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Étiquette : Tom Reucher

Transidentité et classification

Tom Reucher
Psychologue clinicien, trans FtM

TRANSIDENTITE ET CLASSIFICATION

Résumé: La classification des maladies a toujours des effets néfastes pour les personnes concernées en particulier en ce qui concerne les maladies mentales et les perversions (chapitre 5 de la CIM et DSM). La pathologisation d’une identité comme la transidentité reste à interroger. Que se passerait-il si les transidentités étaient dépathologisées sans pour autant être démédicalisées afin de maintenir une prise en charge par les assurances maladie ?

Abstract: Classification of diseases has always harmful effects for people concerned especially when regarding mental illnesses and perversions (chapter 5 of the ICD and DSM). The pathologization of an identity such as transidentity remains to be questioned. What would happen if transidentities were depathologized without being demedicalized in order to maintain some caring by health insurances?

Mots clés: transidentité, transsexualisme, identité de genre, stigmatisation, transphobie, classification, maladie mentale.

Key words: transidentity, transsexualism, gender identity, stigmatization, transphobia, classification, mental disease.

Invention du transsexualisme

Si la première description médicale française remonte à Esquirol (1838), le transsexualisme est une invention médicale qui commence réellement dans les années 1950[1] en Occident. De tout temps, il y a eu des personnes pour vivre dans un genre différent de celui que leur désignait leur anatomie: Deux esprits (Amérindiens), Mahu (Polynésie traditionnelle[2]) ou Rae rae (Polynésie occidentalisée[3]), Xanith (Oman), Fa’a’fa fine (Iles Samoa), Fakaféfine (Iles Tonga), Hijra (Inde), Katoey (Thaïlande), Waria (Indonésie), Burrneshë[4] (Albanie), etc. En Europe, les historiens ont également trouvé des personnes ayant vécu une partie de leur vie ou sa totalité dans l’autre sexe, quelques-unes ayant même contracté mariage. Certaines de ces vies sont révélées par des procès dont les archives judiciaires gardent trace[5]. Des personnes plus connues ont laissé des témoignages[6].

Les termes

Je préfère parler de transidentité[7] plutôt de que transsexualisme car cela tient compte des identités multiples liées aux questions de genre. Créés en période des premières grandes études de la sexualité humaine[8], les termes “transsexualisme”, “transsexualité”, “transsexuel” en prenant comme modèle homosexualité et hétérosexualité, renvoient à une question de sexualité. Ces termes sont issus d’une confusion entre l’attirance amoureuse et sexuelle et l’identité de genre qui à l’époque étaient amalgamées. Si elles sont en articulation, l’une n’est pas la conséquence de l’autre. Du point de vue de l’attirance amoureuse et sexuelle, les trans’ peuvent être hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, asexuels… Les pratiques présentent autant de variétés, tout en ayant quelques spécificités [Reucher, 2000]. Transidentité, donc, au sens des identités trans’, qu’elles soient transsexes (plutôt que “transsexuelles”) ou transgenres. Le terme “transsexe” est construit sur le modèle “transgenre”. On peut dire: les “personnes trans’” ou “les trans’” (avec une apostrophe) quand il s’agit de parler des “personnes transsexes et transgenres”. Contrairement à l’usage médical qui utilise les éléments de leur état civil de naissance pour les désigner, les décrire et même parfois leur parler, je tiens compte de leur identité de genre, je m’adresse à eux dans le genre qui leur convient, il en est de même dans mes écrits. Ce n’est pas délirer avec eux comme le pensent certains psys [Millot, 1983; Mercader, 1994; Czermak et all 1996a[9], 1996b; Chiland 1997]. Pour moi, il s’agit du respect minimum afin de pouvoir travailler efficacement avec des personnes trans’ [Reucher, 2002, 2005]. Cela ne coûte rien aux praticiens de procéder de la sorte. Je considère que les personnes hostiles à la question transidentitaire ont le devoir de s’abstenir de prendre en charge ce type de patients. C’est comme pour la contraception et l’IVG: celles-ci sont une liberté pour les femmes qui en ont besoin, pas une obligation pour celles qui ne le souhaitent pas. Les professionnels de santé qui y sont hostiles peuvent tout à fait se passer de travailler sur ces sujets.

Les questions liées au sexe et à la sexualité avivent de forts mouvements pulsionnels et passionnels. Les projections des fantasmes sexuels sont fréquentes et obèrent le raisonnement. En quoi la rectification d’un nez est-elle plus acceptable que celle d’un sexe? Certes la chirurgie rend stérile mais l’humanité n’est pas en manque de procréateurs. Personne n’est obligé d’en passer par là, seules les personnes qui y voient un intérêt en font la demande. De même, un traitement hormonal substitutif n’est pas irréversible avant plusieurs mois. C’est dans la durée qu’il est efficace et, si l’état de santé le permet, c’est un test bien plus efficace que n’importe quelle évaluation psychologique ou psychiatrique et qui plus est bien moins coûteux.

Offre médicale: traitements hormonaux et chirurgies

Quand les progrès de la médecine ont permis la transformation des corps au début du xxe siècle, les trans’ les ont naturellement utilisés (hormones, chirurgie). Avant les années 1960 [Foerster, 2006], les personnes trans’ se procuraient leurs hormones à la pharmacie ou elles étaient en vente libre. Elles ne consultaient pas de psychiatre. La transidentité n’était pas reconnue par la sécurité sociale et les trans’ finançaient toute leur transition. Les personnes qui en avaient les moyens pouvaient se faire opérer quand
c’était possible. On faisait la queue chez le chirurgien George Burou, l’inventeur de la vaginoplastie, qui exerçait à Casablanca au Maroc.

En Occident, c’est à partir des années 1960 que les psys ont pris en mains les parcours transidentitaires pour un contrôle des transitions en échange d’une prise en charge médicale: mise en place d’équipes médicales (Cliniques de genre), création de protocoles, inclusion du transsexualisme dans les manuels de psychiatrie (DSM, chapitre 5 de la CIM) [APA 1994, OMS 1993a].

Trop heureux de trouver des solutions techniques accessibles, les trans’ ont répété les histoires de vie des premières biographies pour obtenir leurs soins. Les discours étaient stéréotypés. Il faudra la fin des années 1990 pour voir une évolution. Les médecins ont tiré leurs descriptions cliniques de ces premiers patients, ce qui leur a permis de se conforter dans la justesse de leurs arguments et de maintenir une position dominante.

Les équipes médicales hospitalières tentent d’avoir un monopole

En France, les équipes médicales hospitalières ont commencé leurs activités à la fin des années 1970. Copiant le système étasunien des Cliniques de genre, les médecins hospitaliers qui s’intéressaient au sujet se sont constitués en équipes médicales. Comme elles étaient dans l’incapacité de faire face au nombre des demandes, elles ont élaboré des critères restrictifs pour limiter la quantité de personnes pouvant avoir accès aux traitements qu’elles proposaient. Ainsi, depuis le début, seules 20% de personnes concernées sont traitées par ces équipes (en moyenne 10 opérations génitales par chirurgien et par an). Dans les années 1980, elles étaient les seules à s’occuper du transsexualisme en France, mais elles ont perdu ce monopole de fait au milieu des années 1990 à cause de leurs restrictions. En 1989, avec la complicité de l’Etat qui ne veut toujours pas légiférer sur ces questions, via une lettre ministérielle, elles ont tenté d’imposer un protocole[10] qui n’a aucune base légale [Cordier et all, 2001], qui est inadapté aux trans’ et qui les infantilise. L’autre problème principal est qu’elles cherchent depuis le début par tous les moyens[11] à retrouver ce monopole perdu, ce malgré l’impossibilité matérielle, évoquée plus haut, de répondre à la demande. Depuis 2010, elles se sont regroupées en association: la Sofect (Société Française d’Etudes et de prise en Charge du Transsexualisme).

En France, il n’y a actuellement aucune loi qui régit la prise ne charge des personnes transidentitaires. Seule l’Affection Longue Durée (ALD) a été adaptée en 2010. En novembre 2009, la Haute Autorité de Santé (HAS) a proposé, à l’image de ce qui existe pour certaines maladies rares, la définition d’un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) afin d’améliorer la prise en charge médicale des patients et de l’homogénéiser sur l’ensemble du territoire. La HAS a également suggéré la création de centres de référence sur le transsexualisme, afin de pallier l’insuffisance de l’offre en France [HAS, 2009]. Pour l’instant rien n’a été validé. Un groupe de travail avec la Direction Générale de l’Organisation des Soins (DGOS), auquel j’ai participé, a été organisé en 2010 mais seulement 2 réunions ont eu lieu. Ce groupe de travail a été interrompu avec le changement du ministre de la Santé[12]. Le nouveau ministre a demandé une enquête à l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) qui a remis son rapport fin 2011. Ce n’est qu’après les élections présidentielles qu’il a été rendu public.

Par ailleurs, certaines administrations présentent encore la fameuse lettre ministérielle de 1989 accompagné de son protocole [Cordier et all, 2001] comme la règle de prise en charge de la transidentité, mais les lettres ministérielles sont dépourvues de caractère réglementaire. Cette lettre ministérielle et ce protocole ne sont donc légalement pas opposables à qui que ce soit[13]. Dès lors, rien n’interdit à un médecin de prescrire un traitement hormonal pour venir en aide à un patient transidentitaire, y compris pour un mineur avec l’accord des parents. Si l’ALD n’a pas été encore obtenue, la prescription peut être faite hors Autorisation de Mise sur le Marché (AMM).

Les trans’ contournent les protocoles inadaptés

Les trans ont dû s’organiser pour trouver des solutions. Dans les années 1990, ils se sont regroupés dans des associations, ils ont trouvé des alliés en s’adressant à d’autres médecins. Des réseaux alternatifs se sont créés, permettant une prise en charge des trans’ non considérés par les équipes médicales hospitalières. Qu’ils ne correspondent pas aux critères des protocoles Sofect, qu’ils en soient rejetés ou qu’ils ne souhaitent pas ce type de prise en charge, ces 80% de trans’ construisent individuellement leur parcours de transition en choisissant leurs médecins, leur rythme et le recours ou non à la chirurgie. N’ayant pas accès à la chirurgie en France, ceux qui la souhaitent doivent s’adresser à l’étranger.

