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La Transidentité en 2011

 LA TRANSIDENTITÉ EN 2011 :

TOUT BOUGE ET RIEN NE CHANGE
(pour l’instant…)


 

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Cela fait très longtemps que tous les fronts de la contestation trans’ n’avaient pas été actifs en même temps. Ou pour ainsi dire : jamais. Associations, universités, médias, tribunaux… Tout s’empare de la question trans’, ou plutôt « les trans’ s’emparent de toutes ces questions ». Cependant, rien n’a encore réellement changé ; tout du moins pas encore. Tour d’horizon de cette année 2011.

 

L’OUVERTURE DE NOUVEAUX FRONTS

            – Le front juridico-politique : du local à l’Européen

Avec les déclinaisons françaises de la résolution 1728 du Conseil de l’Europe, par Michèle Delaunay à l’assemblée nationale ou François Hollande dans son programme, le front juridique est dés plus actifs. Le lien local-Européen sur cette question, n’avait pas été ouvert depuis la condamnation de la France par la Cours Européenne des Droits de l’Homme en 92. Quant au débat politique, il avait été tout simplement torpillé par l’UMP lors d’un remaniement ministériel sonnant le glas des discussions avec les associations trans’ concernant d’improbables « centres de référence ». Mariage, adoption, stérilisation : les militants trans’ se sont emparés des estrades de visibilité juridiques au-delà même de la question trans’ (le mariage homosexuel par exemple).

– Le front médiatique : des individus et des collectifs

Mais cette visibilité ne s’est pas faite uniformément. D’un côté, des actions individuelles, médiatiquement couvertes (le mariage de Stéphanie Nicot ou celui de Chloé Avrillon) et de l’autre des actions plus collectives, dont la médiatisation a parfois été plus faible, comme lors du T.dor ou de l’Existrans par exemple. Évidemment les médias restent friands d’une transidentité susceptible de faire monter l’audimat. Se succèdent alors des reportages rediffusés (« c’est quoi l’amour ? ») et des tentatives plus abouties, plus généralement saluées par les trans’ eux-mêmes (« mes questions sur les trans’ » de S. Moati). Le « cas » trans’ et la « cause » trans’ se superposent alors pour, avec plus ou moins de succès, imposer médiatiquement des revendications.

– Le maintien d’un fort élan associatif

L’année 2010 fut lourde en événements, notamment avec les réunions ministérielles autour des centres de références proposés par Roselyne Bachelot. Cette année, les associations de terrain n’ont pour autant pas perdu de leur verve militante. Au-delà des cas individuels mis en avant par les associations, le mouvement trans’ a su proposer de nouveaux supports. L’association Chrysalide reste pionnière en la matière avec un site sur la prévention et le VIH («Gare à tes fesses ») poursuivant ainsi le travail d’OUTRANS avec le fascicule « DTC : dicklit et t claques ». En cette fin d’année on notera la publication de la recherche effectuée par Chrysalide et le travail de Mutatis Mutandis qui propose le livre collectif : « La transidentité : des changements individuels au débat de société » (l’Harmattan).

– L’université et les savoirs trans’

Les chercheurs et les militants ont proposé quelques alliances cette année, chose peu fréquente depuis le « ZOO » de Marie Helene Bourcier, notamment avec une série de colloques sur les futurs DSM ET CIM à Bordeaux et Paris (dont l’ODT s’est largement fait l’écho). L’ODT justement, devient aussi une nouvelle plateforme de savoirs et d’informations alliant monde universitaire et monde associatif. Et ces alliances, ces rencontres, trouvent un terrain d’entende dans la dénonciation des monopoles psychiatrisants et excluants, comme on peut le lire dans la conclusion de l’enquête d’Alain Giami :

« Ces résultats, qui font apparaître l’inadéquation relative de l’offre de soins, témoignent égale­ment de l’urgence d’une réflexion sur le protocole public « officiel » de prise en charge des trans en France, notamment en le mettant en regard avec l’offre de soins proposée dans d’autres pays. »

 

LES ANGLES MORTS DES AGENDAS POLITIQUES ET MILITANTS

– L’invisibilité des F/M T X

Mais tous les fronts ne sont pas aussi actifs. La question trans’, toujours dominée par la question « transsexuelle », ne fait que peu de place aux altérités de genre nouvelles telles qu’on les voit dans le reportage « mon sexe n’est pas mon genre » (V. Mitteaux) ou telles qu’elles s’expriment aux UEEH. Avec les associations OUTRANS et Chrysalide une nouvelle génération de militants s’est rendue visible : plus jeunes, MtF autant que FtM, pas forcément suivis par des protocoles ; ils promettaient une visibilité aux nouveaux profils transidentitaires. Pourtant, force est de constater qu’il persiste une zone d’ombre du côté des identités et des corps FT* MTU FTW ou MTX, que l’on n’entend parfois, rarement, dans les subcultures trans’ et queer, mais qui restent inaudibles pour le plus grand nombre.

– La question intersex’…

Aux côtés de la question trans’, la question intersex’ est, elle aussi, souvent évoquée. Pourtant, le mouvement militant intersex’ ne parvient pas, comme commence à le faire le mouvement trans’ et comme a su si bien le faire le mouvement homosexuel, à s’inscrire dans les agendas politiques. Quelques figures et associations intersex’ fournissent néanmoins des éléments vitaux au débat sur la libre disposition de son corps, sur le choix des formes et des fonctions désirées de ce dernier (« Vincent Guillot » ou l’association « Orféo » pour ne citer qu’eux). Alors que quelques partis politiques prennent clairement position sur la question trans’, nous regrettons le silence existant concernant le question intersex’.

– Autour des transidentités

Parler des transidentités c’est aussi parler des questions qui gravitent autour. Celles qui ont touché la question trans’ une fois comme celles qui sont devenues au fil du temps des compagnons de route. Chaque année, les sujets marronniers proposent pour le 01 décembre une action ou un reportage sur le sida. Cette année, entre la recherche d’Alain Giami et celle publiée en ligne par Chrysalide, la question trans’ et celle du VIH se sont affichées côte à côté. On espère que la question ne soit pas aussitôt oubliée. De même pour le sujet de la prostitution, porté par des projets de lois liberticides, dont l’actualité a permis de rappeler les combats (et donc aussi celui des trans’ prostitué.e.s.).

