et de violence que les élèves homosexuel-l-e-s et bisexuel-e-s. Les conséquences sur les victimes se traduisent par l’absentéisme scolaire, des résultats inférieurs à ceux des autres et un sentiment d’isolement et de non appartenance à la communauté scolaire »[9] rapporte une étude du GLSEN. Publiée en 2009 et menée sur un échantillon de 295 élèves trans de 13 à 20 ans, cette étude est fort justement intitulée « De dures réalités » (« Harsh Realities »). Les chiffres avancés sont éloquents : durant l’année précédent l’enquête, 89% des élèves trans ont déjà été insultés ou menacés à cause de leur orientation sexuelle et 87% à cause de leur expression de genre, au moins la moitié ont déjà été agressés physiquement à cause de leur orientation sexuelle (55%) ou à cause de leur expression de genre (53%) et plus d’un quart a été agressés physiquement (coups de poing, coups de pied, menace avec une arme) à l’école à cause de leur orientation sexuelle (28%) ou à cause de leur expression de genre (26%)[10]. N’oublions pas ce qui est arrivé à Gwen Araujo, lycéenne harcelée par ses camarades, assassinée à l’âge de 17 ans et dont le corps a été retrouvé enterré. Elle avait été ligotée, rouée de coups et étranglée pour avoir « menti » sur sa « véritable nature » au jeune homme qu’elle fréquentait comme le rappelle le téléfilm A Girl Like Me qui retrace les dernières heures de la jeune fille[11].

En Europe, Stephen Whittle, Lewis Turner et Maryam Al-Alami de l’organisme anglais Press For Change avaient mené deux ans auparavant une enquête sur les discriminations dont sont victimes les trans, du nom de « Engendered Penalties », que l’on pourrait traduire en tentant de conserver le jeu de mot par « Pénalités en-gen(d)rées ». Dans la section consacrée à l’école, il est dit que les élèves trans souffrent bien plus de harcèlement moral et physique que les élèves LGB et qu’« environ 64% des jeunes garçons trans et 44% des jeunes filles trans seront harcelés ou persécutées à l’école, non seulement de la part des autres élèves mais aussi de la part du personnel encadrant, y compris des professeurs. »[12] Les conclusions rapportées aux Etats-Unis par l’étude du GLSEN quant à la surreprésentation des trans parmi les victimes de crime de haine envers les LGBT sont valables de ce côté-ci de l’Atlantique. Néanmoins, Whittle et al. précisent que les jeunes filles « masculines » semblent moins bien acceptées que les garçons « efféminés », contrairement au préjugé souvent véhiculé. De surcroît, la précision de leurs recherches leur permet de pointer du doigt le rôle déterminant des adultes et du personnel enseignant dans la propagation de la transphobie. 

En matière de transphobie scolaire, la France ne fait pas exception. Les trans forment l’une des minorités les plus malmenées, et cela n’est pas sans conséquence. Une étude menée par HES et Le MAG publiée en avril 2009[13] indique que 67% des jeunes transsexuel-le-s ont déjà pensé au suicide du fait de leur transidentité, et que 34% ont déjà effectué au moins une tentative. Amélie, 28 ans, témoigne de son mal-être et de son envie d’en finir : « Je ne savais pas vraiment pourquoi je n’allais pas bien à l’époque. J’ai tenté de mettre un terme à ma vie sans en avoir le courage. » Bien entendu, ça n’est pas la transidentité qui pousse au suicide mais la détresse dans la laquelle les élèves trans se trouvent. Ceux-ci sont victimes de brimades et de vexations au quotidien de la part de leurs camarades cisgenres[14]. Amélie se remémore aussi une scolarité marquée par une mise au banc sociale : « À l’école, j’étais toujours le petit garçon exclu par les autres. Jusqu’au lycée, ça allait, les filles m’acceptaient encore pour jouer avec elles. Les garçons par contre étaient très violents et n’acceptaient pas que je n’aime pas jouer avec eux. ». Entre déprime et provocation, Dominique, quant à lui, ne semble jamais avoir pu s’épanouir à l’école et y trouver sa place, comme le montre son attitude : « L’école? Un cauchemar, je ne fais rien du tout, je n’ai même pas de cahiers. Isolement entrecoupé de périodes ‘d’organisateur de chahuts délires’ ». Si, à première vue, le témoignage de Dominique semble très différent de celui d’Amélie, il témoigne en réalité d’un vécu semblable à celui d’Amélie : victimes de brutalités, tous deux ont vécu la solitude en classe et ont réagi par la violence, qu’elle soit envers les autres ou retournée vers eux-mêmes.

Il existe également un lien très fort entre les violences transphobes et le décrochage scolaire. Ce qui est observé dans le rapport du GLSEN semble se vérifié chez nous aussi. D’après une étude du CRIPS[15] menée en 2007, 21% des personnes transsexuelles déclarent avoir arrêté leurs études à cause de la transphobie. Julie, 18 ans, confie sa peur d’être découverte : « Moi, je n’aurais pas pu tenir si on m’avait parlé au masculin ou si les élèves avaient été mis au courant de la situation. » Elle a choisi de vivre cachée, mais Matteo, élève en 1ère STI, a préféré faire son coming out auprès du proviseur de son lycée et de ses camarades : « …j’aurais dû fermer ma gueule. Aujourd’hui je suis en cours d’engagement à l’armée pour quitter le lycée (…) ‘grâce’ a mon coming out je dis au revoir aux études car [on m’a] plusieurs fois plaqué contre un mur avec une lame de 15 cm sous la gorge en me demandant si j’avais des couilles ou non ».[16] Ne pas respecter l’identité de genre revendiquée par un-e trans, c’est déjà discriminer ; s’en suivent les remarques, les insultes et le rejet, puis les atteintes au corps : les coups, les viols… Dès lors, comment concilier transition et études secondaires?

III. Ecole et transition : quelle stratégie pour les élèves ?

Pour faire leur transition, les élèves trans doivent tout d’abord échapper à cette violence trop souvent passée sous silence qui oblitère l’identité de la victime au profit de la loi du plus fort. On constate le même phénomène au Québec où ceux qui choisissent de faire une pause dans leurs études, soit entre le collège et le lycée, soit entre le lycée et les études supérieures, profitent de conditions idéales : « les cheminements les plus positifs sont souvent vécus par ceux qui n’ont pas eu à sortir du placard »[17] signale Sylvia Galipeau. Toutefois, tous les élèves ne peuvent se permettre d’arrêter leurs études, même momentanément. Certains, comme Samy, font le pari de faire leur transition tout en poursuivant leurs études secondaires. Il insiste sur la « peur que ça ne fasse pas crédible aux yeux du lycée, qu’en juin [il se soit] présenté sous [son] identité F et qu’en septembre, [il] leur fasse tout un pataquès pour pouvoir utiliser [son] identité masculine, comme ci c’était ‘le délire de l’été’. » Il précise que, au fond, il voudrait simplement avoir droit à une éducation sereine et « [préfèrerait] [se] concentrer sur [ses] révisions du bac cette semaine plutôt que d’organiser cette conversation, gérer ses conséquences… » Bref, si faire son coming out est une nécessité pour faire une transition, c’est aussi se jeter dans l’inconnu, potentiellement se mettre en danger, et être souvent poussé à interrompre sa scolarité.

Pour échapper à cela, nombreux sont les élèves qui décident de changer d’établissement. C’est le cas de Grégory qui explique : « …quand j’ai changé de lycée cette année, j’ai tout de suite parlé à quelqu’un de l’administration de ma situation (la CPE), qui s’est montrée très compréhensive et qui a mis mes nouveaux professeurs au courant. » Mais la situation reste épineuse à gérer pour le jeune homme qui doit composer avec la réalité : « Comme j’étais également à l’internat des filles, je me suis aussi chargé de faire mon coming out à tout l’étage, et à toute ma classe durant le premier mois, en leur demandant de ne pas trop ébruiter l’information ». Mais que se passera-t-il lorsque l’information viendra à s’ébruiter ? Dans quel dortoir le fera-t-on finalement s’installer ? Comment les élèves et les parents d’élèves réagiront-ils ? En cas d’hostilité, bénéficiera-t-il du soutien de l’administration ?

Cependant, une déscolarisation ou un changement d’établissement ne suffisent pas toujours à briser le cycle de l’acharnement transphobe, surtout lorsqu’un élève trans a fini par intérioriser une part de la transphobie dont il a été victime. A cet égard, d’autres témoignages font état d’humiliations constantes, menant l’élève à un profond sentiment d’échec personnel. Ainsi, le jeune Yvan, FtM québécois de 16 ans bientôt hormoné, parle des brimades, des coups et des conséquences que ces humiliations ont eues sur sa scolarité :

J’ai arrêté l’école en septembre 2007 car mon ‘secret’ avait été découvert et je me faisais battre, niaiser (…). Maintenant je suis prêt à retourner à l’école (…). Je vais recommencer en septembre 2008, je suis inscrit en gars à cette école (…) Personne ne me connaît alors personne va savoir que j’ai un corps de fille… Mais j’ai vraiment peur qu’ils le découvrent et j’adore l’école mais si le monde le découvre je vais encore arrête et il n’y a pas d’autre école dans le coin. J’ai vraiment peu que ça recommence encore  (…) Je suis vraiment écœuré de me faire battre et niaiser (…). Je ne sais pas quoi faire. Depuis que [je sais] quel [est] mon Problème je suis plus heureux mais je ne veux pas tout perdre en retournant à l’école.

Cet élève est brisé moralement, et sans le soutien de ces parents qui ont accepté qu’il entame sa transition avant sa majorité et qu’il change de lycée, qui sait ce qu’il serait advenu de lui.

Au Québec toujours, face à une institution bien peut réactive et rarement encline à accepter la diversité et les différences, la mère de Samantha prend les devants en laissant sa fille s’affirmer dans l’intimité de la maison parentale, comme le fait le personnage de Granny avec Ludovic, petit garçon qui veut devenir fille, dans le film Ma vie en rose[18] d’Alain Berliner. Le soulagement de l’adolescente de 14 ans n’est que provisoire car chaque jour, il faut retourner à l’école, redevenir Samuel et faire face à la même incompréhension de l’institution et des élèves. Très rapidement, la jeune MtF s’enferme à la maison et ne va plus à l’école. Sa mère prend une décision radicale mais probablement salvatrice : « Une année scolaire, ça peut se reprendre. Une vie, ça ne se reprend pas (…). Il va falloir couper les ponts, déménager, trouver une autre école. Je ne vois pas d’autre solution. Parce que, en ce moment, quand je pars le matin, ma grande question, c’est : est-ce que mon enfant va être encore en vie ce soir? » Voilà le genre de préoccupation qui occupent l’esprit d’un parent d’enfant trans, voilà le genre de situations dont l’école doit répondre. 

***

L’institution scolaire doit sans cesse se remettre en question. Par les enseignements qui y sont dispensés et l’organisation de ses locaux, elle est vectrice et productrice de discriminations à l’encontre des élèves trans. Il est temps que l’école de la Républicaine Française apprenne à composer avec ses élèves trans et qu’elle fasse le pari d’être l’école de tou-te-s dans le respect de chacun-e. En outre, les jeunes trans sont victimes, encore plus que les élèves LGB de violences scolaires de la part de leurs paires, au point que les jeunes trans sont souvent obligés de vivre leur identité souhaitée ailleurs, dans un autre établissement. Les élèves bios doivent donc eux-aussi être éduqués en matière de problématique de genre et de transidentité. Les témoignages livrés ici sont précieux et riches d’enseignements. J’espère que ceux-ci ainsi que les analyses synthétiques et comparatives qui en découlent pourront servir de point de départ au personnel éducatif pour travailler sur l’acceptation des élèves transidentitaires dans les établissements scolaires en allant au-delà de la simple problématique des rapports « filles/garçons ». Je ne propose pas de solution « clef-en-main » pour répondre aux innombrables questions que soulève la présence des élèves trans dans les institutions scolaires de la République. En revanche, nous pouvons nous inspirer des interventions en milieu scolaire contre l’homophobie et la lesbophobie par Contact et SOS homophobie. Des brochures de sensibilisation pourraient être diffusées, telles celles éditées par le GIRES, intitulée « Quelques conseils pour combattre les brutalités transphobes à l’école » (« Guidance on Combating Transphobic Bullying in Schools »[19]) et qui s’adresse aux élèves trans et à leurs allié-e-s. Enfin, l’association Chrysalide a mis en ligne gratuitement sur son site des outils pédagogiques (une bande-dessinée et un quizz[20]) pour informer sur la réalité des transidentités. A l’origine, ces outils étaient destinés à figurer sur une clé USB financée par la Région Rhône-Alpes et s’appelait « Discrimi-NON ! ». Il a finalement été décidé que la transphobie était un phénomène périphérique qui n’avait pas sa place sur une telle clé.

Il y a deux ans, j’écrivais en guide conclusion des lignes qui sont toujours d’actualité : Cet article est un texte trop rare sur une question encore émergeante en France ; il doit également marquer une impulsion dans le corps des trans enseignant-e-s et chercheu-r-se-s : nous devons nous approprier notre histoire pour ne pas laisser parler à notre place ceux et celles qui n’ont pas légitimité à produire du savoir sur nous, et documenter la culture et l’histoire de notre communauté et nous donner les moyens d’avancer ensemble.

 


Bibliographie 

Berliner, Alain. Ma Vie en rose, [film], Belgique/France, Haut et Court, 1997.

Chamberland, Line et al. « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires ». Rapport de recherche – Programme actions concertées. Section 3 [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://www.fqrsc.gouv.qc.ca/upload/editeur/RF-LineChamberland.pdf

 Chrysalide. Site Officiel de l’association. 2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://chrysalidelyon.free.

