Roa’a Gharaibeh
Doctorante à l’Université de Bordeaux en sociologie
Auteure de « Penser les expériences de subjectivation féministe dans les sociétés arabes » (revue Diversité n°165) et de « Éléments pour déconstruire les normes féministes eurocentriques » in Aux frontières du genre » (l’Harmattan, 2012)
Queeriser le corps :
pratiques des féministes arabes
Dans cet article, il s’agit de mettre en lumière des pratiques corporelles de féministes arabes, c’est à dire des pratiques qui tendraient à queeriser ce corps. Ces pratiques requalifient, repensent et redessinent des nouvelles zones queers. Cet article est une partie de ma thèse doctorat. J’y examine l’hypothèse d’une présence importante des pratiques queers dans trois sociétés arabes ; la Jordanie, l’Égypte et le Liban, comme des pratiques de liberté. D’ailleurs, au-delà des pratiques queers, il existe une forte revendication du renouveau politique et féministe. En revanche, il n’y a pas que les féministes qui queerisent le corps dans les sociétés arabes, mais aussi d’autres personnes qui ne se qualifient pas forcement en tant que féministes. Alors, queeriser le corps dans ces sociétés devient une pratique qui provient d’une capacité d’agir subversive contre un arsenal de l’ordre des genres préétablis par une spécificité discursive d’un patriarcat arabe.
Du queer Theory aux pratiques queers situées : l’exemple des féministes arabes
L’histoire du mot queer se trouve dans le renversement de stigmate. Pour Maud-Yeuse Thomas, « Surgissant d’une discrimination sociétale organisant le clivage majorité/minorité, le queer agit dans un retournement d’une insulte en fierté, d’individus discriminés en socialités, identités, propositions théoriques et pratiques. » Le queer est d’abord un instant de réappropriation de l’insulte (« pédé » « bizarre »). En ce sens il est un outil de résistance. Puis il devient un espace de déconstruction des allants de soi producteurs de hiérarchies, d’inégalités, d’invisibilités et d’empêchements. L’hétérosexualité n’est plus le « neutre », « normal » donc « naturel ». Et l’homosexualité n’est plus le malsain ou l’anormal.
En renversant les hiérarchies sexuelles on entend en souligner la contingence. Le queer est donc un lieu de résistance pratique et théorique qui met à jour des leviers de requalification identitaires, individuels et collectifs. L’insulte inaugure une nouvelle capacité d’agir, qui s’inscrit dans une zone du savoir féministe du sujet. Mais le queer ne se contente pas d’imposer une critique des dispositifs hétéronormatifs (avec notamment la critique du placard ou du coming out par Eve Kosofsky Sedgwick). Le queer est aussi un moment de dérégulation du système sexe-genre. Le féminisme (avec le programme beauvoirien par exemple), comme la psychologie d’ailleurs (avec R. Stoller) sont parvenus à différencier sexe et genre. Mais dans une logique toute particulière puisqu’elle reprenait, certes en les séquençant, les étapes de l’équation sexe=genre. C’est-à-dire qu’à un sexe correspondait un genre. L’homme est masculin et la femme féminine. Or, depuis Térésa de Lauretis et son concept de « technologie de genre » on est en mesure d’appréhender la notion de « sexe » non plus comme une donnée atemporelle qui précéderait, en tant que fait de nature, le genre mais plutôt comme une construction sociale issue des dispositifs de genre c’est-à-dire encore comme « un ensemble d’effets produits dans les corps ». Judith Butler souligne l’aspect inextricable du système sexe-genre et la nécessité d’un dépassement : « en réalité, nous dit-elle, peut-être que le sexe est-il toujours déjà du genre et, par conséquent, il n’y aurait plus vraiment de distinction entre les deux ».
Le sexe comme « technologie de genre » nécessite donc que l’on se situe du côté de la déconstruction de cet appareil sémiologique, de cette construction de représentation, assignant au corps sexué des aspects invariants. La dérégulation du système sexe-genre pourrait alors se formuler de la sorte : le genre précède le sexe. En tant qu’outil de la déconstruction, le queer inaugure une ère dans laquelle l’individu devient au centre des préoccupations. Les théories surplombantes sont forcées de manière à laisser entendre les subalternes, les outsiders, les minorités, les bizarres, les « queer ». C’est la différence faite entre la matérialité du corps et ses capacités discursives, il faut dire aussi performatives et performantes, (c’est cette différenciation) qui ouvrent grand les portes de des « accouplements fertiles » et des « expérimentations » corporelles et identitaires. Le sexe devient alors une prothèse : il n’est pas dévoilement (« c’est un garçon, c’est une fille ») mais il est sexdesign selon Preciado. Dans son manifeste contra-sexuel, le gode va permettre à Beatriz Preciado de réaliser un processus de dénaturalisation du sexe et des sexualités.
Au total, et c’est peut-être ce qui caractérise le plus les espaces de discours et de pratiques queer est le nomadisme, il est anti-assimilationniste, il résiste à la normalisation, dans un mouvement continuel de production d’identités et dans un jeu d’identifications mettant à mal l’identique. Si le queer n’est jamais identité mais identifications, il est légitime de voir comment ces identifications se travaillent dans mes trois terrains de recherche. Il semble que le mot queer ne soit pas exclusif d’un travail du renversement des stigmates dans les sociétés occidentales, mais aussi une capacité d’agir, de renverser le stigmate, de l’imposition hétéronormative et du genre hétéronormatif du genre dans les sociétés arabes.
