David Latour
Membre de l’association Chrysalide
Doctorant en civilisation américaine à l’université de Provence, Aix-Marseille I
Cet article est une version remaniée de « Témoignages d’élèves trans : Une parole différente à l’école des filles et des garçons » paru en février 2011 dans le n° 487 Des Cahiers Pédagogiques sur le thème « Filles et garçons l’école » (http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article7268), avec l’aimable autorisation des CRAP. Je tiens à remercier chaleureusement Isabelle Collet qui s’est battue pour que soit publiée la première mouture de cet article.
La transphobie en milieu scolaire : témoignages d’élèves en transition
Je suis un homme trans et je suis enseignant dans la fonction public ; avant cela, j’ai été élève et j’ai été très seul : c’est pour cette raison que je veux donner la parole à ceux et celles dont la différence reste inimaginable et inouïe pour l’institution et ses représentants, et qui souffrent en silence à « l’école des filles et des garçons ». Je veux parler des élèves en transition de genre et/ou de sexe[1] dont j’entends esquisser à grands traits la réalité méconnue en France. Afin de suggérer des pistes de réflexion, je compte notamment établir des parallèles avec la recherche menée en Belgique, au Québec, aux États-Unis et en Angleterre, en examinant la place de l’élève trans au sein de l’institution scolaire, les types de violences auxquelles il est confronté de la part des autres élèves et les solutions envisagées pour faire sa transition lorsqu’un jeune est encore au collège ou au lycée.
I. Exclusion et violence symbolique de l’institution
Y compris dans sa volonté d’ouverture républicaine, l’école « mixte » se heurte à ses propres contradictions puisque son appellation même présuppose une opposition irréductible entre le pôle « filles » et le pôle « garçon ». Dés lors, comment un-e élève dont l’identité psychologique n’est pas en conformité avec le genre social qu’on lui a assigné à la naissance peut-il/elle s’épanouir dans un système éducatif qui ne parle que des hommes et des femmes, rarement des homosexuel-le-s, et jamais des trans[2] ? Quentin[3], FtM de 29 ans, dresse un constat amer : « …j’aurais vraiment aimé pouvoir trouver une écoute et un peu d’aide extérieure à mon milieu familial dans mon établissement scolaire (…), être informé m’aurait considérablement aidé à cette période de ma vie où tout semblait si confus et insurmontable. »[4] Le sentiment tenace de ne pas être à sa place – sorte de « dé-placement affectif » dans la solitude – marque le début du questionnement transidentitaire. Nos voisins belges tirent le même constat puisque « c’est surtout l’absence de ‘communauté’ et d’ ‘empowerment’ qui constitue le principal problème »[5], constate le « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres ». Un accompagnement psychosocial grâce à des groupes de parole au sein de l’école semble d’autant plus nécessaire que le soutien familial fait souvent défaut.
Un-e élève trans comprend que l’école n’a pas prévu son existence dès le moment où il/elle veut simplement aller aux toilettes. Dominique, FtM, explique la stratégie qu’il avait réussi à mettre en place plus jeune : « Mon premier souvenir trans date de mes 4 ans. Grâce à mon prénom de naissance, Dominique, je me faufile du côté garçon à l’école maternelle ; juste un flip pour les moments pipis…». Et Quentin fait part du rejet dont il a été victime de la part des deux clans genrés : « Les petites filles me viraient des toilettes des filles parce que j’avais l’apparence d’un garçon (…). Les garçons me viraient des toilettes des garçons puisque j’avais un prénom de fille (…) Au final, je me débrouillais pour ne jamais avoir à aller aux toilettes à l’école ». L’organisation binaire de lieux tels que les toilettes, les vestiaires ou les dortoirs – ce que la sociologue Line Chamberlain nomme « les lieux scolaires sexués »[6] – semble indépassable aux yeux des élèves trans, car elle signifie qu’il n’y a pas de place pour eux dans l’institution.
