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Avignon 2018 ou le paradigme trans sur scène

Article mis en avant

Maud-Yeuse Thomas, Karine Espineira, Héloïse Guimin-Fati

 

Avignon 2018 ou le paradigme trans sur scène

 

Avignon. Il y a déjà de cela un an, Olivier Py nous promettait un festival 208. Et déjà, le titre ; « Le prochain festival d’Avignon sera « transgenre »[1] » ; et les mots qui fâchent : transsexualité, transsexualisme, déboulent de nouveau dans nos vies :

Après avoir fait honneur cette année « aux femmes puissantes », l’édition 2018 s’intéressera à la « trans-identité et à la transsexualité » a annoncé mardi le directeur du festival. »

Un projet mais surtout un cadre que Py fixe ainsi :

« Olivier Py, qui vient d’être reconduit pour quatre ans, s’est fixé pour objectif de « toujours améliorer la démocratisation ». »

Rapidement, nous sommes contactées par le Centre LGBITQ d’Avignon, La langouste à bretelles pour lequel nous avions fixé.es une formation interne. Puis d’autres assos dont Genres Pluriels de Bruxelles. Pour nous et La Langouste, aucun doute : on doit le contacter et lui parler pour éviter ces mots en leur donnant un contenu et une réhistoricisation. Pendant des mois, on patiente. La Langouste nous assure que le lien va être fait. Les gens du Festival sont très occupés, les agendas sont pleins. On patiente donc. A six mois, rien. A trois mois, rien. Et puis, on comprend qu’on ne va pas en être. Dès la première annonce, on comprend. John Doe (encore un) est l’invité expert extérieur. Depuis des mois, il se présente aux journalistes comme le nouvel « expert des questions des transidentités » tandis que la Sofect, fort de son renforcement aussi général sur les mêmes questions en France, déclare qu’elle se renomme, fort du terme de transidentité dont elle en fait son nouveau label pour un accompagnement et un protocole « allégé ».

Améliorer la démocratisation par un transwashing ? Le Centre LGBTIQ d’Avignon s’est trouvé lui-même écarté. Fini les médiations, l’attente du téléphone, l’envie de bousculer des incompétences criantes. Même les deux cinémas d’Avignon ne veulent plus entendre parler des militant.es. Il leur faut des « experts extérieurs ». Des vrais. Il est vrai que dans un contexte de pinkwasking le transwashing est du petit bois. L’OPA est donc totale.

Pour qui voulait entendre un vrai débat sur les questions trans comme étant des questions de genre, en questionnant la hiérarchie binaire de la société occidentale et son système sexe-genre hétéronormé, là encore c’est loupé. Nous n’avions pas la moindre chance de proposer un changement de ton dans le choix des mots, la manière de les exposer, le choix politique des savoirs situés, la manière de les articuler à d’autres combats plus que jamais nécessaires dans cette ère anthropocène qui est également celle des retours des sécuritaires et identitaires à l’heure d’un Mondial de l’argent et du retour des fascismes. Une fois encore, on est dépossédé de nos vies et mots, luttes et colères, par ceux-là même qui parlent démocratie, sciences, liberté.

TRANS (MES ENLLA). Direction Didier Ruiz

 

Revue de presse

Avec le temps, la thématique Genre s’est muée en thématique Transgenre. Et inversement. Côté programmation, le sujet focalise sur des témoignages choisis avec le spectacle de Didier Ruiz[2]. Le déroulé suit les habituels progressions :

« Clara, Sandra, Leyre, Raúl, Ian, Dany et Neus arrivent au plateau et se présentent comme ils sont : des hommes et des femmes, longtemps assignés à un genre, dans un corps vécu comme une prison. Et quand ils s’en échappent enfin, le monde refuse de reconnaître leur véritable apparition. La violence, la rue, les institutions, le harcèlement au travail, la stupeur familiale, ils ont connu… De Barcelone, d’où ils viennent et où Didier Ruiz les a rencontrés, ils se mettent à témoigner. »

Il s’agit avant tout de témoigner, faire savoir, faire réfléchir exposer en s’exposant. Or, on ne connaît que ça, exposer en s’exposant. Mais ici, on est dans un cadre protégé qui peut permettre cela : la confiance quand on est sur une scène sécure lorsque l’on a connu que la peur, le risque, l’insulte, la honte, la rupture familiale violente, la déscolarisation, ça vous change un.e trans. Ruiz en nourrit son théâtre, la rue comme elle est, la démocratie est comme elle est.

« Ouvriers, adolescents, chercheurs, ex-détenus, transgenres : pour Didier Ruiz, rencontrer les acteurs de la société en les impliquant dans ses créations engagées et politiques selon le procédé de « la parole accompagnée » est une préoccupation permanente. Ainsi naissent ses spectacles, de la confiance acquise les uns envers les autres, de la parole libérée qui s’écoute et se propage. »

Confiance acquise, parole libérée. Ruiz sait où marquer les esprits. Sur scène. Une scène qui s’arrête à la scène. Il reconnaît lui-même que Barcelone n’est pas la France où la psychiatrie est encore toute puissante avec une Sofect omniprésente ayant fait main basse sur les vies trans. Elle aussi se réclame d’une parole accompagnée. Certes, il y a une différence. Mais demain, après la scène ? La confiance acquise va-t-elle permettre des transitions plus fluides, moins de psychiatrie et plus de justice ? La communication qui s’organise autour commet déjà ses impairs derrière des détours larmoyants qui veulent être rassurants :

« « Trans (més enllà) », proposé par Didier Ruiz au Festival d’Avignon, donne la parole à des personnes transgenres. Elles racontent leur long chemin pour réconcilier leur tête avec leur corps. Un moment de partage, de respect et de douceur. »[3]

Voilà pour le côté scène. Le côté jardin est plus enlevé :

« Ce sont ces oubliés que l’on marginalise, que « Trans (més enllà) » met en lumière. Sandra, Clara et Leyre étaient des hommes, Danny, Raul, Neus et Ian le sont devenus aujourd’hui. »

« Etaient des hommes »… L’incompétence au service du spectacle de la transition dans les bornes de la société binaire et du naturalisme occidental braquant son projecteur sur les sexes en parlant « genre » dans un monde où n’existent que des hommes et des femmes. Sophie Jouve reprend l’item discriminant, pathologisant et psychiatrisant des discours médicalistes, qu’elle nous narre ainsi :

« Raul entre en scène et, surprise, il nous raconte l’histoire du vilain petit canard qui a subi bien des vicissitudes avant de devenir un beau cygne. Ruiz évince d’emblée tout sensationnalisme, ancre son spectacle choral dans une culture commune. Comme le petit canard, les sept personnes qui vont témoigner tour à tour ont connu un long et douloureux chemin avant de se trouver. »

Surprise ? Vilain petit canard, beau cygne. On croit rêver dans cette narration à la mode Disney. L’auteure n’a pas la moindre idée de ce qu’est une transition et comme des milliers d’autres, nous assure de la bonne méthode. Ruiz sait de quoi il parle : il écarte « d’emblée tout sensationnalisme ». L’expression « Etaient des hommes « n’en est pas une. Voilà le genre de sensationnalisme sur quoi reposent les mots, thèmes, stigmatisations et discriminations de  transsexualité et transsexualisme que les militant.es trans du monde entier ne veulent plus entendre. Non seulement pour les mots et ce qu’ils portent -spectacularisation, marchandisation, focalisation et falsification psychiatrisante ou sociologisante- mais pour le contexte tout entier dans une démocratie indigne de son nom. Pire ou plus banal : les discriminations forment l’un des terrains de recherche les plus convoités du sociologisme postgoffmanien nourri aux stigmates. Un peu de pédagogie aurait balayé au moins sur le devant de scène. Mais voilà, le contexte de ces mots balayés, ne reste justement que la promesse d’éviter le sensationnalisme dans un sujet qui a toujours fait sensation. Et pour cause. Il est l’exception nécessaire et suffisante pour la société binaire cisgenre et son mode de compétition généralisé. Il est aujourd’hui l’incarnation de ce « vilain petit canard » sur lequel gloses, théories et pratiques se nourrissent, font carrière. Quand les gens luttent depuis leur enfance pour se voir connus et reconnus, on leur jette à la figure qu’elles « étaient des hommes », des hommes devenues femmes… Les hommes, justement, ont de quoi nourrir leur stupéfaction. Quoi, un homme qui veut devenir une femme ? Appelez le psy ! Ou le meurtre. La parole accompagnée de Ruiz les fait témoigner de leur douleur, du silence et c’est bien. Il connaît manifestement son sujet. Ou le contexte de ce sujet avec une citation choc de Jean Genet et un choix des mots précis :

« « Les transsexuels sont des révolutionnaires, des figures de la résistance. » Jean Genet.

« J’ai envie d’interroger l’enfermement, avec ceux qui ne se reconnaissent pas dans le corps avec lequel ils sont nés ou l’identité qui leur a été attribuée. La société, la culture, la famille, l’éducation nous oblige à être en accord avec notre corps, l’intérieur et l’extérieur doivent impérativement correspondre. Et celles et ceux pour qui il n’y a pas de correspondance, qui sont enfermés dans un corps étranger, qui rejettent l’identité de genre assignée ? Comment poussent-ils un cri pour se faire entendre ? Qui est là pour les entendre? Avec quelle réponse? Où est la normalité ? Dans la dignité ou dans la curiosité malsaine ? Où est la monstruosité ? Dans la différence ou dans l’intolérance ? »[4]

Mais cela ne se suffit pas. Sans compter que cela a déjà été dit, médiatisé et déformé des milliers de fois dans une télévision cannibale qui dévore tout et d’abord, ce type de témoignages renforçant la binarité sociétale et sa « normalité » à l’ombre de son naturalisme sexuel, où l’on accepte de se surexposer en se disant que peut-être ce sera la dernière génération à devoir le faire dans de telles conditions pour un tel contexte d’inégalités, de méconnaissances aggravées par un contexte d’egos faisant parler la « révolution transgenre ». L’article comme la scène n’évite pas ainsi l’ancien prénom et le nouveau, histoire de bien marquer la transition entre deux pôles fixes qu’est l’homme et la femme. Enfin, l’homme ou la femme. Bien séparés, bien opposés, bien reconnaissables par leur apparence de genre et tant pis pour les passings imparfaits, les moches et gro.sse.s, ce que l’on détecte d’un coup d’œil. Là où Ruiz explique le contexte à propos des changements de genre en Espagne impliquant que « c’est la révolution de demain », la journaliste en change les coordonnées et met dans la bouche de Ruiz cette phrase : « les « trans » sont la révolution de demain ». Or Ruiz parle de la facilitation du changement juridique, la différence de traitement en Espagne et en France[5], de l’empathie qu’il a vécu face à ces personnes et se sent presqu’obligé de pointer « leur singularité ». En un mot, Ruiz parle le langage des conditions de vie, cachées ou visibles, des « trans » pour dire sa propre place où quand dire, c’est faire :

« Ce n’est pas la communauté des « trans » qui m’intéresse, c’est leur singularité. Tout ce qui participe à la réduction de nous-mêmes dans des cases -homme, femme, homo, bi, trans – est redoutable pour moi. ».