 CRIPS. « 67ème Rencontre du CRIPS Ile-de-France : Personnes trans’, quels enjeux de santé? ». [en ligne]. Lettre d’information n°84, 11/2007 [consulté le 25/07/2010]. http://www.lecrips-idf.net/lettre-info/lettre84/L84_1.htm

 Dorais, Michel et Eric Verdier. Petit manuel de gayrilla à l’usage des jeunes. Béziers : H&O éditions, 2005.

 Galipau, Silvia. « La Transphobie à l’école : une dure réalité ». [en ligne] 14/05/2009. [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.alterheros.com/cite/2009/05/transphobie-a-lecole-une-dure-realite/

 GIRES. « Guidance on Combating Transphobic Bullying in Schools » [en ligne] 28/02/2010 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://www.gires.org.uk/assets/Schools/TransphobicBullying.pdf

 Greytak, Emily A., Joseph G. Kosciw, Elizabeth M. Diaz. « Harsh Realities : The Experiences of Transgender Youth in Our Nation’s Schools ». A Report from GLSEN [en ligne]. 17/03/2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.glsen.org/binary-data/GLSEN_ATTACHMENTS/file/000/001/1375-1.pdf  

 HeS et Le MAG. « Enquête sur le vécu des jeunes trans et transgenre ». [en ligne]. 20/04/2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.hes-france.org/propositions/commissions/questionnaires-com-trans/enquete-sur-le-vecu-des-jeunes

 Holland, Agnieszka. A Girl Like Me : The Gwen Araujo Story, [film], Etats-Unis, Lifetime, 2006.

 IEF. « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres ». [en ligne]. 2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications

 Whittle, Stephen, Lewis Turner et Maryam Al-Alami. « Engendered Penalties : Transgender and Transsexual People’s Experience of Inequality and Discrimination ». Press For Change. Wetherby : Equality Review. [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement :   http://www.pfc.org.uk/pdf/EngenderedPenalties.pdf


[1] La transition est la période pendant laquelle une personne évolue dans son genre psychologique, social et physique.  

[2] On peut se définir transsexuel-le, transgenre, intergenre, travesti-e etc. chacun-e trouvant l’identité ou la définition qui lui convient le plus, ou bien en inventant d’autres. Par raccourci de langage, et afin d’être le plus juste possible en essayant d’inclure un maximum de personnes concernées par cette problématique, nous employons le terme général de « trans ».

[3] Tous les prénoms ont été changés tout en respectant leur genre. Le genre indiqué (FtM ou MtF) est uniquement le genre revendiqué par les témoins. Un homme trans ou FtM (Female to Male) est une personne s’identifiant (plutôt) en tant qu’homme mais assignée au sexe biologique et social féminin à la naissance. De plus, une femme trans ou MtF (Male to Female) est une personne s’identifiant (plutôt) en tant que femme mais assignée au sexe biologique et social masculin à la naissance. On s’adresse aux hommes trans au masculin et aux femmes trans au féminin. Toutefois, ces définitions restent larges et n’ont pas vocation à figer les identités des personnes trans mais à informer les personnes non trans.

[4] Tous les témoignages ont été récoltés en 2009-2010 dans des correspondances privées, sur des forums Internet avec l’autorisation des leurs auteur-e-s, ou sur des sites et des blogs. Ils sont fidèlement retranscrits à l’exception des fautes d’orthographe.

[5] IEFH. « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres », p. 74 [en ligne]. 2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications

[6] Line Chamberland et al. « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires ». Rapport de recherche – Programme actions concertées. Section 3 [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement :

http://www.fqrsc.gouv.qc.ca/upload/editeur/RF-LineChamberland.pdf, p. 15.

[7] IEFH. « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres », op. cit. p. 75. Le « coping » (de l’anglais « to cope » qui signifie « s’en sortir ») désigne l’ensemble des stratégies de survie mises en pace pour faire face aux discriminations dont un individu est victime.

[8] Line Chamberland et al. « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires ». op. cit., p. 2.

[9] « Transgender students face much higher levels of harassment and violence than LGB students. And these high levels of victimization result in these students missing more school, receiving lower grades and feeling isolated and not part of the school community. » Ma traduction. Emily A. Greytak, Joseph G. Kosciw, Elizabeth M. Diaz. « Harsh Realities : The Experiences of Transgender Youth in Our Nation’s Schools ». A Report from GLSEN [en ligne]. 17/03/2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.glsen.org/binary-data/GLSEN_ATTACHMENTS/file/000/001/1375-1.pdf, p. vi. 

[10] Cf. Emily A. Greytak, Joseph G. Kosciw, Elizabeth M. Diaz. « Harsh Realities », op. cit., p. xi.

[11] Agnieszka Holland. A Girl Like Me : The Gwen Araujo Story, [téléfilm], Etats-Unis, Lifetime, 2006.

[12] « Some 64% of young trans men and 44% of young trans women will experience harassment or bullying at school, not just from their fellow pupils but also from school staff including teachers. » Ma traduction. Stephen Whittle, Lewis Turner et Maryam Al-Alami. « Engendered Penalties : Transgender and Transsexual People’s Experience of Inequality and Discrimination ». Wetherby : Equality Review. [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://www.pfc.org.uk/pdf/EngenderedPenalties.pdf, p. 17.

[13] HeS et Le MAG. « Enquête sur le vécu des jeunes trans et transgenre ». [en ligne]. 20/04/2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès :

http://www.hes-france.org/propositions/commissions/questionnaires-com-trans/enquete-sur-le-vecu-des-jeunes

[14] Les personnes cisgenres, ou bio, sont des personnes non trans.

[15] CRIPS. « 67ème Rencontre du CRIPS Ile-de-France : Personnes trans’, quels enjeux de santé? » [en ligne]. Lettre d’information n°84, 11/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès :

http://www.lecrips-idf.net/lettre-info/lettre84/L84_4.htm

[16] Faire son « coming out » (de l’anglais « to come out » qui signifie « rendre public ») vient de l’expression « to come out of the closet » c’est à dire « sortir du placard » ou révéler son homosexualité. Par extension, cela signifie que l’on révèle une partie de soi  cachée car perçue comme source de honte ou de danger, ici, la transidentité.

[17] Silvia Galipau. « La Transphobie à l’école : une dure réalité ». [en ligne] 14/05/2009. [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.alterheros.com/cite/2009/05/transphobie-a-lecole-une-dure-realite/

[18] Alain Berliner. Ma Vie en rose, [film], Belgique/France, Haut et Court, 1997.

[19] Cf. GIRES. « Guidance on Combating Transphobic Bullying in Schools » [en ligne] 28/02/2010 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement :

http://www.gires.org.uk/assets/Schools/TransphobicBullying.pdf

[20] Cf. Site Officiel de l’association Chrysalide. 2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès :   http://chrysalidelyon.free.fr/bd.php et http://chrysalidelyon.free.fr/quizz.php


Mis en ligne : 01.01.2013.

Karine Espineira, entretien sur la construction médiatique des trans

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Karine Espineira,
entretien sur la construction médiatique des trans

Co-fondatrice de l’Observatoire des Transidentités et Sans Contrefaçon
Université de Nice – Sophia Antipolis

Bonjour Karine. Tu t’apprêtes à soutenir ta thèse sur la construction médiatique des transidentités. Peux-tu nous résumer ton propos ?

Mon étude porte sur la représentation des trans à la télévision. Représentations qui forcent ou aspirent au modèle. Autrement dit, je m’intéresse au processus de modélisation. Comment créé-t-on des figures archétypales ? Peut-on établir des typologies « télévisuelles » ou « médiatiques » ? Au départ était la mesure d’une fracture, d’une dichotomie entre la représentation des trans par le terrain transidentitaire lui-même. A l’égal de nombreux autres groupes, les trans se sont exclamés qu’ils ne se reconnaissaient pas dans les images véhiculées par les médias. Souvenons qu’une grande partie des personnes trans médiatisées ont tenu ce propos. Le premier exemple qui me vient à l’esprit est celui d’Andréa Colliaux chez  Fogiel en 2005 : « Je suis là pour changer l’image des trans dans les médias » avait-elle dit. Propos réitérés à maintes reprises par elle-même et d’autres personnes chez Mireille Dumas, Christophe Dechavanne, Jean-Luc Delarue ou Sophie Davant.

Militants et non-militants dénoncent les termes de la représentation. Cela questionne. Pas d’effet miroir. Quelle est donc cette transidentité représentée dans les médias ? Existe-t-il des modèles ? Sont-ils hégémoniques, construits, voire coconstruits ? La question ultime étant à mon avis : « mais comment sont donc imaginés les trans par le jeu du social, par les techniques et les grammaticalités médiatiques ? Faisons entrer dans la danse la culture inhérente aux deux sphères (médiatique et sociale) et l’on obtient ce que l’on nomme une problématique.

Le concept de médiaculture proposé par Maigret et Macé (2005) a été essentiel. Je propose à mon tour de parler de modélisation médiaculturelle pour décrire la figure culturelle transidentitaire au sein des médias. Les trans sont des objets de la culture de la « culture populaire », de la « culture de masse ». A la suite de Morin et de Macé, on parle non pas d’une « culture de tous » (universelle), mais d’une culture « connue de tous ». Comment les imagine-t-on ces trans faut-il insister ? J’aime donner un exemple certes réducteur à certains égards mais parlant. Combien d’entre nous ont déjà rencontré des papous de Nouvelle Guinée, des chamans d’Amazonie ? Peu, on s’en doute. Pourtant, pour la majorité d’entre nous ils sont « connus ». Nous en avons une représentation mentale, dans certains cas : une connaissance. De quelle nature est cette modélisation ? Sommes-nous en mesure d’expliciter plus avant ? Cette représentation et cette connaissance sont-elles issues d‘écrits de voyageurs plus ou moins romancés, plus ou moins occidentaux  et occidentalisant, culture coloniale ou post-coloniale ? Connaissance sur la base de croquis, de bandes dessinées, de dessins animés, de films, de documentaires, de reportages ? Comment trier ? Il n’y a pas une seule représentation qui puisse se targuer d’une autonomie totale face à l’industrie culturelle médiatique. Cette grande soupe confronte et mélange nos imaginaires.

Une dernière note pour parler du terme « travgenre » apparu pour dénigrer des trans et même des homos remplaçant en quelque sorte le terme « folle ». On voit que le Genre est ici chargé du préfix trav’. J’y vois l’expression de la modélisation de la figure travestie sans cesse ramenée à une forme de sexualité « amorale » alors que les premières femmes habillées en homme démontraient que le « travestissement » était déjà un premier et spectaculaire changement de Genre. Les « conservateurs » défont eux aussi le Genre en tentant symboliquement de le cantonner à une sexualité trouble et honteuse. Pour ma part, j’ai souhaite anoblir le terme « travesti » en le plaçant  du côté du Genre.

Ta thèse est amorcée dès ton premier livre « la transidentité : de l’espace médiatique à l’espace public » (2008) : qu’est-ce qui a changé sur cette période ?

L’institué transgenre perce. Bien qu’encore très confidentielle, on voit une représentation transgenre émerger avec des documentaires comme L’Ordre des motsFille ou garçon, mon sexe n’est pas mon genre, Diagnosing difference, Nous n’irons plus au bois, entre autres productions depuis 2007-2008. On peut noter le rôle des télévisions locales à ce sujet. Les France 3 Régions par exemple ou les chaines du câble, couvrent ces représentations avec plus d’intérêt et d’application. Le travail d’associations et de collectifs sur le terrain se mesure ainsi, même si la télévision demeure encore très maladroite en se « croyant » obligée de faire intervenir une parole « experte » dont elle pourrait pourtant aisément se passer si les journalistes démontraient plus de confiance en leurs interlocuteurs trans, en peut-être en se questionnant plus franchement sur ce que les trans produisent comme « effets identitaires » sur eux et l’ensemble de la société.

La motivation des documentaristes change particulièrement la donne : soit ils veulent du fond de culotte, avec des récits d’opérations plus ou moins réussis, reproduire avec une ou deux nouvelles médiatiques le énième documentaire sur les trans, ou bien se mettre en danger intimement et professionnellement en donnant la parole à ces trans qui dénoncent l’ordre des Genres, d’inspiration féministes, qui souhaitent proposer de nouvelles formes de masculinités et de féminités croisées et non oppositionnelles, et ne pas venir renforcer l’ordre symbolique de la différence des sexes. J’ai une approche spécifique, une sorte de mix entre Foucault et Castoriadis pour décrire le phénomène : tous les trans ne veulent pas être des sujets dociles et utiles à une société qui fait de la différence (de genre, d’ethnie, de confession, d’orientation affective et sexuelle, de classe…) une inégalité instituée et instituante.   

Cette entreprise de recherche est particulière à plus d’un titre. C’est la première en Sciences de l’Information et de la communication sur le sujet mais surtout, c’est la première thèse sur les trans soutenue par une trans. On sent bien la question de la double légitimité : peut-on être chercheuse et militante ? Peut-on prendre part et prendre parti ? Comment contre attaques-tu ?

Pour donner un cadre à mon propos sur ce point, je dois préciser que j’ai mené des études en Sciences de l’Information et de la Communication dans les années 80 et 90, de l’université de Grenoble et à la Universidad Autonoma de Barcelone. J’ai « lâché l’affaire » en  3eme cycle pour des raisons de financement notamment. Je travaillais précisément sur les mises en scène du discours politique à la télévision. J’ai bossé dans le ménage industriel (je tenais le balai !) comme dans la formation multimédia dans le domaine de l’insertion sociale et professionnelle. En 2006, j’ai pu reprendre un master 2 Recherche à Aix-en-Provence dans le dispositif de la formation continue. Poursuivre en thèse de Doctorat à l’Université de Nice a été une suite logique. Je dois beaucoup à deux chercheures, à Françoise Bernard pour sa confiance qui a été un grand encouragement, et à Marie-Joseph Bertini qui a accepté de diriger une thèse dont le sujet « exotique » sur le papier n’aurait pas été assumé par beaucoup d’autres en raison notamment de la résistance de certaines disciplines tant aux études de Genre qu’aux études culturelles, sans même parler de Trans Studies qui n’en sont qu’à leur balbutiements dans la perspective la plus optimiste.