Finalement, la ségrégation par sexe, ce cloisonnement binaire des corps, des esprits et des identités, pousse l’élève trans à s’exclure lui/elle-même du groupe classe puisqu’il considère que – symboliquement – il en est déjà exclu. Damien raconte :
Le pire je crois que c’était les cours de sport et la séparation activités de filles/activités de garçons. D’un côté la gymnastique (AGRS) et de l’autre les sports collectifs (foot, basket). Me retrouver à faire des pirouettes gracieuses sur une poutre ou un tapis de sol en justaucorps moulant devant tout le monde était carrément un enfer et j’ai préféré simuler un problème de santé et me faire dispenser de sport jusqu’au Bac. Cela a été très mal perçu de la part du corps enseignant et j’ai été considéré comme une ‘flemmarde’ pendant des années sans que jamais personne n’essaie de comprendre ce qui pouvait bien se passer pour moi.
Non sensibilisés, non informés mais façonnés par les mêmes préjugés que le reste de la population, l’écrasante majorité des enseignants sont incapables de lire les signes révélateurs d’un malaise sans doute exacerbé par la participation obligatoire à des activités largement hétéro-normatives. A propos de ce malentendu aux conséquences désastreuses, le « Rapport sur les transgenres en Belgique » conclue aussi que « (l)e comportement de coping le plus fréquent des jeunes (est) la fuite et l’éloignement vis-à-vis des facteurs de stress, en se distanciant de l’école. »[7] L’école est loin d’être un lieu positif et valorisant de socialisation pour les jeunes trans qui choisissent encore trop souvent de se priver d’études plutôt que de continuer à être brimé.es.
Une autre stratégie de survie par l’anticipation et l’évitement consiste à donner le change et à faire mine d’adopter l’identité dont les autres nous affublent. En jouant à ce jeu dangereux, Quentin se rappelle comment il a été très tôt rattrapé par la réalité :
Je me rappelle aussi qu’un jour notre instit’ nous a fait faire un exercice de dessin qui consistait à se dessiner soi-même à 20 ans. Moi j’avais dessiné une fille aux cheveux longs, parce que je pensais que (…) c’était ce qu’on attendait de moi. Tout le monde avait été extrêmement surpris par mon dessin et moi j’avais été extrêmement surpris que tout le monde soit surpris. Je me rappelle m’être senti encore plus perdu puisque quand j’étais moi-même je voyais bien que ça mettait mal à l’aise les gens, mais quand j’essayais de me conformer à ce que je pensais qu’ils attendaient de moi, ils semblaient à nouveau déroutés.
Trois grands types d’exclusion apparaissent donc : soit les élèves trans sont rejeté-e-s par leurs pairs dans les activités hétéro-normées mises en place par l’institution et les enseignants, soit ils s’excluent eux-mêmes pour ne pas subir d’avantage de discriminations, soit ils font semblant de jouer le jeu de la norme de genre et souffrent en conséquence.
II. Les violences transphobes en milieu scolaire
Les données scientifiques sur la transphobie et les actes transphobes au collège et au lycée sont rares. Sans surprise, il n’existe aucune étude française spécifique sur ce sujet, même si nous avons pu récolter bon nombre de témoignages personnels. Pour essayer d’y voir plus clair, nous devons donc regarder ce qui se fait au Québec, aux États-Unis et en Angleterre et recouper ses informations avec des études françaises à portée générale. Les travaux existant dressent un état des lieux alarmant de la situation des élèves trans. En 2009, Line Chamberland a conduit une étude au Québec ayant pour titre « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaire ». Elle y conclut que « (l)es jeunes lesbiennes, gais, bisexuel-le-s et transsexuel-les/transgenres (LGBT) sont plus à risque que leurs pairs non LGBT de subir de l’intimidation, des menaces, du harcèlement et des agressions physiques en milieu scolaires »[8]. Les élèves déviant de la norme hétérosexuelle et/ou hétérogenrée sont donc victimes d’actes violents de la part de ceux et de celles qui veulent représenter la norme. Ajoutons à cela qu’y compris à l’intérieur du groupe dit « LGBT », des disparités de traitement existent. En effet, aux Etats-Unis par exemple, insultes et insécurité sont le lot quotidien des « élèves transgenres [qui] sont confrontés à plus de persécutions et de violence que les élèves homosexuel-l-e-s et bisexuel-e-s. Les