Eric DEBARDIEUX

Sociologue

Johanna DAGORN

Sociologue


Eric Debardieux

Délégué ministériel en  en charge de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire

La prise en compte des violences de genre  en milieu scolaire représente un enjeu important.

En tant que délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, j’ai décidé de prendre ce phénomène en considération dans sa globalité, en allant au-delà des questions sexuées.

Notre approche est résolument genrée ; nous parlons d’ailleurs de LGBTphobie aussi la lesbophobie qui cumule à la fois le sexisme et homophobie.

Nous envisageons de traiter des violences de genre dans la prochaine enquête de victimation au lycée. Notre délégation est en train de construire un lexique relatif aux violences de genre qui traite à la fois du sexisme et de la LGBTphobie. L’observatoire des transidentités y sera associé.

Il est inacceptable que des élèves soient harcelés pour leurs choix ou pour des raisons identitaires.


Entretien

Délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire

Bonjour Johanna, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis membre de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire. Ma feuille de route à la délégation est relative à la prévention des violences de genre et à la lutte contre l’homophobie. J’ai soutenu ma thèse sur les violences scolaires dans les collèges favorisés en 2005, et je coordonne les CIDFF d’Aquitaine depuis 3 ans.

Vous venez d’être nommée dans une délégation ministérielle de l’éducation qui s’intéresse aux violences scolaires : en quoi ceci concerne t-il aussi les questions de genre ou, formulé différemment, les études de genre apportent-elles quelque chose à l’éducation ? Pouvez-vous nous donner quelques éléments concernant les garçons et les filles en prise aux violences scolaires de manière à voir si cela fait écho aux chiffres concernant la transphobie ? 

La dernière enquête sur la perception du climat scolaire selon le sexe (MEN, novembre 2012) montre des différences notables entre les garçons et les filles. Majoritairement, les filles se sentent très bien à 94% dans leur collège, contre 92% pour les garçons. Les garçons sont significativement plus nombreux à être victimes de violences physiques (38% contre 21% des filles). Par contre, la violence verbale, en particulier sexiste touche davantage les filles. Pour une fille insultée sur quatre, les injures proférées sont de nature sexiste, alors qu’elles ne concernent qu’un garçon insulté sur sept. Elles sont surexposées aux violences à caractère sexuel (7% en moyenne contre 4% pour les garçons). Seule variante, le voyeurisme qui touche 7% des filles et 5% des garçons… car la majorité des victimes de voyeurisme ont pour offenseur un jeune du même sexe. Mais de manière générale, la prévalence globale des victimations est prépondérante chez les garçons avec une fréquence répétée.

Vous avez déjà travaillé sur les violences scolaires, et il me semble que ce travail avait déjà permis de mettre à mal certain préjugés, notamment en terme de classes sociales : quels sont ces résultats ?

Mes travaux de thèse ont mis en perspective que la violence scolaire n’était pas l’apanage des milieux défavorisés et des banlieues comme il est régulièrement pointé. Elle renouvelle la problématique de l’effet-établissement comme instrument de domination dans ce type de collège. Dans le même renversement sociologique que M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot lorsqu’ils se sont rendus « dans les beaux quartiers » pour comprendre l’exclusion sociale, cette étude explore l’univers des collèges favorisés pour saisir les rouages de l’exclusion scolaire. L’analyse des données à travers les entretiens, les observations ethnographiques, mêlée à l’étude de traces et aux résultats du questionnaire pointe l’exclusion des élèves issus de milieu populaire. L’analyse thématique des entretiens et l’observation prolongée des actants en présence montrent que la culture d’établissement engendre cette exclusion et des violences très souvent occultées.

Qu’en est-il de la prise en compte des questions LGBT dans ces violences scolaires ? (ou pour commencer, la question homosexuelle)

La prise en compte des questions des violences de genre au niveau scolaire est très récente en France. Jusqu’à présent, l’école était indifférente au genre. Elle prend en compte cette dimension au sein même de l’éducation nationale avec un service dédié à la question de l’homophobie et de la transphobie. Nous travaillons d’ailleurs en collaboration avec les associations LGBT pour prendre en compte cette variable dans les prochaines enquêtes de victimation auprès des élèves.

Sur les questions trans justement, comment les appréhendez-vous ? Des propositions ont-elles été formulées? Ou, au contraire, tout reste à faire ?

Sur la question trans, à mon sens, tout reste à construire avec l’aide des associations de terrain. Les trans apportent des réflexions intéressantes sur les identités de genre par exemple. Nous les rencontrons régulièrement à la délégation (le délégué ministériel également en personne). Les questions liées au décrochage scolaire et au harcèlement entre pairs sont à recouper avec la question trans comme des facteurs de risque de décrochage et d’exclusion scolaire et sociale.

Les chiffres montrent un décrochage scolaire élevé pour les jeunes « trans ». L’explication classique est celle de l’effet de la « transphobie » mais une autre explication serait de dire qu’en ne parlant pas d’altérité de genre à l’école, celle ci ne permet pas aux élèves « trans » de créer des espaces de visibilité et de solidarité, un pas-vu-pas-connu institutionnalisé, la question trans étant définitivement une affaire d’adulte. Qu’en pensez-vous ?

C’est toute la question des discriminations. En étant « indifférente aux différences », l’école ne réduit pas les inégalités ; elle les perpétue. A la délégation, nous appréhendons les violences non d’un point de vue de la victime ou de l’agresseurE, mais  principalement des témoins. A mon sens, on devrait en faire de même pour les questions de genre en ne faisant pas une focale sur les individuEs, mais sur le social dans son ensemble. En remettant en cause les normes de genre hétéronormatives et figées dans les identités plutôt que les logiques et interactions des personnes dans leur singularité.

La controverse SVT, politisée à droite et muette à gauche, est loin d’être terminée. Quel est le rôle des programmes dans tout ça ?

Les programmes scolaires ne sont pas neutres et le choix de ce qui est enseignable ou non, induit des représentations du monde. En introduisant les théories de genre dans les manuels scolaires, l’école contribue à combattre les stéréotypes en instituant ce qui est  légitime ou non. Il en est de même concernant les femmes et les personnes issues de l’immigration dans les livres d’histoire. Même si cela n’est jamais suffisant, il permet de contribuer à combattre l’essentialisation des normes de genre, notamment.

Les chiffres de SOS Homophobie montrent aussi des barrières du côté des enseignants. Qu’en est-il de ce côté-ci de l’école ?

L’éducation nationale même si c’est récent a décidé de prendre ces questions en compte. Au ministère, M. Teychenné  est en charge de la lutte contre l’homophobie et la transphobie à l’école, et ma mission prend en compte ces dimensions au sein de l’éducation nationale. Des actions de formation envers la communauté éducative vont être mises en place avec toujours des liens avec les associations féministes et LGBT. 

Quels sont les projets sur lesquels vous êtes amenée à travailler qui pourraient permette de faire entrer la question trans à l’école ?

Je suis en train d’élaborer un lexique concernant la question du sexisme et des discriminations. La question y sera traitée. La prochaine campagne de lutte contre le harcèlement à l’école prendra en compte la question des violences de genre dans toutes ses dimensions et non pas que d’un point de vue sexuel ou sexué.


Mise en page : 01.01.2013