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A l’ODT, il nous paraissait important de laisser aussi s’exprimer la parole sur la prévention du VIH. AIDES a bien voulu se lancer le premier sur l’Observatoire. Nous serions intéressés d’accueillir des textes, entretiens et interventions des autres acteurs de la prévention en France. 


Depuis quelques mois nous travaillons à un entretien avec l’association de lutte contre le sida AIDES[1]. Nous connaissions les travaux de Viviane Namaste portant l’étude de données épidémiologiques mondiales, mais il nous restait encore de nombreuses questions. Nous avons donc rencontré le 22 juin 2011 Fred Bladou, chargé de mission chez AIDES, qui s’intéresse de prés à la question Trans. L’occasion pour nous de revenir sur le lien Trans-VIH :


 

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ODT : Bonjour Fred. Pourrais-tu nous présenter Aides ainsi que les actions que vous menez en lien avec la question Trans ?

F.B : D’abord, il faut revenir sur les fondamentaux de Aides. Aides est une association de lutte contre le VIH et les hépatites, et c’est une association qui est animée par des principes d’actions communautaires. Je m’explique. A AIDES, on ne décide pas pour les communautés confrontées au VIH et aux hépatites, mais on construit des actions avec elles : l’expertise s’appuie nécessairement sur le vécu des personnes. On part donc de la communauté d’expérience : ça peut être le fait de subir des discriminations, de vivre dans un groupe ou un espace géographique marqué par une forte prévalence du VIH, de rencontrer des problèmes d’accès au soin… C’est à partir de ça qu’on essaie de voir les meilleures réponses imaginables pour améliorer la vie des personnes séroconcernées. Et les communautés trans cumulent de nombreux facteurs de vulnérabilités vis-à-vis du VIH. Mais AIDES est aussi et surtout une association de transformation sociale. Pour le dire autrement, on ne se contente pas de « gérer » l’épidémie : quand on constate des situations inacceptables, on fait tout pour les changer. Ça veut dire, par exemple, obtenir de nouveaux droits, améliorer l’accès au soin, ou combattre le racisme, l’homophobie, la transphobie…

La mobilisation trans au sein de l’association est une question ancienne. Durant de nombreuses années, AIDES a été interpellé pour son inaction et sa faible implication sur ce terrain, alors même que les trans sont très touché-e-s par le VIH. Au printemps 2010, un groupe de militants a entamé un travail interne en réponse aux sollicitations d’associations trans ou de personnes trans fréquentant les actions de AIDES pour faire l’état des lieux des actions existantes auprès des trans dans les délégations de AIDES et recueillir les besoins exprimés par les associations et/ou les personnes trans. En octobre dernier, le CA de l’association a décidé d’approfondir ce travail, en mettant en place un comité de pilotage chargé de mettre en œuvre des actions et de favoriser la mobilisation des trans avec l’association.

Dans la logique politique de notre association, l’idée est véritablement de construire « avec », au plus proche des communautés Trans, mais pas seuls. Aides va ne pas arriver avec ses connaissances et ses pratiques, il ne s’agit pas d’imposer un système de pensée, mais de construire de nouvelles actions et de nouvelles communications avec et pour les Trans.

 

ODT : Que des discours co-construits donc

F.B : Oui, des discours et actions co-construites. C’est pour ça que depuis un an, un petit groupe de militants de AIDES, engagés autour des questions Trans, s’est rapproché de plusieurs assos telles que Chrysalide ou Outrans et l’idée est de continuer dans cette voie : faire « avec », s’appuyer sur l’expertise des personnes concernées.


ODT :
On change l’ordre des questions en fonction de tes réponses. Mais dans un contexte de baisse générale des subventions aux associations, comment Aides compte-t-elle mener des actions en direction des Trans. Est-ce que ce seront des actions ciblées ou noyées dans les revendications LGBT (ce qui comporte un risque) ? Est-ce que vous vous appuyez sur ce qui a déjà été fait par des associations Trans ?

F.B : Le contexte de baisse des subventions est général. La DGS (Direction Générale de la Santé) a diminué ces subventions de 14 % c’est un secret pour personne. Par ailleurs, Aides ne bénéficie d’aucun financement fléché sur les questions Trans à ce jour. En revanche, des demandes de financements ont été adressées aux organismes publics concernés (INPES par exemple). Cela dit, nous privilégions également une approche transversale. Si une mobilisation spécifique est indispensable, le comité de pilotage interne a bien souligné l’intérêt d’intégrer les questions trans dans les activités de AIDES auprès des femmes, des injecteurs de produits psychoactifs, des gays, des migrants d’Afrique, etc.

