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Étiquette : Queer

Entretien avec Naiel Lemoine, photographe

Naiel Lemoine

Photographe

 

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 » Je suis avant tout unE individuE qui aime et utilise la photographie comme moyen d’expression et de résistance; politiquement comme Trans  FTU ( AssignéE Female To Unknown) féministE, militantE, Queer, et plein d’autres choses… »


 

1- Bonjour Naïel. Peux-tu te présenter ?

Me présenter, oui/

 je peux / essayer

Dans les marges de /

cette humanité, j’erre/

multiples visages/

d’un par/ëtre qu’on /

étiquette

J’ai 15 codes-barre tatoués/

au fer rouge scintillant

éclaboussures / en strass doré

De tous les Égos/

militants

Me situer, c’était avant

Des images pour/

crier

pas pour/

classifier

pas pour/

imposer

juste pour/

 Hurler/

 l’indicible

Des instantanés/ datés

d’identités éclatées

d’êtres humains/

 en rupture

éclatant/

 toutes les évidences

Système hétéropatriarcal

un peu, vacillant

Machine à fabriquer

impitoyablement/

LA Femme/

L’Homme

parés si possible/

 de longs filaments dorés

habillés si possible

d’un paraître /

laiteux

si translucide que/

douteux

Des Hommes/Des Femmes

complémentaires /

et surtout/

inégalitaires

Machine à fabriquer de l’Essence

résistes-tu

au paradigme de nos Existences?

Dame Nature/

entends tu les voix

de tous les ratés de/

ta production?

Lis tu parfois/

les traces/

 que nous laissons/

ces quelques mots/ces quelques images/

qui/juste/

exposent au grand jour ton

Historicité…

Me présenter/ me situer/

Maintenant?

RatéE du système de production

Du rêve tu veux/

me vendre?

À grand coup

d’intégration-assimilation/

de mariage et de papiers/

pour me valider/

pour me /

récupérer…

mais, la quête

de la reconnaissance/

bien que longtemps/ pratiquée

porte en soi

l’échec /

de toutes les militances

la reconnaissance /

 abandonnée/

les sous-droits que tu veux/

nous concéder/

sous prétexte de

modernité

pour mieux

coloniser

pour mieux nous instrumentaliser

et nous intégrer

dans ton

État-Nation

Penses tu encore vraiment/

que j’ai envie

d’exister

par et dans

ton système sexiste,

raciste

classiste,

âgiste et validiste…..

 Naïel le 22/08/2012

 

 

2- Si tu es connuE pour ton travail, c’est surtout pour sa dimension « queer » (avec GenderFucking) : Que mets-tu derrière ce mot ?

Dimension queer/
vécu queer/
ou juste
posture queer/
queer as God?

Queer comme /
empowerment
ou comme/
piétinant/
les ditEs « straight »?

Queer, ce mot sonne juste comme/
un rappel/
d’une possibilité de
pouvoir/
se penser/se panser/ sans se
victimiser

Étrange/
comme, le retournement de l’insulte/
comme la contrainte à la/
Normalité
qu’on soit homoE
ou
hétéroE

Queer/
comme mes luttes incessantes/
récurrentes/
contre toute tentative
d’intégration-assimilation

Queer comme profusion/
des genres/
qui devrait juste
être
mais qui n’est qu’une infime résistance/
rattrapéEs que nous sommes par/
le par/Être

queer comme
identité politique/
sans
identité originelle/
qui se construirait
au gré des luttes/
qui jamais ne/
serait fixée.

Queer comme gosses du
blackfeminism/ de Deleuze/
Derrida, Foucault et bien d’autrEs
queer comme les possibles infinis/
de lutter ensemble sans/
se faire homogénéiser/
queer comme/
post identitaire/
sans nier les
identités/
et leur historicité

Queer comme/
un rêve brisé/
par des Égos
/démesurés/
par le refus ou l’oubli de /
mesurer/
le poids de l’asymétrie /
de la construction /
du genre /
dans notre/
société.

Queer comme/
une grille de lecture/
trop souvent utilisée sans/
les apports /
des grilles/ féministes

Queer comme faisant peur/
car
portant en lui/
les germes de/
résistances infinies/
individuelles/
collectives/
car poussant à repenser/
juste
notre façon de penser/
si bien formatée/
si bien /
intégrée.

Queer comme/
blackfeminism
comme/
intersectionnalité
comme analyse /
en terme de
rapports sociaux/
consubstantiels et coextensifs…

Mais à /
Queer En Théorie/
c’est le queer des noms/
le Queer des idées qui naissent /
sur les chaires des universités/
certes, souvent intéressantes/
mais qui oublie que/
la beauté du concept est facile
quand/
on ne fait pas partie
de /
multiples minorités/
quand on n’est pas /
parfois à soi /seulE/
la cible /
des dynamiques des /
rapports sociaux
que sont/
le genre, la classe,/
la race, la validité..;

 

Queer à paillettes/ aussi
Injonctions à la/
baise
injonctions à de nouvelles/
normes
Queer sonne alors comme
bien nantiE…

Alors, queer /
comme une désillusion?
Ou
juste /
comme des théories/des pratiques/
à requestionner/ à critiquer
à réinventer/ à dépasser…

Queer comme
redonner la parole/
queer , comme une chandelle/
au loin
pour construire des vies/
de solidarités
pour détruire les antagonismes/
pour abolir toutes
les frontières/
queer, pour faire exploser/
le genre/ la classe/ la race
et tous les autres rapports sociaux…

Queer as/
Fuck you
but /
especially /
Queer as/
I love you….

Naïel 22/08/2012

 

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3- On te connait aussi pour ton travail sur la question trans : qu’est ce qu’une militance trans par l’art selon toi ?

Tout d’abord, je ne pense pas qu’il y ait LA question trans, étant donnée l’hétérogénéité de ce qu’on appelle communément « le monde trans », mais DES questions trans.

Et je tiens aussi à rappeler que n’ai jamais spécifiquement travaillé sur les questions trans mais sur les questions relatives au genre ( avec « Destroy genders or Fucking genders: pour une société non binaire, « A la recherche de mon identité », « Fighting sexism is fighting gender », « Désa-corps/corps non normés » » Cyborgs’ Land », « Dépasser les identités » « Gender’s illusion », « No gender », la dernière en date » Trans/jections » et des portraits divers de copain-e-s qui transgressent le genre ou pas…).

De plus, si jamais j’ai été connu-e un tant soi peu, c’est tout d’abord pour mon travail sur et dans le milieu lesbien/gouinE, suivant les significations variables de ces deux termes dans l’histoire, et parce que j’ai exposé de 2003 à 2007 à Cinéffable (festival lesbien et féministe international non mixte de cinéma)

Ceci dit, je vais quand même essayer de répondre à ta question, mais celle ci pose en creux trois autres questions qu’on ne peut ignorer pour tenter d’apporter des esquisses de réponses qui font sens :

  • Qu’est-ce qu’être Trans?
  • Qu’est-ce que la/les militances? Pour quoi? Pour qui? Comment?..
  • Qu’est que l’Art?

Sans les coucher sur le papier, on présuppose que ces trois thèmes font l’objet d’un consensus au niveau de leur contenu, ce qui est loin d’être le cas.

Que signifie Trans?

On peut tout d’abord souligner qu’il est une réappropriation par les activistes trans, du terme transsexuel-le, étiquette mise par la psychiatrie, et donc un refus d’être défini par des instances psychiatriques surplombantes et toutes puissantes dans leur pratiques. Cette réappropriation faite dans les années 2000 en (f)rance, (terme repris ou pris par le G.A.T). Dans un tract en 2003, pour mettre fin à la guerre interne transexuelLE/transgenre http://transencolere.free.fr/), marque un tournant dans les histoires trans, dans le sens où en refusant et en dénonçant la psychiatrisation de leurs identités, les trans ont pris la parole (parole, qui, quand on est « malade mentalE », n’a aucune validité) et ont politisé ce qui jusque là relevait du domaine psychiatrico-médical et donc de la sphère du privé.

De victimes, les trans sont passé-e-s à acteurEs (même si le système protocolaire français les contraint toujours) de leurs vies, en dénonçant entre autres le système binaire hétérosexiste et sa machine à fabriquer l’Homme et la Femme.

Par ce terme « trans », les trans se sont auto proclamé-e-s trans, refusant par là même le système protocolaire français, qui définit qui est trans ou non, suivant des critères de stéréotypes de genre datant d’un autre temps, et suivant un parcours à sens unique, imposé, qui doit être complet même si à chaque étape, il est  toujours remis en question par le bon vouloir des psychiatres (pseudo-entretiens avec un-e psychiatre–définition du psychiatre– test de vie réelle–>T.H.R– T.H.S–opération de réassignation sexuelle).

Iels ont donc commencé à refuser les définitions, les discours faits par de pseudo-experts sur eux/elles.

IlLEs se sont iel-mêmes défini-e-s comme expertEs, acteurEs et décideurEs de leur propre existence contre un système médico-juridique qui les contraint toujours actuellement.

Juridique car, après ce parcours qui doit être “complet” suivant les normes des protocoles français, (protocoles eux mêmes proclamés officiels par les équipes psychiatrico-médicales dites « équipes off »), se pose la question de l’état civil (sans papiers quelque peu en adéquation avec votre « apparence », il reste difficile de se loger, de faire des études, de travailler, et donc d’avoir un semblant de vie et ne pas être précaire).

En (f)rance, cela relève de la jurisprudence et du bon vouloir des Tribunaux de Grande Instance, qui peuvent selon leur envie demander des expertises dites « médicales » très coûteuses, aux frais des personnes trans bien sur, en plus de tous les papiers “montrant le caractère irréversible de la transition”, qui sont totalement irrespectueuses  des droits humains (pratiques qui peuvent être des viols..).

Après un très rapide survol de l’apparition du terme trans et des contraintes à la normalité en (f)rance, qui n’est qu’une histoire des trans parmi tant d’autres, une fois l’autoproclamation faite et pratiquée dans les milieux activistes trans, que recouvre ce mot?

Je ne vais pas, ici, donner une définition de « trans », car il en existe, à mon avis, autant que de personnes trans, mais pointer les limites et conflits que pose toute tentative de définition :

Il existe de fait, une diversité importante des identités Trans, qui dans les pays anglo-saxons ont été regroupées sous la “transgender umbrella”, qui inclue toute personne qui ne correspond pas au stéréotype de genre attendus dans sa société.

Il est d’ailleurs intéressant, avant de parler de “transgender umbrella”, de noter  que l’apparition du terme “transgender” est due à un psychiatre ( encore) John F. Olivien de l’université de Columbia, en 1965, lors de la deuxième édition de son « Book Reviews and Notices: Sexual Hygiene and Pathology ». American Journal of the Medical Sciences, écrit pour les professionnels de santé aux Etats-Unis. Il utilise ce terme pour définir ce que la psychiatrie française appelle les “transsexuel-le-s primaires”, dans le sens où la sexualité n’est pas un facteur important.

Puis il semble qu’au milieu des années 70, toujours dans un contexte anglo-saxon, les termes “transgender” et “trans” aient été utilisées comme terme générique.

En (f)rance, comme dans beaucoup de pays, il a pu et est toujours source de luttes communes mais, aussi et surtout, de beaucoup de conflits, avec, toujours reprise cette fois ci par les personnes trans elles mêmes, la distinction entre vraiEs trans/ fausSEs trans déclinée de manières différentes suivant le temps.

Bref, le terme trans, polysémique et autoproclamé, pose notamment comme questions, comme toute « identité », dans une perspective de luttes :

  • L’inclusion /exclusion; sur quels critères; définis par qui?
  • Existe -t-il des spécificités communes à toutes les personnes transidentitaires, qui pourraient servir de socle commun pour des luttes?
  • La question de la hiérarchisation des vécus trans différents et des oppressions différentes (qui ne sont pas comparables et donc à priori pas hiérarchisables), et ceux qui sont mis en avant dans les différents sous-groupes trans.
  • La question de la porosité des frontières entre diverses “identités” et donc des “identités” qui se trouvent dans les marges (celles qui n’ont pas de nom).
  • La question de la non fixité de certaines “identités”, de leur fluidité, de leur variations dans le temps et l’espace…

Ceci est un listing très succinct, j’oublie certainement beaucoup de questions, et celui-ci ne concerne, de plus, qu’une infime minorité de personnes trans : celles qui se disent « trans ».

Qu’est ce que la/les militances?

J’aborderai cette question de façon succincte et de manière un peu schématique, sur un mode binaire, sachant que ces deux types de luttes peuvent s’entrecroiser, se chevaucher et aussi s’entretuer, ou tout du moins pour l’une d’entre elles piétiner l’autre.

La première est une militance pour l’égalité des droits : lutte essentielle pour toute minorité et qui ne devrait pas avoir lieu puisque les êtres humains ne naissent-ils pas égaux en droits dans ce beau pays???

Mais non, ce sont : “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits” ( Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 1)…

Cette forme de militance contient en elle-même ses propres limites, dans le sens où elle postule que les personnes qui les réclament, à juste titre, souhaitent “s’intégrer” à minima dans le système hétéropatriarcal pour la (f)rance.

Celle-ci, dans ses formes extrêmes, devient une lutte pour la sur/intégration/assimilation en piétinant les minorités à côté ou juste en dessous. C’est un petit peu ce qu’on peut voir à l’heure actuelle au sein du mouvement dit “LGBT”, avec les revendications du mariage, l’oubli total pendant une longue période des personnes trans puis une récupération des luttes trans depuis l’IDAHO 2009, avec le mépris pour les folles et les butchs dans les prides, et avec la montée de l’homonationalisme.

Mais sans ces luttes, pas de vie pour les minorités en question, seulement une survie. Ces luttes se font, essentiellement, au moyen de créations d’associations et de lobbying auprès des pouvoirs publics… Les plus grosses associations sont subventionnées par les pouvoirs publics et-ou sont affiliées à des partis politiques.