Le Monde n’évite pas plus l’écueil :

« Dans « Trans (més enllà) », Didier Ruiz met en scène sans pathos des individus qui racontent comment ils ont changé d’identité sexuelle. »[6]

L’auteure méconnaît la différence entre identité de genre et identité sexuelle. Ainsi, des « individus » changeraient d’identité sexuelle pour changer de sexualité et (enfin) devenir soi. Curieux mais banal. Les Echos s’en donnent à cœur joie :

« Après avoir fait monter sur les planches des personnes âgées, des ouvriers, des ados, des ex-taulards, Didier Ruiz réunit un groupe de transsexuels barcelonais (…) Pas ou peu d’artifices : les entrées et sorties sont réglées simplement. Les transsexuels s’expriment le plus souvent immobiles, face au public. »[7]

Le clou est enfoncé lorsque l’auteur, très en veine, sort sa répartie : « Trans » n’est pas du happening militant, c’est un théâtre d’âme. ». On est ici dans la vraie vie, celle qui saigne, qui fait mal, des « paroles d’innocents », clame J. F. Cadet[8], là où l’âme palpite et fait réfléchir sur l’époque et les injustices. Les militants dehors.

Nous ne voulions justement plus que cela arrive comme ce type de déroulé. Nous avons milité puis nous nous sommes engagés dans une recherche dans le cadre des études de genre en socio et anthropologie et en études des médias pour y répondre sans jamais perdre de vue les terrains, leurs contextes locaux, nationaux et internationaux. Sentir quelques vents furieux venir, le Festival propose un glossaire afin de résoudre en amont quelques épineuses mésinterprétations. Les universitaires invités se proposent et s’y collent dans l’inimitable style académique assorti des autocitations datées avant de retirer in extremis leurs noms. Une histoire de vents furieux, sûrement. La psychiatre française la plus connue et ayant le plus milité et publié, Colette Chiland, vouait déjà aux gémonies ces « militants en colère », coupables à ses yeux de rire de sa discipline et de faire une « propagande nazie ». Même les fureurs de la théorie-du-genre n’y avaient pas pensé. C’est dire.

Même volonté de bien faire chez David Bobée et son titre prophétique : « Mesdames, messieurs et le reste du monde ». Aux unes et aux uns, une marque de civilité, aux autres, le reste ou les restes. Un titre qui n’est pas sans faire penser à l’ouvrage de Kate Bornstein, militante transféministe, Gender Outlaw: On Men, Women and the Rest of Us ? Pour Bornstein, « Nous » c’est ce peuple manquant, sans papiers, non nommés et confinés à incarner ces Gender Outlaw.

« Qu’est-ce que le féminin? le masculin? Le choix d’Avignon de se saisir de ce thème a déjà fait grincer les dents des autorités religieuses dans la Cité des papes, l’archevêque de la ville Mgr Jean-Pierre Cattenoz, ayant réclamé que le festival ne soit « plus centré sur l’homosexualité et le transgenre ». »

Une question utile mais à condition d’y répondre. Un rappel utile mais vain car on ne sait du rôle du religieux que la discrimination. On oppose donc à l’autre : parole accompagnée par les savoirs, discrimination accompagnée par les croyances. Sans compter que cette focale dissimule les véritables murs de la société inégalitaire occidentale et son régime ontologique déduisant des « identités » et « essences » d’hommes et de femmes… et nul.le autre, ce « reste du monde » ou ce qu’il reste du monde. Rien ici du rôle de la psychiatrie prétendant diagnostiquer des maladies, troubles et autres dysphories et incongruences « de genre ». Rien des réformes juridiques de l’état civil, ces identités de papiers plus décisifs que des vies, gens et genres réels. Montrer les misères du monde n’a jamais résolu les problèmes de fond.

Du « genre », thématique de l’année, a donc largement puisé dans les thématiques trans et ce n’est pas un hasard. Ce n’est plus cet épiphénomène marginal campé et objectivé par la psychanalyse lacanienne et cette forme politique de psychiatrie de ville, mais le prétexte d’une pointe avancée d’une révolution plus générale, plus « systémique » en écho à la question, qu’est-ce que le genre, le corps, l’identité, le féminin, le masculin, dont les « trans » en sont les hérauts désignés et appelés, heureux ou malheureux, brutalisés dans la rue et choyés sur scène, interrogés désormais par la sociologie et, de nouveau, l’anthropologie qui avait délaissé ce sujet :

« Et justement, de quoi parle-t-on, quand on parle de « genre » ? Le premier travail mené par David Bobée et son équipe est d’abord pédagogique, tant la notion est encore imprécise auprès d’une bonne ­partie du public. « Le genre, disait l’anthropologue Françoise Héritier, est un­ ­arsenal catégoriel qui classe (…) en ce que les valeurs portées par le pôle masculin sont considérées comme supérieures à ­celles portées par l’autre pôle. » »[9]

Le rappel des travaux d’Héritier est utile pour rappeler son ouvrage princeps, la valence différentielle des sexes[10], thème sous-jacent à la thématique Genr,e pour laquelle on fait appel à des expertises, moyeu de la gouvernance biopolitique. Mais, hors de la scène et cette manière de surfocaliser un thème, quelle recherche et réflexion véritables sur la société inégalitaire qui n’en finit pas de ne pas en finir avec l’inégalité homme/femmes et nous propose une thématique genre sans les « singularités de genre » et écartant ce qui constitue le lien social avec ces « vrais gens ». Py a une réponse tout trouvée : « la liberté fait peur »[11].

Ainsi, lorsque l’on examine les images d’événements relatifs au travail « sur le genre », on est frappé par la manière dont le travail sur le travestissement est différemment posé et interprété selon que les individus sont hétérosexuels ou homosexuels, binaire ou non, cisgenre ou non, trans ou non, intersexué.e ou dyadique. Le différentiel entre adultes hommes et femmes est particulièrement frappant : les hommes surinvestissent les marqueurs féminins, les femmes dégenrent leur apparence afin d’échapper à « la-femme », cet engeance masculine-patriarcale, aux harcèlements, à la culture du viol. Ce qui n’empêche pas Py d’affirmer que : la différenciation homme-femme est obsolète. […] C’est parce que [l’humanité] est Une qu’elle est multiple, c’est quand elle est double qu’elle ne l’est pas”. Les phrases-chocs n’ont jamais rien d’apporté de bon.

Saison sèche

Saison sèche, Phia Ménard

« Dans une scénographie visuellement renversante, Saison sèche orchestre un rituel pour détruire la maison patriarcale. Bien décidée à en finir avec l’oppression masculine, Phia Ménard fait montre d’une puissance vengeresse, qui n’échappe pas aux stéréotypes. »[12]

Sans détour, Phia Ménard situe l’assignation du côté du patriarcat. Un « patriarcat qui dure déjà 2000 ans », en ordre de marche, selon un pas cadencé « idiot », « répétitif », toujours le même, signant là l’obéissance à un ordre, une soumission disciplinaire totalement intériorisée et ignorée au point de déterminer un corps cadencé comme étant naturel. Phia Ménard dit là la société disciplinaire selon Foucault. Ce « geste masculin par excellence », titre France Culture[13]. Discipliner le corps, c’est le genrer de telle façon à ce qu’il soit univoque, sans aucune interrogation.

« La colère intime de Phia Ménard la pousse à singer des stéréotypes, à caricaturer des comportements primitifs qui prennent le masculin par le petit bout de la lorgnette et ne lui laissent aucune chance d’éclore dans toute sa diversité. Moins fin et mystérieux que ses précédentes productions, il n’en conserve pas moins une puissance ravageuse. La maison patriarcale à terre, reste désormais à reconstruire une société aux fondations plus égalitaires. »

Le journaliste tente bien d’en atténuer la puissance en pointant la « colère intime », cette vieille engeance psychologisante si présente dans les textes psy depuis plus de 50ans. Parce que Ménard dénonce des stéréotypes, des stéréotypes lui sont opposés. Le pas cadencé est relu comme un « comportement primitif » quand il est un ordonnancement et un ordre. Une société en marche, dit l’autre où la « maison patriarcale » n’est nullement à terre.

« Phia Ménard est porteuse d’une expérience singulière du patriarcat. N’étant pas née dans le corps de femme qui est aujourd’hui le sien, elle fait chaque jour l’expérience de renoncer au privilège d’un corps masculinisé, appartenant au camp des prédateurs, même inconscients de leur pouvoir. Elle apprend à vivre dans un corps féminisé, corps scruté, immédiatement sexualisé, auquel sont constamment indiquées les limites de sa liberté. »[14]

Cette brève resitue son parcours, tant professionnel que personnel, dit d’où exsude cette colère comme s’il fallait la traquer ou l’excuser. Elle n’est nullement « intime » mais politique, sociale, culturelle, et devrait concerner tout le monde. Devenir-femme devient ici synonyme de renonciation au privilège masculin en en faisant découler l’expérience trans MtF. C’est un ordre politique et théologique qui inscrit là dans la matière (des corps, des identités, des architectures) la différence, binaire, cisgenre et politique « des sexes ».

 

Quel bilan ?

Py philosophe après Py, metteur en scène. Voilà en résumé ce qui ne va pas. Outre que la distinction et différence homme/femme n’est nullement obsolète, elle reconduit la surfocalisation sur ces « trans » qui n’en peuvent plus d’être ainsi désignés pour être instrumentalisés et finalement plaqués comme cibles nullement collatérales des violences de la société patriarcale. On fait parler une agora où les concerné.e.s sont rarement ou jamais appelé.e.s comme experte.s de leurs questions, mais comme spectateurs.trices ou témoignant.e.s d’une histoire qui leur échappe mais dont on meurt toujours. Cela même que Ménard dénonce.

