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Étiquette : Pathologisation

« A trans-inclusive feminism as a progressive sensibility »

« A trans-inclusive feminism as a progressive sensibility » (28)

Héloïse Guimin-Fati

Meghan Murphy, Sheila Jeffreys, Cathy Brennan, les sites « Feminist Current », « Sisyphe », « TRADFEM », quelques blogs, des groupes Facebook et un tas d’échanges  acrimonieux sur les réseaux sociaux nous feraient croire que, pour une partie de la planisphère féministe, un nouvel ennemi est né, se substituant à l’ancien, plus dangereux que celui-ci et, pourtant, circonscris à une infime minorité de la population ; à savoir les Femmes trans*.  A les lire et à analyser la violence avec laquelle les deux communautés s’affrontent on penserait que le péril est plus alarmant car insidieux et qu’il sonnerait le glas des luttes féministes contre le patriarcat.

Les arguments et modes de « défense » de ce que d’aucuns appellent les TERFS(1) sont récurrents : opposition antinomique entre les « porteurs de pénis » et les « femmes », instrumentalisation de faits divers et de la violence des réactions de la part de certain.e.s personnes trans., sur-légitimité cissexuelle, mythification des trans*, accusation de liquidation des luttes féministes, le tout mêlant ignorance et mauvaise-foi surréalistes.

La multiplication des interventions et des altercations nous a poussées à réagir. Je vais donc prendre le temps de penser ces méthodes pour y apporter un début de réponse, non pas dans l’espoir de vider la querelle, mais pour offrir à celles-ceux qui se retrouvent confronté.e.s à ce genre d’attaques des pistes de réflexions ou des arguments pour se défendre. La médiatisation de plus en plus grande, qui jette sur nos destins un projecteur cru et déformant, ne fera que braquer celles qui voient en nous des ennemi.e.s. Il est donc utopique de croire que la publication de ce dossier mette fin aux conflits. Comme me l’a dit une amie « souffle sur le feu, il y aura toujours des braises ! »

Cela étant dit, penchons-nous sur l’argumentaire déployé. Et d’abord sur la division corporelle de l’humanité entre « porteurs de pénis » et « femmes ». J’use à dessein de ces deux expressions qui sont souvent opposées sur un pied de non-égalité. De même que lorsque Kathy Brennan se fait photographier en exhibant une figurine affichant « Sorry about your dick » (2) ou que Jules Falquet décrit le sort des recrues masculines du service militaire turc (3), il y a ce besoin de partager et de déshumaniser une partie de l’humanité en, d’un côté, la ramenant à un organe de son corps, le définissant irrémissiblement et de l’opposer à des figures (« les femmes ») dont l’existence individuelle est un construit conscient, une victoire sur leur corps, le plus souvent objectivé, et les injonctions au silence dont elles sont souvent victimes. D’un côté un objet confronté à un sujet. Dans le cas qui nous intéresse ici, cela renvoie les Femmes trans* à ce que beaucoup tentent de dépasser et de transcender (l’assignation à la naissance). C’est simple et souvent, avouons-le, efficace, nous laissant avec une meurtrissure insondable, surtout que l’acte posé l’est avec un plaisir non déguisé, souvent sadique, appuyé sur une foi quasi religieuse. Certain.e.s d’entre nous ne sachant y répondre que par l’agressivité et les excès.  Sans excuser ceux-ci, allons un peu plus loin.

Le féminisme radical se défend d’être essentialiste, il ne s’attaquerait qu’à « La » racine du patriarcat pour libérer les femmes de l’oppression des hommes. A les entendre il n’y aurait donc qu’une seule racine à ce système inique, un seul axe d’oppression et de classification qui expliquerait tout et où tout serait soluble. Cette idée du « tout » explicable par un seul schème me fait furieusement penser à la doctrine psychanalytique où ce « tout » est explicable, entre autre, par le concept de « résistance ». Résister c’est la preuve de la névrose et donc du refus d’être soigné.e. Sous entendre qu’à l’axe oppressif homme-femme, peuvent se substituer (ou se superposer) d’autres axes est, sur le même mode, une preuve de misogynie patriarcale et le dossier que vous lisez, qui met en question ces doctrines radicales, le serait tout autant. Dans les deux cas soit vous acceptez soit vous êtes un.e ennemi.e. Il vous faut donc laisser votre libre arbitre et votre conscience aux portes de ces cabinets d’analyse.

L’appartenance à un corps est le juge ultime qui fait de vous soit une victime du patriarcat soit un de ses privilégiés. Kate Louise Gould (4) nous dit qu’elle est «  une femme natale. Un être humain femelle adulte » qu’elle a « un vagin et, jusqu’à la ménopause, un cycle menstruel » que « ce ne sont pas des opinions ; ce sont des états de faits biologiques » que «  cette biologie peut ne pas définir une femme dans son intégralité — elle a un vagin, elle n’est pas un vagin —, mais elle est essentielle à ce qu’est une femme », pour elle  « notre biologie et notre être féminin sont entremêlés » et elle finit par « comme la biologie des hommes avec leur être masculin : un pénis et des testicules sont les marqueurs biologiques de la masculinité ».

Que nous apprend, ou ne nous apprend pas, cette profession de foi ? D’abord, une première chose, assez étonnante pour une personne prédicant la dualité des sexes et des genres, c’est qu’il y aurait des femmes « natales » et donc, à contrario, qu’il y en aurait qui ne le soit pas.

Elle se désigne elle-même comme « femelle humaine », discernant pourtant les corps par leurs seuls organes et caractéristiques procréatrices, atténuant à peine le fait que nous soyons tous.tes des mammifères, en effleurant notre humanité consciente pour finir par lier sexe et « façon d’être au monde » ; le genre, qu’elle ne nomme pas. Parler de « femelles humaines » c’est supposer la « pré-existence de groupes à leur hiérarchisation [en laissant] de côté la question de [leur] constitution » (5). C’est aussi penser les corps en soulignant leur animalité tout en coupant ceux-ci de la perception que nous pouvons en avoir. Que l’oppression des femmes en tant que classe repose en partie sur deux construits reliés : la capacité de reproduction et la capacité sexuelle est une chose facilement vérifiable. Mais pour que cette oppression aie pu s’installer et perdurer il a fallu, d’abord, que TOUS les corps soient pensés selon l’axiome hétérosexualité-procréation.

Ramener la différence des sexes à la seule réalité biologique c’est ; ne pas prendre en compte le construit perceptif de cette réalité. C’est ramener les corps à des « machines » dont le rôle social et singulier est la permanence de l’Humanité.  C’est faire croire que le corps est un assemblage d’organes indépendants les uns des autres alors que c’est une intégration, les uns n’ayant d’existence qu’en rapport aux autres, la fonction procréatrice n’en étant qu’une des qualités, ne définissant chaque corps singulier qu’en partie. De plus, « Ce qui permet d’affirmer que ce corps est le mien, c’est le sentiment de propriété lui-même » (6), que seul le point de vue d’une subjectivité ou d’une conscience peut isoler de la masse des autres corps. Et là où il y a conscience, il y a dépassement du stade limitatif de l’animalité darwinienne et possibilité de se libérer du cadre oppressif du contrôle des corps par le patriarcat et de leurs définitions biologiques. L’idée comme quoi les humains seraient déterminables selon leurs caractéristiques sexuelles primaires et secondaires et leur flux d’hormones indépendamment de leurs mises en combinaisons et de la possibilité de penser et la finitude de ces caractéristiques et la modélisation des divers vécus est s’offrir, une fois encore, en offrande à la toute puissante supposée de la Nature. Lors, réduire les corps à quelques organes c’est les vider de ce qui leur donne vie et perspective, c’est, somme toute, tuer ces corps que l’on prétend définir.

Mais ce n’est pas tout. Comment continuer à lier sexe et genre lorsque Christine Delphy, elle-même (5), avance que, « la différence est la façon dont […] on justifie l’inégalité entre les groupes.[…] ces différences ne sont pas seulement des différences, mais aussi des hiérarchies. La société s’en sert pour justifier son traitement « différentiel » – en réalité inégal et hiérarchique- des groupes et individus. […] une « vraie » différence est d’une part réciproque et d’autre part n’implique pas de comparaison au détriment de l’un des termes. Or la différence invoquée sans arrêt à propos des femmes, mais aussi des homosexuel.les, des « arabes », des « noirs, n’est pas réciproque, bien au contraire. […] Cette différence est un stigmate. », plus loin elle ajoute, « cet implicite d’une préexistence des groupes à leur hiérarchisation laisse de côté la question de la constitution des groupes en groupes […] L’impossibilité de rendre compte de leur constitution par autre chose que la volonté de hiérarchiser les individus (de les rassembler en groupes d’inégale valeur) est la clé de toute de ma théorie […] une fois que les groupes sont constitués, on ne se demande plus comment ils ont été constitués. On se demande en quoi ils diffèrent, comme si l’opération par laquelle ils ont été nommés différents, puis traités différemment, était sans rapport avec leurs différences actuelles », enfin, « la biologie est un regard sur la réalité  […] il ne peut exister de « vérité biologique ». Et elle termine par ceci ; « le sexe est conceptualisé comme une division naturelle de l’humanité – la division mâles/femelles- division dans laquelle la société met son grain de sel […] si le genre n’existait pas, ce qu’on appelle le sexe serait dénué de signification, et ne serait pas perçu comme important : ce ne serait qu’une différence physique parmi d’autres. […]  Je conclus que le genre n’ [a]  pas de substrat physique […] qu’au contraire c’ [est] le genre qui [crée] le sexe : autrement dit, qui [donne] un sens à des traits physiques qui, pas plus que le reste de l’univers physique, ne possèdent de sens intrinsèque. […] La plupart des féministes continuent de penser à l’intérieur du paradigme précédent [le sexe comme une division naturelle de l’humanité]. Beaucoup certes font une place au genre : admettent qu’une bonne part, sinon la totalité de ce qu’on appelle « féminité » ou « masculinité » sont des construits sociaux, et se défendent d’appartenir à l’école essentialiste qui postule une différence ontologique et irréductible et totale entre les femmes et les hommes. Néanmoins, elles gardent l’idée que le genre est assis sur un sexe physique, dichotomique et réel : que les catégories de sexe nous sont données par la « nature ». Toujours Delphy ; « les défenses sans cesse renouvelées de « la différence sexuelle » ne font que confirmer l’importance du genre dans nos sociétés : une importance sociale telle qu’elle est apparemment le fondement de notre appréhension du monde. […] Tout se passe comme si la différence des sexes était ce qui donne sens au monde […] cette croyance est si ancrée dans la conscience de chacun.e, qu’elle déborde largement le domaine du genre lui-même, affecte la perception du monde et même la capacité à le percevoir  […] La croyance que le « différence sexuelle » est une différence fondamentale, un socle naturel produisant deux principes, féminin et masculin, sur lesquels la société peut et doit s’appuyer, est aussi vieille que notre civilisation historique. ».

