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Étiquette : Etudes transgenres

Études Trans par des trans pour des trans (mais pas que…)

Article mis en avant

L’Observatoire des transidentités (ODT) est un site indépendant qui souhaite valoriser les études trans (transgender studies), c’est-à-dire des études menées par des personnes trans sur les questions qui les concerne.

Ce n’est ni « communautaire » ni « ghettoïsant » et il n’est rien différent  du projet des women’s studies d’« d’ouvrir un champ d’études qui soit à la fois consacré aux femmes et animé par elles » (A. Berger, 2008 : 83-91).

Les coresponsables du site sont : Maud-Yeuse Thomas, Karine Solène Espineira et Héloïse Guimin-Fati.

Karine Espineira, Les Trans Studies face aux résistances académiques

Les Trans Studies face
aux résistances académiques et médico-légales

Karine Espineira
Doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication


 

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  Cet exposé prend forme à travers un détour relatant dans les grands traits la résistance des Sciences de l’Information et de la Communication aux Gender Studies.


 Introduction

Phoenix, Wolverine, Cyclope, ou Diablo, parmi d’autres mutants, sont sous la tutelle bienveillante du professeur Charles Xavier, leader des X-men, lui-même est un mutant en plus d’être handicapé moteur. Ces personnages sont des figures des Marvel Comics, de la bande dessinée populaire américaine et sont pour la plupart portés au cinéma. Ces héros sont pour certains issus d’accidents, d’autres sont le fruit de l’évolution comme les X-Men. Les séries télévisées ne sont pas en reste non plus sur ce thème ouvert par Buffy Slayer (1997-2003) et comme l’illustre aujourd’hui en partie la série Sanctuary, la plus récente à ma connaissance à développer le thème du monstre, du mutant et de la confrérie.

X-Men

    Côté mutant, deux courants s’affrontent. Le premier prône intégration et tolérance, se donne pour objectif de sauver ou protéger l’humanité bien que celle-ci les pourchasse telles les « sorcières » en temps d’obscurantisme. Le deuxième courant combat purement et simplement cette humanité qui ne veut pas d’eux, les discrimine en les mettant au ban de la société. Entre anti-assimationnistes et intégrationnistes la bataille fait rage – au-delà du manichéisme, les mutants mettent à mal les sociétés dans lesquelles ils émergent. Ils naissent isolés, vivent en errant, finissent pas se rencontrer, créent des groupes, des socialités spécifiques en adéquation avec leur « nature profonde » et interrogent l’inné et l’acquis au grès des batailles, des alliances et mésalliances.

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Dans les questionnements existentiels véhiculés ou traduits par la culture populaire, la figure du mutant n’est pas seulement un anormal biologique mais aussi une singularité psychologique.

Il n’est pas rare que des transidentités se retrouvent dans cette analogie comme l’illustre en partie cette affiche de l’Existrans 2008. On n’accorde pas un pouvoir d’expertise aux mutants, on ne leur prête aucune capacité d’analyse sur leur propre cas. On ne s’étonnera pas que les trans’ se retrouve dans les analogies du mutant, du freaks, du déviant, les incluant dans les expressions de ce qui est ou pourrait être une culture communautaire.

La mutation, ou la “métamorphose impensable” dirait P.H. Castel,  est illégitime, disqualifiante, tendancieuse, elle suscite donc la résistance.

Légitimité académique et assise identitaire
 

Les Sciences de l’Information et de la  Communication ont eu à lutter pour leur légitimité – les Gender Studies tout autant. Bien que les SIC tentent de retrouver les pères fondateurs, à travers les différents écrits publiés depuis quelques années, on se souvient peu des premières promotions d’étudiants de cette discipline nouvelle. Les jeunes étudiants des années 1980 se souviennent sans doute, eux, de l’expression « sciences carrefour » assenée en séance d’introduction de la session universitaire : on se souvient sans peine de la recherche de légitimité de cette discipline nouvelle.