C’est l’occasion pour nous de faire un focus sur la militance théorique depuis la position du chercheur-militant dans sa quête et requête d’une visibilité institutionnelle à la fois en tant que personne et citoyen qu’en tant que chercheur sur un terrain colonisé et dilapidé par une idéologie maltraitante et malhonnête.

 DU DÉBAT ET SON ORDRE 

Quand changer de sexe nécessite un syndrome (L. Hérault)

Les trans attendaient une ouverture du rapport de la HAS et une suite à la déclaration de R. Bachelot en 2009 régulant les pratiques et reconsidérant le sujet trans’. Elle n’a pas eu lieu. Par ailleurs, la trajectoire transsexe, comme trajectoire d’identité essentialisée, vient à écraser les autres trajectoires d’existence non essentialisée qui ne reçoivent aucune attention et proposition, notamment juridique, en reconduisant une violence transsexe vs transgenre. L’initiative du CCOMS dirigé par J-L. Roelandt proposait une table ronde en 2007 où la question trans, co-organisée par M-J. Bertini et P. Desmons pouvait être portée par les trans eux-mêmes, mais n’a pu trouver un espace qu’à la marge de cette rencontre. En ligne de mire, la stigmatisation dans la prise en charge totalement inabordée dans la question trans. Les termes en étaient pourtant clairs : « La lutte contre la stigmatisation doit reposer sur des objectifs définis à partir du vécu même des 
victimes de la stigmatisation et non uniquement à partir des représentations des autres membres 
de la société ou d’hypothèses théoriques. ».

Annonce généreuse mais sans effet car le sujet n’est jamais énoncé et respecté. Décembre 2010, le CCOMS reprend l’initiative dont nous avons rendu compte à l’ODT[19]. Une rencontre a également lieu à Bordeaux le mars 2011[20]. Cette fois, nous sommes partie prenante directe mais le débat n’a lieu que par/dans le retour de ces stigmatisations sur les lieux de la prise en charge, d’une dénonciation des maltraitances et violences et une demande de dépathologisation. En questionnement, le statut de la discipline en charge d’une étude et réflexion dont la Sofect se voulait le nouveau porte-parole coordonné avec C. Chiland et M. Bonierbale[21]. Qu’en est-il de cette frontière, dure ou floue, entre normalité et pathologisation ? Sur quoi repose-t-elle réellement ? Les arguments de la modélisation universaliste et la preuve clinique d’une affection tombés, ne reste que le truchement de relativismes normatifs dont cette population, après d’autres, est victime. Les gender studies ont largement participé à l’ouverture de ce débat, non sans heurts. Tout se passe ici non seulement comme une refermeture sur une exception isolée dont l’hégémonie pratique de la psychiatrie serait la garante, mais encore un déni culturel de l’évolution de la société mettant en branle des subjectivités non essentialistes.

Le débat sur la dépsychiatrisation se voulait être une double réflexion ;

1/ sur le statut paradoxal d’une discipline abordant ce sujet via des normes historiques datées et pensées comme cadre indépassable ;

2/ d’un partage des expertises et connaissances du terrain mobilisées dans son contexte par les trans’ et disqualifiées par un contexte de contrôle étatique via la procédure de changement juridique de « sexe ».

Une réflexion largement oblitérée par le statut même d’une affection mentale inconnue et le rôle qu’on lui fait tenir, attenante à la transgression de normes décrétées « collectives » et non à un trouble mental qui n’existe pas plus que celui de l’homosexualité. Il est manifeste ici que l’on s’ancre sur un historique moral des normes et des discriminations culturellement partagées dans notre société et y sacrifie l’évolution de la société, la demande de reconnaissance pour une égalité concrète.

Soulignons donc le statut et rôle particulier de surveillance d’une pensée et pratique maltraitantes comme hier avec celle de l’homosexualité. La prise en charge, d’abord économique via la Sécurité sociale, s’effectue non sur l’individu trans’ que des passions, rejets et dénis, que ce sujet suscite depuis une conception datée de « rapports sociaux de sexe » où cette forme particulière de psychiatrisation apparaît comme un mode de gestion des transgressions suivant là les précédents historiques du travestissement et de l’homosexualité. La thèse de la relativisation culturelle se heurte en effet de plein fouet avec la conception d’une unicité et cohérence de société partout battue en brèche, d’où ces soubresauts passionnels, dénis et rejets, lorsqu’il s’agit de réformer une conception, voire simplement de la nuancer. Au total, un débat de fond qui n’a jamais été mené, notamment pour des raisons morales, mais également de représentations où les normes de genre joue un rôle de régulation dans un mixte passionnel de tabou, discrimination, pouvoir sur autrui débouchant toujours sur des dénis et rejets violents. Toutes choses qu’il fallait dégager d’une gangue ordinaire.

 L’ordre des mots

Les documentaires de C. et M. Arra (L’ordre des mots) et V. Mitteaux (Mon sexe n’est pas mon genre) traduisent la prise de parole, la brutalité des heurts avec le tri entre les différents types de transidentités survisibilisant le process transsexe contre les autres identités-trajectoires, lequel apparaît dans sa liaison avec le statut de la normalité et non de santé psychique, sous-tendant une classification politicosexuelle arbitraire sous le couvert de médicalité, promu nouvel ordonnateur de la régulation normée des genres dans leur différence. Plutôt que d’instaurer un dialogue entre des trajectoires d’existence non alignées sur les normes sociales de genre (du travestissement comme franchissements permanents ou temporaires au transsexualisme entendu comme transition juridico-chirurgicale), l’on spécule sur une affection que la clinique ne constate pas mais avalise tant le sujet provoque la croyance ordinaire pour reformer -sans le reformuler- un invariant anthropologique majeur, la différence de sexes en tant qu’instance et réel de l’humain, ainsi que les tensions ordinaires de l’ordre binaire.