Enfin, grâce à nos partenariats avec les associations Trans, on veut aussi aider et épauler nos partenaires à pouvoir se faire entendre auprès des pouvoirs publics et à être eux financés. C’est aussi ça qui nous intéresse.

 

ODT : Puisqu’on s’intéresse au lien Trans-Vih est-ce que tu peux nous dire où on en est ? Des chiffres ? Des enquêtes ?

F.B : Alors pour la France, on va attendre les résultats de l’enquête INSERM coordonnée par Alain Giami : on aura pour la première fois des données sur la prévalence du VIH dans les communautés trans, basées sur une enquête auprès d’environ 400 personnes trans. Cela peut sembler peu, mais le mode de recrutement très diversifié (associations, services hospitaliers, cabinets médicaux…) permettra d’avoir une illustration très intéressante des situations vécues par les trans. En tout cas je suis très content de cette étude, car ça va permettre, en fonction des résultats, de demander à l’ANRS pourquoi pas d’avoir d’autres études, plus affinées, sur les comportements sexuels, les modes de vie et la diversité des parcours de transition. C’est un premier levier. Concernant le VIH, jusqu’à présent, on a des chiffres plus ou moins justes et plus ou moins étayés au niveau épidémiologique. Pour autant, des données sont connues au niveau international : elles concernent principalement les travailleuses du sexe, et je dis « travailleuses », car ces chiffres ne concernent que les MtF. Dans ces groupes la prévalence est très élevée, plaçant les trans comme la population la plus touchée aux Etats-Unis. Globalement on est, en fonction des communautés, des orientations sexuelles etc., dans des taux de prévalences qui vont de 1 % à 57 %. Pour mémoire, la prévalence estimée du VIH chez les gays se situe entre 15 et 18%.

 

ODT : D’un point de vue qualitatif justement, un sujet revient souvent dans les associations et plus généralement sur « le terrain » comme on dit, c’est le lien entre hormonothérapie et antirétroviraux. Selon une étude de Hacher[2], il n’y aurait pas de contre indications à la prise d’hormones en cas de VIH. Doit-on se fier à cette étude ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est ce que tu peux nous dire sur cette question ?

F.B : C’est aussi une question qu’on entend très souvent. Il faut savoir qu’elle a été prise en compte par le Rapport d’expert sur la prise en charge médicale du VIH[3] (« Rapport Yéni ») depuis plusieurs années. Ce rapport fait la synthèse des quelques connaissances existantes sur les interactions entre hormonothérapies et traitement. Mais surtout, il préconise aux soignants d’adapter les traitements VIH en fonction des exigences du traitement hormonal, et non l’inverse, ce qui est une avancée. Reste à savoir, maintenant, si ces recommandations sont bien suivies sur le terrain.

Par ailleurs, cette question m’interpelle sur plusieurs choses. Sur le lien Trans et VIH d’abord. Avant de parler des traitements, il faut faire un lien entre pratiques sexuelles des Trans et VIH. On sait que les Trans sont précarisés et que le fait de ne pas avoir de papiers ou la prostitution sont des facteurs de risques. Se dire qu’une communauté est stigmatisée, discriminée, n’a pas de droits, peut potentiellement aller plus vers les contaminations, il me semble que c’est complètement évident, à la lumière de l’histoire de cette épidémie. Toute communauté qui ne bénéficie pas de droits ou vit dans une certaine clandestinité est exposée au VIH. C’est la première chose. Après, aujourd’hui je regarde les chiffres liés aux pratiques des HSH, la contamination ou la prévalence, qui sont aujourd’hui en tête de toutes les catégories, on peut considérer, par exemple, que les FtM (gays, pédés, bis, etc.) qui ont des relations sexuelles avec des gays sont en contact avec une communauté très touchée par le VIH. De fait, il faut imaginer des actions et des messages de prévention ciblés. En somme, pour nous, il ne faut pas considérer que les seuls liens entre Trans et Vih ce sont les interactions entre ARV[4] et hormonothérapies. Sur ce sujet, on sait qu’il y a des problèmes, mais il n’y a aucune étude menée qui soit suffisamment approfondie sur ces interactions. De plus de nouvelles molécules arrivent très vite. On n’a rarement le temps de mener des études spécifiques. On n’en mène déjà pas sur les effets secondaires à moyen ou à long terme…  On sait qu’il existe des interactions, mais il manque des études. Est-ce qu’il existe des interactions avec toutes les molécules ? Non. Mais on ne sait pas les mesurer précisément aujourd’hui. Comme pour tout le reste, les Trans’ restent bien souvent les oubliés des études.

