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Étiquette : Queer theory

Entretien avec Abdellah Taïa

Jean Zaganiaris

Enseignant-chercheur au CERAM/ EGE
Chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne

 

 Infidèles


Auteur de Une mélancolie arabe (Seuil, 2008) et Le jour du roi (Seuil, 2012, Prix de Flore), Abdellah Taïa vient de publier son dernier roman Infidèles aux éditions du Seuil. Connu pour avoir fait son coming out au Maroc et pour revendiquer publiquement son homosexualité, Abdellah Taïa est un écrivain important du champ littéraire contemporain.

Interview effectuée par Jean Zaganiaris

 


 

Quel est le sujet de votre dernier roman ?

Mon nouveau livre,  Infidèles  (Editions du Seuil), vient de sortir en France. Et très bientôt au Maroc. Il parle d’une mère marocaine. Elle s’appelle Slima. Elle est prostituée à Salé. Elle assume pleinement ce métier. Elle porte sur ses épaules toutes les contradictions et les frustrations des Marocains. Elle a un fils, Jallal. Celui-ci n’a pas du tout honte de sa mère. Il est avec elle, en elle. Ils sont un cœur seul, unique. Ils sont deux en un seul corps. Ils sont des parias mais, malgré le rejet permanent de la société, ils résistent. A leur manière. La politique menée par le roi Hassan II durant les années 80 va les séparer. Les obliger à envisager l’avenir l’un sans l’autre. Être contre le Maroc. Rejeter le Maroc. Durant cette transformation, un lien demeurera fort entre eux : l’islam. Ils sont considérés comme impurs par les autres. Cela ne les empêche pas, tout au long de ce livre, de cultiver un rapport libre avec les signes de la culture musulmane dans l’espace et l’imaginaire arabes. Et quand je dis libre, j’entends par cela : transgressif. Le livre les mènera dans des zones où la compréhension s’arrête et où la fusion avec l’autre (le ciel, un prophète, une icône du cinéma mondial, une chanson) devient une urgence vitale. La fin renvoie au début. Et cet éternel recommencement des choses,  de nos erreurs, de notre incapacité  être libre sur cette terre, c’est une de mes plus grandes obsessions… 

 

Dans Le jour du roi, quelles sont les raisons qui vous ont amené à écrire sur le transgenre ?

Écrire, c’est tout mélanger. Se mélanger. S’évaporer dans l’autre, les autres. Dans la même lumière, celle qui nous a fait naître. Je suis homosexuel assumé, mais je ne peux absolument pas vivre mon homosexualité uniquement avec des homosexuels. Le rapport à l’autre (ma mère, mes amies, mon grand frère, mes ennemis), même quand il persiste à me renier, est important à mes yeux. Très important.

 

Est-ce qu’il y a un message que vous souhaitez faire passer sur « l’identité trans » ?

Un message ? Nous sommes tous le fruit d’un mariage explosif entre les cultures et les différentes natures humaines. Cela me paraît une évidence. Quelque chose d’assez simple à comprendre. Rejeter l’autre qui, soi-disant, ne nous ressemble pas est une énorme erreur. Parce que, en faisant cela, c’est nous-mêmes que nous rejetons, que nous tuons.

  

Comment vous vous positionniez par rapport à la queer theory ?

Je ne connais pas très bien la « Queer Theory ». Mais je sais qu’elle joue, depuis quelques années, un rôle fondamentale pour réveiller les êtres humains d’aujourd’hui, les empêcher de glisser petit à petit (et de nouveau) vers le fascisme.

 

Est-ce que ces corps soufis « androgynes » et « transsexuels » dont parle par exemple Khatibi dans Le livre du sang ont pu vous inspirer, notamment lors de l’écriture du Jour du roi ?

Dans « Infidèles », le fils s’appelle Jallal. Ce tout sauf une coïncidence. Ce livre intègre les images d’un film-monde (La rivière sans retour  d’Otto Preminger, avec la déesse Marilyn Monroe et Robert Mitchum) à sa propre écriture et suit le souffle amoureux révolutionnaire du très grand poète Jallal Dine Rumi. Il faut relire ce grand soufi et voir à quel point il était, bien avant tout le monde, dans le dépassement des frontières des corps, des sexes et des identités.

TAAAUL~1


Mis en ligne, 10.06.2012.

Queeriser le corps : pratiques des féministes arabes

Roa’a Gharaibeh
Doctorante à l’Université de Bordeaux en sociologie

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Auteure de « Penser les expériences de subjectivation féministe dans les sociétés arabes » (revue Diversité n°165) et de « Éléments pour déconstruire les normes féministes eurocentriques » in Aux frontières du genre » (l’Harmattan, 2012)


Queeriser le corps :
pratiques des féministes arabes

 

Dans cet article, il s’agit de mettre en lumière des pratiques corporelles de féministes arabes, c’est à dire des pratiques qui tendraient à queeriser ce corps. Ces pratiques requalifient, repensent et redessinent des nouvelles zones queers. Cet article est une partie de ma thèse doctorat. J’y examine l’hypothèse d’une présence importante des pratiques queers dans trois sociétés arabes ; la Jordanie, l’Égypte et le Liban, comme des pratiques de liberté[1]. D’ailleurs, au-delà des pratiques queers, il existe une forte revendication du renouveau politique et féministe.  En revanche, il n’y a pas que les féministes qui queerisent le corps dans les sociétés arabes, mais aussi d’autres personnes qui ne se qualifient pas forcement en tant que féministes. Alors, queeriser le corps dans ces sociétés devient une pratique qui provient d’une capacité d’agir subversive contre un arsenal de l’ordre des genres préétablis par une spécificité discursive d’un patriarcat arabe.

Du queer Theory aux pratiques queers situées : l’exemple des féministes arabes

L’histoire du mot queer se trouve dans le renversement de stigmate. Pour Maud-Yeuse Thomas, « Surgissant d’une discrimination sociétale organisant le clivage majorité/minorité, le queer agit dans un retournement d’une insulte en fierté, d’individus discriminés en socialités, identités, propositions théoriques et pratiques. » Le queer est d’abord un instant de réappropriation de l’insulte (« pédé » « bizarre »). En ce sens il est un outil de résistance. Puis il devient un espace de déconstruction des allants de soi producteurs de hiérarchies, d’inégalités, d’invisibilités et d’empêchements. L’hétérosexualité n’est plus le « neutre », « normal » donc « naturel ». Et l’homosexualité n’est plus le malsain ou l’anormal.

En renversant les hiérarchies sexuelles on entend en souligner la contingence. Le queer est donc un lieu de résistance pratique et théorique qui met à jour des leviers de requalification identitaires, individuels et collectifs. L’insulte inaugure une nouvelle capacité d’agir, qui s’inscrit dans une zone du savoir féministe du sujet. Mais le queer ne se contente pas d’imposer une critique des dispositifs hétéronormatifs (avec notamment la critique du placard ou du coming out par Eve Kosofsky Sedgwick). Le queer est aussi un moment de dérégulation du système sexe-genre. Le féminisme (avec le programme beauvoirien par exemple), comme la psychologie d’ailleurs (avec R. Stoller) sont parvenus à différencier sexe et genre. Mais dans une logique toute particulière puisqu’elle reprenait, certes en les séquençant, les étapes de l’équation sexe=genre. C’est-à-dire qu’à un sexe correspondait un genre. L’homme est masculin et la femme féminine. Or, depuis Térésa de Lauretis et son concept de « technologie de genre » on est en mesure d’appréhender la notion de « sexe » non plus comme une donnée atemporelle qui précéderait, en tant que fait de nature, le genre mais plutôt comme une construction sociale issue des dispositifs de genre c’est-à-dire encore comme « un ensemble d’effets produits dans les corps ». Judith Butler souligne l’aspect inextricable du système sexe-genre et la nécessité d’un dépassement : « en réalité, nous dit-elle, peut-être que le sexe est-il toujours déjà du genre et, par conséquent, il n’y aurait plus vraiment de distinction entre les deux ». 

Le sexe comme « technologie de genre » nécessite donc que l’on se situe du côté de la déconstruction de cet appareil sémiologique, de cette construction de représentation, assignant au corps sexué des aspects invariants. La dérégulation du système sexe-genre pourrait alors se formuler de la sorte : le genre précède le sexe. En tant qu’outil de la déconstruction, le queer inaugure une ère dans laquelle l’individu devient au centre des préoccupations. Les théories surplombantes sont forcées de manière à laisser entendre les subalternes, les outsiders, les minorités, les bizarres, les « queer ». C’est la différence faite entre la matérialité du corps et ses capacités discursives, il faut dire aussi performatives et performantes,  (c’est cette différenciation) qui ouvrent grand les portes de des « accouplements fertiles » et des « expérimentations » corporelles et identitaires. Le sexe devient alors une prothèse : il n’est pas dévoilement (« c’est un garçon, c’est une fille ») mais il est sexdesign selon Preciado. Dans son manifeste contra-sexuel, le gode va permettre à Beatriz Preciado de réaliser un processus de dénaturalisation du sexe et des sexualités.

 

Au total, et c’est peut-être ce qui caractérise le plus les espaces de discours et de pratiques queer est le nomadisme, il est anti-assimilationniste, il résiste à la normalisation, dans un mouvement continuel de production d’identités et dans un jeu d’identifications mettant à mal l’identique. Si le queer n’est jamais identité mais identifications, il est légitime de voir comment ces identifications se travaillent dans mes trois terrains de recherche. Il semble que le mot queer  ne soit pas exclusif d’un travail du renversement des stigmates dans les sociétés occidentales, mais aussi une capacité d’agir, de renverser le stigmate, de l’imposition hétéronormative et du genre hétéronormatif du genre dans les sociétés arabes.

Commençons par le mot queer lui-même. En arabe, le mot « shath » est l’équivalent du queer comme bizarre et anormal, toujours dans la représentation collective des normes hétérosexuelles. Shath est la forme linguistique du bizarre au masculin. Le féminin du mot queer en arabe est  shatha

Il me semble que la méthode la plus pertinente pour appréhender la question de pratiques de liberté, concernant le corps par les féministes arabes, passe par la subjectivation. En effet, sans celle-ci, il ne serait pas possible de comprendre comment le queer provient d’une capacité d’agir subversive. C’est-à-dire une arme contre un arsenal hétérosexuel qui placerait le corps dans une seule dimension, celle des sexualités reproductives et hétérosexuel.le.s.

« les processus de subjectivation […] désignent l’opération par laquelle des individus ou des communautés se constituent comme sujets, en marge des savoirs constitués et des pouvoirs établis, quitte à donner lieu à de nouveaux savoirs et pouvoirs ».

À travers l’analyse de la subjectivation, il est intéressant de voir comment cette capacité d’agir féministe, exerce non seulement des critiques cruciales pour déranger les rapports du genre mis en place dans les trois contextes d’étude, mais aussi, créent des nouvelles zones féministes dans lesquelles puiser des savoirs féministes subversifs. Par des pratiques de liberté concernant le corps, il m’a été possible de comprendre que le queer n’est pas seulement une pratique, ou des pratiques, mais aussi une critique.

« Je suis pour que chaque personne vive son corps comme elle veut. J’en ai marre de placer les tabous de la société jordanienne comme des obstacles insurmontables. Ce n’est pas parce que je suis mariée que je me prive des plaisirs sexuels que je n’ai pas pu avoir avec mon mari. Je n’ai jamais aimé les relations monogames. Je suis partisane de la pluralité des plaisirs et des relations. Je suis pour que les femmes puissent avoir plusieurs hommes. Il en va de même pour les homosexuel.les, non seulement je suis pour qu’ils soient complètement libres dans leurs relations, mais aussi pour que l’on arrête de parler de l’ordre naturel. Pour moi, et justement car il y a des ordres qu’il faut  les casser» Lala, 34 ans, féministe jordanienne.

Dans cette citation, il semble captivant de voir comment cette féministe déploie des mots différents. Elle n’est pas adhérente dans un groupe ou association féministe. Toutefois, sa critique vise les discours hégémoniques qui prônent un ordre naturel des relations sexuelles. Ceci exigeant la déconstruction de cet ordre. Elle évoque le plaisir comme une préoccupation personnelle. Ainsi, elle aborde la pluralité des relations dans une perspective de varier les plaisirs. Ceci me permet de penser ce discours en tant que queer

Effectivement, dans cet article, il n’est pas lieu de penser le queer comme une non catégorie intellectuellement parlant, mais comme des zones où les discours queers prennent place dans les trajectoires de vie des personnes qui arrivent à queeriser ce corps.