Commençons par le mot queer lui-même. En arabe, le mot « shath » est l’équivalent du queer comme bizarre et anormal, toujours dans la représentation collective des normes hétérosexuelles. Shath est la forme linguistique du bizarre au masculin. Le féminin du mot queer en arabe est shatha.
Il me semble que la méthode la plus pertinente pour appréhender la question de pratiques de liberté, concernant le corps par les féministes arabes, passe par la subjectivation. En effet, sans celle-ci, il ne serait pas possible de comprendre comment le queer provient d’une capacité d’agir subversive. C’est-à-dire une arme contre un arsenal hétérosexuel qui placerait le corps dans une seule dimension, celle des sexualités reproductives et hétérosexuel.le.s.
« les processus de subjectivation […] désignent l’opération par laquelle des individus ou des communautés se constituent comme sujets, en marge des savoirs constitués et des pouvoirs établis, quitte à donner lieu à de nouveaux savoirs et pouvoirs »
le queer n’est pas seulement une pratique, ou des pratiques, mais aussi une critique.
« Je suis pour que chaque personne vive son corps comme elle veut. J’en ai marre de placer les tabous de la société jordanienne comme des obstacles insurmontables. Ce n’est pas parce que je suis mariée que je me prive des plaisirs sexuels que je n’ai pas pu avoir avec mon mari. Je n’ai jamais aimé les relations monogames. Je suis partisane de la pluralité des plaisirs et des relations. Je suis pour que les femmes puissent avoir plusieurs hommes. Il en va de même pour les homosexuel.les, non seulement je suis pour qu’ils soient complètement libres dans leurs relations, mais aussi pour que l’on arrête de parler de l’ordre naturel. Pour moi, et justement car il y a des ordres qu’il faut les casser» Lala, 34 ans, féministe jordanienne.
Dans cette citation, il semble captivant de voir comment cette féministe déploie des mots différents. Elle n’est pas adhérente dans un groupe ou association féministe. Toutefois, sa critique vise les discours hégémoniques qui prônent un ordre naturel des relations sexuelles. Ceci exigeant la déconstruction de cet ordre. Elle évoque le plaisir comme une préoccupation personnelle. Ainsi, elle aborde la pluralité des relations dans une perspective de varier les plaisirs. Ceci me permet de penser ce discours en tant que queer.
Effectivement, dans cet article, il n’est pas lieu de penser le queer comme une non catégorie intellectuellement parlant, mais comme des zones où les discours queers prennent place dans les trajectoires de vie des personnes qui arrivent à queeriser ce corps.
Cadre : Du queer jordanien
J’ai grandi dans une maison très traditionnelle et très conservatrice avec trois frères. On a perdu notre père pendant la guerre du Golfe de 1990. En fait on vivait au Koweït. Ensuite, on est revenu vivre en Jordanie. Ma mère faisait le rôle du père et de la mère, s’il faut parler des rôles. Et moi, je faisais toutes les tâches ménagères, vu que ma mère a commencé à travailler. En fait quand on était au Koweït, on avait une femme de ménage. Pour rigoler maintenant, je dis qu’on l’a remplacé par moi, en revenant en Jordanie. À la fin de mes journées entre l’école et les tâches ménagères, je me posais souvent la question, pourquoi je suis en train de faire tout ce que je suis en train de faire, pour avoir même pas le quart des privilèges que mes trois frères avaient. En plus j’ai vécu la discrimination de genre de plus près, quand on est revenu en Jordanie, mes trois frères étaient scolarisés dans une école privée, donc plus d’investissement d’argent dans leurs études, et moi dans une école publique. Ensuite, tous mes frères sont partis faire leurs études à l’étranger et on me l’avait interdit pour moi. Le pire m’est arrivé lors de la distribution de l’héritage de mon père. Pour moi, je n’étais pas moins un de ses enfants car j’étais une fille. Pourtant, s’est passé comme ça. Je n’ai eu que la moitié de ce que mes frères ont eu. Est-ce que je l’aimais moins d’eux, ou est-ce qu’il m’aimait moins d’eux ?
Avec ma mère, le rapport est devenu super difficile après la mort de mon père. En effet, on exerçait le même rôle. Cependant, nous n’avions pas les mêmes privilèges. Mais il faut savoir que j’ai brisé beaucoup de tabous après ma sortie à la fac. Et ma mère a beau essayé de faire de moi une fille bonne à marier, elle n’a pas réussi. À ce moment là, j’ai décidé de ne plus faire les tâches ménagères, ni la cuisine. C’est ainsi que j’ai refusé toute forme de l’autorité familiale de ma mère et mes frères. Ensuite quand j’ai eu 28 ans, j’ai imposé à ma mère et mes frères mon envie de vivre seule dans un appartement, tout en sachant que je suis devenue complètement indépendante. Au début ma mère a essayé de me faire du chantage affectif, et de me dire qu’elle avait besoin de moi. J’ai un frère avec lequel j’ai décidé de rompre complètement notre rapport fraternel. En fait, il s’est permis de me frapper, quand j’ai annoncé ma décision d’aller vivre seule. Mais je suis partie vivre seule. Il faut que je te raconte comment j’ai perdu ma virginité. D’ailleurs, je ne l’ai pas perdu, j’ai gagné du plaisir. Je l’ai fait moi-même aux toilettes, et contrairement à tous ce que les gens disent, je n’ai pas eu mal et je n’ai même pas saigné. C’est des grosses conneries les trucs d’honneur etc. Par mon expérience j’ai désappris plein de choses. Non seulement j’ai vécu seule, mais j’ai aussi annoncé par mail (car ils sont à l’étranger) à mes deux autres frères que je ne suis pas vierge et je suis lesbienne.
