Association Chrysalide
Interview ODT
Après OUTrans, nous poursuivons le travail de visibilité des associations trans. Ce mois-ci Chrysalide nous propose un panorama de ses activités, initiatives et analyses de la situation trans en France. La préoccupation de l’écriture d’une histoire Trans est incontestable. Avec cette écriture, les matériaux d’une analyse critique de l’histoire des trans sous la coupole d’une psychiatrisation étatique et fonctionnaliste.
I- Pouvez-vous nous présentez l’association Chrysalide ? Comment vous situez vous dans la paysage actuel trans’ ?
Chrysalide fait suite à un groupe d’autosupport qui s’appelait ’Trans Infos’, créé en 2005, fondée par des personnes ayant toutes une culture des luttes féministes, trans, antiracistes, homosexuelles,… En 2007 nous avons décidé de nous structurer en association déclarée afin de pouvoir élargir nos modes d’actions et nos moyens financiers. Nos objectifs sont l’aide aux personnes trans, l’information du grand public, l’évolution des droits des personnes trans, la promotion de la culture trans. Nous souhaitons nous démarquer dans notre travail par une approche approfondie des thèmes abordés, en lien avec les besoins que nous constatons sur le terrain, ainsi que par des moyens originaux de diffuser nos messages: guides informatifs, quizz interactifs, applications pour smartphones, videos, jeux,… Nous souhaitons ainsi non seulement diffuser de l’information, mais promouvoir une culture trans. Nous sommes une association militante: nous souhaitons par notre approche du sujet œuvrer pour l’évolution de la société dans sa manière d’appréhender le genre. Notre point de vue est que la notion de genre est intrinsèquement personnelle à un individu, et que nul autre que lui-même n’a de légitimité à le définir. Nous nous inscrivons dans le mouvement de libération et d’émancipation des personnes trans qui existe depuis quelques années en France. Pour mieux comprendre cela, revenons sur l’histoire des associations trans en France. Evidemment, il ne s’agit pas ici de faire un historique exhaustif, mais de lister rapidement l’évolution de ce mouvement finalement très récent.
Pendant plusieurs décennies, les médecins ont été rois en matière de transidentités: d’abord les chirurgiens, ensuite les psychiatres. Il existait quelques associations, comme l’AMAHO (Association des MAlades HOrmonaux) créé dans les années 1960, mais qui reprenaient l’approche pathologisante des médecins[1]. Il n’y avait pas de place pour des discours différents. Cela valait d’ailleurs également pour les associations gays et lesbiennes, telles Arcadie, dont la démarche était de proposer de l’autosupport sans pour autant pouvoir proposer d’alternatives sociétales.
Les années 70 ont été marquées par l’apparition de groupes radicaux qui ont remis en cause l’ordre hétéropatriarcal: il ne s’agissait plus de vivre secrètement son homosexualité ou de vouloir s’invisibiliser le plus rapidement possible dans un moule binaire, mais de repenser en profondeur les conventions sociales. On citera le FHAR et les Gazolines[2].
Ce mouvement s’est essoufflé dans les années 80. Cependant, les luttes de la décennie précédente avaient posé les bases d’une nouvelle approche, et quelques voix, isolées, se sont élevées pour faire avancer les droits des personnes trans. Au niveau politique, on pourra ainsi évoquer les propositions de loi du sénateur Henri Cavaillet[3]. Même si bien entendu le vocabulaire utilisé est maintenant choquant et désuet, semblant sortir d’un autre temps (« l’anormalité du transsexualisme »), les articles –tous refusés- proposaient des améliorations qui ne sont toujours pas en vigueur, comme l’interdiction explicite de discriminations vis-à-vis des personnes trans.
De la fin des années 80 au milieu des années 90, un changement plus profond a débuté: des individus ayant une réflexion approfondie sur les questions trans avec une approche différente de celle véhiculée par le corps médical ont commencé à se regrouper. Cette période a été également nourrie par les écrits américains sur le genre, dont les traductions françaises manquaient cruellement.