Cadre : Du  queer jordanien 

J’ai grandi dans une maison très traditionnelle et très conservatrice avec trois frères. On a perdu notre père pendant la guerre du Golfe de 1990. En fait on vivait au Koweït. Ensuite, on est revenu vivre en Jordanie. Ma mère faisait le rôle du père et de la mère, s’il faut parler des rôles. Et moi, je faisais toutes les tâches ménagères, vu que ma mère a commencé à travailler. En fait quand on était au Koweït, on avait une femme de ménage. Pour rigoler maintenant, je dis qu’on l’a remplacé par moi, en revenant en Jordanie. À la fin de mes journées entre l’école et les tâches ménagères, je me posais souvent la question, pourquoi je suis en train de faire tout ce que je suis en train de faire, pour avoir même pas le quart des privilèges que mes trois frères avaient. En plus j’ai vécu la discrimination de genre de plus près, quand on est revenu en Jordanie, mes trois frères étaient scolarisés dans une école privée, donc plus d’investissement d’argent dans leurs études, et moi dans une école publique. Ensuite, tous mes frères sont partis faire leurs études à l’étranger et on me l’avait interdit pour moi. Le pire m’est arrivé lors de la distribution de l’héritage de mon père. Pour moi, je n’étais pas moins un de ses enfants car j’étais une fille. Pourtant, s’est passé comme ça. Je n’ai eu que la moitié de ce que mes frères ont eu. Est-ce que je l’aimais moins d’eux, ou est-ce qu’il m’aimait moins d’eux ? 

Avec ma mère, le rapport est devenu super difficile après la mort de mon père. En effet, on exerçait le même rôle. Cependant, nous n’avions pas les mêmes privilèges. Mais il faut savoir que j’ai brisé beaucoup de tabous après ma sortie à la fac. Et ma mère a beau essayé de faire de moi une fille bonne à marier, elle n’a pas réussi. À ce moment là, j’ai décidé de ne plus faire les tâches ménagères, ni la cuisine. C’est ainsi que j’ai refusé toute forme de l’autorité familiale de ma mère et mes frères. Ensuite quand j’ai eu 28 ans, j’ai imposé à ma mère et mes frères mon envie de vivre seule dans un appartement, tout en sachant que je suis devenue complètement indépendante. Au début ma mère a essayé de me faire du chantage affectif, et de me dire qu’elle avait besoin de moi. J’ai un frère avec lequel j’ai décidé de rompre complètement notre rapport fraternel. En fait, il s’est permis de me frapper, quand j’ai annoncé ma décision d’aller vivre seule.  Mais je suis partie vivre seule. Il faut que je te raconte comment j’ai perdu ma virginité. D’ailleurs, je ne l’ai pas perdu, j’ai gagné du plaisir. Je l’ai fait moi-même aux toilettes, et contrairement à tous ce que les gens disent, je n’ai pas eu mal et je n’ai même pas saigné. C’est des grosses conneries les trucs d’honneur etc. Par mon expérience j’ai désappris plein de choses. Non seulement j’ai vécu seule, mais j’ai aussi annoncé par mail (car ils sont à l’étranger) à mes deux autres frères que je ne suis pas vierge et je suis lesbienne.

J’ai désappris ce que ma mère a essayé de m’apprendre, et surtout en rapport à mon rapport avec mon corps et la sexualité. En fait, elle me disait souvent qu’une fille doit attendre qu’un homme vienne la demander en mariage. Ensuite, elle ne doit jamais lui montrer qu’elle a envie de sexe. Et que les filles attendent que les hommes arrivent pour leur faire l’amour. Non, moi j’ai construit mes sexualités différemment. Je vis plein de relations avec des personnes différentes, dans des lieux différents et avec des méthodes différentes. La pénétration n’est pas la seule façon d’avoir un plaisir.

Je peux paraître très radicale, mais si les choses revenaient à moi, je déflorerais toutes les filles à la naissance. Peut-être c’est ainsi que l’on arrêterait de parler d’honneur lié à un bout, des fois inexistant.

Si les gens me désignent comme « pute » juste parce que je suis sexuellement active, qu’ils le fassent. D’ailleurs, je préfère que tout le monde soit désigné comme « pute », si cela les ramène vers leurs plaisirs.

Rien qu’entendre le mot engagement, je m’étouffe, et aussi le mot monogame. J’ai besoin et envie  de continuer d’être indépendante et libre. J’ai désappris aussi le rapport que l’on fait souvent entre l’amour et le sexe. Non, maintenant, je suis capable de coucher avec quelqu’un sans pour autant d’être amoureuse d’elle.

Quand les gens me demandent comment c’était mon coming out, je rigole, car ils attendent toujours d’entendre de ma part, de la souffrance et de la galère. Et ben non, je n’ai pas réfléchis à la religion et je m’en contrefous. Je n’aime pas les labels, hétérosexuelles, lesbiennes ou autres. Pour moi, déclarer que je suis queer n’est pas dans un ordre identitaire. C’est de l’ordre du plaisir. Je vis pleinement des plaisirs intenses et je m’en réjouis tous les jours. Après tout, je suis contente et fière de ce que je suis maintenant. Que l’on m’appelle comme « shatha » non seulement ne me dérange pas, mais je le revendique avec fierté. Leena, 32 ans. Féministe jordanienne.

Dans ce récit, il est intéressant de voir comment le mot shatha est important pour renverser le stigmate, non seulement comme prise de position, mais aussi comme une fierté. À l’origine ce mot signifiait ce qui anormal, insolite et pervers. Ainsi, nous pouvons penser la revendication de ce mot dans les contextes arabes et dans une perspective queer. Il en va de soi, et comme cette féministe l’énonce, le queer n’est pas seulement une identification mais plutôt une pratique.

Dans le récit de cette féministe, il est saillant de penser son expérience de subjectivation féministe, et les conflits qu’elle a vécus avec sa famille, selon l’approche foucaldienne[8]. Certes, ces conflits étaient violents. Mais, il semble que sa capacité d’agir fut productive. En effet, avec le refus de prendre en charge des tâches ménagères qui lui étaient imposées, l’envie de vivre seule, ainsi que d’annoncer son homosexualité et de ne pas être vierge, cette féministe déployait sans cesse une capacité d’agir qui lui était propre et qui faisait face à toutes ces conflictualités. D’autant plus, qu’il est remarquable de lire la répétition de mot plaisir dans son récit.

Non seulement, elle se soucie d’elle-même, mais aussi, elle se soucie de son corps et du plaisir que son corps peut lui procurer. En ce sens, il n’est pas juste pertinent de penser ses pratiques en tant que pratiques de liberté, mais aussi en tant que moyens déployés pour se maîtriser. Passer par toute une opération de désapprentissage fait partie des pratiques de liberté. C’est ainsi que le concept de carrière de Becker me semble tout à fait en adéquation avec les expériences de subjectivation féministe. Cette pratique de liberté par le désapprentissage, même s’il est perçu comme pratique déviante, reste  tout de même une pratique de liberté. Tout au long de sa « carrière féministe »  cette féministe ne cesse de pratiquer une déviance car elle ne se conforme pas aux normes imposées de genre et de sexualité. Dans cette optique, le désapprentissage de tout un arsenal de normes qui construit une seule et unique forme de sexualité, est productif. En revanche, et toujours selon l’approche beckerienne, il me semble pertinent de rappeler que les féministes s’impliquent dans des trajectoires déviantes. Autrement dit, que ces carrières transgressent les normes hétérosexuelles.

Cadre : De la subjectivation féministe matérialiste au Liban : le queer comme capacité d’agir subversive

 Je dis que je suis féministe, car c’est un besoin. Je pense que je suis féministe car je veux que l’on ait toutes et tous, nos droits de base, qui sont nos droits de disposer de nos corps. Et si nous revenons  vers  l’idée de départ de toute l’oppression envers les femmes, on y trouve le corps au milieu de cette raison d’oppression. Les hommes politiques, religieux et les business men, travaillent pour reproduire l’oppression. Dans ces nouvelles formes, si l’on prend soit le voilement, soit le dénudement, on trouve ces hommes là à l’origine de mettre les corps des femmes comme objet.

Mes parents appartiennent et croient à leur confession. Ils sont très simples.  En fait, on n’avait pas une grande bibliothèque à la maison, je cherchais seule à comprendre et à m’informer. J’étais enfermée dans cet environnement, dans une école à coté de la maison, et avec des parents assez traditionalistes dans leurs discours.

Regarde même l’idée de la famille, elle est au fond, un produit capitaliste dans sa forme actuelle. Car la famille se fonde sur la consommation de base. C’est ainsi, que l’on se trouve avec la guerre contre les gays et les queers. Parce que ces derniers menacent cette forme de capitalisme familial.  Je suis contre toute forme du mariage, et même les féministes qui n’ont pas de problème avec le mariage, je ne peux pas m’entendre avec elles. Car si je veux vraiment lutter contre la structure patriarcale il faut lutter contre la structure patriarcale capitaliste de la famille. C’est aussi pour cette raison que je suis contre le mariage des gays. Car ceux et celles qui veulent se marier, veulent se conformer pour moi avec la structure familiale capitaliste et patriarcale. Et si tu regardes bien au Liban, ceux qui sont pour le mariage des gays, sont issus des classes supérieures. Tout est lié.

Ce qui me rend furieuse, c’est que les premiers mouvements féministes n’ont pas parlé de la sexualité et droit de disposer de son corps. Ces féministes, et en prenant le contexte de respecter le contexte arabe, n’ont pas abordé ces problématiques. Ce qui pour moi une faute grave. Cela nous a conduit à une confrontation avec deux discours. Soit un discours trop populaire pour sensibiliser le plus du monde à la cause « des droits des femmes », soit un discours élitiste et capitaliste. Par conséquence, je ne m’y trouve pas ni dans l’un ni dans l’autre.

Si tu veux, plein de journalistes étrangers viennent au Liban, et surtout à Beyrouth. Ils vont dans les bars « chic » et dans les quartiers les plus riches, et ils écrivent de la liberté des libanais.e.s. Je ne comprends pas comment cette image brillante de notre société peut circuler, tout en sachant qu’ils n’ont pas été dans les quartiers où les codes d’usage du corps sont strictement appliqués. Ils ne vont pas à Sayda, ni dans al-dahiyyé, et ils se permettent de dire que les femmes libanaises se disposent de leurs corps. Être féministe pour moi, c’est de penser toutes les relations complexes qui existent dans ma société à travers mon féminisme. C’est de lier la cause féministe, avec la lutte des classe, et la lutte contre le paradigme politico-religiux. La discrimination faite contre les femmes s’inscrit dans la même lignée de la discrimination contre les gays, et les travailleurs et travailleuses étrangères.

Mes parents critiquaient souvent mon apparence physique. Ils n’ont jamais aimé ma coupe de cheveux et mes pantalons. La lutte avec eux, ce n’était pas tous les jours, mais toutes les secondes. Et je suis contente que j’ai tenu jusqu’au bout pour m’affirmer en tant que différente d’eux quand à mon rapport à mon corps, c’est mon corps et non pas le leur. Hier lors de la soirée que tu as assisté, (me parlant), c’était la première fois de ma vie à porter une robe. Et j’ai été vraiment étonnée de la réaction sexiste au sein d’une association LGBT. Par exemple, il y en a qui m’ont dit que je devrais toujours porter une robe, et d’autres qui m’ont approché différemment. Pourquoi je devrais toujours porter une robe ? Je leur ai répondu qu’ils sont homophobes.

Mes pratiques sexuelles changent avec ma pensée. En fait, avec l’évolution de ma pensée. C’est juste maintenant que je peux dire que mes pratiques sexuelles sont vraiment un choix. C’est mon choix de cumuler le plus du plaisir de mon corps.