Les deux cas de « changement » chirurgical de sexe au II° siècle avant notre ère décris par Jean Lascaratos et Stavros Perentidis (7) confirment que la naturalisation des sexes sur des modèles déterminés est ancienne et un des fondés sur lequel toute la perception du normal et du pathologique reposent quand il s’agit de corps hors du schéma naturaliste. Tout agit comme si nous devions rendre à notre mort le corps que nous avons reçu en l’état et que l’appel à la technique, réputée changer la nature, doit être neutraliser par l’édification de lois (morales ou institutionnelles) pour rétablir les droits de la Nature mise en danger.  Le simple désir de modifier les paramètres et les apparences morphologiques ne peut alors qu’être le symptôme d’une déréliction de la raison.

« L’identité du normal et du pathologique est affirmée au bénéfice de la correction du pathologique » (8) sur l’idéologie que toute atteinte à la « Nature » est inconcevable tant celle-ci est réputée saine, indivisible et bienfaitrice. Ce qui permet dès le début du XIX° à la médecine d’apporter son concours savant à une morale qui, au Moyen-Age par exemple, ne parlait que de dégradation de l’âme (9). Les inverti.e.s vont passer des flammes de l’Enfer à l’enfermement pour cause de maladie et de prétentions thérapeutiques. L’idée étant de soigner et qu’au trouble succède l’apaisement. La psychiatrie, et ensuite la psychanalyse, vont être les bras armés de cette normalisation forcée des identités sexuelles déviantes et des expressions « transsexuelles », mettant allégrement le tout dans le même sac en suivant en cela l’exemple de Magnus Hirschfeld, inventeur du  terme « transsexualismus » et ayant classifié les identités-attirances en quelques 80  catégories « d’intermédiaires sexuel.le.s » (10). C’est sur ces bases (Harry Benjamin rencontra Hirshfeld au début de sa carrière) que « le modèle transsexuel » s’édifiera, vu comme une réparation d’erreurs successives et dont beaucoup de trans* feront l’expérimentation douloureuse. Car, que se soit dans l’acceptation d’un complexe œdipien « mal » vécu, d’un refus de choix d’objet hétérocentré, que se soit dans la certitude d’un corps-prison, d’un appel, ou d’une condamnation des interventions chirurgicales ou des traitements hormonaux, que se soit dans l’imposition de thérapies réparatrices ou d’acceptation d’un destin donné, ce qui importe à la Société est le retour à la norme de parcours de vie pervertis pas la perversion, la névrose ou le mensonge. Au final quelque soit le point de départ de la projection des vies transidentitaires à la lumière de la naturalité des corps, c’est le destin pathologique funeste qui en est la qualité pernicieuse et finie.  Tout est fait, même après « normalisation », pour qui nous n’oublions jamais l’abjection qui est la nôtre.

C’est ce que Meghan Murphy va s’attacher à faire dans son article incendiaire du 21 septembre 2017 traduit pour le site RADFEMS (11). En fait cet article nous en apprend bien plus sur la vision hallucinée que les féministes radicales transphobes ont des personnes trans. que sur l’intégration de celles-ci dans la société civile, intégration qui ne sera de toute façon vue qu’à la lumière d’une invasion-soumission patriarcale.

Cette diatribe part d’un fait déplorable ; l’agression dont a été victime, au Speaker Point d’Hyde Park, une oratrice féministe de la part de trois activistes trans (12). Quel que soit le fossé qui nous sépare, il est hors de question de légitimer la violence. La violence patriarcale, qui est une réalité commune, est ce qui devrait nous unir tous.tes dans une même volonté de combat, et non pas en nous écharpant entre nous.  Mais, les condamnations doivent aussi se faire dans les deux sens. Murphy a beau jeu de souligner les tweets détestables adressés, par des activistes trans* et alli.é.s, à celles qui pensent comme elle en omettant, bien entendu, ceux qu’elles sont tout aussi capables d’envoyer en retour ou en amont. Une rapide recherche sur les réseaux sociaux aura vite fait de montrer l’ampleur des dégâts (13). La violence et les invectives sont réciproques mais l’objectif des féministes transphobes est d’exclure les personnes transidentitaites des droits les plus élémentaires en faisant flèches de tout bois.

Car, il ne faut pas se leurrer, que ce soit dans son allocution de mai 2017 devant le comité sénatorial canadien, son contre-rendu de la conférence donnée à Conway Hall, Londres en 2016 ou le texte du 21 septembre, ce qui intéresse Meghan Murphy est de refuser que les droits humains soient appliqués à une partie de la population sous couvert d’un féminisme essentialiste qui aurait seul valeur de loi en instrumentalisant les actes d’une minorité d’entre nous. Son discours ne doit pas cacher l’obédience de certaines féministes radicales aux thèses de Janyce Raymond, dont le rapport de 1980 servit aux autorités américaines et aux diverses assurances pour exclure les « transsexuel.le.s » de toute une série de remboursement de soins de santé entraînant des décès en cascade (14), et à celles de Sheila Jeffreys qui appelle à l’arrêt des chirurgies et des traitements hormonaux considérére.e.s comme contraires aux droits humains (15) et dont l’un des faits d’armes aura été de se fendre de commentaires racistes condamnés par la communauté aborigène australienne (16). Tout le réquisitoire de cette branche du féministe est axé sur la partition « naturelle » des humains et sur l’idée que nous serions atteint.e.s d’une psychopathologie nommée en ce moment « dysphorie de genre », soumis.e.s au patriarcat capitaliste, voir, comme le prétend Jeffreys, parce que c’est une excitation sexuelle qui « fait » de nous des malades. Quant aux hommes trans*, ils sont ravalés au rang de traîtres à la cause des femmes et, parfois, avec paternalisme, de simples brebis égarées éveillant de la commisération, mais le plus régulièrement ils sont ignorés (17).

On peut étudier que la partition du sain et du pathologique se retrouve déjà chez Aristote et sert de modèle classificateur et hiérarchique à une société qui, ailleurs, subordonne sur fond de sexes et aura interdit aux femmes l’accès du domaine public pour des raisons soi-disant « naturelles ». L’agencement du pathologique est une hiérarchie patriarcale, y faire appel pour exclure une part de la population ne peut que réifier une oppression en se faisant les allié.e.s objectif.ive.s de l’oppresseur.  On peut dès lors raisonnablement se demander ce qui fait qu’une partie du féminisme radicale aie décidé que les personnes trans* seraient les ennemies à abattre de quelques manières que se soit, en usant d’artifices et de désinformations et en s’appuyant sur des thèses psychiatriques données par le patriarcat lui-même.

Mais en définitive, la question est de savoir, au-delà des arrogances et invectives et des quelques échauffourées ici et là, comment cela se déroule t’il au niveau du terrain ? Là où féministes et personnes trans. se croisent ? Comment cela se déroule t’il dans les lieux LGBTQI, lors des événements communs, des drinks, des actions, des soirées et des festivités ?

Puisque Meghan Murphy parle de différences selon les territoires (le terme de territoire n’est pas anodin, j’en reparlerai plus loin), parlons donc du « territoire » belge où je milite.
En fait, cela se passe bien et de manière tout à fait cordiale et pacifique.

En tant qu’administratrice de l’association Genres Pluriels et responsable de deux de nos permanences, je suis amenée à fréquenter et à accueillir énormément de personnes.  Que se soit à Bruxelles, Liège ou Verviers, cis*, trans*, gays, lesbiennes, hétéros, féministes, queers, hommes, femmes, inters., non-binaires etc se croisent, se saluent, échangent des propos, s’organisent ensemble, se soutiennent sans que cela ne posent le moindre problème.  Ces derniers mois, notre association s’est associée avec le L-Festival (18) et le festival Pink Screens (19), comme chaque année. Dans le cadre de notre festival, nous avons mis sur pied plusieurs soirées avec une autre association qui accueille les réfugié.e.s et les migrant.e.s afin de parler de la situation des personnes transidentitaires venant de ces pays (20).  Enfin, nous avons organisé un colloque transféministe pour parler de la trans-sectionnalité des oppressions et où en collaboration avec des personnes de tout horizon, entre autres de l’ASBL Garance (21), nous pourrons questionner l’auto-santé, l’appréhension des corps dit hors-norme, parler des attitudes de réappropriation de nos identités multiples et complexes,  de la pathologisation et de tant d’autres injonctions patriarcales (22).

Dès lors comment doit-ont, interpréter leur attitude et les demandes de formations à l’accueil des personne trans* par une association comme Liège Gay Sport, dont la majeure partie des affilié.e.s  sont des gays et des lesbiennes et qui désire nous accueillir et pouvoir réagir contre les réactions transphobes lors de leurs événements sportifs? Comment interpréter que le L-Festival et d’autres associations lesbiennes ne se sentent pas agressées par la simple présence de F Trans*, qui contrairement à ce qu’en a dit JJ Barnes, dans un autre article  des plus surréalistes, relayé par Christine Delphy (via TRADFEMS) et publié au départ sur Feminist Current (le chemin pris par ce texte n’est pas innocent) (23), ne cherchent pas à obliger les lesbiennes à avoir des relations sexuelles avec des « femmes à pénis » qui n’ont guère peur des viols correctifs dont nous serions les nouvelles portes-drapeau  (24) ?