La nouveauté de la recherche comme la question de l’appartenance au terrain ont été des enjeux méthodologiques. A tel point d’ailleurs que très rapidement, je me suis mise à parler de « défense théorique ». Je vais passer sur les lieux communs bien qu’ils aient des raisons d’être, par exemple ne serait-il pas gênant d’interdire aux femmes à d’étudier le sexisme et le patriarcat, aux blacks la colonisation ou l’esclavagisme, les beurres l’intégration, etc… A l’énoncer, je flirte avec la caricature mais c’est pourtant cette caricature qui nous est opposée. N’oublions pas que les chercheures dites « de sensibilité féministe » étaient fortement suspectées au sein de l’université, celles-là même qui ont introduit les études de Genre.  

J’ai interrogé l’observation participante et la recherche qualitative avec Bogdan et Taylor. On parle de mon immersion dans le terrain on est d’accord. Mais je suis déjà immergée et jusqu’au cou si l’on peut dire. Toutefois, avec Guillemette et Anadon la recherche produit de la connaissance dans certaines conditions que je ne vais pas détailler pour ne pas réécrire ma thèse, mais pour moi cela se résumait  ainsi : la question de la mise à distance  du terrain dans une proportion acceptable : expérience propre du « fait transidentitaire » (le changement de Genre), sa pratique sociale, son inscription dans la vie émotionnelle, sa conceptualisation et sa théorisation « post-transition ». Où chercher la neutralité analytique ? Ai-je cherché à tester (valider/invalider) des hypothèses ou des intuitions ? L’adoption d’une orientation déductive m’est impossible mais en recherche qualitative je peux articuler induction et déduction. On voit que le chemin va être tortueux !

Suivant Lassiter, j’ai préfère parler de participation observante. Avec Soulé et Tedlock, j’écarte l’expérience déstabilisante du chaud (l’implication émotionnelle) et du froid (le détachement de l’analyse). Pour ne pas être suspectée par l’académie, démontrer une observation rigoureuse et faire valoir d’une distanciation objectivée, il m’aurait fallu renoncer à mes compétences sociales au sein du terrain pour expérimenter à la fois la transformation de l’appartenance et l’intimité du terrain. On ne doit pas renoncer à la difficulté de l’intrication du chercheurE qui est source de richesses. J’ai porté mon regard in vivo mais aussi beaucoup a posteriori. Évidemment, je me suis appuyée sur Haraway avec l’épistémologie du positionnement et ses développements avec Dorlin et Sanna. Castoriadis explique que « ce n’est jamais le logos que vous écoutez, c’est toujours quelqu’un, tel qu’il est, de là où il est, qui parle à ses risques et périls, mais aussi aux vôtres. » Avec Haraway, il faut reconnaître le caractère socialement et historiquement situé de toute connaissance. J’ai dois assumer un cadre épistémologique constructionniste et interprétationniste. 

Il y a un passage que j’aime dans ma thèse, un passage aussi modeste que gonflé dans un certain sens, je le retranscris ici : « Notre expérience est antécédente à la recherche, à l’instar du fait transidentitaire remontant si souvent à la petite enfance. Le monde social transidentitaire, depuis la culture cabaret-transgenre, comprend aujourd’hui ces données essentielles que sont le sentiment d’anormalité et de clandestinité durant une partie de l’existence. L’habitus trans’ combine ces vécus individuels et collectifs, électrons vibrionnant autour de l’atome : non pas née, dois-je dire, mais bel et bien devenue irréversiblement. Le « hasard » ici importe peu. Avoir vécu le fait transidentitaire c’est avoir appris l’institution de la différence des sexes. Aussi qualifierions-nous volontiers notre recherche comme participation « auto et retro-observante ». En appeler en effet à l’histoire propre, ressentir et résister, imaginer et supputer, percevoir et se faire déborder, lâcher prise et expérimenter la réalité transidentitaire – voilà ce qui fait antécédence ici, de l’habitus « trans » sur la socialité « ordinaire ». On ne devient outsider  au terrain transidentitaire que parce qu’on a choisi de faire de la recherche. Et de même, on ne devient insider à ce même terrain que parce que le changement de genre a précédé cette recherche ».

Ma posture m’a autorisé une récolte de données difficilement égalable par d’autres moyens méthodologiques : « Être affecté» par son terrain a permis à Favret-Saada d’élaborer l’essentiel de son ethnographie, condition sine qua non des adeptes de la participation observante selon Soulé. Être affecté « par nature » veut dire par la force des choses car on ne choisit pas son lieu de naissance, la couleur de ses yeux ou de sa peau par exemple. Cela implique l’individu dans ce que je vais appeler une posture auto-retro-observante à considérer comme relation (affects, engagements intellectuels, contaminations diverses) antécédente à l’élection du terrain pour les chercheurEs dans un cas similaire au mien.

Toujours sur la recherche en général, quel regard portes-tu sur le traitement universitaire cette fois-ci de la question trans aujourd’hui en France ?

Pour le dire franchement, nous sommes aux frontières de l’innovation et du foutage de gueule. Je m’explique. C’est très intéressant d’étudier les questions de genre. Mais laisser les expertises trans au placard c’est pas la meilleure méthodologie pour produire de la connaissance. Le terrain trans suscite de l’intérêt chez de jeunes chercheurEs. Le nombre d’étudiantEs reçus cette année venant de sciences politiques, de sociologie, ou même de journalisme en dit long sur l’intérêt pour les questions trans et inter. Ce public ne vient pas chercher des patients et se montre généralement respectueux des personnes. Peut-être certains gagneraient-ils à mieux expliciter leur sujet et prendre le temps de détailler ne serait-ce qu’une esquisse de problématique. Mais globalement ça va dans le bon sens.

Le foutage de gueule serait plutôt dans des sphères plus confirmées. J’ai quelques souvenirs de sourires condescendants, quand ce ne sont pas des marques d’irrespect comme de mépris affiché. Un chercheur qui vous « tacle » sur une voix tremblante attribuée à « une rupture  épistémologique » (genre : « mais vous êtes trans ! ») alors qu’il est juste question d’un simple trac ; une autre vous dit en tête-à-tête qu’elle n’aime pas s’afficher avec des trans ; d’autres semblent aimer « dominer intellectuellement » leurs sujets et ne pas oser affronter la véritable expertise issue du terrain.

C’est clair, ce n’est pas avec ce discours que je vais me faire plus d’amis mais sérieusement je ne tiens pas non plus à sympathiser avec quelqu’un qui me considère comme un singe savant. Cela n’est pas sans me rappeler le regard que j’avais comme immigrée chilienne sur la façon dont les gens parlaient à mes parents arrivés en France en 1974. Ta couleur de peau ou ta langue suffit à provoquer une disqualification sur l’échelle des savoirs et de la reconnaissance. Tu es un sujet exotique, une singularité, mais pas un être pensant à leurs yeux. De là aussi une grande motivation à m’approprier d’autres savoirs et à me donner les outils me permettant d’investir d’autres terrains, d’acquérir les compétences d’autres disciplines. 

C’est quelque chose que je répète souvent désormais sur l’étiquetage et le « desétiquetage » : on m’a qualifié d’ennemie des trans pour être « passée de l’autre côté », comme quand d’autres ont bien vu ma volonté d’empowerment. Pour avoir pu l’apprécier, une génération de jeune trans ne renonce pas à ses études et semble motivée à hausser le niveau de parole. Ce sont en grande majorité des FtM et je me sens très proche d’eux dans leur désir d’autonomiser nos théories et nos points de vue ; Je crois que nous seront d’ici peu intelligibles, crédibles et peut-être même audibles. Il serait temps quand on sait le travail accomplit il y a déjà deux décennies par des Kate Bornstein, Leslie Feinberg, Pat Califia, James Green, Susan Stryker, Riki Wilchins et j’en passe et des meilleurs. A l’image d’un pays qui ne s’avoue pas qu’il est xénophobe, qu’il est conservateur et sexiste, qu’il « se la pète » depuis plus de deux cents ans sur les Lumières, nous devons nous-mêmes avouer que nous sommes « en retard » sur « le nord » et sur « le sud », et qu’il nous incombe un examen de conscience sans honte mais avec la motivation de vouloir changer cela. Car, ce qui nous arrive il est devenu trop commode de l’imputer toujours et uniquement aux autres. Pour suivre Califia, une bonne allumette dans l’institut de beauté nous ferait le plus grand bien.

Sur la thèse plus particulièrement, après une première partie sous forme d’état des lieux, tu proposes de revenir sur tes hypothèses et ton (tes) terrain(s)s : pourrais-tu nous les décrire ? Je pense notamment à la question que tu soulèves sur les descripteurs, ces mots clés dans la recherche de documents visuels ?

Parlons des hypothèses. Prenons l’imaginaire social de Castoriadis (1975), un imaginaire construit par chaque groupe humain en se distinguant de tout autre. Je suis la pensée de Castoriadis quand il explique que les institutions sont l’incarnation des significations sociales. Doublons ce premier imaginaire d’un second que nous nommons médiatique (Macé, 2006) et à considérer comme un imaginaire connu de tous grâce à un ensemble de « conditions économiques, politiques, sociales et culturelles propres à la modernité l’a rendu possible ».

Pour paraphraser Castoriadis, je dirais qu’il y eu une institution imaginaire de la « transsexualité » comme concept et pratique médicale dont la télévision s’est emparée à son tour et participant du même coup à son institution en « transsexualisme ». Simplifions, l’institution « transsexualisme » est le « déjà-là » de la transSexualité. L’institué est la figure du transsexuel ou de la transsexuelle et de son récit biographique. Ce modèle remonte aux années cinquante si l’on considère la télévision. Le modèle est hégémonique.

Sur le terrain trans, existe un autre institution : le transGenre et son institué se retrouve dans les figures : travestis, transgenres, transvariants, genderqueer, androgynes, identités alternatives, etc. Étonnamment remarquons  que l’instituant transGENRE a été longtemps chargé du « sexuel » tandis que l’instituant transSEXUALITE a été chargé du Genre si l’on s’en réfère aux centaines d’émissions où trans et psychiatres déploient maints efforts pour mettre en avant la question d’identité d’un terme renvoyant sans cesse à la sexualité et la sexuation. Mais ici le Genre est à entendre comme sex role. Le modèle hégémonique porte l’appartenance à l’ordre symbolique d’une société donnée. Nous concernant, il s’agit de celui d’une société patriarcale, régie par « la différence des sexes » et l’hétérosexualité.

Dans mon étude, on voit que la télévision aborde l’institué « transsexe » (la représentation dominante) au détriment  de l’institué « transgenre » (encore minoritaire), auquel est accordée cependant une représentation tardive et confidentielle. On pourrait donc parler d’une modélisation plus ou moins souple, entretenant une forte adéquation avec l’ordre social et historique (ici celui du Genre), en faisant place à une certaine perturbation (le « trouble » dans le genre et à l’ordre public) sur le plan de  l’ordre symbolique. Ce trouble « contenu » peut ainsi mettre en valeur la représentation dominante. Voilà qui semble bien convenir si on ne précisait pas que l’institué transgenre est tout sauf minoritaire et confidentiel sur le terrain. Il est même très largement majoritaire dans le monde associatif et les collectifs visibles.

Au tour du terrain et du corpus. Mon terrain était les associations et collectifs transidentitaires en France, les personnes transsexes et transgenres dans le contexte français.  Je parle ici de « transsexe » et de « transgenre » car je traduis une distinction qui est le fait  d’une partie du terrain et non le mien. C’est aussi une distinction de fait dans la société. Outre la question des papiers d’identité que ne peuvent obtenir les transgenres, on nous demande sans cesse si l’on est opéré. La question de l’opération est un évènement qui concerne tout le monde, non les seuls trans. C’est un événement symbolique instituant considérable. Comme si la marque d’une identité « morpho-graphico-cognitive » serait dans l’entrejambe…

J’ai aussi formé un corpus à partir des bases archives de l’Institut National de l’Audiovisuel : bases Imago (ce qui a été produit depuis les origines de la télévision et de la radio), les bases dépôt légal (loi de 1995) : DL Télévision, DL Câble-Satellite, DL Région. Comme je ne voulais pas à avoir à réaliser des extrapolations de mon corpus, j’ai doublé ce corpus d’un autre indépendant. Il a été formé de façon totalement subjective à partir de matériaux pointés par l’actualité comme par le terrain : séries américaines, documentaires récents, diffusions sur Youtube, Dailymotion, etc.

Pour le corpus INA, je suis partie sur sept mots clés dont j’ai motivé le choix sur la base de définitions et de leurs inscriptions autant du côté de la médecine, de la psychiatrie, que de la justice, la police, les médias et le terrain trans dans sa grande diversité. Ces mots clés sont : travesti, transsexualisme, transsexualité, transsexuel, transsexuelle, transgenre, transidentité.

J’ai obtenu 886 occurrences hors rediffusions, de 1946 à 2009. Pour donner une idée des résultats, quelques chiffres : J’ai obtenu 534 occurrences pour travesti, 384 pour transsexualité, 2 pour transsexualisme, 2 pour transsexuel, 7 pour transsexuelle, 4 pour transgenre, aucune pour transidentité sur un total de 971 occurrences avant retrait des rediffusions.

