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Journée d’études
Comment classifier/déclassifier sans stigmatiser ? Troubles du genre et de la sexualité

 

  Principe de la journée. Une rencontre en vue d’une réécriture de la CIM à la suite de la proposition du DSM entre les praticiens, chercheurs, enseignants et associations trans pour la dépsychiatrisation du transsexualisme tout en maintenant la prise en charge et le principe d’une médicalisation régulatrice des identités trans non limitée au seul transsexualisme (entendu dans son sens de « changer de sexe »). Le principe d’interventions écrites et orales a été adopté, suivi par des moments de discussion.

L’équipe de travail formée autour d’un axe de travail sur la stigmatisation dans le champ de la prise en charge médicale et médicolégale.

Structures présentes : CCOMS (Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS Lille, France) ; le CERMES3 – Équipe Cesames (CNRS-Inserm-Université Paris Descartes-EHESS).

Liste des intervenantEs : http://blogs.univ-tlse2.fr/corpsetmedecine/2010/12/06/journee-detudes-comment-classifierdeclassifier-sans-stigmatiser-troubles-du-genre-et-de-la-sexualite/


Pour rappel. 
Première rencontre à Nice

(http://www.polychromes.fr/IMG/pdf/nice_stigmaqueer.pdf). Débat co-animé par Patrice Desmons et Marie-Joseph Bertini (pour une discussion des tenants de ce débat, http://pholitiques.fr/numero3/Seminaire_du_3_octobre_2005.html).

Interventions, M-Y. Thomas, Tom Reucher, Karine Espineira (http://natamauve.free.fr/Stima-queer/Stigma-q-thomas.html)

La rencontre de Paris a été précédée d’un échange de textes entre les différentes intervenantEs ; une rencontre à Lille dans le cadre du 8ème festival Ô Mots (centre LGBT de Lille, http://www.lesflamandsroses.com/article.php3?id_article=205)

 

Résumé :

– une grande rigueur réflexive et de solidarité des différentes formes de transidentités présentes pour une réappropriation des trajets de vie par les concernées (notons toutefois dans l’exposé d’Alain Giami, la distinction qu’effectue TransAide, transsexe contre transgenre, binaire vs queer, sur le modèle des « vrais et faux » trans’) ;

– une réponse de la part des deux représentantes de la Sofect (M. Bonierbale, C. Chiland) campée sur la situation actuelle de psychiatrisation et dépendance d’un diagnostic par le –la- seulE psychiatre de l’équipe et pour les seulEs transsexes ;

– une grande ouverture méthodologique de la part de l’OMS quant aux stigmatisations inhérentes à une classification par les termes de « maladie mentale » et « troubles » (http://www.med.univ-rennes1.fr/noment/cim10/cim10-c5.c_p0.html).

Nous avons toujours accordé une grande attention aux plus démunies, considérant que désormais plus de 80% de la population trans’ trouvent une régulation personnelle à leur forme d’identité. Nous nous posions donc cette question : La déclassification de la transsexualité dans la CIM est-elle un danger pour les trans’ pauvres et de certains pays?

 

Qu’avons-nous abordé faute de …

Vincent Guillot a rappelé que nous ne nous positionnions pas comme des « usagers » ou une « association d’usagers » mais comme des « associations (ou représentantEs) de trans ». La question du positionnement du militantisme l’est en raison du blocage de la situation et était donc prévalente dans la discussion. Nous estimons que la production de la stigmatisation dans le champ de la prise en charge est responsable d’une partie de nos problèmes. Cette orientation de la rencontre conditionnait la demande d’une dépsychiatrisation totale du transsexualisme en Europe en maintenant les conditions de prise en charge socioéconomique pour les personnes dans une transition « trans » (quelque soit cette transition, transsexe, transgenre, intergenre ou whatewer).

Il a été rappelé que les conditions de la prise en charge par l’instance médicolégale (associée à la « psychiatrie médico-légale ») l’étaient de par les conditions, préjugés, stigmatisations et ignorances dans notre société. Ces conditions ont changé pour partie mais non les tenants de la prise en charge dans le domaine de la psychiatrie « médico-légale ». Son maintien sur un mode de contrôle de cette population (les seulEs transsexes) s’expliquent par ce contexte de stigmatisation alors que plus rien ne soutient l’idée même de trouble et/ou de maladie. C. Chiland psychanalyste et Présidente d’honneur du projet Sofect et M. Bonierbale, psychiatre de l’équipe de l’hôpital Ste Marguerite-Marseille) et directrice du projet Sofect (association loi de 1901 crée dans le but d’être désigné comme centre de référence pour les prises en charge de la transidentité en France) nous ont largement exposé leur point de vue de « médecin-psychiatres » et maintenu la prise en charge dans ce contexte malgré toutes les analyses et déconstructions opérées par les associations trans et plus largement le champ théorique et culturel queer (LGBTIQ). Le fait est que, dans un contexte de focalisation, la décision est transférée de la personne dans un trajet de vie au médecin-psychiatre qui décide seul.