Je me pose donc cette question, si toutes ces femmes « natales », pour reprendre l’expression de Kate Louise Gould, ne se sentent pas en danger, est-donc parce qu’elles se sont soumises aux lois du patriarcat ? Est-ce que, lorsque Mirabal Belgium invite notre association à participer à « la manifestation féministe nationale » contre le féminicide, les organisatrices trahissent la cause des seules « vraies » femmes ? Et, quand le festival Cinéffable poste ce message sur son Facebook :  « Nous regrettons d’apprendre ce qui s’est passé avant 2008. A ce moment-là, le positionnement de l’association Cineffable n’était peut-être pas suffisamment clair en ce qui concerne l’accès au Festival. Nous avons désormais clarifié ce positionnement. Le Festival est un espace ouvert à toute personne s’identifiant en tant que femme. Le choix de venir ou non de participer au festival appartient à chacunE. Nous sensibiliserons également les personnes qui assurent la sécurité à l’entrée du Festival afin qu’un tel événement ne se reproduise pas. En cas de problème, n’hésitez pas à solliciter une membre de l’équipe organisatrice. » (25), devons-nous supposer que ce festival renie la cause des femmes « biologiques » et se soumet aux invectives et à la violence des personnes transidentitaires, agentes infiltrées du patriarcat honni en abandonnant les luttes féministes et lesbiennes ? Et que dire des excuses de Gloria Steinem,  qui a longtemps professer les idées de Raymond (26) mais qui en octobre 2013 expliquait : « Alors maintenant je veux être sans équivoque dans mes mots: Je crois que les personnes transgenres, y compris celles qui ont fait la transition, vivent des vies réelles et authentiques. Ces vies devraient être célébrées, pas questionnées. Leurs décisions en matière de soins de santé devraient être les leurs et être les seules à en décider. Et ce que j’ai écris il y a des décennies ne reflète pas ce que nous savons aujourd’hui, puisque nous nous éloignons seulement des cases binaires du «masculin» ou du «féminin» et que nous commençons à vivre sur le continuum humain de l’identité et de l’expression. » (27)

En conclusion, et si tout cela n’était rien d’autres qu’une question de territoire et de la perte d’un illusoire monopole dans l’action politique contre le patriarcat ?   Et si au final, la multiplicité des luttes et les glissements des diverses oppressions et stigmatisations dues à cette organisation sociétale millénaire, capable de se régénérer tel une hydre, ne déstabilisaient pas une certaine idéologie radicale qui en est obligée à défendre un essentialisme abscons, usant du genre comme d’un outil contraignant à une partition de plus en plus abstraite pour combattre plus aisément un ennemi bien défini quitte a condamner toutes celles.ceux qui ne se contenteraient pas d’une seule grille d’analyse, ou refuseraient de ne penser la lutte contre le dit patriarcat que comme l’affaire des seules femmes « natales » adhérentes aux dogmes de Janice Raymond et Sheila Jeffreys?

Fort heureusement, le féminisme est riche de possibilités et l’on peut sans problème penser son investissement en liant Christine Delphy, malgré ses errances contemporaines, Michel Foucault et Judith Butler. Car, la masse des savoirs est telle qu’il serait bien dommage de se priver des possibilités qu’ils nous offrent afin de penser et actionner d’une manière personnelle et commune nos investissements à défaire le genre, à en refuser le dogmatisme et, au-delà, à récuser au patriarcat le poids qu’il s’arroge dans nos existences, nos éducations et nos luttes.

NOTES

1 Le terme Trans-Exclusionary Radical Feminism, TERFS, est devenu au fil du temps une insulte jetée en réponses aux diverses agressions et conflits entre certaine.e.s activistes trans., leurs allié.e.s et une partie des féministes radicales. En ce qui me concerne je l’utilise assez peu, lui préférant le terme « féministes radicales transphobes », voir « féministes transphobes ». Dans ce cadre-ci, j’en use, pour poser et délimiter l’objet de mon article.

2 http://planettransgender.com/sorry-about-your-dick-an-interview-with-cathy-brennan/

http://planettransgender.com/cathy-brennan-made-a-name-outing-transkids-now-suing-after-ellen-for-reveal/

3 Jules FALQUET. « Au delà des larmes des hommes : l’institution du service militaire en Turquie » in « pax neoliberalia » Edts racine de iXe. 2017. Quelques précisons s’imposent tout de même. Si dans ce texte Falquet articule son discours dans une séparation biologique sexo-centrée, elle évoque l’idée (sans l’approfondir) que la soumission à une attitude de « type » masculine opposée à une attitude de « type » féminine est la condition essentielle pour être accueilli dans la communauté des « mâles » effectuant leur service militaire en Turquie. Elle évacue trop facilement à mon goût cet acte de soumission porteur en lui-même de discriminations et d’oppressions pour faire valoir une analyse très juste du masculinisme militaire, fondateur et fédérateur d’une identité virile. Elle base son analyse du destin trans* au sein des corps d’armée sur un seul exemple qui, cependant, démontre bien le caractère inique de l’injonction genrée imposée à la f trans* dont il est question dans l’étude sur laquelle elle se base. Tout porte à croire que pour ne pas déforcer son discours, mais je ne vois pas en quoi, que du contraire, elle avait besoin de taire une oppression spécifique, basée sur la binarité des sexe-genres, alors que c’est justement cette oppression duale qui est l’objet de son travail. On peut aussi se demander pourquoi elle tend à minimiser l’exclusion dont les gays sont victimes au sein même des rangs de l’Armée turque ? Mais le titre donne, je pense, la réponse.

4 https://tradfem.wordpress.com/2017/10/27/transfemmes-les-nouveaux-misogynes/

5 Christine Delphy «L’ennemi principal : 2 Penser le Genre » Edts Syllepse 2013

6.Maine de Biran « Essai sur les fondateurs de la psychologie » Edts Tisserand. 1982

7 Jean Lascaratos et Stavros Perenditis « Deux cas de changement chirurgical de sexe au II° siècle avant notre ère : approche historique » in « Les assises du corps transformé ». Edts Les Etudes Hospitalières . 2010

8 Georges Canguilhem « Le normal et le pathologique » Edts Puf 2017

9.Jean Verdon « Le plaisir au Moyen Age » Edts Tempus 2010

10 https://fr.scribd.com/doc/32692115/Hommage-to-Magnus-Hirschfeld-FR

11 https://tradfem.wordpress.com/2017/09/24/traiter-quelquune-de-terf-nest-pas-seulement-une-insulte-cest-de-la-propagande-haineuse/

12 http://www.newnownext.com/terf-hyde-park-transgender/09/2017/. Dans cet article vous pourrez voir que, contrairement à ce qu’avance Meghan Murphy, l’association Trans Health London a condamné l’agression de Maria MacLachlan par trois activistes se revendiquant être de ses membres.

13 http://www.pinknews.co.uk/2017/09/25/daily-mail-and-the-times-wrongly-accuse-action-for-trans-health-of-condoning-violent-protests/

https://twitter.com/hashtag/terfs?lang=fr

14.http://transadvocate.com/fact-checking-janice-raymond-the-nchct-report_n_14554.htm http://transgriot.blogspot.be/2010/09/why-trans-community-hates-dr-janice-g.html. Pour être complète voici la défense de Raymond sur son propre site, vous pourrez ainsi vous faire votre propre opinion : http://janiceraymond.com/fictions-and-facts-about-the-transsexual-empire/

15.http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1363460715583452 https://www.newyorker.com/magazine/2014/08/04/woman-2

16.http://www.starobserver.com.au/news/national-news/leading-feminist-launches-bizarre-racist-attack-on-trans-community/118883

17 https://monsieursilvousplait.wordpress.com/2017/02/17/mecs-trans-et-feminisme/

18 http://rainbowhouse.be/fr/projet/l-festival/

19 http://www.gdac.org/

20 http://www.merhaba.be/fr

21 http://www.garance.be/

22 https://www.genrespluriels.be/18-11-17-Colloque-Transfeminisme-s-et-Intersectionnalite-s

23 https://christinedelphy.wordpress.com/2017/08/01/le-lesbianisme-est-la-cible-dattaques-mais-pas-de-la-part-de-ses-adversaires-habituels/#more-717

24 https://reflexionstrans.wordpress.com/2017/08/03/premier-article-de-blog/

25 https://www.facebook.com/pg/Cineffable-101128133261457/reviews/ . Voir le commentaire du 26 juin 2016 et sa réponse du 28 par l’organisation du festival.

26 http://transgriot.blogspot.be/2012/09/gloria-steinem-transphobe.html

27 https://www.advocate.com/commentary/2013/10/02/op-ed-working-together-over-time

28 Le titre de mon texte est inspiré d’un article paru sur le site Progress Queen dont je partage le lien ci-après: http://www.progressqueens.com/news/2017/10/2/some-feminists-embrace-oppression-by-continuing-to-exclude-trans-women-from-language-of-legal-protections-activists. Pour continuer, et penser globalement, les deux liens suivants émanent d’une redneck-hippie végétarienne comme elle se définit et démontre qu’on peut être féministe radicale et citer Andrea Dworkin sans pour autant être transphobe  http://daisysdeadair.blogspot.be/2009/08/andrea-dworkin-on-transgender.html# , http://daisysdeadair.blogspot.be/2009/05/censorship-and-radical-feminist.html

29  Je ne peux m’empêcher de terminer mon article sans citer ce très beau texte d’une association féministe américaine ayant fêté ses 50 ans d’existence il y a peu. http://www.radicalwomen.org/transphobia.shtml

Maud-Yeuse Thomas : Conditions actuelles des protocoles médico-légaux

Maud-Yeuse Thomas

Chercheuse indépendante,
Cofondatrice et coresponsable de l’Observatoire des Transidentités


Conditions actuelles
des protocoles médico-légaux
(1)

La question liminaire était formulée ainsi : Deux ans presque jour pour jour après le retrait officiel des « troubles de l’identité de genre » de la liste des affections mentales de longue durée, qu’en est-il de la représentation française des transidentités ? Réponse, rien n’a changé et rien ne changera sans nous. Roselyne Bachelot n’a rien dépsychiatrisé sur le terrain. Des siècles d’indifférence ou d’oppression à l’égard des minoritaires ont permis l’escalade des pathologisations tout au long d’un XXème siècle rationnaliste. Aussi, le problème dépasse très largement le seul champ psychiatrique puisque celui-ci dépend en fait d’un contexte social que le « médicolégal » vient ordonner sur des critères rationalisables et quantitatifs (2).