Même dans cette association LGBT, je me pose la question, si un homme accepte de se faire prendre (elle a utilisé le mot se faire niquer), j’accepterais d’entreprendre un rapport sexuel avec lui. En revanche, celui qui met une barrière sur une zone précise de son corps, n’aurait en aucun moment l’occasion de me prendre par cette zone. Pour moi, il n’y a pas de libération ultime, mais je vis tous les jours un peu plus libre, dans ma tête et dans mon corps. Et surtout plus du plaisir dans ma vie de tous les jours, c’est pour cela que je te dis que je suis contre les féministes de tout ou du rien.

Oui je suis bizarre et hors norme, et fière de l’être. Je suis heureuse de ne pas me conformer au paradigme politique, religieux, social et capitaliste de la norme hétérosexuelle. Je suis queer anti-capitaliste et de la classe ouvrière.

Il semble qu’une de mes luttes les plus importantes, se trouve dans ma lutte pour avoir mon corps à moi. Entre les chirurgies esthétiques (je peux dire les chirurgies qui rendent les femmes moches) et les publicités qui exigent une minceur effrayante pour se croire belle, on s’éloigne de plus en plus de la lutte pour disposer de son corps. Les publicités sont non seulement provocantes mais aussi indécentes. Je te donne un exemple, on trouve une grande affiche sur l’autoroute, qui montre un homme qui tient une femme par ses cheveux, et sur son bras à lui, c’est écrit « est-ce que tu le regrettes ? », en fait, cette publicité est pour un magasin qui fait et défait des tatouages. Le message que cette publicité m’envoie, c’est que la violence de cet homme peut être effacée juste par le fait d’effacer son tatouage. Tu imagines comment ce message est horrible à voir. Et on parle encore de la liberté sexuelle des femmes libanaises. Je ne fais pas l’amalgame entre une femme qui se fait frapper pour qu’elle mette le voile, et celle qui fait de botox pour gonfler ses lèvres. Mais toutes les deux se croient si l’on parle de l’absence d’une disposition du corps à soi en tant que femme. Ici, on peut parler d’une oppression directe dans le cas de femmes qui sont obligées à mettre le voile, et d’une oppression indirecte dans le cas de femmes qui payent pour gonfler leurs lèvres. Je suis contre toute forme de relation monogame. Pour moi, les relations qui sacralisent la forme hétéropatriarcale, sont des relations contre ma pensée. En effet, elles ne peuvent pas dépasser le principe d’exclusivité et de possession. Si tu veux, je ne peux pas faire la séparation entre ma pensée et mes pratiques concernant mon corps.

Écoute, pour Joumana Hadad, qui prêche le féminisme et les droits des femmes d’avoir une sexualité libre, et qui prétend briser des tabous, elle fait cela dans un cercle trop fermé. Et regarde où est ce qu’elle fait ses conférences, dans des lieux bourgeois. Là, où des féministes, et des jeunes personnes cherchent à comprendre et d’être informés sur ces sujets, ne peuvent pas y accéder. Féministe libanaise

Dans ce récit, on trouve une illustration cruciale d’une expérience subjective du « vivre queer », en tant que lutte contre l’hétérosexualité comme normes sociales, mais aussi contre une politique capitaliste. De plus, ce qui m’intéresse en particulier dans ce récit c’est le fait que cette féministe n’appartient pas à une classe supérieure. À contrario, elle s’identifie elle-même en tant que queer de la classe ouvrière. C’est ainsi que mon analyse démontre la particularité du contexte libanais. D’un côté les féministes queerisent les pratiques de liberté dans leur contexte. Ceci confirme mon hypothèse des expériences de subjectivation féministe comme pratiques de liberté. Elles en viennent même par ces pratiques, à critiquer l’inertie des premières féministes libanaises, et à  revendiquer le droit de disposer son corps. De l’autre côté,  devenir féministe au Liban n’est pas un luxe exclusif aux femmes-féministes issues la classe supérieure. Aussi, le queer comme pratique, n’est plus exclusif à des personnes appartenant aux classes supérieures.

Du queer dans les pratiques de liberté : internet comme nouvelle zone du queer arabe

Il s’agit dans cette deuxième partie de montrer d’autres figures qui queerisent le corps dans les sociétés arabes. Celles-ci s’inscrivent dans une logique d’action qui prend l’internet comme dispositif et qui permet de critiquer, requalifier et s’identifier autrement que par des représentations collectives. Ici, l’importance de ces pratiques dans les médiacultures, débute avec les indignations dans les sociétés arabes. En revanche, et par l’étude des récits féministes depuis 2008, il convient de penser ces pratiques en tant que dispositifs existants avant le début des indignations.

« J’ai crée un blog pour parler de l’histoire des boites. La première arrive à l’arrivée sur cette terre, c’est la boite génitale, tu es fille ou garçon. La deuxième, tu as des cheveux longs, donc tu es forcement une fille, donc il faudrait apprendre à mettre des talons et des jupes etc. La troisième, il faut se marier et faire des enfants. Et dans ces boites il y a encore des boites, dans la boite du mariage il y a la boite de la virginité. Et après toute cette mise en boite, je m’étouffe. Donc, j’ai décidé d’exister en dehors de ces boîte». Maya, 26, Féministe libanaise.

Cette féministe a crée son blog en 2009, dans lequel elle partageait des idées, des anecdotes et des constats quotidiens de la vie libanaise. Dans la phrase que je souligne il me semble logique d’analyser le refus de l’histoire des cases  et la volonté et l’envie de vivre en dehors des ces boîtes, en tant que pratique de liberté. En effet, c’en est une dans un espace ouvert, celui de l’internet. La critique des cases, elle-même, est une pratique queer.

D’autres exemples nous sont offerts pour parler de pratiques de liberté numériques. Il me semble pertinent de mettre en exergue quelques uns qui sont en lien avec les discours des féministes arabes. Par exemple, la revue en ligne « Behsoos ». Cette revue queer et arabe contient des éléments de subversion intéressants. Sur le sujet de la virginité, pour n’en prendre qu’un parmi d’autres, une définition nouvelle y apparaît :

« Selon le dictionnaire de notre contexte. Al-bakara ; al- ‘othra chez une fille ; l’hymen. Al-‘othra signifie la fabrication d’une fille des excuses, dans cette société moisie pour pratiquer son droit naturel de pratiquer sa sexualité sans excuses. En effet, elle dirait qu’elle est follement amoureuse de cet homme et que certainement ils vont se marier. C’est aussi, quand une fille fabrique des excuses au près de ses parents pour qu’ils la laissent sortir pour qu’elle perdre sa virginité cette nuit même. al-‘othra veut dire aussi de refuser d’avancer des excuses de la par d’une fille pour qu’elle puisse pratiquer sa sexualité comme elle le veut.

En revanche, l’hymen signifie que c’est un ahbal, qui croit pouvoir connaître le passé d’une fille et son « innocence » par l’ouverture ou la fermeture de l’hymen. Bref, tout cela pour dire que la fille peut prendre l’homme hanté par l’hymen comme un imbécile. En fait elle peut faire refaire son hymen. C’est ainsi qu’elle récupère sa virginité. Une virginité nouvelle et fraiche. Et l’imbécile va croire et va se reposer avec son patriarcat » .

Pour bien comprendre la critique faite dans cet écrit, une traduction des mots soulignés est indispensable. En fait le mot al-bakara veut dire en arabe, vierge. Être une bikir, signifie d’être une personne sans pratique sexuelle. Aussi, cela signifie l’aîné.e. de la famille. Ensuite, quand cette personne déploie le mot « ‘othra », elle joue avec ce mot. En fait, la racine en arabe de mot virginité, ‘othriyya, et le mot excuse i’tithar, se ressemble. C’est ainsi qu’elle fait un rapprochement entre la virginité et les excuses qu’elles doivent se faire pour excuser tout ce qui dans l’ordre d’une pratique sexuelle. Le mot ahbal est souvent déployé pour qualifier quelqu’un d’imbécile.

Dans cette optique, il semble que l’outil numérique n’est pas seulement un espace sans contrôle dans lequel les personnes s’expriment librement, mais aussi un espace par lequel des critiques, des positionnements et des idées circulent, qui s’approchent des critiques queers. Toutefois, il est important de souligner une idée évoquée dans cet écrit : refaire une virginité n’est pas seulement une pratique répandue mais aussi une pratique pensée comme une manipulation. Car la personne qui croit qu’une fille est vierge juste par un saignement lors du rapport sexuel, est pris comme un « imbécile ».

Cette définition, qui sort du « normal social » à propos de la virginité, est elle-même aussi, une queerisation. D’ailleurs, dans les pratiques qui queerisent le corps, il me semble judicieux de passer aussi par les tentatives de redéfinitions dans la langue arabe. Et justement, par cette redéfinition de la virginité, qui est plutôt une critique cynique, ce magazine queer arabe, arrive à déranger une norme patriarcale. 

La pratique de blogs est une pratique que l’on place dans une optique « glocalisée » d’une stratégie d’action de la prise de parole isolée. Toutefois, il est intéressant de voir comment dans cette prise de parole sur internet, les problématiques qui concernent la liberté des individus, n’est pas juste une problématique qui hante les féministes mais aussi d’autres personnes et surtout des hommes. Ces derniers font des blogs et parlent de l’absence de cette liberté dans leurs contextes. Ce faisant, ils ne critiquent pas seulement cette absence, mais ils en donnent des réflexions pour comprendre comment leurs contextes ne leurs donnent pas cette liberté d’individu comme droit d’être humain. Ce qui est aussi captivant, s’articule entre la prise de parole sur internet et le moment de publier sur internet. Ici, on ne peut appréhender cette multiplicité des pratiques de prise de parole qu’en tant de résistance incessante contre les obstacles qui entravent non seulement les individus, mais aussi leurs réflexions.

Pour donner un exemple de cette prise de parole glocalisée, il convient d’évoquer ce que Fadi Zaghmout a fait de son blog. Il déploie cet outil universel pour en parler de ces pratiques de souci de soi. En effet, Fadi Zaghmout, repense la fonction de la circoncision dans son blog le 23.mai.2006.

« Finalement, j’ai regardé entre mes jambes, c’est ainsi que les mots de Dr. Nawal al-Sa’dawi, que j’ai entendu il y a quelques jours, m’ont revenus à l’esprit. La circoncision n’est pas nécessaire. Ils n’avaient pas besoin de me circoncire. J’ai soudainement réalisé qu’une part de la production de la nature est absente. N’est pas entier. Une part de ma flèche a été coupée quand j’étais enfant, sans me le demander. Personne n’a pris mon avis. Je me suis senti trahit. Je veux la part manquante de ma flèche. Je veux la version complète de l’oeuvre de la nature. Quelques fois, tu es amené à prendre en compte des faits de la vie que tu n’as jamais pensé. Je savais que j’étais circoncit, mais je n’ai jamais pensé que cela veut dire que je suis avec un corps altéré de sa version naturelle du départ ».

À travers cet exemple, on soulignera la prise de parole dans la subjectivation masculine, comme un acte de critique d’une pratique soit disant sociale et traditionnelle. Ainsi, la construction du soi, est appréhendée dans une optique des pratiques de liberté, par le souci de soi. En effet, cette personne qui se dit homme, se souci de lui-même, dans la perspective de se maîtriser. Par la lecture de ce passage, soulignons  les mots qui ont été déployé, dans l’optique du souci de soi. Dans cette critique de la circoncision, il semble que le fait que l’on ne lui demande pas son avis, ou de ne pas lui demander que l’on pratique la circoncision sur son corps est problématique. En fait, il ne fait pas seulement une critique de cette pratique, mais aussi une critique  « de la matrice » de cette pratique. Ne pas lui demander son avis, semble envoyer à l’idée de chosification de la personne. En outre, non seulement on lui a coupé une part de sa flèche, comme il le dit, mais aussi, ils ont falsifié son corps.

Cette personne a continué et continue encore à pratiquer la prise de parole sur internet. Il a nommé son blog « The Arab observer ». Il a publié récemment un roman qui s’intitule de « ʼaroos Amman », qui veut dire la mariée d’Amman. Fadi dit avoir écrit ce roman du point de vue féministe.  « Quand j’ai écrit ce livre, je voulais être une réelle réflexion de l’état de la société qui m’entoure. Ce, en mettant l’accent sur les problématiques par une perspective féministe »..

