Caroline Dayer
Université de Genève
Transcolarité
Les trans* au vestiaire
La scolarité est rarement un long fleuve tranquille, d’autant moins lorsque l’eau ne coule pas dans le lit creusé par les attentes socialement construites ou lorsque le ruisseau prend des chemins de traverse sans balise. Des injonctions d’endiguement aux sanctions répétées, le cursus scolaire peut se transformer en parcours de combat.
Les expériences de rejet sont partagées par différent-e-s élèves, à la différence que celles liées au genre ne sont pas de prime abord partageables avec leurs proches : une jeune fille traitée de camionneuse à l’école osera-t-elle en parler à ses parents en rentrant à la maison ? Un jeune garçon qui se fait sans arrêt bousculer – dans la cour comme dans les couloirs – parce qu’il est jugé trop efféminé trouvera-t-il du soutien auprès de ses camarades et de ses professeur-e-s ? Il sera surtout traité de pédé et les mots parleront de sa sexualité alors qu’ils ne savent rien d’elle. Ces derniers signalent par contre la disjonction perçue, dans un contexte donné, entre un sexe assigné à la naissance (basé uniquement sur les organes génitaux externes) et une identité de genre ainsi que des expressions de genre, dites atypiques alors qu’elles ne sont qu’une variation parmi d’autres.
Les discriminations trans* ne sont-elles pas le parent pauvre des discriminations LGBTIQ qui le sont elles-mêmes quant à cette thématique générale ? Et par rapport au contexte scolaire, ces questions ne sont-elles pas l’enfant pauvre de l’école alors qu’il peut s’agir de conflits quotidiens et saillants – s’appareillant dans des espaces bigenrés – comme de ne pas savoir dans quelles toilettes se rendre ou de ne pas savoir « où se mettre » dans un vestiaire. Ce que peut vivre un-e élève trans* dans un vestiaire n’est qu’emblématique de la mise au placard des vécus trans* et des violentes facettes du cissexisme.
Cissexisme en contexte scolaire
L’invisibilisation des questions trans*, de surcroît à l’école, est paradoxale dans le sens où les expressions de genre transgressives sont visibles. Insupportables qu’elles seraient, elles deviendraient objet non seulement de violences verbales et physiques mais également de déni. Les expériences de rejet liées à l’identité de genre et/ou à l’orientation sexuelle sont avant tout de l’ordre de la solitude. L’absence de mots et d’images obstrue la formulation à soi-même puis à autrui. L’informulable et l’indicible amplifient un sentiment de décalage, empêchant de se faire une place à l’école mais aussi dans la famille, de se sentir membre de cette société et de pouvoir se projeter dans l’avenir.
Les enfants trans* savent ce qu’ils/elles ne sont pas et se trouvent en porte à faux avec l’école qui apprend, aussi, à se comporter en garçon ou en fille. De cette socialisation qui fait défaut et s’effectue dans les failles, le seuil de la classe se mue en placard, dont les contours naturalisent les frontières et sanctionnent les personnes qui dérogent aux normes de genre en vigueur.
Cette structure fait système et le cissexisme qui ne dit son nom imprègne les parcours des jeunes trans* qui saisissent rapidement ce qu’il en coûte de ne pas lui porter allégeance. Apprendre à faire semblant, apprendre à mentir, apprendre à se cacher, apprendre à s’aliéner, pour se protéger. Parce que personne ne le fera à leur place. L’école reconduit les inégalités et en tant que fabrique du genre, les violences transphobes se déploient sans même savoir ce que les jeunes vivent ni ce qu’ils/elles deviendront.
Ce système binaire et hiérarchisé s’incarne, dans les formulaires comme dans la littérature de jeunesse, dans l’assignation irrévocable comme dans le refus du prénom choisi. Les conséquences se déclinent de l’absentéisme au décrochage scolaire jusqu’à l’impasse menant au fait de quitter un établissement pour pouvoir (sur)vivre. Toutefois, les transferts transphobes traversent toutes les sphères, même celles qui sont habituellement perçues comme un environnement de protection.
Transparent
Dans les cas présents, les parents ne constituent pas forcément un refuge et des ressources pour l’enfant au genre variant. Par ailleurs, l’enfant d’un parent trans* peut également subir des violences par ricochet. L’élaboration de cette transparence est fondée sur un arsenal médical, psychiatrique et juridique qui produit des corps cisgenrés et hétéronormés, répondant à la suprématie construite du masculin. L’intériorisation des stéréotypes de genre fait rage et le sentiment d’être en sécurité nulle part ne favorise pas les coming out.
Transformation
Ce processus d’affirmation et de transformation s’opère difficilement en terrain hostile et interroge la formation des professionne-le-s rencontré-e-s.
Concernant l’école, cette dernière demande à être repensée autant dans ses contours institutionnels, dans sa matérialité genrée qu’à travers les personnes qui l’incarnent dont il est nécessaire de déployer les aptitudes dans ce domaine, s’inscrivant d’ailleurs dans un cadre plus vaste de politique de lutte contre les discriminations. Des manuels aux programmes, des circulaires aux outils pédagogiques, ce travail s’avère bénéfique pour tout le monde, élèves comme enseignant-e-s, enfants comme adultes.
Transphères
Les devenirs trans* révèlent d’ailleurs également les limites de l’univers académique et du monde professionnel. Les violences transphobes traversent en effet toutes les sphères (famille, ami-e-s, école, travail, rue, sport, etc.). Leur prévention ainsi que leur prise en charge engagent donc une dialectique articulant des niveaux autant intrapersonnel, interpersonnel que sociétal et prenant en compte les transferts de connaissances et de compétences des personnes trans*.
Faire trans*
Il s’agit donc de se centrer sur le faire trans* et les pratiques des personnes concernées dans toute leur diversité et créativité, afin que ces dernières puissent mettre en lumière leurs propres questionnements et cheminements, tout comme les façons dont elles font de leur vie une histoire, défiant les artefacts moraux, pathologisants et naturalisants. Et pour traverser la scolarité, les possibilités d’information et de soutien se montrent vitales, tout comme les apports des associations et le développement des études trans*.
Mise en ligne : 31 janvier 2014.