J’ai désappris ce que ma mère a essayé de m’apprendre, et surtout en rapport à mon rapport avec mon corps et la sexualité. En fait, elle me disait souvent qu’une fille doit attendre qu’un homme vienne la demander en mariage. Ensuite, elle ne doit jamais lui montrer qu’elle a envie de sexe. Et que les filles attendent que les hommes arrivent pour leur faire l’amour. Non, moi j’ai construit mes sexualités différemment. Je vis plein de relations avec des personnes différentes, dans des lieux différents et avec des méthodes différentes. La pénétration n’est pas la seule façon d’avoir un plaisir.
Je peux paraître très radicale, mais si les choses revenaient à moi, je déflorerais toutes les filles à la naissance. Peut-être c’est ainsi que l’on arrêterait de parler d’honneur lié à un bout, des fois inexistant.
Si les gens me désignent comme « pute » juste parce que je suis sexuellement active, qu’ils le fassent. D’ailleurs, je préfère que tout le monde soit désigné comme « pute », si cela les ramène vers leurs plaisirs.
Rien qu’entendre le mot engagement, je m’étouffe, et aussi le mot monogame. J’ai besoin et envie de continuer d’être indépendante et libre. J’ai désappris aussi le rapport que l’on fait souvent entre l’amour et le sexe. Non, maintenant, je suis capable de coucher avec quelqu’un sans pour autant d’être amoureuse d’elle.
Quand les gens me demandent comment c’était mon coming out, je rigole, car ils attendent toujours d’entendre de ma part, de la souffrance et de la galère. Et ben non, je n’ai pas réfléchis à la religion et je m’en contrefous. Je n’aime pas les labels, hétérosexuelles, lesbiennes ou autres. Pour moi, déclarer que je suis queer n’est pas dans un ordre identitaire. C’est de l’ordre du plaisir. Je vis pleinement des plaisirs intenses et je m’en réjouis tous les jours. Après tout, je suis contente et fière de ce que je suis maintenant. Que l’on m’appelle comme « shatha » non seulement ne me dérange pas, mais je le revendique avec fierté. Leena, 32 ans. Féministe jordanienne.
Dans ce récit, il est intéressant de voir comment le mot shatha est important pour renverser le stigmate, non seulement comme prise de position, mais aussi comme une fierté. À l’origine ce mot signifiait ce qui anormal, insolite et pervers. Ainsi, nous pouvons penser la revendication de ce mot dans les contextes arabes et dans une perspective queer. Il en va de soi, et comme cette féministe l’énonce, le queer n’est pas seulement une identification mais plutôt une pratique.
Dans le récit de cette féministe, il est saillant de penser son expérience de subjectivation féministe, et les conflits qu’elle a vécus avec sa famille, selon l’approche foucaldienne. Certes, ces conflits étaient violents. Mais, il semble que sa capacité d’agir fut productive. En effet, avec le refus de prendre en charge des tâches ménagères qui lui étaient imposées, l’envie de vivre seule, ainsi que d’annoncer son homosexualité et de ne pas être vierge, cette féministe déployait sans cesse une capacité d’agir qui lui était propre et qui faisait face à toutes ces conflictualités. D’autant plus, qu’il est remarquable de lire la répétition de mot plaisir dans son récit.
Non seulement, elle se soucie d’elle-même, mais aussi, elle se soucie de son corps et du plaisir que son corps peut lui procurer. En ce sens, il n’est pas juste pertinent de penser ses pratiques en tant que pratiques de liberté, mais aussi en tant que moyens déployés pour se maîtriser. Passer par toute une opération de désapprentissage fait partie des pratiques de liberté. C’est ainsi que le concept de carrière de Becker me semble tout à fait en adéquation avec les expériences de subjectivation féministe. Cette pratique de liberté par le désapprentissage, même s’il est perçu comme pratique déviante, reste tout de même une pratique de liberté. Tout au long de sa « carrière féministe » cette féministe ne cesse de pratiquer une déviance car elle ne se conforme pas aux normes imposées de genre et de sexualité. Dans cette optique, le désapprentissage de tout un arsenal de normes qui construit une seule et unique forme de sexualité, est productif. En revanche, et toujours selon l’approche beckerienne, il me semble pertinent de rappeler que les féministes s’impliquent dans des trajectoires déviantes. Autrement dit, que ces carrières transgressent les normes hétérosexuelles.
Cadre : De la subjectivation féministe matérialiste au Liban : le queer comme capacité d’agir subversive
Je dis que je suis féministe, car c’est un besoin. Je pense que je suis féministe car je veux que l’on ait toutes et tous, nos droits de base, qui sont nos droits de disposer de nos corps. Et si nous revenons vers l’idée de départ de toute l’oppression envers les femmes, on y trouve le corps au milieu de cette raison d’oppression. Les hommes politiques, religieux et les business men, travaillent pour reproduire l’oppression. Dans ces nouvelles formes, si l’on prend soit le voilement, soit le dénudement, on trouve ces hommes là à l’origine de mettre les corps des femmes comme objet.