Dans ce roman Fadi traite de quatre cas de figures dans la société jordanienne. En fait, pour lui, ces cas de figures illustrent l’obsession sociétale du mariage. Le premier cas discute de la condition d’une fille qui ne s’est pas mariée, et qui est arrivée à certain âge auquel ses chances de mariage diminuent. Le deuxième parle d’une fille qui a subit le viol par son père pendant des années. Elle ne peut pas se marier sachant qu’elle n’est plus vierge. Le troisième met en lumière la problématique du mariage inter-religieux dans la société jordanienne. En effet, c’est le cas d’une fille chrétienne qui tombe amoureuse d’un musulman. Enfin, le quatrième cas discute de la condition de l’homosexualité en Jordanie. Ou comment, par le refus de la société, les homosexuel.les se plient des fois à cette obsession du mariage. En effet, ils /elles essayent de rentrer dans le cadre du mariage, afin de se faire une sorte d’intégration.

Par les déboitements faits au cours de ce roman, l’écrivain critique aussi le paradigme d’honneur. Et par cette critique, il suggère de nouvelles façons pour réinterroger le concept d’honneur lui-même et la mentalité d’honneur, qui se reproduit par l’acte de tuer une personne au nom de l’honneur. Ce qui est encore plus intéressant dans son travail se trouve dans la coopération qui a été faite avec un autre groupe de personnes qui ont crée une page sur internet, pour dénoncer les crimes d’honneur. Cette page s’appelle « Il n’y a pas d’honneur dans les crimes d’honneur [16]».

Dans ce roman, Fadi redéfinit l’honneur. « L’honneur est vulnérable. Il est cassable. Toutefois, il est souple, il se module comme une pâte. Le mâle le tire comme il veut, comme un outil pour faciliter le contrôle sur les femelles. Par cet honneur le mâle impose le code vestimentaire, le code de la démarche et les horaires de sortie. Ainsi, ils imposent les choix des amitiés masculine te féminine ».

D’ailleurs, les formes de prise de parole par des dispositifs de médiacultures, sont sans cesse en lien avec des autres pratiques de liberté et de prise de parole dans les trois contextes. C’est par cet espace de prise de parole que l’on arrive à comprendre toutes les transformations dans les trois sociétés arabes. On y trouve aussi un magazine gay en Jordanie. Cette pratique ne pouvait pas être envisageable sans une capacité d’agir subversive. 

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Une autre figure est importante pour appréhender les pratiques masculines qui queerisent le corps Kareem Amer, est un blogueur depuis 2004. Sur son blog on y trouve une présentation de lui-même. Dans cette présentation il est captivant de penser ses paroles, et sa prise de parole par son blog, comme une pratique de liberté.

« je suis un être humain, peut-être un peu différent. Parce que je n’accepte pas les valeurs superficielles. Je refuse la transformation des personnes en troupeaux qui se suivent sans avoir un objectif. Mon objectif est de déconstruire et ensuite de reconstruire ma société. La liberté est la valeur la plus sacrée. Elle l’est plus que les valeurs religieuses et les mythes divins. Je ne sacralise dans cette vie que l’être humain… L’écriture est ma passion. Elle n’a pas de limite. L’écriture est mon outil de créer mon monde, que je ne permets à personne d’envahir. Je n’écris pas pour que l’on me lise, j’écris pour affirmer mon existence».  

Il me semble que cette figure soit importante quand nous revenons vers la trajectoire de Kareem. Il a suivi ses études dans l’Université d’al-Azhar, qui est la plus grande institution religieuse musulmane en Égypte. Kareem a été emprisonné de 2007 jusqu’à 2010. Le motif de cet emprisonnement ? Son blog  Il a été suivi par al-Azhar, pour une diffamation contre l’islam. De plus, il avait aussi critiqué le régime de Moubarak. Kareem a écrit en 2006 sur son blog :

« Je suis libéral. Je crois en la liberté absolue pour toute personne, individu. Je crois que l’individu est le dieu de lui-même. Personne n’a le doit de lui imposer quel qu’il soit. Je suis laïque et je pense que c’est une nécessité de séparer rentre les croyances et la vie publique. Je ne suis pas contre les croyants, tant que leurs croyances à leur dieu, restent une affaire de l’ordre du privé. Je refuse tous les régimes corrompus et oppresseurs comme je peux. Notamment, le régime corrompu en Égypte. Ce dernier est devenu un idéal d’oppression et de corruption ».

Ce qui est captivant dans l’expérience de subjectivation masculine, comme je l’ai évoqué dans le cas de Fadi, se concrétise par une prise de parole qui s’est déplacée, du cadre isolé au cadre collectif. Conjointement, ces deux hommes ont fait ce que les féministes rencontrées font. Un travail qui relève d’un processus de subjectivation afin de se construire en tant que personne se plaçant hors du cadre patriarcal. Ce faisant, ils le déconstruisent, et par conséquent, ils le reconstruisent en le dérangeant.  

Fadi a coopéré avec la campagne de « Il n’ y a pas d’honneur dans les crimes d’honneur », Kareem a composé avec sa copine des écrits sur leur blogs respectifs.  Ce qui est essentiel dans la figure de sa copine, se trouve dans l’acte performatif de cette jeune fille. En fait, elle est Alia Al-madhi https://www.facebook.com/aliaaelmahdy. Celle que son acte de diffuser ses photos nues sur son blog a suscité beaucoup de réactions. D’ailleurs, cette figure n’a que 21 ans. Kareem a 28 ans. Ils étaient tous les deux dans le mouvement culturel égyptien revendiquant à voix haute la liberté. Elle a trois blogs sur internet.

 

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L’acte de poser nue est certainement très important. En revanche, ce qui est encore plus important se trouve dans les réactions queers qui ont suivi l’acte de poser nue. En fait, cette jeune fille avait publié ses photos sur son blog avec un appel aux hommes de se voiler. Pour elle, si les hommes se voilaient, ils briseraient la limite qui consistait à penser le voile comme un marquer de distinction entre les corps  des hommes et des femmes. Par conséquent, le voile ne serait plus un signe de soumission des femmes aux hommes.

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Un autre élément quant à ces pratiques queers se trouve dans une sorte de queeriser du corps dans des pratiques transnationales. En effet, les images de ces deux hommes voilés suite à l’appel d’Alia al-Mahdi se croisent avec l’événement survenu à l’université libre de Bruxelles, lors d’un débat sur l’extreme droite en Europe, en présence de la journaliste française qui se dit féministe, Caroline Fourest. En effet, Souhail Chicha, économiste et chercheur à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), foulard sur la tête, descend à la tribune et prend la parole : « Nous disons à cette Université que Bruxelles ne veut pas de la musulmanophobie. » désignant ainsi la journaliste et par la même sa position sur le voile qu’elle considère comme un outil d’oppression sur les femmes par les hommes.

Conclusion : Queeriser le corps : dépasser les frontières

Au delà des pratiques de liberté qui tentent à queeriser le corps dans les trois sociétés arabes, que j’ai traité tout au long de cet article, il me semble inévitable de penser le processus de queerisation, en tant que technologie de genre internationale. Certes, on a vu comment une particularité des pratiques queers peut être appréhendée dans les sociétés arabes, qu’elle soit traduite par des critiques véhémentes contre le paradigme « d’honneur » et de la virginité comme normes fixes et figées. En revanche, celle-ci n’empêche pas l’importance d’un processus de queerisation qui s’étend à travers les pays, les contextes, les personnes et mêmes les critiques queers. En effet, s’il y a une chose qui ressemblerait au genre dans sa construction et sa déconstruction, elle serait la queerisation.

Il me semble même légitime de penser que le queer, en tant que non-catégorie et non-identité, pourrait être la seule zone sans frontières. Celle-ci, vient à rassembler toute personne se disant en identification avec une pratique, ou des pratiques queers. Le queer briserait le paradigme de penser le monde en tant que supérieur et inférieur. Peut-on penser la fin de la pensée culturaliste occidentaliste et orientaliste par la queerisation transversale du corps ?


Bibliographie :

Howard S.BECKER, Outsiders, Traduit de l’américain par J.-P. Briand et J.-M Chapoulie, Paris, Editions .M Métailié, 1985.

Gilles Deleuze, « Sur la philosophie », Pourparlers, Minuit, 1990,

Michel Foucault, « L’éthique du souci de soi comme pratique de liberté » p.1527-1548, in Dits et Écrits II, 1976-1988. Éditions Quarto Gallimard, 2001. p.1533.

Michel FOUCAULT, L’histoire de la sexualité Volume 2. L’usage des plaisirs, Édition Gallimard, Paris. 1984.

Michel FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume1. La volonté du savoir, Édition Gallimard, Paris. 1984.

Michel  FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume3. Le souci du soi, Édition Gallimard, Paris. 1984.

Michel FOUCAULT, « Leçon du 7 novembre 1973 », in Le Pouvoir psychiatrique, cours au Collège de France 1973-74, Paris, Gallimard-Le Seuil (coll « Hautes études »), 2003

Michel FOUCAULT Dits et Ecrits 1954-1988, tome4, sous la direction de Daniel Defert et François Ewald. Editions Gallimard, Paris, 1994.

Michel FOUCAULT, Dits et écrits, volume 2, 1976-1988, Gallimard, coll. « Quarto », Paris, 2001.

Beatriz Preciado, Manifeste contra-sexuel, Balland, 2006.

Braidotti Rosi, « Les sujets nomades féministes comme figure des multitudes », Multitudes, 2003/2 no 12, p. 27-38.

Roland Roberston, dans Glocalisation, in FEATHERSTONE, M., LASH, S, ROBERTSON, R. (Editions) Global Modernities, London : Sage

Eve Kosofsky Sedgwick : « How to Bring Your Kids Up Gay, »  (Tendencies, Duke UP, 1993).


Liens internet :

 http://www.bekhsoos.com/web/2010/10/clitoris « Magazine queer arabe »

http://thearabobserver.wordpress.com/2006/05/ The Arab Observer”

http://lasharaffiljareemah.ning.com/  “Il n’y a pas d’honneur dans les crimes d’honneur”

http://mykali.weebly.com/  “Magazine gay jordanien”

http://www.kareem-amer.com/2012/03/blog-post_05.html   “blog de Kareem Amer”

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/10/22/un-egyptien-condamne-a-trois-ans-de-prison-ferme-pour-insultes-contre-l-islam-sur-facebook_1592489_651865.html “Le monde”

https://www.facebook.com/aliaaelmahdy “Page facebook d’Alia al-Mahdy”

http://diaryofarebel.blogspot.fr/  « Blog d’Alia al-Mahdy : Journal intime d’une rebelle »

http://echoingscreams.blogspot.fr/  «Blog d’Alia al-Mahdy : cris résonants »

http://arebelsdiary.blogspot.fr/


Notes

Michel Foucault, « L’éthique du souci de soi comme pratique de liberté » p.1527-1548, in Dits et Écrits II, 1976-1988. Éditions Quarto Gallimard, 2001. p.1533.

Arnaud Alessandrin, Queering the mixity, Université PAF, 1 octobre.2011 à Bayonne.

D’où le provoquant titre d’Eve Kosofsky Sedgwick : « How to Bring Your Kids Up Gay, »  (Tendencies, Duke UP, 1993)

Beatriz Preciado, Manifeste contra-sexuel, Balland, 2006.

Braidotti Rosi, « Les sujets nomades féministes comme figure des multitudes », Multitudes, 2003/2 no 12, p. 27-38.

Gilles Deleuze, « Sur la philosophie », Pourparlers, Minuit, 1990, p. 206

Michel FOUCAULT, L’histoire de la sexualité Volume 2. L’usage des plaisirs, Édition Gallimard, Paris. 1984.

Michel  FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume1. La volonté du savoir, Édition Gallimard, Paris. 1984.

Michel  FOUCAULT L’histoire de la sexualité Volume3. Le souci du soi, Édition Gallimard, Paris. 1984.

Michel FOUCAULT, « Leçon du 7 novembre 1973 », in Le Pouvoir psychiatrique, cours au Collège de France 1973-74, Paris, Gallimard-Le Seuil (coll « Hautes études »), 2003

Michel , FOUCAULT Dits et Ecrits 1954-1988, tome 4, sous la direction de Daniel Defert et François Ewald. Editions Gallimard, Paris, 1994.