On le voit, le terme travesti est le descripteur « par défaut » ou « spontané » pour parler des trans, que l’approche soit synchronique ou diachronique. Les fiches de l’INA sont un trésor qui demande des fouilles archéologiques. Elles sont ainsi les traces d’un « Esprit du temps » comme dirait Morin.  C’est ainsi que ce corpus est devenu un terrain. Les fiches INA pourraient par exemple être étudiées sans conduire au visionnage des œuvres qu’elles décrivent. Par ailleurs, le corpus formé a été d’une telle ampleur, que je le qualifie de corpus « pour la vie ». Parler de terrain me paraît adéquat.

Tu suggères aussi un découpage de la représentation des trans à la télé, « les grands temps » dis-tu de cette médiatisation. Pourrais-tu nous raconter cette histoire et ses périodes ?

J’avais « pressenti » ce découpage possible dans mon essai de 2008. Je n’avais pas encore ce corpus fabuleux pour le confirmer ou l’infirmer. C’est chose faite. Les tendances du corpus m’ont même dépassée. Le croisement des définitions, de l’évolution des concepts, des techniques, des effets techniques et symboliques, l’évolution du terrain ou encore ce que révèle le corpus conduisent ni plus ni moins qu’à une analyse sociohistorique de la représentation des trans et de leur modélisation.

Les années 1970 sont très riches. Elles marquent un esprit du temps, un air du temps, cette bulle de la « libération sexuelle » et de mouvements libertaires. La télévision, on le sait était sous tutelle, elle n’en était pas moins audacieuse dans ses thématiques et ses dispositifs.

Première période : celle de la marginalité et du fait divers. Un document de 1956 parle de « changement de sexe fréquents à notre époque », en 1977 la prostitution trans est qualifiée de prostitution masculine par la voix d’un Cavada jeune, fringant, et d’une rare prudence dans les termes employés et l’adresse lancée aux téléspectateurs afin qu’ils ouvrent « les écoutilles » avant de juger. Les plateaux d’Aujourd’hui magazine ou d’Aujourd’hui madame de 1977 à 1980 invitent des trans, ils et elles ont des noms et prénoms, ils et elles sont placéEs dans le dispositif de mise en scène aux côtés des autres intervenantEs. On le verra dans les deux décennies qui vont suivre que les noms et parfois les prénoms disparaitrons au profit d’insert du type : « Claire transsexuel », « Claude transsexuelle » ou « père de transsexuel », « mère de transsexuel ». Ce que TF1 et les études de marché nommeront plus tard les « ménagères de moins de 50 ans » sont dans ces dispositifs qui nous font parfois sourire à tort aujourd’hui, des femmes qui ne cachent pas leurs sensibilités féministes, qui interrogent le Genre et prennent les trans à témoin. Un autre documentaire « les fils d’Ève » met en scène la discussion entre deux travestis comme le dit le résumé, discussion bien plus politique et subversive que le discours des trans des émissions des années 80 comme si le contexte de la prise en charge avait vidé le réservoir politique. Au-delà du fait divers, la cause marginale était politique. Le modèle français est loin du modèle de Christine Jorgensen descendant de son avion en 1953 sous les crépitements des flashs des photographes, et qui donneront l’image de l’inscription de la « transsexualité » via le moule des femmes américaines des années  1950. De notre côté nous avions Coccinelle. Je rejoins la vision de Foerster et de Bambi à son sujet. Elle avait l’éclat de la féminité de son époque mais ne donnait pas pour autant toutes les garanties d’une « normalité post-transition ». Elle a été la femme qu’elle voulait être, glamour mais scandaleuse. Je crois qu’elle mérite d’être traduite et ses actes éclairés par une approche postcritique et non seulement abordés par une approche dénonciatrice. Cela vaut aussi pour des acteurs de la télévision en général sur le sujet. Dumas, Ardisson, Dechavanne, Ruquier ou Bravo par exemple vont contribuer à inscrire la transidentité dans le mouvement d’égalité des droits dans les années 1990 et 2000 derrière des formats ne semblant être axés que sur le personnel et l’intime. Parfois derrière l’habit du spectacle, des messages plus subversifs et engagés.

La transidentité s’inscrit comme fait de société avec la convergence de l’élaboration des outils de prise en charge, les premiers plateaux de débat à plusieurs voix et l’intronisation de l’expert en télévision. Avec les matériaux des années 1980 les fiches INA font apparaître de nouveau descripteurs : transsexualité, transsexuel, transsexualisme. Précisons, ce n’est pas l’INA qui les invente ou les impose. Elle garde trace de leur émergence et de leur usage. Ainsi Jacques Breton et René Küss vont-ils énoncer le « transsexualisme » comme « concept et pratique » : les faux et vrais trans, les règles du protocole et leur diffusion massive dans les médias (ce que j’ai conceptualisé à mon tour comme la mise en place du « bouclier thérapeutique »), la médicalisation, la valorisation des opérations tout en « déplorant » cette unique solution, la légitimité scientifique et « l’utilité sociétale ». Les plateaux vont s’étoffer de la présence de chirurgiens, de juristes, d’avocats. La mise en scène table dès 1987 avec les Dossiers de l’Écran sur la confrontation trans et experts sachant que la controverse bioéthique est telle un surplomb. La science interfère sur l’engendrement, et elle se met  aussi à interférer sur la sexuation, voilà qui peut résumer un autre esprit du temps.

Dominique Mehl relie le début de la controverse bioéthique aux naissances de Louise Brown (1978) et d’Amandine (1982), deux enfants conçues in vitro. Elle écrit dans La bonne parole (2003) : « Ces deux naissances ouvrent l’ère de la procréation artificielle qui vient véritablement déranger les représentations de la fécondité, de l’engendrement, de la gestation, de la naissance ». La sociologue illustre ainsi – pour demeurer dans le registre et l’analogie de la naissance – l’enfantement d’un fait de société : « L’ensemble de ces techniques médicales et biologiques configure une nouvelle spécialité, la procréation médicalement assistée, destinée à une population particulière, celle qui souffre d’infécondité. À ce titre, elle ne concerne qu’une petite partie de la population, évaluée à environ 3% (…) Pourtant, la procréation médicalement assistée, par les séismes qu’elle opère dans les représentations de la nature, de la sexualité, de la procréation, de la parenté, concerne en réalité l’ensemble de la société, tout individu qu’il soit personnellement ou non confronté à une difficulté de concevoir, toute personne conduite à réfléchir à une difficulté de concevoir, toute personne conduite à réfléchir sur l’engendrement et les relations familiales ». Approprions ce propos à notre sujet et là patatras on réalise que les « transsexuels » représentent moins de 0,01% de la population en occultant les identités transgenres qui elles fracasseraient le compteur mais je m’engage déjà-là dans l’esprit du temps suivant. 

Envisageons le « transsexualisme » (comme concept et pratique), puis le « transgenre » (comme expression identitaire multiple et transversale) comme des phénomènes venant bousculer les représentations de la nature, de l’ordre et de l’agencement des genres masculin et féminin, l’hétérosexualité, les homosexualités, la bisexualité. Est concerné en réalité l’ensemble de la société, tout individu qu’il soit ou non confronté à une difficulté d’honorer son genre d’assignation, toute personne conduite à réfléchir sur le Genre et les relations de Genre dans un système un binaire, qu’il soit ou non inégalitaire.

On n’oublie pas le rôle des psys dont Dominique Mehl explique qu’ils ont depuis le tout début de la controverse bioéthique « pris une large part à ce débat public. Inspirés par leur expérience auprès des couples stériles, au nom de leur conception de la famille et de la parenté nouée dans une longue tradition de réflexion théorique, ils se sont emparés de leur plume pour mettre en garde, toujours, et critiquer, souvent ». Il est étonnant de constater à quel point la littérature scientifique manque de ce type de questionnements, parfois aux apparences de constat, sur la question trans, sans jamais remettre en cause l’expertise psy -ou à de rares exceptions récentes. On a laissé longtemps cette seule parole aux trans sans jamais leur donner les moyens de l’exprimer dans les espaces publics, médiatiques et universitaires.

Le dernier temps est celui du glissement dans le mouvement d’égalité des droits. L’égalité des droits s’inscrit dans une histoire des idées, des mentalités et des diverses politisations des groupes dits minoritaires. Mobilisation des associations dans le cadre de la pandémie du Sida dans les années 1980, Pacs, PMA, homoparentalité, sans-papiers, dans les années 1990 et 2000 etc. On ne saurait privilégier tel ou tel commencement, période, idée ou correspondance, mais l’enchaînement s’impose, au sein d’une progression asymptotique.

Dans mon étude, je le date dans la moitié des années 2000 si je considère mon seul corpus. Sur le terrain, il a commencé dès les années 1997-1998. Je pense au Zoo de Bourcier, l’inscription des trans dans d’autres tissus associatifs que l’on dira LGBT plus tard, à l’action du GAT ou de STS. A la télévision cette inscription est visible par des productions locales comme des reportages des France 3 Régions. On parle des trans à l’occasion des Marches des Fiertés et de la journée Idaho plus qu’à l’occasion de l’Existrans ou du T-Dor (jour du souvenirs des victimes de transphobie), en télévision je précise. Il y a aussi les affaires qui font du bruit. Je crois que le procès Clarisse qui a gagné son procès pour licenciement abusif participe de cette inscription. De même les coups médiatiques de l’ANT (anciennement Trans Aides) qui finalement illustre une sorte de guérilla contre les contradictions institutionnelles en matière d’état-civil. STS, Chrysalide et OUTrans ont eu aussi des discours portés en de telles occasions. En rapport cette fois au terrain, une question demeure : pourquoi la Pride ou Idaho font-ils plus parler des trans que le T-Dor ou l’Existrans ?

Cette inscription dans le mouvement d’égalité des droits se traduit aussi ainsi : transition et trajet  trans sont vite qualifiés de « parcours de combattant », quand le regard médiatique s’intéresse aux institutions. Les conséquences familiales et socioprofessionnelles sont aussi abordées, confirmant la pertinence d’une « écologie du milieu ». L’idée que la télévision veut « défaire les mentalités » et « défaire des inégalités » fait son chemin dans la perspective tant du traitement d’une marginalité, d’un fait de société, d’individus ou  de mouvements engagés dans l’égalité des droits.

Si tu devais retenir une émission, ou un moment télévisé, qui te semble symptomatique de la figure trans visible aujourd’hui sur nos écrans, laquelle choisirais-tu et pourquoi?

Si je voulais illustrer l’idée d’un « transsexualisme » d’une modélisation hégémonique des trans, je pourrais citer certainement non pas une dizaine mais plusieurs centaines de documents, en prenant telle ou telle phrase, telle ou telle définition, etc. Si je devais en revanche illustrer ce que j’appelle l’institué transgenre, majoritaire sur le terrain trans observable, j’aurais en revanche plus de mal. La télévision produit constamment le Genre tel que l’ordre symbolique en exercice le prescrit. La télévision est parfois transgressive mais pas subversive sur les questions de Genre.

Ceci explique en partie un certain conservatisme, un immobilisme de la représentation des trans. En s’intéressant aux trans, la télévision ne produit pas que de la matière télévisuel à vocation de divertissement et de spectacle. La carte de la transgression est un leurre désormais.

De mon corpus, je retiens la prestation de René Küss en 1982, quatre minutes de télévision qui racontent ce que seront 20 années de protocole. J’ai à l’esprit les prestations de Grafeille ou Bonierbale chez Dechavanne, Dumas ou Bercoff : quand la psychiatrie se double de sexologie en plateau. D’autres constats et pistes : le traitement des FtMs, de leur invisibilité à leur visibilité ; l’anoblissement et la popularisation du cabaret transgenre avec les figures de Coccinelle, Bambi ou Marie France médiatisées comme égéries et muses à la fois ; les festivités et les spectacles de cabarets avec Michou et ses artistes,  les émissions estivales de Caroline Tresca faisant la promotion des cabarets de province ; les émissions humoristiques issus du « travestissement de nécessité » depuis La cage aux folles ; le traitement compréhensif puis moraliste de la prostitution des trottoirs de la rue Curiol dans le Marseille des années 1970 jusqu’au bois de Boulogne du Paris des années 1980-1990 ; l’actualité offre encore bien d’autres ouvertures comme le traitement spécifique des « tests de féminité » à l’occasion des Jeux Olympiques, ou la « transsexualité dans le sport » ; les figures médiatiques spécifiques depuis Marie-André parlant des camps à Andréa Colliaux commentant Kafka, en passant par l’histoire de la médiatisation particulièrement intense de Dana International, figure « exotique » et LGBT, égérie de la tolérance et icône d’une trans contemporaine. La présence de Tom Reucher interroge encore le statut des trans comme experts, comme représentants compétents et légitimes voire charismatiques. Avant lui, toute une génération de personnalités MtFs : Marie-Ange Grenier (médecin), Maud Marin (avocate), Sylviane Dullak (médecin), Coccinelle (artiste). On sait que Maud Marin sera aussi étiquetée ancienne prostituée et Coccinelle parée de l’insouciance de l’artiste, sinon bohème.

Grâce au corpus on constate que les trans sont hétérosexuel-le-s et qu’ils donnent de nombreux gages à la normalité (des garanties). Ils ont donc bien été bien présents à la télévision qui semble avoir nettement privilégié cette représentation, l’établissant en modélisation sociale et médiaculturelle (l’institutionnalisation). De là un certain modèle trans : hétérocentré,  « glamour » ou « freak », un institué fort peu politique et encore moins théorique pour l’instant.

Et si tu devais nous restituer une découverte faite durant tes recherches à l’INA (Institut National d’Audiovisuel), quelque chose d’inédit, que choisirais-tu de nous dévoiler ?