L’OMS, à la suite de la proposition de réécriture du DSM V, a lancé une invitation pour une réécriture programmée de la CIM. Elle s’est déroulée à la Sorbonne en décembre 2010 (3) en présence entre autre de responsables d’asssociations et de représentantes de la Sofect. Retour analytique sur les conditions de prise en charge et leur critères au regard d’une contextualisation d’époque.

DSM IV

Identification intense et persistante à l’autre sexe (ne concernant pas exclusivement le désir d’obtenir les bénéfices culturels dévolus à l’autre sexe)

Sentiment persistant d’inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d’inadéquation par rapport à l’identité de rôle correspondante

L’affection n’est pas concomitante d’un phénotype hermaphrodite

L’affection est à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

Cette définition est entièrement centrée sur 1/un individu atypique et isolé ; 2/ neutralisée par rapport à un contexte de société. La « société » est le modèle dominant sous la forme d’une binarité psychosociologique postulant une identité biosociologique rationalisant a priori et après coup des comportements, rôles et places. Le cadre normatif n’est jamais présenté alors qu’il isole la personne et fracture son unicité d’existence via ces deux caractéristiques socialement et culturellement antagoniques : « identification au « sexe opposé » » ; « souffrance, malaise ou inadaptation par rapport à son sexe anatomique ».

Il n’y a plus d’individu mais une affection reposant sur l’équation de la souffrance, norme médicale justifiant et légitimant le contrôle scellant l’individu dans une contrainte au déni de soi-même ou la contrainte à la transition transsexe. L’on a scellé cet individu d’autant plus aisément que l’enfant l’a été, fabriquant une condition et un fonctionnement solitaire en lieu et place de son développement ritualisé ; situation que l’on pourra d’autant plus aisément « diagnostiquer ». Mais que se passe-t-il si l’individu ne souffre pas ou plus ? D’emblée, cette question est écartée.

Le « transsexualisme » ou « process transsexe » est résumé et cantonné à l’addition de deux facteurs dans la CIM-10 : « Trouble de l’identité sexuelle de l’enfance » (F64.1) et « transvestisme bivalent » et (F64.2) présentés comme étant deux états différents se superposant en raison d’un trouble désorganisant –et non pas organisant- la vie psychique. On ne précise jamais ce qui le désorganise : la seule explication d’une « identification au sexe opposé » se suffit.

CIM-F64.1 –  Travestisme bivalent

Ce terme désigne le fait de porter des vêtements du sexe opposé (…), de façon à se satisfaire de l’expérience d’appartenir au sexe opposé, mais sans désir de changement de sexe (…); le changement de vêtements ne s’accompagne d’aucune excitation sexuelle

CIM-F65.1 – Travestisme fétichiste

Port de vêtements du sexe opposé, principalement dans le but d’obtenir une excitation sexuelle et de créer l’apparence d’une personne du sexe opposé. Le travestisme fétichiste se distingue du travestisme transsexuel par sa nette association avec une excitation sexuelle et par le besoin de se débarrasser des vêtements une fois l’orgasme atteint et l’excitation sexuelle retombée. Il peut survenir en tant que phase précoce du développement d’un transsexualisme.

L’un de ces facteurs désorganisant est précisément le désir, corolaire d’une identification non pas à un « sexe » mais à un groupe de genre via une appartenance et adhésion de genre ritualisée ; le qualifier de sexuel et le caractériser de transvestisme permet cette prépathologisation, de sortir le désir de l’équation pour se centrer sur une souffrance individuelle. On voit en F65.1 que le travestisme fétichiste, à peine distingué du « bivalent », a été pathologisé dans ce collage travestissement-sexualité. Cette architecture trie et typifie ces deux types de transvestismes, organise une différence dans le lien entre une désexualisation (« bivalent ») et une sursexualisation (« fétichiste »). Ce qui a eu pour conséquence la production d’un récit trans désexualisé qualifiant le « transsexualisme vrai » et « faux » que reprennent nombre d’associations. D’où cette distinction primaire/secondaire, voire ternaire. Pourquoi donc les « trans » ne peuvent-ils pas obtenir des « bénéfices culturels » ? Peut-on les séparer de ce qui constituerait de l’être ?

Architecture du classement dans la CIM10

(F00-F99) Troubles mentaux et du comportement

F60-F69 Troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte

F64 Troubles de l’identité sexuelle

F64.0 Transsexualisme

Il s’agit d’un désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation par rapport à son sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré.

 

•F64.2 Trouble de l’identité sexuelle de l’enfance

•Trouble se manifestant habituellement pour la première fois dans la première enfance (et toujours bien avant la puberté), caractérisé par une souffrance intense et persistante relative au sexe assigné accompagné d’un désir d’appartenir à l’autre sexe (ou d’une affirmation d’en faire partie). Les vêtements et les activités propres au sexe opposé et un rejet de son propre sexe sont des préoccupations persistantes. Il faut qu’il existe une perturbation profonde de l’identité sexuelle normale pour porter ce diagnostic; il ne suffit pas qu’une fille soit simplement un « garçon manqué » ou qu’un garçon soit une « fille manquée ». Les troubles de l’identité sexuelle chez les individus pubères ou pré-pubères ne doivent pas être classés ici, mais en F66.-.

L’on a donc un trouble spécifique dans l’enfance (F64.2), frontalement distingué du « trouble du transsexualisme » (F.64) spécifique à l’âge adulte. Ils sont classés et constitués de telle manière à :

1/ reconstruire le prédicat naturaliste dissimulant le prédicat culturaliste ;

2/ qu’ils ne puissent être immédiatement placés sur un même plan comparatif, rendant là ainsi le rapprochement et la comparaison difficile et spéculative ;

3/ permettant une réfutation aisée et dissimulant la forclusion des franchissements de genre composant la binarité cisgenre.

Cette distinction dans l’architecture classificatoire a une conséquence cruciale : chaque individu doit reconstituer (péniblement, on le sait) le lien unitaire entre son enfance et l’âge adulte, ce qui ajoute encore à son isolement et sa détresse Situation qui favorise la nécessité d’un « suivi » et donc d’un « diagnostic » alors que cette distinction est performative en cloisonnant les périodes d’existence et alors même que le prédicat psychanalytique prétend au déterminisme vécu dans l’enfance ; périodes présentés comme étant deux états distincts, deux personnes différentes, en affirmant que l’identité de genre subjective se noue avant l’âge de deux ans et est irréversible. Sauf ici donc. Sujet béat, sujet béant dont on a masqué la forclusion culturelle sous l’imposition d’un universalisme naturaliste abstrait.

Ce modèle d’identité sexuelle organise entièrement une fois admis que le changement peut-être sinon thérapeutique, du moins la « moins mauvaise solution » :

– une transition de sexe subordonnant une transition préalable de genre alignée sur la conception cisgenre (6);

– une transition de changement de sexe suivi du changement juridique qui lui est subordonné impliquant 1/ une stérilisation de fait ; 2/ un divorce pour les personnes mariées afin d’éviter le précédent d’un mariage « homosexuel ».

Parmi les conséquences systémiques désengageant l’individu dans sa dimension privée pour sa dimension sociale :

1/ d’aligner la transition transsexe sur le modèle cisgenre essentialiste (process transsexe) :

2/ de distinguer transsexualisme et intersexuation alors qu’ils procèdent de la même matrice essentialiste et constructiviste : dans les deux cas, on fabrique des hommes et des femmes via la double technique médico-sociale et juridique ;

3/ de rejeter tous les franchissements non-binaires.

Maintien politique de la réponse clinique intersexe et trans, fabrique de corps normés via l’ancrage du corps, ce « roc du sexe » fondationnel (F. Héritier) ou constructiviste (toute la tradition « psy » depuis Freud).

La neutralité affichée du DSM et de la CIM synthétise ce contexte surplombant et invisibilisant maintenant la typologie sain/pathologique et s’alignant sur une division sociopolique en plaçant tout arbitraire à distance.

Arnaud Alessandrin (7) propose cette lecture des attendus du DSM :

1. La permanence du changement (et donc du désir de changement) doit être avérée

2. La binarité est la règle (l’autre sexe ayant plus ou moins de « bénéfices culturels »)

3. Le changement ne peut être ludique : il est issu d’une souffrance et d’un inconfort

4. Cette souffrance est une des conditions cliniques à l’obtention d’une opération remboursée

5. Le genre est abandonné au profit du sexe.

Prise en charge économique et médicalisante vont de pair pour juguler/contrôler les individus minoritaires recaractérisés dans cette architecture psychiatrique protégeant l’architecture juridique. Le diagnostic n’est plus que l’écart genre vécu/observance normative et non un genre vécu vs sexe biologique.

Comme indiqué, une réécriture du DSM a été programmée sous le nom de « non concordance de genre » (en anglais Gender incongruence) et l’OMS a proposé de même pour la CIM10, proposition à laquelle nous avons été convié.es (décembre 2010 (8)).

Une non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues d’au moins 6 mois et qui se manifeste par au moins deux des indicateurs suivants :

 

– Une non concordance de genre marquée entre les expériences de genre vécues et les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires ;

– Un désir fort de se débarrasser des caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’un des deux sexes du fait d’une non concordance marquée entre l’expérience de genre vécue et le genre assigné ;

– Une attirance forte pour les caractéristiques de l’autre sexe ;

– Un désir d’appartenir à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné.