Michel FOUCAULT, Dits et écrits, volume 2, 1976-1988, Gallimard, coll. « Quarto », Paris, 2001.

Howard S.BECKER, Outsiders, Traduit de l’américain par J.-P. Briand et J.-M Chapoulie, Paris, Editions .M Métailié, 1985. p.48.

Je garde le mot « boîtes » dans la citation de cette féministe pour une raison simple. Celle-ci se trouve dans la crédibilité de la traduction littérale d’un mot utilisé par cette féministe. Certes, ce mot ne renvoie pas à sa signification voulue par cette féministe. En revanche, il me semble important de garder le terme de boîte, qui a été utilisé en anglais comme box, pour parler de l’enfermement.

http://www.bekhsoos.com/web/2010/10/clitoris/. Le 28.mars.2012.  Bekhsoos veut dire « à propos ».

Ici, je déploie le concept de la glocalisation, comme il a été pensé chez  Roland Roberston, dans Glocalisation, in Featherstone, M., Lash, S, Robertson, R. (Editions) Global Modernities, London : Sage. « est une globalisation qui se donne des limites, qui doit s’adapter aux réalités locales, plutôt que de les ignorer ou les écraser. Par ailleurs, en provoquant une résistance à elle-même – suscitant un mouvement mondial de contestation – la globalisation contribue, ironiquement et paradoxalement, à concentrer l’attention sur les réalités locales. Il est vrai que protester contre la globalisation a parfois eu l’effet contraire, produisant plus de globalisation. Mais l’on a compris que, pour faire avancer la cause du « local », il faut agir au niveau global, en sillonnant la planète, en communiquant à travers les nouvelles technologies, etc.

Ce passage a été écrit en anglais. La traduction a été faite par mes soins. Ici, vous trouvez la version anglaise. Finally I looked down between my legs, the words of Dr. Nawal El Sadawi that I heard few days ago came to my mind. Circumcision is not necessary! They didn’t need to circumcised me! I suddenly realized that the product of nature that I admire is missing a part! It isn’t not complete! A part was cut from my flesh when I was a child without consulting me. No one asked me! They cut my flesh without asking me! I felt betrayed. I want my missing part back. I want my complete version of this product of nature. Sometimes you came to realize facts in life that you have never thought of. I have always knew that I am circumsized, but I have never realized that it meant being with an altered natural body. http://thearabobserver.wordpress.com/2006/05/

http://thearabobserver.wordpress.com/2006/05/ « When I wrote the book, I wanted to be a real reflection of the state of society around me. It highlights the issues from a feminist perspective »

http://diaryofarebel.blogspot.fr/  « Journal intime d’une rebelle »

 http://echoingscreams.blogspot.fr/  « cris résonants »

 http://arebelsdiary.blogspot.fr/


Date de publication : 1 mai 2012.

Sexualité et gouvernabilité des corps au Maroc

Jean Zaganiaris

Enseignant-chercheur au CERAM/ EGE

Chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne

 

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Sexualité et gouvernabilité des corps au Maroc :

la question des transidentités au sein des productions artistiques marocaines 

«Je me rappelle avoir parlé de l’éjaculation féminine un jour où j’étais invitée sur le plateau de Tout le monde en parle. Je ne sais plus exactement ce qui avait été dit autour de cette table ronde. Mais je me rappelle de quelques rires un peu moqueurs. Le cycliste Richard Virenque était assis à côté de moi, et avait dit quelque chose du style « Ma femme ne fait pas ça », dans le sens où visiblement elle n’avait pas pour habitude d’éjaculer ».

Ovidie, Osez découvrir le point G. 

L’expression  anglaise « queer » est traduite par Marie-Hélène Bourcier à travers les mots suivants : « ordure, taré, anormal, bizarre, pédé, gouines, malsain »[1]. Elle est fréquemment utilisée comme une insulte visant à stigmatiser les homosexuels ou toute autre catégorie de personnes n’entrant pas clairement dans la division sociale des genres entre masculin et féminin ainsi que dans la normativité hétérosexuelle. L’un des enjeux la queer theory, courant de pensée certes hétérogène, est de prendre la stigmatisation à son compte et de la retourner face à ses agresseurs comme une force émancipatrice capable de déconstruire les identités binaire homme/femme ainsi que les normativités hétérosexuelles. Dans le monde arabe, les débats autour de la place de la sexualité et de ses « déviances » sont d’actualité et ont amené à la production d’un ensemble de travaux sur les homosexualités, les transsexualités et les transgenres[2]. Si l’on représente les pays du Maghreb en insistant sur leur islamité et sur les tabous que le référentiel à l’islam est censé induire au niveau de la sexualité, il n’en demeure pas moins que la gestion politique des pratiques sexuelles et des identités sexuées est plus complexe qu’il n’y paraît. En croisant les problématiques de la queer theory au sujet de la déconstruction de la binarité des genres avec les présupposés de Michel Foucault  sur le bio-pouvoir, il nous semble possible de poser quelques pistes pour penser cette complexité. A partir d’un terrain d’enquête constitué par certains discours de la littérature ou du cinéma marocains, il s’agit de montrer de quelle façon la production artistique permet de rendre compte d’un trouble concernant non seulement le « genre » mais aussi cette « identité arabo-musulmane », exaltée comme « spectre » menaçant « l’Occident démocratique »[3].

 

Queer, biopouvoir et subversion des identités sexuelles

La Queer Theory est issue initialement des  États-Unis. Elle est apparue au début des années 90 à partir d’un certain nombre de circonstances : renforcement des études gays et lesbiennes sur les campus américains, clivages au sein des différents mouvements féministes (notamment entre féministes lesbienne et non lesbienne, entre féministes pro-sexe et féminisme puritain[4]), importation de la French Theory  par des intellectuels américains, fortement marqués par certaines formes de transdisciplinarité[5]. L’un de ses principaux objectifs est de retourner le stigmate homophobe d’un hétérosexisme normatif à prétention universaliste et de s’inscrire dans un positionnement subversif, en considérant que les identités dominantes et majoritaires ne doivent pas empoisonner les manières d’être des minorités sexuelles majeures et consentantes. Il s’agit donc de rompre avec les normes dominantes et de privilégier une hétérogénéité de discours à vocation performative visant à « troubler le genre » et à y inscrire une « dissidence sexuelle ».  

La queer theory invite à subvertir les identités de sexe et de genre qui se sont imposées socialement et à en construire des nouvelles, en adéquation avec les pratiques sociales réelles que vivent les gens : « C’est cette pseudo-naturalité de l’alignement sexe/genre que vient révéler, surexposer la drag queen (mais on pourrait aussi bien dire le drag king). En effet, si la féminité ne doit pas être nécessairement et naturellement la construction culturelle d’un corps féminin (exemple de la drag queen), si la masculinité ne doit pas nécessairement et naturellement être la construction culturelle d’un corps masculin (les female masculinities, les drag king, les butchs, les transgenres…), si la masculinité n’est pas attachée aux hommes, si elle n’est pas le privilège des hommes biologiquement définis, c’est que le sexe ne limite pas le genre et que le genre peut excéder les limites du binarisme sexe féminin/sexe masculin »[6] . Les identités sexuées ou genrées sont loin de se limiter à la traditionnelle opposition entre le masculin et le féminin. Comme l’avaient énoncé Gilles Deleuze et Félix Guattari, la réalité sociale échappe aux binarités et est constituée d’un pluralisme susceptible de briser les normativismes identitaires : « L’amour lui-même est une machine de guerre douée de pouvoir étranges et quasi-terrifiants. La sexualité est une production de mille sexes, qui sont autant de devenirs incontrôlables. La sexualité passe par le devenir-femme de l’homme et le devenir-animal de l’humain : émission de particules »[7]. L’expérimentation nous fait sortir du surcodage de tous ces énoncés tyranniques qui, dès notre enfance, s’ancrent dans notre chair et notre esprit. L’inconscient est une substance à fabriquer et non pas quelque chose que l’on doive enfermer dans des symboles, dans des dogmes. Même si la queer theory est constituée d’une hétérogénéité de courants, elle part de l’idée que les identités sexuées ne sont pas des normes transcendantes auxquelles il faut se soumettre mais des  modes d’existence à conquérir. La série des American Pie peut illustrer ce point. Dans ces films, les pratiques sexuelles des protagonistes sont l’occasion pour chacun d’expérimenter librement une infinité de plaisirs, de fantasmes, de sensations, d’identités. Les personnages peuvent être à deux, à plusieurs, faire l’amour avec des gadgets (le 5e épisode va très loin dans ce domaine, en montrant – certes pudiquement – l’un des protagonistes se faire introduire un gode dans l’anus par une femme et aimer cela), avec des gens plus âgés (Finch et la maman de Stifler) ou devant des films pornos. La scène mythique du premier American Pie, où l’on voit Jim surpris par ses parents alors qu’il a introduit son sexe dans une tarte aux pommes et simule l’acte de pénétration, doit être prise au sérieux. Elle montre que ces adolescents de la série sont à la fois aliénés par des modèles préfabriqués de la sexualité, érigés en impératif kantien qu’il s’agit d’atteindre, et attirés par des expérimentations sexuelles inédites, qui les amènent à transgresser le normativisme hétérosexué qui est pourtant le leur. Là est l’intérêt sociologique mais aussi philosophique de la série des American Pie en tant que matériau empirique utilisé pour penser le rapport complexe à la sexualité que l’on est susceptible de retrouver dans les produits culturels marocains[8]. Les pratiques homosexuelles et la bissexualité sont également très présentes dans la série des American Pie. Dans le 2e épisode, lorsque les garçons sont pris en flagrant délit de voyeurisme par les deux lesbiennes qu’ils épiaient dans leur appartement, un jeu érotique s’introduit entre les protagonistes et permet de bien saisir les représentations symboliques sur les différents types d’homosexualité qui sont construites par la fiction[9]. Les filles veulent bien continuer leurs jeux érotiques entre elles à condition que les garçons s’embrassent également sur la bouche et acceptent de se caresser sous leur regard. Le film nous montre que les pratiques gays ne sont pas construites et présentées socialement de la même manière que les pratiques lesbiennes. Les premières renvoient à une stigmatisation alors que les secondes sont le fruit de fantasmes hétérosexuels. Toutefois, les rapports entre les différentes sexualités, elles-mêmes hybrides, ne sont pas vécus sous l’angle de la conflictualité. Dans le 3e épisode, nous voyons que les rapports entre gays et hétéros peuvent être sources d’enrichissements réciproques dans l’expérimentation des plaisirs. Ce sont les amis homosexuels de Stifler, incarnation de la virilité masculine et hétérosexuelle exhibée à outrance, qui amènent les deux strip-teaseuses pour un show SM à l’occasion d’une soirée. Même si les structures sociales ne sont pas remises en question, il existe toujours une possibilité ou bien un moment où les protagonistes du film échappent à toutes les conventions hétéro-centrées ou puritaines.

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American Pie 2

Ces films dépassent tout normativisme moralisateur à connotation religieuse ou machiste. Ils montrent que les identités de genre ou de sexe peuvent être très facilement déconstruites dans les flux incontrôlés des expériences sexuelles. Dans un même espace, il y a la co-existence de ceux qui vont avoir des relations sexuelles sans aucun sentiment affectif (recherche de la simple jouissance) et ceux qui décident simplement de passer le reste de la nuit l’un dans les bras de l’autre (pur amour platonique, à l’image du footballeur romantique et de la chanteuse du 1er épisode). Il n’y a pas de bonnes manières de faire ou d’être ensemble. Juste des singularités, des différences, des devenirs, des modes d’expérimentations, des identités singulières qui se construisent dans l’acte sexuel ou dans le rapport à l’autre. Il ne s’agit pas tant de rejeter ou de critiquer l’hétérosexualité mais de remettre en cause l’édification hégémonique qui en est faîtes par les pouvoirs politiques ou religieux. Les pratiques hétérosexuelles ne sont qu’un mode de sexualité, lui-même hétérogène, au sein de la pluralité des expériences sexuelles. Là encore, comme le rappellent Deleuze et Guattari, « les multiplicités de la production désirante peuvent faire sauter les formes sociales dominantes et majoritaires »[10]. Les multiplicités sont ces flux qui échappent aux transcendances qui empoisonnent la vie. Leur existence est liée au respect des libertés fondamentales auxquelles chaque individu a droit, que cela ait trait à son corps ou sa conscience.