Beaucoup d’émissions méritent le statut de découvertes. Je vais ici donner l’exemple d’un échange entre une historienne et une présentatrice de la chaîne « Histoire ».  Pas de trans à l’horizon. On parle au nom « de » (valeurs, avis, choix personnels), autorisant une telle spéculation nous donnant à voir un aveuglement où la fabrique ordinaire d’une performativité, à l’inverse de ce qu’énonce J. Butler : non pas un acte subversif et politique à même d’éclairer ce que le pouvoir plie un savoir mais une mise en scène de cette spéculation et exemplification symbolique.

Le titre propre de l’émission est « Le chevalier d’Eon et la duchesse de Berry, dans la collection « Le Forum de l’Histoire » de  la chaîne de diffusion Histoire sur la câble. Je passe les informations de types heure et fin de diffusion, etc. Le résumé est le suivant : « Magazine présenté par Diane Ducret composé d’un débat thématique entre Evelyne Lever et Grégoire Kauffmann consacré à deux intrigantes de l’histoire, le chevalier d’Eon et la duchesse de Berry », diffusé le  13 mars 2009.

Evelyne Lever vient de publier « le chevalier d’Eon, une vie sans queue ni tête ». Le titre m’interpelle sans m’éclairer. Je visionne l’émission. Bref aperçu (time code : 19 :30 :33 :19) :

– Evelyne Lever précise que dans la première partie du livre, elle fait son travail d’historienne, puis précise : Quand je suis arrivée au moment où mon héros / héroïne devient une femme. Et là, je me suis posée d’autres questions. Je me suis dit mes connaissances historiques ne sont pas suffisantes. Il faut que j’aille plus loin car j’ai à faire à un cas psychologique, psychiatrique assez délirant, assez exceptionnel. Alors là, j’ai du faire appel à quelques amis psychiatres, à me documenter sur les problèmes de la transsexualité et de l’identité sexuelle.

– Diane Ducret (la présentatrice) : oui c’est un personnage par son refus de trancher entre une identité masculine et une identité féminine est très contemporaine en somme, je suppose que c’est pas la mode transgenre qui a suscité votre intérêt sur ce personnage ? [rires].

Sans partager ici l’analyse longue et précise que ce document exige, on peut prendre le temps d’être surpris par la convocation du nom et de l’institué de la psychiatrie puisqu’il est avéré qu’il n’a ni affection et encore moins maladie mentale mais un regard moral sur une différence. Et l’on peut comprendre l’hésitation d’Evelyne Lever, historienne, faisant appel à ses « amis psychiatres ». L’héritage d’une classification stricte entre « disciplines » lui rappelle que des « connaissances » peuvent en effet, ne pas être « suffisantes ». Une approche dénonciatrice se bornerait à critiquer l’ambiguïté des discours tenus tandis que l’approche postcritique y verrait la scène de rencontre de subcultures ou quand la transidentité devient un objet médiaculturel.

Des questions s’imposent donc quand on sait que cela fait désormais 50 ans que les études de genre insistent sur les institués que sont la différence des sexes, le devenir et en particulier le devenir de genre minoritaire. Comment peut-on croire que l’on peut psychiatriser quelqu’un au-delà des siècles ? Deux hypothèses se présentent, se complétant mutuellement : l’inintérêt des autres hypothèses dans le champ scientifique ; l’indifférence au sort des trans permet cette transphobie et une spéculation sans frein. Dans ces premiers travaux Dominique Mehl en indiquait déjà les grandes lignes de cet arraisonnement et exercice de cette falsification. Pourquoi acceptons-nous une telle affirmation ? Sa présentation traduit son ambivalence : elle passe d’une connaissance historique dans son domaine au champ subjectif où elle croit devoir se poser « d’autres questions ». Lesquels croient se pencher sur un « cas psychologique, psychiatrique assez délirant, assez exceptionnel ». Elle n’a pas assez de mot ou sa formation est imprécise pour dire ce qu’elle voit et traduit immédiatement sur le mode subjectif et non plus historique. Rappelons ici l’indication de Castoriadis : chaque parole indique la position de celui-celle qui l’émet et l’engage. Quel est cet engagement et surtout quelle sa légitimité faute de validité ? Nous sommes sortis du médical pour le plain-pied d’un regard moral. L’on présente ici un objet (le « transsexualisme ») totalement départi des sujets trans et faisant comme s’ils n’existaient pas. Ce cas précis nous enseigne sur les falsifications de l’histoire et l’usage immodéré de la lucarne psychiatrisante. Viendrait-il à quelqu’un l’idée de convoquer une expertise trans pour éclairer l’histoire du Chevalier d’Eon ? L’éclairage des études de Genre serait ici plus approprié et en quoi ? Sinon, pourquoi ? Après tout, d’autres historiens et en particulier des historiennes se sont penchées sur le Chevalier d’Eon à la lumière des études de Genre dans une optique féministe. Nous pensons à Sylvie Steinberg et surtout Laure Murat, « La loi du genre, une histoire culturelle du « ‘troisième sexe’ » en 2006. Là où Murat pointe le système symbolique régulant les rapports et relations, Lever voit l’individu-écharde. Laure Murat met précisément en exergue un avis, valant pour maxime et surtout pour « pensée » d’Alfred Delvau : « Troisième sexe : celui qui déshonore les deux autres ». Le déshonneur serait tel qu’on en appelle aujourd’hui encore la psychiatrie au secours d’un honneur historique qu’un seul individu frapperait de mal-heurt (au sens ancien du français) ?

Et maintenant, en plus de ta soutenance, quels sont tes projets ?

J’ai des publications en attente. Dont trois avec mes consœurs de l’Observatoire : La Transyclopédie, et les deux premiers volumes des publications augmentées et corrigées de l’ODT pour 2010-2011.

Je travaille avec Maud-Yeuse Thomas sur un ouvrage sur les théories transidentitaires à la lumière de l’évolution et de la politisation du terrain trans. Je prépare aussi deux autres essais liés  à la thèse. Comme Macé un ouvrage théorique suivi d’un autre ouvrage relatant plus amplement mes analyses de corpus. Côté publication, je suis servie si tout va bien.  Je travaille également à un projet d’écriture de deux documentaires. Mais il est encore trop tôt pour détailler.

Je dépose bien entendu une demande de qualification pour le statut de maître de conférence. Après ce sera au petit bonheur la chance espérant que mes travaux si jugés crédibles et valides retiendront l’attention. Mon trip ? Donner des cours sur l‘image et les représentations de Genre à la lumière des études culturelles et des études de Genre. On verra bien, à 45 ans je n’ai pas à proprement parler de plan de carrière.

Tu nous rappelles la date ; le lieu et l’heure de ta soutenance pour ceux/celles qui voudraient venir ?

La soutenance se déroulera le 26 novembre prochain à l’Université de Nice – Sophia Antipolis à 13 heures, Lettres, Arts, Sciences Humaines et Sociales (98, Boulevard Herriot). J’attends des nouvelles de l’École doctorale pour connaître la salle. Je communiquerai en temps voulu. 

Je tiens à ajouter une liste de mes publications comme exemple de ce que le terrain peut produire car je ne suis pas seule à publier. j’insiste sur ce point car nous avons pu voir récemment avec Maud comment la reconnaissance d’une expertise venue du terrain reste invisible et j’ajouterais même à quel point elle est marginalisée. Par exemple, nous sommes trois personnes engagées et solidaires à avoir fondé cet outil innovant qu’est l’Observatoire au regard de la théorisation et de la politisation du terrain trans, bien que nous ayons un retard spectaculaire sur le monde anglo-saxon de ce point de vue.

Trois personnes pourrait-on dire, ou plus précisément faudrait-il énoncer : deux trans et un cigenre ? On sait avec un travail universitaire récent, que seul le « cisgenre » est crédité et reconnu comme acteur scientifique du terrain à l’ODT. La modélisation dont je parle est ici à l’oeuvre. Il convient de la défaire. Enoncer ce constat ne doit mener à la disqualification du propos sous l’accusation : « militance ! ».   


Entretien avec Miguel Missé – STP 2012

MIGUEL

Miguel Missé
Activiste, essayiste
STP-2012, Espai Obert Trans/Intersex (Barcelone)


 

Bonjour Miguel,

Cet entretien va s’organiser autour de  trois grands axes : le regard de l’activiste espagnol, la synthèse d’un des membres de la coordination internationale STP 2012 et enfin l’essayiste du « El genero desordenado » préfacé par Judith Butler.

Première partie : le regard de l’activiste espagnol

En guise de présentation, sur quoi insisterais-tu dans ta biographie pour te présenter ?

Je suis un garçon trans intéressé par les questions sociales et concrètement par la défense des droits du collectif trans.
Soy un chico trans al que le interesan las cuestiones sociales y concretamente la defensa de los derechos del colectivo trans.

 

On sait que les UEEH et la première Existrans à laquelle tu as participé ont été deux choses importantes dans ton parcours personnel comme celui d’activiste. Peux-tu développer 

Sortir de mon contexte local, connaître d’autres formes pour faire de la politique et de l’activisme ainsi que connaître d’autres formes pour vivre l’identité trans, ce qui m’a fait beaucoup penser sur ma propre vie et mes idées. En juillet 2006je suis aux UEEH à Marseille. On était plus de 500 personnes de différents pays. C’est là-bas que j’ai entendu parlé de l’Existrans et cette même année j’ai fait le voyage à Paris pour connaître la marche. Une année plus tard on a organisé la première manifestation trans en Espagne, à Barcelone. Sans doute, l’activisme français m’a beaucoup influencé dans divers aspects.
Salir de mi contexto local y conocer otras formas de hacer política y activismo así como otras maneras de vivir la identidad trans me hizo reflexionar mucho sobre mi propia vida y mis ideas. En julio del 2006 estuve en Marsella en las UEEH donde eramos mas de 500 personas de distintos países. Allí me hablaron de la Existrans, y ese mismo octubre viajé a Paris para conocer la marcha. Un año más tarde organizamos aquí la primera manifestación trans de España. Sin duda, el activismo trans francés me ha influenciado en diversos aspectos.

 

On parle beaucoup de lois sur l’« identité de genre depuis le Gender Act (G.B.) de 2004, suivi par la loi en Espagne de 2007 jusqu’à l’Argentine récemment. Dans les grandes lignes, qualités et défauts de la loi espagnole ?

Je pense que la réponse à cette question varie selon les générations. La loi espagnole permet le changement de la mention du sexe dans les documents officiels à toutes les personnes avec exception des mineurs, des personnes avec un handicap mental et des étrangers, trois exigences très douteux. En plus, pour pouvoir accéder à ce parcours, on doit présenter un diagnostic de dysphorie de genre et un certificat médical qui atteste que la personne sollicite ce changement et suit un traitement médical (hormonal) depuis plus de deux ans. Beaucoup de personnes trans pensent que c’est une évolution que l’État n’exige pas une chirurgie génitale. Moi, qui reconnais qu’il y a une certaine évolution, je pense qu’obliger un citoyen à se reconnaître en tant que malade mental et à modifier son corps pour reconnaître son identité de genre est une très grave atteinte aux droits individuels de personnes. Même si la loi a rendu le changement du prénom et du sexe dans les documents officiels plus facile, elle continue à utiliser un paradigme stigmatisant. Il faut continuer le travail.

J’aimerais une fois de plus féliciter l’activisme trans argentin pour avoir réussi à obtenir une loi sur l’identité de genre. Elle est devenue une très important référence pour comprendre l’identité et l’expression de genre d’un point de vue juridique.

Creo que la respuesta a esta pregunta varia según las generaciones. La ley española permite el cambio de la mención registral del sexo en los documentos oficiales a todas las personas excepto a menores de edad, personas con una discapacidad mental y extranjeros, tres requisitos muy cuestionables. Además, para poder acceder al trámite se deben presentar un diagnóstico de disforia de género y un informe médico que certifique que la persona solicitante lleva más de dos años de tratamiento médico (hormonal). Muchas personas trans entienden que es un avance que el Estado no exija una cirugía genital. Yo, aunque reconozco ese avance, pienso que es obligar a un ciudadano a reconocerse como enfermo mental y a modificar su cuerpo para reconocer su identidad de género es una gravísima vulneración de los derechos individuales de las personas. Creo que aunque es cierto que esta ley ha hecho el cambio de nombre y sexo más fácil sigue partiendo de un paradigma estigmatizante. Hay que seguir trabajando.

Por otro lado, quisiera una vez mas felicitar al activismo trans argentino por conseguir sin duda una ley que genera un precedente importantísimo en la forma de entender la identidad y la expresión de género jurídicamente.

 

L’activisme avec Espai Trans, c’est qui, quoi et comment ? On aime beaucoup l’idée de Culture Trans et semble-t-il tu la portes aussi avec conviction. Parfois nous avons la vision que l’activisme ne doit par laisser la place aux sentiments, que le militant doit être un soldat et ne pas se retourner sur les pions tombés. A Barcelone, nous avons eu le sentiment d’un activisme novateur qui mais qui laisse la place à l’affect et vous nous avez paru très soudéEs. Notre regard est-il trop utopique ?

Merci beaucoup. Je crois que après un temps dans l’activisme, la meilleur chose que l’on puisse dire nous dire est que dans notre travail politique, il y a de la place pour l’affect. Je ne sais pas si c’est utopique, mais en tout cas, ces valeurs forment partie de nos utopies. La qualité du travail est plus importante que la quantité et ceci est quelque chose que j’ai eu beaucoup de mal à apprendre. Souvent dans les relations entre activistes dans les mouvements sociaux se produisent des situations graves de conflit que nous ne dénonçons pas publiquement pour ne pas blesser le mouvement et je pense que nous nous trompons en faisant ça. Nous devrions dénoncer avec la même force les inégalités et les abus de pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur des mouvements sociaux. Être un peu moins soldats et un peu plus humains. Prendre soin des personnes avec lesquelles on travaille et valoriser les apports de chacun.e dans chaque projet.