Mes parents appartiennent et croient à leur confession. Ils sont très simples. En fait, on n’avait pas une grande bibliothèque à la maison, je cherchais seule à comprendre et à m’informer. J’étais enfermée dans cet environnement, dans une école à coté de la maison, et avec des parents assez traditionalistes dans leurs discours.
Regarde même l’idée de la famille, elle est au fond, un produit capitaliste dans sa forme actuelle. Car la famille se fonde sur la consommation de base. C’est ainsi, que l’on se trouve avec la guerre contre les gays et les queers. Parce que ces derniers menacent cette forme de capitalisme familial. Je suis contre toute forme du mariage, et même les féministes qui n’ont pas de problème avec le mariage, je ne peux pas m’entendre avec elles. Car si je veux vraiment lutter contre la structure patriarcale il faut lutter contre la structure patriarcale capitaliste de la famille. C’est aussi pour cette raison que je suis contre le mariage des gays. Car ceux et celles qui veulent se marier, veulent se conformer pour moi avec la structure familiale capitaliste et patriarcale. Et si tu regardes bien au Liban, ceux qui sont pour le mariage des gays, sont issus des classes supérieures. Tout est lié.
Ce qui me rend furieuse, c’est que les premiers mouvements féministes n’ont pas parlé de la sexualité et droit de disposer de son corps. Ces féministes, et en prenant le contexte de respecter le contexte arabe, n’ont pas abordé ces problématiques. Ce qui pour moi une faute grave. Cela nous a conduit à une confrontation avec deux discours. Soit un discours trop populaire pour sensibiliser le plus du monde à la cause « des droits des femmes », soit un discours élitiste et capitaliste. Par conséquence, je ne m’y trouve pas ni dans l’un ni dans l’autre.
Si tu veux, plein de journalistes étrangers viennent au Liban, et surtout à Beyrouth. Ils vont dans les bars « chic » et dans les quartiers les plus riches, et ils écrivent de la liberté des libanais.e.s. Je ne comprends pas comment cette image brillante de notre société peut circuler, tout en sachant qu’ils n’ont pas été dans les quartiers où les codes d’usage du corps sont strictement appliqués. Ils ne vont pas à Sayda, ni dans al-dahiyyé, et ils se permettent de dire que les femmes libanaises se disposent de leurs corps. Être féministe pour moi, c’est de penser toutes les relations complexes qui existent dans ma société à travers mon féminisme. C’est de lier la cause féministe, avec la lutte des classe, et la lutte contre le paradigme politico-religiux. La discrimination faite contre les femmes s’inscrit dans la même lignée de la discrimination contre les gays, et les travailleurs et travailleuses étrangères.
Mes parents critiquaient souvent mon apparence physique. Ils n’ont jamais aimé ma coupe de cheveux et mes pantalons. La lutte avec eux, ce n’était pas tous les jours, mais toutes les secondes. Et je suis contente que j’ai tenu jusqu’au bout pour m’affirmer en tant que différente d’eux quand à mon rapport à mon corps, c’est mon corps et non pas le leur. Hier lors de la soirée que tu as assisté, (me parlant), c’était la première fois de ma vie à porter une robe. Et j’ai été vraiment étonnée de la réaction sexiste au sein d’une association LGBT. Par exemple, il y en a qui m’ont dit que je devrais toujours porter une robe, et d’autres qui m’ont approché différemment. Pourquoi je devrais toujours porter une robe ? Je leur ai répondu qu’ils sont homophobes.
Mes pratiques sexuelles changent avec ma pensée. En fait, avec l’évolution de ma pensée. C’est juste maintenant que je peux dire que mes pratiques sexuelles sont vraiment un choix. C’est mon choix de cumuler le plus du plaisir de mon corps.
Même dans cette association LGBT, je me pose la question, si un homme accepte de se faire prendre (elle a utilisé le mot se faire niquer), j’accepterais d’entreprendre un rapport sexuel avec lui. En revanche, celui qui met une barrière sur une zone précise de son corps, n’aurait en aucun moment l’occasion de me prendre par cette zone. Pour moi, il n’y a pas de libération ultime, mais je vis tous les jours un peu plus libre, dans ma tête et dans mon corps. Et surtout plus du plaisir dans ma vie de tous les jours, c’est pour cela que je te dis que je suis contre les féministes de tout ou du rien.
Oui je suis bizarre et hors norme, et fière de l’être. Je suis heureuse de ne pas me conformer au paradigme politique, religieux, social et capitaliste de la norme hétérosexuelle. Je suis queer anti-capitaliste et de la classe ouvrière.
Il semble qu’une de mes luttes les plus importantes, se trouve dans ma lutte pour avoir mon corps à moi. Entre les chirurgies esthétiques (je peux dire les chirurgies qui rendent les femmes moches) et les publicités qui exigent une minceur effrayante pour se croire belle, on s’éloigne de plus en plus de la lutte pour disposer de son corps. Les publicités sont non seulement provocantes mais aussi indécentes. Je te donne un exemple, on trouve une grande affiche sur l’autoroute, qui montre un homme qui tient une femme par ses cheveux, et sur son bras à lui, c’est écrit « est-ce que tu le regrettes ? », en fait, cette publicité est pour un magasin qui fait et défait des tatouages. Le message que cette publicité m’envoie, c’est que la violence de cet homme peut être effacée juste par le fait d’effacer son tatouage. Tu imagines comment ce message est horrible à voir. Et on parle encore de la liberté sexuelle des femmes libanaises. Je ne fais pas l’amalgame entre une femme qui se fait frapper pour qu’elle mette le voile, et celle qui fait de botox pour gonfler ses lèvres. Mais toutes les deux se croient si l’on parle de l’absence d’une disposition du corps à soi en tant que femme. Ici, on peut parler d’une oppression directe dans le cas de femmes qui sont obligées à mettre le voile, et d’une oppression indirecte dans le cas de femmes qui payent pour gonfler leurs lèvres. Je suis contre toute forme de relation monogame. Pour moi, les relations qui sacralisent la forme hétéropatriarcale, sont des relations contre ma pensée. En effet, elles ne peuvent pas dépasser le principe d’exclusivité et de possession. Si tu veux, je ne peux pas faire la séparation entre ma pensée et mes pratiques concernant mon corps.