Selon Judith Butler, le genre (masculin/féminin) est différent du sexe (homme/femme) : « Le genre est culturellement construit indépendamment de l’irréductibilité biologique qui semble attachée au sexe : c’est pourquoi le genre n’est ni la conséquence directe du sexe, ni aussi fixe que ce dernier ne paraît. Une telle distinction, qui admet que le genre est une interprétation plurielle du sexe, contient déjà en elle-même la possibilité de contester l’unité du sujet»[11]. Pour Butler, la catégorie « masculin » peut désigner autant un corps de femme qu’un corps d’homme. Comme l’indique Audrey Baril, « le masculin et le féminin n’existent pas préalablement mais ce sont l’énonciation et la répétition des genres normatifs qui leur permettent d’exister »[12]. C’est en regardant l’histoire que l’on comprend de quelle façon les catégories de sexes et de genre ont été arbitrairement édifiées[13]. Parmi ses sources, Judith Butler cite L’histoire de la sexualité de Michel Foucault, montrant de quelle façon les discours construits par différents types de pouvoir sont parvenus à imposer certaines formes de savoirs et à les faire reconnaître comme vrai. Michel Foucault décrit la façon dont le bio-pouvoir, qui est cette façon de gérer et de réguler la vie des populations en rendant les corps dociles et productifs, s’applique sur la sexualité. Depuis le XVIIIe siècle, le sexe n’est plus quelque chose qu’il faut censurer. Au contraire, il s’agit de le rendre publique afin de mieux de le contrôler. La sexualité et les rapports entre les sexes font l’objet de savoirs visant à inscrire les populations dans des optiques qui sont celles de la reproductibilité et de l’hygiène publique[14]. Comme l’ont montré un certain nombre de travaux ayant repris les thèses de Michel Foucault pour penser les pays du Maghreb, les corps sont des objets de la gouvernabilité et la sexualité s’inscrit dans une « économie politique du pouvoir »[15].

Pour Michel Foucault, le contrôle sur les sexualités n’existe pas sans une résistance portant sur la « désexualisation » que les corps peuvent avoir entre eux. Certains savoirs, produits par les pouvoirs politiques, religieux, médicaux, ont historiquement posé la norme hétérosexuelle comme dominante, « normale »  et ont renvoyé l’homosexualité, le transsexualisme, l’hermaphrodisme à « l’anormalité »[16]. Pour Foucault, les savoirs sur la sexualité sont le fruit d’un combat où une vérité dominante s’est imposée face à d’autres discours minoritaires. L’optique militante de Foucault est de s’affranchir des savoirs sur la sexualité et les identités sexuelles qui nous sont imposés arbitrairement. Ces savoirs sont des marqueurs identitaires produits par le pouvoir et greffé arbitrairement sur nos corps. Il s’agit de « sortir » de ces enfermements normatifs du pouvoir et de produire ses propres modes de subjectivité, de chercher ses propres formes de plaisir. Comme le rappelle James Miller en analysant les idées de Foucault, l’identité du sujet, notamment l’identité sexuelle, « n’est pas quelque chose qui existerait et qu’il s’agit de trouver, de découvrir mais quelque chose qu’il faut créer »[17]. De nombreuses personnes s’inscrivent dans les normes majoritaires qui façonnent l’identité sexuelle. Toutefois, celle-ci reste socialement et historiquement construite et s’impose aux individus sous la forme d’une naturalisation que certains ne peuvent prendre pour argent comptant. Ces identités peuvent très bien ne pas convenir à des personnes qui décident de s’orienter soit vers une construction propre de leur subjectivité, par-delà des normes et les valeurs majoritaires au sein d’une société, soit vers une désidentification de ce que les différents univers sociaux imposent aux individus.

 

« Dis maman, pourquoi je suis pas un garçon ?»

Judith Butler reprend cette désubjectivation chère à Foucault et l’applique au genre en affirmant que les identités genrées peuvent être multiples, construites et rendu réelles par la performativité des acteurs. Les constructions identitaires peuvent être dépassées dans un processus qui éradique la notion même « d’identité » en tant que telle[18]. Si nous partons de l’idée que l’universalisme néo-colonialisme à visée impérialiste n’est pas la même chose que l’universalité à portée humaniste, respectant la pluralité mais partant de l’idée que certaines valeurs tels que le respect, la dignité ou la liberté sont intrinsèques au genre humain,  il est possible de penser le lien entre certaines questions posées par la queer theory sur la subjectivation des identités sexuées et les dénonciations publiques d’injustice, notamment au niveau des libertés sexuelles, qui existent au sein du champ de la littérature marocaine de langue française[19]. Un écrivain tel que Abdellah Taïa, connu pour avoir dévoilé publiquement son homosexualité, se réclame d’une écriture « transgenre » en n’étant pas ignorant des propos sur la queer theory[20].  Loin de limiter les questions sur les subjectivations sexuelles à cette fiction que l’on nomme « l’Occident », le fait de déconstruire la binarité des genres masculin et féminin concerne plusieurs aires géographiques et culturelles. Ce savoir sur les identités masculine et féminine, historiquement construites par les pouvoirs et imposées comme vrai ou comme norme aux populations, peut être déconstruit par d’autres discours existant au sein de l’espace public, susceptibles de remettre en cause cette opposition. Au Maroc, les paroles orales et écrites des écrivains de la littérature marocaine de langue française constitue un terrain privilégié pour analyser ce processus de déconstruction.

A.Taïa

Abdellah Taïa

L’exemple le plus significatif est incarné par le roman de Abdelkébir Khatibi Le livre du sang (1979), au sein duquel nous voyons, la figure de « l’androgyne » qui s’élève « avec ses ailes azurés » du haut du « minaret » et qui symbolise le moment où « le Féminin se noie dans le Masculin » :

« J’appelle Androgyne ce contour extatique de l’être, apparence dans l’apparence de l’homme et de la femme en un effacement infini. Oui, l’Androgyne est éternellement le fiancé de toutes les femmes et la fiancée de tous les hommes. Notre ange n’est-il pas semblable à une jeune adolescente masculine […] En courbant les hanches, il avance un ventre et un bas ventre de femme où se cache cependant un sexe viril, petit et tout arrondi, paré de visions angéliques. »[21]

Cette figure est également présente au sein de certains romans de Mohamed Leftah. Dans Au bonheur des Limbes (2006), racontant la liberté sexuelle de certains êtres au sein de la « fosse » du bar casablancais le « Don Quichotte », Mohamed Leftah évoque « l’androgynie spirituelle » du soufi Hassan Al Basri : « Je restai une nuit et un jour auprès de Rabi’a, discourant avec elle avec tant d’ardeur sur la vie spirituelle et les mystères de la vérité que nous ne savions plus, moi, si j’étais un homme, et elle, si c’était une femme »[22]. Dans cette fosse du bar, qui est un « havre de liberté» contre« les nouveaux barbares qui veulent interdire le vin, la musique, la caresse des vagues sur les corps dénudés des femmes, le jeu, l’érotisme, le rêve »[23], l’un des personnages s’appelle Jeanne le travesti. Mohamed Leftah parle de son visage « sur lequel est plaqué un masque représentant un aigle bicéphale, ambisexué et toute ailes déployées »[24]. Jeanne incarne une remise en cause radicale de la séparation entre masculin et féminin, tant au niveau du sexe que du genre. Si la biologisation des sexes tend à naturaliser l’assignation sexuelle séparant les femmes et les hommes, la perception sociologique des corps hybrides, transsexuées et transgenrées, montre l’artificialité de la frontière normative séparant ce que l’on nomme socialement « sexe masculin » et « sexe féminin ». La bicatégorisation homme/femme est symbiotiquement liée à une infinité de sexe et de genre, construits par les marges de liberté dont disposent certains individus au sein de l’océan de contraintes qui constitue leur environnement. Le personnage de Jeanne incarne cette volonté subversive à travers laquelle l’individu remet en cause les assignations de sexe et de genre que lui imposent les structures sociales. Jeanne se réclame des rites d’une tribu indienne, qui l’a initiée à des rites festifs au sein desquelles tout le monde se travestit afin de devenir « un étranger pour les autres et à lui-même ». Il y a chez Leftah des formes de « romantisme révolutionnaire »[25]. Celui-ci se reporte bien souvent aux savoirs du passé, empruntant tant aux écrits soufis qu’à ceux de la littérature européenne du XIXe siècle, pour subvertir les normes moralisatrices et arbitraires du présent. Pour Leftah, Jeanne le travesti est cette figure antique rappelant l’être hybride de l’époque des origines. Dans Le banquet, Platon évoquait en effet cet être suprême capable de défier les dieux et au sein duquel l’homme n’était pas séparé de la femme. Jeanne incarne la « virilité mutilée », thème cher à Mohamed Leftah. Cette virilité masculine exhibée socialement est le corollaire des principales dominations existant au sein de notre société. Il s’agit de pouvoir exister en dehors de ces figures majoritaires, qui sont aussi des formes d’oppressions normatives de la pluralité des modes de vie et de pensée. La liberté d’être soi et de vivre en harmonie avec ce que l’on a envie d’être, par-delà le normativisme religieux ou étatique au sujet de l’identité est sans doute le bien le plus précieux qui peut nous être accordé ici bas. Il s’agit dès lors d’avoir la volonté et le courage de conquérir cette liberté, quitte à rester dans les marges de la société ou d’être un individu atypique. C’est cela qu’incarne le personnage de Jeanne, à la fois transsexuel(le) et travesti(e) :

« Jeanne n’a pas signé de livres, mais son propre corps. Elle y a cisaillé avec l’acide et le verre, la béance centrale de la féminité, en donnant l’une des formes les plus pures de la géométrie, le triangle équilatéral sphérique, à la toison autrefois frisée et informe de son pubis. Elle a travaillé sur le rêche, l’anguleux, le pointu pour aboutir pour aboutir à cet « amas d’ombre et d’abandon » chanté par le poète. Mais quant elle y parvint, une volonté contraire, soudaine, s’érigea farouchement en elle et fit bander tout son corps. Son destin, elle désormais femme accomplie, de son propre vouloir encore une fois, elle allait faire un simulacre. Ayant vécu l’enfer et la transfiguration du transsexuel, elle allait parcourir un autre enfer, moins brulant, moins tragique mais plus dégradé : celui du travesti. Femme réalisée, elle allait jouer le simulacre de la femme. Elle vivrait sur le fil du rasoir de la frontière des sexes, serait simulacre démultiplié. Dans les night club des villes repues et insolentes, elle ferait revivre les fêtes qui avaient illuminé sa vie d’une sagesse noire »[26]    

Le personnage de Jeanne subvertit les identités de genre et de sexe. D’une part, il s’inscrit dans le transsexualisme et incarne le souhait d’une personne de changer de sexe en recourant à une opération chirurgicale. Certes, Mohamed Leftah parle de mutilation alors que le changement de sexe peut aussi être une forme de libération pour des personnes qui parviennent ainsi à rendre adéquat l’aspect biologique de leur corps avec leurs dispositions mentales[27]. Toutefois, il semble rendre un hommage implicite à ces hommes qui ont décidé non seulement de changer de sexe mais de retirer le membre masculin et le remplacer par cette forme pure qu’est « la béance centrale de la féminité ». D’autre part, le personnage de Jeanne se réclame également du transgenre puisqu’il va également se travestir et jouer « le simulacre de la femme ». Il ne s’agit pas uniquement de changer biologiquement de sexe mais également de montrer l’ambiguïté des frontières entre le masculin et le féminin. Face aux identités normatives que nous impose la société, il existe des gens qui passent au « travers » et construisent leurs transidentités. Face aux arbitraires culturels de toutes sortes, il reste la volonté des êtres humains, qui peuvent décider de créer eux-mêmes leur forme de subjectivation malgré les contraintes sociales avec lesquelles elles doivent composer. Jeanne est sur le « fil du rasoir de la frontière des sexes » et n’existe qu’en tant que « simulacre ». Comme l’avait souligné Gilles Deleuze,  la répétition ne consiste pas à reproduire le semblable par rapport à un original ou bien à rechercher à travers elle des filiations entre un modèle et ses imitations[28]. La répétition produit des différences et non pas des ressemblances. Jeanne est une incarnation de la multiplicité des sexes et des genres. Comme tout être humain, elle fait partie la pluralité des manières d’être existant au sein de la société composite du Maroc.