La deuxième est une militance qui conteste tout le système, qui ne souhaite pas s’y intégrer et souhaite le changer. Ces militances  sont généralement menées par des groupements d’individu-es ou collectifs, qui croisent diverses luttes, s’organisent souvent avec des méthodes D.I.Y. et qui ne sont pas subventionnées par les pouvoirs publics. Elle sont souvent fortement liées aux mouvement anarchistes et libertaires et fonctionnent avec des réseaux plus souterrains. Ce type de militance peut avoir comme limites la création d’un « entre-soi » qui tourne parfois en rond, et la faible diffusion dans l’espace public des actions.

Qu’est-ce que l’Art?

L’“art” est ce qui est reconnu comme art par le biais de la valeur marchande. Ni plus ni moins. En ce qui concerne la photographie plus précisément, elle n’échappe pas à cette définition, et de plus a été tardivement reconnue comme pratique artistique (années 1970) en (f)rance.

La photographie reconnue est celle qui percute, celle de l’image-choc et donc ce médium, utilisé seul, peut difficilement délivrer des messages politiques précis, puisque la photographie, de fait est polysémique.

Je vais donc, après tout cela, essayer de répondre brièvement à ta question : “qu’est ce qu’une militance trans par l’art selon toi ?”

Si j’étais trans au sens de “je suis/souhaite devenir ou et / passer pour homme”, j’essayerai, dans une perspective de militance pour des droits mais aussi dans une perspective de militance contre un système tout entier :

  • De montrer la diversité Trans sous la forme d’une série infinies de portraits/ espaces temps précis, accompagnées de la parole des personnes prises en photos;
  • D’ aborder les questions des corporalités trans (en intégrant « l’incorporation » au traditionnel concept de corps), tout en sachant que travailler sur les corporalités trans a deux écueils qui sont : réduire les trans à des corps (ce qui est déjà l’objet des reportages sur les trans dans les médias) et l’exotisation des corps trans;
  • De travailler sur l’empowerment de certaines populations trans/ réalité des vies trans sous un angle non victimisant;
  • De questionner la question de générations dans le « monde trans »;
  • De travailler sur l’intersectionnalité des oppressions sur un mode non victimisant;
  • Et surtout je questionnerai l’invisibilité trans dans la société, puisque « le passing » produit des hommes et des femmes différentEs ou pas, mais seulement des hommes et des femmes au niveau de la lecture que les autres peuvent avoir dans la rue;
  • Je pense que mes photographies seraient toujours accompagnées des mots des personnes;

Ces différents travaux seraient dans un objectif de plus grande visibilité,  de changement des stéréotypes toujours accolés au terme trans (« MTF, pute au bois de Boulogne » ou « MTF en cabaret ») et d’acceptation des personnes transidentitaires avec la problématique des conséquences du « montrer »:

-montrer/ s’habituer/ acceptation/ « intégration »/

mais aussi le risque:

montrer/ exotiser/ stigmatiser…

Mais, je suis juste “trans genderqueer”, je ne souhaite pas “passer” dans le genre tout court, et en même temps je suis lu-e comme un mec depuis quasiment un an à 100%. Cette nouvelle expérience de lecture de moi, me conduit encore vers d’autres réflexions, dans d’autres impasses personnelles à dépasser…

Si j’avais encore une quelconque espérance dans les luttes trans, je réaliserais peut être, en prenant la légitimité que personne n’est en droit de me refuser, ce que j’ai évoqué ci-dessus mais j’y ajouterai :

  • Des questionnements sur la notion même d’identité : son utilité politique, ses limites et son nécessaire dépassement (projet cases et normes).
  • Je continuerai à attaquer le système hétéropatriarcal, même si je n’ai guère plus d’illusions:

(j’ai un vieux projet écrit et dessiné bien avant « fucking genders » sur l’éducation, le formatage et la rééducation à l’hétérosexualité en tant que régime politique , inspiré par un film comme « orange mécanique »–> projet)

  • La question de la création de nouvelles normes, qui subvertissent les normes en cours dans la société, mais qui finissent par devenir des injonctions dans certains sous-groupes.
  • “Réfractaires au genre” (projet écrit en même temps que “fucking genders”): pourquoi, comment, qui sont ces personnes qui refusent le genre?
  • Un travail plus global sur l’antipsychiatrie, la question de l’enfermement des personnes en lien avec des questions trans….
  • et bien d’autres sur ce monde inhumain…

Je pense que ma pratique photographique ne pourrait être seulement photographique, elle s’accompagnerait de vidéos, de textes, et les formes seraient différentes…

Je parle au conditionnel, car pour l’instant les projets restent bien sagement écrits ou dessinés sur mes carnets, parce que j’ai oublié un élément essentiel à respecter pendant ces dernières années de ma vie:

Ne jamais mélanger créations/expositions militantes avec participation active à une militance de terrain.

Suite de l’entretien

Entretien avec Lazlo Pearlman, performer

Rachele Borghi

Glenn Le Gal

 

 

Lazlo

Photo by Kendra Kuliga, Cielo Production 


Rachele borghi est activiste et militante Queer. Elle est géographe,actuellement postdoctorante à l’université de Rennes 2. Elle étudie le rapport entre espace et identités Queer, le concept de performance et  sa mise en espace, les pratiques de contra-sexualite et la dissidence sexuelle (en particulier le mouvement post porno). Sa première performance s’appelle degen(d)ereted euphoria.
 
Glenn Le Gal est militant queer et féministe, travaille au Planning Familial et prépare une thèse en psychologie clinique à l’Université Rennes 2.
 

LAZLO PEARLMAN, MON AMI

 

« Are you happy ?» « Yes, thank you, this is a beautiful question. My happiness is about life, not about gender». C’est par cette phrase prononcée dans le film « Fake orgasm », que l’approche et la philosophie de Lazlo Pearlman sont résumées.

Une vie de performeur, activiste et enseignant dédiée à la rupture d’avec les préjugées, les idées reçues et les dogmes concernant le genre et le sexe.

Le corps de Lazlo est un corps queer, qu’il utilise pour porter son message de libération des contraignantes normes de genre. La rencontre avec Lazlo Pearlman est chargée d’émotions ; d’une part son corps, impossible à encadrer ou étiqueter comme l’exige l’hétéronormativité ; d’autre part son attitude, sa façon d’aborder les gens et de les faire entrer dans un autre monde. Même si ses performances ont l’effet d’une bombe, Lazlo provoque l’explosion par la douceur, les sourires, l’ironie et la tendresse. Les bombes qu’il fabrique ont le parfum des fleurs et le poids des plumes. Lazlo ne fait pas irruption dans la tête des gens, il gratte à leur porte et demande doucement la permission d’entrer. C’est pour cette raison que son travail est si bouleversant, si fort, si touchant. Il fait tomber toutes nos réserves, tous nos préjugés, toutes nos idées reçues sur les « femmes » et les « hommes ».

Ce qu’il arrive à transmettre avec ses performances(1) ce n’est pas le rejet et la peur pour un corps hors-norme, mais plutôt la liberté d’habiter un corps qui sort des binarismes, de la dualité. Son charme réside dans l’impossibilité de le définir. Son corps musclé, ses tatouages, son sourire charmant, l’intensité de son regard, sa tête rasée et sa chatte épilée poussent les gens qui le rencontrent et qui assistent à ses performances à laisser de côté la plupart des idées reçues sur le genre et le sexe.

En regardant ses performances et ses strips sur scènes, on est tenté de fermer les yeux et de les rouvrir juste après pour être sûr que ce qu’on voit est bien réel ; cette prise de conscience déclenche un vrai « tremblement de terre », qui laisse entendre la rumeur de nos certitudes qui s’écroulent. Mais en observant les décombres de nos constructions sur le genre et le sexe, on n’a pas envie de pleurer ; on a juste envie de respirer cet air nouveau, cette bouffée d’oxygène qui se libère dans l’air. 

Et à ce moment-là, la question qu’on a envie de lui poser n’est plus : « Es-tu un homme une femme ? », « Es-tu hétéro ou homo ? ». On a juste envie de lui demander « Veux-tu devenir mon pote ? »…

 

FAKE ORGASM

Dans un cabaret, un homme vêtu de paillettes présente les participantes à un concours. Sur scène, seule au micro, des femmes sont invitées à prendre la parole, pour expliquer leur choix de participer à ce concours de « faux orgasme ». Dans une ambiance joyeuse, sous les encouragements, se succèdent plusieurs femmes, qui disent dans quel contexte et pourquoi elles simulent l’orgasme. Puis elles partagent avec le public leur performance sous les applaudissements. L’animateur de cet étrange spectacle est Lazlo Pearlman, et si le début de ce film peut en perturber plus d’un.e, on comprend rapidement le sens de cette scène d’ouverture. En effet, le film nous plonge dans la vie de performeur de Lazlo, ses différents spectacles, ses doutes, sa démarche politique et artistique, ainsi que ses coups de gueule.

Et le premier coup de gueule, nous le découvrons lors d’une discussion agitée avec la performeuse et activiste feministe Maria Llopis(2). Elle interroge sa démarche, lui reproche de rire des femmes qui simulent, et pointe l’ambiguïté d’un tel propos sur la sexualité féminine. La discussion est agitée, et Lazlo lui répond qu’il ne s’agit pas de rire aux dépens des femmes, mais de dédramatiser la sexualité, de faire avec la réalité du vécu de chacune, et surtout d’écouter ce qu’elles ont à en dire.

Ce moment clef du film dévoile toute la démarche de Lazlo. On est prévenu.e : Lazlo Pearlman, malgré les apparences, ne propose pas un égocentrique biopic sur sa vie et son œuvre, mais plutôt une exploration de son projet politique à partir de l’entremêlement de la fiction et des situations réelles dont elle s’inspire.

Construit comme un documentaire, le film met en scène des situations vécues lors de ses performances, ses déambulations dans la ville à la manière des films de Monika Treut, tandis qu’il nous narre en voix off ses questionnements et ses doutes. Le tout est agrémenté d’un sens esthétique maîtrisé, une ambiance de film noir, où l’on suit Lazlo tel un détective privé qui chercherait à découvrir là vérité sur nous-mêmes, sur notre rapport à la sexualité, au genre et au désir. Assurément, on prend plaisir à le suivre et l’on se sent vite invité à le rejoindre dans son enquête.

Si le film aborde assez tôt la place de son identité trans dans ses spectacles, Lazlo n’est pas ici dans une démarche identitaire. Il cherche plus à affirmer un rapport aux autres et au désir qu’un rapport à sa propre transition. Il le confirme en regrettant que le public soit plus intéressé par sa transition et son vécu que par l’expérience qu’il est en train de leur faire vivre. Lui cherche à obtenir quelque chose d’eux/elles, une remise en question de leurs propres genres, un questionnement de leurs désirs. Tout au long des performances, il adapte le spectacle avec la précision d’un orfèvre pour arriver à faire bouger le public de son piédestal de certitudes. Sans violence, avec séduction et douceur, il parvient progressivement à transformer le spectateur.e en acteur.e de sa propre vie, de son propre désir. Et progressivement nous aussi, spectateur.e.s du film, nous sommes séduits et entraînés dans la danse.

La démarche de Lazlo Pearlman est très singulière, parce que non moraliste. Loin de pointer l’intolérance, l’indélicatesse et l’ignorance de son public, Lazlo accueille le trouble avec patience, n’exige rien des spectateur.e.s, si ce n’est qu’ils/elles ouvrent leurs esprits aux flots d’émotion qu’il tente de susciter. Son projet politique prend appui sur l’expérience subjective de chacun.e, et fait le pari que chaque personne possède en elle le potentiel pour se révéler à soi et aux autres. Ce qu’il convoque, c’est une éthique du désir, accessible à chacun.e pour peu qu’il/elle se pose les bonnes questions. Cette douceur, cette séduction et cette confiance en l’être humain, nous ouvre les portes d’une démarche ambitieuse, réfléchie et positive, qui offre des perspectives militantes très enthousiasmantes, et donne envie de danser…

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Photo by Jeri Poll

 

INTERVIEW : un après midi avec Lazlo Pearlman

 

Quel est le point central des tes performances ? La ligne directrice de ton travail ? Y a-t-il un leitmotiv? (3)

Oui, il y a un élément central, un noyau autour duquel mes performances sont construites. Sans parler de tout le background culturel, je peux dire que la chose qui m’intéresse le plus c’est le moment où se produit dans la tête des gens qui assistent à mon spectacle l’explosion, le bouleversement.

Je fais des performances depuis mes 10 ans, donc bien avant que je comprenne quel était mon genre ou quoi que ce soit… [rires] Déjà avant ma transition, je performais toujours des rôles masculins, et j’étais déjà en rupture avec la norme.

À l’époque, il y avait les dragkings, les spectacles queer étaient peuplés par des cross cast, c’est à dire des hommes qui performaien (4)t des rôles féminins et des femmes qui performaient des rôles masculins ; moi aussi je l’ai fait. Mais après ma transition, je ne pouvais plus le faire parce que je ne provoquais plus de rupture avec la norme juste en restant sur scène. Alors, je ne savais pas bien ce que je pouvais faire…

J’ai donc passé six ans hors scène, à diriger les spectacles, parce que je ne savais pas encore quelle était la place de mon corps sur scène.

Au début, je n’avais pas envie de parler de transsexualisme, ce n’est pas central dans mon travail. Mais en même temps, je sentais que les gens ne pouvaient pas réellement comprendre le sens de mon travail sans savoir que j’étais trans. J’ai donc commencé à me déshabiller sur scène. Je pensais que c’était ma raison de le faire. Mais plus je le faisais, plus je me sentais insatisfait…

Ok, c’est bien qu’ils sachent que je suis trans, c’est bon pour la visibilité trans, etc. Mais en même temps, j’ai pensé que si j’étais obligé de parler de visibilité trans pour le reste de ma vie, je me tirerais une balle ! [rires] Mais en même temps, je n’arrivais pas à arrêter de me déshabiller…

Et alors, j’ai progressivement compris que ce que je recherchais dans mon spectacle, c’est cet instant où les spectateur.e.s me regardent et voient un homme normalement genré, jusqu’au moment où je me déshabille… Et ils sont alors si bouleversés qu’il y a un instant de rupture, où on a l’impression que tout peut être remis en question. Les spectateur.e.s ne comprennent pas ce qui leur arrive, et ils n’arrivent pas encore à remettre leurs pensées en ordre, à substituer quelque chose de clair et défini à leur trouble. Et j’ai alors compris que c’est cet instant précis qui m’intéressait. À partir de là, mon travail a été de repérer et de comprendre cet instant. Après chaque choc, les êtres humains – et la nature en général – cherchent à se réorganiser, à remettre de l’ordre dans le chaos. On cherche dans notre tête à sortir de cet espace indéfini, causé par des questions qui n’ont pas forcement de réponses. Et alors les questions fusent, du genre : « D’accord, mais… pourquoi portes-tu des lunettes ? Et pourquoi portes-tu des boucles d’oreilles ? Dis-moi : es-tu hétéro ? Es-tu gay ? Quel est le sujet de ta recherche ? C’est à propos de toi, à propos de moi ?» etc.

