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Jean-Marie Grégoire

Militant féministe queer et cinéphile


 

 

« I warned you, Richard – don’t mess with me ! »

 

 

 

Richard Jacks travaille comme chimiste pour une grande maison de parfumerie, sans enthousiasme : alors qu’il désirait depuis l’enfance « œuvrer pour le bien commun » (« all for the good of mankind !»), il lui semble avoir « vendu » ses talents. Il poursuit le soir des recherches plus personnelles, ce qui malheureusement l’aliène de sa fiancée, Sarah, avec qui il ne passe guère de temps.  

 

A la mort de son grand-père, il hérite d’un paquet de notes empoussiérées dont il va bientôt découvrir le prix : son bisaïeul, l’auteur de ces notes, n’était autre que le fameux docteur Jekyll, et notre héros entreprend aussitôt de poursuivre les recherches du défunt, dont il semble penser qu’elles portaient sur la « dualité de l’âme » ; ceux qui ont lu Stevenson savent que les préoccupations de son docteur étaient en réalité moins « métaphysiques »… Comme la potion de Jekyll s’était révélée augmenter l’agressivité, Jacks se dit qu’en y ajoutant des œstrogènes, il produira, en lieu et place du monstrueux Hyde, un être nouveau – surtout infiniment meilleur ; apparemment, notre aimable héros n’a que d’assez faibles connaissances en endocrinologie, mais, vous l’avez compris, il va vite apprendre !

 

Comme son ancêtre Jekyll, Richard teste évidemment très vite sa formule sur lui-même : après un moment de latence, une métamorphose finit par avoir lieu. Spectaculairement, ce sont d’abord ses mains qui changent – c’est à dire que ses ongles se mettent à pousser (!) alors que ses poils disparaissent. Ses cheveux poussent, sa voix mue – enfin son pénis disparaît : Jacks est devenu Helen Hyde. Et Helen va très vite manifester son caractère indépendant et volontaire : les frustrations patiemment subies par Richard, très peu pour elle ! Évidemment, Helen sème donc le chaos dans l’existence de Richard. Sa fiancée le quitte, une cliente importante lui est retirée pour être confiée à Helen, l’hypocrisie qui régnait dans l’entreprise vole en éclats…

 

Après différentes (més)aventures et quiproquos, la situation initiale sera restaurée : Richard se réconcilie avec Sarah ; il réintègre de même son entreprise – mieux, désormais, la firme financera toutes ses recherches. Helen Hyde, quant à elle, disparaît définitivement : par une dernière injection hormonée, Richard, avec l’aide de Sarah, a fait cesser le cycle des transformations. 

A sa sortie en 1995, « Dr. Jekyll & Ms. Hyde », produit par Savoy Pictures et réalisé par David Price, n’a guère rencontré que du scepticisme. Il a depuis acquis une certaine notoriété et un modeste statut « culte », sans doute en partie grâce à sa rareté sur le marché du DVD. Relire aujourd’hui les quelques articles qui lui ont été autrefois consacrés étonne un peu : Janet Maslin peut certes promettre dans le « New York Times » un « Jekyll transsexuel », et  dans « Mad Movies », Didier Allouch, vaguement halluciné, (1) voir affirmée dans le film une soi-disant toute-puissance de la figure de la  drag queen, il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas là-dedans, en réalité, grand chose de trans – et encore moins de drag ! Si l’on devait s’en tenir à la scène de transformation déjà mentionnée, faudrait-il croire que porter ongles et cheveux longs suffit à « faire une femme » ? Bien entendu, on rêve ! Mais avant de condamner « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » à un oubli peut-être pas totalement immérité, je vous propose de l’examiner un moment. Ms. Hyde, notamment, me paraît être un personnage intéressant, sinon sympathique, ce dont conviennent d’ailleurs même ceux qui ont jugé le film désastreux. Je voudrais aussi m’intéresser à l’idée de placer un tel personnage de femme fatale dans un contexte générique qui n’est pas a priori le sien (le film est une comédie), et à ce que cela produit, notamment en termes de genre – et je ne parle plus de genres cinématographiques, mais bien de genre, de gender, si vous préférez. 