Comment devient-on ce que l’on est ? Comment devient-on homme ou femme ? Le sexe est-il toujours le genre ? Quelle est la fonction psychique d’un franchissement de genre ? Cette question s’est déplacée aujourd’hui en direction de l’humain lui-même. Comment accède-t-on à l’humanité ? Le sujet qui pouvait éclairer, du fait même de sa situation paradoxale en prise sur le devenir et la condition humaine, ne reçoit qu’une réponse technique et une gestion de l’exception pathologique faute de régulation socioculturelle et de décision politique. Or celle-ci était à même d’apporter une partie de la solution dans son rôle d’accueil des situations difficiles et stigmatisantes ; situations propres à détruire un développement harmonieux lors de l’enfance. En préférant la limitation volontaire via les normes de genre, l’on a créé artificiellement un transsexualisme médico-chirurgical. Ce faisant, l’on a créé un problème de santé psychique et un appel à une résolution technique et non sociale où le care est subordonné à une théorie du développement psychosocial d’un individu donné dans une société donnée. Si la stigmatisation est partie liée à la différenciation des comportements et donc des individus dans une société, elle est ici le biais destructeur que la notion d’affection mentale vient ancrer dans un fantasme de médicalisation de l’identité faisant ordre en fisant taire les subjectivités minoritaires.

Tout cela devait faire l’occasion de débats, entre ce groupe culturellement inattendu (du moins en Occident), la société dans son ensemble et avec les tenants du dossier, l’Etat en tête. Comment régule-t-on cette situation dans les pays voisins d’Occident et dans les sociétés non-occidentales que l’anthropologie questionne depuis maintenant un siècle ?  Aussi, devant l’impasse manifeste et la possession de ce sujet par une discipline, la psychiatrisation (entendue comme processus de tri moral), le changement vient, à l’instar de l’homosexualité et des questions féministes, des intéressé.es eux/elles-mêmes.

Nous sommes bien loin de passeurs de monde des sociétés chamaniques régulant par le rituel les franchissements de genre. De même du cadre global des Droits de l’Homme dont Thomas Hammerberg rappelle l’enjeu. Reconfiguré et re-théorisé à l’instar des problématiques homosexuelles et identitaire postféministe, c’est la société hétérosexuelle dans son figement normatif qui est interrogée depuis la reformulation politique de M. Foucault, philosophique, psychanalytique et anthropologique. Autonomisé de fait, mais toujours psychiatrisé dans son nouement à l’assignation administrative et juridique, le sujet n’est plus ce changement chirurgico-médical de sexe, mais le sujet éclairant tout ce qui, du social et du culturel s’est dogmatisé dans un rejet et déni d’un Autre.

 

Conclusion : Quid du privilège cisgenre ?  

En réalité, si la question trans’ parvient à faire bouger les lignes, ce n’est pas uniquement du côté du transsexualisme ou plus généralement dans les subcultures transidentitaires que devrait se faire sentir les conséquences de ces changements, mais, plus généralement, sur l’ensemble des normes sociales qui rigidifient les corps et les identités. Mais il est encore trop tôt pour véritablement voir l’impact de ces actions et de ces propositions sur la culture cisgenre. Car s’il existe un horizon au débat, c’est bien celui-ci : comment faire en sorte de déstabiliser les privilèges cisgenres de manière à desserrer le carcan qu’ils imposent sur les vies excentriques ?


http://www.michele-delaunay.net/assemblee/index.php/post/2011/12/28/CP-Identit%C3%A9-de-genre,-changement-de-sexe-%C3%A0-l-%C3%A9tat-civil-%3A-la-proposition-de-loi-de-Mich%C3%A8le-Delaunay-marque-un-pas-d%C3%A9cisif

http://francoishollande.fr/communiques/une-proposition-de-loi-pour-sortir-les-personnes-trans-de-l-impasse/

Le site de l’association dont elle est porte parole : http://www.trans-aide.com/ta2-lor/ta2-lor-accueil.htm

http://www.transgenderdor.org/

http://existrans.org/

http://chrysalidelyon.free.fr/

http://chrysalidelyon.free.fr/gatf/

http://outrans.org/

http://chrysalidelyon.free.fr/sondage_sante2011.php

http://www.mutatismutandis.info/

BOURCIER Marie Helene, Q comme queer, éditions GKQ, 1997.

GIAMI Alain, BEAUBATIE Emmanuelle, LE BAIL Jonas, « Caractéristiques sociodémographiques, identifications de genre, parcours de transition médicopsychologiques et VIH/sida dans la population trans. Premiers résultats d’une enquête menée en France en 2010 » BEH (Bulletin d’épidémiologie hebdomadaire), 42, novembre 2011.

http://www.ueeh.net/

http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/article-identite-intersexe-et-identites-plurielles-en-debat-80167789.html

http://asso.orfeo.free.fr/topic/index.html

  Vaincre les discriminations en santé mentale, http://www.jle.com/fr/revues/medecine/ipe/e-docs/00/04/36/7F/article.phtml

Interventions : Karine Espineira, Tom Reucher, Maud-Yeuse Thomas, http://natamauve.free.fr/Stima-queer/Stigma-q-thomas.html

Troisièmes rencontres internationales du Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS) : « STIGMA ! Vaincre les discriminations en santé mentale », Nice du 12 au 15 juin 2007, http://amades.revues.org/index79.html

Dossier CIM : dépsychiatriser !, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/

Le transsexualisme et après : le normal et le pathologique du genre en question, Université Bordeaux Ségalen, Centre Emile Durkheim, Bordeaux.

Respectivement présidente d’honneur et présidente de la Sofect.

CIM10, Chap..V, Troubles mentaux et du comportement, F64.0 transsexualisme énoncé comme suit : Il s’agit d’un désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation par rapport à son sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré.

CIM10, Chap..V, Troubles mentaux et du comportement, F64.1. Travestisme bivalent énoncé comme suit : Ce terme désigne le fait de porter des vêtements du sexe opposé pendant une partie de son existence, de façon à se satisfaire de l’expérience d’appartenir au sexe opposé, mais sans désir de changement de sexe plus permanent moyennant une transformation chirurgicale; le changement de vêtements ne s’accompagne d’aucune excitation sexuelle. Trouble de l’identité sexuelle chez l’adulte ou l’adolescent, type non transsexuel.

L’ordre des mots, documentaire de C. et M. Arra, 2007.

C’est le fil rouge du film Ma vie en rose, d’Alain Berliner.