À cet instant mon hypothèse c’est qu’inconsciemment, ce qu’ils/elles cherchent à faire, c’est se sécuriser en rationalisant ce qui vient de leur arriver en partant de moi : « Si je te comprends toi, alors mon monde est clair. » Ce qui m’intéresse, c’est mener les gens à admettre qu’ils/elles ne comprennent pas, et que c’est ok, s’ils/elles ne comprennent pas. Peut être que c’est bien de ne rien comprendre, peut être que c’est même une chose importante. C’est à ce point là que je veux amener les gens. Voilà ce que je cherche à faire.

En ce moment, j’essaie de trouver des moyens de ne pas le faire exclusivement avec la nudité. J’ai commencé une thèse, j’étudie ce qui suscite ce moment-là, afin de mieux l’explorer. J’essaie de trouver d’autres façons de déclencher cela pendant le spectacle, pas seulement par le choc de la nudité de mon corps. Mon travail tourne autour de ça ces temps-ci. Par exemple, par l’humour et le spectacle, on peut arriver à ce résultat. Je ne cherche pas seulement l’effet coup de poing en pleine face, ou la sidération. Parce que je ne veux pas leur dire « Va te faire foutre ! », mais plutôt « Allons baiser ! » (5).

 

T’est-il déjà arrivé de susciter des réactions violentes de la part des gens ?

Non, il n’y a jamais eu de violence physique, plutôt différents genres d’agressivité, et encore pas vraiment… Le genre de réactions agressives, c’est… Tu as vu les réactions lors de la projection du film ? La première, et surtout la seconde : il y avait ce type qui est intervenu, mais c’était plus de la provocation gratuite (6)...

Ce n’était pas vraiment agressif, je l’ai plutôt vécu comme un défi. Lors des projections, ce genre de personnes représente le plus grand défi, car ils/elles ne peuvent pas faire quoi que ce soit, et ils/elles sont impuissants à dire ce qui leur arrive, mais on sent que c’est violent à l’intérieur ! Ils/elles ne savent pas comment faire pour l’exprimer, même s’ils/elles essaient d’en dire quelque chose. Et dans ce cas, il est inapproprié de répondre violemment, on ne peut pas simplement les « bousculer »…

Il arrive parfois que les gens s’en aillent, ou ne m’adressent pas la parole. Dans le film [Fake orgasm] il y avait des scènes tournées à Barcelone. Il y a eu des moments très intenses pendant le tournage, les gens qui y assistaient se rendaient compte qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Parfois, je percevais une certaine méfiance vis-à-vis de certaines scènes. Il n’était pas si simple être entouré d’autant de personnes, surtout parce qu’il y avait une caméra. Beaucoup de monde s’approchait pour avoir son quart d’heure de gloire… Mais il y a eu aussi une femme qui m’a dit qu’elle était dégoûtée par moi. C’était une femme américaine avec son copain qui m’a dit « Tu es dégoûtant ! », je lui ai répondu « Merci ! ».

Pour moi, le contact avec les gens est un moment très fort. Durant les premières prises du tournage de la scène dans les rues de Barcelone, je regardais les gens dans les yeux, mais c’était trop intense pour moi, je ne savais que faire de ce que je voyais dans leur regard, et je ne me sentais pas capable de continuer la scène de cette façon. L’équipe du film est hétéro, ce sont des anarchistes hétéro, très ouvert.e.s d’esprit, mais d’une certaine façon, normatifs. J’ai donc essayé d’expliquer à mon metteur en scène, après la première prise, que j’avais besoin d’un espace « safe », que je ne me sentais pas en sécurité (même si c’était mon idée à l’origine). Lui m’a répondu : « Ne t’inquiète pas, c’est Barcelone, c’est l’Espagne, tout le monde s’en fout, c’est légal ». J’ai dû passer 45 minutes à essayer lui expliquer la différence entre ce qui se passe dans un corps queer et un corps masculin hétéro. Il me disait « ok ok ok… ». Mais il n’avait pas compris, jusqu’au jour suivant, où nous faisions d’autres prises. J’étais plus entouré, mais personne ne surveillait vraiment ce qui se passait, et un type s’est approché de moi en riant, il m’a claqué les fesses et est reparti. J’ai dit à mon metteur en scène : « tu as vu ce qui s’est passé ? ». Il m’a répondu que non, ils/elles étaient tou.te.s trop absorbé.e.s par les aspects techniques. En revoyant les bandes, il était sidéré de ce qui s’était produit. Moi, je n’étais pas choqué par ce qui venait de se passer, mais simplement, il aurait tout aussi bien pu me mettre un coup de couteau. Ce type était juste un abruti, il n’était pas assez fou pour me poignarder, mais c’est toujours une éventualité dans ce contexte…

Mais bon, quand les gens ont une réaction agressive, je pense que la plupart du temps c’est surtout en réponse à un bouleversement, un choc en pleine face, et pour eux/elles ce n’est pas amusant, joyeux ou agréable. C’est différent pour chaque personne, mais il faut en tenir compte.

 

En même temps parfois il peut y avoir des réactions d’euphorie, une réponse euphorique au sentiment de liberté suscité par la possibilité d’effacer la norme de genre…

Oui, c’est aussi ce que beaucoup de gens disent. Dans mon dernier spectacle avec Nadège (7) je fais des choses « très romantiques » : je danse avec des fleurs, j’ai aussi un portemanteau, je fais mon strip et j’y accroche mes habits, puis je danse avec le portemanteau, qui devient mon partenaire. Puis, vers la fin du spectacle, je sors de la scène et je vais dans les coulisses. Les spectateur.e.s pensent que le spectacle est terminé, la musique change. Mais moi je descends dans le public et je commence à observer les gens ; je cherche à créer une connexion, une interaction avec eux/elles.

Donc l’ambiance change encore. Je commence à pousser les gens les un.es avec les autres pour les faire danser, moi-même je danse avec l’un.e ou l’autre et à la fin tout le monde danse. Sur une dizaine de représentations, presque toutes les personnes qui m’ont adressé la parole m’ont dit : « Ha… Je me sens dans un autre monde là… ». L’euphorie se voyait sur leur visage, et ils/elles ne m’ont plus posé aucune question concernant mon genre ! […].

Je fais ça pour casser l’espace conventionnel entre moi et le public, une situation de « voyeurisme » entre ma performance et les gens qui regardent ; je veux les inviter à participer avec moi à ce spectacle, qu’ils/elles se sentent impliquées. Je les incite à me dire « oui », en quelque sorte ! [rires] De cette manière souvent, il se crée une ambiance douce et romantique. Si c’était agressif, ça ne fonctionnerait pas de la même façon, je pense. En général, j’arrive toujours au moins à obtenir que les gens disent « Wow ! ». Et il arrive parfois que des gens se déshabillent aussi…


De façon spontanée ?

Oui, certaines fois spontanément, d’autres fois un peu moins. Il y a parfois quelqu’un.e qui me demande : « Est-ce que moi aussi je peux enlever mes vêtements ? » Et je réponds : « Oui ! Bien sûr que tu peux, vas-y ! » [rires].

La première fois que je me suis parti en tournée, j’étais dans un squat à une fête après un festival à Bordeaux. C’était vraiment un public très varié, j’ai fait ma première performance là-bas. Pendant le show, j’ai commencé à danser et à me balader pour observer les comportements des gens à mon égard. Je me suis retourné, et il y avait ce groupe de cinq ou six lesbiennes hippies cinquantenaires, qui se sont déshabillées, c’était fantastique ! Et ensuite, de jeunes pédés ont retiré leur haut, c’était un drôle de choix, mais c’était bien…

 

Pour les gens se déshabiller et rester nu représente parfois un geste libératoire, par exemple, pour assister à la performance de Diana Pornoterrorista pendant la ladyfest de Rome (8), le public devait pouvoir se déshabiller pour y assister, et c’est ce qui peut provoquer une émotion très vive, un bouleversement intense pour le public…

Oui, c’est réellement intéressant, parce qu’il y a un choix à faire. S’ils veulent observer, ils/elles doivent participer et se déshabiller. Ils/elles ont un choix à faire, et c’est ce qui les libère. Dans ce que je sais du travail de Diana, c’est tout à fait cohérent, il y a une exigence envers son public… Moi je ne suis pas comme ça, je suis plutôt dans l’invitation, la séduction… C’est une question de personnalité, je pense… Mais les deux techniques peuvent fonctionner, je ne dis pas ! [rire]

 

T’est-il déjà arrivé de performer dans un espace public?

Pas réellement, je ne suis pas sûr que la promenade dans les rues de Barcelone, que l’on voit dans le film, soit tout à fait une performance, mais là j’étais en effet dans un espace public… Je n’ai jamais fait des strip dans un espace public, ou peut-être il y a longtemps, mais je ne me souviens pas bien…  C’est une chose que je crains beaucoup, je n’envisage pas ce genre de performance parce que je me sentirais trop vulnérable.

 

Et dans des lieux institutionnels (comme les universités ou les musées) ? Tes performances ont un potentiel de subversion de la norme très fort. Mais comment rejoindre un public plus vaste, plus ‘normé’? Nous aimerions comprendre si et comment il est possible de propager l’approche queer et la ‘queerness’ dans des milieux (hétéro)normés. On a l’impression que souvent il y a deux contextes parallèles, qui ne se croisent que rarement. Comment faire la connexion? 

Je pense que c’est une question importante. C’est la question. Et la meilleure réponse que je puisse donner pour l’heure s’est produite la nuit dernière : une des personnes qui a le plus apprécié ma performance avec Nadège a été Bruno (9), l’agent de sécurité, que je considérais comme une personne hétéronormée. Il n’arrivait plus à s’arrêter de parler avec moi et Nadège. C’était vraiment chouette, autant d’amour et d’enthousiasme… J’ai pensé que si j’avais fait le spectacle tout seul, ça n’aurait pas été pareil, Bruno ne l’aurait pas aimé autant. Ce qui a joué, je pense, c’est que bien que confronté à mon corps a-normé, il croyait voir une relation hétérosexuelle. Quand moi et Nadège jouons ensemble, ce que les spectateur.e.s voient d’abord c’est un couple dans une relation hétérosexuelle, cela leur permet de s’identifier, de se sentir plus à l’aise et proches de moi. Et cette empathie est le point de départ de mon travail suivant…

Si l’on veut qu’un public hétéronormé, ou l’espace public, ou ce que tu veux, soit ouvert à notre discours, nous devons leur permettre de nous rejoindre, pas les forcer. Ça ne fonctionnerait pas, je pense. Je crois que les techniques de choc, le « Vas te faire foutre, et débrouille-toi avec ça ! » dont je parlais tout à l’heure, c’est un réflexe culturel ; mais il ne permet pas de faire bouger les esprits, c’est d’ailleurs la réaction la plus courante dans ce genre de situation, et je ne pense pas que cela permette de faire changer la façon de penser des gens. C’est un peu l’expression : « On n’attire pas les mouches avec du vinaigre… ». Donc je pense que nous devons offrir, si nous voulons recevoir. Tout ce que nous avons à dire doit être parlé dans le langage de celui/celle à qui nous l’adressons.

 

Ce que tu fais c’est de la « performance queer démocratique »…

Hé bien j’aimerais bien être démocratique, car je voudrais que les gens apprécient ce que je fais, et le public queer également. Mais je considère plus le mot queer comme un verbe que comme un adjectif. Ce qui m’intéresse, c’est de « queeriser » les choses, c’est ce que je veux faire. Quant à « être queer », si tu me pousses à me définir, je te dirais que je suis queer, mais ce n’est pas ça que je veux dire. Faire des shows pour des populations queer, ça peut être très sympa, chaud et très festif. Mais ce n’est pas ce que je veux faire principalement. En tout cas, mon objectif principal n’est pas de faire se sentir les queers fort.e.s et sûr.e.s d’eux/elles. Le problème, c’est que tout le monde préfère se sentir fort et assuré. Moi, je n’aime pas les espaces séparés. Ça ne veux pas dire que je suis ami avec tout le monde, mais au-delà, créer des espaces queer, des moments pour les queers, ne m’intéresse pas. Je cherche à queeriser des espaces, à queeriser des moments, et c’est ouvert à tout le monde, parce que tout le monde… Tout le monde est queer ! C’est juste qu’ils/elles ne le savent pas encore. Ils/elles pensent qu’ils/elles doivent être normaux/ales, qu’ils/elles doivent suivre une voie normative, mais ils/elles n’ont pas à le faire, et ils/elles ne sont pas normaux/ales ! Donc oui, c’est important pour moi d’être le plus accessible et démocratique possible dans mon travail. Je n’arriverais jamais à toucher 100% de mon auditoire, je ne serais jamais convainquant pour des fondamentalistes chrétiens ou autres, et je m’en fiche, d’ailleurs… Mais je cherche à créer un espace de connexion autant que possible. D’un autre côté, certaines personnes, qui préfèrent les performances hardcore n’aiment pas non plus mon travail, je suis trop sage pour eux/elles, donc ils/elles ne suivent pas mon travail, ils/elles sont à un autre point de cet espace, où je ne suis pas. Et leur travail est important, et donne de l’assurance à celles et ceux qui en ont besoin… Mais ce n’est pas du tout ma démarche, ça n’est vraiment pas mon objectif…

 

Qu’est ce que tu penses du travail des performeuses post porno, comme celui d’Annie Sprinkle, ou Diana Pornoterrorista ?