Il y a donc deux histoires, à deux voies : celles des acteurs de l’institutionnalisation de la discipline et celle des étudiants des deux premières décennies (1975-1995) engagés dans une filière aux débouchés incertains, ironisant sur un « mélange des genres » tant dans le contenu des programmes que dans la constitution du corps professoral.  La volonté affichée était d’investir un champ qui par sa nouveauté pouvait aussi laisser place à l’audace qui animait nombre de futurs « professionnels de la com », comme d’enseignants et de chercheurs en place aujourd’hui. Faut-il parler d’engagement concernant ces générations ? Nous y voilà. Engagement en tout cas susceptible de concerner singulièrement les chercheurs soutenant des études de Genre au sein de SIC actuellement. 

La réflexion sur le contraste entre l’abondance des publications sur les questions de Genre (problématiques et débats) et la discrétion des sciences de l’information et de la communication est menée depuis plus de dix ans. C’est dire la résistance des SIC aux Gender Studies, tel un paradigme exotique susceptible de venir entacher une reconnaissance académique obtenue depuis peu. M. Couloumb-Gully et M.J. Bertini expliquent que l’introduction des questions de Genre au sein des SIC a bousculé l’assise identitaire de cette interdiscipline.

 

 

    Epistémologie du genre

    Comment les études de communication peuvent “penser le genre” ? Elle peuvent en premier lieu s’intéresser à l’articulation sexe-genre dans les modes et dispositifs de communication. Les interactions sociales sont animées par une communication sexuée et genrée découlant des classes de genre pour citer Kate Bornstein, découlant de l’institutionnalisation d’un pôle masculin et d’un pôle féminin dans un cadre social binaire, hiérarchisé

    Marie-Joseph Bertini n’y va pas par quatre chemins. Les SIC résistent. Alors comme un passage en force, elle va implémenter le genre dans les études en SIC, mener sa critique et s’engager dans une épistémologie fondée sur l’idée que les communications sont structurées par les rapports de sexe et de genre. L’épistémologie du genre ne fait pas l’impasse du symbolique et de l’arbitraire dans la construction des savoirs. Pour Marie-Joseph Bertini, le Genre est le premier principe d’organisation sociale et communicationnelle ; il doit s’ajouter aux nombreux programmes de recherches en SIC qui ont pensé le corps et la technique, les sons et les images, les signes et les symboles.

    Dès les années  1960, les Cultural Studies  entament les débats et questionnent les enjeux politiques sur les rapports culture-société. Le Genre est compris comme l’une des données à intégrer « aux méthodes et outils de la critique textuelle et littéraire » disent Armand Mattelart et Éric Neveu. Ces méthodes doivent être appliquées non plus exclusivement à une culture dite « noble » mais déplacée vers les  productions de la culture de masse. Ce glissement du Genre vers la théorie académique contestataire, va d’extension en extension, conduire aux Women Studies qui émergent des Cultural Studies en mettant en valeur la variable genrée, dont on attribue communément la valorisation à la sensibilité féministe de chercheuses comme Charlotte Brunsdon et Dorothy Hobson (1978). Enfin, les Trans(gender) Studies débouchent des Gender, Gay & Lesbian & Queer Studies, tenant aussi leur valorisation à des sensibilités savantes. Je m’arrête un instant sur la terminologie “sensibilité”. Une sensibilité dite féministe signifit-elle la disqualification du propos, de la place et du cadre d’énonciation ? Est-ce que la chercheuse s’expose à une qualification militante de sa parole, qu’on la dise engagée ? Ou y verra-t-on plutôt une localisation du discours : qui parle et d’où ?

    Peut-être que les Trans Studies n’existent pas car elles trouveraient sécurité à se fondre dans les études de Genre en raison des résistances académiques faisant elles-mêmes écho aux résistances des institutions médico-légales en matière de reconnaissance d’une expertise transidentitaire.  Les séminaires Q de l’association le ZOO (1996 à 1998), représentaient, pour les transidentités y participant, une première tentative de théorisation sinon de politisation. Accéder aux savoirs et expériences du féminisme pour penser l’inégalité de la différence des sexes et poser l’idée du « binaire » que les trans eux-mêmes pouvaient reproduire, devenait un enjeu théorique pour les trans du ZOO. L’hypothèse du mutant s’y fait entendre tout comme la nécessité de Trans Studies formant une base de pensée aussi bien politique que théorique refusant de participer à la politique de la différence des sexes perçue et étudiée comme franche inégalité. 