Marie-Antoinette Czaplicka, Aboriginal Siberia. A study in Social Anthropology, 1914, Oxford, Clarendon Press, cité par B. Saladin d’Anglure, Réflexions anthropologiques à propos d’un «3e sexe social» chez les Inuit (2006), http://classiques.uqac.ca.

Thomas Hammarberg, Droits de l’Homme et identité de genre, http://www.acthe.fr/information/viewartrub.php?a=115.

Judith Butler, Défaire le genre, Ed. Amsterdam, 2009.

  S. Prokhoris, Chemins vicinaux. Transmettre : verrouiller l’identité ou laisser jouer l’aléatoire, http://www.lrdb.fr/articles.php?lng=fr&pg=1184

L. Hérault, Constituer des hommes et des femmes : la procédure de transsexualisation, Terrain n°42, 2004, http://terrain.revues.org/1756

Vincent Guillot, Accompagner ou stigmatiser

Vincent Guillot


Accompagner ou stigmatiser

Depuis que les trans’ ont pris la parole en France, ils/elles n’ont eu de cesse de dénoncer la stigmatisation dont ils/elles font l’objet de la part de quelques psy (psychiatres, psychanalystes, psychologues) qui se sont érigés en spécialistes de la transsexualité, assénant chaque fois que possible leur vérité. Deux positions s’affrontent, celle d’une poignée de spécialistes et celle des personnes concernées, sans que jamais les uns et les autres ne puissent s’entendre.

Pour les psy, la transsexualité est une affaire médicale, pour les trans’ c’est une question de société, une question politique qui remet en cause les fondement du système car touchant au juridique et au social, au religieux et au philosophique.

Je porterai aujourd’hui un regard sur l’évolution de la question trans’ et sur l’accès aux droits des personnes concernées qui me semble essentielle.

Lorsque les médecins, les psy se sont penché sur la question trans’, il y a déjà quelques décennies, les homosexuels/homosexuelles prenaient la parole et se sortaient de la pathologisation et de la criminalisation; C’était le temps du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, puis de l’émergence des associations gay et lesbiennes qui firent évoluer le regard sociétal passant de la déviance à l’orientation sexuelle revendiquée. Jusque là les trans’ faisaient peu parler d’eux/d’elles et se débrouillaient tout/toutes seuls/seules pour faire leur transition. Les rares fois où l’on parlait de la question trans’, ce n’était que sous la forme du scandale et plus rarement encore de la victimisation.

Passé cette période à leurs tour les trans’ s’organisèrent et prirent la parole, rejoints bien plus tard par les intersexes, qui en France ont fait le choix de se battre au sein des groupes de lesbiennes, gay, bi et trans’ pour faire converger l’ensemble des luttes des diverses associations. De fait le FAHR rassemblait déjà toutes ces composantes, de même que le reste de la société qui confondait, au sens littéral du terme, toutes ces populations sous divers vocables, tel que les invertis. La boucle est bouclée et les luttes trans’ ne peuvent plus être séparées des autres luttes des minorités de genre et sexualité d’autant plus que les théories queers sont venues renforcer l’idée que ce n’est au fond qu’un combat féministe constructiviste, basé sur les luttes de sexe de classe et de race.

Durant toutes ces décennies, les quelques médecins qui se positionnent en spécialiste des trans’ campent sur leurs positions binaires, une transsexuelle est un homme qui désire de façon délirante se vivre en femme et vice versa; au delà point de salut, la question trans’ n’est et ne peut être selon eux que médicale et avant tout psychiatrique, il faut tout verrouiller afin que nul n’échappe à leur main mise.

Heureusement pour les trans’ le choix du médecin est libre en France et il y a de nombreux praticiens compétents dans chacune des disciplines concernées qui les accompagnent discrètement. Les techniques médicales ont évolué et des réseaux se sont créés, permettant aux personnes concernées de transitionner dans de bonnes conditions tant psychologiques que médicales (il faut aussi noter la création du RMI, puis du RSA et de la CMU ainsi que le développement d’internet qui ont notoirement changé le quotidien des populations stigmatisées en général).

Ce faisant la question trans’ a pu évoluer et chacun/chacune peut avancer vers la personne qu’il/elle est avec ou sans modifications corporelles, ou plus généralement avec certaines modifications corporelles, sans faire nécessairement le « parcours complet » d’homme vers femme ou vice versa.

Si au cours de la préhistoire puis de la protohistoire de la question trans’ ceux-ci/celles-ci se construisaient généralement dans la plainte du fait d’une absence d’altérité, de repère pour partager ce drôle de sentiment de ne pas être né dans le bon corps, les choses ont radicalement changé grâce aux actions des associations historiques, puis plus récemment, avec l’émergence d’internet, des forums, groupes et associations que l’on vit fleurir au cours de la décennie passée.

Je milite depuis une dizaine d’année au sein de groupes trans’ et intersexes et à titre professionnel accompagne en tant que travailleur social ces population et peut donc témoigner de la réalité de ce changement de paradigme: De la plainte à la revendication, les trans’ ont gagné en sérénité car ils/elles ont la possibilité de se dire, de se rencontrer et de faire chacun/chacune son parcours personnel correspondant au mieux de son identité.

Bien sûr un tel parcours amène forcement des questionnements importants, parfois mais pas nécessairement des passages difficiles, nécessitant un accompagnement social et psychologique bienveillant et sans jugement que n’offrent pas les praticiens hospitaliers spécialisés. Bien au contraire, ceux-ci ralentissent sciemment l’épanouissement des patients suivis au sein de leurs équipes pluridisciplinaires, en les enfermant dans des carcans dogmatiques et passéiste qu’ils nomment protocoles. Or tout comme les intersexes, mais aussi certains/certaines homosexuel/homosexuelles, ce qui serait nécessaire est non pas ce qui est proposé mais serait un accompagnement à l’auto détermination afin que chacun/chacune puisse s’accepter et choisir sereinement les modifications corporelles souhaitées ou alors abandonner l’idée de telle ou telle modification.