Je pense que le travail d’Annie Sprinkle est tellement plein d’amour qu’il a le potentiel de s’infiltrer dans des endroits où d’autres types de travaux ne le pourraient pas. Quoi que vous pensiez de ce qu’elle fait, qui que vous soyez, elle embrasse tout le monde. Et pour Diana, je n’ai pas vu son travail depuis si longtemps qu’il m’est difficile d’en dire quelque chose. L’extrait que j’avais vu à San Sébastian était si dur que je n’ai pas pu le regarder, du coup je ne peux pas dire grand-chose. Je ne dis rien contre son travail, c’est juste que je n’ai pas pu regarder… Je peux parler plus facilement du travail de Maria Llopis, qui est une amie. J’aime bien son approche, qui est très accueillante, ouverte et exploratoire. Elle utilise sa subjectivité, son propre corps, ses désirs et intérêts pour travailler de façon très courageuse, et très… chaude.

 

Ton travail aussi est très chaud et courageux…

[rires] Oui, je sais, on me l’a déjà dit ! Je suppose qu’il est chaud et courageux… Le courage est un chouette truc qui vient de l’intérieur, mais suis-je courageux ? En tout cas, je ne suis pas fragile, j’ai appris que je pouvais faire beaucoup de choses sans me briser, je sais que je peux aller dans certains lieux et faire toutes ces choses, même si on me fait mal, je tiens le coup… Donc je prends le risque…

 

Quel est ton rapport au féminisme ? Penses-tu appartenir à la mouvance du transféminisme (10), comme le définit Beatriz Préciado ?

Oui, j’adhère complètement à ça. Pendant longtemps, je n’ai pas su dire si je pouvais me définir comme féministe, car le féminisme me semblait lutter de manière inchangée et selon les mêmes principes immuables depuis les années 80. Mais le monde autour avait changé, et le vocabulaire ainsi que les stratégies de luttes devaient donc nécessairement évoluer… Mais le féminisme ne semblait pas avoir changé, ou alors pas assez. Le discours s’adaptait, mais gardait la même base logique, du genre : « les femmes sont moins payées, les femmes sont moins ceci, les femmes sont moins cela… ». Et pour moi, ce n’est pas un bon argument.

Ces arguments sont vrais et c’est terrible, mais d’un point de vue militant ce n’est pas efficace. Parce que désormais, la culture a assimilé ce langage et l’a récupéré pour mieux le rejeter. C’est pour cette raison, je pense, que le féminisme traditionnel semble démodé. Et d’une certaine façon, à l’instar du travail de Beto [B. Preciado], il faudrait une volonté de comprendre la façon dont le pouvoir et l’oppression fonctionnent pour chaque personne, parce que chacun.e d’entre nous y est soumis.e.

[…] La performativité créée de l’intérieur et de l’extérieur [des limites] dans les sujets et les objets. Donc le transféminisme peut être compris comme le mouvement de ces objets hors des limites, car tout le monde ne se situe pas forcément dans une subjectivité bien assurée…

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Quelles sont tes références théoriques (si tu en as) ?

Oui, j’en ai, et j’en découvre de plus en plus depuis que j’ai commencé ma thèse. Je suis très influencé par tout ce qui tourne autour la culture foucaldienne, et ce qu’elle signifie pour toutes les questions de savoirs/pouvoir, des agencements de l’espace et de leur limite intérieur/extérieur… Et aussi Butler, Ces corps qui comptent… Je viens juste d’acheter et j’ai hâte de lire Giving an Account of Oneself (11), qui traite plus d’éthique que de genre. Sinon, je suis arrivé un peu sur le tard, surtout via l’équipe du film et Jo Sol, à l’Anarchisme. Guy Debord, La société du Spectacle. C’est que je lis en ce moment. Je suis un autodidacte, et je pense que c’est le début de mon apprentissage. Quand j’ai commencé mes études, en discutant de mes performances avec les autres, ils me disaient : « Ha oui, tu devrais lire cet auteur.e, ou celui-ci, ou encore celle-là, et aussi ça… ». Alors j’ai commencé à les lire et là j’ai réalisé que : « Ho mon Dieu ! Quelqu’un.e a déjà dit tout ça ! Et ils/elles en ont même dit plus… Et je ne suis pas d’accord avec celui-là ! Et tiens, celles deux là vont bien ensemble… ». J’ai réalisé à quel point la philosophie pouvait être excitante ! J’avais cette idée très romantique de la lecture philosophique, mais je n’osais pas m’y mettre. Et cette exploration m’a permis de découvrir tout ce savoir disponible sur place, et j’ai aussi pensé que cela manquait aux gens.

On passe notre temps à réinventer la roue, en quelque sorte, mettre en avant des idées radicalement nouvelles qui ont pourtant déjà été pensées vingt-cinq ans ou même soixante ans plus tôt… Et en lisant tous ces auteur.e.s, on pourrait tellement étendre nos possibilités, nos techniques, nos pensées… Je souhaite qu’il y ait un grand mouvement de convergence entre philosophie et militantisme, qu’ils puissent marcher main dans la main, avec les performances et le queer, parce que je pense qu’ils ont tant à s’apporter les un aux autres… Donc, je suis encore jeune en philosophie, mais je suis super enthousiaste et excité !

 

Es-tu dans une démarche de « réconciliation » entre le milieu universitaire et le milieu militant ? Comment fais-tu pour gérer en même temps ton travail universitaire et ton travail militant

Certain.e.s font le pont entre les deux, bien que je ne sache pas vraiment combien il existe de « queer studies »… Aux États-Unis, on a beaucoup de « cultural studies », qui permettent de travailler ensemble la théorie et le militantisme. La plupart des travaux et des références que j’utilise sont dans cette veine, et ce sont les chercheur.e.s de ces dix-quinze dernières années qui ont élaboré ces contenus à la fois militants et universitaires, à partir de leur engagement subjectif. Si tu t’engages dans ce type de travail, tu dois défendre tes convictions et ta subjectivité plus que la neutralité de l’observation extérieure.

 

Souvent, on reproche à certain.e.s chercheur.e.s d’être trop « engagé.e.s », de n’avoir pas assez de « recul » vis-à-vis de leur terrain. En même temps, on pense que les gens « engagé.e.s » ne sont pas légitimes à « produire une connaissance scientifique ». Qu’est ce que tu en penses ?  Y a-t-il une possibilité de réconciliation/contamination entre milieu militant et milieu académique ?

Je pense qu’on aimerait bien dire que la légitimité est une mauvaise chose, mais c’est faux, nous vivons dans une culture, nous vivons en société et c’est important. Mais s’il y a contamination, cela peut parfois être très excitant. Dans mon champ de recherche il y a contamination, c’est très positif et c’est la raison qui m’a permis de faire ma thèse, et de travailler sur mes performances au-delà de toute récupération ou mise en boite rétrospective de mon travail.

Merci beaucoup, c’était formidable !

Merci à vous, c’est si fun de parler de soi… [rires]

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(1) http://www.lazlopearlman.com/video.cfm

(3) Propos recueillis pendant le séjour de Lazlo Pearlman à Rome à l’occasion du Festival « Agender » (9-11 décembre 2011).

(4)  On prefere employer le verbe performer, bien que son usage dans la langue française ne soit pas consolidé.

(5) En anglais il y a le jeu de mot entre « fack off » et « fuck me ».

(6) Lazlo fait ici référence à une intervention d’un homme pendant la discussion après la projection de Fake Orgasm au cours du festival « Agender ». Il a essayé d’amoindrir et de ridiculiser le travail et la position de Lazlo.

(7) Nadège Piton est performeuse, artiste et comédienne. Elle est partner de Lazlo dans beaucoup de performances. Avec Beatriz Preciado et Erik Noulette elle dirige le projet « Bodyhacking » http://bodyhacking.fr.

(8) Rome, 16-18 septembre 2011.

(9) Nom de fiction.

(10) Pour Beatriz Preciado le transféminisme est caracterisé par l’alliance du féminisme avec les questions que soulèvent les transidentités…

(11) New York: Fordham University. Press, 2005.


Mis en ligne, 6 septembre 2012.

Suite entretien avec Naiel Lemoine, photographe

Naiel Lemoine

Photographe

 

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4- On te connait moins pour ton travail sur l’urbain, ou l’urbanité, sur les paysages aussi que tu photographies : peux-tu nous en dire deux mots ? (sont-ils en lien avec tes revendications ?)

Les photographies réalisées sur le thème de l’urbain et des paysages autres, sont, en tout premier lieu, liées à une pratique photographique particulière, elle même induite par les conséquences d’une maladie.

En effet , les premières années vécues avec la fibromyalgie ont été des années, quasi sans sommeil, de douleurs incompréhensibles, de perte d’autonomie physique et de folie provoquée par le monde médical.

Après être sorti-e de l’enfer asilaire et hospitalier, deux problématiques se sont imposées à moi:

– La question du corps “enfermé” triplement (dans mon corps, dans le monde médical et la psychiatrie) qui se heurte brutalement aux normes de la toute puissante médecine française. Cette médecine qui dit quelle maladie est validée en tant que telle ou non, et qui range tout le reste dans de la psychiatrie de comptoir… Cette première problématique a d’ailleurs donné lieu, à ma première exposition, qui porte sur les questions du  corps indicible au regard des normes du monde médical, de la société, puis en lien avec le genre..).

Elle est visible ici: http://www.naiel.net/identite_cadre.htm

– La deuxième est celle, du rapport particulier au temps, qui se créé. Quand on ne dort plus, le temps s’étire à l’infini et devient un long couloir sans fenêtres, sans arrêts. Il est partout et nulle part.

Se pose alors de manière très pragmatique, la question “que faire de ce temps” quand à 4h du matin on n’est pas réveilléE mais juste encore  éveillé-e?; couplée à la nécessité d’essayer de s’échapper quelques minutes de “ce corps anarchique”, de soi.

Un matin, je suis sorti-e avec mon appareil et pendant les premières années, où que je sois, je partais dans la nuit, seul-e en essayant juste de regarder, d’écouter puis de shooter.

Cette double injonction à échapper à un corps malade et au temps infini ont fait de cette pratique, une habitude et une évasion indispensable à ma survie; comme une drogue qui vous ouvre d’autres chemins qui étaient là mais inaudibles, invisibles, inodores, impalpables dans le brouhaha du temps dit  » normal », du temps qui rime avec  boulot/ métro/boulot/dodo…

Cette pratique quotidienne a donné lieu à une première exposition ( « Errances » http://www.naiel.net/Errances_cadre.htm) puis à une autre:

(terre des humains / terre des non humains »http://www.naiel.net/hnhcadre.htm ).

La plupart des clichés pris, pendant cette période, ne sont pas sur le net, ils sont dans des cd, des dvd, des disques durs, parfois accompagnés de mots ou non, parfois sur mon blog (http://blog.naiel.net/).

Les thèmes récurrents sont l’errance, l’absence qui exacerbe la présence, les traces, les voyages dans tous les sens du terme….

J’ai une prédilection pour les gares, les lieux désaffectés, l’architecture d’un espace/temps; d’un moment, les barreaux, les chaines…

J’interroge ainsi, les traces de l’urbain dans la nature et de la nature dans l’urbain et donc les traces de ce qu’ un être humain a, à un moment donné, construit, consommé puis jeté…

Je pense que le texte de présentation de « terre des humains/ terre des non humains » en parle mieux que les quelques mots que je peux poser ici.

J’interroge aussi, comment ces lieux consommable/jetables  résistent/ se métamorphosent par et pour des personnes qu’on a bannies ou qui refusent les diktats d’une société capitaliste qui accélère son autodestruction programmée.

Donc, pour répondre à la deuxième question: oui, ces shoots sont en lien avec mes aspirations/revendications…

Ces photos témoignent de l’horreur ordinaire, de la course frénétique de ce système inhumain que j’essaye de combattre.

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5- On a pu t’entendre dans des conférences et tu dis toi même qu’il n’y a pas la question du genre, toute seule, mais en lien avec d’autres. Le féminisme par exemple. Pour toi, c’est quoi être féministe ?

Quand je dis, je suis féministE, je me dois d’expliquer ce qu’est pour moi le féminisme, parmi tous les féminismes existants. Et pour cela, je vais tout d’abord tenter d’expliquer brièvement quelle est ma grille d’analyse pour penser le monde et résister dans ce monde.

C’est une grille de lecture matérialiste, féministe, post-marxiste, dynamique, qui utilise les concepts de rapports sociaux pour penser les modes de production, de reproduction et les possibilités de changements des groupes sociaux (autrefois analysés comme séparés, immuables, naturels).

“Le rapport social peut être assimilé à une tension qui traverse la société; cette tension se cristallise peu à peu en enjeux autour desquels, pour produire de la société, pour la reproduire ou pour inventer de nouvelles façons de penser et d’agir, les êtres humains sont en confrontation permanente. Ce sont ces enjeux qui sont constitutifs des groupes sociaux. Ces derniers ne sont pas donnés au départ, ils se créent autour de ces enjeux par la dynamique des groupes sociaux.”

 (Danièle Kergoat, “Penser la différence des sexes : rapports sociaux et division du travail entre les sexes »”in Margaret Maruani, Femmes, genre et société,  Editions la découverte, 2005).

Les rapports sociaux que sont le genre, la classe , la racisation, la génération… s’articulent les uns avec les autres , s’entrecroisent ( ils ne sont pas simplement additifs), ils sont, dit D Kergoat, « consubstantiels et co-extensifs »: « consubstantiels : ils forment un nœud qui ne peut être séquencé au niveau des pratiques sociales(..) et co-extensifs:  » en se déployant les rapports sociaux de classe , de genre, de race se reproduisent et se co-produisent mutuellement ».(…) » Ils interagissent les uns sur les autres et structurent ensemble la réalité du champ social ».

 (« Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux », in sexe, race, classe ; pour une épistemologie de la domination, Paris, PUF, 2009)

En ce qui concerne le genre (rapports sociaux de sexe) et donc les féminismes (mais pas que), je vais essayer d’être plus précisE:

Je tiens d’abord à préciser que le genre n’est pas, pour moi, la construction sociale du sexe biologique (le genre est un concept créé dans les années 50 aux États-Unis par Stoller et Money, deux psychiatres et psychologues travaillant sur le “transsexualisme” et la réassignation des enfants intersexuéEs.

Le genre préexiste au sexe et le produit en lui donnant l’illusion du naturel (tout en invisibilisant cette production).