 

ODT : Tu devances mes questions sur le lien précarisation – contamination… 

F.B : Si on veut des politiques efficaces, il faut d’abord qu’ils aient des droits, que la prise en charge soit humaine, soit éthique, il faut qu’ils aient accès à l’emploi. Il faut que ils et elles puissent vivre correctement avec des droits que n’importe quel autre citoyen dans ce pays. Et ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Parmi les populations trans certain-e-s cumulent des facteurs de vulnérabilité.

 

ODT : Toujours sur ce lien Trans – Vih, on sait qu’à Paris des personnes étiquetées comme transsexuelles par un protocole ne sont pas accompagnées jusqu’à l’opération si elles sont séropositives… On est dans une situation paradoxale où on diagnostique des gens sans leur fournir les solutions adéquates ou désirées…

F.B : Alors, la question soulève énormément d’autres questions. Si je veux être synthétique, effectivement il y a un problème sur la prise en charge des Trans, alors c’est compliqué parce qu’il faut distinguer tous les parcours entre les différentes transitions et celles qui entrent dans les équipes, mais lorsqu’on ne prend pas en charge les opérations pour les séropositifs, effectivement, ce sont des mauvaises pratiques à dénoncer et rapportées par les Trans. Et c’est plus largement la problématique de la prise en charge médicale des Trans aujourd’hui en France. En tant qu’association attachée à l’autonomie des patients, il est clair que Aides ne peut pas soutenir les mauvaises pratiques en cours aujourd’hui en France. Que plus de 70 % des Trans se fassent opérer aujourd’hui à l’étranger montre qu’il y a des dysfonctionnements majeurs.

 

ODT : 70 % c’est un chiffre qui provient d’où ?

F.B : C’est un chiffre estimé


ODT :
Il nous semblait plus proche des 90 %, mais bon…

F.B : 70 ou 90 ça ne change pas grand-chose. Tout le monde doit avoir un accès égal à la Santé. 70 ou 90 c’est plus la question à ce niveau-là. Toutes ces personnes parties se faire opérer à l’étranger parce qu’en France on n’a pas assez de connaissances, ou qui n’ont pas accès à… ou qu’on précarise, ça montre bien que le système français ne marche pas et qu’il convient de tirer un bilan le plus rapidement possible, et sans esprit partisan, regarder ce qui ne va pas, car la situation n’est pas acceptable. Il n’y a aucune raison médicale, scientifique valable de ne pas accorder une opération de réassignation à une personne séropositive. C’est une aberration. C’est un jugement moral et une approche discriminatoire. Et cumulative. C’est la double peine. 

 

ODT : Toujours dans un souci de faire le lien entre Trans et Vih, on voit qu’un certain nombre de personnes Trans sans papiers sont menacées par la dernière loi sur l’accès aux soins…

F.B : Là-dessus, on est très inquiets et très mobilisés à Aides. L’une de nos priorités depuis quelques semaines est de lutter contre les lois xénophobes mises en place par l’UMP telles que la remise en cause du titre de séjour pour les étrangers malades. On est vraiment en lutte contre ces mesures. Par exemple, on essaye de mettre en place un observatoire sur tout le territoire avec des associations locales, ce qui permettra en particulier de faire remonter immédiatement  les cas de Trans sans papiers qui pourraient être menacées d’expulsion alors qu’ils ou elles sont séropositifs. C’est un sujet de préoccupation majeur.

 

ODT : On comprend bien que la question du Vih ne peut pas exclure la question Trans et on comprend bien aussi que la question Trans ne peut pas non plus se passer de la question du Vih. Pourtant certaines associations sont plus réticentes que d’autres à inclure ce sujet dans leurs combats. Parce que ça renvoie à de mauvaises images qu’il ne faudrait pas véhiculer : la prostitution ou l’homosexualité… Est-ce que ce n’est pas un obstacle dans la politique de l’association qui tente de lier la question de la transidentité à la question de la séropositivité ?

F.B : On le sait. C’est une question qui se pose bien au-delà des communautés trans : certaines associations gays voudraient aussi qu’on associe moins homosexualité et sida, de peur de donner une mauvaise image. Je peux entendre les réticences de certaines associations trans et leur désir de se protéger de schémas caricaturaux dans lesquels certains pourraient aller. Bien évidemment que tou-te-s les Trans ne sont pas prostitué-e-s, c’est une évidence. Mais il faut bien voir que, parmi les trans, tou-te-s les séropos ne sont pas nécessairement travailleuses du sexe ! La question du VIH va donc bien au-delà d’un enjeu spécifique ou catégoriel. De fait, pour nous, en tant qu’association de lutte contre le sida, favoriser la prévention et l’accès aux soins, c’est faire avancée les droits et le bien-être de toute une communauté. Historiquement, la lutte contre le VIH a toujours été le levier de conquêtes sociales plus générales (le PaCS, par exemple). Donc sur cette question, il nous semble que ramener cette question de la « mauvaise image » est une erreur stratégique, alors que c’est unis, séropositifs et séronégatifs, que nous pouvons gagner des droits pour les communautés trans.