Problématique de la transidentité

La transidentité n’est pas une maladie mentale. Plutôt que de «dysphorie de genre» ou «trouble de l’identité de genre» ou pire «trouble de l’identité sexuelle», il est plus approprié de parler de «variation de l’identité de genre» ou d’«identité de genre atypique»: le sexe biologique de la personne concernée ne correspond pas au genre auquel elle s’identifie. La transidentité n’est pas une pathologie au sens propre mais elle nécessite des soins médicaux, tout comme la grossesse, la contraception, l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’assistance médicale à la procréation (AMP), l’obésité.

Ce n’est pas une dysphorie de genre, c’est le fait que l’identité de genre ne soit pas en concordance avec le sexe anatomique qui occasionne la souffrance. C’est aussi le résultat d’une mauvaise acceptation par notre société qui est trop binaire: deux sexes, deux genres, deux attirances amoureuses et sexuelles…; société hétérocentrée, hétéronormative, patriarcale et sexiste, ce qui entraîne des discrimination sur le sexe, le genre et la sexualité (sexisme, homophobie, transphobie). La majorité hétéro s’est attribuée un statut “normatif” alors qu’elle n’est que majoritaire. Les minorités ne sont pas anormales, elles sont juste minoritaires. Toute l’éducation repose sur les stéréotypes de la majorité qu’elle intègre dans ses formes de transmission comme étant des “normes”, d’où une forte contrainte à la “normalité”! C’est pourquoi les minorités vivent mal d’être marginalisées et considérées comme “anormales”. Le rejet par la société d’une personne parce qu’elle n’est pas dans la “norme” crée chez celle-ci le sentiment d’une honte de soi. En quoi les minorités sont-elles une menace pour la majorité ?

On ne choisit pas d’être trans’, pas plus que d’être homosexuel ou gaucher. On a tendance à oublier que ce sont d’abord des enfants qui ont ce problème identitaire. A force d’être rejetés et discriminés parce qu’ils sont différents, les trans’ ont souvent une mauvaise image d’eux-mêmes. Ils ont intégré le fait d’être une mauvaise personne dès l’enfance. C’est la transphobie intériorisée. Les conséquences de la stigmatisation influent sur l’équilibre psychologique des personnes concernées. S’il y a besoin d’une aide psychologique, elle concerne les conséquences de la discrimination subie à cause d’une identité de genre atypique. Je ne note pas ces difficultés d’estime de soi chez les personnes dont la culture permet cette variation de l’identité de genre.

Conséquences de la psychiatrisation et la pathologisation

En France, de nombreux écrits commis par des psys[14], qui se sont érigés en experts de la transidentité, —bien que certains d’entre eux n’en aient jamais rencontré—, ont causé beaucoup de tort aux trans’. Ces psys ont un problème avec leur contre transfert et leurs écrits découlent de leur frayeur, d’une méconnaissance des différents processus de transidentité et de théories hétérocentrées érigées en “normes” au mépris des droits humains. Ces écrits montrent également une incapacité à apprendre des patients. Les positions en sont plus dogmatiques que cliniciennes ou scientifiques [Reucher, 2002, 2005]. Le maintien d’une étiquette psychopathologique confortera ces écrivains dans leurs positions et continuera de générer des conséquences sociales et politiques pour les personnes trans’, tels que leur rejet par la famille, l’entourage professionnel ou social et par la société en général, le refus des Etats à prendre des dispositions favorables en faveur des trans’ concernant les changements d’état civil, les documents administratifs et d’identité.

L’un des autres effets délétères concerne les divorces, l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement des enfants. De nombreux trans’ voient leurs droits parentaux restreints voir supprimés lors de divorces conflictuels du fait d’expertises psys, reposant sur des théories obsolètes et non questionnées, affirmant que les parents trans’ représentent un danger pour le développement des enfants. Il existe pourtant de nombreux exemples où la séparation se fait en bonne intelligence et où les enfants, qui ne souffrent pas des conflits parentaux, continuent de voir leurs deux parents avec plaisir. D’autres exemples positifs se trouvent parmi les couples qui ne se séparent pas car le lien amoureux est toujours présent. Un dernier cas de figure est celui où une personne trans’ rencontre une personne ayant des enfants et qu’ils se mettent en couple formant ainsi une famille recomposée. Là encore les exemples positifs ne sont pas rares.

Conséquences d’une prise en charge inadaptée

La non prise en charge ou la prise en charge dans de mauvaises conditions entraîne des conséquences similaires à celles de l’IVG avant sa légalisation, des problèmes de santé publique telles que:

–   procuration des hormones en dehors du circuit sécurisé des pharmacies (internet, marché noir, etc.);

–   opérations hors de France, rarement prises en charge, et parfois effectuées dans des officines peu regardantes, certaines de très bonne qualité, d’autres non;

–   prostitution pour se payer des chirurgies;

–   comportement à risque par désespoir: rapports sexuels non protégés, conduite automobile dangereuse, sports extrêmes, prise de toxiques pour oublier (alcool, stupéfiants, etc.), travail excessif pour ne pas penser, etc.;

–   dépression, anxiété, retrait social, etc.;

–   automutilation, suicide;

–   déscolarisation des jeunes à 16 ans. Ils n’assument pas l’apparence sexuée que la puberté donne à leur corps. Ce sont les plus fragilisés par cette identité de genre atypique qui sont les plus pénalisés par l’absence de prise en charge adaptée.

Quels sont les coûts générés pour la société par cette mauvaise prise en charge des transidentités? Il serait intéressant de les mesurer. La plupart des trans’ ont songé au suicide au moins une fois dans leur vie. Une bonne partie a fait une tentative, dont certains en gardent des séquelles. Nous ne savons pas combien de suicides réussis sont dus à la transidentité ni combien de morts par des conduites à risques en découlent.

Toute offre de soins inadaptée ne pourra qu’entraîner un contournement du dispositif par la population concernée. Seul le libre choix de ses médecins, un parcours “à la carte”, la suppression de “l’autorisation psy” [Reucher, 2011a] pour les hormones ou la chirurgie, des offres chirurgicales qui prennent en compte les meilleures techniques au monde (ou leur remboursement si effectuées hors de France), l’accès aux traitements des moins de 18 ans et la prise en compte dès l’enfance [Reucher, 2011b] permettront de sécuriser les parcours de soins.

Des professionnels de santé disent qu’ils ne veulent pas donner des traitements hormonaux au mineurs ni bloquer la puberté (avant 16 ans) car ils ne savent pas les conséquences à long terme sur leur état de santé. On donne des traitements neurochimiques à des enfants parce qu’ils sont trop agités[15] sans que l’on se préoccupe des conséquences à long terme sur leur cerveau. Le problème est pourtant bien similaire. Certes, les antigonadotropes ont des effets secondaires non négligeables mais on les donne à des enfants pour bloquer une puberté précoce sans que des problèmes soient notés sur leur développement neurologique. Ce qui est possible dans ce cas devrait l’être pour les trans’ après une information honnête sur ce que l’on sait de ces traitements afin de leur permettre un choix éclairé. Depuis les années 1990, plusieurs pays permettent cette démarche: USA, Canada, Royaume Uni, Pays Bas, Allemagne, Australie… Pourquoi ne pas le faire aussi en France?

Proposition d’un parcours de soins

Déclassifier la transidentité de la liste des maladies mentales ou dépathologiser ne veut pas dire démédicaliser. Les trans’ ont besoin de soins (hormones, épilation définitive, chirurgie, etc.), d’accompagnement psychologique…, cela ne veut pas dire qu’ils ont une maladie mentale ou une maladie physique. Par ailleurs, il est plus facile de faire un travail psychologique avec une personne quand elle n’est pas contrainte à consulter. Tout comme moi [Reucher, 2005], Françoise Sironi, maître de conférences en psychologie clinique à l’université Paris-VIII, expert près la Cours d’appel de Paris et la Cour pénale internationale, fait le même constat de la nécessaire dépsychiatrisation et de la possibilité d’un travail psychologique avec les personnes transidentitaires dès lors que le psy n’a pas une pratique de maltraitance par des théories inadéquates: «Ces symptômes sont, à tort, attribués à une prétendue “psychopathologie des sujets transsexuels”, et non à l’impact des cliniciens sur leurs patients.» [Sironi, 2011, p. 33].

Il me semble utile de s’inspirer des processus similaires qui ont fonctionné par le passé. La contraception et l’IVG sont, à mes yeux, à la fois proches tant dans les problèmes de santé que par la réponse apportée sur le plan médical par les autorités. Ce modèle pourrait s’adapter aux transidentités. Il serait possible de s’appuyer sur les Centres de planning familial. Comme pour l’IVG, transférer la responsabilité de la décision du traitement à la personne trans’ plutôt qu’à un psy me semble être la piste la plus efficace. Quand, après une information honnête, les patients concernés sont mis en situation de décider de commencer le traitement qu’ils demandent dès qu’ils le souhaitent, ils ne se précipitent pas tous chez l’endocrinologue. Certains vont temporiser et commencer un travail psychologique ou attendre que leur situation personnelle ou professionnelle soit plus favorable. Ils ne sont plus stressés par une décision qu’ils ne maîtrisent pas.

Il faudrait permettre à tout chirurgien ayant la formation de base dans les domaines utiles (urologie, gynécologie, chirurgie plastique, micro chirurgie) de se spécialiser en chirurgie transidentitaire. L’offre de soins serait ainsi plus importante. Il y a de quoi occuper plusieurs chirurgiens à raison d’au moins une opération génitale par semaine. Sans en faire une activité unique, il faut une pratique régulière pour garder la main et assurer ainsi fiabilité, sécurité et efficacité. Les personnels soignants devraient tous être volontaires et formés spécialement pour ce type de soins car ce qui touche aux zones génitales reste un problème dans le corps médical.

Les intersexuations ou variations du développement sexuel (plutôt qu’anomalies du développement sexuel) ne devraient pas relever des procédures de la transidentité, lesdites variations étant suffisantes à mes yeux pour permettre aux personnes intersexuées de s’orienter dans un genre ou l’autre si elles le demandent. C’est pourquoi les divers tests (biologiques, génétiques, etc.) devraient être faits en première intention avant toute orientation dans un processus de soins. Cela ne veut pas dire que les personnes intersexes ne pourraient pas avoir de soutien psychologique si elles estiment en avoir besoin, ni qu’elles ne pourraient pas intégrer un parcours trans’ si elles le souhaitaient.