Si il y a une dizaine d’année, avant la généralisation d’internet, lors des réunions du Centre d’Aide de Recherche et d’Information sur la Transsexualité et l’Identité de Genre que je co-animais la souffrance était prégnante, il n’en est pas de même lorsque je rencontre les jeunes générations de trans’. Il était alors normal de traverser la France pour venir à nos réunions trimestrielles et la plupart des personnes arrivaient avec le poids de leurs souffrances. Je me rappelle bien des nombreuses personnes qui n’osaient pas engager la parole, venues habillées avec les codes vestimentaires de leur sexe administratif avec tout au plus un accessoire du genre désiré mais discret ou encore de futures MTF maquillées à outrance, essayant de cacher leur barbe et se présentant avec leur état civil masculin. Notre rôle consistait outre les conseils d’usage, les mille et un trucs et astuces, les bonnes adresses, à demander à la personne le prénom qu’ils/elle s’étaient choisies pour les soulager et leur permettre de se dire. Parfois, des femmes ou des hommes viennent me voir en me demandant si je me rappelle d’eux, tout en sachant que c’est impossible puisqu’ils/elles ont fini leur transition, et me remercient. Aujourd’hui, il n’en est rien et à chaque rencontre, je mesure le chemin parcouru en rencontrant des jeunes épanouis, souvent accompagnés/ées de leur ami/e, de leurs parents et parfois même de leurs enfants.

La grande majorité de ces personnes sont suivies en ville, elles ont choisi leurs médecins et sont généralement satisfaites de leur accompagnement. A l’opposé, celles qui on choisi le parcours auprès d’équipes hospitalières souffrent et bien souvent lorsque cela leur est possible abandonnent à plus ou moins longue échéance ce circuit pour rejoindre la médecine de ville. Les demandes ont donc bien changé et au delà d’internet qui permet d’obtenir des informations précieuses qui ne circulaient qu’au sein des associations, les demandes portent actuellement bien plus sur un accompagnement juridique et social. En ce sens les trans’ sont passés/es de population stigmatisée à population minoritaire, rencontrant les mêmes soucis que tout autre minorité au sujet de l’accès aux droits, droit au travail, droit au logement, droit aux papiers, droit à l’égalité de traitement. On retrouve parmi ces populations les mêmes clivages sociaux que dans le reste de la population, les plus favorisés s’en sortent très bien, occupent des fonctions professionnelles à responsabilité et « transitionnent » sans trop de problème dans leur emploi, les plus défavorisés galèrent et cumulent les difficultés, comme les jeunes de moins de vingt cinq ans qui n’ont pas de famille pour les soutenir financièrement ou les étrangers/ères sans papiers réduits/tes généralement à la prostitution. En corolaire à leur position sociale, ceux/celles qui en auront les moyens et désireront des modifications corporelles se feront opérer à l’étranger pour la qualité des soins et de l’accueil, sans commune mesure avec celle des chirurgiens hospitaliers français n’en déplaise au lobby des spécialistes hospitaliers, les moins favorisés rejoindront quant à eux les équipes hospitalières françaises.

Le regard sociétal a lui aussi bien changé et la transidentité n’est plus seulement « trash »(ou alors dans des médias dédiés) mais porte dorénavant sur un vécu beaucoup plus lisse, plus conventionnel et véhicule le message que les trans’ sont des personnes comme les autres et que l’on peut être trans’  heureux/euses et épanoui. De plus, bon nombre de trans’ se vivent à visage découvert auprès de leur entourage, de leurs collègues et voisins et les ruptures familiales sont beaucoup moins nombreuses qu’auparavant. Somme toute, les trans’ ne rencontrent pas beaucoup plus (mais encore trop) de stigmatisation que les homosexuels/elles, ce qui est une avancée énorme si l’on tient compte de la rapidité de l’évolution du regard sociétal sur les transidentités. Bien sûr, comme au sujet de l’homophobie du sexisme, du racisme, il y a encore énormément de chemin à parcourir, mais les frontières ont bougé.

La question trans’ est donc passée, hormis pour quelques médecins et juges, de la sphère médico-légale à l’acceptation  sociale d’une identité alternative, tout comme l’homosexualité il y a quelques décennies, tout comme la question intersexe est en passe de le faire.

Comme sur la plupart des sujets de société, la population a évolué bien plus vite que le droit et l’une des principales revendication trans’ demeure l’accès au changement d’état civil sans stérilisation et sans expertise médicale conformément à la directive européenne[1]. Le droit évolue a son rythme et nul ne peut ignorer que bientôt les changements d’état civil se conformeront à cette directive, par l’initiative d’un juge ou parce qu’un/une trans’ ira ester auprès des instance européennes.

A contrario, l’évolution d’une petite partie du corps médical français, réfractaire à tout changement pour des raisons corporatistes, ne pourra se faire que par le biais d’un combat politique mené par les personnes concernées et par une dé-classification de la transsexualité des normes européennes et internationales (CIM et DSM) tout comme cela a été fait pour l’homosexualité en son temps. A l’époque, suite au travail d’éveil des consciences des associations homosexuelles et à l’évolution du regard sociétal sur cette question, les psychiatres avaient considéré que l’homosexualité n’est pas une pathologie mentale et nul professionnel sérieux ne remettrait ce choix en cause, il en va de même pour la transsexualité qui comme l’homosexualité doit passer du stigmate psychiatrique au choix individuel.

La question trans’ est et ne saurait être autre chose qu’une question sociétale, qu’une question politique, au même titre que n’importe quelle minorité. Lorsque nous parlons de question trans’, il ne s’agit nullement de savoir si ceux-ci sont ou ne sont pas porteurs d’un quelconque syndrome psychiatrique. La question ne se pose pas au regard des milliers de personnes ayant « transitionné » et menant une vie conforme à ce que la société attend d’elles. L’évolution sociétale au quotidien est actée et comme tout un chacun, selon son statut social, un/une trans’ aura ou pas accès à ses droits selon son statut social et non pas selon son statut de trans’. Cette notion est importante pour comprendre l’évolution incroyable de la question trans’ au sein de la société française (et occidentale en générale). Trouver ou garder un emploi, un logement, accéder à une domiciliation bancaire, obtenir un crédit, étudier, toutes ces choses du quotidien qui étaient quasi impossible aux trans’ il y a quelques années sont désormais possible pour celles et ceux qui ont eu accès à l’éducation de par le statut social de leurs parents. Celles et ceux qui n’ont pas eu cette opportunité se voient encore fermer les portes et restent dans la précarité (parfois extrême) comme n’importe quelle personne issue des classes populaires.  La transidentité n’est plus en soi un facteur excluant mais reste un facteur aggravant de l’exclusion. Être jeune et issu d’un milieu pauvre est un facteur primordial d’exclusion par exemple, que l’on soit trans’ ou que l’on ne le soit pas. Par contre être jeune, pauvre et trans’ est encore plus excluant et obère bien souvent par exemple toute possibilité d’accéder à un foyer et encore plus d’accéder à un emploi.