Quelques remarques : 1/ on passe du schème de l’opposition à celui de non concordance ; 2/La primauté absolue du sexe fait place à une relationalité du sexe et du genre 3/ dès le premier attendu, le contexte culturel est prééminent. La gestion des « bénéfices culturels » disparaît du tableau annulant ainsi le tri entre des individus transsexe et transgenre.

La notion de « l’autre genre » compris comme étant le « genre opposé » mue en un « tout autre genre alternatif », non seulement comme corolaire (et au sens) du genre assigné mais également de sa relationalité avec le sexe. Nous ne sommes plus dans l’hypothèse spéculative d’un 3e sexe ou genre mais dans cette multiplicité ouverte. Bref, le « Gender » pointe. Cela est beaucoup plus fidèle des transidentitaires, en particulier dans la confluence trans, queer et féministe, sans oublier la dimension de la sexualité en lien avec une identité de genre mouvante (7). L’on dégénitalise le genre en dissociant le sexe du genre tout en gardant le lien rituel entre genre et identité sexuelle. La neutralité de la définition est abandonnée pour le vécu et l’interrogation contextuelle des assignations. On parle toutefois de désir fort, d’attirance forte, de volonté forte, de conviction. On porte l’attention sur le vécu de l’individu mais il doit être plus fort que l’adhésion aux normes sensée être la « moyenne » et surtout la « population globale ». De fait, très vite l’on est revenu à la clinique d’une « dysphorie de genre », remédicalisant tout passage et redonnant au psychiatre, la haute main sur ceux-ci. De fait, la raison économique gouverne ce dossier.

Le critère de « non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues » est pourtant très révélateur des déconstructions et recompositions non-binaires et non naturaliste (8). Cette conception s’appuie sur une trajectoire d’existence acceptant l’aléa et la contrainte à l’assignation dans l’articulation sexe-genre. Le sujet sous-jacent n’est autre que le développement de l’enfance à l’âge adulte et où le critère de « maturité sexuelle » est corrélé à l’équilibre affectif et relationnel et non à la capacité de procréer. L’impensé radical est ici est la stérilisation dans la condition de passage légalisée. Thomas Beatie l’a replacé au cœur du désir d’enfant. A coup sur, un « bénéfice culturel ». 

Tous ces critères organisent ce clivage culturel, Nous/les Autres, sain/pathologique. Le transsexualisme moderne est lié au fait qu’il ne sont pas tenus en compte les tiers identitaires et donc de médiations tiers. D’où ma question, suis-je humain si je ne suis ni un homme ni une femme ? (9) Quelle est cette identité non fixée ? Comment puis-je la médier ? Quel lien dois-je constituer ? Qui puis-je aimer et qui peut ou veux m’aimer ? La réponse s’est imposée en l’absence de régulation sociale. C’est cela qui est en train de changer actuellement dans la confluence trans, féministe et queer dans les lieux de sociabilité incluant l’identité de genre trans. La diversité des parcours trans’ ou proches est liée à l’émergence d’une subculture trans’ au sein du foisonnement actuel sur la notion de multiplicité appliquée au genre ; au renversement épistémologique que cette notion provoque.

Pour conclure, une illustration de la question trans avec le film d’Alain Berliner Ma vie en rose. Ludovic s’identifie au féminin et, parce qu’il suit les normes de genre social, il veut l’éprouver en société. Berliner, comme Céline Sciamma avec Tomboy, situe son propos dans l’enfance en reposant la question au cœur du développement, avant le transsexualisme compris invention médicale et désir de vivre dans l’autre genre social. Nous sommes en amont du scellement « trans-sexuel ». Rien n’est encore fixé. Cela peut se résoudre dans l’articulation d’une identité « trans-genre » : Alain Berliner ne nous donne pas de prénom féminin pour cet enfant. Au terme d’un parcours éprouvant, la famille doit fuir et déménager. Nous sommes en aval de ce scellement : Ludovic va bientôt s’emmurer vivant, va devoir rêver sa vie aux couleurs du rose, se choisir un prénom opposé, un prénom féminin. La rencontre avec son aller ego se rêvant au masculin à la fin du film constitue le dernier trait d’union. Avant, il est dans l’identification à son genre propre, il peut ne pas vouloir changer de prénom, sa trajectoire peut aller et venir dans l’espace culturel des genres non opposés. Après, il est dans le désir de changement de sexe, de vouloir ce prénom féminin au lieu d’un prénom-identité mixte, androgyne, pluriel…

Donna Haraway écrit dans le Manifeste cyborg, les théories ont une valeur et cette valeur est déterminée par l’histoire. La construction même du sexe et du genre en objets d’étude contribue d’ailleurs à reproduire le problème, nommément celui de la genèse et de l’origine. Si le sexe est cette origine et le genre cette genèse, que restait-il donc à ces gens pour raconter leur histoire ? Comment des gens dont l’histoire est celle de la butée d’une pathologie pouvaient-ils dénouer ce nœud ? La réponse est diverse et cette diversité organise les rapports, soumis ou conflictuels, avec l’instance nouante.

En travaillant en articulation avec les questions trans et intersexué.es, la question déplacée au centre des débats se pose ainsi : peut-on  aménager des passages et franchissements de genre avant les modifications corporelles ? La réponse administrative au cas par cas peut-être une réponse. C’est la solution administrative proposée par l’Australie, un X pour les intersexes et trans’ et la proposition de loi en Argentine en 2011 à la Commission du Congrès argentin par le tissu associatif(10) pour ritualiser les transitions à partir de l’état civil et non des corps, transformés ou non. La solution proposée par le Népal en 2010 reconnaissant l’existence d’un troisième sexe-genre constitue une réponse sociopolitique à moyen terme et une réponse philosophique sur le long temps culturel. Elle n’inclut pas des exceptions et des minorités, elle inclut une population et avec elle, des personnes.


1. La conférence peut être écoutée sur le site de Queer Week, http://queerweek.com, Mercredi 07/03, Conférence, Réflexions sur la transidentité.

2. Autant le contexte du transsexualisme était limité, autant le contexte des transidentités s’ouvre à des espaces de mixité pluri-identitaire. Je ne ferai pas de distinction entre les différentes formes de transidentités sauf précision et surtout pas ce qui constitue le conflit actuel de vrais et faux trans que l’idéologie cisgenre a véhiculé.

3. Attendus de cette Journée d’Etudes, CIM, Dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/

4. Alignement du genre au sexe par assignation fixe : mâle-homme-masculinité, femelle-femme-féminité.

5. CIM 11 et DSM V : faut-il déclassifier les variations de genre ?, Dossier CIM : dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com.

6. Dossier CIM : dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com.

7. LG… BT? Bisexualité, transidentité : invisibilité(s), http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/article-lg-bt-bisexualite-transidentite-invisibilite-s-87645849.html

8. Sujet sous-tendant de nombre de fictions XXY de L. Puenzo, Tomboy dfe C. Sciamma) et de documentaire (Mon sexe n’est pas mon genre, V. Mitteaux; L’ordre des mots, C. et M. Arra).

9. L’ordre des mots, C. et M. Arra.

 10. Association de travestis, transsexuell,es et transgenre d’Argentine ; FALGBT, fédération argentine Lesbienne, gay, bi et trans.


Mis en ligne : 18 mai 2012.

Réponse à la SOFECT

Réponse à la SOFECT

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Résumé

Le 17 Décembre 2010 et le 18 Mars 2011 ont eu lieu deux journées d’études dans lesquelles nous avons pu publiquement entendre les positions défendues par la SOFECT (Société Française D’Étude et de prise en Charge du Transsexualisme) dans les interventions successives de Colette Chiland et de Mireille Bonierbale, les présidentes d’honneur et présidente de la SOFECT. C’est alors avec un immense regret que  nous observons l’élaboration consciente d’une politique de « vulnérabilisation » des Trans. Thomas Hammerberg, commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe indiquait ainsi dans son communiqué (2006) :

« Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient s’attaquer plus vigoureusement à la transphobie et à la discrimination envers les personnes transgenres dont la situation a longtemps été ignorée et négligée. Pourtant, ces personnes font face à des problèmes caractéristiques, extrêmement concrets. Elles sont particulièrement exposées, dans tous les domaines de la vie, aux discriminations et à l’intolérance ainsi qu’à une violence directe. Dans certains pays d’Europe, elles ont d’ailleurs été victimes d’actes criminels inspirés par la haine qui, pour certains, sont allés jusqu’au meurtre.[1] »

Rappelons :

1/ que le transsexualisme ne relève pas de la psychiatrie dans ce sens qu’il n’y a ni “trouble” ni “maladie mentale”

2/ la solution médicochirurgicale apporte une réelle satisfaction aux personnes concernées et facilite leur intégration;

3/ la majorité des personnes effectuent leurs opérations à l’étranger pour des raisons de qualité de celles-ci

4 : Le bilan humain d’une telle psychiatrisation est lourd pour une population déjà discriminée

5/ l’absence de contrôle extérieur, notamment étatique, fait douter de la légitimité éthique d’une psychiatrisation sans respect de la personne[2];

6/ l’argument d’une objectivité de la démarche en psychiatrie s’effectue dans une délégation politique aveugle, sans l’écoute du tissu associatif et des propositions émises par Thomas Hammerberg pour une harmonisation médicale et juridique au niveau européen.

 

RÉPONSE A LA SOFECT

 

« Cousant l’inconnu au connu (Dieu, chef ou père : c’est du connu), ils faisaient du tissu […]

Bon ou mauvais, il fallait toujours qu’il y eût tissu.