C’est finalement au milieu des années 90 qu’a véritablement débuté l’empowerment trans en France, avec la création à quelques mois d’intervalles de l’Association du Syndrome de Benjamin (ASB), le Centre d’Aide de Recherche et d’Information sur la Transsexualité (CARITIG) et Prévention Action Santé Travail pour Transgenres (PASTT). Ces associations, à l’instar de leurs aînées, ont fait de l’autosupport, mais également organisé des groupes de réflexion, des conférences, produits des textes, porté des revendications, et créé l’Existrans[4], marche de visibilité des personnes trans. Ces associations ont vraiment permis de penser différemment les transidentités par rapport à la décennie précédente. Cependant, ces associations étaient toutes situées à Paris. De plus, à la fin des années 90, certaines personnes ont commencé à les jugés pas assez revendicatives vis à vis du corps médical et notamment psychiatrique.
En 2001, quatre personnes trans ont créé le Groupe Activiste Trans[5], avec pour objectif de renouer avec le mouvement révolutionnaire des années 70 et un mode d’actions inspirée d’Act-Up. Act-Up comporte d’ailleurs une branche trans dirigée par Hélène Hazéra, qui faisait elle-même partie des Gazoline. Le GAT, très largement critiqué y compris au sein de la communauté trans, à l’instar du FHAR en son temps, a ainsi permis de “mettre un coup de pied dans la fourmilière”, d’émettre le signal au corps médical qu’une nouvelle page se tournait et qu’il allait désormais falloir compter avec l’avis des personnes trans, ainsi qu’aux trans qu’il était temps de prendre en main leur vie et arrêter de la confier aveuglément aux médecins. Le GAT s’est dissout en 2006, mais le feu avait été mis aux poudres.
Les années 2000 ont vu l’éclosion de plus d’une dizaine d’associations dans différentes régions françaises, avec des approches, des sensibilités, des modes d’actions très variés. Cela a créé de formidables dynamiques un peu partout. Ce maillage associatif a aussi été l’occasion de multiplier le travail de terrain auprès d’autres associations non-trans, d’institution, de sensibilisation auprès d’élus locaux ainsi que du grand public. On pourra ainsi citer STS[6] qui depuis 2003 propose sur leur site un lexique très détaillé et le résultat de longues et minutieuses recherches sur les différents produits prescrits dans le cadre d’une transition, Trans Aide qui effectue du lobbying politique et interassociatif, Sans Contrefaçon[7] dont la démarche a été de produire des outils de réflexion et d’expertise notamment par les différents DVD réalisés, Mutatis Mutandis qui publie régulièrement depuis sa création le ‘Petit Mutatis Illustré’ qui donne des conseils pratiques aux personnes trans souhaitant prendre des hormones et se faire opérer[8], le GEsT qui à l’instar de Mutatis Mutandis publie des plaquettes informatives sur différents aspects des transidentités[9], et de nombreuses autres associations. Evidemment, il ne s’agit ici que de lister quelques-unes d’entre elles et de ne mentionner que certaines de leurs actions phares. Détailler les lignes d’actions de chaque structure, ses motivations, ses inspirations méritent un travail minutieux qu’il ne m’est pas possible de faire dans cet article.
Certaines de ces associations sont, schématiquement, plutôt dans une démarche intégrationniste alors que d’autres considèrent que la société doit mieux connaître les transidentités et s’adapter à l’existence et aux spécificités des personnes trans. Chrysalide est issue de ce dernier type d’associations. Nous bénéficions des avancées faites par les précédentes générations d’associations ainsi que de la solidarité actuelle entre associations œuvrant dans ce même but. Nous considérons que même si la transphobie comporte de nombreuses particularités, elle ne peut être combattue qu’en luttant également contre le sexisme et l’homophobie. C’est pourquoi nous travaillons non seulement avec d’autres associations trans, mais également avec des associations LGBTI et féministes.