Espai Trans est un espace de rencontre entre personnes trans et leur entourage qui a lieu une fois par mois à Barcelone. C’est un espace hétérogène et inattendu. Avec un petit groupe de volontaires, nous coordonnons les activités de l’espace. L’objectif ce ces rencontres n’est pas tellement de générer un discours politique mais de consolider un espace en dehors du circuit médical pour que les personnes trans puissent parler de ce dont ils ont besoin (et souvent il ne s’agit pas de questions politiques). En même temps, Espai Trans est un projet en construction, qui se forme en même temps avec les personnes et qui donnent vie aux rencontres. Je ne sais pas qu’est-ce qu’il se passera dans un an, en tout cas même il a un sens et c’est pour cela qu’on le mène à terme.

D’un autre côté, Culture Trans est un évènement que nous menons à terme en coïncidant avec la mobilisation internationale pour la dépathologisation trans. Après des années en organisant la manifestation trans de Barcelone, nous avons décidé de miser sur un projet moins ambitieux et plus accessible pour le petit groupe de personnes que nous sommes. Et surtout, un projet plus connecté à la vie quotidienne des personnes trans. Je veux dire par là que je suis fatigué d’organiser des activités trans auxquelles assistent des chercheurs/chercheuses, des activistes (lesbiennes, gais, bi, féministes, queer), mais aucune personne trans (avec tout mon respect vers les apports des autres). Culture Trans cherche à être un espace qui interpelle spécialement les personnes trans et même si on ne le réussit pas toujours, on essaye ! Cette année on fait une sortie sportive, un ciné forum, une journée de santé trans et un cabaret d’artistes trans.

Muchas gracias. Creo que después de un tiempo en el activismo, lo mejor que le pueden decir a uno es que en su trabajo político caben los afectos. No sé si es utópico, en todo caso, esos valores forman parte de nuestras utopías. La calidad del trabajo es más importante que la cantidad, y eso es algo que me ha costado mucho aprender. Creo que a veces en las relaciones entre activistas dentro del movimiento social se producen situaciones muy graves de conflicto que no denunciamos públicamente para no dañar al movimiento y creo que nos equivocamos cuando hacemos eso. Deberíamos denunciar con la misma contundencia la desigualdad y el abuso de poder dentro y fuera de los movimientos sociales. Ser un poco menos soldados y algo más humanos. Cuidar a las personas con las que trabajamos y valorar la aportación de tod*s en cada proyecto.

Contestando a tu pregunta, el Espai Trans es un espacio de encuentro para personas trans y su entorno que tiene lugar una vez al mes en Barcelona. Es un espacio heterogéneo e imprevisible. Un pequeño grupo de voluntarios coordinamos el espacio y sus actividades. El objetivo de este espacio no es tanto generar un discurso político sino consolidar un espacio fuera del circuito médico para que las personas trans puedan hablar de sus necesidades (que en muchos casos no pasan por la política). Al mismo el Espai Trans es un proyecto en construcción, que se forma sobre la marcha con la gente que le da vida. No sé que será dentro de un año, en todo caso ahora tiene sentido y por eso lo llevamos a cabo.

Por otro lado, Cultura Trans es un evento que celebramos coincidiendo con la movilización internacional por la despatologización trans. Tras años celebrando la manifestación trans de Barcelona decidimos apostar por un proyecto menos ambicioso y más asumible para el pequeño grupo de personas que somos y sobretodo un proyecto más conectado a la vida cotidiana de las personas trans. Quiero decir que estoy cansado de organizar actividades trans a las que vienen investigadores, activistas (gays, lesbianas, feminista, queer), pero ninguna persona trans (con todo mi respeto hacia sus aportaciones). Cultura Trans busca ser un lugar que interpele a las personas trans especialmente y aunque no siempre lo conseguimos, creo que estamos consiguiendo cosas. Este año realizamos una salida deportiva, un cineforum, una jornada sobre salud trans y un cabaret de artistas trans.

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L’activisme espagnol te semble-t-il différent de l’activisme français par exemple ?

Je peux seulement parler de l’activisme LGBT que je connais dans ces deux pays. De mon point de vue, l’activisme espagnole est très différent de l’activisme français. La culture politique et la tradition de mobilisation sociale en France n’est pas la même que celle en Espagne. Cela peut s’observer dans le fonctionnement des assemblées ou des réunions des collectifs, ou de la façon que les gens interviennent pour exprimer leurs idées. Quand j’ai participé à quelques débats en France, j’ai toujours été surpris de la dureté avec laquelle les personnes commentaient et questionnaient les propos des autres et personne ne se fâchaient. C’es§t peut-être une idéalisation mais il me semble qu’ici, nous avons moins cette culture du débat et il nous coûte beaucoup plus d dialoguer sur les différences et argumenter tout en étant à l’écouted e l’autre. Je crois qu’ici, il n’est pas facile d’être en désaccord. Cela génère beaucoup de conflit personnel entre les gens. Mais, d’un autre côté, je dirai que nous sommes moins rigides et moins passionnés qu’en France, ce qui me plait aussi. Peut-être penserons-t-on que tout ceci ne sont que des stérétotypes sans réalité…

Quant aux différences sur l’activisme trans, il faut aussi le lier à la question historique. Ici l’activisme trans est plus récent.

Solo puedo hablar del activismo que conozco en los dos países, el LGTB. Desde mi punto de vista, el activismo español es muy distinto al activismo francés. La cultura política y la tradición de movilización social que se tiene en Francia no es la misma que la que se tiene en España. Y eso puede observarse en el funcionamiento de las asambleas o las reuniones de los colectivos, o la forma con la que intervienen las personas para expresar sus ideas. Cuando he participado de algún debate en Francia siempre me ha sorprendido como la gente cuestionaba con dureza lo que otras personas habían dicho y nadie se enfadaba. Quizás es una idealización pero a menudo siento que aquí tenemos menos cultura de debate y nos cuesta más dialogar desde la diferencia y argumentar escuchando al otro. Creo que aquí no es nada fácil estar en desacuerdo, genera muchos conflictos personales entre las personas. Por otro lado, diría que aquí somos menos rígidos y más apasionados que en Francia, lo cual también me gusta. Aunque quizás alguien pueda pensar que todo esto no son más que estereotipos sin trasfondo real…

En cuanto a las diferencias en el activismo trans concretamente, hay que sumarle también la cuestión histórica. Aquí el activismo trans es más reciente.

Deuxième partie : STP


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La question des origines de STP est incontournable. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Les racines de la champagne STP2012 se trouvent dans les premirèes mbilisations de l’année 2007 que certains activistas trans portions à terme à Barcelone et dans d’autres villes en Espagne, inspirées par le modèle français de l’Existrans. (curieusement, malgré l’inspiration de l’activisme français, la champagne est beaucoup plus suivie dans d’autres pays). La mobilisation s’est répandue en Europe en 2008 et, en 2009, nous avons posé les bases de l’organisation d’une campagne internationale nommée Stop Trans Pathologisation avec l’objectif de visibiliser et de dénoncer la pathologisation des identités trans. La date de 2012 exprime l’urgence qu’il y a ait à se mobiliser sachant que 2012 était l’année prévue pour la versión V du DSM. Nous savons désormais que le manuel sortira en 2013.

Las raíces de la campaña STP-2012 se encuentra en esas primeras movilizaciones en el año 2007 que algunos activistas trans llevamos a cabo en Barcelona y en otras ciudades del Estado español, inspiradas en el modelo francés de la EXISTRANS. (Curiosamente, a pesar del fuerte vínculo con el activismo francés, la campaña tiene mucho mayor seguimiento en otros territorios). La movilización se traslado a Europa en el 2008 y en el 2009 planteamos organizar una campaña internacional llamada Stop Trans Pathologization con el objetivo de visibilizar y denunciar la patologización de las identidades trans. La fecha de 2012 la pusimos para explicitar que había una urgencia en salir a la calle dado que el 2012 era el año en que estaba previsto saliera el nuevo DSM-V. Ahora sabemos que el manual saldrá en el 2013.

 

Un point sur les revendications ?

Les objectifs sont toujours les mêmes qu’aux origines. Vous pouverz les consulter à l’adresse suivante : http://stp2012.info/old/fr/objectifs. Je crois que nous pouvons dire que la champagne a joué un rôle très important en générant un discours critique partout dans le monde et dénonçant la pathologisation trans. Des mouvements sociaux aux organismes internationaux, parlements et divers institutions se sont prononcés sur le question partout dans le monde. La campagne a joué un rôle de réveil, une alarme pour réveiller les consciences sur cette discrimination. Je crois que STP a eu une fonction très concrète qui a consisté dans la création d’un grand réseau d’activistes trans partout dans le monde. C’est le plus succès de la campagne : faire entendre nos voix pour dire que nous sommes contre le système actuel et argumenter. Nous sommes à un moment où les organismes médicaux internationaux questionnent : comment voulez-vous être traités ? Quelles sont vos propositions ? Mais plus que de la dénonciation, nous voulons désormais poser des solutions et susciter une profonde réflexion sur la façon dont nous, personnes trans, voulons être pris en charge par les systèmes de santé. Il est nécessaire de créer de nouveaux outils, de nouveaux mouvements pour entrer dans une seconde phase de propositions : quel modèle proposons-nous en lieu et place du modèle actuel pathologisant ; dans ce débat, il faut être extrêmement prudent parce que les conséquences du changement de diagnostic ou de la disparition totale du diagnostic auront des implications dans les pays aux systèmes de santé très différent les uns des autres.

Los objetivos siguen siendo los mismos que en sus inicios. Podéis leerlos aquí (http://stp2012.info/old/fr/objectifs). Creo que hoy podemos decir que la campaña ha jugado un papel muy importante por generar un discurso crítico y en todo el mundo de denuncia de la patologización trans. Desde los movimientos sociales hasta organismos internacionales, parlamentos y diversas instituciones se han pronunciado sobre el tema en todo el mundo. La campaña ha sido como un despertador, una alarma para despertar la consciencia sobre esta discriminación. Creo que STP ha tenido una función muy concreta que ha sido crear una gran red de activistas trans en todo el mundo por la despatologización trans y consolidar un día de lucha internacional sobre esta cuestión en todo el mundo. Es el mayor éxito de la campaña: levantar la voz para decir que estamos en contra del modelo actual por diversas razones. Pero ahora llega el momento en que los organismos médicos internacionales preguntan, de acuerdo, y entonces como quieren ser tratados, cuales son sus propuestas. Más allá de la denuncia, ahora tenemos el reto de plantear soluciones e impulsar una profunda reflexión sobre como queremos ser tratadas, las personas trans, por los sistemas de salud. Es necesario crear nuevas herramientas políticas, nuevos movimientos para entrar en una segunda fase más propositiva: que modelo proponemos para sustituir al actual modelo patologizador. Y en ese debate hay que ser extremadamente cuidadoso porque las consecuencias de un cambio de diagnóstico o de una desaparición total del diagnóstico tendrán implicaciones en territorios con sistemas de salud muy distintos.

 

Est-ce que STP ne va s’autonomiser dans l’avenir et que chaque groupes, dans chaque pays va s’imposer de l’idée de la dépsychiatrisation, de la dépathologisation en fonction de son contexte sociale et culturel ?

Plus que s’autonomiser, je crois que la campagne est la base d’une grande pyramide. Pour atteindre le sommet, des nouveaux processus sont nécessaires. La campagne n’a pas la structure suffisante comme par exemple traduire l’idée de la dépathologisation trans dans chaque contexte culturel et social (je ne suis pas sûr non plus que c’est à la champagne d’effectuer cette démarche). ‘est un travail qui a commencé à réaliser par des activistes trans au niveau local dans divers pays. C’est dire qu’il existe un réseau d’activistes qui se spécialisent dans la traduction de ce changement de paradigme en direction des organismes internationaux et des institutions locales. Sans doute commence une période qui pourrait être historique pour la population trans, celui de définir et de proposer ce que doit être notre accompagnement médical.

Más que autonomizarse, creo que la campaña es el piso de una gran pirámide. Y para subir al piso de arriba, el propositivo, son necesarios nuevos procesos. La campaña no tiene la estructura suficiente como para traducir la idea de la despatologización trans a cada contexto cultural y social (y tampoco estoy seguro de que sea esta campaña la que deba hacer ese paso). Eso es un trabajo que ya han empezado a hacer los activistas trans locales de diversos territorios. Es decir, existe ya una red de activistas que se están especializando en como trasladar este cambio de paradigma a los organismos internacionales y a las instituciones locales. Sin duda, empieza ahora un momento que creo que puede ser histórico para la población trans y es el de definir y proponer como debe ser nuestro acompañamiento médico.

 

Dans « Mon sexe n’est pas mon genre » tu as cette phrase qui dit approximativement : « Est-ce qu’on demande à une femme qui subit le sexisme si elle souffre d’être une femme ? Non. C’est le sexisme qu’on inculpe. Alors pourquoi demande t-on aux trans s’ils souffrent d’être trans ? C’est la transphobie qui fait souffrir ». Se rendre visible, comme vous le faites avec STP est une manière de lutter contre la force des préjugés, contre la transphobie. Mais, selon toi, la pathologisation n’est elle pas aussi, surtout, dans les esprits, au moins autant que dans l’institution médicale ? Et donc : comment lutter contre ceci ? Quelles actions concrète vous menez ?