Résumé du parcours de soins proposé par les usagers en France

1.   Première procédure de consentement éclairé en 1 mois (centre de planning familial).

2.   Traitement hormonal et test de vie réelle avec les hormones. Epilation, rééducation vocale, chirurgie non génitale à la demande (FFS, pomme d’Adam, mammoplastie, mastectomie). Le simple fait que la personne poursuive le traitement montre qu’il lui convient. Accompagnement psychologique si souhaité à tout moment. Le respect du libre choix de ses médecins.

      Dans ce cadre, les enfants et adolescents qui le souhaitent devraient pouvoir être accompagnés ainsi que leurs familles. De même, ils devraient pouvoir obtenir les traitements bloquant la puberté dès ses premiers signes et, à partir de 16 ans, les traitements hormonaux de substitution et la chirurgie non génitale.

3.   Pour la chirurgie génitale, seconde procédure de consentement éclairé en une semaine, un an après le premier consentement éclairé (au minimum).

4.   Changement d’état civil dès que la personne l’estime nécessaire et au plus tôt 6 mois après le premier consentement éclairé sans autre condition. Changement de prénom dès le premier consentement éclairé.

Plus simplement encore, le changement d’état civil, sexe et prénom, devrait pouvoir être obtenu sans condition par qui le demande tel que le préconise la Résolution 1728 (2010)[16] [Assemblée européenne, 2010] et comme le réclament de nombreuses associations trans’. Personne ne peut fonctionner correctement avec des papiers d’identité et documents administratifs inadaptés. Il y a peu de chance qu’une personne non concernée en fasse la demande.

Propositions de classification dans la CIM

La transidentité pourrait être classée (comme le sont la contraception et l’avortement non pathologique) dans le CHAPITRE XXI [OMS, 1993b] ou regroupé dans un autre chapitre sous l’intitulé par exemple de «Santé sexuelle, procréation, contraception, identité de genre».

Il ne me semble pas utile de différencier les personnes qui souhaitent seulement un traitement hormonal de celles qui demandent aussi une chirurgie génitale, les avis peuvent changer dans un sens ou dans l’autre en fonction de l’expérience du vécu. Par exemple, un FtM qui souhaitait un phalloplastie peut y renoncer après avoir pris connaissance des difficultés à la réaliser et des risques opératoires. Une MtF peut après plusieurs années de traitement hormonal avoir envie d’aller plus loin dans sa transformation et demander une vaginoplastie. Je ne pense pas qu’il soit pertinent de traiter différemment transgenres et transsexes, car les frontières entre ces différentes catégories sont floues et non fixées; elles sont en évolution constante. Des transgenres se font opérer et des transsexes ne le souhaitent pas. Il s’agit plus d’une question identitaire que d’une question de parcours de soins. Au fil du temps, l’identité de genre peut évoluer, devenir plus fluide ou plus nette, certains transsexes deviennent transgenres et inversement.

Il n’est pas non plus nécessaire de créer une entrée pour les enfants ou adolescents. Les enfants peuvent avoir besoin d’un accompagnement psychologique. Ce n’est qu’à l’entrée en puberté qu’un traitement antigonadotrope pourra être envisagé, tout comme pour les adolescents.

De même, la distinction de l’orientation sexuelle n’est pas pertinente car, même si elle est en articulation, elle est de nature différente de l’identité de genre. Comme le reste de la population, les trans’ peuvent avoir toutes les attirances amoureuses et sexuelles.

Conclusion

Quand on se rappelle comment étaient traités en France les enfants gauchers ou les enfants adultérins dans les années 1950, par manque d’information ou pour des raisons morales et comment on considère ces mêmes personnes dans les années 2000, on peut mesurer l’évolution de la société, de ses mœurs et de ses connaissances. C’est la même histoire qui se répète avec les trans’. Beaucoup de chemin reste à faire pour qu’ils soient considérés aussi bien que les gauchers aujourd’hui.

Il faudrait sans doute changer certaines expressions, comme par exemple parler de «droits humains» plutôt que de «droits de l’Homme». La plupart des gens oublient le “H” majuscule, y compris l’Union européenne. De plus la majuscule “H” ne s’entend pas dans les discours. Cela paraît anodin, mais pour la majorité «Homme» = «homme» et «humain» = «homme» et «femme». De même, les livres scolaires, les romans, les livres pour enfants devraient intégrer une égalité quant aux rôles de genre où chaque sexe ne resterait pas limité à ses stéréotypes sociaux de façon à favoriser une éducation non sexiste. Il faudrait aussi diffuser des informations à destination du grand public via des documentaires, des fictions, etc. Comme le montre Karine Espineira [Espineira, 2008], l’amélioration du traitement des transidentités par les médias a contribué à une meilleure acceptation sociale. Si les genres étaient plus fluides, peut-être que certaines personne trans’ ne demanderaient pas de changements physiques.

Le respect des droits humains tel que définis dans Les principes de Jogjakarta [Panel international d’experts en législation internationale des droits humains, 2007], la Résolution 1728 (2010) [Assemblée européenne, 2010] et les recommandations du Commissaire européen aux droits humains [Hammarberg, 2009] est essentiel. Ces résolutions, recommandations et principes ne peuvent et ne doivent pas être ignorés par les Etats, l’Organisation Mondiale de la Santé et les organismes de santé.

(Mars 2013)

site de Tom Reucher : http://www.transidentite.com/

Bibliographie

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FOERSTER Maxime, Histoire des transsexuels en France, Béziers: H&O éditions, (essai), 2006, 186 p. Préface de Henri Caillavet.

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SIRONI Françoise, Psychologie(s) des transsexuels et des transgenres, Paris: Odile Jacob, 2011, 269 p.


NOTES

[1]     Magnus Hirschfeld, l’un des tous premiers à prendre en compte la transidentité et à favoriser la chirurgie dans les années 1930. Harry Benjamin, une autre figure historique majeure, endocrinologue, il est l’un des premiers à prescrire des traitements hormonaux correspondant au sexe désiré par les personnes transidentitaires dans les années 1940-1960.

[2]      Homme qui se vit au féminin et qui est considéré comme tel par la communauté. Le Mahu est intégré socialement.

[3]      Du fait du tourisme et de l’occidentalisation de la vie locale (principalement à Tahiti), le Mahu (devenu Rae rae) s’est tourné vers la prostitution. Rae rae est un terme occidental qui est passé dans l’usage polynésien.

[4] Littéralement, “homme” avec un suffixe féminin, aussi connue sous le terme de “vierges jurées”. En Albanie du Nord, lorsqu’il n’y a pas d’héritier mâle, une fille vierge peut prendre sa place. Voir: De Rapper Gilles, Entre masculin et féminin. La vierge jurée, l’héritière et le gendre à la maison, in L’Homme. Revue française d’anthropologie, n° 154-155, 2000, pp: 457-466.

[5]      Voir entre autre: BARD Christine, PELLEGRIN Nicole, (dir.), Femmes travesties: un “mauvais” genre, in Clio. Histoire, femmes et sociétés, n° 10, Toulouse: Presses Universitaires du Mirail, 1999, 299 p.

[6]      François-Timoléon de Choisy (1644-1724) a vécu une partie de sa vie au féminin sous les noms de Mme de Sancy puis de Comtesse des Barres (Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme), Charles-Geneviève-Louis-Auguste-André-Timothée d’Éon de Beaumont ou le Chevalier d’Éon (1728-1810) a aussi vécu une partie de sa vie au féminin.

[7]     Mot allemand traduit par Support Transgenre Strasbourg et trouvé sur http://www.sts67.org/html/gloss/fr_glossaire.html#transidentity.

[8]      Les Rapports Kinsey (Alfred): Sexual behavior in the human male (1948) et Sexual behavior in the human female (1953).

[9]      Ce livre contient entre autre pp. 311-353, la transcription d’un entretien de Jacques Lacan avec un patient: «Entretien avec Michel H.». Cette façon de faire perdure chez les lacaniens qui restent sur les positions du “maître” depuis lors.

[10]    Voir sur: http://syndromedebenjamin.free.fr/medical/securitesociale/circulaire1989.htm. Par ailleurs, aucune de ces équipes n’utilisent les “Standards Of Care” (Recommandations de soins, dont le 7ème version est sortie en 2011) de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH), anciennement Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association (HBIGDA). Ces SOC sont utilisés par la majorité des praticiens dans le reste du monde.

[11]    Communications personnelles de plusieurs médecins et chirurgiens: convocation devant le Conseil de l’ordre des médecins, courrier de rappel à l’ordre aux directeurs de clinique, contrôle de sécurité sociale, intégration dans des instances décisionnaires, etc. Certains ont abandonné cette activité, d’autres ont résistés. Voir aussi: http://syndromedebenjamin.free.fr/medical/securitesociale/securitesociale.htm#archives et http://syndromedebenjamin.free.fr/medical/securitesociale/securitesociale.htm#saga

[12]    Roselyne Bachelot remplacée par Xavier Bertrand.

[13]    En 2004, la Cour de cassation a donné raison à un plaignant contre la sécurité sociale qui mettait en avant cette lettre et son protocole pour imposer les équipes médicales hospitalières contre le libre choix de ses médecins et refuser le remboursement de soins en clinique privée en France. Voir: http://syndromedebenjamin.free.fr/medical/securitesociale/securitesociale.htm#saga.

[14]    Psychanalystes, psychologues, psychiatres.

[15]    Qu’ils souffrent de Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) ou de Trouble Envahissant du Developpement (TED), la nouvelle dénomination pour le spectre autistique dans son ensemble.

[16]    Texte adopté par l’Assemblée le 29/04/2010 (17ème séance), voir : http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17853&lang=FR. Cette résolution est très importante et la France l’a signée via ses représentants: elle doit l’appliquer.

Mise en ligne : 14.09.2015

TDor : Journée du souvenir trans 2013

Tom Reucher
Karine Espineira

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Crédit : Aurélie Maestre


Journée du souvenir trans

Une brève présentation : la Journée du souvenir trans, déclinaison française du Transgender Day of Remembrance (TDoR), se tient internationalement le 20 novembre. Elle commémore les personnes qui ont été assassinées à cause de la transphobie, c’est-à-dire la haine ou la peur des personnes trans, et elle veut attirer l’attention sur les violences endurées par la communauté trans.