Écoute, pour Joumana Hadad, qui prêche le féminisme et les droits des femmes d’avoir une sexualité libre, et qui prétend briser des tabous, elle fait cela dans un cercle trop fermé. Et regarde où est ce qu’elle fait ses conférences, dans des lieux bourgeois. Là, où des féministes, et des jeunes personnes cherchent à comprendre et d’être informés sur ces sujets, ne peuvent pas y accéder. Féministe libanaise
Dans ce récit, on trouve une illustration cruciale d’une expérience subjective du « vivre queer », en tant que lutte contre l’hétérosexualité comme normes sociales, mais aussi contre une politique capitaliste. De plus, ce qui m’intéresse en particulier dans ce récit c’est le fait que cette féministe n’appartient pas à une classe supérieure. À contrario, elle s’identifie elle-même en tant que queer de la classe ouvrière. C’est ainsi que mon analyse démontre la particularité du contexte libanais. D’un côté les féministes queerisent les pratiques de liberté dans leur contexte. Ceci confirme mon hypothèse des expériences de subjectivation féministe comme pratiques de liberté. Elles en viennent même par ces pratiques, à critiquer l’inertie des premières féministes libanaises, et à revendiquer le droit de disposer son corps. De l’autre côté, devenir féministe au Liban n’est pas un luxe exclusif aux femmes-féministes issues la classe supérieure. Aussi, le queer comme pratique, n’est plus exclusif à des personnes appartenant aux classes supérieures.
Du queer dans les pratiques de liberté : internet comme nouvelle zone du queer arabe
Il s’agit dans cette deuxième partie de montrer d’autres figures qui queerisent le corps dans les sociétés arabes. Celles-ci s’inscrivent dans une logique d’action qui prend l’internet comme dispositif et qui permet de critiquer, requalifier et s’identifier autrement que par des représentations collectives. Ici, l’importance de ces pratiques dans les médiacultures, débute avec les indignations dans les sociétés arabes. En revanche, et par l’étude des récits féministes depuis 2008, il convient de penser ces pratiques en tant que dispositifs existants avant le début des indignations.
« J’ai crée un blog pour parler de l’histoire des boites. La première arrive à l’arrivée sur cette terre, c’est la boite génitale, tu es fille ou garçon. La deuxième, tu as des cheveux longs, donc tu es forcement une fille, donc il faudrait apprendre à mettre des talons et des jupes etc. La troisième, il faut se marier et faire des enfants. Et dans ces boites il y a encore des boites, dans la boite du mariage il y a la boite de la virginité. Et après toute cette mise en boite, je m’étouffe. Donc, j’ai décidé d’exister en dehors de ces boîtes ». Maya, 26, Féministe libanaise.
Cette féministe a crée son blog en 2009, dans lequel elle partageait des idées, des anecdotes et des constats quotidiens de la vie libanaise. Dans la phrase que je souligne il me semble logique d’analyser le refus de l’histoire des cases et la volonté et l’envie de vivre en dehors des ces boîtes, en tant que pratique de liberté. En effet, c’en est une dans un espace ouvert, celui de l’internet. La critique des cases, elle-même, est une pratique queer.
D’autres exemples nous sont offerts pour parler de pratiques de liberté numériques. Il me semble pertinent de mettre en exergue quelques uns qui sont en lien avec les discours des féministes arabes. Par exemple, la revue en ligne « Behsoos ». Cette revue queer et arabe contient des éléments de subversion intéressants. Sur le sujet de la virginité, pour n’en prendre qu’un parmi d’autres, une définition nouvelle y apparaît :
« Selon le dictionnaire de notre contexte. Al-bakara ; al- ‘othra chez une fille ; l’hymen. Al-‘othra signifie la fabrication d’une fille des excuses, dans cette société moisie pour pratiquer son droit naturel de pratiquer sa sexualité sans excuses. En effet, elle dirait qu’elle est follement amoureuse de cet homme et que certainement ils vont se marier. C’est aussi, quand une fille fabrique des excuses au près de ses parents pour qu’ils la laissent sortir pour qu’elle perdre sa virginité cette nuit même. al-‘othra veut dire aussi de refuser d’avancer des excuses de la par d’une fille pour qu’elle puisse pratiquer sa sexualité comme elle le veut.
En revanche, l’hymen signifie que c’est un ahbal, qui croit pouvoir connaître le passé d’une fille et son « innocence » par l’ouverture ou la fermeture de l’hymen. Bref, tout cela pour dire que la fille peut prendre l’homme hanté par l’hymen comme un imbécile. En fait elle peut faire refaire son hymen. C’est ainsi qu’elle récupère sa virginité. Une virginité nouvelle et fraiche. Et l’imbécile va croire et va se reposer avec son patriarcat » .