C’est un rapport social de pouvoir qui produit et entretient le système hétéronormatif (2 genres, 2 sexes, relation hétérosexuelle avec pour but la reproduction).

Dans ce sens il fonde la société en tant qu’hétérosexuelle (cf Wittig).

En tant que dispositif créé et au service du pouvoir biopolitique, il est à détruire car il maintient l’oppression d’une catégorie sur une autre, exerce un contrôle permanent des individuEs via une grille de lecture normative qui définit ce qui est “humain” de ce qui ne l’est pas. Il exclut donc du domaine du “pensable” toute personne ne pouvant être identifiée clairement par cette grille.

Le genre (en tant que dispositif de régulation au service du pouvoir) au même titre que le sexe n’a pas de caractère naturel, rien ne préexiste à sa production.

Dans ce sens, le féminisme a pour objectif final la destruction du genre; ce qui ne veut pas dire qu’il faut ignorer ou nier la réalité des catégories sociales de genre et leur relations.

Ma conception du féminisme est matérialiste et « Wittigienne », dans ce sens « être féministE, c’est lutter pour les femmes en tant que classe et pour la disparition de cette classe » ; alors que « pour de nombreuses autres cela veut dire quelqu’une qui lutte pour la femme et pour sa défense, pour le mythe donc et son renforcement » ( On ne nait pas femme, M. WITTIG, in “questions Féministes” N°8, mai 1980).

Les rapports sociaux de sexe devraient produire autant de sexes que d’individuEs, si ce système hétérosexiste ne réifiait pas en permanence, comme fait de nature, deux sexes et tout ce qui en découle.

(C’est une des limite des grilles d’analyse féministes (exceptée Wittig, le corps lesbien) de n’analyser que les constructions de « LA masculinité » et de « LA féminité » de groupes sociaux hétérosexuels. Qu’en est -il DES constructions « Des masculinités », « Des féminités » chez les pédés, les gouines…, et ce même si le mouvement homosexuel tend à s’homonormativiser sur le modèle hétérosexuel et aussi à s’homonationaliser).

C’est un prolongement des grilles d’analyses féministes, qui au sein des contraintes qui nous font advenir comme sujet, laisse à celui-ci, des marges de résistance (notamment au niveau du genre, mais qui n’est plus du genre, car le genre est binaire) dans et non pas hors du champ social.

Qui, d’ailleurs,  pourrait prétendre y échapper?

Ce prolongement peut permettre aux individuEs, dans des relations sociales (D. Kergoat distingue notamment rapports sociaux et relations sociales, dans le sens où les antagonismes ne sont pas forcement à l’œuvre dans toutes les rencontres interpersonnelles), et je pense notamment à ma construction personnelle, de créer d’autres réalités visibles et violemment  sanctionnées, mais qui peinent à entrer dans le champ social en raison du système de fabrication asymétrique du genre nécessaire au fonctionnement de la société dans la quelle nous vivons.

 

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6- La question de l’intersectionnalité revient souvent dans tes propos : “races”, classes… de futurs projets autour de ça?

Non, car je n’ai actuellement pas de projet tout court.

De plus, même si je suis questionné-e par ces entremêlements d’oppressions, je le suis en tant que personne blanche, transwhatever, de classe moyenne (si elle existe encore), avec une validité variable dans le temps et d’une génération différente de celles que je suis amené-e à croiser.

Je fréquente dans mon quotidien, des personnes précaires et de classe moyenne, valides, des lesbiennes, gouinEs, un pédé, des hétéroEs et biEs et quelques “blacks” et “arabes” (je reprends les “auto-nominations” des personnes), mais mon univers reste, je le constate, assez blanc.

De ce fait, aller piocher dans chaque catégorie, sans participer pleinement aux luttes, vies, ne fait pas partie de mes pratiques.

Cette année, je souhaitais amorcer un projet, qui me tient à cœur depuis longtemps, qui est de questionner “la validité présumée et la situation de handicap présumée” dans nos milieux, mais je n’ai pas eu l’énergie suffisante ni les contacts pour le réaliser.

Donc, si j’ai un projet à mettre en œuvre dans le futur, ce sera prioritairement celui-ci.

7- Tous les ans, ou souvent tout du moins, tu te rends aux UEEH : quel témoignage t’inspirent-elles?

Ueeh, comme/

 nostalgie/

espace/temps/ inimaginable

offert/

 à nos envies

à nos/

réalités impensables

Ueeh comme

 partages/

plaisir des rencontres/

discussions/réfle(ct)ions/

Ancrage

sur le sol d’un

patio

sur le verre/brisé

de nos montres

Découvertes/ateliers/plaisir

aller juste/

vers l’autre.

Solidarité/ la main tendue/

pour oublier/ réécrire et

Dépasser/

ensemble/

les coups et blessures reçues

d’une société

qui nous a laisséEs/

NuEs

Ueeh comme/

être

cet être qu’on ne peut

par/être

dans le quotidien de nos vies/

contraintes/

par la normalité/l’ individualité

et le profit

Comme être/

avec d’autres êtres en/

dé/construction/

en re/construction

en dé/formatage de nos/

cerveaux

re/significations de

nos corps

quand les paroles/

d’autres

résonnent en toi/

comme un /

possible

jamais imaginé car/

impensable/

 jusqu’à ces rencontres /

juste

véritables.

Ueeh comme/

 être ensemble

dans des soirées débridées

dans des ateliers passionnés

dans les gestes esquissés/

sans ambiguïté/

sur les matelas

 affalés/

d’un /calinodrome

comme des possibles/

avec vue/

 sur les calanques

comme un arrêt/

 brutal/

qui vous change à jamais /

et vous laisse

le gout du manque

Être et co-êtreS,

pour et ensemble/

construire

nos rêves et nos luttes

Ueeh pour partager /

nos vécus/ nos idées/

nos douleurs / nos cris/

nos joies/ nos amours

Ueeh comme /

populaires

comme/

 politisation

sans agressions/ sans

silences génés

comme

se repenser/

se déconstruire sans

jugements

sans peur de se perdre/

Ueeh,comme /

Nous repenser

dans la joie/

dans les conflits/

mais avec /

cette bienveillance

qui a déserté

tes dernières années…

Naïel, 29 aout 2012

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8- Je crois que tu participes aussi à l’Existrans… Tes photos disent quoi de ce moment de visibilité ?

J’ai participé à l’Existrans de 2005 à 2010, avec des motivations, des rôles et un enthousiasme différents selon les années.

Que disent mes photos de ce moment de visibilité?

Je pense tout d’abord que ce n’est pas à moi de dire ce qu’elles peuvent dire mais aux gentes qui les regardent.

Ce dont je peux parler, par contre, sont :  ma manière d’aborder les Existrans et les manifestations avec mon appareil et  ce que m’évoquent ces traces quelques années plus tard.

En ce qui concerne ma façon d’aborder les Existrans et les manifestations, elle tient plus de l’ordre du reportage; pas du reportage avec des clichés chocs, mais plus du reportage qui essaye de relayer les messages politiques de ces manifestations par le médium de la photographie.

Elle se différencie aussi du reportage dit classique, dans le sens où c’est un reportage « de l’intérieur »: je me trouve à chaque fois confrontéE à la double difficulté d’être acteurE de la manifestation et dans le même temps spectateurE attentivE. Ce sont des photographies qui sont situées, elles viennent du « dedans-dehors ».

De manière plus générale (mais je l’ai très peu pratiqué, de fait, pour les Existrans), je parcours la manifestation une première fois, en étant toujours dedans-dehors, pour essayer de shooter les pancartes, les banderoles, les slogans, les associations, groupes présentEs, les messages politiques délivrés.

Puis la seconde partie se passe au gré du déroulement de la manifestation , mais usuellement  je prends des portraits, des expressions, des moments d’humanité….

En ce qui concerne l’Existrans, de 2005 ( ma première) à 2010 ( ma dernière), je me suis apercu-e que je prenais de moins en moins de photos et que je ne prenais plus les mêmes photos:

Après 2009, je n’avais plus envie de continuer d’essayer de montrer cette apparence de pseudo-unité/ cette apparence de « communauté trans ». Il devient à un certain moment impossible de photographier côte à côte des personnes qui se sourient en se haïssant profondément.

Au fur et à mesure des années et de mes implications diverses dans ce qui est communément appelé » le monde trans », dans ses divers strates et sous groupes; quand les batailles, politiques ou non, internes déchirent les groupes, les amitiés,quand ont disparu la joie d’être ensemble pour cet unique jour de visibilité trans, la solidarité, la liberté de s’exprimer, la possibilité d’être soi tout simplement; que reste-t-il à photographier ?

 

Un charnier d’Égos démesurés drapés des immaculés Trans ou Rainbow flag ? Des sourires figés qui construisent la muselière du dicible ! La flamboyance du pseudo consensus ?….

Pour cette interview, je me suis obligé-e à rechercher dans mes cd, dvd puis disques durs, les photos prises lors des différentes Existrans et autres manifestations trans ( celles-ci ayant disparu du net, suite à la fermeture de slide.com en janvier 2012), avec une certaine nostalgie mais surtout avec un sentiment de pesanteur intense..

Que m’évoquent-elles, là, ce 24 aout 2012, soit 7 ans après la première et 1 an et demie après la dernière à laquelle  j’ai participé?

Ce regard est le regard situé d’une personne transidentitaire, sur son propre regard passé et avec sa double, voire triple, position au sein des Existrans, suivant les années ( j’expliquerai plus loin, la question des multiples positions/situations).

En 2007, j’ai réalisé très peu de photos pour cause de double  » appartenance » à l’organisation de l’Existrans et à un groupe informel.

Celles que j’ai pu réaliser à l’aide d’un petit bridge numérique, montraient , je crois, mes illusions de l’époque: l’espoir de la convergence des luttes; avec des banderoles , des pancartes, qui re-politisaient les luttes trans au sein / en les croisant avec d’autres luttes comme l’anti psychiatrie, la colonisation des minorités, le système binaire hétéropatriarcal et donc les féminismes, les questions du fichage des déviantEs de toutes sortes…

Pour résumer, il ne s’agissait pas de lutter seulement  pour des droits pour les trans ( et avec la difficile question de l’intégration-assimilation) mais contre un système politique qui attaque touTEs les anormaLEs, toutes les minorités. Il faut rappeler que 2007, c’est Sarkozy élu président en (f)rance!

C’était aussi la première fois, à ma connaissance, que se déroulaient de manière simultanée et avec les mêmes mots d’ordre, 3 Existrans, à Barcelone,Madrid et Paris ( le 07/10/2007). Cette « première » a été rendue possible grâce aux rencontres entres activistes trans castillan-ne-s, catalan-e-s et français-e-s lors des UEEH en juillet 2007 ( http://www.ueeh.net/).

Depuis, cela a conduit petit à petit à la création du réseau STP 2012 ( Stop trans pathologization, 2012 pour la sortie du DSM V prévue en 2012 mais qui finalement n’arrivera qu’en 2013) , officiellement créé en juin 2009.

 

STP 2012 regroupe à l’heure actuelle plus de 300 groupes et réseaux dans le monde et coordonne tous les ans un « international day of action for transdepathologzation », qui aura lieu cette année le 20 octobre 2012. « Le dernier octobre 2011, des groupes activistes de 70 villes d’Amerique Latine, Amérique du Nord, Asie, Europe et Oceania ont organisé des marches et d’autres actions sous la campagne STP-2012 » ( http://www.stp2012.info/old/fr).

Pour en revenir à la photographie, mes quelques shoots de 2007 disent cela: l’empowerment, la joie d’être là, la solidarité avec comme banderole de tête » contre la psychiatrisation, Résistrans » et avec une banderole d’un groupe informel  » Les normes sont trop étroites pour penser Nos réalités » qui restera gravée dans beaucoup d’esprits. Elles ne disent pas les guerres internes.

En 2008 et 2009, mes photographies m’ évoquent la rage , la joie d’être ensemble, de hurler, la fierté juste d’être, la diversité, les possibilités de convergences de luttes encore présentes  ( un croisement avec une manifestation de soutien à des sans papierEs, qui donne lieu à un die-in commun),  des revendications sans frontières ( En 2008, 11 ville européennes se sont mobilisées pour la dépathologisation trans , le même jour avec comme mot d’ordre: « Ni homme, ni femme, le binarisme nous rend malade »), l’appropriation de l’espace public, la diversité, le partage, les copain-e-s..

Il y avait encore tout cela en 2008, malgré les tensions internes qui s’intensifiaient et se cristallisaient.

2009, montre l’apparition de nouvelles associations ( Outrans, et d’autres que je ne souhaite pas citer), Bachelot et sa fausse dépsychiatrisation (et où, malgré les divers communiqués de presse des diverses associations pour expliquer, qu’en (f)rance, les trans étaient toujours soumis-e-s à la toute puissance de la psychiatrie et de ses équipes off et que rien n’avait changé, cette annonce de changement d’ALD a eu pour conséquence directe une désinformation de masse qui court encore aujourd’hui), la présence d’une association féministe ( les tumulutueuses) , la joie de se retrouver, les amourEs passagères ou durables, les générations qui se mêlent, mes amiEs, les amitiés qui se sont éteintes ou fracassées, les personnes qui changent et quittent votre quotidien, celles qui restent et vous le rendent insupportables, de nouveaux visages…la vie , quoi ! Et toujours, comme dans toutes les Existrans auxquelles j’ai participé, l’interpellation sur le VIH, la situation des séropoEs qu’on expulse et les travailleusEs du sexe.

En 2010, je n’ai quasiment pas pris de photographies (une dizaine) en raison d’une lassitude, et « d’un ciel si bas qu’un canal s’est pendu »…

Voilà ce que je peux dire aujourd’hui, de mon regard délavé sur mes regards passés sur les divers Existrans.

9- Pour finir, de manière plus personnelle peut-être, pourrais-tu nous parler de ton regard d’artiste et de militant.e sur le mouvement LGBTIQ ?