 

Je commencerai par quelques mots sur le titre du film, et la façon dont y est désignée la protagoniste : ni « Miss » ni « Mrs.» ne sont utilisés, et c’est évidemment assez remarquable. En français, il n’existe toujours pas d’équivalent de l’anglo-saxon « Ms.». Ce choix place d’emblée le film dans un contexte culturel et politique précis, puisque la possibilité d’employer « Ms.» a fait partie des revendications féministes, et ce dès les années 60 : une femme, raisonnait ainsi la militante féministe américaine Sheila Michaels, devait pouvoir choisir un « titre honorifique neutre » qui ne dépende pas de son statut marital, ni donc de sa place dans le monde hétérosexuel. Avec « Ms. », il s’agissait d’offrir un titre à celles qui précisément « n’appartiennent à aucun homme » (« who belong to no man ») (2). Rappelons que cette revendication n’a pas été portée que par des féministes, lesquelles étaient au demeurant divisées sur son intérêt, ce dont convient Sheila Michaels elle-même ; en effet, « Ms. » est aussi le titre « par défaut » que les entreprises recommandent d’utiliser lorsqu’il s’agit d’écrire à une cliente dont on ignore le statut, et qu’on ne désire pas « froisser », comme l’explique l’article de Wikipedia consacré à « Ms. » (3).

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Mais revenons à notre héroïne, Ms. Hyde – immédiatement après sa transformation, elle part acheter des vêtements, ce qui nous vaut une séquence de montage qui paraît vanter les plaisirs du shopping : Helen vêtue de tailleurs seyants et colorés, quelques sacs Ungaro à chaque main, arpente les avenues new-yorkaises les plus chics ; elle paraît même esquisser une pirouette pour la caméra, filmée en plongée comme une héroïne de musical. C’est que la métamorphose n’est complète qu’avec le shopping, bien entendu. « Pretty Woman » (4) n’est pas loin. Mais on notera qu’ici, il n’y a pas d’homme (et en général, dans ce type de situation, au cinéma, il s’agit d’un homme d’une classe plus aisée) pour expliquer à Helen quelles tenues elle doit choisir : pas de Pygmalion plus ou moins bien intentionné pour la vêtir et la « façonner » (voir par exemple « Undercurrent » ou « Vertigo » (5)). Au lieu de cela, Helen paraît spontanément tout savoir des dernières modes – comme avant elle, la « sister Hyde » de Roy Ward Baker (6) trouvait d’instinct comment transformer un rideau de brocart rouge en tenue de soirée dernier cri, et bien entendu très échancrée. Le même savoir camp (7) et ironique, qui paraît supposer une connaissance « innée » des règles et des charmes de la mascarade, permet-il à Helen de trouver précisément la taille qui convient à la secrétaire de Richard lorsqu’elle décide de lui offrir un chemisier – taille que Richard ignore, de toute évidence, lui qui ne regarde sa secrétaire qu’avec indifférence ? Un geste que l’on peut interpréter comme intéressé (Helen se démarque de Richard et se cherche des alliés dans l’entreprise) mais que l’on peut aussi voir comme un geste inspiré par une certaine solidarité féminine (et de classe), geste dont Richard, bien entendu, s’est jusqu’ici révélé incapable.