Mais fallait-il vraiment ainsi toujours tant d’indécente assurance ? »

H. Michaux[3], « Passages », 1963.

 

Introduction

 

Le 17 Décembre 2010[4] et le 18 Mars 2011[5] ont eu lieu deux journées d’études dans lesquelles nous avons pu publiquement entendre les positions défendues par la SOFECT[6] (Société Française d’Etude et de prise en Charge du Transsexualisme) dans les interventions successives de Colette Chiland et de Mireille Bonierbale, respectivement présidente d’honneur et présidente de la SOFECT. Disons le d’emblée : ces journées furent pour nous une réelle surprise. Alors que tout venait dire à la SOFECT et à ses membres l’urgence du changement, il s’est décliné sous nos yeux une succession d’arguments dont le seul objectif était… de ne rien changer. Nous devons aussi avouer que ces arguments ont de quoi surprendre. D’un point de vue sociétal comme scientifique, ils ne constituent pas une base de réflexion plastique mais plutôt un bilan clinique contestable et rigide sous-tendu par une différenciation entre ce qui relève de la médecine donc du « vrai » et ce qui relève des « sciences humaines » et du « militantisme » donc du « relatif » voire du « dangereux ».

 

L’idée de ces journées pourrait se résumer ainsi : Peut-on dépsychiatriser sans démédicaliser ? Peut-on déstigmatiser les variances de genre ?

Sous cette forme, il s’agit avant tout de discuter cette distinction entre ce qui serait un « devenir Trans » et un devenir « Cisgenre ». Pourquoi la prise en charge du premier relèverait-elle de la psychiatrie et du pathologique alors que les devenirs Cisgenres sont-eux encouragés ? Relisons Béatrice Préciado[7] et ses artefacts,  les « sujets silicone », les « sujets viagra » (purs produits « à l’échelle globale » de « l’ère pharmacopornographique ») qui nous suggèrent combien les cisidentités sont elles mêmes prises en charge dans des maillages « biopolitiques »[8] dirait Foucault, sans pour autant être assignées à la pathologisation et à la stigmatisation d’un parcours psychiatrique contraignant auquel s’adosse le droit.

 

Nous verrons que d’une part que la médicalisation des parcours Trans peut ne pas être synonyme de dépsychiatrisation. D’autre part que les retours experts des personnes concernées reconfigurent notre manière d’appréhender les questions Trans. Aussi, si les frontières entre le normal et le pathologique s’amenuisent, peut-on encore traiter de la question Trans comme le fait actuellement la Sofect ?

 

– Le militant et le savant

L’histoire du rapport « patients / médecins » sur la question Trans est l’objet d’une inversion récente. Elle fut longtemps présentée comme la proposition d’une offre médicale face aux demandes de médicalisations. Et, en effet, les premiers protocoles français tendaient à répondre à une double demande : celle liée à la médicalisation des personnes Trans sur le territoire puis celle liée à leurs prises en charge, c’est-à-dire à un remboursement. La demande créait alors l’offre. Aujourd’hui, dans un contexte national aux offres de soins réduites, il semblerait que ce soit l’offre médicale qui ait créé les termes et les finalités de la demande (« opérations », « transsexualisme ») excluant de la sorte toutes les autres formulations de médicalisations qui ne rentreraient pas dans un cadre psychiatrique et binaire.

Comme les populations atteintes du VIH[9], les populations Trans exclues des protocoles de soins (comme celles qui y ont accès d’ailleurs) deviennent des « expertes par appartenance »[10] qui viennent opposer, telles des minorités actives[11], des contre-expertises[12] aux experts « par profession » qui tentent alors de maintenir une hiérarchie hermétique entre un savoir dit « profane » et un savoir dit « expert »[13]. Dans cette lutte pour la reconnaissance des expériences et des expertises, la maîtrise des mots devient un enjeu majeur, tout comme la capacité des différents groupes à mobiliser des éléments factuels et scientifiques, locaux comme internationaux.

Ce que nous souhaitons rappeler ici (et il est étonnant de devoir encore le souligner) c’est que la capacité d’expertise ne saurait-être liée uniquement à l’acquisition d’un diplôme, ni même à une prétendue objectivité de celui/celle qui le possède.

Un des arguments pourtant soutenu par la SOFECT est qu’il y aurait dans ce militantisme, quelque chose de l’ordre de « l’incompris ». Etre médecin c’est être sérieux et les gesticulations associatives ne sauraient faire plier un savoir qui tient sa légitimité, non seulement d’une reconnaissance étatique (même implicite), mais plus largement de l’idée d’un sexe et d’une binarité immuables, complémentaires.[14]

C’est justement parce que les choses sont sérieuses que nous, chercheurs, militants, nous proposons une autre grille de lecture à la société dans son ensemble et aux praticiens de la SOFECT en particulier. Ces derniers, en ignorant les demandes et les critiques des personnes concernées, des nombreuses associations (Cf la dernière AG des associations Trans d’avril 2010) contribuent à rendre invisible et inaudible une population parfois stigmatisée médicalement et ostracisée socialement. C’est alors reconnaître que les catégories psychiatriques ont des effets directs sur les conduites individuelles et collectives en termes de stigmatisation notamment : « s’entendre dire que votre vie genrée vous condamne a une vie de souffrance est en soi inexorablement blessant » « c’est une parole qui pathologise et la pathologisation fait souffrir »[15]. La timidité avec laquelle la SOFECT reconnaît, toujours à demi-mots, que les catégories qu’elle défend sont des labellisations contraignantes nous paraît ne pas coïncider avec une prise en compte décente (pas seulement une prise en charge) de la place du patient, sans oublier que la légitimation de fond transite par l’idée d’une thérapeutique adaptée.

En indiquant le poids de la stigmatisation dans le champ thérapeutique de la prise en charge, les représentants associatifs ont alertés les praticiens. Dés lors, les membres de la Sofect présents le 17 décembre 2010 auraient dû tenir compte de ces indications pour un bilan éthique raisonné et non partisan. Au lieu de cela, la Sofect apparaît comme un militantisme déguisé, inversant la balance des positions usuelles. Face aux accusations de stigmatisation, qui justifient les propositions de la CIM et de l’OMS, elle insiste plutôt sur la stigmatisation dont elle serait victime. Ainsi, C. Chiland :

« La solution militante est que les mesures prises pour les minorités deviennent la loi générale. On peut adopter une direction différente et proposer un travail incessant d’information et de décentration culturelle. Aller à contre-courant de l’ethnocentrisme sera, certes, plus difficile que l’intoxication par des propagandes qui vont dans le sens de l’ethnocentrisme : songeons aux nazis qui ont réussi à faire adhérer presque tout un peuple à l’idéologie raciste. »[16]

Reconnaître les revendications du terrain, c’est aussi reconnaître la dimension « experte » des demandes qui sont adressées à la SOFECT. « They carry the results with them » note Howard Becker à propos de ceux dont le savoir est considéré comme « profane » et qui viennent compléter et/ou concurrencer les savoirs installés. La question de l’objectivité des uns face aux subjectivités des autres n’est alors pas une question qui se pose aussi aisément tant la porosité des expertises (qu’elles soient expérientielles[17] ou professionnelles) est réelle. Il faut alors dénoncer cet argument d’autorité qui consiste à dire qu’en étudiant ce que l’on est on perd en objectivité. Le neutre ne peut se résumer aux positions cisidentitaires, blanches, mâles et occidentales (j’oublie hétérosexuelles et en bonne santé). Le point de vue féministe ou Trans n’est en rien plus partial que les points de vue professionnels présentés comme neutres. L’expert doit donc impérativement dire ce dont il parle mais aussi d’où est-ce qu’il parle. Ainsi, il situe le discours à l’échelle d’une recherche, de son contexte et des interactions qu’elle inclut. Dans son manifeste Cyborg, Donna Haraway nous incite à étudier « les situations particulières » en se situant comme des « hackers » d’une division répartissant les savoirs finis (donc disqualifiés) d’une part et « l’objectivation » d’autre part. Or, nous dit-elle, les connaissances sont des « traces de passages rendues visibles par des champs de force ». Se sont donc des savoirs situés, contextualisés et qui n’existent qu’en lien avec le chercheur qui les visibilise. Il s’agit d’identifier et de reconnaitre « une multiplicité de savoirs locaux ou minoritaires » nous dit Preciado dans son savoirs-vampire@war[18] qui préconise alors, comme site de production du savoir, la frontière entre universalisme scientifique et relativismes culturels.

On le voit bien : la SOFECT ne peut prétendre à une objectivité privative qui disqualifierait les autres lieux de production du savoir. [19]

 

– Changements mondiaux et fixité française

Considérons que les critiques émises par la SOFECT aux militants comme aux sciences humaines soient scientifiquement recevables. Par quelle magie ? On ne sait pas… Mais faisons comme si. Nous pourrions alors suspecter la SOFECT d’avoir peur de ses pairs européens et internationaux qui, à statut, compétence et diplôme égal, ne sont pourtant pas tendre avec nos praticiens nationaux. Détrompons-nous, il n’en est rien. Résumons : l’Association Américaine de Psychiatrie[20] émet des propositions de réécritures du DSM[21] (future DSM V) qui tendent d’une part à rompre avec les cadenas serrés de la dysphorie de genre (la liste des symptômes associés à ce qu’ils nomment une « non congruence de genre » est allégée et les symptômes sont décorrélés les uns aux autres) et à reconnaître l’existence de « genres alternatifs » (ouvrant la voie à une reformulation des liens sexe et genre). Parallèlement à cela, la CIM, sous l’égide de l’OMS, propose elle aussi une réécriture des ses catégories. Les pistes qui se dessinent alors sont les suivantes : si le DSM ne dépsychiatrise pas (les systèmes de soins locaux ne permettant pas toujours une prise en charge sans aval psychiatrique) la CIM, elle, pourrait proposer une « médicalisation sans pathologisation », c’est-à-dire une déstigmatisation médicale des parcours Trans. 

L’observatoire Des Transidentités propose en lecture libre une somme de textes issus de la première rencontre de décembre 2010 entre la SOFECT, les membres de l’OMS, les chercheurs et militants sur la question Trans. A la lecture de ces textes il est frappant de voir combien un « consensus » semble s’être établit autour de cette proposition : la combinaison des réécritures de la CIM et du DSM permettrait une dépsychiatrisation sans démédicalisation des parcours Trans[22].