De L.G.B.T.Q.I./

ne restent que

trop souvent/

 une majorité qui décrie

ceulLEs /

encore trop/

 déviantEs

Du L et du G/

enfin/

surtout du G

dans les saunas du Marais

dans les prides/

 de juin à juillet/

la beauté/

conventionnelle/

dégouline quelque  peu

sur /stonewall

de revendications

 bien frêles

la techno a remplacé le music hall

En 2012, je

vote?

pour continuer /

d’expulser

celLes qui sont néEs

avec la peau/

 un peu trop foncée

Mariage et égalité

comme ultime/

 révolte

folles butchs et T

trop visibles

trop radicalEs

s’abstenir

quand leur avez vous

fermé /

votre porte

à grand coups de

normalité?

Et pourtant, jamais/

je n’oublie/

que du L, je suis néE/

que dans les quelques bars

de/ Paris

j’ai commencé à aimer

sans me/

haïr.

Mais, aujourd’hui/

dans les poubelles de l’oubli/

côte à côte/

 le F.H.A.R.

les Gouines Rouges et le G.A.T.

Gisent /

sous l’étendard de l’homonormativité

Pour des sous-droits obtenir/

il semble que

doivent mourir/

le souvenir du DSM

et, de touTes les déportéEs

les luttes conte un système

le féminisme/

 oublié

Et pourtant, jamais/

je n’oublie/

que du L, je suis néE/

que dans les quelques bars

de /Paris

j’ai commencé à aimer

sans me

haïr.

Mais quand , dans les journaux

les paroles de vos ennemiEs vous/

 reprenez/

parce qu’un mec trans a osé/

enfanter

quand dame Nature vous/

convoquez

pour votre dégoût et votre haine

légitimer/

Quand de vos centres, vous chassez

des séropoEs parce que

putEs, trans, gouinEs,

pédés et précaires

car /dans les vitrines de beaubourg

ça fait un peu tâche

ces gentes/

 qui viennent se réfugier

ça manque/ un peu de panache

ces gentes encore

psychiatriséEs/ stériliséEs

violéEs / expulséEs…

Vos paillettes ne peuvent-elles supporter

d’ètre un peu/

 ensanglantées/

juste/ par nos réalités?

Quand vos discours d’intégration

sous le régime de l’état-Nation/

prennent le pas /

sur la solidarité

et écrasent d’autres

minorités…

Alors oui , aujourd’hui/

j’ai envie d’oublier/

que dans cette communauté/

je suis néE

tellement j’ai envie de

gerber.

 

naiel i had a dream


*Ce texte ne concerne qu’une majorité d’homosexuelLEs et pointe les dérives des luttes pour les droits pour une  majorité et non des droits pour ToustEs.

Naïel, 30 aout 2012.

 


Mis en ligne : 6 septembre 2012.

Interview King’s queer

King’s queer

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Crédit photo, Kate Murray


Salut les King’s queer. Vous vous présentez ?

Alors King’s queer est composé de deux personnes plus des machines et des instruments.

Il y a une gouine a mèche et un transboy. Il y a Laet à la voix, et Grib aux machines et aux instruments. Mais avant tout chose c’est une entité totalement électron libre qui ne s’inscrit dans aucune ‘chapelle’ idéologique ou artistique. D’ailleurs pour qualifier notre musique c’est très compliqué pour certains on fait de l’electro punk pour d’autre de la post wave ou de l’electronica. Pour nous on fait du King’s Queer ! Les étiquettes n’ont jamais été notre fort. Plutôt inclure qu’exclure…Bon c’est sur on se sent plus proche de John Cage et du VelvetUnderground que Rihanna ou Lady Gaga

Nous sommes ensemble à la ville comme à la scène, ce qui nous permet d’avoir cette complicité lors de nos performances. De par notre façon de fonctionner, nous sommes plus proches du mouvement punk qu’autre chose. Toujours en totalement indé’ on parcourt les routes d’Europe même si on est sur le label Zingy. Il est très important pour nous lors de nos shows de faire des passerelles entre les uns et les autres, et surtout d’amener les gens dans une réflexion sonore, idéologique,… tout en gardant avant tout un esprit de fête ! Pas de prise de tête juste l’envie d’être là et Vivants ! Toujours et encore !


« King’s queer », ça en appelle à un royaume : le vôtre c’est celui du queer? (mais au fait… c’est quoi le queer?)

Royaume du Queer ? Houlala… Alors là on n’est pas sortie de l’auberge… Si on prend le terme Queer dans sa version première lors de la réu d’Act-Up en 90 à New York…On peut dire oui ! Oui pour la Queer Nation ! Pour ce regroupement informel des parias et autres rebuts de la culture mainstream…Cette énergie et ce dynamisme !

Mais à l’heure actuelle on ne se retrouve pas du tout dans l’identité queer, surtout en France… Bon pour être honnête on ne comprend pas grand-chose aux différentes guerres, courants et autres ‘théories queer’ qui peuplent notre beau pays ! En fait cela ne nous intéresse pas trop, et nous laisse un peu de marbre…On évolue très rarement dans ce milieu…On a toujours privilégié les rapports, les idées individuels aux  phénomènes de masse, de mode, de paraitre… Aucun dogme, on marche à l’instinct, au spontané.

Notre public est diversifié, il va de l’art contemporain, à la mère de famille bobo en passant par le punk hardcore, à l’intello précaire, aux kids en rupture, à la pédale, à la lesbienne aux trans, aux sex workers, à l’hétéro… On est fier car il n y a pas de profil type mais plutôt une raïa qui se regroupe pour partager un même état d’esprit à un moment donné. Et puis en plus ceux sont des personnes fidèles et généreuses, à plusieurs reprises ils, elles nous ont surpris par leur soutien, leurs générosité et surtout par leur ouverture d’esprit !

Alors notre royaume est celui qui est en haillons sans baillons celui du bizarre, du non conforme, du hors norme, aristocrates d’un élitisme déchu, monarques de la dérive poétique, du souffle de l’errance. C’est le royaume des fous des folles de ceux qui refusent de tomber à genoux, de ceux et celles et autres qui s’accrochent à cet étendard de survie. Prêts à tout pour vivre heureux. Dernier acte subversif qui nous reste !

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« King’s queer » ça sonne aussi comme un nom de guerre : quelle est la vôtre ?

Bon avant toute chose on est résolument pacifiste et les bains de sang et le chant glorieux des victoires c’est pas notre tasse de thé. Quand on parle de guerre il y a toujours des vainqueurs et des vaincus… Un pouvoir sur les uns et les autres. Alors non ce n’est pas une guerre, nous sommes avant tout des ‘artistes’ (même si ce terme nous fait rire’) et non des soldats.

Nous sommes juste des amoureux révoltés ! Révoltés face à la connerie, face à la médiocrité de la pensée unique, de la culture unique, du formatage artistique et autre ! On est gouine, on est Trans et nos vies, notre « art » qu’on le veuille ou non sont régis par cette non-conformité alors bien souvent nous sommes confrontés à toutes les absurdités que notre société véhicule sans relâche…Mais il est hors de question de se poser en victime bien au contraire toujours avancer avec un maximum d’optimisme et de lucidité, et petit à petit sans prosélytisme, changer les choses autour de soi…Sans oublier le lubrifiant… humour, sourire !


Pourquoi la musique pour tenir vos propos ? Aussi : De la musique « queer » c’est quoi? 
C’est de la musique sur laquelle on pose du « queer » ou c’est du « queer » mis en musique ?

Wouaw alors là c’est une question de sociologue universitaire ! 

Bon on s’est jamais dit « bon maintenant on va faire de la musique queer », non…haha ! Notre job c’est la musique, le spectacle…Et il est évident si on est sincère dans ce qu’on crée cela nous ressemble…On n’est pas des militants qui ont pris une forme artistique pour faire passer un message mais des ‘artistes’ qui ont des trucs à dire…C’est une sacré différence ! D’ailleurs cela nous permet de jouer complètement hors milieu estampillé ‘Queer’, et de plus en plus nous sommes programmés pour la qualité de notre show que pour nos propos.  Pour nous c’est une victoire car cela nous permet d’aborder certaines thématiques hors des sentiers battus. Et croyez-nous parfois c’est des sacrés prises de risque ! Bien souvent on se retrouve à discuter jusqu’à point d’heure après nos concerts avec des personnes absolument pas sensibilisées par toutes ces questions, et c’est cela qui est chouette car ce sont de vrais échanges…Même si parfois on est fatigué…On vous l’accorde !

Sur la scène artistique française, sauf underground et encore, le mouvement queer reste faible : qu’est ce que ce constat vous inspire ?

Peut-être doit on se remettre en question, peut être que cette soi-disant scène est un peu trop tournée sur son nombril, avec pas mal de soucis de linéarité, et d’uniformité… On ne sait pas on s’interroge…Il nous revient une anecdote en tête. Quand on a joué en Hollande, à la sortie de scène les programmateurs sautent sur nous et nous disent : ‘ hey c’est vachement bien ! Enfin du queer de qualité et pas cliché’… On a été très surpris et étonnés par cette réaction…

On pourrait penser aussi que le public n’est pas encore prêt à recevoir de telles formes artistiques, mais on en doute car nous avons jamais eu de refus de programmation à cause de notre côté ‘queer’, mais plutôt par  notre côté ‘avant-gardiste’ sonore, musique concrète et pas grand public… Enfin, c’est ce qu’on nous dit…

Il est vrai qu’en France la scène underground en générale n’est pas vraiment développée, peu de lieu, de structures, de programmateurs s’investissent dans cette démarche. Ce n’est pas rentable !…Money is money…

Mais nous avons la chance de travailler dans des réseaux très différents qui nous permettent de pas mal jouer… Notre ‘Underground Résistance’ nous l’avons créée avec l’aide du public qui a envie de nous voir. Alors ils s’organisent en autonomie totale pour nous programmer via concerts sauvages, lieux éphémères, fêtes privées. Il faut déployer de l’imagination et continuer à innover pour que les scènes alternatives existent ! De par notre flexibilité et notre adaptation nous sommes tout terrain et toujours prêts à soutenir les initiatives de chacun, chacune, tout en hésitant pas à faire des scènes officielles… Bon c’est sûr il nous faut pas mal d’énergie et toujours cette volonté d’y croire !

D’ailleurs on remercie très fort toutes les personnes qui se battent pour qu’il y ait des bulles d’oxygène !

Vous venez de tournez votre premier clip : racontez-nous…

Alors là c’est souvenir impérissable !!! Une grande claque humaine, d’ailleurs même quand on en parle aujourd’hui on en frissonne encore…On s’est retrouvé rue Dénoyez à Paris…Avec notre label Zingy, Estelle Beauvais à la réalisation, et puis les potes, les inconnus, une partie du premier cercle de King’s Queer, ceux et celles du début…A 10 h du matin un samedi…Ça venait de Lille, Lyon, Nancy, Marseille, Rennes…etc…On s’est retrouvé au milieu des flaques de couleur, on a gueulé Amours et Révoltes tous ensemble, on s’est agité, on s’est échangé, comploté bref on a fait ce foutu clip ! Mais avant tout c’était une fête, une sacré bonne fête improvisée ! Et le soir on s’est retrouvé encore, concert sauvage en plein Paname ! Un truc de dingue qui restera à jamais marqué dans les esprits. C’était étrange on était tous heureux et tout à coup il y avait comme une grande vague d’espoir après les années Sarkozy ! Très très étrange comme sensation…D’ailleurs on a mis du temps à s’en remettre…Ouais les pieds sur terre, la tête dans les étoiles…ON oubliait que c’était le tournage d’un clip, juste un immense intense moment de partage…Bon ça peut sembler blue flower et tout et tout mais ce fut la réalité…D’ailleurs on a du coup très peur de retourner un clip !

 

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http://vimeo.com/39463385

 

Dans votre album (à venir) on retrouve les sujets canoniques du « gender fucking » : l’anti binarisme (Lady Pirate), la subversion… l’inspiration c’est le vécu? le militantisme? l’entourage ?

C’est drôle que vous y voyez tout cela, car pour nous c’est à chaque fois une bonne histoire qu’on met en scène, en son, en paroles…C’est intrinsèquement ce qu’on est…On se dit pas tiens on va écrire un morceau sur ce sujet, non…Il  vient tout seul, sans réflexion aucune, cela fait trois ans qu’on est sur la route, qu’on vit des histoires, qu’on rencontre des gens. On s’est nourris de tout cela, et on a retranscrit notre quotidien dans cet album…Nos émotions, nos humeurs, nos coups de gueules !

Notre culture musicale, littéraire, picturale, politique est très diversifié, inconsciemment cette album reflètent toutes ces influences mises bout à bout…C’est un peu un tournant dans l’histoire de King’s Queer, un aboutissement de trois ans de routes, de galères, de rires, de tendresses…Un tournant musicale aussi, plus posé, recherché…Quand tu travailles en studio, tu te retrouves pas avec l’énergie de la scène, qui est quand même propre à notre duo…C’est un autre boulot qui au début nous a déstabilisé !

Bon c’est vrai que quand écoute l’album après coup c’est drôle de voir les thématiques qui en ressortent : transgender, postporn, clandestinité, cyborg…et voilà c’est nous, sans aucune concession.

 

On est aussi saisi par un côté sombre, résolument du côté de la révolte (et de l’amour) : ça ne peut pas être du fatalisme… c’est de la colère ?

Oui le côté sombre c’est vrai, il est là, présent…On dirait plutôt un blues, un bon vieux blues post moderniste, un truc désaccordé en si mineur pour symphonie majeur ! Un cri de révolte, d’amour, de colère ! Un truc qui dit NON ! Non aux survivants qui disparaissent les uns après les autres, non à toutes les misères humaines, relationnelles, matérielles, non encore aux incohérences et autres médiocrités…Non, non à la bassesse d’esprit, à un monde résolument inhumain…Une grosse colère pour être heureux !

 

On imagine aussi les difficultés d’un tel projet : porter un disque « queer » dans l’industrie musicale actuelle… Comment s’est déroulée cette sortie ?

Bon le disque sort le 6 septembre…alors…

Nous avons été sollicités par une Major, mais leur état d’esprit ne nous correspondait pas, comme vous pouvez l’imaginer. Donc on s’est tourné vers le Label Zingy, label indépendant… Car justement nous n’avons absolument pas envie de faire partie de la jungle  de l’industrie musicale ! Nous sommes leur premier sortie d’album (non numérique), cette histoire on l’a fait ensemble, pas à pas avec nos moyens réciproques, nos philosophies et surtout notre hargne !…A défaut d’énormes capitaux on fait bosser notre imagination, c’est avec le système D que les meilleurs idées naissent…L’écriture s’est faite en deux mois, l’enregistrement en 10 jours, le mixage en trois jours…Une course contre la montre !…Avec de véritables partis pris artistiques, des prises de risque..