KIFKIF

Outre celle du transsexuel, la figure de l’androgyne est également évoquée par Mohamed Leftah dans Le dernier combat du Capitaine Ni’Mat, roman qui a gagné le prix Mamounia 2011 à Marrakech mais qui est difficilement trouvable au Maroc[29]. Lors des premières pages du livre, le capitaine Ni’Mat, militaire à la retraite, prend conscience de son homosexualité et décide de la vivre pleinement, en assumant la prise de distance avec une société incapable de tenir compte des sensibilités et des attirances individuelles. C’est un rêve qui est le déclencheur de cette orientation sexuelle. Le capitaine Ni’Mat se voit dans la piscine publique qu’il fréquente pour ses exercices sportifs. Le groupe de minimes qu’il a vu s’entraîner la veille est présent dans son songe mais il a changé d’aspect :

« Un maillot moulant étroitement leurs fesses, à l’instar du bonnet leur tête à laquelle il donnait une forme ovoïde, maillot et bonnet couleur bleu ciel comme celle des lunettes à monture d’écaille et aux verres opaques qui masquaient leurs regards, ils étaient comme des créatures célestes chues d’on ne sait quel azur, êtres de grâce ou anges exterminateurs ? Ils se ressemblaient tous, comme s’ils étaient les clones d’un même adolescent d’une beauté androgyne particulièrement froide, glaçante » [30]    

Ces derniers se mettent à le désigner du doigt avec des gestes accusateurs et provoquent chez le capitaine Ni’Mat une certaine angoisse, qui s’estompe avec la vision du corps nu de son jeune servant appelé Islam, qui sort du bassin : « Cette simple mais combattante posture fit se volatiliser, comme par enchantement, la légion de clones androgynes et menaçants »[31]. La figure de l’androgyne est là pour rappeler au capitaine Ni’Mat, dont la vie ne va pas tarder à s’achever, qu’il est illusoire de chercher bonne conscience en respectant les codes hétéro-sexistes de la société, si l’on ne se reconnait pas en leur sein. Le bonheur ne se trouve peut-être pas dans les valeurs dominantes de la société, qui érige la famille hétérosexuelle en tant que structure normative, mais au sein de ces chemins de traverse, proches de ces expérimentations avec l’inconnu dont nous parle Marguerite Duras dans Détruire dit-elle. Le doigt accusateur et sévère des clones androgynes fait prendre conscience au capitaine Ni’Mat de la beauté du corps de son jeune domestique et des plaisirs que l’on peut avoir avec un individu du même sexe une fois que l’on est arrivé à se libérer des asservissements moraux :

« Involontairement, comme si la nudité radieuse qui allait bientôt s’emmêler à nouveau à celle de l’eau, était si puissamment suggestive qu’elle lui dictait ce geste, il fit glisser sur ses jambes le maillot short informe qu’il portait. Quand il plongea, nu, à la suite d’un corps nu qui l’attirait comme un aimant, le monde qu’il découvrit le remplit d’étonnement et de stupeur »[32].

A l’image de Rimbaud, souvent cité par Leftah, qui disait dans sa Lettre à un voyant que la « femme connaîtrait de l’inconnu », le capitaine Ni’Mat expérimente les corps, les figures, les sensations, les mélanges et les jouissances. Par-delà les normativités politiques et sociales, l’individu peut trouver ses propres formes d’existence en dehors de la communauté. C’est en ce sens que nous pensons que la transsexualité et le transgenre ne peuvent être dissociée de ce que nous appelons « la transe-identité ». L’identité ne peut se résumer aux injonctions normatives des pouvoirs politiques, religieux et sociaux. L’art constitue « un espace des possibles » – pour reprendre l’expression de Nathalie Heinich[33] – qui crée autant qu’il décrit ces formes de subjectivation des individus essayant de s’affranchir des normativités identitaires. Une approche comparatiste entre les productions artistiques européenne et marocaine peut nous aider à mettre en perspective certaines analogies dans la manière de représenter le transgenre du côté des deux rives[34]. La représentation des identités et des pratiques gays ou lesbiennes dans le cinéma est un enjeu politique[35]. Il en est de même du travestissement, de la transidentité ou du transgenre. Avec Glen or Glenda (1953), le fait d’être « entre » ou « au travers » des genres est montré au cinéma, avec un parti pris assumé du réalisateur Ed Wood. Au Maroc, au cours des années 60, l’artiste Bouchaib El Bidaoui chantait les ayta  (chansons populaires) en étant souvent habillé en femme[36]. Ces spectacles passaient à la télévision et ne suscitaient pas de remarque ou d’équivoque. Il n’était pas question d’homosexualité ou de stigmatisation péjorative du travestissement[37]. Connu aussi pour ses blagues, Bouchaib el Bidaoui était apprécié par le public, qui était présent en nombre le jour de ses funérailles. A l’époque où les femmes ne pouvaient pas faire partir des troupes artistiques, c’étaient les hommes qui se déguisaient pour interpréter leur personnage. Les photos de El Bidaoui montrent la perfection avec laquelle ce dernier a pris les traits de la féminité : perruque, maquillage, djellaba… Ce dernier n’a jamais été stigmatisé comme étant homosexuel sous prétexte qu’il était habillé en femme. Il est d’ailleurs intéressant de voir aujourd’hui, à la place Jama el Fnaa de Marrakach, la présence de certains hommes déguisés en femme au sein des halka (contes publics).

 Bouchaïb

 

Bouchaïb El Bidaoui déguisé en femme

http://www.selwane.com/expo/displayimage.php?album=39&pos=53

 Ces derniers rendent compte de l’ambiguïté d’une tradition réinventée, où les corps masculins revêtant les apparats féminins pour combler l’absence de femmes au sein des troupes se retrouvent en relation analogique avec les symboliques transgenres, au sein desquelles la construction de sa subjectivité sexualisée est liée au dépassement de la binarité des sexes. Même si nous ne disons pas que les travestis de la place Jama el Fna sont forcément homosexuels ou partisans de la queer theory, l’importation de cette tradition de l’homme travesti dans un monde où l’on peut – avec certaines précautions conceptuelles – parler de « global queering » peut nous amener à réfléchir sur l’ambivalence des représentations de genre au Maroc et du caractère métissé de nos identités sexuées[38].

C’est d’ailleurs en ce sens qu’il serait réducteur de lier le transgenre à l’homosexualité. Le travestissement peut être lié à des jeux érotiques entre homme et femme, comme le montrent d’ailleurs les couples dans 9 semaines et demie d’Adrian Lynn ou bien dans La clé de Tinto Brass. Il y a une érotisation de l’homme déguisé en femme, surtout lorsqu’il est sous l’emprise de sa partenaire féminine. A l’inverse, la femme déguisée en homme peut renverser les représentations dominantes de la masculinité, que ce soit au niveau des positions sociales mais aussi au sein des pratiques sexuelles. Le travestissement est d’ailleurs loin de se limiter à une symbolique érotique et permet d’échapper à son identité de sexe ou de genre dans une situation critique. Dans 37°2 Le matin (1986) de Jean Jacques Beineix, le personnage joué par Jean Hugues Anglade se travestit en une énigmatique femme vêtue d’un tailleur rouge et braque une entreprise de convoyeurs de fond. Une scène analogue est présente dans le film de Faouzi Bensaïdi What a wonderfull world ( 2004). Après avoir exécuté un contrat dans les Twin Center de Casa, le tueur à gage se déguise en femme pour échapper à la police. Il met une robe et porte une perruque avec de longs cheveux blonds. Lorsqu’il se retrouve ainsi face à la femme flic en uniforme dont il est amoureux, le contraste est saisissant. La féminité de la masculinité et la masculinité de la féminité sont l’un en face de l’autre et regardent l’étrange reflet que leur renvoie le miroir de l’ascenseur. Les films de Pedro Almodovar, notamment Tout sur ma mère (1999), ou bien Le baiser de la femme araignée (1985) de Hector Babenco ont évoqué les pratiques quotidiennes de la figure du travesti, présentée sous l’angle de la normalité. C’est également le parti pris de Nabyl Ayouch dans Une minute de soleil en moins (2002). Derrière une histoire policière, le réalisateur montre des personnages aux identités sexuées ambivalentes, que ce soit celle de l’inspecteur Kamal, du travesti qui est son meilleur ami ou bien de Tamia, la femme dont il tombe amoureux. Tout le film semble être résumé par la phrase que le fils de Tamia lance à Kamel : « t’as pas l’air d’un vrai policier ». Les identités ne sont pas tant le révélateur de ce que sont les personnages mais plutôt des masques qui cachent les réalités complexes de leur être. Le déguisement ou l’inversion des rôles genrés est dès lors ce qui nous révèle vraiment, y compris au niveau des pratiques sexuelles.  Sans être « pornographiques », certaines scènes montrent la nudité des personnages et ont amené à l’interdiction du film sur grand écran au Maroc. Mais la véritable transgression  n’est pas tant dans le fait de montrer des personnages nus au sein d’un film marocain mais se trouve plutôt dans l’inversion des genres pleinement assumée par les personnages principaux. Lors des ébats amoureux filmés par Nabyl Ayouch, certains passages laissent deviner que le personnage féminin joue avec les fesses mais aussi l’anus de son partenaire masculin, qui trouve là son plus grand plaisir.A plusieurs reprises, elle met le corps de ce dernier dans les positions occupées traditionnellement par le genre féminin et se comporte comme si elle était un homme. Ces situations où les femmes prennent l’initiative d’inverser les symboliques de genre au sein des pratiques sexuelles sont traitées bien trop rarement par les cinéastes, quelles que soient leurs origines. Récemment, nous en avons eu un aperçu dans le film de Michael Cohen Ca commence par la fin (2009) où l’un des passages montre le personnage masculin se faire masturber l’anus par son amante. Certes, le film reste pudique, voire implicite, sur cette pratique puisque cette scène est tournée à l’extérieur et que l’acteur masculin a gardé son pantalon mais il n’en demeure pas moins que certains « détails » – au sens où l’entend Goffman – de la production cinématographique sont révélateurs de cette ambivalence des identités de sexe et de genre.   