 

Notons d’ailleurs que cette demande n’est pas le fruit unique des personnes Trans. La question de « l’autisme » aussi connait, via des associations, un développement de nouvelles modalités d’expressions et d’actions, entre les institutions et les professionnels, dans des contres expertises. Dans ce rôle, on se souviendra à nouveau des associations de lutte contre le VIH (ACT UP).

 

Pourtant, la réponse de la SOFECT est claire : le DSM ne dit rien quant aux suivis des personnes Trans. De plus, il n’est pas reconnu par tous les praticiens. Par conséquent, il semblerait que la SOFECT ne soit pas inquiétée [L1]  ni même intéressée par les changements en cours à l’échelle de la planète. Le parallèle historique proposé par Jack Dresher[L2] (présent le 18 Mars 2011 à Bordeaux)[23] avec l’homosexualité ne semble pas, lui non plus, avoir d’impact sur la position de l’association. Selon elle, l’inscription de l’homosexualité dans le DSM, puis sa suppression, n’a rien à voir avec la transsexualité.

Considérons que les critiques émises par la SOFECT aux militants Trans, aux psychiatres internationaux et à l’OMS, comme aux sciences humaines au passage, soient scientifiquement recevables. Par quelle magie ? On ne sait pas. Mais faisons comme si. Nous pourrions alors suspecter la SOFECT d’avoir peur du droit Européen qui semble s’opposer point par point aux pratiques de nos praticiens nationaux. Détrompons-nous, il n’en est rien.

Résumons : T. Hammarberg (conseiller européen aux droits de l’Homme) remet l’année dernière un rapport intitulé « Identité de genre et droits de l’homme »[24] qui met en lumière l’absence lacunaire de textes ou de volonté politique des pays membres de l’Union Européenne sur la question Trans. De la question des Droits de l’Homme à celle de la lutte contre les discriminations, ce texte novateur soutient que les personnes Trans, opérées ou non, doivent pouvoir obtenir un changement d’état civil sans l’obligation d’être stérilisées. Marquant à la fois l’importance de l’arène juridique dans la question Trans aujourd’hui et la reconnaissance de corps aux formes et aux fonctions diverses, librement consenties par l’individu, ce texte met au centre de la problématique la question des Droits Humains.

Il est suivi d’un texte intitulé « Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre »[25], dans lequel le Conseil de l’Europe émet un certain nombre de recommandations et appelle les états membres à prendre des dispositions en faveur de la lutte contres les discriminations et pour faciliter les parcours Trans. Là encore, le Conseil de l’Europe souligne l’importance d’accéder aux demandes de changement d’Etat Civil indépendamment du sexe anatomique du requérant.

Repris par les associations Trans, ces textes ne semblent pas non plus inquiéter la SOFECT. En l’absence d’un droit contraignant, tout est permis. Mieux : tant que le droit national ne s’émancipe pas des considérations psychiatriques pour dire ce que peuvent-être les parcours Trans, la psychiatrie garde la main mise sur une population étiquetée transsexuelle au sein de ses protocoles mais aussi, par répercutions, sur les « autres Trans » (très largement majoritaires) qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas accéder à des protocoles nationaux.

Conclusion  

Tout se passe alors comme si la SOFECT voulait sauver une « chasse gardée » autour du concept de transsexualisme et autour des personnes qu’il saisit. En voulant continuer, tout en s’isolant, à s’occuper des personnes transsexuelles les plus vulnérables, la SOFECT maintient un monopole qui se délite sous l’effet des parcours qui s’internationalisent et sous la pression d’un droit Européen, épée de Damoclès de la psychiatrie française en charge des personnes Trans.

Sous-tendu par ce projet : le maintien d’une certaine fixité des rapports sociaux de sexe. Au « danger » Trans doit être opposé un « principe de précaution ». Pour l’individu d’une part, qui devient étranger à lui-même et pour la société d’autre part, aveuglée (selon la Sofect) par l’illusion de la perméabilité des genres.

Cela nous rappelle tristement le film « Harvey Milk » dans lequel, selon un principe de précaution religieux, les homosexuels étaient tenus à distance de l’enseignement. De peur d’une faute (celle du pédophile, alors forcément homosexuel) on privait tous les autres de droits.

 

Dans un contexte de soins où l’autonomie de l’individu s’amenuise lorsque sont activées des logiques de solidarités interpersonnelles (sécurité sociale…), il ne faut pas perdre de vue ce patient « expert » que la SOFECT résume trop souvent au « patient malade ». De ce point de vue, la notion de « consentement éclairé » votée lors de la dernière AG des associations Trans est un élément décisif[26]. Elle permet de corréler l’exigence de preuve qui rassure l’organisme de remboursement avec l’exigence de prise en compte des patients-acteurs. Elle permet aussi de dissocier la question de la médicalisation et de la prise en charge de la question psychiatrique qui préoccupe tant les personnes Trans.

Au total, il semblerait que la SOFECT, par la bouche de ceux/celles qui l’ont représentée lors de ces deux journées, joue son va-tout : celui du soutien étatique dans une opération de main-mise sur les transsexuels-patients et d’exclusion des Trans-acteurs. Dans un contexte politique changeant (rappelons les propositions et les débuts de discussions lorsque madame Roselyne Narquin Bachelot était encore ministre de la santé)  les demandes de dépsychiatrisation restent alors sans réponse.

C’est avec un immense regret que nous observons l’élaboration consciente d’une politique de « vulnérabilisation » des Trans.


[1] https://wcd.coe.int/wcd/ViewDoc.jsp?id=1476821&Site=CM

[2] Dans les recommandations aux Etats membres du Conseil de l’Europe, est souligné la formation des praticiens et la dignité des personnes (10. Dispenser aux professionnels de santé, notamment aux psychologues, psychiatres et médecins généralistes, une formation sur les besoins et les droits des personnes transgenres et l’obligation de respecter leur dignité).

[3] Henri Michaux, 1963, « Passages », Gallimard, p.148.

[4] « Comment classifier /déclassifier sans stigmatiser ? », organisé par le CCOMS Lille, France et le CERMES3, Université Paris Descartes. Notre compte-rendu sur l’ODT, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/.

[5] « Les catégories psychiatriques et les effets », organisé par l’université de Bordeaux et le centre Emile Durkheim, Université Bordeaux II.

[6] http://www.transsexualisme.info/

[7]  Béatrice Préciado, Testo Junkie, Grasset, 2008

[8] Michel Foucault, 1976, « L’histoire de la sexualité » Tome1 « la volonté de savoir », Gallimard.

[9] S. Epstein, 2001, « Histoire du sida ». Tome1 « Le virus est-il bien la cause du sida ? » et Tome 2 « La grande révolte des malades », Paris, Les Empêcheurs de penser en rond.

Lire aussi : I. Löwy, 2000, « Entre contreexpertise et consommation avertie : le mouvement associatif antisida et les essais thérapeutiques », Mouvements, n°7.

[10] H. Becker, 2002, « Les ficelles du métier » Paris, La Découverte.

[11] V. Bedin et M. Fournier (dir.), « Serge Moscovici », La Bibliothèque idéale des sciences humaines, Editions Sciences Humaines, 2009.

[12] T. Reucher, 2008, « Quand les Trans deviennent experts », Multitude

[13] Yves Lochard, Maud Simonet, 2009, « Les experts associatifs, entre savoirs profanes, militants et professionnels », Sociologie des groupes professionnels (dir. D. Demazière), La découverte.  p.274

[14] Lire à propos du « syndrome de toute puissance » des personnes transsexuelles, le dernier livre de Colette Chiland « Changer de sexe, illusion et réalité » Odile Jacob, 2011.

Lire sur la « complémentarité des sexes » : J. P. Mialet « sex aequo : le quiproquo des sexes » A. Michel, 2011.

[15] Judith Butler, 2009,  « Le transgenre et les “attitudes de révolte” », dans Monique David-Ménard (sous la direction de), Sexualités, genre et mélancolie : s’entretenir avec Judith Butler, Paris, Campagne première.

[16] Son intervention, suite de la journée d’études avec le CCOMS à la Sorbonne en décembre 2010, cite ce passage de son propre livre, Sois sage, ô ma douleur.

[17] J. Wresinski, 1974, « Le rôle des associations non gouvernementales », Droit social, n° 11, p. 176-182.

[18] B. Preciado « savoirs_vampire@war », Expertises : politiques des savoirs, Multitudes n°20, 2006.

[19] D. Haraway, 2007, « le manifeste cyborg », EXILS

[20]www.dsmV.org

[21]DSM : Diagnostic and statistical manual. CIM : Classification internationale des maladies

[22] http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/

[23]Drescher, J., Queer diagnoses:  Parallels and contrasts in the history of homosexuality, gender variance, and the Diagnostic and Statistical Manual (DSM).” Archives of Sexual Behavior.

[24] Texte disponible sur le site de l’association Trans-aide

[25] Texte adopté par l’Assemblée le 29 avril 2010 (17e séance) et disponible en intégralité sur : http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta10/FRES1728.htm

[26] Retrouvez tous ces points sur le site de l’association OUTRANS

Eric Macé, Les conséquences de la dépathologisation

Eric Macé

Professeur des universités
Professeur de sociologie à l’Université de Bordeaux
Directeur adjoint du Centre Emile-Durkheim (UMR 5116)
Chercheur associé au CADIS (EHESS Paris)
Enseignant à Sciences Po Paris


Les conséquences de la pathologisation
des identifications de genre trans

 

En inventant la notion de « transsexualisme » dans les années 1950, bien qu’à partir de théories contradictoires relatives aux mécanismes de l’identifications de genre, Benjamin, Stoller et Money offraient une réponse médicale légitime aux identifications de genre trans qui voyaient dans les nouveaux traitements hormono-chirurgicaux une solution à leur désir de « passer » dans le genre souhaité. Tout le monde à l’époque pensait qu’il n’était culturellement, socialement et psychiquement pas possible de dissocier sexe et genre en raison des troubles mentaux et d’ordre public que cela représentait ; le même raisonnement étant tenu pour les nouveaux-nés avec ambiguïté génitale qu’il fallait opérer précocement afin de fixer précocement leur genre d’élevage[1].