 

Parfaitement intégrée au paysage urbain de la très grande ville, où règne la carte de crédit, capable de solidarités (et/ou de calculs) court-circuitant le pouvoir masculin, Ms. Hyde est  d’autre part présentée comme un avatar de femme fatale. Le choix même, pour interpréter son rôle, de Sean Young, dont le nom est associé à l’univers rétro-futuriste de « Blade Runner » ou au néo-noir « A Kiss Before Dying »(8), est de ce point de vue parlant. Et si Janet Maslin, par exemple, semble déplorer que le rôle d’Helen ait été confié à Sean Young, qu’elle appelle ironiquement “Ms. Young” et dont elle juge le jeu trop dépourvu d’humour mais aussi teinté d’un érotisme trop agressif pour une comédie légère telle que “Dr. Jekyll & Ms. Hyde” (9), je pense au contraire que ce caractère “schizophrénique” sert le film : il est même pour moi source de plaisir. Allure ultra-féminine, ongles et cheveux longs (bien entendu !), vêtue de robes et de sous-vêtements griffés, cigarette aux lèvres (attribut incontournable de la vamp : demandez à Garbo ou Dietrich) (10), Helen pourrait sortir d’un film noir. Mais évidemment, sa parenté avec les vamps des années 30 ou 40, et avec les héroïnes sexuellement agressives des néo-noirs des années 90 (11), ne se limite pas à ces accessoires, quelque prometteurs qu’ils puissent eux-mêmes paraître. Comme elles, Helen contrôle pleinement sa sexualité : elle ne donne que ce qu’elle veut, à qui elle veut ; et lorsqu’elle ne veut pas, elle sait se débarrasser de l’importun. Pas de morts ici : « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » est une comédie – mais si l’on opérait un glissement générique, on imagine qu’Helen Hyde laisserait sur son passage le même sillage de cadavres que les héroïnes de « The Last Seduction » ou de « Basic Instinct » (12).

 

Enfin, consciente de son pouvoir, Helen Hyde refuse un rôle subalterne dans l’entreprise : un des collaborateurs de Richard peut bien lui faire remarquer que dans l’entreprise, la seule place qui soit réservée aux femmes est celle de secrétaire, elle ne se contentera évidemment pas du rôle d’assistante à quoi son genre paraît devoir la cantonner. Mieux, pour les mêmes compétences, Helen veut autant, sinon, en bonne néo-fatale, plus. De fait, le film est parfaitement contemporain des débats qui agitaient alors la société américaine et qui portaient tant sur les inégalités de traitement sur le lieu de travail et sur le « glass ceiling », le plafond de verre auquel se heurtent les femmes, que sur le harcèlement. Ceci dit, Helen, elle, ne se pose jamais en victime de quoi ni de qui ce soit : en véritable « bitch diva » (13), elle envoie paître avec malice le collègue qui la poursuit de ses assiduités, et profite pleinement de son pouvoir de séduction : pour conforter sa situation professionnelle, Helen sera même capable  d’offrir des faveurs sexuelles à l’un de ses supérieurs, Dubois, que le film présente pourtant comme gay, et qu’interprète l’icône camp Harvey Fierstein – on le voit, le pouvoir de la néo-fatale, héroïne féministe battante, paraît à peu près sans bornes (14) !

 

Toutefois, quelles que soient notre admiration et notre sympathie pour Helen Hyde (et ce que fait Sean Young du personnage), force est de prendre en compte son élimination finale : Richard reprend le contrôle de son corps et défait la néo-fatale, qui disparaît purement et simplement. Cette fin manifeste la relativité du pouvoir de la femme fatale dans un genre, la comédie, qui n’est pas le sien : alors que Catherine Tramell, par exemple, sort victorieuse de ses confrontations avec l’ordre masculin, Helen Hyde, protagoniste d’une comédie loufoque, paraît vouée à l’échec.