Pour bien comprendre la critique faite dans cet écrit, une traduction des mots soulignés est indispensable. En fait le mot al-bakara veut dire en arabe, vierge. Être une bikir, signifie d’être une personne sans pratique sexuelle. Aussi, cela signifie l’aîné.e. de la famille. Ensuite, quand cette personne déploie le mot « ‘othra », elle joue avec ce mot. En fait, la racine en arabe de mot virginité, ‘othriyya, et le mot excuse i’tithar, se ressemble. C’est ainsi qu’elle fait un rapprochement entre la virginité et les excuses qu’elles doivent se faire pour excuser tout ce qui dans l’ordre d’une pratique sexuelle. Le mot ahbal est souvent déployé pour qualifier quelqu’un d’imbécile.
Dans cette optique, il semble que l’outil numérique n’est pas seulement un espace sans contrôle dans lequel les personnes s’expriment librement, mais aussi un espace par lequel des critiques, des positionnements et des idées circulent, qui s’approchent des critiques queers. Toutefois, il est important de souligner une idée évoquée dans cet écrit : refaire une virginité n’est pas seulement une pratique répandue mais aussi une pratique pensée comme une manipulation. Car la personne qui croit qu’une fille est vierge juste par un saignement lors du rapport sexuel, est pris comme un « imbécile ».
Cette définition, qui sort du « normal social » à propos de la virginité, est elle-même aussi, une queerisation. D’ailleurs, dans les pratiques qui queerisent le corps, il me semble judicieux de passer aussi par les tentatives de redéfinitions dans la langue arabe. Et justement, par cette redéfinition de la virginité, qui est plutôt une critique cynique, ce magazine queer arabe, arrive à déranger une norme patriarcale.
La pratique de blogs est une pratique que l’on place dans une optique « glocalisée » d’une stratégie d’action de la prise de parole isolée. Toutefois, il est intéressant de voir comment dans cette prise de parole sur internet, les problématiques qui concernent la liberté des individus, n’est pas juste une problématique qui hante les féministes mais aussi d’autres personnes et surtout des hommes. Ces derniers font des blogs et parlent de l’absence de cette liberté dans leurs contextes. Ce faisant, ils ne critiquent pas seulement cette absence, mais ils en donnent des réflexions pour comprendre comment leurs contextes ne leurs donnent pas cette liberté d’individu comme droit d’être humain. Ce qui est aussi captivant, s’articule entre la prise de parole sur internet et le moment de publier sur internet. Ici, on ne peut appréhender cette multiplicité des pratiques de prise de parole qu’en tant de résistance incessante contre les obstacles qui entravent non seulement les individus, mais aussi leurs réflexions.
Pour donner un exemple de cette prise de parole glocalisée, il convient d’évoquer ce que Fadi Zaghmout a fait de son blog. Il déploie cet outil universel pour en parler de ces pratiques de souci de soi. En effet, Fadi Zaghmout, repense la fonction de la circoncision dans son blog le 23.mai.2006.
« Finalement, j’ai regardé entre mes jambes, c’est ainsi que les mots de Dr. Nawal al-Sa’dawi, que j’ai entendu il y a quelques jours, m’ont revenus à l’esprit. La circoncision n’est pas nécessaire. Ils n’avaient pas besoin de me circoncire. J’ai soudainement réalisé qu’une part de la production de la nature est absente. N’est pas entier. Une part de ma flèche a été coupée quand j’étais enfant, sans me le demander. Personne n’a pris mon avis. Je me suis senti trahit. Je veux la part manquante de ma flèche. Je veux la version complète de l’oeuvre de la nature. Quelques fois, tu es amené à prendre en compte des faits de la vie que tu n’as jamais pensé. Je savais que j’étais circoncit, mais je n’ai jamais pensé que cela veut dire que je suis avec un corps altéré de sa version naturelle du départ ».
À travers cet exemple, on soulignera la prise de parole dans la subjectivation masculine, comme un acte de critique d’une pratique soit disant sociale et traditionnelle. Ainsi, la construction du soi, est appréhendée dans une optique des pratiques de liberté, par le souci de soi. En effet, cette personne qui se dit homme, se souci de lui-même, dans la perspective de se maîtriser. Par la lecture de ce passage, soulignons les mots qui ont été déployé, dans l’optique du souci de soi. Dans cette critique de la circoncision, il semble que le fait que l’on ne lui demande pas son avis, ou de ne pas lui demander que l’on pratique la circoncision sur son corps est problématique. En fait, il ne fait pas seulement une critique de cette pratique, mais aussi une critique « de la matrice » de cette pratique. Ne pas lui demander son avis, semble envoyer à l’idée de chosification de la personne. En outre, non seulement on lui a coupé une part de sa flèche, comme il le dit, mais aussi, ils ont falsifié son corps.
Cette personne a continué et continue encore à pratiquer la prise de parole sur internet. Il a nommé son blog « The Arab observer ». Il a publié récemment un roman qui s’intitule de « ʼaroos Amman », qui veut dire la mariée d’Amman. Fadi dit avoir écrit ce roman du point de vue féministe. « Quand j’ai écrit ce livre, je voulais être une réelle réflexion de l’état de la société qui m’entoure. Ce, en mettant l’accent sur les problématiques par une perspective féministe »..