Le festival a reconduit la gouvernance patriarcale qui sait, fort de l’expert patenté, en reconduisant là la société de contrôle. Les bonnes intentions n’ont guère été plus loin que l’ignorance et la reproduction sociale sur lesquelles l’ordre binaire et cisgenre siège, persuadées de faire le bien ou d’apporter de la bienveillance ou des mots rassurants pour « changer les mentalités ». Hurler à la « révolution » attise les retours de haine et attire les prédateurs et profiteurs de toutes sortes. Le Centre LGBTIQ d’Avignon, finalement invité in extrémis à dire quelques mots et revendications, s’est perdu dans la foule, simples cris sans relief dans une massification bienheureuse invitée à « démocratiser le genre ».

Les dizaines d’articles depuis un an sur ce festival disent explicitement une suite ininterrompue de mésusages et mésinterprétations, cliquant sur les sentiments et émotions et non les faits et des véritables recherches de terrain qui ne peuvent en aucun cas reposer sur un seul chercheur, a fortiori non concerné par la problématique. Mais, c’est justement cela qui a constitué la projection valant pour fond en prétendant organiser un débat de société.  Ce n’est pas ainsi que les choses se font. On n’applique pas à un sujet dont on ignore jusqu’aux usages de son vocabulaire et son pendant, le sillage classant et stigmatisant, cœur des reproductions sociales. Py a-t-il fait le pari d’une gagne sans le respect des terrains qui peinent à exister face à une Sofect hégémonique et un pays qui refuse de rendre à ses citoyens leur état civil ? Ce pari narcissique est indigne et ce n’est pas quelques beaux textes et sorties qui font la différence. Demain, la transphobie continue son travail de stigmatisation, de pauvreté et d’isolement. Et cela, au moment où l’OMS pense tenir une nouvelle réforme de la CIM en parlant d’« incongruence de genre », ce « reste » à côtés de normes binaires de genre et de sexe entre adhésion et contraintes, et que la France des « droits des hommes » clame partout et pour la seconde fois qu’elle est le « premier pays à dépathologiser le « transsexualisme ».

Le « texte coup de poing » de Carole Thibaut[15] n’aura servi à rien.  Un coup dans l’eau qu’on applaudit et oublie. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner la manière dont Py a organisé ce fantasme de la « révolution transgenre » pour s’apercevoir à quoi sert cette mascarade : ne pas tenir compte de l’équilibre difficile entre hommes et femmes, entre majorité et minorités LGBTIQ, et faire de la thématique « genre » une remise en cause du patriarcat que des hommes mettent en scène, seuls aptes à comprendre ce qui se trame et surtout seuls aptes à en « défaire le genre ». Entretemps, trois événements se sont succédé. La Sofect s’affiche au grand jour pour son congrès annuel qu’il titre « Evolutions sociétales », parrainée par la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn. Partie prenante de la conférence aux Gay Games l’association Acceptess-T. n’a pas pour autant été invitée à la conférence[16]. Une semaine seulement après la fermeture du festival, le Centre de la Langouste à bretelles à Avignon, qui avait été éconduit dans son rôle de lien social, se faisait vandaliser, signe que les violences font et sont la loi du plus grand nombre.

 

[1] 25 juillet 2017, http://www.europe1.fr/culture/le-prochain-festival-davignon-sera-transgenre-3397478
[2] http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2018/trans-mes-enlla.
[3][3] Sophie Jouve, « Avignon : le chemin intime des transgenres recueilli par Didier Ruiz », 12.07.2018, en ligne : https://culturebox.francetvinfo.fr/theatre/theatre-contemporain/avignon/le-festival-d-avignon/avignon-le-chemin-intime-des-transgenres-recueilli-par-didier-ruiz-276363.
[4] Stéphane Capron, « Didier Ruiz au Festival d’Avignon 2018 avec son spectacle TRANS (més enllà) », 28.02.2018 ; en ligne : https://sceneweb.fr/didier-ruiz-au-festival-davignon-2018-avec-son-spectacle-sur-la-transsexualite.
[5] « Très clairement. Ici on est au Moyen-Age. Voyez-vous des « trans » dans la rue, au bureau ? A Barcelone, c’est très courant. La personne qui travaille à la réception du Théâtre du Lliure est un « trans ». C’est très facile de changer de genre, d’un point de vue administratif. En France, il vous faut passer devant un psychiatre, avoir un rendez-vous à l’hôpital pour suivre un traitement hormonal, cela prend des années et c’est très compliqué ! C’est la révolution de demain. ».
[6] Brigtite Salino, « Avignon : femme ou homme, juste être soi », 12.07.2018, en ligne : https://www.lemonde.fr/festival-d-avignon/article/2018/07/12/femme-ou-homme-juste-etre-soi_5330176_4406278.html.
[7] Philippe Chevilley, « Avignon 2018 : « Trans », le libre choix des genres », 12.07.2018, https://www.lesechos.fr/week-end/culture/spectacles/0301968381401-avignon-2018-trans-le-libre-choix-des-genres-2191813.php.
[8] Jean-François Cadet, « Didier Ruiz, paroles d’innocents », 09.07.2018 ; en ligne : http://www.rfi.fr/emission/20180709-didier-ruiz-trans-avignon.
[9] Fabienne Darge, « Avignon : les questions de genre déclinées en treize épisodes », 13.07.2018, Le Monde ; en ligne : https://www.lemonde.fr/festival-d-avignon/article/2018/07/13/avignon-les-questions-de-genre-declinees-en-treize-episodes_5330792_4406278.html.
[10] Françoise Héritier, Masculin, Féminin. La pensée de la différence. Paris, O. Jacob, 1996.
[11] Violeta ASSIER-LUKIC, 29.01.2018, « « Transgenre » : Olivier Py, explique le choix de sa thématique », https://www.ledauphine.com/vaucluse/2018/01/29/transgenre-olivier-py-explique-le-choix-de-sa-thematique.
[12] Vincent Bouquet, « Phia Ménard éparpille le patriarcat façon puzzle », 22.09.2018 ; en ligne :  https://sceneweb.fr/saison-seche-de-phia-menard.
[13] Camille Renard, « Le geste masculin par excellence, par Phia Ménard », 20.07.2018 ; en ligne : https://www.franceculture.fr/danse/le-geste-masculin-par-excellence-par-phia-menard.
[14] « Saison sèche », en ligne :  http://www.lafilature.org/spectacle/phia-menard-saison-seche.
[15] « “Les femmes se font baiser” : le texte coup de poing de Carole Thibaut au Festival d’Avignon », 22.07.2018 ; en ligne : https://sceneweb.fr/les-femmes-se-font-baiser-le-texte-coup-de-poing-de-carole-thibaut-au-festival-davignon/
[16] Acceptess-T participe aux Gay Games Paris 2018, en étant privée de parole 03.08.2018 ; en ligne : https://www.facebook.com/notes/acceptess-transgenres/acceptess-t-participe-aux-gay-games-paris-2018-en-etant-priv%C3%A9e-de-parole/1974710756152654/

 

Mise en ligne : 13.08.2018

Droit des trans : tableau de droit comparé

Droit comparé : introduction
Heloise Schneider, juriste Bordeaux

La question trans soulève de larges problèmes en termes de droits fondamentaux. L’ensemble des législations sont appelées à y faire face, en raison de l’émergence d’une prise de conscience internationale.

Les organes supranationaux, vecteurs d’unification et de progrès, suppléés par les influences des droits nationaux vont permettre de réfléchir sur la question et d’envisager de nouvelles solutions. Le droit interne est très largement influencé, si ce n’est soumis au droit européen. Les impulsions européennes et internationales vers la reconnaissance des droits fondamentaux sont des facteurs déterminants pour l’amélioration des dispositifs nationaux. L’année prochaine, la classification internationale des maladies de l’OMS sera réévaluée, ce qui engendrera progressivement à un échelon national une véritable reconnaissance juridique des personnes trans.

Les dernières avancées nationales en date sont danoises et espagnoles. Tout d’abord, le 11 mai 2014, le Parlement danois a adopté une loi qui supprime de nombreux obstacles à la reconnaissance juridique du changement de sexe légal. En juin 2014, le Parlement d’Andalousie adopte à son tour une loi pionnière vers la reconnaissance des droits des personnes trans, en intégrant un droit direct à l’autodétermination du genre comme droit fondamental, qui inclut également les personnes mineures.

Ce tableau présente de façon simplifiée les conditions légales et les obligations auxquelles sont soumises les personnes trans en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, au Danemark, aux États-Unis et en Argentine.

(Cliquer sur les tableaux pour agrandissement et lecture)

Vu du Luxembourg

Erik Schneider

Psychiatre et psychothérapeute, militant trans


Vu du Luxembourg

 

Introduction

Avant de débuter cet article et de me présenter, je voudrais préciser une chose : lorsqu’une personne est experte et en même temps concernée par une question, sa prise de parole est toujours plus attendue en tant qu’experte. Alors même que tous les gens de nos sociétés (européennes) sont concernés par le sujet du genre, et que  personne n’est neutre envers cette question. Si une personne trans’ détient aussi une expertise sur la question trans’, on n’hésitera pas à dévaloriser son travail, son expertise, voire sa dimension scientifique. On l’invisibilise mais surtout on la dévalorise. Chaque fois que je me vois concerné par cette question c’est compliqué, non pas se dire trans’, de faire un « coming out », mais d’être obligé de faire un choix entre trans’ et expert, par peur que mes mots ne sont pas reconnus.

Je suis donc trans’, militant à l’association Intersex & Transgender Luxembourg (ITGL)[1] et psychiatre et psychothérapeute[2]. Ici je m’intéresserai à la question des trans’ à l’école.

Pourquoi la question de la transphobie a l’école me tient-elle à cœur ?

En ce moment, ni le développement personnel de l’enfant selon ses propres capacités, ni l’égalité des chances, ni même la sécurité des enfants qui s’écartent des normes de genre (dis enfants/adolescents trans’) ne sont garantis à l’école. La vie dans un établissement scolaire dépend alors de beaucoup de paramètres : l’équipe, le/la professeur/e, le/la proviseure… C’est donc un hasard si cela se passe bien pour un enfant trans’, ou une sorte de chance. Certains témoignages positifs me sont parvenus, en provenance d’Allemagnes. Mais d’autres, mettent en avant de beaucoup de problèmes. C’est-à-dire qu’on ne trouve pas de paramètres réguliers, mais des éléments incertains, indépendants de la loi, même celle-ci reste bien évidemment une dimension importante de la lutte contre la transphobie.

Il y a un lien entre la famille et la manière dont se passe l’expérience trans’ à l’école. Le risque d’exclusion semble augmenter en situation de manque de soutien à l’école (des professeur/ e/s eux/elles même liés à la production de stéréotypes). Cette situation pourrait être caractérisée par une méconnaissance du personnel professionnel à l’école, ou par une préférence à traiter les enfants/adolescents trans’ dans un cadre « normalisant », c’est à dire ignorer le plus souvent l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) de ceux et celles qui divergent des normes de sexe, et de genre assignées à la naissance. La transphobie est une des conséquences des stéréotypes liés au système sexes/genres binaire.