 Il semblerait qu’il y ait une corrélation entre la montée du débat sur les transidentités et les meurtres commis par transphobie dans un contexte d’une double invisibilisation. Par exemple, lors de la présentation du film de K. Pierce, Boy dont cry, la presse LG parlait toujours d’une lesbienne. Les meurtres des personnes trans se double très souvent de tortures et d’effacement de la personne, les suicides mués en regret d’une transition non assumée.

 Nous présentons ici les interventions de Tom Reucher et Karine Espineira à l’ocassion de la projection de L’ordre des mots (Cynthia et Mélissa Arra) au MuCEM, le 20.11.2013 qui ont insisté sur les différents contextes sociopolitiques. Comment parle-t-on encore des trans en 2013, pourquoi sommes-nous encore inscrit dans le DSM 5 et la CIM 10 ? Ou en est la réécriture de de la CIM 11 de l’OMS qui proposait une consultation (Sorbonne, 2010, CF, l’ouvrage collectif, ODT n°1, Histoire d’une dépathologisation-2012) ? Quelles propositions politiques après l’Argentine ? L’impact est global comme en témoigne ce contrôle de la SNCF rappellant l’ordinaire transphobie tandis que le politique n’a cessé de botter en touche. 

Le MUCEM propose une exposition sur le Genre qui se veut globale et pédagogique. Mais l’est-elle ? Nous avions écrit un article analysant cette exposition, les quelques a-propos centrés sur une décontextualisation très problématique.

Maud-Yeuse Thomas

Pour l’ensemble des journées liées au T-Dor (le programme est ici), nous tenons à remercier chaleureusement les associations qui se sont mobilisées ainsi que les partenaires et les lieux accueillants : l’Association des Transgenres de la Côte d’Azur, SOS homophobiePolychromes, le relais LGBT Alpes maritimes et des Bouches du Rhône de Amnesty International, le bar associatif les 3G, AIDES, le Planning Familial 13Solidaires 13, le MuCEMl’Observatoire des transidentités et les cinémas Les Variétés et le Mercury. Une dédicace particulière à notre ami Christophe Léger pour avoir porté cette organisation, et Aurélie Maestre pour le beau visuel de ce T-Dor.

M&K

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Crédit


Avec Tom Reucher nous avions choisi de proposer des communications courtes dans le cadre de cette conférence au MuCEM afin de disposer d’un maximum de temps pour les échanges avec le public. A cette fin, Tom Reucher proposait une synthèse de la condition des trans via le sexisme et de mon côté je privilégiais deux aspects du documentaire « L’Ordre des mots » de Cynthia et Mélissa Arra ; réflexion éclairée par les apports de ma recherche sur la contruction médiatique des transidentités.


 

  Tom Reucher

 

Aujourd’hui est un jour spécial pour les trans’ dans le monde. C’est le jour du T-DOR (Trans’ Day Of Remembrance), le jour de commémoration des personnes assassinées parce qu’elles sont trans’. L’assassinat est l’expression la plus extrême de la transphobie.

Limoges, 24/07/2013: Mylène, 42 ans, une figure de la ville unanimement appréciée, battue à mort avec un marteau.

Rouen, 04/11/2012: Cassandra, étranglée, corps partiellement brulé après la mort.

Vous pouvez trouver plus d’information en anglais sur le site http://www.transgenderdor.org/

Je vous propose une minute de silence à leur mémoire. Les croyants qui le souhaitent peuvent prier pour l’amélioration de la vie des trans’ dans le monde, car ils et elles en ont bien besoin.

Le sexisme est le plus important des racismes car il existe dans toutes les cultures. Il prend sa source dans la hiérarchie des sexes. La transphobie et l’homophobie découlent du sexisme. Les minorités de sexe et de genre ont intérêt à travailler avec les féministes pour faire avancer l’égalité des sexes et des genres. C’est par l’éducation que les valeurs d’égalité doivent passer.

Le film aborde des questions politiques que posent les trans’ et les intersexes à la société civile et comment cette société dominée par des conservatismes résiste aux changements et à l’évolution. Ce faisant, elle maltraite et pathologise des identités et des comportements qui n’ont pourtant rien de répréhensibles (cf. les manuels de psychiatries). Les changements que demandent les trans’ et les intersexes ne révolutionneraient pourtant pas la société mais ils amélioreraient considérablement leur vie sans modifier celle des autres.

–   un changement de sexe et prénoms sans condition, gratuit et en mairie, ce qui désengorgerait les tribunaux, éviterai les demandes abusives d’argent par des avocats alors qu’une aide juridictionnelle a été accordée, éviterait la disparité en fonction des juges et des procureurs;

–   des soins médicaux adaptés qui respectent le choix de ses médecins;

–   l’arrêt des chirurgies mutilatrices pour conformer un bébé intersexe à un sexe qui ne lui correspondra pas forcément plus tard car on se sait rien de son développement futur;

–   considérer l’intersexuation comme une sexuation atypique et non pathologique tout en permettant aux personnes concernées qui le souhaitent de bénéficier de soins médicaux pour rejoindre une conformation génitale spécifique;

–   réfléchir à la suppression de la mention du sexe à l’état civil, tout comme a été supprimé la religion, la profession… Concernant les documents d’identité (carte nationale, passeport) et administratifs, soit supprimer les mentions de sexe, soit les rendre déclaratives en devenant des mentions de genre et donc évolutives.

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Crédit


Karine Espineira

Ma recherche :

– 5 années d’observation participative

– 1 corpus de 886 documents audiovisuels formés à l’Institut National de l’Audiovisuel

– L’enjeu : Comprendre comment se fabriquent les modèles, les figures archétypales. Croiser les données obtenues sur le terrain avec les modèles proposés par les médias, la télévision surtout.

Je vais aborder deux points en relation avec le documentaire L’Ordre des mots au programme ce soir avec le cas du Groupe Activiste Trans que vous verrez ce soir et la question de la construction médiatique du sujet trans comme figure archétypale que l’on donne à voir à tous.

Le GAT :

Sans dévoiler le film, l’une des originalités de L’Ordre des mots c’est qu’à l’égal du documentaire Transsexual menace de Rosa Von Praunheim de 1995, il montre la politisation des personnes trans sans pour autant faire l’impasse sur les difficultés d’être « trans » dans des sociétés loin d’être aussi bienveillantes que l’on voudrait.

Le GAT est souvent traité à part dans les études sur les trans’. Les formes de l’action militante du GAT sont spectaculaires dans le contexte français. Elles sont nouvelles dans le contexte du début des années 2000, mais elles sont déjà appliquées aux États-Unis par l’associationTranssexual Menacedepuis les années 1990. Les « zaps »[3] sont contre-productifs pour les uns, « salutaires » et « fiers » pour les autres. Quoi qu’il en soit, lezap Mercaderà la Cité des sciences[4], dont vous verrez les images, place d’emblée le GAT comme le premier collectif politique trans.

Mais qu’est-ce un zap ? Il s’agit d’une action utilisant le corps comme outil de revendication et de contestation. On pense au Diying par exemple. Des gens allongés comme des morts parfois recouverts de faux sang entre dispositif. Cette forme d’action a été importée par Act up Paris sur le modèle d’Act Up New York en 1989.

Rappelons aussi que le GAT est constitué en 2002, je cite : « en dehors de toute forme associative, politique ou syndicale responsable aux yeux de ses membres d’une corruption liée aux notions consubstantielles de domination et de pouvoir »[5]. Ce courant se définit ainsi comme libertaire.

On note au passage l’importance de cette dénomination au sein des groupes trans comme si, face à l’opposition institutionnelle et la désapprobation sociale sous forme discriminatoire, les trans’ n’avaient d’autre choix que celui d’être ouverts aux autres causes. Ainsi le GAT s’est dit publiquement et en plusieurs occasions solidaire avec les sans-papiers, les chômeurs, les prostituées etc. Le documentaire L’Ordre des mots[6] en donne un aperçu. En 2008, j’avais qualifié ce groupe de radical. Ils n’étaient pas forcément d’accord avec moi. Il n’y avait rien de péjoratif ou d’accusateur dans ce qualificatif. Pour moi, sur l’échelle de l’activisme trans’, il figurait tel un séisme rompant avec une militance que l’on voit depuis très modérée. Le GAT a été immédiatement accueilli par les groupes gays et lesbiens de l’époque comme un groupe trans d’avant-garde rompant avec un essentialisme affiché dans les médias (« une femme dans un corps d’homme » et inversement) et un positionnement politique anti-assimilationniste leur permettant des mises en commun avec d’autres luttes comme celles des féminismes, des intersexes, des sans-papiers, des prostitué-e-s, etc.

La question de la représentation

Dans mon étude, on voit que les médias – dont la télévision surtout – abordent « l’institué transsexuel », c’est ainsi que j’ai nommé la représentation dominante, la représentation la plus valorisée, la représentation la plus rassurante. Ce modèle est construit au au détriment  de « l’institué transgenre ». On parle d’une représentation confidentielle, d’une représentation minorée, d’une représentation paniquante (qui fait peur). On pourrait donc parler d’une modélisation plus ou moins souple, entretenant une forte adéquation avec l’ordre social et historique (ici celui du Genre), en faisant place à une certaine perturbation (le « trouble » dans le genre et j’ajoute à l’ordre public).

 Les études culturelles autorisent l’analyse de la culture populaire ou du « grand public » comme « ensemble de minorités intentionnellement construites à travers des affirmations identitaires, subculturelles ou militantes ». J’applique aux trans : dits minoritaire, en souffrance et en désir d’intégration, plus que montré revendicateur et créateur de subcultures, le groupe transidentitaire n’en demeure pas moins partie prenante de la culture populaire. Pour le formuler autrement en m’inspirant d’Edgar Morin, la transidentité n’est pas la culture de tous, mais elle est connue de tous.

A la télévision, le sujet trans est avant tout une femme. Les garçons trans ont été longtemps très invisibilisés. Cette femme est blanche, citadine, occidentale et hétérosexuelle. Elle dit en télévision vouloir adhérer au système sexe-genre et s’inscrire socialement dans le genre. Le genre au sens de rapports sociaux de sexe pour mémoire. Ce sujet doit donner toutes les garanties possibles : des gages à la normalité mais aussi des gages de docilités. J’ai une approche très foucaldienne et je dirais même : ce sujet doit être docile et utile. Je viens de vous décrire le modèle qui rassure la société.