    Effets symboliques 

Marlène Coulomb-Gully affirme que les SIC ne peuvent ignorer la variable genrée dans les processus de médiatisation. Variable ô combien signifiante comme le démontre Marie-Joseph Bertini dans la mise en lumière des mécanismes complexes de formation et d’usage des Figures imposées aux femmes par le truchement de la presse écrite plus particulièrement. Pour s’en convaincre il suffit d’étudier la presse écrite dans le cadre des présidentielles de 2007 et de la candidature de S. Royal comme l’a fait M.-J. Bertini dans Femmes : Le pouvoir impossible. 

Succédant et s’ajoutant aux préoccupations du féminisme, des débats sur la parité, des rapports masculin-féminin dans un contexte de « domination masculine », les études de genre et à travers elles la transidentité, viennent focaliser une partie des discours et faire naître des recherches en Sciences Humaines et Sociales. Les trans ne sont plus considérés comme sujets singuliers, isolés dans un parcours médical et une errance juridique, mais appréhendés dans un parcours d’existence, une trajectoire culturelle et sociale, par l’ethnopsychiatrie (Centre Devereux avec Tobie Nathan et Françoise Sironi, entres autres), par l’anthropologie (Laurence Hérault) et la sociologie (Marie-Hélène Bourcier, Éric Fassin, Éric Macé). Si on admet que les Trans Studies existent, alors elles constituent ainsi un nouveau champ de recherche en construction en France, quoique cette recherche n’en soit qu’à ses prémisses si elle n’assume déjà pas l’expression Trans Studies. On notera cependant l’intérêt pour les questions transidentitaires de la part de tel chercheur ou telle chercheuse se réclamant aussi bien des études féministes que des études de l’anthropologie culturaliste.

J’en reviens à ma propre recherche pour parler de ma tentative pour implémenter les Trans Studies en Info-Com et au-delà (comme je suis ambitieuse !). On retrouve la variable genrée dans les représentations télévisuelles. Suivant Daniel Bougnoux, il convient de pointer « en direction d’une médiologie », pour nous intéresser au médium dans ses aspects sémiologiques et pragmatiques. En un mot, nous nous intéressons aux « effets symboliques ». En ce sens, je suis une sociologue des médias.

Par vous donner un exemple concret, dans le cadre de ma recherche, m’intéresser aux effets symbolique, c’est examiner la télévision comme un outil générateur et/ou médiateur de représentations, c’est interroger les termes des retransmissions (comment sont diffusées et élaborées les images des transidentités), c’est questionner la réception et définir la part des imaginaires médiatiques et socioculturels, et enfin c’est chercher la valeur ajoutée (sociale, morale, esthétique, politique, philosophique).

Work in progress… 

S’il y a obligation à neutralité idéologique dans les études en sciences humaines et sociales, il y a surtout un engagement intrinsèque dans les études de Genre auxquelles revient le rôle de mettre à jour normes et ordres symboliques (Bertini), dispositifs de pouvoir (Bourdieu), institutionnalisations (Castoriadis) et processus de normation (la nature prescriptive de la norme, Foucault). Les Trans Studies n’échappent pas à la règle.