II- Vous êtes une association très active : le front de l’auto support, de la recherche, de l’expertise. En quoi est-ce important que les associations trans’ fassent ce travail ?
Si nous ne le faisons pas, qui le fera? Et de quelle manière?
Il nous parait essentiel que les trans produisent de l’information, assument et revendiquent leurs rôles d’experts de leurs vies. Les médecins, les universitaires et les médias diffusent trop souvent un discours caricatural, paternaliste, ou victimisant. Notre rôle ne doit pas se résumer à dénoncer leurs discours et à le déconstruire. Il est aussi de proposer une approche alternative, basée sur des années d’accueil de personnes trans et évidemment de nos propres vies. C’est par ce biais qu’une évolution peut se faire, selon nous. En tant qu’association, nous pouvons ainsi réfléchir ensemble à des discours, des stratégies, afin de produire toujours plus d’éléments permettant à tout un chacun d’avoir accès à une information de qualité et d’apporter d’autres perspectives que celles imposées par les médecins et universitaires ayant une vision inadéquate.
Comme on l’a vu plus haut, cette indispensable production de discours valide existe depuis une vingtaine d’années en France. Cela passe aussi par la création de nouveaux termes destinés à exprimer et nuancer des concepts qu’on ne retrouve pas dans les textes de médecins. “Transgenre”, “transphobie”, “transidentités” sont maintenant des termes courant, mais le premier a fait ses -difficiles- premières apparitions vers 1992 et les deux autres ont commencé à être utilisés en 2004 seulement. Chacun de ces termes -pour ne citer qu’eux- a énormément apporté à la manière d’appréhender les choses, à la possibilité pour les personnes trans de pouvoir mieux se comprendre, à la manière de communiquer. On voit même depuis peu le terme ”transidentités” utilisé dans des ouvrages universitaires, preuve s’il en fallait de l’influence de l’empowerment trans sur la manière dont ils sont vus.
L’empowerment passe également par la mémoire: Lazz a par exemple fait un remarquable travail sur un de ses sites, Raphia[10], dans lequel il a méticuleusement référencé les actions trans dont il a pu retrouver la trace.
Nous avons publié en novembre dernier les résultats d’une étude que nous avons menée en 2011 sur la santé des personnes trans. Cette étude a ainsi permis de mettre en évidence de nombreux dysfonctionnements dans la manière dont le personnel médicosocial accompagne les personnes trans, et nous avons lancé en février 2012 un guide informatif destiné à ce public permettant de le guider vers de meilleures pratiques. L’expertise associative trans à Chrysalide, c’est aussi cela : partir d’un constat de terrain, approfondir par une étude plus vaste puis créer des outils permettant d’apporter des solutions, tout en associant les pouvoirs publics à chacun de ces stades.
III- Dans un contexte électoral, quelles sont vos priorités ? Et quelles sont vos revendications ?