 

Cette disparition permet surtout à Richard de résoudre les difficultés qui étaient initialement les siennes : la fin classiquement heureuse de la comédie signifie, évidemment, que le couple Richard-Sarah, qui souffrait des frustrations de Richard, se trouve restauré. Les fiancés qui s’étaient un moment séparés se retrouvent, vont se marier et sont même décidés à s’offrir un long voyage de noces. Ce faisant, ils conviennent qui plus est de ne plus laisser le travail « déborder » sur leur vie intime – en fait, il s’agissait surtout là du problème de Richard : le film laisse entendre que Sarah, elle, sait parfaitement « cloisonner » son travail d’avocate et sa vie « privée »…

 

Les règles de la comédie sont même scrupuleusement respectées : la (re)constitution de ce couple est redoublée par la constitution d’un second couple. Mintz et Dubois, les patrons tyranniques et grotesques de Richard, partent en effet s’installer ensemble dans le « Village », l’hétérosexuel Mintz ayant semble-t-il été « transformé » par son expérience avec Helen Hyde ! On reconnaît là la « logique » douteuse selon laquelle avoir des relations sexuelles avec une MTF, pour un homme « bio », ce serait avoir des relations homosexuelles – lesquelles seraient évidemment « contaminantes » : après cela, l’hétérosexualité ne serait plus possible… Dubois, de son côté, est au contraire conforté dans son orientation sexuelle par la révélation finale qu’Helen « était » en fait Richard – le film ne laisse ainsi pas de place à une possible bisexualité : il faut être hétéro ou homo, surtout rien de « messy », de compliqué, qui soit (entre) les deux !

 

Si Richard et Sarah feignent de croire que l’on peut effectivement cloisonner travail et « vie intime », la logique de la comédie, elle, les confond au contraire. Le final réconcilie certes, et comme il se doit, nos amoureux ; mais la disparition d’Helen Hyde, sous les yeux ébahis d’un public rassemblé pour célébrer le lancement du parfum qu’elle a mis au point, « Indulge »,  permet aussi à Richard Jacks de récupérer le marché qu’elle lui avait soufflé, et du même coup, son poste un moment menacé. Mieux, ceci s’accompagne d’un triomphe personnel qui lui vaut de transformer sa vie : finies, les recherches solitaires et semi-clandestines ; l’intérêt privé du chercheur et l’intérêt de l’entreprise se rejoignent enfin, et, dorénavant, Richard verra toutes ses recherches confortablement financées (15). Le sentiment de « division » dont il souffrait initialement disparaît, réparé par la logique de la comédie.

 

Au final, qui profite des transformations rendues possibles par Helen Hyde ? Pas elle, on le voit… Mais bel et bien le protagoniste masculin, le bon docteur Jacks, qui pourra expliquer qu’il a su accéder à sa « part féminine » (« I had to get in touch with that part of myself that is a woman ») et dépasser ainsi les problèmes qui se présentaient à lui – c’est au reste ce qu’il déclare dans son discours lors de la soirée de lancement d’ « Indulge », une fois Helen définitivement volatilisée. Ce qui aurait pu constituer une fantaisie transgenre explorant, pour reprendre la formule de Janet Maslin, « un monde d’infinies possibilités » (16) s’achève donc plutôt comme une réitération de la conclusion de « Tootsie » (17) ; les avancées du féminisme, les possibilités offertes par le gender-bending, tout cela profite in fine à un personnage masculin, qui s’approprie de surcroît un travail qu’il n’a pas en réalité lui-même effectué. Si l’on pouvait à la rigueur croire que le héros du film de Sydney Pollack avait bel et bien fait l’expérience sociale d’une certaine féminité, rien de tel ici : Richard n’a partagé aucun des combats d’Helen ; sa conscience reste toujours distincte de celle de sa contrepartie féminine ; et il est à craindre que la « part féminine » auquel il se réfère ne soit  révélée pour ce qu’elle est devenue, de talk show en talk show – une jolie formule creuse, une simple figure de discours. Au fond, d’ailleurs, n’y a-t-il pas « une femme en chacun de nous » (« truth is, there is a woman in all of us ») ? Belle déclaration, que Dubois, (faussement ?) béat, accueille la main sur le cœur ! Mais j’ai peur qu’il ne soit le seul à manifester à ce moment tant soit peu d’ironie…

 