Les identités trans contestataires comme vous en verrez dans le documentaire de Cynthia et Mélissa Arra sont souvent qualifiées de militantes et leur discours sont disqualifiés. Inscrites dans la pensée féministes elles interrogent le genre dans une situation de contre-public subalterne. Le concept a été formulé par Nancy Fraser (1990) et il me semble propre à illustrer l’espace médiatique et l’espace internet comme des arènes discursives et parallèles à l’espace public. Les contre-discours visant à reformuler des identités différentes sont aussi des contre-représentations et s’inscrivent dans une dynamique constructiviste de l’espace public depuis des positions subalternes. Les contre-discours formulés pourraient se résumer à : nous ne sommes pas que des femmes trans, nous sommes féministes, nous ne sommes pas que des hétérosexuels, nous ne voulons pas nous définir seulement comme des « vrais hommes » ou de « vraies femmes », nous sommes solidaires des classes discriminés et opprimés. Nos identités sont bien plus complexes que cela ». Je viens de vous décrire le modèle qui fait peur. Sur le terrain ce modèle n’est pas exceptionnel, il est même majoritaire dans les associations trans les plus récentes comme Outrans à Paris, Chrysalide à Lyon, ou encore dans des collectifs et associations plus anciennes comme le GAT à Paris, STS à Strasbourg et l’ANT à Nancy.

Les identités trans ont vu tout de même leur représentation évoluer au cours de la dernière décennie. Cette représentation fait plus de place aux identités politiques avec des documentaires comme L’Ordre des mots, mais aussi comme Screaming Queens de Victor Silverman & Susan Stryker (2005), Diagnosing Difference d’Annalise Ophelian (2009), Identités remarquables d’Emmanuelle Vilain & Nathalie Lépinay (2010), de Fille ou garçon mon sexe n’est pas mon genre de Valérie Mitteaux (2011), entre autres productions. On remarquera au passage qu’un seul de ces documents a été télédiffusé.

Cette évolution a été le fait de personnes en grande majorité militantes ou engagées, de journalistes ou documentaristes plus curieux. À défaut de maîtriser « le dossier trans », tous tentent d’en saisir les enjeux, et  l’intérêt de nouvelles questions existentielles semblent réactivées : qui suis-je au-delà du genre assigné et reproduit ? La culture inhérente à mon genre est-elle effet de domination, de soumission, ou rien de tout cela ? Ma place détermine-t-elle mon rôle ? Mon rôle détermine-t-il mon rang dans le monde? La condition transidentitaire amorce ou confirme à notre avis un tournant culturel. Croire que ces questions ne concerne que les trans serait une erreur monumentale. Comme l’ont démontré les luttes féministes, ces questions concernent tout le monde.


Ci-dessous suivent des notes mises de côté si la question de la partie transgenre de l’exposition « Au Bazar du genre » venait à être soulevée.

MuCEM : Sur le Bazar du genre

– Pour la photographie de Thomas Beatie :

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J’avais prévu de donner l’exemple de ce que j’avais pu entendre comme horreurs en écoutant les personnes commenter la représentation de l’homme enceint.

Avant la conférence, nous avons accompagné Tom Reucher à l’exposition. Nous avons relevé les mêmes commentaires déjà entendues lors de nos précédentes visites : « c’est monstrueux », « un monstre », « dégueulasse », sale », « crade », « écoeurant », « où va-t-on ? », « tous les goûts sont dans la nature ! », etc. Nous avons noté d’autres expressions plus grossières encore liant Beatie à « ces travelos qui se font opérer » sans oublier les commentaires dans notre propre « communauté ». Dans ce flot de propos blessants, j’ai entendu une seule fois une maman expliquer à son enfant, ce qu’étaient les personnes trans et pourquoi « ce monsieur avait choisi de porter le bébé à la place de sa femme ». Sur le coup, je l’aurais embrassée si j’avais pu le faire !

La critique de l’exposition du MuCEM, suite à notre article sur le NouvelObs, nous a valu, plus d’insultes que de soutiens. On nous a accusé de propagande avec nos références aux études de genre ; probalement par des personnes « paniquées ». Celles-là même qui voulaient « saigner du pédé » durant les débats du mariage pour tous et toutes. Un élu de  la région, de 25 ans, nous a aussi étrillées. Etait-il paniqué lui aussi ? Son homosexualité connue en faisait-elle un allié « naturel » ? Apparement non. Peut-être était-il blanc ? Peut-être était-il issu d’une classe socio-culturelle élevée ? Que savait-il de la condition des trans en France et dans le monde ? Et ce, mieux que nous-mêmes puisque nous sommes « irresponsables » de nos propos, et donc de nos vies. L’ironie de cette pensée, c’est qu’elle correspond à ce que disent les plus fervents soutiens et acteurs de la psychiatrisation des personnes trans.

Dans la foulée, comment expliquer à nos deux Christine’s bien connues que : non les trans n’éclipsent pas les questions féministes au sein des LGBT, au sein desquels nous restons dans de nombreuses villes et régions un public exotique, souffreuteux, subalterne, moqué, réduit à des « opérations » ou des « non-opérations » comme si l’entre-jambe devenait l’enjeu théorique (et de comptoir) du genre chez les personnes trans. 

Bien au-delà d’un positionnement théorique ou militant, comment expliquer la violence qu’exercent les propos tenus par le public comme par des « allié-e-s » présumé-e-s sur « nous » ? Sur moi comme trans pour personnaliser le propos. Et comme cela l’a été pour toutes les personnes qui m’ont confiées leurs ressentis après avoir vécu cet épisode en visitant l’exposition. Comment partager le sentiment de colère, de peine et d’oppression quand on voit des mamans valider la peur de leur enfant : « oui c’est sale » ? Comment partager le réconfort trop rare de cette maman qui prend le temps d’expliquer à son enfant ce qu’est la diversité humaine ? Un seul exemple bienveillant efface-t-il l’ardoise d’un harcèlement public continu ?

Plus que jamais, j’ai en tête cette expression inscrite en moi depuis longtemps : « homme mieux que femme », « gay mieux que lesbienne », « tout mieux que trans ». Faut-il rappeler l’image de Cuvier si bien illustrée par Abdellatif Kechiche dans « Vénus Noire » ? Celle d’un vagin en forme de coeur dans un bocal de formol exposé dans un amphithéatre ou un public d’hommes s’extasiait devant un « caprice de la nature ». Devons-nous accepter l’idée qu’on y parlait de « science » et que ces hommes étaient persuadés de faire de la science ? Quand un sujet ne fait pus partie de l’humanité, l’on peut ainsi justifier cet effroyable réductionnisme et faire passer cette horreur pour (de la) science.

Si on ne juge pas les personnes trans aptes à être responsables de leurs propos et de leurs vies, en revanche, sachez qu’elles vous jugent bien responsables de vos propres écrits et de vos propres actes. Nous sommes bien un contre-public subalterne. 

– Turquie :

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On retrouve ici des données connues sur Pinar Selek plus crédible que je ne le serais jamais pour illustrer la condition des trans en Turquie : Le 11 juillet 1998, Pinar Selek, sociologue, militante féministe, est arrêtée par la police d’Istanbul et torturée pour la forcer à donner les noms des personnes qu’elle a interrogées dans le cadre de ses recherches sur les violences policières faites aux transsexuels et sur la question kurde.

Rappelons qu’en 1997 elle obtient son DEA de sociologie avec un mémoire intitulé : « La rue Ülker : un lieu d’exclusion », recherche menée sur et avec les transsexuels et travestis. Recherche publiée en 2001 sous le titre: « Masques, cavaliers et nanas. La rue ülker : un lieu d’exclusion ». Elle est aux côtés des trans. 

La situation des transidentités, a été aussi exposée par Kemal Ördek, ancien secrétaire de l’association Pembe Hayat (Pink Life LGBTT Solidarity Association) aux UEEH en 2011. Les personnes trans s’y trouvent manifestement en danger[1] – danger au moins égal à ce que décrivait Maria-Belén Correa[2] pour l’Argentine (dont on connaît les avancées stupéfiantes sur ce point depuis).

On retrouvait donc la même situation en Argentine dans les années 1990 et le début des années 2000. Le témoignage de Maria Belén Correa peut être consulté dans mon essai (La transidentité, de l’espace médiatique à l’espace public,L’Harmattan, 2008).

– Iran :

Souvent exotisée la situation en Iran est plus complexe qu’il n’y parait. La prise en charge en Iran débute après la révolution islamique et une fatwa d’Ayatollah Khomeiny sous l’action de Maryam Molkara qui rencontrera le leader iranien. Au début des années 1980, les personnes sont officiellement reconnues par le gouvernement et autorisées à subir des opérations chirurgicales afin de changer de sexe. Pour mémoire l’homosexualité est punie de mort et les exécutions ont été nombreuses dans les années 2000. Face aux réactions de l’Occident, le régime iranien ne manque pas de dire qu’il traite mieux ses transsexuels que l’Occident. Certes, mais l’acceptation sociale n’est pas au rendez-vous et si les personnes trans sont effectivement opérées, elles sont rejetées par leur famille et le corps social. 

Pour information, je conseille un documentaire ainsi qu’une œuvre cinématographique. Pour le documentaire : Transsexuel en Iran de Tanaz Eshaghian, 2008. Pour le film, il s’agit de Facing Mirrors de Negar Azarbayjani, 2012.

Karine Espineira 


[1] Pembe Gri, documentaire d’Emre Yalgin, Turquie, 27’’30, 2008.

[2] « Du côté de chez Belén », in La transidentité, de l’espace médiatique à l’espace public, p. 91. 

[3] Forme d’action et de revendication « spectaculaire » : actions rapides et ponctuelles dirigées contre des personnages, des institutions ou encore des bâtiments. Le zap a été introduit en France en 1989 par Act Up-Paris sur le modèle d’Act Up-New York. La spécificité de cette forme d’action réside dans l’utilisation du corps comme outil de revendication et de contestation. Réf. : Le corps comme outil militant à Act Up, Victoire Patouillard. Publié dans EcoRev, revue critique d’Écologie Politique, numéro 4, 2001.

[4] Le 2 juin 2004 pour empêcher la prise de parole de Patricia Mercader, auteure des propos : « La conviction de ne pas être de son sexe mais de l’autre relève du domaine de l’illusion voire du délire», «Le syndrome transsexuel peut se concevoir comme une forme particulière de décompensation psychotique ou bien de décompensation chez un borderline ».