La question de la violence physique apparait aussi, accompagnée de la violence verbale, des dévalorisations comme des exclusions sociales. La plupart des trans’ ont reçu des mots blessants, ce qui met en péril leur « coming-out » mais aussi leur maintien au sein des établissements. La question se pose aussi concernant des enfants considérés comme trans’ mais ne l’étant pas. A l’image de l’homosexualité, certains enfants sont victimes de brimades lorsqu’ils ne respectent pas les normes de genre.

Il y a bien évidemment des effets psychologiques à cela : le stress, le sentiment de malaise scolaire (surtout lorsque le soutien familial est inexistant), l’absentéisme et le décrochage scolaire. En 2011 à TGL nous avons reçu 3 personnes qui ont décidé d’arrêter l’école pour ces raisons[3].

Mais ce n’est pas tout : il y a aussi de plus en plus des problèmes d’alimentation par exemple, ou d’hydratation (ne pas boire pour éviter les toilettes). Tout peut être fait afin d’éviter les changements corporels, l’obésité et l’anorexie apparaissent alors pour éviter ou cacher les changements que connaissent les adolescents.

On remarque cependant que chaque enfant réagit différemment, mais le stress, le suicide (les idées suicidaires ou les tentatives de suicide) reviennent très souvent dans les témoignages. Et toujours, cette question de la problématique trans à l’école est en lien avec la qualité relationnelle des liens familiaux et parentaux !

Quelle est la situation au Luxembourg ?

Comme je l’ai décrit dans la première réponse, la non-acceptation de l’auto-perception et de l’auto-détermination (y compris liée à l’identité sexuée) est un des problèmes les plus graves concernant cette question. Depuis 2010 nous offrons des formations pour les professeur/e/s sur ces sujets mais ils/elles ne semblent pas intéressé/e/s d’y participer.

Au Luxembourg, Natacha Kennedy a transposé les chiffres connus en Angleterre et a dénombré possiblement 550 enfants mineurs[4]. Selon notre propre estimation, ils seraient au moins 100. Il faut attendre cependant d’autres enquêtes car nous recevons de plus en plus d’enfants trans’, avec de nouvelles questions. Pour chaque école de nouveaux cas, mais aussi des crèches et des écoles primaires. Certaines professionnel.le.s ne se sentent pas concerné.e.s, c’est-à-dire qu’ils ne reconnaissent même pas les enfants trans’ !

Cet été j’ai reçu deux témoignages dans lesquels un éducateur se posait des questions avec des enfants dont il avait l’impression qu’ils étaient trans’. Ils nous ont certes appelés mais il n’y eut aucune réaction de l’équipe.

Face à la forme « normalisante » des comportements, il faut donc développer des formes « acceptantes », en les accompagnants car cela peut être destructeur pour les enfants, pour les adolescents.

L’ancienne ministre luxembourgeoise de l’éducation avait considéré les enfants trans comme plus vulnérables[5]. A la suite d’une question parlementaire, ITGL a reçu en entretien la ministre et nous avons permis la création d’un groupe pour les jeunes trans’ dans les locaux du Centre de psychologie et d’orientation scolaires[6]. Cette possibilité nous donnait une reconnaissance importante au Luxembourg. On espère travailler sur la question des adolescentes maintenant.

Qu’est-ce que propose ITGL sur cette question ?

Le respect et l’acceptation inconditionnelle de l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) d’un enfant/adolescent trans’. Cela inclut l’utilisation de prénom choisi par la personne concernée dans le cadre de l’école y compris le pronom. Comme prévu dans une loi californienne l’enfant/adolescent peut choisir les endroits réservés à l’utilisation de « l’un ou l’autre » sexe (comme les vestiaires, dans le sport etc.).

Le sexisme, la misogynie ou l’homophobie, sont trois éléments à prendre en considération pour travailler contre la transphobie. Le problème néanmoins reste qu’entre « sexualité » « orientation sexuelle » et « identité de genre », le mélange de ces concepts différents, la méconnaissance occulter le problème et l’accentue.

Dans mon discours, je ne parle pas des enfants travestis ou pour lesquels l’identité de genre est changeante car toutes ces questions nécessitent aussi de travailler en amont de cette complexité, en commençant par la question trans’ par exemple. Même si l’on sait qu’il existe des enfants dans cette situation, en disant « les enfants qui s’écartent des normes de genres », on inclut les travestis. La question devient : qu’est-ce que cela signifie pour l’école ? Notamment lorsque les jouets et les vêtements, c’est-à-dire les stéréotypes, sont bousculés ? La Suède, sans toucher à la question des trans’, essaye par exemple de diffuser les jeux au-delà des catégories garçons filles ! Voilà qui semble être important !

Quelles expérimentations scolaires limiteraient la transphobie à l’école ? 

Il y existe des projets « « LGBT » en Allemagne et aux Pays Bas qui travaillent là-dessus dans le cadre de la lutte contre « l’homophobie/la transphobie ». Mais je ne connais aucun projet en Europe qui travaille sur l’acceptation inconditionnelle de l’auto-perception et l’auto-détermination (y compris de l’identité sexuée) d’un enfant/adolescent trans’ à l’école. On pourrait aussi noter, évidemment, la loi argentine sur l’identité de genre[7], qui prévoit que les enfants (au même titre que les adultes) puissent bénéficier du prénom souhaité ainsi que du genre souhaité, même si celui-ci ne correspond pas à la mention de sexe sur l’état civil. Aussi, nous pouvons noter les avancées californiennes en la matière, puisqu’en 2013 une loi[8] accorde le droit aux enfants trans à participer aux activités scolaires non mixtes, y compris aux activités sportives, et d’utiliser toutes les installations, conformément à leur identité de genre, quel que soit le sexe mentionné à l’état civil A 18 mois, selon certains témoignages parentaux, certains signes peuvent être perçus. Il faut y faire attention. C’est-à-dire qu’avant même l’accès aux mots, il y a quelque chose comme l’auto perception (plus que l’identité, car cela peut prendre du temps… sans être stable, fixe) d’une identité de genre non cis (voir même dès les premiers mots, sans forcément se dire comme « trans » ce qui reste un langage plus adulte). De plus un enfant ne peut pas s’identifier au sexe qui lui a été attribué au même âge qu’un enfant qui accepte l’identification en tant que fille ou garçon. Cela nécessite donc une prise de conscience de ces catégories sociales[9].

En Argentine, suite à la loi en faveur des personnes trans’ (et aussi des enfants trans’), une publication, une première évaluation est en vue. En Allemagne, il y a une avocate qui a écrit une expertise sur la possibilité d’utiliser un nom préféré, disant ainsi qu’il n’y a aucun droit de l’enfant en ce domaine mais que néanmoins, juridiquement, cela ne posait pas de problème à l’école (sur les bulletins, à l’inscription). Ce n’est ni un délit, ni un tabou. L’expérience est alors faite que certaines écoles acceptent à la condition d’une certaine sécurité, alors que d’autres n’acceptent que lorsqu’il y a des changements légaux.

Mais on a souvent tendance à dire que les personnes trans’ ne sont pas nombreux. Alors que les chiffres ont tendance à monter que ce chiffre n’est pas négligeable. De plus, selon une enquête, sur 100 personnes sous bétabloquants, 1 personne environ a changé d’avis[10]. Ce qui prouve que cette question doit et peut être prise en amont.

Il persiste un chiffre de l’ombre, plus grand que les cas connus. Or, dans nos groupes au Luxembourg on touche de plus en plus de jeune… peut-être que ce chiffre de l’ombre diminue… malgré la transphobie !

Conclusion

L’étape conséquente serait d’inscrire un sexe temporaire le temps de choisir. Mais cela ne doit pas toucher que les enfants trans’, pour ne pas les discriminer, pour ne pas les stigmatiser ou créer des inégalités. Et c’est aussi une manière de dire qu’on touche les murs de la société et permet aux personnes cis-genres d’élargir leurs propres espaces de vie, dans un environnement plus souples. Aussi, la politique a un rôle important à jouer. Si les parlementaires peuvent créer des lois, ils peuvent aussi faire en sorte d’éviter les réactions transphobes : on pourrait recommander de garantir l’auto-perception et l’auto-détermination pour protéger les enfants dans TOUTES les institutions de l’Etat. En plus il faut éviter la psycho-pathologisation des enfants/adolescents trans’ comme cela s’est malheureusement passé au Luxembourg récemment via un arrêt ministériel du 19 décembre 2013[11] qui écrit que : « La prise en charge des soins liés au syndrome de dysphorie de genre est limitée aux actes et services liés à l’accompagnement psychiatrique » et entre en vigueur le 1er janvier 2014. La sécurité de ces enfants importe. On ne parle pas de la Russie, pas de l’Iran, mais de nos « démocraties » dites comme telles qui n’assurent pas la sécurité des enfants trans’. Pour ça l’Etat est responsable. La politique doit donc accepter sa responsabilité.


[1]  L’association est créée en juin 2013 et la suite du groupe informel « Transgender Luxembourg » (TGL) fondé en janvier 2009.

[2] Mon prochain livre : Erik Schneider, Christel Baltes-Löhr (dir.), Normierte Kinder, Transcript, 2014.

[3] RADELUX II (2012): Complément commun au rapport supplémentaire au 3e et 4e rapport national (2001 – 2009) sur les droits de l’enfant au Luxembourg. Les droits des enfants trans’ et des enfants intersexes. L’exemple de leur situation au Luxembourg, ci-après « RADELUX II ». URL: http://www.ances.lu/attachments/155_RADELUX_transgender%2006-02-2013%20DINA4%20layout.pdf [27.10.2013].

[4] Kennedy, Natacha (2014) : Gefangene der Lexika: Kulturelle Cis-Geschlechtlichkeit und Trans‘-Kinder. Dans: Schneider/Baltes-Löhr (dir). Normierte Kinder. Bielefeld: Transcript. 

[7] Loi argentine établissant le droit à l’identité de genre. URL : http://www.infoleg.gov.ar/infolegInternet/anexos/195000-199999/197860/norma.htm [21.01.2014].

[8] Assembly Bill – 1266 (2013): Pupil rights: sex-segregated school programs and activities. URL: http://leginfo.legislature.ca.gov/faces/billNavClient.xhtml?bill_id=201320140AB1266 [15.11.2013].