Ceci dit, on saura gré à « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » de ne pas confondre dans sa conclusion la masculinité de son protagoniste, fût-elle teintée d’une « part féminine » au fond assez abstraite, avec la métrosexualité promue par les magazines de mode ; après tout, l’action se déroulant dans l’univers des cosmétiques, cela aurait pu être à craindre. Le film a d’ailleurs sa figure de métrosexuel dans la personne de Larry, le cousin de Richard, bellâtre ridicule constamment disqualifié. De plus, le film reconnaît aussi que certains hommes peuvent faire l’expérience du « plafond de verre » et du harcèlement, et que le lieu de travail est une « arène » éprouvante pour tous et toutes, comme le suggère Paglia. Ce faisant, et malgré ses limites, parce qu‘il propose plusieurs modèles de masculinité, dont certains semblent inconfortables ou déficients, « Dr. Jekyll & Ms. Hyde » produit peut-être un discours plus complexe, à défaut d’être « progressiste », qu’il n’y paraît au premier abord.

 

 

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« Dr. Jekyll & Ms. Hyde » reflète au fond les ambiguïtés d’une époque, les années 90, qui ont pu se plaire à jouer des normes de genre au travers de figures telles que la drag queen ou la néo-fatale, mais ont probablement peiné à les refondre réellement, pratiquement – un échec que partagent aussi bien la culture populaire que la « haute » culture universitaire : ainsi la bisexualité fascine mais reste un objet d’inquiétude ; une « part de féminité » est revendiquée pour les hommes, mais demeure vague, quand elle ne se limite pas à la bêtise métrosexuelle ; la transsexualité et l’intersexualité, enfin, peuvent être invoquées, mais elles sont, en réalité, constamment tenues à distance, quand elles ne sont pas l’objet de plaisanteries stéréotypées et déplaisantes (18)… Cependant, si l’on ne saurait dire que Richard souhaite transgresser les normes de genre, ni même leur résister, s’il n’est en rien un « Jekyll transsexuel », l’expérience qu’il fait de l’aliénation, l’impression qu’il a d’être « divisé », entravé, en particulier dans sa vie professionnelle (« I’m stuck », confesse-t-il au début du film), ne sont pas sans intérêt : sa masculinité fragile, peu sûre d’elle, fait partie de ce que le film a de mieux à nous offrir – et ce n’est pas rien. Et puis évidemment, il reste la figure de Ms. Hyde ; certes, la « Sister Hyde » du film de Roy Ward Baker était peut-être une héroïne plus forte, plus marquante (plus féministe ? Il faudrait voir) – mais dans un genre pop et post-moderne, et même si le dénouement semble la condamner à l’effacement, Helen Hyde n’est pas mal non plus !

 

 

 

 


1 Janet Maslin, “Dr. Jekyll & Ms. Hyde (1995) – What’s left? How about a Transsexual Mr. Hyde?”, The New York Times, 25 août 1995.

Didier Allouche, “Interview avec David F. Price”, Mad Movies, n°. 102, p. 82-83.

2 “Forty Years of Defying the Odds”, Sheila Michaels, http://www.solidarity-us.org/node/1399.

3 Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Ms.

Ces mêmes entreprises tendraient d’ailleurs plutôt aujourd’hui à ne plus employer aucun titre dans leurs courriers, estimant qu’elles n’ont pas à connaître le genre de leurs destinataires. De ce point de vue, il est probable que le film accuse déjà un certain âge.

4 “Pretty Woman”, Garry Marshall, 1990.

5 “Undercurrent” (“Lame de fond”), Vincente Minnelli, 1946 – “Vertigo” (“Sueurs froides”), Alfred Hitchcock, 1958.

Eh non, Hollywood n’a pas toujours univoquement vanté les “joies du shopping” !

6 “Dr. Jekyll & Sister Hyde”, Roy Ward Baker, 1971.

7 “Camp is the kind of movie where they imitate me”, Mae West.