[5] [En ligne], http://transencolere.free.fr. Le GAT s’est auto-dissout en juillet 2006.

[6] Autoproduit par Cynthia Arra et Mélissa Arra, France, 2007 ; [En ligne], blog du film : http://lordredesmots-le-film.blogspot.com/


Sites

Tom Reucher : http://syndromedebenjamin.free.fr

Karine Espineira : http://karineespineira.wordpress.com

http://www.transgenderdor.org/


Mise en ligne : 2 décembre 2013.

Interview Tom Reucher, psychologue clinicien trans

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A la suite aux Journées d’études du 17 décembre 2010 à la Sorbonne, nous voulions revenir sur la notion d’expertise souvent usitée dans le sujet du transsexualisme, savoir ce qu’elle est, ce qu’elle apporte, qui l’apporte et pourquoi dans un contexte où la revendication à la dépsychiatrisation pour améliorer les suivis, apporter une aide plus efficace aux personnes concernées, butte sur un pouvoir manifeste. Ici, est reposée la question du savoir/pouvoir foucaldien.

Interview Tom Reucher, psychologue clinicien (Etudes : Université de Paris 8 Vincennes – Saint-Denis), co-fondateur de l’Association du Syndrome de Benjamin (1994-2008) quittée en 2004, co-fondateur de l’ExisTrans, la marche des trans’ et de ceux qui les soutiennent (1997), co-fondateur de VigiTrans (2002-2004), co-fondateur de Bistouri oui-oui, la première émission trans’ sur Radio Libertaire FM 89.4 Mhz (2003-2006), membre du Groupe Activiste Trans’ (2003-2006), membre de Sans contrefaçon.

Site internet , Transidentités

 

La question trans, la question de  l’expertise

Question : Qu’entends-tu par expertise Trans ?

– C’est le fait, pour une personne trans’, d’avoir une bonne connaissance de son expérience, d’être capable d’en parler et c’est au minimum d’avoir un peu avancé dans le parcours (avoir pris suffisamment d’information est une façon de commencer à avancer dans le parcours). Quelqu’un qui débarque comme ça, qui ne s’est pas renseigné, n’en est pas encore là. Cela ne veut pas dire qu’il n’aura pas plus tard lui aussi cette possibilité. Un expert, c’est aussi et surtout quelqu’un qui s’est donné les moyens d’acquérir des connaissances et qui, du fait de son parcours, acquiert une expérience de vécu, ce qui lui donne la capacité d’une double expertise : le vécu et la connaissance. Le vécu de l’expérience est certes important et même nécessaire, mais le niveau d’expertise est différent si on a acquis en plus d’autres connaissances en rapport avec la question.

Question : Peut-on dire que c’est une connaissance objective ou que cela au-delà du simple fait de l’avoir vécu ?

– Cela va au-delà du vécu si la personne s’est donnée les moyens de comprendre, d’apprendre des choses, de lire, d’avoir des informations sur les traitements, sur la politique, la sociologie, etc., ce qui donne une capacité d’analyse importante et indispensable si on veut atteindre un haut niveau. Quand ça va jusque là, c’est vraiment une expertise, au sens de l’expertise comme on pourrait en avoir chez d’autres professionnels.

 Question : Le mot d’expertise ne renvoie pas simplement au fait de savoir un certain nombre de choses mais d’être capable de faire une synthèse globale sur un sujet tout en ayant une certaine distance par rapport à son sujet. Il est marqué de cette distance. Là, c’est une expertise de l’intérieur.

– C’est les deux à la fois, l’expertise comme tu le décris et l’avoir vécu de l’intérieur, qui apporte un plus, un éclairage que l’on n’aurait pas autrement. C’est d’ailleurs ce qui manque à certains professionnels qui s’occupent du sujet et finalement n’écoutent pas tellement ce que disent les gens. Pas suffisamment en tout cas pour comprendre cette question subjective du vécu.

 

Question : Tu estimes que les gens n’ont pas été écoutés ? Du coup la relation qui était sensée être un suivi est obérée par cette non-écoute ?

– Oui. Si en médecine, écouter les personnes permet d’avoir des informations sur les symptômes et d’aider au diagnostic, c’est d’autant plus vrai en psychologie.

 

Question : Y a-t-il d’autres cas en psychologie où il y a cette relation de dialogue entre les usagers et les médecins qui prennent en compte cette co-aide à un co-diagnostic ?

– Les maladies rares ont été un cas ou les associations sont reconnues comme des experts participants dans la prise en charge, le sida aussi où il a fallu que les associations s’imposent. Maintenant, leur expertise est reconnue. Concernant l’autisme, c’est encore une difficulté. Il y a effectivement une partie des autistes qui ne sont pas capables d’exprimer des choses car ils ont un double handicap, l’autisme et le retard mental mais ceux qui ont seulement l’autisme et pas le retard mental, entre autres les Asperger, souvent associés à des intelligences au-dessus de la moyenne, ceux-là commencent à avoir des revendications mais qui sont loin d’être entendues en France. Il y a quelques praticiens dans d’autres pays qui acceptent de les écouter et de les entendre mais ce n’est pas la majorité.

 

Question : On peut faire le lien avec les associations de personnes intersexes. On a le sentiment très net alors qu’ils se sont regroupés en associations, non seulement en usagers, au sens classique du terme mais également en groupe de parole, de réflexion, d’études sur ce qui leur est arrivé. Est-ce qu’ils n’ont pas le même souci avec un pouvoir qui dit, à leur place, ce qui est bon pour eux ?

– Je pense qu’ils ont le même souci, on ne les écoute pas tellement non plus ou pas partout. Il commence à y avoir des moratoires dans certains pays suite à leurs démarches mais ce n’est pas le cas en France. Et surtout, à cause de l’emprise médicale que les intersexes (et les autistes) subissent dès leur enfance, leurs difficultés sont plus importantes que celles des trans’. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe, c’est très marginal. On a un retard sur beaucoup de choses, on n’a pas de mouvement autiste en France, il y en a un aux USA. En Europe il commence à en avoir un et c’est pareil pour les intersexes, il n’y a pas de mouvement intersexe digne de ce nom en France. Il y a 2 ou 3 associations mais avec des gens très isolés. Les revendications des autistes et des intersexes se rejoignent en ce sens que les premiers parlent d’une variation du développement neurologique et les seconds d’une variation du développement sexuel.

 

Question : Y a t-il des Trans qui ne sont pas “experts” ?

– Oui dans le sens où ils ont compris qu’ils veulent arriver à vivre dans l’autre sexe. Après, le détail des traitements qu’ils ont et pourquoi c’est ça plutôt qu’autre chose, ils n’en ont aucune idée. Ils s’en sont vraiment remis à ce que disent les médecins, ils sont très contents de ça, ils se satisfont de ça. Ceux-là ne revendiquent ni une expertise ni le fait d’avoir des choses particulières à dire. Ce qu’ils veulent, c’est vivre leur vie, ils ne se revendiquent pas comme experts. Donc je ne pense pas qu’on puisse les mettre à cette place. Cela ne veut pas dire qu’ils ne pourront ou ne voudront pas devenir des experts. Maintenant il y a des niveaux d’expertises très variables dans la communauté. Certains trans’ ont des connaissances approfondies dans quelques domaines, d’autres dans plusieurs autres domaines et puis d’autres ont des connaissances plus génériques, d’autres encore ont une petite expérience dans plusieurs domaines mais pas à un haut niveau. Donc là aussi, c’est très variable. Par contre, ce que les trans’ ont comme expérience, en tout cas dans les associations militantes, c’est une bonne réponse pour aider les gens. C’est aussi ce qui avait été mis en place à l’ASB, qui fonctionnait bien. C’est en cela que les associations ont une expertise, elles savent où orienter en fonction du profil des gens.

 

Question : C’est donc une sorte d’équivalence entre un rapport et un discours “savant” opposés à un discours “profane” que tu proposes. Les profanes sont devenus savants et les savants sont profanes devant nous.

– Dans ce domaine, les professionnels sont profanes, ils ne savent pas ce que l’on vit. Et ils ne le sauront jamais puisqu’ils ne sont pas trans’.

 

Question : Ne peuvent-ils pas comprendre ? Tout le monde fait des projections par expérience. Au bout de quelques années, ils voient qu’on vit des stigmatisations, des discriminations.

– On peut le comprendre intellectuellement mais c’est une chose que de le vivre au quotidien. Se faire insulter dans la rue, se faire refuser un recommandé à la poste, c’est une chose de le vivre quotidiennement, c’est une autre chose que de le comprendre intellectuellement. Maintenant, ça ne veut pas dire qu’un bon clinicien n’est pas capable de comprendre certaines choses, qu’il ne peut pas être un bon accompagnateur, mais dans ce cas, il n’aura pas une idée préconçue de ce qui est mieux pour la personne. Il entendra ce que dit la personne et sera capable de s’ajuster à ses besoins spécifiques. Pour une autre personne qui fait aussi un parcours trans’, ces besoins spécifiques ne seront pas les mêmes. 

 

Question : Au début des années 80, lorsque J. Breton monte la première équipe, je me souviens des propos du chirurgien, P. Banzet qui avançait l’argument de la compassion. La compassion envers les transsexuels, envers la souffrance, l’isolement et tout cela, ça venait comme une sorte de bruit de fond pour justifier l’interventionnisme médico-chirurgical. Dix ans plus tard, ce discours avaient disparu pour une pathologisation généralisée. Même avec les difficultés de compréhension, Banzet semblait « comprendre » de l’intérieur ?

– Je n’ai jamais trouvé qu’il était dans cette position (comprendre de l’intérieur) mais il était bien dans la compassion, dans son rôle de médecin, de chirurgien. C’est grâce à une personne qui s’était émasculée deux fois. La première il a essayé de réparer les dégâts en remettant les choses en place et la seconde, il a décidé d’opérer cette personne en comprenant qu’il y aurait une troisième fois s’il n’accédait pas à sa demande, qu’il était plus sage d’aller dans ce sens là plutôt que de s’y opposer. Je pense qu’il a compris que cela ne servait à rien d’aller contre et qu’il y avait quelque chose à faire dans ce sens et voir ce que cela allait donner. C’était une preuve d’intelligence mais le Pr P. Banzet est en retraite et ceux qui l’ont remplacé n’ont pas forcément la même ouverture d’esprit.