Nous avons justement lancé lundi 12 mars 2012 une plateforme de revendications nommée ‘Transidentités 2012’[11]. Elle liste 20 revendications que nous portons durant la campagne des élections présidentielle et législatives. Parmi celles-ci nous pouvons citer le droit à l’autodétermination des individus qui, seuls sont à même d’exprimer leur genre et peuvent décider de ce qu’ils souhaitent faire de leur corps. Nous demandons également la mise en place d’une démarche administrative à effectuer en mairie pour changer d’état-civil, sans exigence de stérilisation préalable ou de prise de traitement médical, en lieu et place des actuelles démarches à effectuer au tribunal, qui sont longues, coûteuses, et nécessitent de se plier à des expertises humiliantes. Il est important que les personnes trans qui le souhaitent puissent faire conserver leurs gamètes par un des Centres d’Etude et de Conservation des Oeufs et du Sperme humains, ce que refusent actuellement les comités d’éthique. Bien sûr, nous demandons la modification de la loi sur les discriminations afin d’ajouter l’identité de genre à la liste des sources de discriminations interdites. Nous mettons aussi en avant des situations moins souvent évoquées, comme celle des binationaux ayant changé d’état-civil à l’étranger, qui doivent malgré cela faire les démarches judiciaires françaises, ou encore celle des personnes trans incarcérées, très souvent victimes de violences physiques et psychologiques de la part des détenus mais aussi du personnel pénitentiaire. Les personnes trans sans changement d’état-civil sont actuellement incarcérées dans des prisons correspondant au genre de leurs papiers d’identités. Plus globalement, nous souhaitons la mise en place d’une politique publique de lutte contre la transphobie.Nous avons ouvert la cosignature de cette plateforme à d’autres associations. Moins de deux semaines après son lancement, il y a déjà quinze structures qui se sont positionnées en faveur de ces revendications. Parmi elles, il y a des associations trans, telles ACTHE ou C’est pas mon genre, des associations LGBT, comme Le Refuge et plusieurs centres LGBTI, mais aussi des associations de santé comme AIDES, avec qui nous travaillons depuis plusieurs années.
IV- Vous avez récemment ouvert le site « Gare à tes fesses » qui dénonce à la fois le manque de données sur les questions sanitaires concernant la population trans’ et qui propose en même temps un espace de sensibilisation (un peu à l’image du fascicule « DTC » d’OUTrans) : pourriez vous revenir sur la création de ce support et sur les raisons de cet engagement du côté de la santé ?
“Gare à tes fesses” a été réalisé dans notre logique de production d’information en tant qu’expert de nos vies[12]. Nous avons fait le constat que de nombreuses personnes trans sont très mal informées sur les IST. Cette mauvaise information provient de documentations faites pour les personnes bio, dans lesquelles beaucoup de personnes trans ne se reconnaissent pas, de difficultés à dialoguer avec son médecin du fait d’une anatomie ou de pratiques ne correspondant pas aux attentes sociales habituelles ainsi que d’une absence totale d’informations sur certaines questions spécifiques aux personnes trans.Nous avons donc décidé de créer un site permettant d’aborder les questions de réductions de risques sexuels qui ne superposent pas les notions homme/mâle/masculin en opposition à femme/femelle/féminine. Notre approche était de considérer que les risques sont liés à différentes parties du corps, indépendamment du genre de la personne et de son/sa partenaire. Nous avons donc une partie “comment se protéger si…” découpée en plusieurs sous-parties “j’utilise ma bouche” “j’ai un utérus”, “j’utilise mon pénis”… La partie consacrée au vagin a cependant été distinguée entre FtM et MtF afin de parler des spécificités lors de prise de testostérone ou lorsqu’il s’agit d’un néo-vagin.Nous avons illustré le site avec des dessins volontairement très positifs, joyeux, afin de dédramatiser et alléger la lecture du site.Nous avions sorti quelques mois plus tôt notre guide n°3, consacré à la réduction de risques concernant la sexualité et les produits psychoactifs. Il approfondit davantage le sujet. “Gare à tes fesses” permet cependant de toucher un public différent.DTC d’Outrans rempli aussi complètement ce rôle de production d’informations spécifique à un public, en visant même les lecteurs FTM gays et leurs partenaires et en utilisant un vocabulaire destiné à créer un lien avec le lecteur[13].