On compte vraiment sur notre public pour faire vivre le projet…Le bouche à oreille ! Le meilleur marketing viral !

Cet album on le trouvera en le commandant : http://www.zingy.fr/kingsqueer.html, ou bien lors de nos performances, mais aussi dans les Distros et tables de presse…Ca va être un objet, rare de collection et non un produit de consommation jetable… Avoir un vinyle, un CD ‘Amours et révoltes’ de King’s queer ça se mérite !!!… On plaisante …

Pour la sortie le 6 septembre…Pas une grande fête mais 2O mini concerts en une seule journée !!! Mais chut…Pour l’instant…


Pour finir : quels sont vos projets ?

Partir en tournée Européenne, avoir un maximum de dates, que nos concerts soit toujours des endroits safe pour trans, queer et autre… Faire la tournée nord-américaine…Concrétiser un projet de résidence avec Joëlle Léandre…Vendre cet album…pour sortir du régime patates-pâtes ! Trouver un mois et demi de libre pour que Grib puisse faire son opération, partir en vacances, manger des Barbe à Papa, se faire bronzer sur une plage, réhabiliter le son mono, …Et surtout continuer à hurler Amours et Révoltes..

Site : www.kingsqueer.com


Mis en ligne, 31 juillet 2012.

Sur « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » (David Price, 1995)

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Jean-Marie Grégoire

Militant féministe queer et cinéphile


 

 

« I warned you, Richard – don’t mess with me ! »

 

 

 

Richard Jacks travaille comme chimiste pour une grande maison de parfumerie, sans enthousiasme : alors qu’il désirait depuis l’enfance « œuvrer pour le bien commun » (« all for the good of mankind !»), il lui semble avoir « vendu » ses talents. Il poursuit le soir des recherches plus personnelles, ce qui malheureusement l’aliène de sa fiancée, Sarah, avec qui il ne passe guère de temps.  

 

A la mort de son grand-père, il hérite d’un paquet de notes empoussiérées dont il va bientôt découvrir le prix : son bisaïeul, l’auteur de ces notes, n’était autre que le fameux docteur Jekyll, et notre héros entreprend aussitôt de poursuivre les recherches du défunt, dont il semble penser qu’elles portaient sur la « dualité de l’âme » ; ceux qui ont lu Stevenson savent que les préoccupations de son docteur étaient en réalité moins « métaphysiques »… Comme la potion de Jekyll s’était révélée augmenter l’agressivité, Jacks se dit qu’en y ajoutant des œstrogènes, il produira, en lieu et place du monstrueux Hyde, un être nouveau – surtout infiniment meilleur ; apparemment, notre aimable héros n’a que d’assez faibles connaissances en endocrinologie, mais, vous l’avez compris, il va vite apprendre !

 

Comme son ancêtre Jekyll, Richard teste évidemment très vite sa formule sur lui-même : après un moment de latence, une métamorphose finit par avoir lieu. Spectaculairement, ce sont d’abord ses mains qui changent – c’est à dire que ses ongles se mettent à pousser (!) alors que ses poils disparaissent. Ses cheveux poussent, sa voix mue – enfin son pénis disparaît : Jacks est devenu Helen Hyde. Et Helen va très vite manifester son caractère indépendant et volontaire : les frustrations patiemment subies par Richard, très peu pour elle ! Évidemment, Helen sème donc le chaos dans l’existence de Richard. Sa fiancée le quitte, une cliente importante lui est retirée pour être confiée à Helen, l’hypocrisie qui régnait dans l’entreprise vole en éclats…

 

Après différentes (més)aventures et quiproquos, la situation initiale sera restaurée : Richard se réconcilie avec Sarah ; il réintègre de même son entreprise – mieux, désormais, la firme financera toutes ses recherches. Helen Hyde, quant à elle, disparaît définitivement : par une dernière injection hormonée, Richard, avec l’aide de Sarah, a fait cesser le cycle des transformations. 

A sa sortie en 1995, « Dr. Jekyll & Ms. Hyde », produit par Savoy Pictures et réalisé par David Price, n’a guère rencontré que du scepticisme. Il a depuis acquis une certaine notoriété et un modeste statut « culte », sans doute en partie grâce à sa rareté sur le marché du DVD. Relire aujourd’hui les quelques articles qui lui ont été autrefois consacrés étonne un peu : Janet Maslin peut certes promettre dans le « New York Times » un « Jekyll transsexuel », et  dans « Mad Movies », Didier Allouch, vaguement halluciné, (1) voir affirmée dans le film une soi-disant toute-puissance de la figure de la  drag queen, il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas là-dedans, en réalité, grand chose de trans – et encore moins de drag ! Si l’on devait s’en tenir à la scène de transformation déjà mentionnée, faudrait-il croire que porter ongles et cheveux longs suffit à « faire une femme » ? Bien entendu, on rêve ! Mais avant de condamner « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » à un oubli peut-être pas totalement immérité, je vous propose de l’examiner un moment. Ms. Hyde, notamment, me paraît être un personnage intéressant, sinon sympathique, ce dont conviennent d’ailleurs même ceux qui ont jugé le film désastreux. Je voudrais aussi m’intéresser à l’idée de placer un tel personnage de femme fatale dans un contexte générique qui n’est pas a priori le sien (le film est une comédie), et à ce que cela produit, notamment en termes de genre – et je ne parle plus de genres cinématographiques, mais bien de genre, de gender, si vous préférez. 

 

Je commencerai par quelques mots sur le titre du film, et la façon dont y est désignée la protagoniste : ni « Miss » ni « Mrs.» ne sont utilisés, et c’est évidemment assez remarquable. En français, il n’existe toujours pas d’équivalent de l’anglo-saxon « Ms.». Ce choix place d’emblée le film dans un contexte culturel et politique précis, puisque la possibilité d’employer « Ms.» a fait partie des revendications féministes, et ce dès les années 60 : une femme, raisonnait ainsi la militante féministe américaine Sheila Michaels, devait pouvoir choisir un « titre honorifique neutre » qui ne dépende pas de son statut marital, ni donc de sa place dans le monde hétérosexuel. Avec « Ms. », il s’agissait d’offrir un titre à celles qui précisément « n’appartiennent à aucun homme » (« who belong to no man ») (2). Rappelons que cette revendication n’a pas été portée que par des féministes, lesquelles étaient au demeurant divisées sur son intérêt, ce dont convient Sheila Michaels elle-même ; en effet, « Ms. » est aussi le titre « par défaut » que les entreprises recommandent d’utiliser lorsqu’il s’agit d’écrire à une cliente dont on ignore le statut, et qu’on ne désire pas « froisser », comme l’explique l’article de Wikipedia consacré à « Ms. » (3).

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Mais revenons à notre héroïne, Ms. Hyde – immédiatement après sa transformation, elle part acheter des vêtements, ce qui nous vaut une séquence de montage qui paraît vanter les plaisirs du shopping : Helen vêtue de tailleurs seyants et colorés, quelques sacs Ungaro à chaque main, arpente les avenues new-yorkaises les plus chics ; elle paraît même esquisser une pirouette pour la caméra, filmée en plongée comme une héroïne de musical. C’est que la métamorphose n’est complète qu’avec le shopping, bien entendu. « Pretty Woman » (4) n’est pas loin. Mais on notera qu’ici, il n’y a pas d’homme (et en général, dans ce type de situation, au cinéma, il s’agit d’un homme d’une classe plus aisée) pour expliquer à Helen quelles tenues elle doit choisir : pas de Pygmalion plus ou moins bien intentionné pour la vêtir et la « façonner » (voir par exemple « Undercurrent » ou « Vertigo » (5)). Au lieu de cela, Helen paraît spontanément tout savoir des dernières modes – comme avant elle, la « sister Hyde » de Roy Ward Baker (6) trouvait d’instinct comment transformer un rideau de brocart rouge en tenue de soirée dernier cri, et bien entendu très échancrée. Le même savoir camp (7) et ironique, qui paraît supposer une connaissance « innée » des règles et des charmes de la mascarade, permet-il à Helen de trouver précisément la taille qui convient à la secrétaire de Richard lorsqu’elle décide de lui offrir un chemisier – taille que Richard ignore, de toute évidence, lui qui ne regarde sa secrétaire qu’avec indifférence ? Un geste que l’on peut interpréter comme intéressé (Helen se démarque de Richard et se cherche des alliés dans l’entreprise) mais que l’on peut aussi voir comme un geste inspiré par une certaine solidarité féminine (et de classe), geste dont Richard, bien entendu, s’est jusqu’ici révélé incapable.

 

Parfaitement intégrée au paysage urbain de la très grande ville, où règne la carte de crédit, capable de solidarités (et/ou de calculs) court-circuitant le pouvoir masculin, Ms. Hyde est  d’autre part présentée comme un avatar de femme fatale. Le choix même, pour interpréter son rôle, de Sean Young, dont le nom est associé à l’univers rétro-futuriste de « Blade Runner » ou au néo-noir « A Kiss Before Dying »(8), est de ce point de vue parlant. Et si Janet Maslin, par exemple, semble déplorer que le rôle d’Helen ait été confié à Sean Young, qu’elle appelle ironiquement “Ms. Young” et dont elle juge le jeu trop dépourvu d’humour mais aussi teinté d’un érotisme trop agressif pour une comédie légère telle que “Dr. Jekyll & Ms. Hyde” (9), je pense au contraire que ce caractère “schizophrénique” sert le film : il est même pour moi source de plaisir. Allure ultra-féminine, ongles et cheveux longs (bien entendu !), vêtue de robes et de sous-vêtements griffés, cigarette aux lèvres (attribut incontournable de la vamp : demandez à Garbo ou Dietrich) (10), Helen pourrait sortir d’un film noir. Mais évidemment, sa parenté avec les vamps des années 30 ou 40, et avec les héroïnes sexuellement agressives des néo-noirs des années 90 (11), ne se limite pas à ces accessoires, quelque prometteurs qu’ils puissent eux-mêmes paraître. Comme elles, Helen contrôle pleinement sa sexualité : elle ne donne que ce qu’elle veut, à qui elle veut ; et lorsqu’elle ne veut pas, elle sait se débarrasser de l’importun. Pas de morts ici : « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » est une comédie – mais si l’on opérait un glissement générique, on imagine qu’Helen Hyde laisserait sur son passage le même sillage de cadavres que les héroïnes de « The Last Seduction » ou de « Basic Instinct » (12).

 

Enfin, consciente de son pouvoir, Helen Hyde refuse un rôle subalterne dans l’entreprise : un des collaborateurs de Richard peut bien lui faire remarquer que dans l’entreprise, la seule place qui soit réservée aux femmes est celle de secrétaire, elle ne se contentera évidemment pas du rôle d’assistante à quoi son genre paraît devoir la cantonner. Mieux, pour les mêmes compétences, Helen veut autant, sinon, en bonne néo-fatale, plus. De fait, le film est parfaitement contemporain des débats qui agitaient alors la société américaine et qui portaient tant sur les inégalités de traitement sur le lieu de travail et sur le « glass ceiling », le plafond de verre auquel se heurtent les femmes, que sur le harcèlement. Ceci dit, Helen, elle, ne se pose jamais en victime de quoi ni de qui ce soit : en véritable « bitch diva » (13), elle envoie paître avec malice le collègue qui la poursuit de ses assiduités, et profite pleinement de son pouvoir de séduction : pour conforter sa situation professionnelle, Helen sera même capable  d’offrir des faveurs sexuelles à l’un de ses supérieurs, Dubois, que le film présente pourtant comme gay, et qu’interprète l’icône camp Harvey Fierstein – on le voit, le pouvoir de la néo-fatale, héroïne féministe battante, paraît à peu près sans bornes (14) !

 

Toutefois, quelles que soient notre admiration et notre sympathie pour Helen Hyde (et ce que fait Sean Young du personnage), force est de prendre en compte son élimination finale : Richard reprend le contrôle de son corps et défait la néo-fatale, qui disparaît purement et simplement. Cette fin manifeste la relativité du pouvoir de la femme fatale dans un genre, la comédie, qui n’est pas le sien : alors que Catherine Tramell, par exemple, sort victorieuse de ses confrontations avec l’ordre masculin, Helen Hyde, protagoniste d’une comédie loufoque, paraît vouée à l’échec.

 

Cette disparition permet surtout à Richard de résoudre les difficultés qui étaient initialement les siennes : la fin classiquement heureuse de la comédie signifie, évidemment, que le couple Richard-Sarah, qui souffrait des frustrations de Richard, se trouve restauré. Les fiancés qui s’étaient un moment séparés se retrouvent, vont se marier et sont même décidés à s’offrir un long voyage de noces. Ce faisant, ils conviennent qui plus est de ne plus laisser le travail « déborder » sur leur vie intime – en fait, il s’agissait surtout là du problème de Richard : le film laisse entendre que Sarah, elle, sait parfaitement « cloisonner » son travail d’avocate et sa vie « privée »…

 

Les règles de la comédie sont même scrupuleusement respectées : la (re)constitution de ce couple est redoublée par la constitution d’un second couple. Mintz et Dubois, les patrons tyranniques et grotesques de Richard, partent en effet s’installer ensemble dans le « Village », l’hétérosexuel Mintz ayant semble-t-il été « transformé » par son expérience avec Helen Hyde ! On reconnaît là la « logique » douteuse selon laquelle avoir des relations sexuelles avec une MTF, pour un homme « bio », ce serait avoir des relations homosexuelles – lesquelles seraient évidemment « contaminantes » : après cela, l’hétérosexualité ne serait plus possible… Dubois, de son côté, est au contraire conforté dans son orientation sexuelle par la révélation finale qu’Helen « était » en fait Richard – le film ne laisse ainsi pas de place à une possible bisexualité : il faut être hétéro ou homo, surtout rien de « messy », de compliqué, qui soit (entre) les deux !