Sans aucun doute, la pathologisation a des conséquences au-delà des consultations médicales. La culture d’une transsexualité médicale est présente dans l’imaginaire collectif, dans la majorité des représentations sociales que nous connaissons. Précisément sur cette question, je viens de publier un essai (http://cositextualitat.uab.cat/?p=1632&lang=en) qui aborde l’impact de la pathologisation sur l’imaginaire collectif et la subjectivité des personnes trans dans la construction de notre identité. Je considère que ces deux travails sont très importants à réaliser en parallèle. Le changement de paradigme passe par la modification des lois des protocoles et des manuels de médecine et, à la fois, par la transformation de l’imaginaire collectif. Quand je parle de culture trans, je me réfère précisément à cela : générer des références trans en-dehors de la perspective médicale dans l’art, la littérature, le cinéma, les moyens de communication, le sport, la politique, l’éducation. La visibilité de nouveaux modèles est fondamentale pour combattre la stigmatisation de notre collectif.

Sin ninguna duda, la patologización opera mucho más allá de las consultas médicas. La cultura de la transexualidad médica está presente en el imaginario colectivo, en la mayoría de representaciones sociales que conocemos. Precisamente sobre esta cuestión acabo de publicar un pequeño libro (http://cositextualitat.uab.cat/?p=1632&lang=en) que trata sobre el impacto de la patologización en el imaginario colectivo y en la subjetividad de las personas trans, en la construcción de nuestra identidad. Pienso que son dos trabajos muy importantes que hay que realizar en paralelo. El cambio de paradigma pasa por modificar las leyes, los protocolos y los manuales de medicina y a la vez por transformar el imaginario colectivo. Cuando hablo de cultura trans me refiero precisamente a eso: generar referentes trans fuera de la mirada médica en el arte, la literatura, el cine, los medios de comunicación, en el deporte, en la política, en el sistema educativo. La visibilidad de nuevos modelos es fundamental para combatir la estigmatziación de nuestro colectivo.

 

On sait que la question de la représentation dans les médias est un fait que tu considères avec sérieux. Peux-tu dire pourquoi ?

L’impact des représentations médiatiques dans notre imaginaire social est très puissant et les représentations médiatiques des trans est toujours marginal et stigmatisante. Si on demandait à n’importe quel adolescent s’il connait une personne transsexuelle personnellement, il nous dira probablement que non. Si on lui demande s’il connaît l’existence d’une personne transsexuelle, il dira probablement que oui  et il nous parlera du cinéma d’Almodovar dans lequel les transsexuel.les sont majoritairement prostitué.es, accrocs à la drogue, où il nous parlera d’un personnage du cirque télévisuel. Les personnes apprennent ce qu’est la transsexualité par le biais de la télévision. Pour autant, il faut conquérir les moyens de communication et subvertir ces discours. Les réseaux sociaux ont médiatisé des campagnes de visibilité trans très intéressantes. Il faut savoir les utiliser sachant leur fort impact dans l’imaginaire pour développer des messages transformateurs et critiques.

El impacto de las representaciones mediáticas en nuestro imaginario social es muy potente. Y la representación mediática de lo trans sigue siendo muy marginal y estigmatizante. Si le preguntamos a cualquier adolescente si conoce a alguna persona transexual personalmente nos dirá muy probablemente que no, y si le preguntamos si sabe de la existencia de alguna persona transexual muy probablemente dirá que si y nos hablará de alguna película de Almodovar donde las transexuales son mayoritariamente prostitutas y drogodependientes o de algún personaje del circo televisivo. Las personas aprenden lo que es la transexualidad a través de la televisión. Y por lo tanto, hay que conquistar los medios de comunicación y subvertir esos discursos. Las redes sociales han mediatizados campañas de visibilidad trans muy interesantes. Hay que saber utilizarlas conociendo su fuerte impacto en el imaginario  para desarrollar mensajes transformadores y críticos.

 

Troisième partie : El genero desordenado

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Tu viens diriger un livre collectif, « el genero desordenado », préfacé par J. Butler. Peux-tu nous en fait un résumé ? Du moins nous en dire les grandes lignes ?

Plus que diriger un livre, j’ai coordonné une série d’article avec mon ami Gerard Coll-Planas, une sociologue exceptionnel. L’idée était de commencer à faire circuler des textes et des discours sur la question trans depuis un point de vue distinct de celui de la pathologisation. En langue espagnole, il n’y a pratiquement aucun livre sur le thème qui ne soit pas écrit par des médecins. Ainsi, nous avons demandé à diverses personnes qu’elles rédigent un texte sur la question et ce fut réellement une expérience très intéressante et très riche émotionnellement. Le livre compte trois parties : le regard des professionnels de la santé, le regard des sciences sociales et le regard depuis l’expérience trans.

Más que dirigir un libro, he coordinado una serie de artículos con mi amigo Gerard Coll-Planas, un sociólogo excepcional por cierto. La idea era empezar a hacer circular textos y discursos sobre la cuestión trans que hablaran desde un lugar distinto al de patologización. En lengua castellana no hay prácticamente libros que hablen de transexualidad y no estén escritos por médicos. Así que pedimos a diversas personas que escribieran un texto sobre la cuestión y fue realmente una experiencia muy interesante y emocionante a la vez. El libro consta de tres apartados: la mirada desde los profesionales de la salud, la mirada de las ciencias sociales, y la mirada desde la experiencia trans.

 

Un projet de traduction pour ce livre ou devrons-nous toujours le lire en espagnol ?

Pour être sincère, nous serions enchantés qu’il soit traduit en français et dans d’autres langues mais nous n’avons aucun financement ni n’avons eu de propositions de traducteurs spécialisés qui soient intéressés et volontaires. En dehors de cela, nous n’écartons pas la possibilité qu’il soit traduit un jour.

Seré sincero. Nos encantaría que se tradujera al francés y a otros idiomas. Pero no tenemos fondos, ni hemos tenido propuestas de traductores especializados que estén interesados en hacerlo o puedan hacerlo voluntariamente. A pesar de ello, no descartamos la posibilidad de que sean traducidos algún día.

 

Tes projets personnels Miguel ?

La question la plus difficile de l’entrevue ! La vérité, c’est que je suis dans une période où je m’interroge sur cette question. Quels sont mes projets personnels ? Est-ce que je veux poursuivre l’activisme ? Pourquoi et pour quoi ? Pour qui ? Faire un bon travail d’activiste, ce n’est pas facile. J’essaie de me limiter et de m’impliquer dans peu de projets pour les développer au mieux et en faisant attention aux relations au maximum (et parfois une réussite, parfois un échec). Au-delà, j’explore d’autres d’univers qui m’intéresse et pour lesquels il me manque du temps : la musique, les voyages, la technologie, la sociologie, le sport, la communication, la politique.

Uf…la pregunta más difícil de la entrevista. La verdad es que estoy en un momento de inflexión en el que me interrogo precisamente acerca de esa pregunta: cuales son mis proyectos personales? Quiero seguir haciendo activismo? Porque? Para que? Para quien? Hacer un buen trabajo como activista no es nada fácil, así que intento limitarme mucho e implicarme en pocas cosas para desarrollarlas con la mayor calidad posible y cuidando las relaciones al máximo (a veces lo consigo y otras fracaso). Más allá de esto, estoy explorando otros ámbitos que me interesan y para los que me falta tiempo: la música, los viajes, la tecnología, la sociología, el deporte, la comunicación, la política.


Liens :

Espai Obert Trans/Intersex
http://espaitransintersex.blogspot.fr
– 
http://fr.scribd.com/doc/109570240/Espai-Boletin-Oct-Ok

STP-2012
http://www.stp2012.info/old/fr
– 
http://www.stp2012.info/old/fr/objectifs
– 
http://www.stp2012.info/old/fr/a-propos-de-nous

El genero desordenado
http://elgenerodesordenado.wordpress.com

Entretiens avec le Strass


  La semaine dernière nous apprenions le décès de Rubis Karima de l’association Les Myriades Transs de Limoges. Elle a mit fin à ses jours. Nouvelle victime d‘une certaine transphobie d’Etat qui s’exprime entre autres par les affres subies par de nombreuses personnes pour l’obtention d’un état-civil, qu’elles soit prostituéEs ou pas, opéréEs ou pas, françaisEs ou pas. Il nous semblait important d’avoir ici une pensée pour elle. Les réseaux nous rapprochent et toute nouvelle victime devient un sujet dramatiquement familier.  


 

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Entretien avec Manon Lilas

 

 

Bonjour Manon. Nous te remercions d’avoir accepté notre demande d’entretien. Le Strass fait parler de lui, la prostitution fait parler d’elle. Les réseaux sociaux fourmillent de « pour » et « contre », la polémique n’étant jamais loin dans la plupart des cas. Pour ainsi dire, symboliquement on en vient souvent aux mains.

Nul n’ignore que pour une partie des groupes transidentitaires, la question de la prostitution est importante et ne doit pas être éludée ni être stigmatisée par avance. La position est en résumé : « Nulle crainte, nous savons que c’est une réalité de nos groupes, une réalité qu’on ne peut éluder au risque de reproduire involontairement à notre tour des stigmatisations et des discriminations à ne pas y prendre garde ».

Pour en revenir au Strass, nous avons donc des questions à vous poser et probablement de votre côté « des choses à nous dire » sachant qu’on ne va pas entrer dans le détail mais tacher d’avoir une vision globale des enjeux qui sont les vôtres.

 

ODT Peux tu nous rappeler les origines du Strass ?

Manon – Comme on peut le lire sur le site[1], le STRASS ou Syndicat du TRAvail Sexuel existe depuis 2009 en France. Il a été créé par des travailleurSEs du sexe lors des Assises européennes de la prostitution qui se tenaient alors à Paris ; y étaient rassembléEs des travailleurSEs du sexe, rejointEs par des juristes, des travailleurs sociaux, des sociologues, etc.

ODT Si l’on devait rappeler le contexte des « lois Sarkozy », l’expression « chasse aux putes » ne semble pas dénué de sens. On sait qu’en repoussant la prostitution loin des grands axes on a précarisé la situation des personnes en situation de prostitution qu’elles soit subie comme pour les femmes exploitées et violentées par proxénètes et réseaux criminels ou choisie en tant que métier comme pour les travailleurs et travailleuses du sexe. Provoquons : « cette chasse aux putes » pour l’ordre moral, pour une société conservatrice ? Est-ce que tout a débuté avec les lois dites Sarkozy ?

Manon – La chasse aux putes : En fait, nous avons toujours été chassé(e)s, voir enfermé(e)s (les maisons closes en sont un exemple), on a toujours voulu faire des lois pour les TDS[2] mais sans nous concerter ! Mais plus récemment nous avons eu droit à la Loi pour la Sécurité Intérieure de Sarko[3], qui a été présentée comme anti-proxo (on a voulut nous faire croire que si on mettait des amendes aux TDS, leurs proxo seraient emmerdés par ce manque à gagner et cesseraient leurs activités…bienvenue chez les Bisounours…). En fait cette loi est une loi anti-migratoire tout bêtement. La quasi-totalité des TDS arrêtées sont des migrantes…qui sont renvoyées dans leur pays lorsqu’elles sont en situation irrégulière…C’est de la que vient le chiffre de « 80% des TDS sont des migrantes », c’est bêtement basé sur les chiffre de la police qui ne s’intéresse qu’aux migrantes !

ODT – À suivre l’actualité sur le web 2.0, la presse écrite et le média audiovisuel, vous provoquez le débat à tel point qu’il devient parfois passionnel quand il devrait rester sur la scène de la raison. On sent un « ordre moral » parfois entre les lignes. Qui vous combat et sur qui pouvez-vous compter ?

Manon – Il y a un courant qu’on pourrait qualifier comme tu le dis « d’ordre moral » : « la prostitution c’est mal », « faut pas vendre son corps c’est pas bien », « vous brulerez en enfer !! ». Je pense que je n’ai pas besoin de te faire un dessin ! Il y a aussi ceux (qu’on retrouve en général plus à gauche) qui pensent que « vendre son corps » est le pire de ce qu’entraine le capitalisme… Oui, en plus d’être complices du patriarcat, nous sommes complices du capitalisme.

ODT – Tu as une anecdote à ce sujet d’ailleurs.

Manon – Oui, un jour un homme m’a sorti que j’irai « bruler en enfer avec les dirigeants de Coca-Cola car l’amour c’est free connasse ».

ODT – L’Insulte c’est « free » aussi à ce que l’on voit. Sinon du côté des courants féministes, des LGBTIQ en plus du soutien connu d’Act Up et Acceptess-T ?

Manon – Pour les féministes, certaines sont contre nous (OLF et cie…) et d’autres nous soutiennent (Elisabeth Badinter par exemple). Pour le milieu LGBT, je sais que nous avons des associations qui nous soutiennent et d’autres qui ne peuvent pas nous voir !

ODT – Par quelle autres questions vous sentez-vous concerné-e-s ?

Manon – Les autres questions de société dans lesquels nous sommes concernés sont l’homosexualité, la transidentité, la lutte contre les MST/IST (directement liée à nos conditions d’exercice), l’immigration…Mais aussi le féminisme en général.

ODT – Nous savons qu’il est parfois difficile d’avoir un discours soit expert, soit politique et militant, soit théorique, soit tout à la fois… Et d’incarner à la fois ce que l’on est, c’est-à-dire un être humain. Nous avons pensé avoir une petite phrase de quelques membres du Strass. Te concernant, peux-tu nous parler  un peu de toi cette fois ?

Manon – 25ans, pute depuis 4 ans. J’ai commencé durant mes études d’infirmière et continué après mon diplôme. J’ai choisi ce boulot car il m’intriguait, j’ai essayé et ça m’a plu. Soyons franches, je ne m’attendais pas à un rendez-vous d’escort comme le font miroiter les médias. Tu sais un sosie de Richard Gere, dans un palace, avec comme cadeau des Louboutins. Non. Moi ça a été dans une première classe minable, un jour de pluie avec un petit gros et pas très malin mais gentil !