 

Question : Avant ce revirement personnel, subjectif, c’est un univers de violences que tu décris.

– Cela a toujours été. Pour reprendre les mots de Colette Chiland et de ses collègues, s’il n’apparaît pas de problèmes physiologiques, c’est donc dans la tête que ça se passe. Cela a été systématiquement leur conclusion : puisqu’il n’y a pas de preuves physiques, alors c’est que c’est dans la tête.

 

Question : Mais les transsexuels eux-mêmes disent que c’est dans la tête.

– Il y a un décalage entre ce qu’ils ressentent psychiquement et leur corps, c’est en cela qu’ils disent que c’est dans la tête. Mais cela ne veut pas dire que c’est une maladie mentale. Je ne sais pas pourquoi l’identification se fait de cette façon là et pas autrement chez les trans’ et pourquoi chez d’autres elle se fait différemment. Pourquoi chez les cisgenres, se fait-elle dans le sens physiologique, et pourquoi chez les trans’ n’est-ce pas le cas ? On n’a pas trouvé de cause. Majoritairement, le développement identitaire suit la physiologie, dans d’autres cas, il ne le suit pas, indépendamment de la culture. Si celle-ci favorisait les variations de l’identité de genre, les gens seraient plus à l’aise dans leur propre différence identitaire. C’est en cela que la culture influence l’acceptation ou pas, la transphobie intériorisée ou pas, le fait d’être différent dans son développement, comme elle l’a été pour les gauchers à une époque où on leur interdisait de se servir de leur main gauche et où on les a stigmatisés. Idem pour les enfants adultérins. Maintenant, ce sont des choses sur lesquelles on ne se pose plus la question. Le social a au départ une grosse influence sur le développement « naturel », ce n’est pas quelque chose de neutre.

 

Question : En conférence, lorsque tu parles au même titre que des intervenants universitaires, médecins, etc, quel poids ton discours a-t-il après que tu l’ais établi comme “expert” ?

– Je ne sais pas s’il est plus ou moins bien perçu. Soit j’interviens seul et là, il n’y a pas de souci et quand c’est avec d’autres, ça dépend de ce que l’on dit, de quoi il est question. Je n’ai pas remarqué que mes propos n’étaient pas pris au sérieux. Ce sont plutôt certains intervenants qui pourraient ne pas être intéressés par ce que j’ai à dire. Soit parce que ce sont des gens très connus et finalement, ils se permettent d’arriver juste pour leur intervention et repartent juste après, ou encore, comme Mireille Bonierbale, en tentant de remettre en cause ce que je disais comme si cela n’avait pas de valeur, m’obligeant à élever la voix. J’ai un diplôme, je travaille sur les mêmes choses qu’elle, je n’arrive pas aux mêmes conclusions mais ai-je tort pour autant puisqu’elle ne démontre pas davantage que moi la justesse de son analyse. Je n’avais jamais connu auparavant ce genre de situation.

 

Question : Que réponds-tu face aux accusations selon lesquelles on ne peut pas être juge et partie, être trans’ et soignant ?

– Je ne suis pas plus juge et partie qu’un non trans’, dès lors que je n’ai pas d’intention par rapport aux gens qui viennent me voir. Je n’ai pas d’intention sur leur vie, c’est leur vie, pas la mienne. Je ne suis pas plus juge et partie que quelqu’un qui est négatif avec l’idée que les trans’ c’est tout dans la tête, qu’il ne faut pas les prendre en charge ou qui a une intention particulière : empêcher ou ralentir la transition. Pour moi, ça c’est quelqu’un qui est juge et partie. Et c’est même plus grave. Ce genre d’attitude a fait perdre beaucoup d’années à beaucoup de gens qui étaient concernés. L’intervention psy n’est pas neutre quand elle est négative ou quand elle est orientée dès le départ. Le but, ce n’est pas d’influencer dans un sens ou un autre, c’est de laisser les personnes prendre leurs décisions une fois qu’elles ont les informations pour pouvoir s’orienter et avancer à leur rythme.

 

Question : En décembre, à la Sorbonne, les quelques personnes que j’ai interrogées, en général et sur les interventions de M. Bonierbale et C. Chiland, disent en gros, elles vendent leur carrière, leurs livres mais ce n’est pas une démarche de médecins. Elle est où là l’expertise ?

– Chiland a assez écrit de trucs sur le sujet, on voit ce qu’elle en dit à chaque fois et elle met toujours l’accent sur une forme de dévalorisation du style on a beau vouloir changer les mots, il y a une réalité que l’on ne peut pas nier, on va rendre les gens stériles… Pourquoi ne pourrait-on pas décider de se faire stériliser ? Pourquoi faudrait-il forcément être fertile ? L’humanité n’est pas en voie d’extinction ! Et puis il y a de nombreux trans’ qui ont eu des enfants avant de faire leur transition. Ou encore comme dit Bonierbale, les gens prennent des hormones comme des bonbons, les trans’ savent que ce ne sont pas des bonbons. Autre affirmation de Chiland, ce n’est pas un vrai changement de sexe, les chromosomes resteront ce qu’ils étaient, personne ne prétend le contraire ! Mais qui prétend que ça va changer les chromosomes ? Est-ce qu’il y a des trans’ qui pensent qu’ils vont avoir des chromosomes masculins après avoir fait une transition FtM ou inversement, est-ce que des MtF prétendent qu’elles vont avoir des règles après leur opération génitale une fois qu’on leur a expliqué en quoi cela consistait ? Je ne pense pas qu’il y ait une seule personne informée qui dise, « je vais avoir les chromosomes changés, mes règles après ». Je n’ai jamais entendu cela. Sinon, là on peut dire qu’il y a un problème de délire et cela ne relève peut-être pas de la question transidentitaire.

 

Question : C’est ce qui m’est arrivé. Breton m’envoie chez Luton, ils vérifient mes chromosomes et me disent, vous êtes XY donc… vous êtes un homme. Je reprends leur propre argumentaire et croyance. Mais c’est « délirant » cette idée là.

– Tout à fait puisqu’il y a des hommes XX et des femmes XY, même s’ils sont minoritaires, ils n’en sont pas forcément stériles, (je connais un cas d’homme XX et père de 2 filles), et n’en sont pas moins des êtres humains. Si XY est l’un des constituants chromosomiques d’une majorité d’hommes et XX un des constituants d’une majorité de femmes, en aucune façon, cela n’en fait des mâles ou des femelles, cela ne suffit pas à faire le sexe ! La sexuation comprend plusieurs étapes depuis l’embryogenèse jusqu’à l’âge adulte. A chaque étape, elle peut prendre une direction ou une autre sous l’influence de différents facteurs, qu’ils soient biologiques ou environnementaux. C’est pourquoi les états intersexués sont très variés et très nombreux, bien plus qu’on ne veut le dire. En plus de sa sexuation biologique, il faut ajouter toutes les influences éducatives, sociales et culturelles qui interagissent dans le développement psychologique d’un individu pour aboutir à un homme et à une femme.

 

L’au-delà des questions trans

Question : C’est juste cette idée que XY c’est un homme, XX une femme… On est, à la fois, dans la tradition et plus loin, dans la croyance. Après tout, qu’est-ce qui justifie de ne pas opérer les trans’ et d’opérer les intersexes sinon cette tradition et cette croyance ? L’expertise trans’ est un réexamen de cette croyance et tradition.

– C’est nécessaire de revoir toutes ces fausses croyances comme le fait de croire que l’attirance amoureuse et sexuelle est une chose stable durant toute la vie pour tout le monde. J’ai constaté chez pas mal de trans’ que lorsque l’on remet en question les préceptes de l’identité et de la sexualité, le fait qu’être homme ou femme ne soit pas si naturel que cela, on en arrive à remettre en cause le fait d’être attiré-e par un homme ou une femme plutôt que par une personne. Ce n’est plus une question génitale mais une question de rencontre, de personnalité. Si les cultures le permettaient et si l’ensemble de la population mondiale se posaient ces questions, je pense qu’on aurait une minorité d’hétérosexuels et d’homosexuels exclusifs et une majorité de gens qui seraient attirés non par un sexe (pénis, vagin) mais par une personne. Dit autrement, l’hétérosexualité et l’homosexualité exclusives pourraient être considérées comme une forme de fétichisme par le fait de vouloir trouver absolument un pénis ou un vagin chez le-la partenaire ! Dans ce cas, l’hétérosexualité et l’homosexualité exclusives devraient figurer parmi les paraphilies dans le DSM. Cela me fait penser à l’arroseur arrosé, ce qui pourrait prêter à sourire dans un autre contexte…

 

Question : Ce sont finalement les hiérarchies qui font des drôles de réalités construites que sont l’homme et la femme, les intersexes et aujourd’hui les trans’ ?

– Evidemment puisque la hiérarchie supérieure, c’est l’homme, après c’est la femme. Tout ce qui n’est pas un homme, c’est forcément une femme. Un gay n’est pas considéré comme un homme au sens propre du terme, c’est forcément moins bien qu’un homme, si ce n’est pas un homme c’est un « sous-homme », donc une « femme » ou une « femmelette »… C’est toujours péjoratif.

 

Question : Si je te suis, un homme c’est quelqu’un qui est 1/XY ; 2/ hétérosexuel ? Tous les autres critères ne comptent pas ?

– On peut ajouter, en effet, un homme masculin… parce qu’il n’est pas efféminé. Donc, ça donne un homme de sexe mâle, de genre masculin et d’orientation hétérosexuelle.

 

Question : Tous les gens qui ont changé de genre et qui reprennent le terme « trans », qui se visibilisent comme tels aujourd’hui, qui remettent en cause à leur tour les attendus binaires, ils viennent déborder les transsexuels eux-mêmes comme si les trans’ se trouvaient dépossédés de ce mot, cette réalité.

– Je pense que c’est du mot « transsexuel » dont les trans’ ne voulaient pas, par ce que trans’, transgenre, transidentité, c’est autre chose, c’est différent. Pour moi, « transsexuel », c’est une personne qui est attirée exclusivement par des personnes transidentitaires. Il y a des gens qui sont comme cela, on les appelle aussi les « translovers ». En fait, c’est une “nouvelle” attirance amoureuse et sexuelle. Ensuite, il y a les rencontres, des personnes qui se sont rendues compte que ce n’est pas très important d’être hétéro, homo, etc, que l’essentiel était d’être attiré par une personne particulière. D’ailleurs est-ce que ce sont des personnes qui ont beaucoup de relations sexuelles ? Pas forcément. C’est d’abord une attirance amoureuse et affective qui, ensuite, peut être sexualisée ou pas. Surtout, chez les MtF, où il y a une grande difficulté à trouver des partenaires hommes qui vont les accepter pour ce qu’elles sont, à savoir des femmes comme elles se ressentent même si ce sont des « femmes différentes ». Il y a peu d’hommes qui ont cette capacité à dire, « oui ma femme est (d’origine) trans’ et ce n’est pas un problème, elle est une femme » et qui ne vont pas se sentir diminués par cela.