La nécessité actuelle n’est pas de structurer des réseaux médicaux particuliers pour les trans’ dont ceux-ci ne veulent pas. Cela reviendrait à créer une exception trans’ rendant caduc le droit intangible à choisir son médecin pour les assurés sociaux (et ouvrirait une brèche dans ce droit en créant la possibilité de réseaux obligatoires pour d’autres minorités tels que les étrangers ou les Roms par exemple). L’offre de soins de la part de spécialistes en ville et à l’hôpital est suffisante en France et chaque trans’ peut être suivi près de chez lui nonobstant les intimidations faites par les équipes hospitalières auprès de leurs confrères du privé. Par contre, il n’y a pas de réseau d’accompagnement pour les trans’ tel que les plannings familiaux pour la contraception ou les Centres Médicaux Psychologiques pour l’accompagnement psychologique, il n’y a pas de places en centre d’accueil d’urgence, de structures sociales proposant à la fois un suivi social, psychologique et juridique; Or c’est là que se situent les besoins des trans’ et non pas dans la main mise de quelques praticiens ayant un regard passéiste sur les trans’. La mise en place de réseaux et de soutien de minorités a toujours été consécutive à la prise de conscience de la société de problèmes donnés, tel par exemple les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile qui firent suite au Dispositif National d’Accueil créés et gérés par l’état pour accueillir les réfugiés chilien. Les CADA eux furent ensuite créés pour accueillir les « boat people » dans les années soixante dix et l’organisation en a été faite avec des finances publiques et par les réfugiés politiques chiliens. Ce sont les personnes concernées qui savent mieux que quiconque ce qui est bien pour elles et comment accompagner leurs semblables. Je donne cet exemple car il illustre bien mon propos. La question des réfugiés aurait pu rester dans la sphère du juridique comme elle avait été traitée jusque là avec par exemple les réfugiés espagnols ou les français de Tunisie. Elle aurait pu rester dans la sphère de l’état, autrement dit la sphère administrative du public. Il n’en a rien été car la question des réfugiés était passé de la stigmatisation (républicains espagnols, Français de Tunisie) à la revendication (réfugiés chiliens). A partir du moment où un groupe  revendique son identité et où la société s’en empare, il passe d’un statut de subordonné (patient, délinquant, sujet administratif…) qui n’a pas son mot à dire, au statut d’acteur échappant ainsi aux carcans qui lui étaient jusque là imposés.

C’est ce qui s’est passé pour les trans’, de patients ils/elles sont devenus acteurs/trices et échappent désormais à cette volonté de main mise sur leurs vies, rejoignant ainsi n’importe quel citoyen, dès lors, la psychiatrisation des trans’ n’a plus lieu d’être, c’est un réseau d’accompagnement pour l’accès aux droits qu’il est nécessaire de construire.


[1]. résolution 1728(2010)du conseil de l’Europe

16.11.2. à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale;

16.11.3. à un traitement de conversion sexuelle et à l’égalité de traitement en matière de soins de santé;

16.11.4. à l’égalité d’accès à l’emploi, aux biens, aux services, au logement et autres, sans discrimination;

Interview : l’association OUTrans

Interview : l’association OUTrans


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Pouvez-vous nous présenter Outrans ? 

Sur l’héritage militant et culturel et la « mémoire trans »

* Avez -vous bénéficiez, en tant que groupe et individus, d’un héritage et d’une mémoire ?
* La création d’Outrans est-elle liée à une absence d’héritage et de mémoire ou une autre raison ?

La création d’OUTrans n’est pas tant liée à une absence d’héritage qu’à une façon de militer dans laquelle les membres fondateurs d’OUTrans ne se reconnaissaient pas. On était encore trop souvent confronté à un discours relativement pathologisant, binaire et centré sur les questions liées à la transidentité uniquement, quand il ne s’agissait pas de personnes non-trans qui s’emparaient de ces questions sans réelle concertation ou prise en compte de ce que les trans pouvaient exiger eux mêmes. Que ce soit sur la reconnaissance de nos droits et le respect de nos propres stratégies face au gouvernement, mais aussi nos représentations, la remise en question des « rapports sociaux de sexe » depuis notre propre parole avec notre expérience et expertise.

OUTrans est aussi née au moment de l’IDAHO qui s’emparait subitement de la question trans en 2009, sans personne trans comme porte parole à l’époque , et surtout sans T à cet acronyme (toujours absent par ailleurs, même si Louis Georges Tin a maintenant dans « ses » rangs une personne trans pour parler publiquement du travail qu’ils-elles mènent au sein de l’IDAHO) . 

En créant OUTrans les membres fondateurs ont voulu à la fois mettre en place un réseau d’ auto support par et pour des trans en offrant de nouveaux outils que les militants créaient eux mêmes et dans lesquels ils pouvaient se reconnaitre, mais aussi concentrer leurs forces dans leurs propres revendications tant auprès des ministères que des acteurs sociaux, ou des autres associations (notamment les associations de santé sexuelle).

Si on doit parler d’héritage, concernant les questions trans et leurs enjeux socio politiques, on peut dire qu’OUTrans s’inscrit dans la continuité d’une lutte et de l’émergence d’un mouvement organisé, qui a commencé en France avec l’ASB , jusqu’au GAT . Si nous nous inspirons de cet héritage qui a fortement marqué le mouvement trans, pour autant nous tendons à créer une forme de militantisme qui ne soit pas un erzatz d’ACT UP ou du GAT et nous nous efforçons de créer, ré-inventer nos propres outils et stratégies en conservant une vraie reconnaissance pour cette transmission.