conséquences sur les victimes se traduisent par l’absentéisme scolaire, des résultats inférieurs à ceux des autres et un sentiment d’isolement et de non appartenance à la communauté scolaire »[9] rapporte une étude du GLSEN. Publiée en 2009 et menée sur un échantillon de 295 élèves trans de 13 à 20 ans, cette étude est fort justement intitulée « De dures réalités » (« Harsh Realities »). Les chiffres avancés sont éloquents : durant l’année précédent l’enquête, 89% des élèves trans ont déjà été insultés ou menacés à cause de leur orientation sexuelle et 87% à cause de leur expression de genre, au moins la moitié ont déjà été agressés physiquement à cause de leur orientation sexuelle (55%) ou à cause de leur expression de genre (53%) et plus d’un quart a été agressés physiquement (coups de poing, coups de pied, menace avec une arme) à l’école à cause de leur orientation sexuelle (28%) ou à cause de leur expression de genre (26%)[10]. N’oublions pas ce qui est arrivé à Gwen Araujo, lycéenne harcelée par ses camarades, assassinée à l’âge de 17 ans et dont le corps a été retrouvé enterré. Elle avait été ligotée, rouée de coups et étranglée pour avoir « menti » sur sa « véritable nature » au jeune homme qu’elle fréquentait comme le rappelle le téléfilm A Girl Like Me qui retrace les dernières heures de la jeune fille[11].
En Europe, Stephen Whittle, Lewis Turner et Maryam Al-Alami de l’organisme anglais Press For Change avaient mené deux ans auparavant une enquête sur les discriminations dont sont victimes les trans, du nom de « Engendered Penalties », que l’on pourrait traduire en tentant de conserver le jeu de mot par « Pénalités en-gen(d)rées ». Dans la section consacrée à l’école, il est dit que les élèves trans souffrent bien plus de harcèlement moral et physique que les élèves LGB et qu’« environ 64% des jeunes garçons trans et 44% des jeunes filles trans seront harcelés ou persécutées à l’école, non seulement de la part des autres élèves mais aussi de la part du personnel encadrant, y compris des professeurs. »[12] Les conclusions rapportées aux Etats-Unis par l’étude du GLSEN quant à la surreprésentation des trans parmi les victimes de crime de haine envers les LGBT sont valables de ce côté-ci de l’Atlantique. Néanmoins, Whittle et al. précisent que les jeunes filles « masculines » semblent moins bien acceptées que les garçons « efféminés », contrairement au préjugé souvent véhiculé. De surcroît, la précision de leurs recherches leur permet de pointer du doigt le rôle déterminant des adultes et du personnel enseignant dans la propagation de la transphobie.
En matière de transphobie scolaire, la France ne fait pas exception. Les trans forment l’une des minorités les plus malmenées, et cela n’est pas sans conséquence. Une étude menée par HES et Le MAG publiée en avril 2009[13] indique que 67% des jeunes transsexuel-le-s ont déjà pensé au suicide du fait de leur transidentité, et que 34% ont déjà effectué au moins une tentative. Amélie, 28 ans, témoigne de son mal-être et de son envie d’en finir : « Je ne savais pas vraiment pourquoi je n’allais pas bien à l’époque. J’ai tenté de mettre un terme à ma vie sans en avoir le courage. » Bien entendu, ça n’est pas la transidentité qui pousse au suicide mais la détresse dans la laquelle les élèves trans se trouvent. Ceux-ci sont victimes de brimades et de vexations au quotidien de la part de leurs camarades cisgenres[14]. Amélie se remémore aussi une scolarité marquée par une mise au banc sociale : « À l’école, j’étais toujours le petit garçon exclu par les autres. Jusqu’au lycée, ça allait, les filles m’acceptaient encore pour jouer avec elles. Les garçons par contre étaient très violents et n’acceptaient pas que je n’aime pas jouer avec eux. ». Entre déprime et provocation, Dominique, quant à lui, ne semble jamais avoir pu s’épanouir à l’école et y trouver sa place, comme le montre son attitude : « L’école? Un cauchemar, je ne fais rien du tout, je n’ai même pas de cahiers. Isolement entrecoupé de périodes ‘d’organisateur de chahuts délires’ ». Si, à première vue, le témoignage de Dominique semble très différent de celui d’Amélie, il témoigne en réalité d’un vécu semblable à celui d’Amélie : victimes de brutalités, tous deux ont vécu la solitude en classe et ont réagi par la violence, qu’elle soit envers les autres ou retournée vers eux-mêmes.