La production d’outils de réductions des risques sexuels spécifiques aux personnes trans est importante pour une autre raison: encore aujourd’hui, la majorité des médecins suivant des personnes trans ont une attitude moralisatrice vis à vis de la sexualité et des pratiques de leurs patients. C’est quelque chose que les associations de lesbiennes constatent déjà, par exemple avec des gynécologues qui diront à leur patiente qu’elle n’a pas de rapports sexuels puisqu’elle ne se fait pas pénétrer par un pénis, et donc qu’il n’y a pas lieu d’effectuer des analyses médicales. La sexualité des lesbiennes est donc niée par de nombreux médecins. Leur attitude est similaire avec les personnes trans, à ceci près que les endocrinologues prescrivent souvent spontanément des castrateurs chimiques pour les MtF. Il est souvent difficile d’arriver à exprimer au médecin qu’elles n’en souhaitent pas, et plus difficile encore à lui faire comprendre qu’elles se ressentent femmes tout en souhaitant avoir une vie sexuelle. C’est encore plus difficile pour celles qui utilisent leur pénis. C’est également vrai chez les hommes trans qui souhaitent par exemple obtenir par leur médecin une crème leur permettant de pouvoir lubrifier leur vagin. Rares sont les médecins prêts à entendre de tels discours. Il résulte de cette attitude constatée chez beaucoup de médecins une honte des personnes trans de parler de leur sexualité et une crainte de consulter.
V- Vous avez aussi diffusé les résultats d’une enquête lors du T.dor en 2011[14] et quelques résultats nous intéressent. On remarque que la proportion d’asexuels est basse, loin du « dégout du sexe » défendu par les protocoles….
Comme indiqué plus haut, ce préjugé que les personnes trans ne souhaitent pas avoir de vie sexuelle dépasse le cadre des équipes protocolaires et est assez répandu dans l’ensemble du corps médical. Cette croyance au sein des équipes protocolaires, ainsi que le message inculqué aux personnes trans revêt cependant un intérêt tout particulier pour ces équipes. Les techniques de chirurgie de changement de sexe génital (vaginoplastie, phalloplastie, métaoidioplastie) sont en effet bien moins maîtrisées en France que dans d’autres pays. En particulier le raccordement des nerfs, la sensibilité de l’organe et la capacité à avoir des orgasmes après l’opération ne sont, selon les témoignages des personnes ayant été opérées, pas aussi efficients en France que dans d’autres pays. Il y a quelques années, une MtF qui allait faire pratiquer une vaginoplastie en France nous a dit avoir demandé au chirurgien de l’équipe protocolaire si elle pourrait avoir des orgasmes après l’opération. Elle s’est vu répondre: “Oh! Vous savez, l’orgasme chez les femmes, c’est surtout dans la tête…”. Ceci montre clairement tout à la fois une conception sexiste du droit au plaisir chez les femmes, un mépris de la demande de la patiente et finalement un aveu d’une technique non maîtrisée doublé d’un désintérêt dans l’amélioration des performances.
Notre étude a montré un taux d’asexuels de 7,5%, probablement bien plus faible que ceux préjugés par certains médecins. Ce résultat est cependant complexe à interpréter. Notre pré-rapport n’accorde que deux pages sur 32 à l’orientation sexuelle. Notre rapport complet apportera plus de précisions sur les changements d’orientation sexuelle au cours de la transition, les différences entres les orientations sexuelles et sentimentales, l’orientation et l’attirance et sur la complexité des réponses données. Ainsi, si 7,5% de personnes se définissent asexuelles avant leur transition, il n’y a en fait que 2,0% de personnes qui se définissent asexuelles et qui déclarent simultanément n’éprouver d’attirance sexuelle pour personne. Le taux des répondants n’éprouvant aucune attirance sexuelle avant leur transition, indépendamment de l’orientation sexuelle déclarée est de 3,8%. On voit donc ici sur la simple question de l’asexualité que le lien entre l’attirance sexuelle et l’orientation sexuelle n’est pas aussi direct ni simple qu’on pourrait le penser de prime abord. On est typiquement dans des situations où une approche prenant en compte les spécificités propres des personnes trans est indispensable, des raccourcis simplistes étant généralement faits dans les documents de réduction des risques prévus pour les personnes bios.
VI- Vous montrez également dans cette étude qu’il y a autant de garçons trans’ que de filles trans’ : en a-t-on fini avec l’invisibilité des FtM ?