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What a wonderfull world de F. Bensaïdi

Même si elle ne traite pas directement du travestissement, c’est sans doute le roman de Bahaa Trabelsi Une vie à trois qui a le mieux saisi l’ambiguïté de cette transe-identité au Maroc, qu’elle ait trait à la sexualité ou la culturalité des individus. Adam entretient clandestinement une liaison avec Jamal, un jeune homme précaire qu’il contribue à faire vivre. Dès les premières pages du roman, ce dernier rend compte de l’ambivalence affective dont il a été l’objet : « Ma mère m’a aimé au féminin. Au masculin, elle me méprisait »[39]. Il montre également l’ambiguïté des sexualités au sein de la société marocaine. La narration de Jamal au sujet de son lieu de prostitution à Casa est explicite : « Driss est le flic le plus redouté du milieu tapin. C’est un violeur. Je l’affirme parce que j’ai déjà eu affaire à lui. Ce jour là je n’avais pas son bakchich (pot de vin). Il s’est fait payé en nature. Il m’a d’abord fouillé puis m’a passé des menottes en me maintenant les bras levés et appuyés contre le mur. D’un coup de pied, il m’a fait perdre l’équilibre. J’étais à genou, le visage à la hauteur de son sexe. « Suce petite pute », a-t-il soufflé »[40]. Le prostitué mal est appelé « petite pute », « tapette » par un flic qui a recours à des pratiques homosexuelles sans penser qu’il en est un. C’est celui qui pratique la fellation avec sa bouche qui est qualifiée de « tapette » par celui qui en tire le plaisir à travers son sexe. C’est grâce à Adam que Jamal va quitter peu à peu les lieux de prostitution. Celui-ci possède un appartement confortable et gagne très bien sa vie. Incarnation de la transe-identité, il a fait ses études en France, où « Le Paris gay » l’a comblé et lui a permis de se découvrir émotionnellement et sexuellement « avec la sensation d’appartenir à une communauté dotée d’une culture, d’un système de valeurs qui lui est propre, au-delà des frontières et des problèmes »[41]. Adam est amoureux de Christophe mais il est rentré au Maroc sans lui. C’est en revenant au pays qu’il retrouve le caractère oppressif d’une identité hétérosexuelle et islamique, majoritairement adopté par les groupes sociaux qui sont les siens mais dans laquelle il ne se reconnaît pas. Si le transsexualisme et le transgenre, notamment le travestissement, sont les points visibles d’une rupture avec l’hétéro-normativisme, la transe-identité d’Adam évoquée par Bahaa Trabelsi s’inscrit dans le même registre. Déconstruire l’identité sexuelle imposée par les normativités d’une culture nationale est bien souvent lié à la déconstruction de l’identité culturelle à laquelle on est censé appartenir. Jamal n’est pas allé à Paris mais son homosexualité s’est construite au Maroc, avec Abid qui l’a pris sous sa protection lorsqu’il était enfant des rues et avec qui il s’est trouvé sécurisé. Là encore, la transe-identité est présente car le personnage se retrouve en dehors des normes identitaires qui sont majoritaires au Maroc. Son parcours biographique l’a amené à construire une autre subjectivation, qui va fusionner très vite avec celle d’Adam. A travers la relation passionnelle qui va s’installer entre ces deux hommes, le roman de Bahaa Trabelsi montre toutes les stratégies disciplinaires visant à inscrire les corps dans des identités majoritaires, monistes, structurées par l’hétérocentrisme et la perpétuation de la famille. Lors de la nuit de noce entre Adam et Rim, la fille qu’il a été contraint d’épouser pour faire plaisir à ses parents, l’imposition de la famille hétérosexuelle censée convenir à tout le monde montre sa fragilité intrinsèque. Adam est incapable de désirer sexuellement la compagne qu’on lui a imposée et retrouve Jamal dès que possible pour « lui faire l’amour furieusement »[42].

Qu’elles s’affichent publiquement sous le mode du transsexualisme et du transgenre ou qu’elles se vivent de manière existentielle à partir d’une hybridité culturelle assumée, notamment au niveau des pratiques sexuelles, les transidentités sont une réalité sociale dont on n’a pas encore suffisamment objectivé la nature. Elles se distinguent d’ailleurs de l’homosexualité. On peut être transsexuel(le) et ne pas se sentir gay ou lesbienne ; tout comme on peut être travesti et ne pas souhaiter changer chirurgicalement de sexe. Les identités sexuelles déconstruisent la normativité des binarités masculin/féminin ou hétérosexuel/homosexuel de plusieurs façons. Au Maroc, la littérature et la production cinématographique incarnent un matériau empirique important à partir duquel il est possible de comprendre le caractère ambivalent des pratiques sexuelles et des identités sexuées. C’est en ce sens que sans verser dans les apories d’un « global queering » décontextualisé, nous ne pensons pas pour autant que le queer ne puisse exister au sein des pays arabo-musulmans[43].

Si nous avons choisi de faire des rapprochements entre les productions artistiques européenne et marocaine, ce n’est pas tant pour parler d’imitation ou pour souligner les différences culturelles mais plutôt pour attirer l’attention cette « illusion identitaire » nous empêchant de voir la proximité des individus européens, maghrébins ou autres qui essaient d’échapper aux normativismes sexuées et tentent de construire eux-mêmes leur propre subjectivation, quelles que soient leur nationalité et leur culture [44].   

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V. Russo, The celluloid closet : homosexuality in the movies, New York, Harper and Row, 1987.

E. Saïd, L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 1997, [1978]

B. Trabelsi, Une vie à trois, Casablanca, Eddif, 2000

J. Zaganiaris,  « La question Queer au Maroc : identités sexuées et transgenre au sein de la littérature marocaine de langue française », Confluences Méditerranée, n°80, février-mars 2012


Jean Zaganiaris est enseignant-chercheur au CERAM/ EGE  (Ecole d’Economie et de Gouvernance de Rabat). Il est également chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne. Après avoir effectué un ensemble de recherche en théorie politique et en sociologie politique, il travaille actuellement sur les rapports sociaux de genre au Maroc. Il s’intéresse aux enjeux politiques de la sexualité au sein de la littérature marocaine de langue française. Parmi les publications : « La question Queer au Maroc : identités sexuées et transgenre au sein de la littérature marocaine de langue française »,  Confluences Méditerranée, n°80, février-mars 2012 ; Penser l’obscurantisme aujourd’hui, par-delà ombres et lumières, Casablanca, Afrique Orient, 2009 ; « De la démocratie au Maroc, Usages sociaux des normes juridiques et conceptualisation politique des principes de justice », L’année du Maghreb, novembre 2007.


[1] M. H. Bourcier, Queer zones, politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs, Paris, Balland, 2001, p. 177.

[2] K. El Rouayheb, Before homosexuality in the Arab islamic world, 1500-1800, Chicago, Chicago University Press, 2005 ; A. Najmabadi, Women with moustache and men without beard, gender and sexual anxieties of iranian modernity, Berkley, University of California Press, 2005 ; pour un débat sur le référentiel « queer » au Maroc, voir notre texte « La question Queer au Maroc : identités sexuées et transgenre au sein de la littérature marocaine de langue française », Confluences Méditerranée, n°80, février-mars 2012

[3] Pour reprendre le regard critique de N. Picaudou, L’islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane, Paris, Gallimard, 2010 (voir l’introduction) ; sur les représentations islamophobes dans les média, voir T. Deltombe, L’islam imaginaire, la construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, Paris, La Découverte, 2005

[4] D. Courbet, Les féministes pro-sexe et la pornographie, IEP Aix-Marseille, Mémoire Master, sous la direction de Guy Drouot, 2011 (à paraître à La Musardine en 2012).

[5] Sur cette question, B. Preciado, “Multitudes queer. Note pour une politique des anormaux », Multitudes, 12, 2003 ; F. Cusset, French theory, Paris, PUF, 2002, notamment pp. 210-216.

[6] M. H. Bourcier, Sexopolitiques, queer zone 2, Paris, La fabrique, 2005, p. 122.

[7]  G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 341.

[8] Les American Pie ont leur aller ego dans le monde arabe avec Film Thakafi (2003) de Mohamed Amin, racontant l’histoire de trois étudiants égyptiens qui ont clandestinement acquis une cassette porno et n’arrivent pas à trouver un endroit discret pour la visionner. La question de la sexualité et les fantasmes des adolescents sont très présents mais ne vont pas aussi loin que les American Pie.

[9] Comme le rappelle N. Heinich, lorsque le chercheur fait une sociologie de l’art, l’enjeu n’est pas tant de savoir si les scènes de fiction sont liées avec la réalité sociale mais plutôt de comprendre de quelle façon elles engendrent des représentations imaginaires et des systèmes symboliques ; Les ambivalences de l’émancipation féminine, Paris, Albin Michel, 2003, pp. 38-40.

[10] G. Deleuze, F. Guattari, L’Anti-Oedipe, Paris, Minuit, 1972, p. 138.

[11]J. Butler,  Le trouble dans le genre, [1990], Paris, La Découverte, 2005, p. 67

[12] A. Baril, « De la construction du genre à la construction du sexe : les thèses féministes postmodernes dans l’œuvre de J. Butler », Recherches féministes, 20, 2007, p. 65.

[13] B. Ambroise, « Judith Butler et la fabrique discursive du sexe », Raisons politiques, 12, 2003.

[14] M. Foucault, Histoire de la sexualité, volume 1 La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976,  pp. 177-191.

[15] Sur la question du pouvoir dans les sociétés maghrébines pensé à partir des travaux de Michel Foucault, voir l’apport de B. Hibou, La force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006 et Anatomie politique de la domination, Paris, La découverte, 2011 ; sur l’utilisation des travaux de Michel Foucault pour penser les constructions identitaires au sein des sociétés arabes, voir E. Saïd, L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 1997, [1978] ainsi que les développements critiques de R. Lewis, Rethinking Orientalism, women, travel and Ottoman Harem, New York, IB Tauris, 2004.

[16] M. Foucault, Les anormaux, cours au collègue de France – 1975, Paris, Gallimard, 1999. 

[17] J. Miller, La passion Foucault, Paris, Plon, 1995.

[18]Sur les précautions méthodologiques visant à mettre en garde contre un usage trop libertaire des thèses de Judith Butler, voir D. Glover et C. Kaplan, Genders, Londres, Routledge, 2000, pp. 113-114.

[19] Sur cette question, A. Najmabadi, Women with moustache and men without beard, op cit., notamment pp. 3-6.

[20] Sur A. Taïa et son rapport au queer, voir J. Zaganiaris, « La question Queer au Maroc », art. cit..

[21] A. Khatibi, Le livre du sang, Paris, Grasset, 1979, p. 52.

[22] M. Leftah, Au bonheur des limbes, Paris, La différence, 2006, p . 33 ; sur l’œuvre de Leftah, voir A. Baida (dir.), Leftah, ou le bonheur des mots, Casablanca, Editions Tarik, 2009.

[23] M. Leftah, Au bonheur des limbes, op. cit., p.22

[24] Ibid., pp. 68-69

[25] Sur la complexité des composantes du romantisme, définit à partir d’une vision idéale typique et présentée comme un mouvement multiforme ayant produit « une critique de la modernité, c’est-à-dire de la civilisation capitaliste moderne, au nom de valeurs et d’idéaux du passé (pré-capitaliste, pré-moderne) », voir M. Löwy, R. Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, Paris, Payot, 1992, pp. 10-31.

[26] M. Leftah, Au bonheur des limbes, op. cit., pp. 69-70

[27] P. Califia, Le mouvement transgenre. Changer de sexe, Paris, EPEL, 2003.

   [28] G. Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1969, pp. 1-41.

[29] Sur cette question, voir la revue de presse des éditions La différence, http://www.ladifference.fr/Le-dernier-combat-du-capt-ain-Ni,2231.html?id_document=197 Le roman de Mohamed Leftah a pu finalement entrer au Maroc grâce au « combat » de certains acteurs du champ culturel, pour qui l’introduction et la légitimation de cet auteur au sein de la littérature marocaine est d’ailleurs un enjeu politique en soi. La rencontre autour du roman Le dernier combat du capitaine Ni’Mat a eu lieu le 28 janvier 2012 à la librairie La virgule de Tanger, qui a fait commander et a pu ainsi diffuser les exemplaires de l’ouvrage au Maroc ; voir  http://www.lesoir-echos.com/mohamed-leftah%E2%80%89-le-combat-continue/culture/37837/

[30]M. Leftah, Le dernier combat du capitaine Ni’Mat, Paris, La Différence, 2011, p. 20

[31] Ibid., p. 21.

[32] Ibid., p. 22

[33] N. Heinich, Etats de femme. L’identité féminine dans la culture occidentale, Paris, Gallimard, 1996.

[34] L’expression « du côté des deux rives » est empruntée à Z. Daoud, Marocains des deux rives, Paris, Editions de l’atelier, 1997.

[35] Sur cette question, A. Brassart, L’homosexualité dans le cinéma français, Paris, Nouveau Monde éditions, 2007 ; V. Russo, The celluloid closet : homosexuality in the movies, New York, Harper and Row, 1987.  

[37] L’artiste Bouchaib El Bidaoui n’a jamais été considéré comme un homosexuel mais n’avait pas non fait état d’une quelconque homosexualité. Il incarnait ces hommes de troupes qui se déguisaient en femme car ces dernières n’avaient pas accès à la scène.

[38] Peter A. Jackson, « Global queering and global queer theory : Thai transgenders and homosexualities in world history », Autrepart, 49, 2009

[39] B. Trabelsi, Une vie à trois, Casablanca, Eddif, 2000, p. 11.

[40] Ibid., p. 13.

[41] Ibid., p. 21.

[42] Ibid., pp. 97-101.

[43] Selon J. A. Massad, les theses de J. Butler sont inapplicables dans le monde arabe, voir Desiring arabs, Chicago, Chicago University press, 2007, pp. 41-49. 

[44] Sur les apories des approches culturalistes, voir J. F. Bayart, L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996.  

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