[9] Emmanuelle Ravets (2013) :Aider les jeunes trans à sortir de leur isolement. L’essentiel.lu. URL : http://www.lessentiel.lu/fr/news/story/31729427 [21.01.2014].

[10] Wüsthof, Achim (2014) : Hormonbehandlung transsexueller Jugendlicher. Dans: Schneider/Baltes-Löhr (dir). Normierte Kinder. Bielefeld: Transcript.

[11] Modifications des statuts de la Caisse nationale de santé. Comité directeur du 11 décembre 2013. URL : http://www.legilux.public.lu/leg/a/archives/2013/0232/a232.pdf [21.01.2014].


Mise en ligne : 31 janvier 2014.

Droit des trans : La CNCDH pousse la France à avancer

Observatoire Des Transidentités

Alessandrin Arnaud, Karine Espineira et Maud Yeuse Thomas

 

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Droit des trans :
La CNCDH pousse la France à avancer

 

Ce mois-ci, l’Observatoire Des Transidentités chamboule un peu son programme habituel pour faire un retour sur l’avis rendu par la CNCDH concernant les personnes trans. Saisie par le ministère du droit des femmes et le ministère de la justice, la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) vient de remettre un avis sur la question trans. Dans un rapport remis le 27/06/2013 au gouvernement, la CNCDH [1] incite la France à faire entrer dans le droit la notion « d’identité de genre » et à prendre des mesures facilitant les démarches juridiques de changement d’état civil pour les personnes trans. Le communiqué est sans appel : « Consciente de la situation extrêmement précaire et des discriminations notoires dont font l’objet les personnes transidentitaires, la CNCDH s’inquiète tout d’abord de la grande vulnérabilité sociale de cette catégorie de la population, trop souvent stigmatisée. ».

Résumons les propositions de la CNCDH :

1- L’introduction dans la loi du critère d’« identité de genre »

2- Une démédicalisation totale de la procédure de modification de la mention de sexe dans l’état civil.

3- Une déjudiciarisation partielle de la procédure.

Retrouvez l’ensemble de l’avis sur :
http://www.cncdh.fr/sites/default/files/avis_cncdh_identite_de_genre_27_juin_2013_1.pdf

 

La reconnaissance de l’identité de genre comme motif de discrimination

Après un long débat concernant le mariage pour tous, la question trans sera-t-elle, elle aussi, défendue par le gouvernement ? C’est du moins ce que demande la CNCDH qui préconise d’abord de faire entrer la notion « d’identité de genre » dans le droit français. Les principes de Jogjakarta (http://www.yogyakartaprinciples.org/principles_fr.pdf), définissent l’identité de genre comme « faisant référence à l’expérience intime et personnelle de son genre » qu’elle « corresponde ou non au sexe assigné à la naissance ». C’est-à-dire qu’on se construit tou(te)(s) une identité en fonction du sexe auquel on s’identifie mais aussi en fonction du genre qui nous correspond le mieux. Cette « identité de genre » doit être distinguée de la sexualité, souligne l’avis de la CNCDH et ne peut se résumer sous la forme « il existe des garçons masculins et des filles féminines » mais plutôt « qu’il existe autant de formes et d’expressions singulières de son genre qu’il y a d’individus ». En Juillet 2012, la loi française reconnaissait le critère de « l’identité sexuelle » comme motif de discrimination [2]. Fortement contestée, cette notion est remplacée, dans l’avis de la CNCDH, par le terme d’identité de genre, reconnu dans le droit international [3]. Ce faisant, le conseil ne met pas en avant une position théorique mais éthique, dans la droite ligne d’un droit des personnes et d’une lutte contre les discriminations.

Un changement d’état civil facilité

Jusqu’à présent, et sauf exception jurisprudentielle, les requérants au changement d’état civil devaient apporter la preuve d’un syndrome de « dysphorie de genre » et d’une modification corporelle définitive. Cette dernière était souvent entendue par les tribunaux comme révélant d’une opération de réassignation chirurgicale. Cette injonction à la psychiatrisation et à la stérilisation pour l’obtention d’un changement d’état civil est, elle aussi, mise en cause dans le rapport de la CNCDH qui préconise un changement simplifié d’état civil pour les personnes trans. Ainsi, propose-t-elle que le changement d’état civil se fasse en présence de témoins et non plus sur un argumentaire médical. De plus, elle préconise que ce changement d’état civil ne soit plus corrélé à une exigence de modification chirurgicale, soit de stérilisation. Ce faisant, la CNCDH retient l’une des principales revendications du mouvement trans [4], qui réclame la démédicalisation du changement d’état civil depuis bien longtemps [5]. Elle écrit : « Le système repose en son entier sur une construction jurisprudentielle, ce qui contribue à rendre la situation des personnes trans identitaires souhaitant obtenir une modification de leur état civil particulièrement précaire et difficile » (p.4), soulignant par là même la nécessité d’harmoniser le traitement des justiciables trans sur l’ensemble du territoire et de lutter contre la précarité des personnes trans face au logement ou à l’emploi. Notons aussi que pour légitimer sa demande de démédicalisation de la démarche de changement d’état civil, la CNCDH reconnait l’ambiguïté du terme d’ « irréversibilité de l’apparence », tant d’un point de vue social que médical, qui laisse une trop grande pat de jugement subjectif des cours face aux requérant.e.s.

Les associations restent vigilantes

Néanmoins les associations trans restent vigilantes. Le précédent, en 2009, de l’annonce de dépsychiatrisation par Roselyne Bachelot, reste dans les mémoires [6]. De plus, la déjudiciarisation du changement d’état civil reste incomplète, là où certaines associations auraient souhaité que le changement de la mention du sexe sur l’état civil puisse simplement être réalisé en mairie. En effet la CNCDH, parmi les diverses options envisagées (dont celle de la déjudiciarisation totale), souligne que le changement d’état civil pourrait s’effectuer en deux temps : « d’abord une déclaration auprès d’un officier d’état civil, avec production d’au moins deux témoignages attestant de la bonne foi du requérant, la qualité de ces témoignages devant faire l’objet d’une attention particulière. Ainsi, ils ne devront pas émaner de personnes ayant un lien d’alliance, de parenté ou de subordination avec le requérant. Cette première démarche devrait ensuite être contrôlée et validée par un juge du siège grâce à une procédure d’homologation. La législation encadrant le changement de sexe à l’état civil devrait alors spécifier deux éléments : d’une part, les délais dans lesquels l’homologation doivent avoir lieu, afin de garantir la rapidité de la procédure; d’autre part, les motifs pour lesquels le juge est en mesure de refuser l’homologation pour ce genre de requête, ces motifs devant être explicitement limités au caractère manifestement frauduleux de la demande et au manque de discernement du requérant ».

A ce stade, nous sommes en mesure de ce demander où se placera le curseur du « manque de discernement du requérant ». C’est pourquoi certains militant.e.s restent vigilants quant à l’application concrète de ces avis. Aussi, ces avancées ne concernent nullement la question médicale : en France, aujourd’hui, les protocoles de changement de sexe ont toujours des pratiques excessivement controversées. L’avis ne retient pas l’option d’une désexuation, non pas de l’Etat Civil des personnes, mais des papiers d’identités. En ce sens, de nouveaux débats tendent à être réouverts.

Reste l’inconnue manifeste de deux exceptions que ne manquent pas de souligner le texte, soit le  « caractère manifestement frauduleux de la demande » et le « manque de discernement du requérant ». Quelles pourraient être ces fraudes ? Que place-t-on sous le terme de manque de discernement ? Qui le dit ? Va-t-on transférer le contrôle du médecin-psychiatre au juge sans rien changer de ce qui sous-tend le contrôle des franchissements de genre en en maintenant la catégorisation en affection du travestissement bivalent (que le terrain a renommé transgenre) et  fétichiste ? Il est désormais patent que l’on contrôlait là les expressions identitaires dans ces franchissements de genre par le prisme des sexualités classées en normalité/déviance. Qu’en sera-t-il aujourd’hui ?

Catégories juridiques / catégories de vies

On notera enfin l’ouverture de la question sémantique concernant l’avis de la CNCDH qui rappelle au début de son rapport que : « Le terme de « transidentité » exprime le décalage que ressentent les personnes transidentitaires entre leur sexe biologique et leur identité psychosociale ou « identité de genre ». Cette notion englobe plusieurs réalités, parmi  lesquelles celle des transsexuels qui ont bénéficié d’une chirurgie ou d’un traitement hormonal de réassignation  sexuelle, celle des transgenres pour lesquels l’identité de genre ne correspond pas au sexe biologique et qui n’ont  pas entamé de processus médical de réassignation sexuelle ; celle enfin des queer qui refusent la caractérisation binaire homme/femme. Pour désigner l’ensemble de ces personnes, la CNCDH a choisi d’employer les termes génériques de «transidentité » et de « personnes transidentitaires », sauf quand sont cités des documents officiels (décisions de la cour de Cassation, circulaires, textes européens ou rapport de la Haute Autorité de Santé) qui emploient eux-mêmes les termes plus spécifiques de « transsexuels » ou « transgenres ».

Si l’on ne saurait se satisfaire de catégories divisantes, on est agréablement surpris de l’emploi du terme de « transidentité », que l’observatoire utilise par ailleurs.

 


Note à l’usage des lecteurs et lectrices ou de l’importance de la terminologie et de la citation comme des usages journalistiques.

La citation doit être reproduite textuellement, ce qui veut dire qu’on doit aussi retranscrire tel quel la ponctuation, les majuscules, les fautes, les coquilles ainsi que la mise en forme (gras, italique, souligné). Elle doit être entre guillemets (« ») ou en retrait. 

Quand nous utilisons le terme « transsexuel » et non celui de « transgenre » par exemple, c’est en respect de cette règle. Dans le cas présent, quand la CNCDH rend public ses recommandations relayées par un article du Huffington Post, nous citons « leurs » termes, c’est-à-dire ceux que ces sources mettent en avant. Suite à une tribune sur le NouvelObs.fr, il nous a été reproché l’emploi du terme « transsexuel », et en nous attribuant un éventuel acte de discrimination.

Deux choses entrent en ligne de compte. Les contributions de ce type voient les titres et les chapeaux modifiés par les journalistes maison. On devine que le mot « transsexuel » est bien plus accrocheurs et vendeur que « trans ». Dans quelques rares cas, une demande changement est acceptée et l’on s’en réjouit. Dans d’autres cas, c’est la sourde oreille qui est de rigueur.