Dans ce roman Fadi traite de quatre cas de figures dans la société jordanienne. En fait, pour lui, ces cas de figures illustrent l’obsession sociétale du mariage. Le premier cas discute de la condition d’une fille qui ne s’est pas mariée, et qui est arrivée à certain âge auquel ses chances de mariage diminuent. Le deuxième parle d’une fille qui a subit le viol par son père pendant des années. Elle ne peut pas se marier sachant qu’elle n’est plus vierge. Le troisième met en lumière la problématique du mariage inter-religieux dans la société jordanienne. En effet, c’est le cas d’une fille chrétienne qui tombe amoureuse d’un musulman. Enfin, le quatrième cas discute de la condition de l’homosexualité en Jordanie. Ou comment, par le refus de la société, les homosexuel.les se plient des fois à cette obsession du mariage. En effet, ils /elles essayent de rentrer dans le cadre du mariage, afin de se faire une sorte d’intégration.
Par les déboitements faits au cours de ce roman, l’écrivain critique aussi le paradigme d’honneur. Et par cette critique, il suggère de nouvelles façons pour réinterroger le concept d’honneur lui-même et la mentalité d’honneur, qui se reproduit par l’acte de tuer une personne au nom de l’honneur. Ce qui est encore plus intéressant dans son travail se trouve dans la coopération qui a été faite avec un autre groupe de personnes qui ont crée une page sur internet, pour dénoncer les crimes d’honneur. Cette page s’appelle « Il n’y a pas d’honneur dans les crimes d’honneur ».
Dans ce roman, Fadi redéfinit l’honneur. « L’honneur est vulnérable. Il est cassable. Toutefois, il est souple, il se module comme une pâte. Le mâle le tire comme il veut, comme un outil pour faciliter le contrôle sur les femelles. Par cet honneur le mâle impose le code vestimentaire, le code de la démarche et les horaires de sortie. Ainsi, ils imposent les choix des amitiés masculine te féminine ».
D’ailleurs, les formes de prise de parole par des dispositifs de médiacultures, sont sans cesse en lien avec des autres pratiques de liberté et de prise de parole dans les trois contextes. C’est par cet espace de prise de parole que l’on arrive à comprendre toutes les transformations dans les trois sociétés arabes. On y trouve aussi un magazine gay en Jordanie. Cette pratique ne pouvait pas être envisageable sans une capacité d’agir subversive.
Une autre figure est importante pour appréhender les pratiques masculines qui queerisent le corps Kareem Amer, est un blogueur depuis 2004. Sur son blog on y trouve une présentation de lui-même. Dans cette présentation il est captivant de penser ses paroles, et sa prise de parole par son blog, comme une pratique de liberté.
« je suis un être humain, peut-être un peu différent. Parce que je n’accepte pas les valeurs superficielles. Je refuse la transformation des personnes en troupeaux qui se suivent sans avoir un objectif. Mon objectif est de déconstruire et ensuite de reconstruire ma société. La liberté est la valeur la plus sacrée. Elle l’est plus que les valeurs religieuses et les mythes divins. Je ne sacralise dans cette vie que l’être humain… L’écriture est ma passion. Elle n’a pas de limite. L’écriture est mon outil de créer mon monde, que je ne permets à personne d’envahir. Je n’écris pas pour que l’on me lise, j’écris pour affirmer mon existence».
Il me semble que cette figure soit importante quand nous revenons vers la trajectoire de Kareem. Il a suivi ses études dans l’Université d’al-Azhar, qui est la plus grande institution religieuse musulmane en Égypte. Kareem a été emprisonné de 2007 jusqu’à 2010. Le motif de cet emprisonnement ? Son blog Il a été suivi par al-Azhar, pour une diffamation contre l’islam. De plus, il avait aussi critiqué le régime de Moubarak. Kareem a écrit en 2006 sur son blog :
« Je suis libéral. Je crois en la liberté absolue pour toute personne, individu. Je crois que l’individu est le dieu de lui-même. Personne n’a le doit de lui imposer quel qu’il soit. Je suis laïque et je pense que c’est une nécessité de séparer rentre les croyances et la vie publique. Je ne suis pas contre les croyants, tant que leurs croyances à leur dieu, restent une affaire de l’ordre du privé. Je refuse tous les régimes corrompus et oppresseurs comme je peux. Notamment, le régime corrompu en Égypte. Ce dernier est devenu un idéal d’oppression et de corruption ».
Ce qui est captivant dans l’expérience de subjectivation masculine, comme je l’ai évoqué dans le cas de Fadi, se concrétise par une prise de parole qui s’est déplacée, du cadre isolé au cadre collectif. Conjointement, ces deux hommes ont fait ce que les féministes rencontrées font. Un travail qui relève d’un processus de subjectivation afin de se construire en tant que personne se plaçant hors du cadre patriarcal. Ce faisant, ils le déconstruisent, et par conséquent, ils le reconstruisent en le dérangeant.
Fadi a coopéré avec la campagne de « Il n’ y a pas d’honneur dans les crimes d’honneur », Kareem a composé avec sa copine des écrits sur leur blogs respectifs. Ce qui est essentiel dans la figure de sa copine, se trouve dans l’acte performatif de cette jeune fille. En fait, elle est Alia Al-madhi https://www.facebook.com/aliaaelmahdy. Celle que son acte de diffuser ses photos nues sur son blog a suscité beaucoup de réactions. D’ailleurs, cette figure n’a que 21 ans. Kareem a 28 ans. Ils étaient tous les deux dans le mouvement culturel égyptien revendiquant à voix haute la liberté. Elle a trois blogs sur internet.