Notre esquisse des résistances médico-légales, et académiques, a pris plusieurs détours par des « précédents ». On aurait pu parler longuement des résistances de l’académie au féminisme et aux chercheuses étiquetées “féministes”.  Concernant l’institution médico-légal, la résistance aux « demi savants » du terrain transidentitaire se résume à un étiquetage militant, ce qui revient à une disqualification pure et simple du propos issu du terrain par la formule : « ces militants trans en colère » (Chiland , 2010), appliquée aussi bien aux actions passées du Groupe Activiste Trans qu’aux théorisations issues du terrain par la voix d’une chercheuse indépendante comme Maud-Yeuse Thomas ou d’un psychologue clinicien comme Tom Reucher. Les lignes suivantes – extraites d’un article de l’Observatoire Des Transidentités – donnent le ton des formes que ces résistances prennent, tout faisant le constat de positions voulues inconciliables entre une organisation qui sait et un sujet qui prétends savoir, je cite l’apport d’Arnaud Alessandrin à ce constat à travers l’exemple de la Sofect (pour faire court,  la sofect est une association de psychiatres et de médecins en chargé des suivis transsexuels), il écrit : Un des arguments soutenu par la SOFECT  est qu’il y aurait dans ce militantisme, quelque chose de l’ordre de « l’incompris ». Etre médecin c’est être sérieux et les gesticulations associatives ne sauraient faire plier un savoir qui tient sa légitimité, non seulement d’une reconnaissance étatique (même implicite), mais plus largement de l’idée d’un sexe et d’une binarité immuables, complémentaires. Si les trans sont militants alors les détracteurs d’une expertise transidentitaire sont tout aussi militants dans leurs arguments.

Dans le même temps, comment ignorer les résistances passées de l’université face au féminisme et aux Gender Studies encore aujourd’hui dans les SIC comme j’en ai donné l’exemple ? Nous aurions pu cantonner l’exposé aux questions de la reconnaissance, de l’expertise et des savoirs, mais sommes-nous en droit de réaliser ainsi une impasse sur des habitudes aussi volontaires qu’involontaires de la part des institutions précitées ? Ces résistances s’expriment aussi dans la condescendance et le mépris individuel tant  qu’institutionnel, dans les difficultés rencontrées par les étudiants (trans et non trans’) en sciences humaines et sociales à mener des recherches sur le terrain transidentitaire, à oser ou pouvoir inscrire leurs travaux dans lesdites (Trans)Gender Studies, quand ils ne parviennent pas à trouver un directeur de recherche en mesure de porter et assumer ces sujets. Il est des sujets disqualifiant en université, en grande majorité, les thèmes portés les Trans Studies semblent en faire partie pour un temps indéterminé. Nous avons beau être entre gens érudits à l’académie comme dans les milieux LGBT culturels et/ou militants, entre personnes de niveaux culturels présupposant un acquis humaniste minimal, il n’en reste pas moins que les échos des diverses formes de mépris envers un savoir en construction est assourdissant.

Ma phrase de conclusion pourra être qualifiée d’engagée ou alors dite issue d’une militante trans en colère. elle sera la suivante : Si l’on prétends pouvoir faire des Trans Studies sans les trans’ alors ces Studies là, se placeront dans le Panthéon des impostures scientifiques.

 


Références bibliographiques :

Bertini M.-J. (2002), Femmes : Le pouvoir impossible, Pauvert, Paris.

Bertini M.-J. (2009), Ni d’Eve ni d’Adam : Défaire la différence des sexes, Max Milo, Paris.

Bougnoux D. (2006), La crise de la représentation, La Découverte, Paris.

Espineira K. (2008), La transidentité : de l’espace médiatique à l’espace public, L’Harmattan, Paris.

Espineira K. (2011), Transidentité : de la théorie à la politique. Une métamorphose culturelle entre pragmatisme et transcendance, L’Information Psychiatrique, Volume 87, N°4, avril. Paris, p. 279-282.

Fleury B. & Walter J. dir. (2009), Penser le Genre en Sciences de l’Information et de la Communication et au-delà, in Questions de communication n°15, Nancy.

Reucher T. (2005), Quand les trans deviennent experts, Multitudes n°20, Paris.

Thomas M.-Y. (2010), De la question trans aux savoirs trans, un itinéraire, in Le sujet dans la Cité n°1, Christine Dolory-Momberger dir., Téraèdre, Paris.

Textes et dossiers sur L’Observatoire des Transidentités : http://observatoire-des-transidentes.over-blog.com

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