Sur le fond du texte pour ce qui nous occupe ici, nous pouvons sous le format article ou auto-publication revenir sur ces aspects comme présentement. Dans le cas précédent, le lecteur et la lectrice doivent avoir à l’esprit que nous relatons des discours qui ne sont pas nôtre et interroger la source. Notre travail, pour le voir ainsi, consiste à tenter d’éclairer des faits et des discours avec des moyens qui ont leur propre grammaticalité et les règles de citation sont ce qu’elles sont avec ne l’oublions pas : l’objectif de protéger a source de toute déformation et altération.

Il est vrai que durant les deux jours qui ont suivi l’annonce des recommandations de la CNCDH, nous avons beaucoup lu le mot « transsexuel ». Interroger la source pourrait être une démarche de lecture appropriée et à interroger. 


Les principes de Jogjakarta (http://www.yogyakartaprinciples.org/principles_fr.pdf),

[1] http://www.cncdh.fr/fr/publications/concept-de-genre-la-cncdh-donne-son-avis

[2] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/593405-penalisation-de-la-transphobie-un-premier-pas-en-faveur-des-trans.html

[3] https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1498499

[4] http://outrans.org/lassociation/revendications

[5] http://karineespineira.wordpress.com/tag/existrans/

[6] http://www.citegay.fr/associations/254609@ceci-n-est-pas-une-depsychiatrisation.htm


Mise en ligne : 02/07/2013.

Interview Tom Reucher, psychologue clinicien trans

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A la suite aux Journées d’études du 17 décembre 2010 à la Sorbonne, nous voulions revenir sur la notion d’expertise souvent usitée dans le sujet du transsexualisme, savoir ce qu’elle est, ce qu’elle apporte, qui l’apporte et pourquoi dans un contexte où la revendication à la dépsychiatrisation pour améliorer les suivis, apporter une aide plus efficace aux personnes concernées, butte sur un pouvoir manifeste. Ici, est reposée la question du savoir/pouvoir foucaldien.

Interview Tom Reucher, psychologue clinicien (Etudes : Université de Paris 8 Vincennes – Saint-Denis), co-fondateur de l’Association du Syndrome de Benjamin (1994-2008) quittée en 2004, co-fondateur de l’ExisTrans, la marche des trans’ et de ceux qui les soutiennent (1997), co-fondateur de VigiTrans (2002-2004), co-fondateur de Bistouri oui-oui, la première émission trans’ sur Radio Libertaire FM 89.4 Mhz (2003-2006), membre du Groupe Activiste Trans’ (2003-2006), membre de Sans contrefaçon.

Site internet , Transidentités

 

La question trans, la question de  l’expertise

Question : Qu’entends-tu par expertise Trans ?

– C’est le fait, pour une personne trans’, d’avoir une bonne connaissance de son expérience, d’être capable d’en parler et c’est au minimum d’avoir un peu avancé dans le parcours (avoir pris suffisamment d’information est une façon de commencer à avancer dans le parcours). Quelqu’un qui débarque comme ça, qui ne s’est pas renseigné, n’en est pas encore là. Cela ne veut pas dire qu’il n’aura pas plus tard lui aussi cette possibilité. Un expert, c’est aussi et surtout quelqu’un qui s’est donné les moyens d’acquérir des connaissances et qui, du fait de son parcours, acquiert une expérience de vécu, ce qui lui donne la capacité d’une double expertise : le vécu et la connaissance. Le vécu de l’expérience est certes important et même nécessaire, mais le niveau d’expertise est différent si on a acquis en plus d’autres connaissances en rapport avec la question.

Question : Peut-on dire que c’est une connaissance objective ou que cela au-delà du simple fait de l’avoir vécu ?

– Cela va au-delà du vécu si la personne s’est donnée les moyens de comprendre, d’apprendre des choses, de lire, d’avoir des informations sur les traitements, sur la politique, la sociologie, etc., ce qui donne une capacité d’analyse importante et indispensable si on veut atteindre un haut niveau. Quand ça va jusque là, c’est vraiment une expertise, au sens de l’expertise comme on pourrait en avoir chez d’autres professionnels.

 Question : Le mot d’expertise ne renvoie pas simplement au fait de savoir un certain nombre de choses mais d’être capable de faire une synthèse globale sur un sujet tout en ayant une certaine distance par rapport à son sujet. Il est marqué de cette distance. Là, c’est une expertise de l’intérieur.

– C’est les deux à la fois, l’expertise comme tu le décris et l’avoir vécu de l’intérieur, qui apporte un plus, un éclairage que l’on n’aurait pas autrement. C’est d’ailleurs ce qui manque à certains professionnels qui s’occupent du sujet et finalement n’écoutent pas tellement ce que disent les gens. Pas suffisamment en tout cas pour comprendre cette question subjective du vécu.

 

Question : Tu estimes que les gens n’ont pas été écoutés ? Du coup la relation qui était sensée être un suivi est obérée par cette non-écoute ?

– Oui. Si en médecine, écouter les personnes permet d’avoir des informations sur les symptômes et d’aider au diagnostic, c’est d’autant plus vrai en psychologie.

 

Question : Y a-t-il d’autres cas en psychologie où il y a cette relation de dialogue entre les usagers et les médecins qui prennent en compte cette co-aide à un co-diagnostic ?

– Les maladies rares ont été un cas ou les associations sont reconnues comme des experts participants dans la prise en charge, le sida aussi où il a fallu que les associations s’imposent. Maintenant, leur expertise est reconnue. Concernant l’autisme, c’est encore une difficulté. Il y a effectivement une partie des autistes qui ne sont pas capables d’exprimer des choses car ils ont un double handicap, l’autisme et le retard mental mais ceux qui ont seulement l’autisme et pas le retard mental, entre autres les Asperger, souvent associés à des intelligences au-dessus de la moyenne, ceux-là commencent à avoir des revendications mais qui sont loin d’être entendues en France. Il y a quelques praticiens dans d’autres pays qui acceptent de les écouter et de les entendre mais ce n’est pas la majorité.

 

Question : On peut faire le lien avec les associations de personnes intersexes. On a le sentiment très net alors qu’ils se sont regroupés en associations, non seulement en usagers, au sens classique du terme mais également en groupe de parole, de réflexion, d’études sur ce qui leur est arrivé. Est-ce qu’ils n’ont pas le même souci avec un pouvoir qui dit, à leur place, ce qui est bon pour eux ?

– Je pense qu’ils ont le même souci, on ne les écoute pas tellement non plus ou pas partout. Il commence à y avoir des moratoires dans certains pays suite à leurs démarches mais ce n’est pas le cas en France. Et surtout, à cause de l’emprise médicale que les intersexes (et les autistes) subissent dès leur enfance, leurs difficultés sont plus importantes que celles des trans’. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe, c’est très marginal. On a un retard sur beaucoup de choses, on n’a pas de mouvement autiste en France, il y en a un aux USA. En Europe il commence à en avoir un et c’est pareil pour les intersexes, il n’y a pas de mouvement intersexe digne de ce nom en France. Il y a 2 ou 3 associations mais avec des gens très isolés. Les revendications des autistes et des intersexes se rejoignent en ce sens que les premiers parlent d’une variation du développement neurologique et les seconds d’une variation du développement sexuel.

 

Question : Y a t-il des Trans qui ne sont pas “experts” ?

– Oui dans le sens où ils ont compris qu’ils veulent arriver à vivre dans l’autre sexe. Après, le détail des traitements qu’ils ont et pourquoi c’est ça plutôt qu’autre chose, ils n’en ont aucune idée. Ils s’en sont vraiment remis à ce que disent les médecins, ils sont très contents de ça, ils se satisfont de ça. Ceux-là ne revendiquent ni une expertise ni le fait d’avoir des choses particulières à dire. Ce qu’ils veulent, c’est vivre leur vie, ils ne se revendiquent pas comme experts. Donc je ne pense pas qu’on puisse les mettre à cette place. Cela ne veut pas dire qu’ils ne pourront ou ne voudront pas devenir des experts. Maintenant il y a des niveaux d’expertises très variables dans la communauté. Certains trans’ ont des connaissances approfondies dans quelques domaines, d’autres dans plusieurs autres domaines et puis d’autres ont des connaissances plus génériques, d’autres encore ont une petite expérience dans plusieurs domaines mais pas à un haut niveau. Donc là aussi, c’est très variable. Par contre, ce que les trans’ ont comme expérience, en tout cas dans les associations militantes, c’est une bonne réponse pour aider les gens. C’est aussi ce qui avait été mis en place à l’ASB, qui fonctionnait bien. C’est en cela que les associations ont une expertise, elles savent où orienter en fonction du profil des gens.

 

Question : C’est donc une sorte d’équivalence entre un rapport et un discours “savant” opposés à un discours “profane” que tu proposes. Les profanes sont devenus savants et les savants sont profanes devant nous.

– Dans ce domaine, les professionnels sont profanes, ils ne savent pas ce que l’on vit. Et ils ne le sauront jamais puisqu’ils ne sont pas trans’.

 

Question : Ne peuvent-ils pas comprendre ? Tout le monde fait des projections par expérience. Au bout de quelques années, ils voient qu’on vit des stigmatisations, des discriminations.

– On peut le comprendre intellectuellement mais c’est une chose que de le vivre au quotidien. Se faire insulter dans la rue, se faire refuser un recommandé à la poste, c’est une chose de le vivre quotidiennement, c’est une autre chose que de le comprendre intellectuellement. Maintenant, ça ne veut pas dire qu’un bon clinicien n’est pas capable de comprendre certaines choses, qu’il ne peut pas être un bon accompagnateur, mais dans ce cas, il n’aura pas une idée préconçue de ce qui est mieux pour la personne. Il entendra ce que dit la personne et sera capable de s’ajuster à ses besoins spécifiques. Pour une autre personne qui fait aussi un parcours trans’, ces besoins spécifiques ne seront pas les mêmes. 

 

Question : Au début des années 80, lorsque J. Breton monte la première équipe, je me souviens des propos du chirurgien, P. Banzet qui avançait l’argument de la compassion. La compassion envers les transsexuels, envers la souffrance, l’isolement et tout cela, ça venait comme une sorte de bruit de fond pour justifier l’interventionnisme médico-chirurgical. Dix ans plus tard, ce discours avaient disparu pour une pathologisation généralisée. Même avec les difficultés de compréhension, Banzet semblait « comprendre » de l’intérieur ?