Il existe également un lien très fort entre les violences transphobes et le décrochage scolaire. Ce qui est observé dans le rapport du GLSEN semble se vérifié chez nous aussi. D’après une étude du CRIPS[15] menée en 2007, 21% des personnes transsexuelles déclarent avoir arrêté leurs études à cause de la transphobie. Julie, 18 ans, confie sa peur d’être découverte : « Moi, je n’aurais pas pu tenir si on m’avait parlé au masculin ou si les élèves avaient été mis au courant de la situation. » Elle a choisi de vivre cachée, mais Matteo, élève en 1ère STI, a préféré faire son coming out auprès du proviseur de son lycée et de ses camarades : « …j’aurais dû fermer ma gueule. Aujourd’hui je suis en cours d’engagement à l’armée pour quitter le lycée (…) ‘grâce’ a mon coming out je dis au revoir aux études car [on m’a] plusieurs fois plaqué contre un mur avec une lame de 15 cm sous la gorge en me demandant si j’avais des couilles ou non ».[16] Ne pas respecter l’identité de genre revendiquée par un-e trans, c’est déjà discriminer ; s’en suivent les remarques, les insultes et le rejet, puis les atteintes au corps : les coups, les viols… Dès lors, comment concilier transition et études secondaires?
III. Ecole et transition : quelle stratégie pour les élèves ?
Pour faire leur transition, les élèves trans doivent tout d’abord échapper à cette violence trop souvent passée sous silence qui oblitère l’identité de la victime au profit de la loi du plus fort. On constate le même phénomène au Québec où ceux qui choisissent de faire une pause dans leurs études, soit entre le collège et le lycée, soit entre le lycée et les études supérieures, profitent de conditions idéales : « les cheminements les plus positifs sont souvent vécus par ceux qui n’ont pas eu à sortir du placard »[17] signale Sylvia Galipeau. Toutefois, tous les élèves ne peuvent se permettre d’arrêter leurs études, même momentanément. Certains, comme Samy, font le pari de faire leur transition tout en poursuivant leurs études secondaires. Il insiste sur la « peur que ça ne fasse pas crédible aux yeux du lycée, qu’en juin [il se soit] présenté sous [son] identité F et qu’en septembre, [il] leur fasse tout un pataquès pour pouvoir utiliser [son] identité masculine, comme ci c’était ‘le délire de l’été’. » Il précise que, au fond, il voudrait simplement avoir droit à une éducation sereine et « [préfèrerait] [se] concentrer sur [ses] révisions du bac cette semaine plutôt que d’organiser cette conversation, gérer ses conséquences… » Bref, si faire son coming out est une nécessité pour faire une transition, c’est aussi se jeter dans l’inconnu, potentiellement se mettre en danger, et être souvent poussé à interrompre sa scolarité.
Pour échapper à cela, nombreux sont les élèves qui décident de changer d’établissement. C’est le cas de Grégory qui explique : « …quand j’ai changé de lycée cette année, j’ai tout de suite parlé à quelqu’un de l’administration de ma situation (la CPE), qui s’est montrée très compréhensive et qui a mis mes nouveaux professeurs au courant. » Mais la situation reste épineuse à gérer pour le jeune homme qui doit composer avec la réalité : « Comme j’étais également à l’internat des filles, je me suis aussi chargé de faire mon coming out à tout l’étage, et à toute ma classe durant le premier mois, en leur demandant de ne pas trop ébruiter l’information ». Mais que se passera-t-il lorsque l’information viendra à s’ébruiter ? Dans quel dortoir le fera-t-on finalement s’installer ? Comment les élèves et les parents d’élèves réagiront-ils ? En cas d’hostilité, bénéficiera-t-il du soutien de l’administration ?