Depuis les années 60 des études présentent un ratio de 3 MtF pour un FtM. Ce ratio varie cependant entre 1 et 3 suivant les études, les pays, les époques, les approches des auteurs. Certaines études montraient déjà un ratio proche de 1 il y a plusieurs années. Les premiers résultats de l’étude de l’INSERM[15] publiée en novembre 2011 conservent ce ratio de 3. On voit donc que cette question est loin d’être résolue. Cependant, l’invisibilité des FtM est liée à d’autres facteurs. De plus, il faut savoir de quelle invisibilité nous parlons: de la supposée absence de FtM de la scène publique, ou bien du fait qu’ils ne fassent que rarement l’objet d’une médiatisation. Concernant le premier point, rappelons que Tom Reucher et Armand Hotimsky ont été fondateurs de deux importantes associations trans, l’ASB et le CARITIG, en 1994 et 1995. Ils ont toujours été très investis y compris dans des actions publiques et participent encore maintenant à des conférences. Depuis le milieu des années 2000 on a également constaté la création de plusieurs groupes et associations constitués majoritairement de FtM, voire sans MtF (C’est pas mon genre, Pink Freak X, Outrans,…). Au niveau individuel, on a constaté ces cinq dernières années la multiplication de blogs et sites perso de FtM, auparavant plutôt rares. Au sein de Chrysalide, nous avons toujours attaché beaucoup d’importance à ce que l’équipe des accueillants comporte des FtM et des MtF. De fait, il y a globalement autant de FtM que de MtF accueillis.
La raison de l’invisibilité est donc plutôt à chercher du côté des médias. Longtemps ceux-ci se sont intéressés quasi exclusivement aux MtF, considérées comme plus “spectaculaires” par les journalistes et plus “vendeuses” par les lignes éditoriales. Nous avons cependant pu constater une progression croissante du nombre de reportages consacrés aux hommes trans ces dix dernières années ainsi que du nombre de personnages FtM dans des fictions (films et séries).
Reste que dans l’imaginaire collectif, les trans évoquent essentiellement les MtF. Nombre de FtM nous rapporte d’ailleurs que lorsqu’ils font leur coming out auprès d’amis, de leur employeur, ou lors d’une consultation médicale, ils se voient confrontés à des réactions montrant que leur interlocuteur pense qu’il s’agit d’une MtF, telles que “mais pourquoi veux-tu devenir une femme?” ou “ah bon? je ne savais pas que tu étais un homme avant.” selon le passing.
VIII- Par contre, l’orientation sexuelle comme l’identité de genre, comprennent des cases « ne se définit pas ». Comme dans l’enquête d’Alain Giami on retrouve ces populations Ft* ou Mt*. Sont-elles les nouvelles minorités de la « communauté » trans’?
Si les termes Ft*/Mt* sont relativement récents puisqu’apparus en 2009, les identités qu’ils expriment ne sont pas nouvelles. Ainsi, les termes FtX/MtX, FtU/MtU, indetérminé, agenre, intergenre, genre alternatif, queer, transgenre, et bien d’autres encore ont permis aux personnes ne se reconnaissant pas dans les termes utilisés traditionnellement d’exprimer leur identité de genre par un vocable. Bien évidemment, l’identité étant une notion individuelle, chaque personne apportera un sens différent à chacun de ces termes. Cependant, en considérant qu’on désigne par Ft*/Mt* l’ensemble des personnes trans qui ne se reconnaissent pas dans un genre supposé être celui de la destination de leur transition, on voit donc que ces identités ne sont pas nouvelles. D’ailleurs, beaucoup de personnes qui se définissent maintenant MtF/FtM voire femmes/hommes ont pu à un moment de leur vie ne pas avoir une identification aussi claire. Il existe aussi des personnes qui se sont définies de manière plutôt binaires pendant ou après leur transition et qui s’identifient par la suite comme FtX/MtX. Se questionner sur son genre, faire une transition, expérimenter socialement la vie dans les deux genres traditionnels amènent nécessairement à remettre en question nombre de conceptions considérées comme intangibles par les personnes n’ayant jamais eu à réfléchir à leur pertinence. Il est toujours très intéressant de voir la réaction des gens à qui je demande parfois “En dehors de votre physique, comment savez-vous que vous êtes un homme/une femme?”. Leur visage exprime généralement l’étonnement ou la stupéfaction, suivis de l’amusement du constat de ne pouvoir apporter une réponse rapidement à cette question pourtant en apparence simple. Certaines personnes avouent n’avoir aucune réponse à cette question et sont souvent troublées de l’admettre. D’autres apportent quelques timides hypothèses. Rares sont finalement les personnes pouvant apporter une réponse ferme à laquelle ils se tiennent après quelques minutes d’échange. La société occidentale actuelle est basée sur la distinction binaire des hommes et des femmes, et il suffit en réalité de quelques questions à une personne ou à un groupe de personnes pour faire toucher du doigt la fragilité de ces bases.