– Je n’ai jamais trouvé qu’il était dans cette position (comprendre de l’intérieur) mais il était bien dans la compassion, dans son rôle de médecin, de chirurgien. C’est grâce à une personne qui s’était émasculée deux fois. La première il a essayé de réparer les dégâts en remettant les choses en place et la seconde, il a décidé d’opérer cette personne en comprenant qu’il y aurait une troisième fois s’il n’accédait pas à sa demande, qu’il était plus sage d’aller dans ce sens là plutôt que de s’y opposer. Je pense qu’il a compris que cela ne servait à rien d’aller contre et qu’il y avait quelque chose à faire dans ce sens et voir ce que cela allait donner. C’était une preuve d’intelligence mais le Pr P. Banzet est en retraite et ceux qui l’ont remplacé n’ont pas forcément la même ouverture d’esprit.

 

Question : Avant ce revirement personnel, subjectif, c’est un univers de violences que tu décris.

– Cela a toujours été. Pour reprendre les mots de Colette Chiland et de ses collègues, s’il n’apparaît pas de problèmes physiologiques, c’est donc dans la tête que ça se passe. Cela a été systématiquement leur conclusion : puisqu’il n’y a pas de preuves physiques, alors c’est que c’est dans la tête.

 

Question : Mais les transsexuels eux-mêmes disent que c’est dans la tête.

– Il y a un décalage entre ce qu’ils ressentent psychiquement et leur corps, c’est en cela qu’ils disent que c’est dans la tête. Mais cela ne veut pas dire que c’est une maladie mentale. Je ne sais pas pourquoi l’identification se fait de cette façon là et pas autrement chez les trans’ et pourquoi chez d’autres elle se fait différemment. Pourquoi chez les cisgenres, se fait-elle dans le sens physiologique, et pourquoi chez les trans’ n’est-ce pas le cas ? On n’a pas trouvé de cause. Majoritairement, le développement identitaire suit la physiologie, dans d’autres cas, il ne le suit pas, indépendamment de la culture. Si celle-ci favorisait les variations de l’identité de genre, les gens seraient plus à l’aise dans leur propre différence identitaire. C’est en cela que la culture influence l’acceptation ou pas, la transphobie intériorisée ou pas, le fait d’être différent dans son développement, comme elle l’a été pour les gauchers à une époque où on leur interdisait de se servir de leur main gauche et où on les a stigmatisés. Idem pour les enfants adultérins. Maintenant, ce sont des choses sur lesquelles on ne se pose plus la question. Le social a au départ une grosse influence sur le développement « naturel », ce n’est pas quelque chose de neutre.

 

Question : En conférence, lorsque tu parles au même titre que des intervenants universitaires, médecins, etc, quel poids ton discours a-t-il après que tu l’ais établi comme “expert” ?

– Je ne sais pas s’il est plus ou moins bien perçu. Soit j’interviens seul et là, il n’y a pas de souci et quand c’est avec d’autres, ça dépend de ce que l’on dit, de quoi il est question. Je n’ai pas remarqué que mes propos n’étaient pas pris au sérieux. Ce sont plutôt certains intervenants qui pourraient ne pas être intéressés par ce que j’ai à dire. Soit parce que ce sont des gens très connus et finalement, ils se permettent d’arriver juste pour leur intervention et repartent juste après, ou encore, comme Mireille Bonierbale, en tentant de remettre en cause ce que je disais comme si cela n’avait pas de valeur, m’obligeant à élever la voix. J’ai un diplôme, je travaille sur les mêmes choses qu’elle, je n’arrive pas aux mêmes conclusions mais ai-je tort pour autant puisqu’elle ne démontre pas davantage que moi la justesse de son analyse. Je n’avais jamais connu auparavant ce genre de situation.

 

Question : Que réponds-tu face aux accusations selon lesquelles on ne peut pas être juge et partie, être trans’ et soignant ?

– Je ne suis pas plus juge et partie qu’un non trans’, dès lors que je n’ai pas d’intention par rapport aux gens qui viennent me voir. Je n’ai pas d’intention sur leur vie, c’est leur vie, pas la mienne. Je ne suis pas plus juge et partie que quelqu’un qui est négatif avec l’idée que les trans’ c’est tout dans la tête, qu’il ne faut pas les prendre en charge ou qui a une intention particulière : empêcher ou ralentir la transition. Pour moi, ça c’est quelqu’un qui est juge et partie. Et c’est même plus grave. Ce genre d’attitude a fait perdre beaucoup d’années à beaucoup de gens qui étaient concernés. L’intervention psy n’est pas neutre quand elle est négative ou quand elle est orientée dès le départ. Le but, ce n’est pas d’influencer dans un sens ou un autre, c’est de laisser les personnes prendre leurs décisions une fois qu’elles ont les informations pour pouvoir s’orienter et avancer à leur rythme.

 

Question : En décembre, à la Sorbonne, les quelques personnes que j’ai interrogées, en général et sur les interventions de M. Bonierbale et C. Chiland, disent en gros, elles vendent leur carrière, leurs livres mais ce n’est pas une démarche de médecins. Elle est où là l’expertise ?

– Chiland a assez écrit de trucs sur le sujet, on voit ce qu’elle en dit à chaque fois et elle met toujours l’accent sur une forme de dévalorisation du style on a beau vouloir changer les mots, il y a une réalité que l’on ne peut pas nier, on va rendre les gens stériles… Pourquoi ne pourrait-on pas décider de se faire stériliser ? Pourquoi faudrait-il forcément être fertile ? L’humanité n’est pas en voie d’extinction ! Et puis il y a de nombreux trans’ qui ont eu des enfants avant de faire leur transition. Ou encore comme dit Bonierbale, les gens prennent des hormones comme des bonbons, les trans’ savent que ce ne sont pas des bonbons. Autre affirmation de Chiland, ce n’est pas un vrai changement de sexe, les chromosomes resteront ce qu’ils étaient, personne ne prétend le contraire ! Mais qui prétend que ça va changer les chromosomes ? Est-ce qu’il y a des trans’ qui pensent qu’ils vont avoir des chromosomes masculins après avoir fait une transition FtM ou inversement, est-ce que des MtF prétendent qu’elles vont avoir des règles après leur opération génitale une fois qu’on leur a expliqué en quoi cela consistait ? Je ne pense pas qu’il y ait une seule personne informée qui dise, « je vais avoir les chromosomes changés, mes règles après ». Je n’ai jamais entendu cela. Sinon, là on peut dire qu’il y a un problème de délire et cela ne relève peut-être pas de la question transidentitaire.

 

Question : C’est ce qui m’est arrivé. Breton m’envoie chez Luton, ils vérifient mes chromosomes et me disent, vous êtes XY donc… vous êtes un homme. Je reprends leur propre argumentaire et croyance. Mais c’est « délirant » cette idée là.

– Tout à fait puisqu’il y a des hommes XX et des femmes XY, même s’ils sont minoritaires, ils n’en sont pas forcément stériles, (je connais un cas d’homme XX et père de 2 filles), et n’en sont pas moins des êtres humains. Si XY est l’un des constituants chromosomiques d’une majorité d’hommes et XX un des constituants d’une majorité de femmes, en aucune façon, cela n’en fait des mâles ou des femelles, cela ne suffit pas à faire le sexe ! La sexuation comprend plusieurs étapes depuis l’embryogenèse jusqu’à l’âge adulte. A chaque étape, elle peut prendre une direction ou une autre sous l’influence de différents facteurs, qu’ils soient biologiques ou environnementaux. C’est pourquoi les états intersexués sont très variés et très nombreux, bien plus qu’on ne veut le dire. En plus de sa sexuation biologique, il faut ajouter toutes les influences éducatives, sociales et culturelles qui interagissent dans le développement psychologique d’un individu pour aboutir à un homme et à une femme.

 

L’au-delà des questions trans

Question : C’est juste cette idée que XY c’est un homme, XX une femme… On est, à la fois, dans la tradition et plus loin, dans la croyance. Après tout, qu’est-ce qui justifie de ne pas opérer les trans’ et d’opérer les intersexes sinon cette tradition et cette croyance ? L’expertise trans’ est un réexamen de cette croyance et tradition.

– C’est nécessaire de revoir toutes ces fausses croyances comme le fait de croire que l’attirance amoureuse et sexuelle est une chose stable durant toute la vie pour tout le monde. J’ai constaté chez pas mal de trans’ que lorsque l’on remet en question les préceptes de l’identité et de la sexualité, le fait qu’être homme ou femme ne soit pas si naturel que cela, on en arrive à remettre en cause le fait d’être attiré-e par un homme ou une femme plutôt que par une personne. Ce n’est plus une question génitale mais une question de rencontre, de personnalité. Si les cultures le permettaient et si l’ensemble de la population mondiale se posaient ces questions, je pense qu’on aurait une minorité d’hétérosexuels et d’homosexuels exclusifs et une majorité de gens qui seraient attirés non par un sexe (pénis, vagin) mais par une personne. Dit autrement, l’hétérosexualité et l’homosexualité exclusives pourraient être considérées comme une forme de fétichisme par le fait de vouloir trouver absolument un pénis ou un vagin chez le-la partenaire ! Dans ce cas, l’hétérosexualité et l’homosexualité exclusives devraient figurer parmi les paraphilies dans le DSM. Cela me fait penser à l’arroseur arrosé, ce qui pourrait prêter à sourire dans un autre contexte…

 

Question : Ce sont finalement les hiérarchies qui font des drôles de réalités construites que sont l’homme et la femme, les intersexes et aujourd’hui les trans’ ?

– Evidemment puisque la hiérarchie supérieure, c’est l’homme, après c’est la femme. Tout ce qui n’est pas un homme, c’est forcément une femme. Un gay n’est pas considéré comme un homme au sens propre du terme, c’est forcément moins bien qu’un homme, si ce n’est pas un homme c’est un « sous-homme », donc une « femme » ou une « femmelette »… C’est toujours péjoratif.

 

Question : Si je te suis, un homme c’est quelqu’un qui est 1/XY ; 2/ hétérosexuel ? Tous les autres critères ne comptent pas ?

– On peut ajouter, en effet, un homme masculin… parce qu’il n’est pas efféminé. Donc, ça donne un homme de sexe mâle, de genre masculin et d’orientation hétérosexuelle.

 

Question : Tous les gens qui ont changé de genre et qui reprennent le terme « trans », qui se visibilisent comme tels aujourd’hui, qui remettent en cause à leur tour les attendus binaires, ils viennent déborder les transsexuels eux-mêmes comme si les trans’ se trouvaient dépossédés de ce mot, cette réalité.