L’acte de poser nue est certainement très important. En revanche, ce qui est encore plus important se trouve dans les réactions queers qui ont suivi l’acte de poser nue. En fait, cette jeune fille avait publié ses photos sur son blog avec un appel aux hommes de se voiler. Pour elle, si les hommes se voilaient, ils briseraient la limite qui consistait à penser le voile comme un marquer de distinction entre les corps des hommes et des femmes. Par conséquent, le voile ne serait plus un signe de soumission des femmes aux hommes.
Un autre élément quant à ces pratiques queers se trouve dans une sorte de queeriser du corps dans des pratiques transnationales. En effet, les images de ces deux hommes voilés suite à l’appel d’Alia al-Mahdi se croisent avec l’événement survenu à l’université libre de Bruxelles, lors d’un débat sur l’extreme droite en Europe, en présence de la journaliste française qui se dit féministe, Caroline Fourest. En effet, Souhail Chicha, économiste et chercheur à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), foulard sur la tête, descend à la tribune et prend la parole : « Nous disons à cette Université que Bruxelles ne veut pas de la musulmanophobie. » désignant ainsi la journaliste et par la même sa position sur le voile qu’elle considère comme un outil d’oppression sur les femmes par les hommes.
Conclusion : Queeriser le corps : dépasser les frontières
Au delà des pratiques de liberté qui tentent à queeriser le corps dans les trois sociétés arabes, que j’ai traité tout au long de cet article, il me semble inévitable de penser le processus de queerisation, en tant que technologie de genre internationale. Certes, on a vu comment une particularité des pratiques queers peut être appréhendée dans les sociétés arabes, qu’elle soit traduite par des critiques véhémentes contre le paradigme « d’honneur » et de la virginité comme normes fixes et figées. En revanche, celle-ci n’empêche pas l’importance d’un processus de queerisation qui s’étend à travers les pays, les contextes, les personnes et mêmes les critiques queers. En effet, s’il y a une chose qui ressemblerait au genre dans sa construction et sa déconstruction, elle serait la queerisation.
Il me semble même légitime de penser que le queer, en tant que non-catégorie et non-identité, pourrait être la seule zone sans frontières. Celle-ci, vient à rassembler toute personne se disant en identification avec une pratique, ou des pratiques queers. Le queer briserait le paradigme de penser le monde en tant que supérieur et inférieur. Peut-on penser la fin de la pensée culturaliste occidentaliste et orientaliste par la queerisation transversale du corps ?
Bibliographie :
Michel FOUCAULT, L’histoire de la sexualité Volume 2. L’usage des plaisirs, Édition Gallimard, Paris. 1984.
Michel FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume1. La volonté du savoir, Édition Gallimard, Paris. 1984.
Michel FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume3. Le souci du soi, Édition Gallimard, Paris. 1984.
Michel FOUCAULT, « Leçon du 7 novembre 1973 », in Le Pouvoir psychiatrique, cours au Collège de France 1973-74, Paris, Gallimard-Le Seuil (coll « Hautes études »), 2003
Michel FOUCAULT Dits et Ecrits 1954-1988, tome4, sous la direction de Daniel Defert et François Ewald. Editions Gallimard, Paris, 1994.
Michel FOUCAULT, Dits et écrits, volume 2, 1976-1988, Gallimard, coll. « Quarto », Paris, 2001.
Eve Kosofsky Sedgwick : « How to Bring Your Kids Up Gay, » (Tendencies, Duke UP, 1993).
Liens internet :
http://www.bekhsoos.com/web/2010/10/clitoris « Magazine queer arabe »
http://thearabobserver.wordpress.com/2006/05/ “The Arab Observer”
https://www.facebook.com/aliaaelmahdy “Page facebook d’Alia al-Mahdy”
http://diaryofarebel.blogspot.fr/ « Blog d’Alia al-Mahdy : Journal intime d’une rebelle »
Notes
D’où le provoquant titre d’Eve Kosofsky Sedgwick : « How to Bring Your Kids Up Gay, » (Tendencies, Duke UP, 1993)
Braidotti Rosi, « Les sujets nomades féministes comme figure des multitudes », Multitudes, 2003/2 no 12, p. 27-38.
Gilles Deleuze, « Sur la philosophie », Pourparlers, Minuit, 1990, p. 206
Michel FOUCAULT, L’histoire de la sexualité Volume 2. L’usage des plaisirs, Édition Gallimard, Paris. 1984.
Michel FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume1. La volonté du savoir, Édition Gallimard, Paris. 1984.
Michel FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume3. Le souci du soi, Édition Gallimard, Paris. 1984.
Michel FOUCAULT, « Leçon du 7 novembre 1973 », in Le Pouvoir psychiatrique, cours au Collège de France 1973-74, Paris, Gallimard-Le Seuil (coll « Hautes études »), 2003
Michel , FOUCAULT Dits et Ecrits 1954-1988, tome 4, sous la direction de Daniel Defert et François Ewald. Editions Gallimard, Paris, 1994.
Michel FOUCAULT, Dits et écrits, volume 2, 1976-1988, Gallimard, coll. « Quarto », Paris, 2001.
Howard S.BECKER, Outsiders, Traduit de l’américain par J.-P. Briand et J.-M Chapoulie, Paris, Editions .M Métailié, 1985. p.48.
Date de publication : 1 mai 2012.