 

Si Richard et Sarah feignent de croire que l’on peut effectivement cloisonner travail et « vie intime », la logique de la comédie, elle, les confond au contraire. Le final réconcilie certes, et comme il se doit, nos amoureux ; mais la disparition d’Helen Hyde, sous les yeux ébahis d’un public rassemblé pour célébrer le lancement du parfum qu’elle a mis au point, « Indulge »,  permet aussi à Richard Jacks de récupérer le marché qu’elle lui avait soufflé, et du même coup, son poste un moment menacé. Mieux, ceci s’accompagne d’un triomphe personnel qui lui vaut de transformer sa vie : finies, les recherches solitaires et semi-clandestines ; l’intérêt privé du chercheur et l’intérêt de l’entreprise se rejoignent enfin, et, dorénavant, Richard verra toutes ses recherches confortablement financées (15). Le sentiment de « division » dont il souffrait initialement disparaît, réparé par la logique de la comédie.

 

Au final, qui profite des transformations rendues possibles par Helen Hyde ? Pas elle, on le voit… Mais bel et bien le protagoniste masculin, le bon docteur Jacks, qui pourra expliquer qu’il a su accéder à sa « part féminine » (« I had to get in touch with that part of myself that is a woman ») et dépasser ainsi les problèmes qui se présentaient à lui – c’est au reste ce qu’il déclare dans son discours lors de la soirée de lancement d’ « Indulge », une fois Helen définitivement volatilisée. Ce qui aurait pu constituer une fantaisie transgenre explorant, pour reprendre la formule de Janet Maslin, « un monde d’infinies possibilités » (16) s’achève donc plutôt comme une réitération de la conclusion de « Tootsie » (17) ; les avancées du féminisme, les possibilités offertes par le gender-bending, tout cela profite in fine à un personnage masculin, qui s’approprie de surcroît un travail qu’il n’a pas en réalité lui-même effectué. Si l’on pouvait à la rigueur croire que le héros du film de Sydney Pollack avait bel et bien fait l’expérience sociale d’une certaine féminité, rien de tel ici : Richard n’a partagé aucun des combats d’Helen ; sa conscience reste toujours distincte de celle de sa contrepartie féminine ; et il est à craindre que la « part féminine » auquel il se réfère ne soit  révélée pour ce qu’elle est devenue, de talk show en talk show – une jolie formule creuse, une simple figure de discours. Au fond, d’ailleurs, n’y a-t-il pas « une femme en chacun de nous » (« truth is, there is a woman in all of us ») ? Belle déclaration, que Dubois, (faussement ?) béat, accueille la main sur le cœur ! Mais j’ai peur qu’il ne soit le seul à manifester à ce moment tant soit peu d’ironie…

 

Ceci dit, on saura gré à « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » de ne pas confondre dans sa conclusion la masculinité de son protagoniste, fût-elle teintée d’une « part féminine » au fond assez abstraite, avec la métrosexualité promue par les magazines de mode ; après tout, l’action se déroulant dans l’univers des cosmétiques, cela aurait pu être à craindre. Le film a d’ailleurs sa figure de métrosexuel dans la personne de Larry, le cousin de Richard, bellâtre ridicule constamment disqualifié. De plus, le film reconnaît aussi que certains hommes peuvent faire l’expérience du « plafond de verre » et du harcèlement, et que le lieu de travail est une « arène » éprouvante pour tous et toutes, comme le suggère Paglia. Ce faisant, et malgré ses limites, parce qu‘il propose plusieurs modèles de masculinité, dont certains semblent inconfortables ou déficients, « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » produit peut-être un discours plus complexe, à défaut d’être « progressiste », qu’il n’y paraît au premier abord.

 

 

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« Dr. Jekyll & Ms. Hyde » reflète au fond les ambiguïtés d’une époque, les années 90, qui ont pu se plaire à jouer des normes de genre au travers de figures telles que la drag queen ou la néo-fatale, mais ont probablement peiné à les refondre réellement, pratiquement – un échec que partagent aussi bien la culture populaire que la « haute » culture universitaire : ainsi la bisexualité fascine mais reste un objet d’inquiétude ; une « part de féminité » est revendiquée pour les hommes, mais demeure vague, quand elle ne se limite pas à la bêtise métrosexuelle ; la transsexualité et l’intersexualité, enfin, peuvent être invoquées, mais elles sont, en réalité, constamment tenues à distance, quand elles ne sont pas l’objet de plaisanteries stéréotypées et déplaisantes (18)… Cependant, si l’on ne saurait dire que Richard souhaite transgresser les normes de genre, ni même leur résister, s’il n’est en rien un « Jekyll transsexuel », l’expérience qu’il fait de l’aliénation, l’impression qu’il a d’être « divisé », entravé, en particulier dans sa vie professionnelle (« I’m stuck », confesse-t-il au début du film), ne sont pas sans intérêt : sa masculinité fragile, peu sûre d’elle, fait partie de ce que le film a de mieux à nous offrir – et ce n’est pas rien. Et puis évidemment, il reste la figure de Ms. Hyde ; certes, la « Sister Hyde » du film de Roy Ward Baker était peut-être une héroïne plus forte, plus marquante (plus féministe ? Il faudrait voir) – mais dans un genre pop et post-moderne, et même si le dénouement semble la condamner à l’effacement, Helen Hyde n’est pas mal non plus !

 

 

 

 


1 Janet Maslin, “Dr. Jekyll & Ms. Hyde (1995) – What’s left? How about a Transsexual Mr. Hyde?”, The New York Times, 25 août 1995.

Didier Allouche, “Interview avec David F. Price”, Mad Movies, n°. 102, p. 82-83.

2 “Forty Years of Defying the Odds”, Sheila Michaels, http://www.solidarity-us.org/node/1399.

3 Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Ms.

Ces mêmes entreprises tendraient d’ailleurs plutôt aujourd’hui à ne plus employer aucun titre dans leurs courriers, estimant qu’elles n’ont pas à connaître le genre de leurs destinataires. De ce point de vue, il est probable que le film accuse déjà un certain âge.

4 “Pretty Woman”, Garry Marshall, 1990.

5 “Undercurrent” (“Lame de fond”), Vincente Minnelli, 1946 – “Vertigo” (“Sueurs froides”), Alfred Hitchcock, 1958.

Eh non, Hollywood n’a pas toujours univoquement vanté les “joies du shopping” !

6 “Dr. Jekyll & Sister Hyde”, Roy Ward Baker, 1971.

7 “Camp is the kind of movie where they imitate me”, Mae West.

Le camp est, selon la définition proposée par Wikipedia, une sensiblité esthétique qui regarde comme attrayant un objet de “peu de valeur”, relevant le plus souvent de la culture populaire, en fonction de critères subjectifs et ironiques. Il est en cela proche du “kitsch”. Susan Sontag est la première à avoir proposé une définition du camp dans son texte fondateur de 1961, “Le Style “Camp””, et à avoir du coup introduit le terme dans le champ académique. Historiquement, le camp est lié à la communauté homosexuelle, pour laquelle il a pu constituer un mode d’affirmation de soi, en particulier dans les années 50 et 60, lorsque s’affirmer dans l’espace public d’une façon qui ne soit pas “oblique” était difficile. Depuis, le camp a connu des fortunes diverses – la réputation qu’il a d’être “apolitique” (cf. Sontag) et vecteur d’”effémination” l’a durement desservi dans les années 70-80. De fait, certaines de ses déclinaisons, durant l’ère Reagan par exemple, ont pu être légitimement perçues comme rétrogrades (preuve qu’il est bien, quoi qu’en dise Sontag, politique). Mais l’ironie camp, l’accent porté sur le caractère artificiel, construit, des objets qu’il affectionne, le mécanisme d’appropriation d’objets vus comme bas, abjects ou infâmes, ont permis au camp et à ses amateurs de survivre à ces moments difficiles.

Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Camp_%28style%29 ; Sontag, Susan, “Le Style “Camp””, in L’Oeuvre parle ; Pamela Robertson, Guilty Pleasures – Feminist Camp from Mae West to Madonna ; Andrew Britton, “For Interpretation : Notes Against Camp” ; Richard Dyer, “”It’s being so camp as keeps us going”.

8 “Blade Runner”, Ridley Scott, 1982 – “A Kiss Before Dying” (“Un Baiser avant de mourir”), James Dearden, 1991.

9 “Ms. Young is perfectly humorless and delivers more free-floating kinkiness than the material requires.” Cf. Janet Maslin, article cité.

Janet Maslin n’a de toute évidence pas vu le film de Roy Ward Baker ni entendu parler du scénario de Peter Cook, « Dr. Jekyll & Mrs. Hyde », achevé autour de 1978 mais jamais porté à l’écran. Sur ce scénario, voir « Dr. Jekyll & Mrs. Hyde : an unproduced Peter Cook screenplay », article disponible à l’adresse suivante : http://smarterthantheaverage.tumblr.com/post/71416415/dr-jekyll-and-mrs-hyde-an-unproduced-peter-cook.

10 Plus encore que la promiscuité d’Helen, c’est la cigarette qui semble cristalliser les inquiétudes du protagoniste, lorsqu’il découvre qu’elle ne prend pas le soin qu’il voudrait de leur corps commun, à un des rares moments où le film laisse entendre que Helen et Richard « partagent » quelque chose ; eh oui, il y a , au moins, cela : le corps ! C’est aussi l’un des rares moments où l’on peut deviner poindre à l’horizon du film le spectre du SIDA, qui constituait un des éléments déterminants du cycle de films centrés sur des personnages de « néo-fatales ».

Cf. Monica B. Pearl, « Symptoms of AIDS in Contemporary Film : Mortal Anxiety in an Age of Sexual Panic », in Michele Aaron ed., The Body’s Perilous Pleasures – Dangerous Desires and Contemporary Culture.

11 Carmen, mère ou « aïeule » de toutes les femmes fatales, est elle-même invoquée lorsque, dans la scène où Helen « impose », à sa façon, « ses vues » à Mintz et Dubois, la fameuse habanera de Bizet se fait entendre !

Sur le néo-noir et ses femmes fatales, cf. Jans B. Wager, Dames in the Driver’s Seat – Rereading Film Noir.

12 “The Last Seduction”, John Dahl, 1994 – “Basic Instinct”, Paul Verhoeven, 1992.

En réalité, le projet initialement imaginé par David Price tirait plutôt le film du côté de la comédie horrifique : “Après les projections tests, j’ai dû prendre en compte les critiques du public. Il y avait des morts dans le film et les gens n’aimaient pas ça. Le distributeur américain, Savoy, non plus. Sous la pression, j’ai donc réécrit une partie du scénario et retourné certaines séquences de manière à ce que les personnages survivent.” Cf. Didier Allouch, article cité.

Sur le genre hybride qu’est la comédie horrifique, cf. Bruce H. Hallenbeck, Comedy-Horror Films – A Chronological History, 1914-2008.

13 Cf. Kim Newman, “Dr. Jekyll and Ms. Hyde”, Sight & Sound.

14 Je ne résiste pas à la tentation de citer ici Camille Paglia : « Woman’s sexuality is disruptive of the dully mechanical workaday world, in which efficiency means uniformity.” Camille Paglia, “No law in the arena”, in Camille Paglia, Vamps and Tramps – New Essays, Vintage Books, 1994, p.52.

15 L’union de Mintz et Dubois va bien entendu dans le même sens d’une convergence des intérêts privés, “intimes”, d’une part, et professionnels et économiques de l’autre.
Elle est loin, la peur panique du “scandale” homosexuel qui motivait les personnages de Stevenson !

16 « a universe of infinite possiblity », Janet Maslin, article cité.

Et pour citer à nouveau Camille Paglia, on aurait pu attendre du film de Richard Price “une transition chaque jour”, “a sex change every day” ! Cf. “Dr. Paglia – part one of Female Misbehavior, a four-part documentary by Monika Treut”, in Vamps & Tramps, p. 247.

17 “Tootsie”, Sydney Pollack, 1982.

18  A la fin du film, un carton nous informe que Sarah et Richard espèrent être bientôt parents ; peu leur importe que ce soit un garçon ou une fille – “pourvu que ce ne soit pas les deux” !

 

 

 


 

Bibliographie

 

Allouche, Didier – “Interview avec David F. Price”, Mad Movies, n°. 102, p. 82-83.

Britton, Andrew (1979) –“For Interpretation : Notes Against Camp”. In Barry Keith Grant ed., Britton on Film – The Complete Film Criticism of Andrew Britton, Wayne State University Press, 2009.  

Dyer, Richard (1976) – “It’s being so camp as keeps us going”. In Only Entertainment, Routledge, 1992, p. 135-147.

Hallenbeck, Bruce H. (2009) – Comedy-Horror Films – A Chronological History, 1914-2008, McFarland.

Maslin, Janet (1995) – “Dr. Jekyll & Ms. Hyde (1995) – What’s left ? How about a Transsexual Mr. Hyde ?”, The New York Times, 25 août 1995.

Newman, Kim (1995) – “Dr. Jekyll and Ms. Hyde”, Sight & Sound, décembre 1995, p. 44-45.

Paglia, Camille (1994) – Vamps and Tramps – New Essays, Vintage Books.

Pearl, Monica B. (1999) – « Symptoms of AIDS in Contemporary Film : Mortal Anxiety in an Age of Sexual Panic ». In Michele Aaron ed., The Body’s Perilous Pleasures – Dangerous Desires and Contemporary Culture, Edinburgh University Press.

Robertson, Pamela (1996) – Guilty Pleasures – Feminist Camp from Mae West to Madonna, Duke University Press.

Sontag, Susan (1961) – “Le Style “Camp””. In L’Oeuvre parle. Trad. De Guy Durand. Christian Bourgois, p. 421-450.

Wager, Jans B. (2005) – Dames in the Driver’s Seat – Rereading Film Noir, University of Texas Press.

 

 


Je remercie l’équipe du festival Tapages (Bergerac) ; Gilbert Chéradame, le premier “cobaye” sur lequel j’ai testé les formules du docteur Jacks ; ma queer family, sans l’amitié et le soutien de laquelle rien de tout ceci n’aurait été possible – Marie-Hélène Bourcier, Marco Dell’Omodarme, Marika Moisseeff, Michael Houseman. Mwwaaah !

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