– Je pense que c’est du mot « transsexuel » dont les trans’ ne voulaient pas, par ce que trans’, transgenre, transidentité, c’est autre chose, c’est différent. Pour moi, « transsexuel », c’est une personne qui est attirée exclusivement par des personnes transidentitaires. Il y a des gens qui sont comme cela, on les appelle aussi les « translovers ». En fait, c’est une “nouvelle” attirance amoureuse et sexuelle. Ensuite, il y a les rencontres, des personnes qui se sont rendues compte que ce n’est pas très important d’être hétéro, homo, etc, que l’essentiel était d’être attiré par une personne particulière. D’ailleurs est-ce que ce sont des personnes qui ont beaucoup de relations sexuelles ? Pas forcément. C’est d’abord une attirance amoureuse et affective qui, ensuite, peut être sexualisée ou pas. Surtout, chez les MtF, où il y a une grande difficulté à trouver des partenaires hommes qui vont les accepter pour ce qu’elles sont, à savoir des femmes comme elles se ressentent même si ce sont des « femmes différentes ». Il y a peu d’hommes qui ont cette capacité à dire, « oui ma femme est (d’origine) trans’ et ce n’est pas un problème, elle est une femme » et qui ne vont pas se sentir diminués par cela.

 

Question : Un psychologue de l’université Paris 8 en ethnopsychiatrie, Jean-Luc Swertvaegher[1], a émis l’idée que les trans’ se construisaient en-dehors du sexe. Qu’est-ce que tu en penses ?

– Les trans se construisent différemment, ça c’est sûr. Mais est-ce par rapport au sexe ? Je ne sais pas parce qu’il y a des trans’ qui ont érotisé la question et d’autres pas. Donc, c’est très variable, je n’en tirerai pas une généralité. Je sais juste que, pour une partie des trans’, ce n’est pas la chose la plus importante. Cela reflète aussi la population rencontrée au Centre Georges Devereux. Avec Jean-Luc, nous avons travaillé ensemble dans un groupe de recherche créé et dirigé par Françoise Sironi.

 

Question : C’est une transformation de l’usage classique de l’expertise. Ce n’est pas quelque chose de spécifique aux trans’ ?

– Ce n’est pas nouveau, c’est reconnu et accepté, par exemple avec les maladies rares, le sida, les diabétiques… Il y a des gens qui discutent avec les médecins, leur généraliste, qui connaissent très bien leurs traitements, s’il faut en changer ou pas, etc.

 

La question trans, le suivi

Question : Qu’est-ce que le transsexualisme a à voir avec la psychiatrie ?

– Pour moi rien, mais des médecins ont jugé que, puisqu’il n’y a pas de preuve physiologique, ça doit être dans la tête. L’idée, c’était peut être de trouver un remède mais depuis plus d’un siècle, aucun traitement n’a été trouvé et, par ailleurs, tous les essais thérapeutiques sur le plan psychique, que ce soit avec des produits neurochimiques, les électrochocs, la chirurgie du cerveau ou des thérapies, aversive ou pas, rien n’a fonctionné. Par contre, les traitements hormonaux et chirurgicaux fonctionnent très bien. A t-on déjà vu un traitement hormonal ou chirurgical soigner une maladie mentale ? J’en conclus que ce n’est pas un problème psychiatrique, on ne peut pas résoudre cette question identitaire par la voie psy. Maintenant la science n’est pas capable de dire, l’origine, la source du problème. Peut-être qu’elle est multiple, peut-être qu’il y a des facteurs environnementaux qui viennent s’associer à des facteurs biologiques et des facteurs culturels mais ça n’a aucune importance. On peut chercher mais ça ne devrait pas empêcher qu’on prenne en charge en constatant que la personne a toute sa tête dans ce qu’elle demande avant de commencer ce traitement. Il n’y a pas d’autre vérification à faire.

 

Question : Dès le départ, selon leurs propres attendus, ils ont défini que c’était un « diagnostic différentiel », on vérifie qu’il y a une véritable maladie mentale ou un trouble et le transsexualisme lui-même.

– Je ne sais pas si les médecins le savaient dès le départ mais ils ont privilégié l’hypothèse d’une maladie mentale. Au début, ils ont parlé de « diagnostic positif de transsexualisme », puis, depuis qu’ils conviennent qu’en dehors de la transidentité les personnes ont bien toute leur tête, de « diagnostic différentiel ». Le but de ce « diagnostic différentiel » est, disent-ils, d’éliminer toute pathologie qui pourrait se donner l’apparence du transsexualisme telle que la dysmorphophobie, un épisode délirant, le transvestissement fétichiste (dont on sait qu’il peut cohabiter avec une variation de l’identité de genre et que de ce fait, il n’est pas une contre indication)… Tout comme au départ, les tests servaient au diagnostic positif ou différentiel, ils servent maintenant au pronostic ! Bref, dès que l’on démonte un argument, ils en trouvent un autre pour tenter de maintenir leur main mise sur les trans’.

 

Question : Quelle différence entre maladie mentale et trouble ?

 – Les troubles sont moins graves, on peut avoir des troubles psychologiques ou psychiatriques même et en avoir conscience. Une maladie mentale, c’est quand la personne n’a pas conscience qu’elle ne va pas bien, c’est le cas des délires par exemple. Elle n’est pas en état de prendre de décisions éclairées car elle a un dysfonctionnement qui l’empêche de raisonner clairement, donc de décider.

Par exemple une personne qui a des TOCs, (troubles obsessionnels compulsifs), a quand même toute sa tête. Cela ne devrait pas l’empêcher d’avoir accès à une prise en charge et un THC si elle a en plus une variation de l’identité de genre et qu’elle demande une transition. Cette personne est parfaitement capable de comprendre ses symptômes, que c’est un problème et d’ailleurs, elle le sait, elle le dit. Si elle ne venait pas en consultation dire « je suis envahie par ces TOCs et ça me coûte de me laver les mains si souvent, etc », les psychiatres ne le sauraient pas puisqu’ils ne l’auraient jamais vue. C’est bien elle qui constate un dysfonctionnement, qui va voir un psychiatre pour se faire aider. (C’est d’ailleurs un point en commun avec la transidentité.) On ne peut pas dire que cette personne est un malade mental. Elle a un problème qui effectivement l’handicape au quotidien mais cela ne la rend pas irresponsable, elle ne fait pas pour autant n’importe quoi. Donc, ce n’est pas une contre-indication de mon point de vue. C’est un trouble qui nécessite un accompagnement, une aide, mais en aucune façon, ce n’est une contre-indication pour pouvoir faire une transition.

 

Question : En France, avec la première équipe, la clinique trans’ et intersexe est solidement établie ? Il y a déjà des études, des suivis, ils savent depuis vingt ans que la réponse hormono-chirurgicale est valable ?

– Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu un tel écart, que les suivis ont commencé si tôt au Etats-Unis. C’est dans les années 60 mais il y a eu un écart de 10 à 15 ans avant qu’on commence à s’y pencher en France. Il n’y avait pas un recul si important qui permette de dire que les traitements hormono-chirurgicaux étaient la bonne réponse. Cela n’est rentré dans le DSM que dans les années 80.

 

Question : Au cours des discussions lors de la rencontre à la Sorbonne (décembre 2010), il y a eu de la part de Mes Bonierbale et Chiland, un seul mot : la souffrance. Au nom de la souffrance, on vient prendre en charge mais c’est devenu un mot vide de sens maintenant que les gens souffrent moins, communiquent et sont dans des groupes. Qu’est-ce que devient cette souffrance dans la justification de la prise en charge ?

– Je ne dirai pas qu’il n’y a plus de souffrance chez les trans’, il y en a qui ont des souffrances et d’autres pas, ou moins. Donc, c’est très variable. Mais ce n’est pas parce qu’il y a moins ou pas de souffrance qu’il ne faut pas prendre en charge et ce n’est pas le seul motif. Avoir quelqu’un qui fonctionne bien dans la société, c’est toujours mieux. Par ailleurs, si la personne ne souffre pas maintenant, ça ne veut pas dire qu’elle ne souffrira pas plus tard. Ce n’est pas la peine d’attendre qu’elle souffre pour l’aider. Si elle présente ce problème, il faut l’aider. Pour être efficace, autant le faire dans les meilleures conditions plutôt que d’attendre qu’elle souffre et le faire quand elle sera au plus mal.

 

Question : Ce dont souffraient le plus les gens, c’est l’isolement, les agressions, plus que du fait d’être trans’ ?

Effectivement, c’est plus le regard social, les problèmes sociaux, le regard des autres, l’acceptation dans la société… La transphobie est encore bien répandue. Quelqu’un qui ne prend pas les transports en commun ne peut pas se rendre compte à quel point on peut se faire agresser juste à cause de ça, particulièrement en région. Quant à la solitude ou l’isolement, quand on ne les a pas choisis, c’est terrible. Le pire c’est l’hypocrisie, les petites réflexions en passant qui ne s’adresse pas vraiment à la personne mais qui sont faites intentionnellement lorsqu’elle se trouve à proximité des auteurs qui pouffent de rire. Impossible de répondre ou de se défendre car les agresseurs bottent en touche et se moquent de la personne trans’. Difficile de porter plainte pour des mots… A force de répétition, les victimes s’isolent, ne sortent plus à certaines heures, évitent certains endroits… Les mots sont parfois plus terribles que les coups.

La question trans’, c’est surtout un problème de classe sociale. Quelqu’un a qui de l’argent s’en sortira toujours, quelqu’un qui n’en a pas, beaucoup moins bien. Tout est lié d’abord au statut social de la personne et ensuite au regard social. Quand on est riche, on a plus facilement la possibilité d’imposer ses décisions que quand on est pauvre et dépendant des autres. Donc, la première chose, c’est un problème social. C’est aussi un problème médical mais pas seulement.

 

Question : Y a t-il des lieux ou cette expertise trans’ n’est pas contestée ni même discutée mais simplement entérinée ?

Ça dépend des lieux, de leur propre fonctionnement. C’est peut être dans le milieu des festivals de cinéma que l’on trouve le plus cette attitude. Il y a aussi des professionnels (des éducateurs, des enseignants, des psys) qui comprennent que la parole des personnes concernées est importante et qu’ils ne peuvent pas s’y substituer, ils vont donc plutôt faire appel à des gens qui sont passés par cette expérience pour faire des formations ou des exposés sur le sujet. Dans ce cas, c’est franchement vécu comme un apport parce qu’eux-mêmes ne sauraient en parler de cette façon car, même s’ils connaissent la question, ils ne s’estiment pas suffisamment compétents pour pouvoir en parler ou ils ne souhaitent pas le faire à la place des trans’. Mais ce n’est malheureusement pas une démarche que l’on va retrouver unanimement partout.

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[1] Jean-Luc Swertvaegher, Les psy à l’épreuve des transsexuels … ou penser les êtres humains sans le sexe, http://www.ethnopsychiatrie.net/swertusagers.htm


Entretien mis en ligne, décembre 2010.

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