 Les discours ont changé et continuent d’évoluer sur la question de la pathologisation des transidentités, les représentations genrées liées aux identités qu’elles soient trans ou non. En cela, nous nous inscrivons aussi dans une tradition politique héritée du mouvement féministe et plus particulièrement le féminisme radical : dans l’exigence politique à disposer librement de son corps d’une part, mais aussi contre l’injonction aux rôles sociaux attribués et distribués selon le sexe et le genre. Donc, oui, nos pouvons nous prévaloir de l’héritage du féminisme radical dans ce sens: pas « extrême » ou « extrémiste » mais bien plutôt qui remet en question « à la racine » les catégories politiques que sont le sexe, le genre, la classe, la « race » etc…

Cela se retrouve dans la façon même dont nous nous organisons. Malgré les conflits, qui sont des conflits politiques enrichissants en terme de réflexion et de stratégies politiques, l’organisation du mouvement trans (peut être aussi parce qu’il est relativement petit et émergent) est assez horizontale dans l’échange de savoirs et surtout foisonnante et bouillonnante de nouvelles possibilités, de nouvelles réalités, de nouvelles utopies. Les exigences politiques que nous avons au sein du mouvement trans français sont fédératrices : dépathologisation, meilleur accès aux soins, éducation sur la question des transidentités, visibilité de nos parcours, de nos multiplicités, de l’injustice dont nous sommes « victimes » (obligation à la stérilisation pour le changement de papier pour ne citer que celle là), éducation sur les questions de sexualité et de réduction des risques VIH/hépatites/IST (auprès de trans, de leurs partenaires, aux associations de lutte contre le sida…). En somme pour reprendre des termes outre manche que nous aurions du mal à traduire autrement nous travaillons sur l’EMPOWERMENT et l’EMBODIEMENT. Nous ne sommes donc pas que trans. Nous sommes des militant-e-s trans, engagé-e-s et politiquement situé-e-s.

 

* Travaillez-vous avec d’autres structures/groupe/associations ? Pourquoi ? Sur quel type de projet/manifestation, autres ?

Nous essayons au maximum depuis la création d’OUTrans de travailler avec d’autres groupes (notre 1ère action publique : minute de cri à Paris au moment de l’iDAHO 2009, avait d’ailleurs été co-organisée avec l’association Etudions Gayment, http://etudionsgayment.blogspot.com/) sur le modèle de ce qui avait été initié à Montpellier par le collectif Pink Freakx (http://pinkfreakx.e-monsite.com/).

Tout d’abord en partenariat avec d’autres associations trans sur certains projets puisqu’il y beaucoup à faire et peu de forces. Par exemple nous entamons en ce moment même une collaboration sur plusieurs projets avec l’association lyonnaise Chrysalide (http://chrysalidelyon.free.fr/), association trans avec laquelle nous avons déjà à plusieurs reprises cosigné des CP et avec laquelle nous échangeons régulièrement sur nos expériences et notre travail. Mais nous essayons également de créer des ponts avec des associations LGBT / transpédégouines et des collectifs féministes.

Nous avons organisé un bloc trans à la marche des fiertés de Paris en juin 2009, nous faisons partie depuis sa création de la campagne égalité des droits ( http://www.egalitedesdroits.fr/), nous participons aux 1er mai, 8 mars, et plus généralement aux pink blocks régulièrement présents dans les manifestations. (http://outrans.org/spip.php?article111)

Nous avons aussi organisé un bloc trans au sein de la marche du 1er décembre 2009 (http://outrans.org/spip.php?article83) alors que nous sortions peu de temps après la brochure DTC (http://transetvih.org/dtc/). 

La commission santé d’OUTrans a dispensé une formation auprès des écoutants de Sida Info Service afin d’introduire une base de réflexion sur les questions de genre et plus spécifiquement sur les questions trans afin qu’ielles soient plus à même d’accueillir et accompagner les personnes trans qui les appellent. Nous envisageons de continuer à former d’autres militant-e-s ou acteurs-rices de terrain ainsi que de nous former nous mêmes davantage sur les questions liées à la santé et à la sexualité et avons entamé des discussions dans ce sens avec AIDES et FRISSE (http://www.i-lyon1.com/assos-99.html).   

Il nous paraît nécessaire de nous allier avec l’ensemble du tissu associatif français qui partagent nos ambitions et revendications politiques. D’une part, parce qu’OUTrans est une petite association avec peu de membres actifs sur le long terme, mais aussi et surtout parce qu’il est important d’êtres nombreux-ses et de faire bloc pour atteindre nos objectifs politiques. Nous voulons rendre accessible à un maximum d’individu-e-s nos outils politiques et ce que nous avons travaillé, pensé et fabriqué sans pour autant faire de compromis sur notre engagement. Nous avons tout à gagner à partager nos forces sur différentes actions en collaboration et en alliance avec d’autres groupes ou associations avec qui nous avons des revendications communes et qui concernent aussi les trans et qui sont généralement les revendications des groupes minorisés sur différentes déclinaisons.


* Vous avez participé à l’Existrans 2010 ? Qu’en tirez-vous politiquement, culturellement ? Qu’en attendez-vous ? 

Nous sommes impliqués dans l’organisation de la marche Existrans, bien que cette année nous n’ayons pu nous investir comme nous l’aurions souhaité, nous restons en outre signataires des revendications portées par la marche ainsi que par le STP 2012 (http://www.stp2012.info/old/)

Nous sommes persuadés qu’il est indispensable que les associations trans discutent entre elles et fassent bloc malgré les dissensions et les oppositions qui peuvent exister. C’est d’ailleurs ce que nous avons souhaité amorcer en organisant une Assemblée Générale des trans en avril 2010. Le ministère de la santé avait fait part de son intention de créer un ou plusieurs centre(s) de référence pour la prise en charge des personnes trans en France, et souhaitait n’intégrer au maximum que 2 représentantEs de la communauté trans au groupe de travail sur le sujet. Il nous a donc semblé que c’était le moment de tenter de réunir le plus d’associations et de personnes trans pour adopter une stratégie commune face à ce gros chantier, et éventuellement d’élire ensemble des représentantEs qui iraient au Ministère. Une vingtaine d’associations et une cinquantaine de personnes ont répondu présents à notre appel et des représentants ont été élus avec un mandat (http://outrans.org/spip.php?article117).