Je ne vivais pas mal mon boulot, personne n’était au courant à part quelques amis, mais c’est vrai que les discours que j’entendais sur la prostitution, la plupart du temps, n’étaient pas très sympa, voir blessant. Puis, un jour, suite à un problème avec les flics je suis allée trouver l’association Grisélidis à Toulouse…où j’ai trouvé un discours et des gens qui collaient parfaitement à l’idée que je me faisais de mon boulot ! On va dire que ça m’a permis de prendre de l’assurance dans ma vie de tous les jours mais aussi face à mes clients (je connaissais mes droits, donc plus de tentatives d’intimidation ou de chantage). Et j’ai pu enfin parler avec des gens qui vivaient ou avaient vécu les mêmes choses, partager mes problèmes, mes interrogations…ou quelques fois juste pour se raconter des anecdotes rigolotes !

ODT – Manon, on ne vas pas s’acharner sur toi pour ce qui concerne l’actualité du Strass. Je crois que les lecteurs peuvent s’ils le souhaitent se rendre sur le blog du Strass pour s’informer plus amplement de vos positions et actions. Nous te remercions de ta confiance et pour le temps que tu nous a si gentiment accordé.                                 

Sur le net : http://site.strass-syndicat.org


[1] http://site.strass-syndicat.org

[2] Travailleurs-Travailleuses Du Sexe.

[3] LSI ou Loi Sarkozy II, 18 mars 2003.


Questions  à Thierry Shaffauser

Nous avons trois questions avec le libre choix de répondre qu’à une seule. Les voici :

1 – LE message que tu souhaiterais faire passer en ces « temps agités » ?

2 – Est-ce que la gauche ne rate pas le « train du progrès » de société avec les retours de la « morale » ?

3 – Est-ce qu’il te semblerait scandaleux de rapprocher la visibilité et la reconnaissance des travailleurs et travailleuses du sexe de celles des trans ?

 

Thierry Schaffauser a choisi de répondre aux trois questions :           

1 – LE message : peut-être le respect pour l’autodétermination des femmes et des minorités. La libre disposition du corps ne doit pas s’arrêter au droit a l’avortement. Nous avons la capacité de prendre des décisions pour nous-mêmes, même quand ces décisions sont difficiles a prendre.

Les femmes ont été déniées le droit de vote par peur qu’elles soient manipulées par l’Église car elles n’avaient pas la capacité. Je pense que tout être humain est doué de raison et de prendre ses propres décisions.

2 – De quelle gauche parle t’on? Je ne suis pas sur. Je pense que le problème numéro de la gauche française c’est l’universalisme républicain. Je ne sais pas si c’est donc la morale le problème. Davantage une impossibilité de reconnaitre aux putes leur capacité d’analyser leur propre oppression sans l’aide » de ceux qui pensent savoir comment nous libérer. Pour moi, le problème c’est plus une démarche un peu coloniale de vouloir apporter la civilisation au monde et éduquer le peuple sur des valeurs de dominants.

3 – J’oserais beaucoup plus de comparaisons avec les luttes trans. Pas que sur la question de la visibilité. Il y a un réel risque de pathologisation des putes avec cette pénalisation des clients, et notre statut d’inadaptés sociaux. Les faux experts psys et autres continuent de vouloir décider à notre place sur l’usage de nos corps et de nos sexes.


Liens :

 

Le blog de Thierry Schauffauser :  http://thierryschaffauser.wordpress.com/

L’article de Thierry Schauffauser dans le nouvel observateur : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/598549-madame-vallaud-belkacem-vous-devez-ecouter-les-travailleurs-du-sexe.html

L’entretien que Morgane Merteuil a donné à Libération  :  http://www.liberation.fr/societe/01012375851-elle-travaille-aux-corps

A l’occasion de la parution de «Libérez le féminisme !», Morgane Merteuil, les éditions l’Editeur, 144 pages, le 6 septembre 2012 : http://next.liberation.fr/sexe/2012/09/04/le-feminisme-prosexe-proporno-proputes-de-morgane-merteuil_843615

Le liens vers Myriades Transs pour pas oublier que la question de la précarité, due à l’absence de droits, ça concerne les Trans comme les putes, et que, parfois, le destin se finit tragiquement (on pense à Karima) : http://www.association-les-myriades-transs.eu/Association_Les_Myriades_Transs/Bienvenue_a_lAssociation_Les_Myriades_Transs.html


   

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Réflexions

Il y  a peu, on m’a demandé quelle était ma position sur la question de la prostitution. J’ai pris du temps pour y réfléchir bien que certaines pensées soient très spontanées. Je n’ai donc pas l’inconscience d’ignorer la traite des femmes et leur exploitation dans la marchandisation de leur corps à leur corps défendant, la violence, le viol et le proxénétisme puisque ce sont les premières images qui s’imposent à moi. Impossible par conséquent de s’opposer aux luttes pour remédier à ces situations inacceptables et dramatiques, sachant qu’aucun mot ne sera jamais assez fort pour les décrire. Mais il se trouve qu’au fil de mes engagements associatifs et militants, je me retrouve avec pas mal d’amies de « 20 ans » qui sont « putes » comme ils et elles disent. Les plus jeunes sont tous et toutes au Strass.

Je me suis un jour retrouvée à l’occasion d’un colloque, face à un conflit de taille entre une féministe de la première heure (j’écris cela avec un très grand respect) et une travailleuse du sexe (même respect). Chacune argumentait et le public qui réagissait sans retenue tranchait pour l’une ou l’autre. Un match de boxe ou un match de catch ou cours duquel le KO était recherché. Tout cela pourrait paraitre qu’une banale anecdote si je ne précisais pas que femmes étaient toutes deux mes amies. Je respectais et comprenais les arguments et raisonnements de l’une et l’autre. Mais le constat au final, était celui de l’inconciliabilité des points de vue. Cet événement m’a bouleversé émotionnellement et intellectuellement. Il me fallait comprendre.

La situation du Strass n’a pas été sans me faire songer à celle des trans, la question de l’abolition ou de la non abolition n’a pas été sans me faire songer à celle de l’opération ou de la non opération.  Allez dire à l’ensemble des groupes trans : « Votre demande-là c’est beaucoup de trouble dans le genre et à l’ordre public [des ordres symboliques]. Vous vous déclarez tous et toutes hommes ou femmes : alors c’est l’opération pour tout le monde ou rien », ce qui a été bel et bien sous diverses formes une réalité qui commence tout juste à donner lieu à théorisation. Allez dire aux différents groupes trans : « votre demande-là, c’est contre nature. Plus aucune opération ne sera autorisée ». Irrémédiablement le tout ou rien, on le voit.

Prenons le mariage homosexuel ou la parentalité. Comment réagir si le « mariage gay » devenait une obligation pour tous les couples gays et lesbiens, ajoutons-y une prohibition à la bisexualité, ici encore une réalité qui ne dit pas son nom dans bien des dimensions intra-communautaires. Et par dessus le marché, doublons ce mariage d’une injonction à la parentalité. Quel renversement ou quelle cuisine pour ironiser !?  Si le mariage est autorisé pour ceux et celles qui le souhaitent, nous devons assurément nous en réjouir et aux autres de ne rien nous imposer.

Autre cas de figure : « les trans ça n’existe pas ». Je ne parle pas des « vrais femmes et des vrais femmes issus de la transidentité » qui ont bien le droit de se reconnaître dans un système que d’autres jugent patriarcal, sexiste, binaire, violent et inégalitaire. Seuls trans qui durant près de quatre décennies ont eu le droit d’exister tandis que les autres « identités flottantes », « homos invertis », « travestis », n’existaient pas. Ceux là mêmes qui depuis la fin des années 1990 dénoncent l’ordre symbolique, qui ont greffé le T à de nombreux sigles. Trans parfois féministes, altermondialiste,  écologistes, anarchistes ou encore pacifistes. Assis à la table même des ministères on n’existait pas face à nos interlocuteurs. Dans combien de groupes, y compris face à l’opinion publique la présence physique ne suffit pas à gagner « la simple reconnaissance d’existence » ?

Au-delà des lobby réels ou supputés des uns et des autres, j’ai voulu comprendre ce qu’était le Strass, qui étaient ces personnes dont on dit au final qu’elles n’existent pas quand bien même elles sont face à nous en nous parlant les yeux dans les yeux.

Un beau matin, j’ai posté  un message du Strass et cela a suffit à faire fuir une partie « d’ami-e-s ». Je venais tout juste de lire « Mais oui c’est un travail, Penser le travail du sexe au-delà de la victimisation »[1], et avec une certaine naïveté je pensais que tout le monde se questionnait. Ce dernier événement m’a conduite à m’interroger et à creuser, à revenir sur mon a priori, et ce qui pourrait s’inscrire sous la notion d’imprégnation symbolique. J’ai lu « Vous aimeriez que votre enfant vous dise qu’il veut se prostituer ? », et là je me rappelle que mon père avait répondu par la négative aux questions : « Aimeriez-vous que votre enfant vous dise vouloir devenir « une femme » ? Aimeriez-vous que votre enfant soit « trans » ? ». La mort aurait été préférable de son point de vue, au moins il aura répondu à celle question positivement. Nos points de vue sur les situations de prostitution ou des travailleurs et travailleuses du sexe quels sont-ils en toute honnêteté ? Vie, mort, dialogue,conflits, négociations, fin de non-recevoir ?

 Karine Espineira


[1] PARENT Colette, BRUCKERT Christine, CORRIVEAU Patrice, NENGEH MENSAH Maria, TOUPIN Louise, Mais oui c’est un travail, Penser le travail du sexe au-delà de la victimisation, Québec : Presses de l’Université du Québec, 2010, 137 p.

Entretien avec Abdellah Taïa

Jean Zaganiaris

Enseignant-chercheur au CERAM/ EGE
Chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne

 

 Infidèles


Auteur de Une mélancolie arabe (Seuil, 2008) et Le jour du roi (Seuil, 2012, Prix de Flore), Abdellah Taïa vient de publier son dernier roman Infidèles aux éditions du Seuil. Connu pour avoir fait son coming out au Maroc et pour revendiquer publiquement son homosexualité, Abdellah Taïa est un écrivain important du champ littéraire contemporain.

Interview effectuée par Jean Zaganiaris

 


 

Quel est le sujet de votre dernier roman ?

Mon nouveau livre,  Infidèles  (Editions du Seuil), vient de sortir en France. Et très bientôt au Maroc. Il parle d’une mère marocaine. Elle s’appelle Slima. Elle est prostituée à Salé. Elle assume pleinement ce métier. Elle porte sur ses épaules toutes les contradictions et les frustrations des Marocains. Elle a un fils, Jallal. Celui-ci n’a pas du tout honte de sa mère. Il est avec elle, en elle. Ils sont un cœur seul, unique. Ils sont deux en un seul corps. Ils sont des parias mais, malgré le rejet permanent de la société, ils résistent. A leur manière. La politique menée par le roi Hassan II durant les années 80 va les séparer. Les obliger à envisager l’avenir l’un sans l’autre. Être contre le Maroc. Rejeter le Maroc. Durant cette transformation, un lien demeurera fort entre eux : l’islam. Ils sont considérés comme impurs par les autres. Cela ne les empêche pas, tout au long de ce livre, de cultiver un rapport libre avec les signes de la culture musulmane dans l’espace et l’imaginaire arabes. Et quand je dis libre, j’entends par cela : transgressif. Le livre les mènera dans des zones où la compréhension s’arrête et où la fusion avec l’autre (le ciel, un prophète, une icône du cinéma mondial, une chanson) devient une urgence vitale. La fin renvoie au début. Et cet éternel recommencement des choses,  de nos erreurs, de notre incapacité  être libre sur cette terre, c’est une de mes plus grandes obsessions… 

 

Dans Le jour du roi, quelles sont les raisons qui vous ont amené à écrire sur le transgenre ?

Écrire, c’est tout mélanger. Se mélanger. S’évaporer dans l’autre, les autres. Dans la même lumière, celle qui nous a fait naître. Je suis homosexuel assumé, mais je ne peux absolument pas vivre mon homosexualité uniquement avec des homosexuels. Le rapport à l’autre (ma mère, mes amies, mon grand frère, mes ennemis), même quand il persiste à me renier, est important à mes yeux. Très important.

 

Est-ce qu’il y a un message que vous souhaitez faire passer sur « l’identité trans » ?

Un message ? Nous sommes tous le fruit d’un mariage explosif entre les cultures et les différentes natures humaines. Cela me paraît une évidence. Quelque chose d’assez simple à comprendre. Rejeter l’autre qui, soi-disant, ne nous ressemble pas est une énorme erreur. Parce que, en faisant cela, c’est nous-mêmes que nous rejetons, que nous tuons.

  

Comment vous vous positionniez par rapport à la queer theory ?

Je ne connais pas très bien la « Queer Theory ». Mais je sais qu’elle joue, depuis quelques années, un rôle fondamentale pour réveiller les êtres humains d’aujourd’hui, les empêcher de glisser petit à petit (et de nouveau) vers le fascisme.

 

Est-ce que ces corps soufis « androgynes » et « transsexuels » dont parle par exemple Khatibi dans Le livre du sang ont pu vous inspirer, notamment lors de l’écriture du Jour du roi ?

Dans « Infidèles », le fils s’appelle Jallal. Ce tout sauf une coïncidence. Ce livre intègre les images d’un film-monde (La rivière sans retour  d’Otto Preminger, avec la déesse Marilyn Monroe et Robert Mitchum) à sa propre écriture et suit le souffle amoureux révolutionnaire du très grand poète Jallal Dine Rumi. Il faut relire ce grand soufi et voir à quel point il était, bien avant tout le monde, dans le dépassement des frontières des corps, des sexes et des identités.

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Mis en ligne, 10.06.2012.

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