Le camp est, selon la définition proposée par Wikipedia, une sensiblité esthétique qui regarde comme attrayant un objet de “peu de valeur”, relevant le plus souvent de la culture populaire, en fonction de critères subjectifs et ironiques. Il est en cela proche du “kitsch”. Susan Sontag est la première à avoir proposé une définition du camp dans son texte fondateur de 1961, “Le Style “Camp””, et à avoir du coup introduit le terme dans le champ académique. Historiquement, le camp est lié à la communauté homosexuelle, pour laquelle il a pu constituer un mode d’affirmation de soi, en particulier dans les années 50 et 60, lorsque s’affirmer dans l’espace public d’une façon qui ne soit pas “oblique” était difficile. Depuis, le camp a connu des fortunes diverses – la réputation qu’il a d’être “apolitique” (cf. Sontag) et vecteur d’”effémination” l’a durement desservi dans les années 70-80. De fait, certaines de ses déclinaisons, durant l’ère Reagan par exemple, ont pu être légitimement perçues comme rétrogrades (preuve qu’il est bien, quoi qu’en dise Sontag, politique). Mais l’ironie camp, l’accent porté sur le caractère artificiel, construit, des objets qu’il affectionne, le mécanisme d’appropriation d’objets vus comme bas, abjects ou infâmes, ont permis au camp et à ses amateurs de survivre à ces moments difficiles.

Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Camp_%28style%29 ; Sontag, Susan, “Le Style “Camp””, in L’Oeuvre parle ; Pamela Robertson, Guilty Pleasures – Feminist Camp from Mae West to Madonna ; Andrew Britton, “For Interpretation : Notes Against Camp” ; Richard Dyer, “”It’s being so camp as keeps us going”.

8 “Blade Runner”, Ridley Scott, 1982 – “A Kiss Before Dying” (“Un Baiser avant de mourir”), James Dearden, 1991.

9 “Ms. Young is perfectly humorless and delivers more free-floating kinkiness than the material requires.” Cf. Janet Maslin, article cité.

Janet Maslin n’a de toute évidence pas vu le film de Roy Ward Baker ni entendu parler du scénario de Peter Cook, « Dr. Jekyll & Mrs. Hyde », achevé autour de 1978 mais jamais porté à l’écran. Sur ce scénario, voir « Dr. Jekyll & Mrs. Hyde : an unproduced Peter Cook screenplay », article disponible à l’adresse suivante : http://smarterthantheaverage.tumblr.com/post/71416415/dr-jekyll-and-mrs-hyde-an-unproduced-peter-cook.

10 Plus encore que la promiscuité d’Helen, c’est la cigarette qui semble cristalliser les inquiétudes du protagoniste, lorsqu’il découvre qu’elle ne prend pas le soin qu’il voudrait de leur corps commun, à un des rares moments où le film laisse entendre que Helen et Richard « partagent » quelque chose ; eh oui, il y a , au moins, cela : le corps ! C’est aussi l’un des rares moments où l’on peut deviner poindre à l’horizon du film le spectre du SIDA, qui constituait un des éléments déterminants du cycle de films centrés sur des personnages de « néo-fatales ».

Cf. Monica B. Pearl, « Symptoms of AIDS in Contemporary Film : Mortal Anxiety in an Age of Sexual Panic », in Michele Aaron ed., The Body’s Perilous Pleasures – Dangerous Desires and Contemporary Culture.

11 Carmen, mère ou « aïeule » de toutes les femmes fatales, est elle-même invoquée lorsque, dans la scène où Helen « impose », à sa façon, « ses vues » à Mintz et Dubois, la fameuse habanera de Bizet se fait entendre !

Sur le néo-noir et ses femmes fatales, cf. Jans B. Wager, Dames in the Driver’s Seat – Rereading Film Noir.

12 “The Last Seduction”, John Dahl, 1994 – “Basic Instinct”, Paul Verhoeven, 1992.