Cependant, une déscolarisation ou un changement d’établissement ne suffisent pas toujours à briser le cycle de l’acharnement transphobe, surtout lorsqu’un élève trans a fini par intérioriser une part de la transphobie dont il a été victime. A cet égard, d’autres témoignages font état d’humiliations constantes, menant l’élève à un profond sentiment d’échec personnel. Ainsi, le jeune Yvan, FtM québécois de 16 ans bientôt hormoné, parle des brimades, des coups et des conséquences que ces humiliations ont eues sur sa scolarité :
J’ai arrêté l’école en septembre 2007 car mon ‘secret’ avait été découvert et je me faisais battre, niaiser (…). Maintenant je suis prêt à retourner à l’école (…). Je vais recommencer en septembre 2008, je suis inscrit en gars à cette école (…) Personne ne me connaît alors personne va savoir que j’ai un corps de fille… Mais j’ai vraiment peur qu’ils le découvrent et j’adore l’école mais si le monde le découvre je vais encore arrête et il n’y a pas d’autre école dans le coin. J’ai vraiment peu que ça recommence encore (…) Je suis vraiment écœuré de me faire battre et niaiser (…). Je ne sais pas quoi faire. Depuis que [je sais] quel [est] mon Problème je suis plus heureux mais je ne veux pas tout perdre en retournant à l’école.
Cet élève est brisé moralement, et sans le soutien de ces parents qui ont accepté qu’il entame sa transition avant sa majorité et qu’il change de lycée, qui sait ce qu’il serait advenu de lui.
Au Québec toujours, face à une institution bien peut réactive et rarement encline à accepter la diversité et les différences, la mère de Samantha prend les devants en laissant sa fille s’affirmer dans l’intimité de la maison parentale, comme le fait le personnage de Granny avec Ludovic, petit garçon qui veut devenir fille, dans le film Ma vie en rose[18] d’Alain Berliner. Le soulagement de l’adolescente de 14 ans n’est que provisoire car chaque jour, il faut retourner à l’école, redevenir Samuel et faire face à la même incompréhension de l’institution et des élèves. Très rapidement, la jeune MtF s’enferme à la maison et ne va plus à l’école. Sa mère prend une décision radicale mais probablement salvatrice : « Une année scolaire, ça peut se reprendre. Une vie, ça ne se reprend pas (…). Il va falloir couper les ponts, déménager, trouver une autre école. Je ne vois pas d’autre solution. Parce que, en ce moment, quand je pars le matin, ma grande question, c’est : est-ce que mon enfant va être encore en vie ce soir? » Voilà le genre de préoccupation qui occupent l’esprit d’un parent d’enfant trans, voilà le genre de situations dont l’école doit répondre.
***
L’institution scolaire doit sans cesse se remettre en question. Par les enseignements qui y sont dispensés et l’organisation de ses locaux, elle est vectrice et productrice de discriminations à l’encontre des élèves trans. Il est temps que l’école de la Républicaine Française apprenne à composer avec ses élèves trans et qu’elle fasse le pari d’être l’école de tou-te-s dans le respect de chacun-e. En outre, les jeunes trans sont victimes, encore plus que les élèves LGB de violences scolaires de la part de leurs paires, au point que les jeunes trans sont souvent obligés de vivre leur identité souhaitée ailleurs, dans un autre établissement. Les élèves bios doivent donc eux-aussi être éduqués en matière de problématique de genre et de transidentité. Les témoignages livrés ici sont précieux et riches d’enseignements. J’espère que ceux-ci ainsi que les analyses synthétiques et comparatives qui en découlent pourront servir de point de départ au personnel éducatif pour travailler sur l’acceptation des élèves transidentitaires dans les établissements scolaires en allant au-delà de la simple problématique des rapports « filles/garçons ». Je ne propose pas de solution « clef-en-main » pour répondre aux innombrables questions que soulève la présence des élèves trans dans les institutions scolaires de la République. En revanche, nous pouvons nous inspirer des interventions en milieu scolaire contre l’homophobie et la lesbophobie par Contact et SOS homophobie. Des brochures de sensibilisation pourraient être diffusées, telles celles éditées par le GIRES, intitulée « Quelques conseils pour combattre les brutalités transphobes à l’école » (« Guidance on Combating Transphobic Bullying in Schools »[19]) et qui s’adresse aux élèves trans et à leurs allié-e-s. Enfin, l’association Chrysalide a mis en ligne gratuitement sur son site des outils pédagogiques (une bande-dessinée et un quizz[20]) pour informer sur la réalité des transidentités. A l’origine, ces outils étaient destinés à figurer sur une clé USB financée par la Région Rhône-Alpes et s’appelait « Discrimi-NON ! ». Il a finalement été décidé que la transphobie était un phénomène périphérique qui n’avait pas sa place sur une telle clé.