 

ODT : Aides va être entendue par l’IGAS. L’année dernière il y a eu des réunions pour des centres de référence. Depuis l’été dernier on voit un nouvel acteur : la Sofect [5] pour qui les Trans séropos représentent « à peine 20 % », n’importe qui bondirait, mais pas eux… Qu’est qu’en a pensé Aides, de la Sofect comme des réunions ministérielles ?

F.B : Je n’ai pas de réponse définitive. C’est-à-dire qu’il y a eu des réunions organisées par la DGOS[6] auxquelles nous participions, et aujourd’hui avec l’IGAS. Dans ces cadres, Aides ira porter et revendiquer, avec d’autres acteurs associatifs, une vision des bonnes pratiques de prise en charge. Il ne s’agit pas de critiquer systématiquement. A notre échelle, on va faire en sorte que les bonnes pratiques acquises par la lutte dans le Vih soient aussi respectées par les équipes et les médecins qui prennent en charge des « patients Trans ». Mais par exemple, nous on va refuser le terme de patients : les trans ne sont pas des malades ! À Aides on a les poils qui se hérissent sur énormément de sujets… mais ce qui manque sur ce dossier là, c’est un rapport de force interassociatif plus puissant pour faire entendre la parole des trans et peser face à la Sofect. C’est pour cela aussi, qu’Aides soutient et marche aux côtés des Trans pendant l’Existrans. Ca montre bien qu’on n’est pas d’accord avec la prise en charge actuelle, qu’on soutient plus généralement les revendications des communautés Trans pour leur bien-être et leur santé.

 

ODT : Ce mois-ci c’est le mois des prides. C’est quoi la priorité de Aides ?

F.B : Le message que Aides va porter, nationalement, c’est autour du « dépistage rapide communautaire », et de l’incitation au dépistage. Aides s’engage pour que les gays, les HSH aillent se faire dépister parce que plus tôt on est dépisté, plus tôt on est sous traitement, plus on a une charge virale indétectable. A la différence des CDAG ou d’autres dispositifs, le test est effectué par des militants de l’association formés pour cela. Sur ce terrain, fidèles à notre esprit de transformation sociale, nous avons répondu aux besoins de nombreux gays qui nous disent trouver l’offre actuelle peu adaptée. Du coup, nous proposons un dépistage rapide, accompagné de conseils adaptés et sans aucun moralisme ni jugement. L’objectif est de toucher des personnes qui ne vont pas (ou pas assez souvent) se faire dépister. Expérimentés durant plusieurs mois dans différentes villes, ces dispositifs communautaires ont été reconnus comme pertinents par le ministère en novembre 2010. D’ici peu, AIDES proposera de multiples actions mêlant prévention et dépistage. Potentiellement, ça va permettre d’enrayer les nouvelles contaminations : il y a trop de contaminations parce que les gens ignorent leur statut, il y a trop de contamination en période de primo affection. Il faut que les gens séro-intérrogatifs connaissent leur statut. C’est le message que nous portons. Ces marches, c’est l’occasion de dire que le dépistage rapide il ne se fait pas que pour les gays mais que les Trans sont aussi concernés. Et c’est aussi ce qu’on va essayer de faire aux UEEH[7].

 

ODT : Donc il faut investir de nouveaux espaces, pas uniquement des CGL[8] qui ne concernent pas toujours les Trans ou même les lesbiennes, ou même changer les visuels, les slogans…

F.B : Il faudra adapter la communication, oui. Evidemment, les Trans peuvent aussi venir dans les actions existantes. Et à terme, on voudrait mettre en place des démarches innovantes : des partenariats avec les associations Trans, qui permettront des actions ciblées.


ODT :
Je crois, non pas qu’on a fait le tour, mais qu’on a déjà posé pas mal de questions. Merci à toi Fred !

F.B : Merci !


[1] http://www.aides.org/

[2] N. Hacher « ARV et hormones chez les trans’ » revue Transcriptases n°130, 2006

[3] Rapport Yéni : http://www.sante-sports.gouv.fr/rapport-2010-sur-la-prise-en-charge-medicale-des-personnes-infectees-par-le-vih-sous-la-direction-du-pr-patrick-yeni.html

[4] Anti Rétro Viraux

[5] Société Française d’Etude et de prise en Charge du transsexualisme.

[6] Direction Générale de l’Offres de Soins

[7] Université d’Eté Euro-méditerranéenne des Homosexualités.

[8] Centre Gay et Lesbien.