 

Question : Un psychologue de l’université Paris 8 en ethnopsychiatrie, Jean-Luc Swertvaegher[1], a émis l’idée que les trans’ se construisaient en-dehors du sexe. Qu’est-ce que tu en penses ?

– Les trans se construisent différemment, ça c’est sûr. Mais est-ce par rapport au sexe ? Je ne sais pas parce qu’il y a des trans’ qui ont érotisé la question et d’autres pas. Donc, c’est très variable, je n’en tirerai pas une généralité. Je sais juste que, pour une partie des trans’, ce n’est pas la chose la plus importante. Cela reflète aussi la population rencontrée au Centre Georges Devereux. Avec Jean-Luc, nous avons travaillé ensemble dans un groupe de recherche créé et dirigé par Françoise Sironi.

 

Question : C’est une transformation de l’usage classique de l’expertise. Ce n’est pas quelque chose de spécifique aux trans’ ?

– Ce n’est pas nouveau, c’est reconnu et accepté, par exemple avec les maladies rares, le sida, les diabétiques… Il y a des gens qui discutent avec les médecins, leur généraliste, qui connaissent très bien leurs traitements, s’il faut en changer ou pas, etc.

 

La question trans, le suivi

Question : Qu’est-ce que le transsexualisme a à voir avec la psychiatrie ?

– Pour moi rien, mais des médecins ont jugé que, puisqu’il n’y a pas de preuve physiologique, ça doit être dans la tête. L’idée, c’était peut être de trouver un remède mais depuis plus d’un siècle, aucun traitement n’a été trouvé et, par ailleurs, tous les essais thérapeutiques sur le plan psychique, que ce soit avec des produits neurochimiques, les électrochocs, la chirurgie du cerveau ou des thérapies, aversive ou pas, rien n’a fonctionné. Par contre, les traitements hormonaux et chirurgicaux fonctionnent très bien. A t-on déjà vu un traitement hormonal ou chirurgical soigner une maladie mentale ? J’en conclus que ce n’est pas un problème psychiatrique, on ne peut pas résoudre cette question identitaire par la voie psy. Maintenant la science n’est pas capable de dire, l’origine, la source du problème. Peut-être qu’elle est multiple, peut-être qu’il y a des facteurs environnementaux qui viennent s’associer à des facteurs biologiques et des facteurs culturels mais ça n’a aucune importance. On peut chercher mais ça ne devrait pas empêcher qu’on prenne en charge en constatant que la personne a toute sa tête dans ce qu’elle demande avant de commencer ce traitement. Il n’y a pas d’autre vérification à faire.

 

Question : Dès le départ, selon leurs propres attendus, ils ont défini que c’était un « diagnostic différentiel », on vérifie qu’il y a une véritable maladie mentale ou un trouble et le transsexualisme lui-même.

– Je ne sais pas si les médecins le savaient dès le départ mais ils ont privilégié l’hypothèse d’une maladie mentale. Au début, ils ont parlé de « diagnostic positif de transsexualisme », puis, depuis qu’ils conviennent qu’en dehors de la transidentité les personnes ont bien toute leur tête, de « diagnostic différentiel ». Le but de ce « diagnostic différentiel » est, disent-ils, d’éliminer toute pathologie qui pourrait se donner l’apparence du transsexualisme telle que la dysmorphophobie, un épisode délirant, le transvestissement fétichiste (dont on sait qu’il peut cohabiter avec une variation de l’identité de genre et que de ce fait, il n’est pas une contre indication)… Tout comme au départ, les tests servaient au diagnostic positif ou différentiel, ils servent maintenant au pronostic ! Bref, dès que l’on démonte un argument, ils en trouvent un autre pour tenter de maintenir leur main mise sur les trans’.

 

Question : Quelle différence entre maladie mentale et trouble ?

 – Les troubles sont moins graves, on peut avoir des troubles psychologiques ou psychiatriques même et en avoir conscience. Une maladie mentale, c’est quand la personne n’a pas conscience qu’elle ne va pas bien, c’est le cas des délires par exemple. Elle n’est pas en état de prendre de décisions éclairées car elle a un dysfonctionnement qui l’empêche de raisonner clairement, donc de décider.

Par exemple une personne qui a des TOCs, (troubles obsessionnels compulsifs), a quand même toute sa tête. Cela ne devrait pas l’empêcher d’avoir accès à une prise en charge et un THC si elle a en plus une variation de l’identité de genre et qu’elle demande une transition. Cette personne est parfaitement capable de comprendre ses symptômes, que c’est un problème et d’ailleurs, elle le sait, elle le dit. Si elle ne venait pas en consultation dire « je suis envahie par ces TOCs et ça me coûte de me laver les mains si souvent, etc », les psychiatres ne le sauraient pas puisqu’ils ne l’auraient jamais vue. C’est bien elle qui constate un dysfonctionnement, qui va voir un psychiatre pour se faire aider. (C’est d’ailleurs un point en commun avec la transidentité.) On ne peut pas dire que cette personne est un malade mental. Elle a un problème qui effectivement l’handicape au quotidien mais cela ne la rend pas irresponsable, elle ne fait pas pour autant n’importe quoi. Donc, ce n’est pas une contre-indication de mon point de vue. C’est un trouble qui nécessite un accompagnement, une aide, mais en aucune façon, ce n’est une contre-indication pour pouvoir faire une transition.

 

Question : En France, avec la première équipe, la clinique trans’ et intersexe est solidement établie ? Il y a déjà des études, des suivis, ils savent depuis vingt ans que la réponse hormono-chirurgicale est valable ?

– Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu un tel écart, que les suivis ont commencé si tôt au Etats-Unis. C’est dans les années 60 mais il y a eu un écart de 10 à 15 ans avant qu’on commence à s’y pencher en France. Il n’y avait pas un recul si important qui permette de dire que les traitements hormono-chirurgicaux étaient la bonne réponse. Cela n’est rentré dans le DSM que dans les années 80.

 

Question : Au cours des discussions lors de la rencontre à la Sorbonne (décembre 2010), il y a eu de la part de Mes Bonierbale et Chiland, un seul mot : la souffrance. Au nom de la souffrance, on vient prendre en charge mais c’est devenu un mot vide de sens maintenant que les gens souffrent moins, communiquent et sont dans des groupes. Qu’est-ce que devient cette souffrance dans la justification de la prise en charge ?

– Je ne dirai pas qu’il n’y a plus de souffrance chez les trans’, il y en a qui ont des souffrances et d’autres pas, ou moins. Donc, c’est très variable. Mais ce n’est pas parce qu’il y a moins ou pas de souffrance qu’il ne faut pas prendre en charge et ce n’est pas le seul motif. Avoir quelqu’un qui fonctionne bien dans la société, c’est toujours mieux. Par ailleurs, si la personne ne souffre pas maintenant, ça ne veut pas dire qu’elle ne souffrira pas plus tard. Ce n’est pas la peine d’attendre qu’elle souffre pour l’aider. Si elle présente ce problème, il faut l’aider. Pour être efficace, autant le faire dans les meilleures conditions plutôt que d’attendre qu’elle souffre et le faire quand elle sera au plus mal.

 

Question : Ce dont souffraient le plus les gens, c’est l’isolement, les agressions, plus que du fait d’être trans’ ?

Effectivement, c’est plus le regard social, les problèmes sociaux, le regard des autres, l’acceptation dans la société… La transphobie est encore bien répandue. Quelqu’un qui ne prend pas les transports en commun ne peut pas se rendre compte à quel point on peut se faire agresser juste à cause de ça, particulièrement en région. Quant à la solitude ou l’isolement, quand on ne les a pas choisis, c’est terrible. Le pire c’est l’hypocrisie, les petites réflexions en passant qui ne s’adresse pas vraiment à la personne mais qui sont faites intentionnellement lorsqu’elle se trouve à proximité des auteurs qui pouffent de rire. Impossible de répondre ou de se défendre car les agresseurs bottent en touche et se moquent de la personne trans’. Difficile de porter plainte pour des mots… A force de répétition, les victimes s’isolent, ne sortent plus à certaines heures, évitent certains endroits… Les mots sont parfois plus terribles que les coups.

La question trans’, c’est surtout un problème de classe sociale. Quelqu’un a qui de l’argent s’en sortira toujours, quelqu’un qui n’en a pas, beaucoup moins bien. Tout est lié d’abord au statut social de la personne et ensuite au regard social. Quand on est riche, on a plus facilement la possibilité d’imposer ses décisions que quand on est pauvre et dépendant des autres. Donc, la première chose, c’est un problème social. C’est aussi un problème médical mais pas seulement.

 

Question : Y a t-il des lieux ou cette expertise trans’ n’est pas contestée ni même discutée mais simplement entérinée ?

Ça dépend des lieux, de leur propre fonctionnement. C’est peut être dans le milieu des festivals de cinéma que l’on trouve le plus cette attitude. Il y a aussi des professionnels (des éducateurs, des enseignants, des psys) qui comprennent que la parole des personnes concernées est importante et qu’ils ne peuvent pas s’y substituer, ils vont donc plutôt faire appel à des gens qui sont passés par cette expérience pour faire des formations ou des exposés sur le sujet. Dans ce cas, c’est franchement vécu comme un apport parce qu’eux-mêmes ne sauraient en parler de cette façon car, même s’ils connaissent la question, ils ne s’estiment pas suffisamment compétents pour pouvoir en parler ou ils ne souhaitent pas le faire à la place des trans’. Mais ce n’est malheureusement pas une démarche que l’on va retrouver unanimement partout.

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[1] Jean-Luc Swertvaegher, Les psy à l’épreuve des transsexuels … ou penser les êtres humains sans le sexe, http://www.ethnopsychiatrie.net/swertusagers.htm


Entretien mis en ligne, décembre 2010.

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