Les personnes trans dérangent parce qu’elles remettent en question le caractère essentiel du sexe ainsi que la superposition du physique, du biologique et du psychisme. Cependant, une personne trans qui à l’issue de sa transition revient dans une norme attendue par la société rassure: elle rentre dans le droit chemin en quelque sorte. Il est d’ailleurs à noter qu’encore aujourd’hui les reportages ainsi que les personnages de fictions ont quasi uniquement ce type de profil: tel reportage suivra par exemple une femme trans jusqu’à sa vaginoplastie “qui lui permettra de devenir enfin une vraie femme”, tel autre s’intéressera à un homme qui bénéficiera de son changement de papiers d’identité lui permettant définitivement de faire table rase du passé. Ces reportages, dont sont friandes les chaînes de la TNT, se terminent chaque fois sur une happy-end pour le téléspectateur qui se sent finalement rassuré sur le personnage de l’émission mais surtout sur lui-même. En dehors de quelques rares documentaires généralement faits par des personnes connaissant bien le sujet, les personnes possédant un genre non binaire, multiple, variant, indéfini, sans importance, ne font pas l’objet de médiatisation. Mais ces personnes ne sont minoritaires que parce qu’elles sont finalement infimes à avoir réfléchi sincèrement à leur genre.
IX- On voit enfin, comme le souligne la conclusion de l’enquête d’Alain Giami, que les protocoles restent marginaux dans les parcours trans : vous révélez par exemple que les informations sont prioritairement prises via le net ou des associations : en tant qu’association trans’, qu’est ce qui, selon vous, fait encore tenir le monopole des protocoles ?
Tout d’abord, clarifions les choses : les équipes protocolaires n’ont pas le monopole du parcours de transition des personnes. Rien dans le code de santé publique ne permettrait d’imposer à une personne de consulter exclusivement des praticiens d’équipes protocolaires.Pourtant, beaucoup de médecins refusent de suivre des personnes trans et les redirigent vers les protocoles. Le rapport de la HAS publié en 2009 a d’ailleurs considérablement aggravé cette situation, nombre de médecins qui acceptaient précédemment de suivre des personnes trans se sont retranchés derrière les préconisations de ce rapport pour justifier l’arrêt de leur consultations, affirmant soit suite à une mauvaise interprétation du rapport, soit par mauvaise foi, qu’ils n’avaient plus le droit de les recevoir.
Si les équipes protocolaires sont largement décriées par les associations depuis de nombreuses années du fait de leur comportement vis à vis des personnes et de leurs critères discriminatoires déterminant qui a le droit de faire une transition, elles jouissent cependant d’une réputation au sein du milieu médical, et bénéficie donc de leur réseau.