En réalité, le projet initialement imaginé par David Price tirait plutôt le film du côté de la comédie horrifique : “Après les projections tests, j’ai dû prendre en compte les critiques du public. Il y avait des morts dans le film et les gens n’aimaient pas ça. Le distributeur américain, Savoy, non plus. Sous la pression, j’ai donc réécrit une partie du scénario et retourné certaines séquences de manière à ce que les personnages survivent.” Cf. Didier Allouch, article cité.

Sur le genre hybride qu’est la comédie horrifique, cf. Bruce H. Hallenbeck, Comedy-Horror Films – A Chronological History, 1914-2008.

13 Cf. Kim Newman, “Dr. Jekyll and Ms. Hyde”, Sight & Sound.

14 Je ne résiste pas à la tentation de citer ici Camille Paglia : « Woman’s sexuality is disruptive of the dully mechanical workaday world, in which efficiency means uniformity.” Camille Paglia, “No law in the arena”, in Camille Paglia, Vamps and Tramps – New Essays, Vintage Books, 1994, p.52.

15 L’union de Mintz et Dubois va bien entendu dans le même sens d’une convergence des intérêts privés, “intimes”, d’une part, et professionnels et économiques de l’autre.
Elle est loin, la peur panique du “scandale” homosexuel qui motivait les personnages de Stevenson !

16 « a universe of infinite possiblity », Janet Maslin, article cité.

Et pour citer à nouveau Camille Paglia, on aurait pu attendre du film de Richard Price “une transition chaque jour”, “a sex change every day” ! Cf. “Dr. Paglia – part one of Female Misbehavior, a four-part documentary by Monika Treut”, in Vamps & Tramps, p. 247.

17 “Tootsie”, Sydney Pollack, 1982.

18  A la fin du film, un carton nous informe que Sarah et Richard espèrent être bientôt parents ; peu leur importe que ce soit un garçon ou une fille – “pourvu que ce ne soit pas les deux” !

 

 

 


 

Bibliographie

 

Allouche, Didier – “Interview avec David F. Price”, Mad Movies, n°. 102, p. 82-83.

Britton, Andrew (1979) –“For Interpretation : Notes Against Camp”. In Barry Keith Grant ed., Britton on Film – The Complete Film Criticism of Andrew Britton, Wayne State University Press, 2009.  

Dyer, Richard (1976) – “It’s being so camp as keeps us going”. In Only Entertainment, Routledge, 1992, p. 135-147.

Hallenbeck, Bruce H. (2009) – Comedy-Horror Films – A Chronological History, 1914-2008, McFarland.

Maslin, Janet (1995) – “Dr. Jekyll & Ms. Hyde (1995) – What’s left ? How about a Transsexual Mr. Hyde ?”, The New York Times, 25 août 1995.

Newman, Kim (1995) – “Dr. Jekyll and Ms. Hyde”, Sight & Sound, décembre 1995, p. 44-45.

Paglia, Camille (1994) – Vamps and Tramps – New Essays, Vintage Books.

Pearl, Monica B. (1999) – « Symptoms of AIDS in Contemporary Film : Mortal Anxiety in an Age of Sexual Panic ». In Michele Aaron ed., The Body’s Perilous Pleasures – Dangerous Desires and Contemporary Culture, Edinburgh University Press.

Robertson, Pamela (1996) – Guilty Pleasures – Feminist Camp from Mae West to Madonna, Duke University Press.

Sontag, Susan (1961) – “Le Style “Camp””. In L’Oeuvre parle. Trad. De Guy Durand. Christian Bourgois, p. 421-450.

Wager, Jans B. (2005) – Dames in the Driver’s Seat – Rereading Film Noir, University of Texas Press.

 

 


Je remercie l’équipe du festival Tapages (Bergerac) ; Gilbert Chéradame, le premier “cobaye” sur lequel j’ai testé les formules du docteur Jacks ; ma queer family, sans l’amitié et le soutien de laquelle rien de tout ceci n’aurait été possible – Marie-Hélène Bourcier, Marco Dell’Omodarme, Marika Moisseeff, Michael Houseman. Mwwaaah !