Il y a deux ans, j’écrivais en guide conclusion des lignes qui sont toujours d’actualité : Cet article est un texte trop rare sur une question encore émergeante en France ; il doit également marquer une impulsion dans le corps des trans enseignant-e-s et chercheu-r-se-s : nous devons nous approprier notre histoire pour ne pas laisser parler à notre place ceux et celles qui n’ont pas légitimité à produire du savoir sur nous, et documenter la culture et l’histoire de notre communauté et nous donner les moyens d’avancer ensemble.
Bibliographie
Berliner, Alain. Ma Vie en rose, [film], Belgique/France, Haut et Court, 1997.
Chamberland, Line et al. « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires ». Rapport de recherche – Programme actions concertées. Section 3 [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://www.fqrsc.gouv.qc.ca/upload/editeur/RF-LineChamberland.pdf
Chrysalide. Site Officiel de l’association. 2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://chrysalidelyon.free.
CRIPS. « 67ème Rencontre du CRIPS Ile-de-France : Personnes trans’, quels enjeux de santé? ». [en ligne]. Lettre d’information n°84, 11/2007 [consulté le 25/07/2010]. http://www.lecrips-idf.net/lettre-info/lettre84/L84_1.htm
Dorais, Michel et Eric Verdier. Petit manuel de gayrilla à l’usage des jeunes. Béziers : H&O éditions, 2005.
Galipau, Silvia. « La Transphobie à l’école : une dure réalité ». [en ligne] 14/05/2009. [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.alterheros.com/cite/2009/05/transphobie-a-lecole-une-dure-realite/
GIRES. « Guidance on Combating Transphobic Bullying in Schools » [en ligne] 28/02/2010 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://www.gires.org.uk/assets/Schools/TransphobicBullying.pdf
Greytak, Emily A., Joseph G. Kosciw, Elizabeth M. Diaz. « Harsh Realities : The Experiences of Transgender Youth in Our Nation’s Schools ». A Report from GLSEN [en ligne]. 17/03/2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.glsen.org/binary-data/GLSEN_ATTACHMENTS/file/000/001/1375-1.pdf
HeS et Le MAG. « Enquête sur le vécu des jeunes trans et transgenre ». [en ligne]. 20/04/2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.hes-france.org/propositions/commissions/questionnaires-com-trans/enquete-sur-le-vecu-des-jeunes
Holland, Agnieszka. A Girl Like Me : The Gwen Araujo Story, [film], Etats-Unis, Lifetime, 2006.
IEF. « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres ». [en ligne]. 2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications
Whittle, Stephen, Lewis Turner et Maryam Al-Alami. « Engendered Penalties : Transgender and Transsexual People’s Experience of Inequality and Discrimination ». Press For Change. Wetherby : Equality Review. [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://www.pfc.org.uk/pdf/EngenderedPenalties.pdf
[1] La transition est la période pendant laquelle une personne évolue dans son genre psychologique, social et physique.