Les personnes ne disposant pas d’une information suffisante ou n’arrivant pas à trouver de médecin compréhensif n’ont donc pas d’autre choix que d’essayer d’intégrer un protocole.Là où l’état a mis en place un monopole de fait, c’est en n’indiquant aucun tarif relatif aux opérations de changement de sexe génital dans la CCAM, ce qui empêche tout chirurgien libéral de percevoir une rémunération pour les actes pratiqués, et par des montants dérisoires pour les établissements privés qui proposeraient de telles interventions. Dès lors, en France, seuls les chirurgiens des équipes protocolaires effectuent des vaginoplasties, phalloplasties et, depuis 3 ans seulement, des métaoidioplasties. Bien sûr, il reste possible aux personnes de faire pratiquer ces interventions en Belgique en bénéficiant d’un remboursement, mais la complexité des démarches et le prix à avancer intégralement rebutent. Il est également possible de se faire opérer hors Union Européenne, mais les remboursements sont rares et donc seules les personnes les plus fortunées peuvent se le permettre. On constate ainsi de plus en plus de personnes qui effectuent une transition dans le libéral, puis qui intègre une équipe protocolaire après quelques années parce qu’elles n’ont pas les ressources financières leur permettant de bénéficier d’une opération à l’étranger.
Cependant, il est clair que les équipes protocolaires telles que nous les connaissons ne pourront perdurer très longtemps. Les trans se sont émancipés, structurés. L’idéologie véhiculée par ses équipes n’est plus viable. Ils s’en rendent d’ailleurs compte eux-mêmes en tentant depuis deux ans d’harmoniser les protocoles des différentes équipes et de supprimer certains critères de discriminations interdits par la loi tel l’homosexualité des personnes. Il est cependant trop tard et ces équipes, de même que l’ère de la psychiatrisation des transidentités, touchent à leur fin.
X- Quels sont les prochains projets, ou activités, de Chrysalide ?
Nous souhaitons publier cette année deux nouveaux guides. L’un sera destiné à faire s’interroger les lecteurs sur la notion de genre, le second sensibilisera le grand public à la transphobie. Contrairement aux guides précédents, il ne s’agira pas de guides donnant directement des informations pratiques. Nous allons aborder ces deux thèmes d’une manière originale afin de toucher des personnes qui ne s’intéressent justement pas à ces questions. Le second guide sera d’ailleurs adapté en application pour smartphones. Nous restons également mobilisés sur les questions de santé en travaillant sur une étude portant sur la prise de produits actifs chez les personnes trans. Nous allons également poursuivre le développement des formations que nous avons mises en place l’an dernier, qui permettent d’informer des associations et professionnels du monde médicosocial sur les transidentités en abordant entre autres le genre, l’emploi, la santé sexuelle, l’accueil des personnes trans. Nous aimerions également mettre en place une plateforme destinée à récolter des informations sur l’histoire trans. Les jeunes générations n’ont souvent pas conscience des luttes passées, des difficultés à faire bouger les lignes. Or, nous pensons que pour pouvoir travailler efficacement, il faut se baser sur des choses déjà construites, et ne pas sans cesse réinventer la roue.
Pour finir, nous travaillons en ce moment sur la plateforme ‘Transidentités 2012’ qui permet de faire le point sur les revendications trans au sein des élections présidentielle et législatives.
[1] Fondée par Marie André Schwidenhammer, http://www.hexagonegay.com/Schwidenhammer.html
[2] http://paris70.free.fr/gazoline.htm
[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Caillavet
[4] http://www.existrans.org.
[5] http://transencolere.free.fr/gat/questcequegat.htm
[6] http://www.sts67.org/
[7] http://sans.contrefacon.free.fr/Les_DVD_SC.html
[8] http://www.mutatismutandis.info/
[9] http://www.transidentite.fr/ressources.html
[10] http://www.ftmvariations.org/archivestrans/
[11] http://chrysalidelyon.free.fr/transidentites2012/
[12] http://chrysalidelyon.free.fr/gatf/
[13] http://outrans.org/commission-sante/dtc
[14] http://chrysalidelyon.free.fr/sondage_sante2011.php
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