Il en est aujourd’hui tout autrement en raison de nombreuses transformations sociales, culturelles, politiques et juridiques. D’une manière générale, nous savons, depuis le féminisme et les nombreux travaux en sciences sociales entrepris depuis, qu’il n’y a rien de plus relatif et contingent que les normes de genre, de sexe et de sexualité. D’autant plus que depuis les années 1970, nous observons un mouvement général, traduit dans le droit, de déconstruction et de recomposition des relations entre sexe, genre et sexualité : dénaturalisation des identifications de genre (« on ne naît pas ceci ou cela, on le devient »), détraditionnalisation des rôles genrés (tout particulièrement dans le droit du travail, de la conjugalité et de la parentalité), dépathologisation des orientations sexuelles (notamment depuis la retrait de l’homosexualité du DSM et de la CIM sous le coup des critiques du mouvement gay), et on peut même ajouter une tendance récente à la désinstitutionalisation du sexe, avec, sous le coup des critiques du mouvement trans, des lois au Royaume-Uni (2004) et en Espagne (2007) et des recommandations de l’Union Européenne tendant à rendre illégales les exigences de mutilation sexuelle pour l’obtention d’un changement d’état civil[2]. C’est le cas en 2010 avec la résolution 1728 du Parlement du Conseil de l’Europe appelant à ce que les lois des Etats membres garantissent « aux personnes transgenres des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale »[3]. Ces transformations vont dans le sens plus général encore d’un double mouvement historique. D’un côté, comme on le voit notamment dans le domaine scientifique et technique relatif aux questions environnementales ou biologiques, un mouvement général de problématisation politique de domaines anciennement réservés à l’expertise savante, y compris dans le domaine médical comme on l’a vu à propos du sida et comme on le voit aujourd’hui avec la critique des théories fondatrices du transsexualisme (causes embryogénésiques et psychogénésiques jamais démontrées) et du traitement de l’intersexualité (remise en cause des protocoles Money). D’un autre côté, un mouvement sociologique général de promotion de l’individuation et de ses droits contre les discriminations légales héritées de régimes normatifs traditionnels ou naturalistes. C’est dans ce mouvement général que s’inscrivent depuis les années 1990 les mouvements queer et trans qui participent de la dissociation culturelle, sociale, politique et juridique entre sexe et genre, remettant en cause les fondements même des protocoles médicaux de traitement du « transsexualisme » et des « troubles de l’identité de genre », contestant que les identifications de genre trans soient des troubles mentaux, au profit de la définition d’une expérience complexe de la « transidentité », opposant à un « devenir transsexuel » devenu incapable de les comprendre (au sens intellectuel comme thérapeutique), les multiples « devenirs trans » contemporains, rejoignant en cela les mouvements culturels féministes et gays et les nombreuses subcultures qui contestent et débordent les stéréotypes de genre de la masculinité et de la féminité, très largement relayés en cela par la mode et les représentations médiaculturelles.

On a pu constater historiquement une telle problématisation et une telle resignification avec la dépathologisation de l’homosexualité depuis les années 1970, qui avait extrait l’homosexualité (ce « douloureux problème ») d’une problématique médicale pour la réinscrire dans la problématique d’une politique des minorités et des normes sociales et juridiques de genre, qu’elles soient relatives aux questions des discriminations et du harcèlement, de la parentalité, de la conjugalité, de la procréation et de la filiation[4][5]. Il semble qu’il en est de même aujourd’hui en ce qui concerne les identifications de genre trans : tout indique, en raison de la force de la critique et de l’affaiblissement des justifications expertes, que les conditions de leur pathologisation ne sont plus réunies. C’est déjà le cas s’agissant de la conclusion du panel d’expert de révision du DSM en ce domaine, qui, après une large revue de littérature médicale et la mise en parallèle avec les conditions du retrait de l’homosexualité en 1973, font le constat d’un manque d’évidence des frontières entre le normal et le pathologique s’agissant d’identification de genre, marquant ainsi officiellement la fin du transsexualisme par ceux là même qui l’avaient inventé. Cependant, à la différence de l’homosexualité, les identifications de genre trans passent souvent par une médicalisation des transformations corporelles, ce qui est le principal motif des discussions relatives aux conséquences de la dépathologisation des identifications trans par l’APA, car cela pourrait avoir pour effet de réduire l’accès à ces soins et à leur remboursement, et donc d’avoir des effets pervers en matière de santé mentale et physique[6].

C’est ici me semble-t-il tout l’intérêt d’une discussion concernant la révision de la CIM de l’OMS car la CIM, contrairement au DSM, ne concerne pas que les pathologies mentales mais l’ensemble des pathologies, permettant ainsi cette opération consistant à dépathologiser les identifications de genre trans sans démédicaliser et même sans dépsychiatriser, si nécessaire, les particularités des parcours trans.

En effet, la dépathologisation des identifications de genre trans ne signifie pas la dépathologisation des épreuves du self des personnes trans, en raison de leur exposition accrue aux incertitudes de soi et aux épreuves sociales d’identification qui sont communes à tou.te.s[7]. Si, comme on le sait, il n’est pas si facile de se constituer en individu, et plus encore, en individu cisgenre gay ou non-gay il va de soi que les personnes trans devraient avoir le même accès aux dispositifs de santé mentale que tout un chacun, voire disposer de dispositifs propres en raison de cette exposition accrue aux risque de l’individuation, comme on peut le constater par exemple avec les taux de suicide plus élevés chez les adolescents identifiés gay. En ce sens, la dépathologisation des identifications de genre trans ne conduit pas nécessairement à un déremboursement des traitements médicaux (hormone, chirurgie) qui peuvent être considérés comme un traitement thérapeutique de la souffrance ou de la dépression relative aux difficultés à maitriser son architecture corporelle et sa configuration de genre dans les parcours trans[8], participant ainsi d’un « bien être » constitutif d’une bonne santé mentale et physique. On passerait ainsi d’une expertise psychiatrique classificatoire telle que nous la connaissons à une relation de soin psychothérapeutique et à un véritable marché de la réputation concernant la qualité des soins psychiques, endocrinologiques et chirurgicaux.

En ce sens également, la dépathologisation des identifications de genre trans n’a de sens que si le droit ne conditionne plus le changement d’état civil à une chirurgie génitale, à une stérilisation ou à un diagnostic psychiatrique mais se fonde, comme c’est la tendance en Europe, sur une déclaration et un constat de modification d’identification de genre.

Tirons en conclusion toutes les conséquences de ces dissociations et de ces recompositions concernant cette fois la question de la médicalisation des enfants intersexes. En effet, cette dissociation médicale et juridique entre sexe et genre aurait également pour conséquence de permettre une modification des protocoles de médicalisation des enfants déclarés intersexes à la naissance. Malgré quelques travaux médicaux et éthiques aux Etats-Unis et en Europe relatifs à la pertinence du maintien du protocole Money[9], les protocoles en vigueur, en tout cas en France, tendent à assigner médicalement un sexe de façon précoce en raison de la « panique de genre » des parents et de la nécessité sociale et culturelle qu’il y aurait à faire correspondre sexe et genre. Or, on le sait, ces assignations précoces de sexe se font au prix d’une médicalisation lourde que l’on peut considérer comme une mutilation sans consentement de la personne, au nom d’une urgence non pas médicale mais sociale, et dont les conséquences sur l’identification de genre et sur l’individuation ne sont pas anodines. Inversement, en proposant de dissocier sexe et genre, il devient possible de dissocier l’assignation précoce de genre à la naissance, sans laquelle ni la déclaration d’état-civil ni l’intégration sociale ne sont possibles, d’une éventuelle modification ultérieure de genre, voire d’un éventuelle modification corporelle à venir qui serait configurée, et dans tous les cas consentie, par les personnes concernées en fonction de ce que serait devenue leur identification de genre. Encore faudrait-il définir un nouveau protocole qui soit capable de conduire les parents à prendre en charge non plus le « secret » de la réassignation médicale sexe/genre mais l’accompagnement envers l’enfant et son entourage de cette dissociation entre genre et sexe. Il me semble que sur ce point la réflexion collective est moins engagée encore que sur la question des identifications de genre trans.


[1] Sur l’ensemble du raisonnement présenté ici : Macé E. (2010), « Ce que les normes de genre font aux corps, ce que les corps trans font aux normes de genre », Sociologie, 10, 497-516.

[2] Whittle S. (2006), “The Opposite of Sex is Politics – The UK Gender Recognition Act and Why it is Not Perfect, Just Like You and Me”, Journal of Gender Studies, 15, 3, p. 267–271 ; Iacub M. (2009), « Aspects juridiques actuels en France et en Europe », dans Haute Autorité de Santé, Situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge médicale du transsexualisme en France, Rapport, p. 24-36.

[3] http://assembly.coe.int/mainf.asp?Link=/documents/adoptedtext/ta10/fres1728.htm

[4] Drescher J. (2009), « Queer diagnoses: Parallels and contrasts in the history of homosexuality, gender variance, and the Diagnostic and Statistical Manual (DSM). », Archives of Sexual Behavior, 39, p. 427–460.

 

[6] Meyer-Bahlburg H. (2009), « From Mental Disorder to Iatrogenic Hypogonadism: Dilemmas in Conceptualizing Gender Identity Variants as Psychiatric Conditions », Archives of Sexual Behavior,  DOI 10.1007/s10508-009-9532-4.

[7] Ehrenberg A. (2010), La société du malaise, Paris, Odile Jacob ; Ehrenberg A. (1998), La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob.

[8] Meidani A. (2005) « Différence « honteuse » et chirurgie esthétique : entre l’autonomie subjective des sujets et l’efficacité du contexte normatif », Déviance et Société, 2, Vol. 29, p. 167-179.

[9] Wiesemann C. et al. (2010), « Ethical principles and recommendations for the médical management of differences of sex development (DSD)/intersex in children and adolescents », European Journal of Pediatrics, 169, 671-679.

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