Beaucoup d’associations, de collectifs et même d’individus isoléEs travaillent dans leur coin sur les questions de la transidentité mais il existe malheureusement très peu d’occasions et d’espaces où nous rassembler et discuter ensemble de notre travail et de nos revendications. L’Existrans pourrait, pourquoi pas, être ce moment si des temps de rencontre et de débat y étaient pensés et organisés.

 

Vos représentations

* Quelles représentations faites-vous de vous-mêmes ? De vos actions ?
* Du rapport de notre communauté avec la société ?

Vous vous sentez dans une identité « trans » ou dans une identité homme et femme, voire « autre » ? (cette question s’adresse tant aux personnes qu’à une éventuelle ligne (de rupture, culturelle, sociale, théorique… d’Outrans)

A OUTrans, nous avons depuis le début, adopté le mot « trans », refusant d’entrer dans le débat transgenres-transsexuel(le)s qui pour nous est un faux débat. C’est une mise en pratique dans nos vies privées de ce que fabrique le discours médical, c’est à dire selon nous une division inutile entre les trans parce qu’ils auraient choisi certaines « options » dans leur transition : avec ou sans hormones, avec ou sans bite/vagin, avec ou sans changement de papiers qui est quand même très fortement lié avec des opérations lourdes: de sens (stérilisation et interdiction morale de se reproduire), économiquement et psychologiquement, physiquement…) etc… 

Il nous semble nécessaire à OUTrans de ne pas se faire le jeu du discours médical qui voudrait diviser les trans en catégories distinctes: les vraiEs des faux/fausses. La question des transidentités n’est pas une lubie pour les personnes qui la vivent, quand bien même émergent aujourd’hui des expériences beaucoup plus vastes que la prise d’ hormones, des opérations, des changements de papiers ou autre chose que le discours dominant de l’enfermement (un homme enfermé dans un corps de femme et inversement) etc… Nous sommes bel et bien dans une identité trans, pas « autre » ou « homme » ou « femme », ou encore « ex-lesbienne/gouine » « ex gay/pédé » etc…

Il ne s’agit pas de catégoriser de nouveau les hommes les femmes et les autres. Ce que mettent en lumière les transidentités, c’est qu’elles sont rattachées à des histoires et des parcours de vies : il s’agit d’une question éminemment politique qui questionne aussi ce qui fait des individuEs des hommes ou des femmes. On demande aux trans s’ils se sentent homme ou femme. Si on posait la question à un homme ou à une femme cisgenre, serait-il/elle en mesure d’y répondre ? Les réponses seraient-elles identiques ? Et si on demandait ce qui fait qu’elles se sentent homme ou femme, les réponses seraient elles aussi restrictives que ce que nous imposent les nosographies psychiatriques relatives à la transidentité ? Le féminisme à déblayé un chemin dans les stéréotypes et les représentations autour des questions de genre, le transinisme (sans faire de retour essentialiste à notre « nature trans ») peut il continuer à travailler et/ou élargir les contours de ce chemin ?

La possibilité de s’autodéfinir est primordiale pour nous. Nous préférons nous rassembler derrière des revendications qui concernent les minorités de manière générale en y apportant un éclairage spécifique aux questions trans, plutôt que derrière la revendication unique de la transidentité tellement fluctuante et certainement pas arrêtée.

Nous préférons d’ailleurs employer les termes ft* et mt* moins restrictifs que ftm et mtf, tout comme un ensemble de termes moins essentialisant et/ou genré que nous avions abordé dans DTC.(par exemple sur l’usage des capotes en retirant « fémidon VS « capote » » pour créer une nouvelle expression « capote interne » et « capote externe »). Avant cette façon d’aborder les transidentités, nous ne l’avions pas spécialement vu ailleurs en France, alors certainement que ça pourra avoir un impact dans les représentations si les trans elleux mêmes s’en emparent.

Ce qui lie les membres d’OUTrans n’est pas tant notre identité, que ce que notre expérience et nos parcours de vie  nous amènent à questionner sur le social et le politique autour des questions trans. Ce qui nous lie est un système d’oppression commun avec d’autres catégories minorisées.

Ainsi tou-te-s les militant-e-s d’OUTrans ne sont pas trans, blanc-he-s et/ou hétérosexuel-le-s. 

 

Y a t-il un héritage spécifique FtM ?

 Outrans apporte-il une spécificité propre ? Dans l’espace militant Trans ? dans le débat public ? Faites-vous des actions de visibilité publique, lesquelles ?

Vu la nouveauté de la visibilité des masculinités trans, il est difficile de répondre à cette question. Il y a des figures historiques des débuts de la visibilisation et de l’activité associaitive des trans Ft*, par exemple Tom Reucher avec l’ASB ou encore Lazz et son forum pour les trans qui était une ressource incroyable pour les trans à la fin des années 90 et les prémisses de la réduction des risques et la visibilité de la question des trans gay/pédés. Certains travaux photographiques ou filmographiques ont participé à fabriquer des icônes dans la communauté qui permet aux trans aujourd’hui plus qu’il y a une dizaine d’années à peine de s’identifier, de se sentir légitime et surtout fier d’être trans. Les trans masculins peuvent aujourdhui avoir d’autres représentations que la seule idée d’un individu en souffrance, replié sur lui même… Pour autant, si l’on pense par exemple aux modèles de Kaël T block on ne peut pas dire que les modèles soient très divers (en terme de normes corporelles par exemple) et plus encore que le projet soit féministe…

Si l’on parle de manifestation, nous n’avons pas fait d’action publique depuis l’Existrans, mais selon nous, toutes les manifestations auxquelles nous participons ou que nous organisons sont en soi des actions publiques et donc des actions de visibilité. Nous ne faisons pas d’action pour représenter OUTrans dans l’espace public mais pour porter un ensemble de revendications liées aux questions trans. Quant à l’organisation d’actions directes, qui viserait un endroit ou un groupe de personnes précises, nous avons tenté d’en faire mais nous sommes bien trop peu pour les mener à bien.

Il est tout aussi difficile de répondre si nous apportons une spécificité propre que ce soit dans l’espace militant trans ou dans le débat public. C’est plutôt le travail des journalistes ou des sociologues, anthropologues de répondre par une enquête de terrain à cette question! Nous sommes bien trop dedans pour prendre le recul nécessaire et pouvoir répondre à cette question avec un minimum d’objectivité et d’humilité.

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