[2] On peut se définir transsexuel-le, transgenre, intergenre, travesti-e etc. chacun-e trouvant l’identité ou la définition qui lui convient le plus, ou bien en inventant d’autres. Par raccourci de langage, et afin d’être le plus juste possible en essayant d’inclure un maximum de personnes concernées par cette problématique, nous employons le terme général de « trans ».
[3] Tous les prénoms ont été changés tout en respectant leur genre. Le genre indiqué (FtM ou MtF) est uniquement le genre revendiqué par les témoins. Un homme trans ou FtM (Female to Male) est une personne s’identifiant (plutôt) en tant qu’homme mais assignée au sexe biologique et social féminin à la naissance. De plus, une femme trans ou MtF (Male to Female) est une personne s’identifiant (plutôt) en tant que femme mais assignée au sexe biologique et social masculin à la naissance. On s’adresse aux hommes trans au masculin et aux femmes trans au féminin. Toutefois, ces définitions restent larges et n’ont pas vocation à figer les identités des personnes trans mais à informer les personnes non trans.
[4] Tous les témoignages ont été récoltés en 2009-2010 dans des correspondances privées, sur des forums Internet avec l’autorisation des leurs auteur-e-s, ou sur des sites et des blogs. Ils sont fidèlement retranscrits à l’exception des fautes d’orthographe.
[5] IEFH. « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres », p. 74 [en ligne]. 2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications
[6] Line Chamberland et al. « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires ». Rapport de recherche – Programme actions concertées. Section 3 [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement :
http://www.fqrsc.gouv.qc.ca/upload/editeur/RF-LineChamberland.pdf, p. 15.
[7] IEFH. « Rapport sur les transgenres en Belgique : un aperçu de la situation sociale et juridique des personnes transgenres », op. cit. p. 75. Le « coping » (de l’anglais « to cope » qui signifie « s’en sortir ») désigne l’ensemble des stratégies de survie mises en pace pour faire face aux discriminations dont un individu est victime.
[8] Line Chamberland et al. « L’impact de l’homophobie et de la violence homophobe sur la persévérance et la réussite scolaires ». op. cit., p. 2.
[9] « Transgender students face much higher levels of harassment and violence than LGB students. And these high levels of victimization result in these students missing more school, receiving lower grades and feeling isolated and not part of the school community. » Ma traduction. Emily A. Greytak, Joseph G. Kosciw, Elizabeth M. Diaz. « Harsh Realities : The Experiences of Transgender Youth in Our Nation’s Schools ». A Report from GLSEN [en ligne]. 17/03/2009 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et accès : http://www.glsen.org/binary-data/GLSEN_ATTACHMENTS/file/000/001/1375-1.pdf, p. vi.
[10] Cf. Emily A. Greytak, Joseph G. Kosciw, Elizabeth M. Diaz. « Harsh Realities », op. cit., p. xi.
[11] Agnieszka Holland. A Girl Like Me : The Gwen Araujo Story, [téléfilm], Etats-Unis, Lifetime, 2006.
[12] « Some 64% of young trans men and 44% of young trans women will experience harassment or bullying at school, not just from their fellow pupils but also from school staff including teachers. » Ma traduction. Stephen Whittle, Lewis Turner et Maryam Al-Alami. « Engendered Penalties : Transgender and Transsexual People’s Experience of Inequality and Discrimination ». Wetherby : Equality Review. [en ligne] 02/2007 [consulté le 25/11/2012]. Disponibilité et téléchargement : http://www.pfc.org.uk/pdf/EngenderedPenalties.pdf, p. 17.
[14] Les personnes cisgenres, ou bio, sont des personnes non trans.
[16] Faire son « coming out » (de l’anglais « to come out » qui signifie « rendre public ») vient de l’expression « to come out of the closet » c’est à dire « sortir du placard » ou révéler son homosexualité. Par extension, cela signifie que l’on révèle une partie de soi cachée car perçue comme source de honte ou de danger, ici, la transidentité.
[18] Alain Berliner. Ma Vie en rose, [film], Belgique/France, Haut et Court, 1997.
Mis en ligne : 01.01.2013.