L’hypothèse d’une « maladie (ou trouble) mentale » est désormais intenable et le contexte d’une visée thérapeutique ne peut s’effectuer sans l’avis et la vie concrète des intéresséEs. Nous avons rappelé que, désormais, à peine 10 à 20% de la population transsexe (plus de 80% effectuent leurs opérations à l’étranger sans suivi ou un suivi hors équipe hospitalière comme c’était le cas avant 1980) étaient suivis dans le cadre des équipes hospitalières mais les 100% de cette même population subissaient les conditions de stigmatisation sur une hypothèse fausse, une absence de suivi (au sens de la psychanalyse). La « souffrance » que cet avis mobilise vient pour l’essentiel 1/du sentiment d’isolement, les ruptures additionnelles, la vindicte publique et plus largement des conditions de vie pour les plus pauvres de cette population ; 2/ du discours mis en place par J. Breton et R. Küss (« souffrance cliniquement significative ») vingt ans auparavant. Ces tenants psychosociologiques s’estompent désormais mais reste l’écueil de la pauvreté qui n’a d’autre solution que d’accepter ce type de suivi (transsexes et intersexes). Or les attendus et positionnements de la Sofect soufflent le chaud et le froid en permanence. Le dossier commence par le titre, « Le refus du piège politique » en réponse à l’annonce de R. Bachelot sur la dépsychiatrisation ; affirmation d’une « démarche d’évaluation et déni de la demande principale de la dépsychiatrisation comme étant un « faux problème » et l’analyse des associations concernant le « test de vie réelle » avant le début de l’hormonothérapie, demandé par la HAS (L’ODT publiera un article complet sur ce dossier au cours de l’année).

L’interrogation sur les tenants et conditions de la reclassification des variations de genre, intersexes inclus, sont nécessaires pour éclairer le cadre sociétal dans son ensemble, faire des propositions cohérentes avec toutes les parties. Nous estimons qu’ils ne relèvent pas d’une « transition médicale » mais de « trajectoires de vie » incluant une médicalisation et les modalités du changement d’identité devant être appréciée conjointement par les personnes concernées et les praticiens dans un climat de dialogue et de confiance. Mais comment l’apprécier dans un contexte de tranchées et un tel déni ?

Nous avons exposé une double lecture, « binaire » et « queer », des transidentités afin que le cadre culturel, support concret de nos existences, soit posé et explicité. Il ne va en effet toujours pas du tout de soi que cette différence de nature culturelle propose des modes distincts de lecture et de représentations de soi, de gestion/régulation des identités et des transitions. D’un pays à l’autre, d’une famille à l’autre, d’une équipe à l’autre, les lectures, contextes et relations varient. Le contexte queer permet des déplacements dans le curseur de genres sans limitation, ni point de butée (intersexes compris) et donc une plus grande labilité/autonomie dans la construction du self ; chose encore relativement malaisée dans un contexte binaire ou la transition engage souvent encore un contexte de désocialisation, d’isolement et donc de souffrance ; par ailleurs un tri entre les différentes formes de transidentités. Eric Macé a centré son exposé sur les changements socioculturels actuels, déstabilisant le mode de contrôle des codifications binaires et avec lui, les conditions de la stigmatisation des identités tiers, en particulier dans le champ de la prise en charge où elle est particulièrement concentrée et indiscutée, marquée par une hiérarchie verticale et une absence totale de dialogue apaisant. La déstigmatisation est donc liée pour partie à la dérigidification de cette hiérarchie sociale trans/praticiens que nous avons remis en cause. Nous nous sommes donc présentéEs en tant que chercheurEs, en sus de la position assumée « d’associations de trans ». Le positionnement de « médecin psychiatre » de M. Bonierbale a donc constitué un moment d’écueil intense dans ce contexte jusqu’à son point de rupture en refusant d’écouter nos propositions et l’analyse que nous faisons des conditions de la prise en charge.

Outre nos exposés, nous avons discuté de nos propositions quant à la réécriture/reclassification du CIM dans le cadre et à l’initiative de l’OMS, suite à la réécriture programmée du DSM. Le contexte culturel (binaire et queer) semble être relativement acquis aux USA dans un contexte de privatisation de l’offre et pour les personnes aisées. La France accuse toujours un retard dans la réflexion sociétale et l’accompagnement des personnes trans’ alors que les associations ont poursuivi un travail de réflexion en direction des personnes altersexuelles –ou altergenres- (transidentités, personnes intersexes…).

La proposition américaine inclut en effet dans ses attendus les personnes dont le « genre vécu n’est pas associé (« congruent »1) avec le genre assigné » et les transitions pourraient inclure les identités dites transgenres (présentées dans le document du DSM comme étant d’un « tout autre genre alternatif ») mais qu’en est-il de la réponse juridique et-ou administrative pour les papiers d’identité ?

Notons que le contexte américain (USA, Canada) de la privatisation de la prise en charge dans un contexte libéral, également présent en Europe, favorise uniquement les trans’ les plus riches. Ce contexte de « terrain » doit être désormais pris en compte dans le travail de réécriture/propositions concrètes car très proche du vécu des individus.

1. Nous notons que le terme « congruent » contient la même charge négative que le terme « trouble » : en gros, tu es « incongruent », tu as un problème. Il faudra être « congruent » pour être cisgenre (« normal » ou saint d’esprit ?), c’est en tout cas ce que cela risque de produire.

 

Que n’avons-nous pas abordé faute de …

Ce que nous vivons faute de places, identifications, résistances, discriminations, humiliations… Nous l’avons résumé sous le nom-titre à l’allure de statut/statue de « stigmatisations » ne résumant rien et voulant tout dire, tout résumer, tout condenser… et finalement, tout louper ? Un exercice du pouvoir renversé dans une arène de ce savoir/pouvoir analysé par Michel Foucault, Deleuze et Guattari tant méprisé, rejeté par cette phrase-résumé de M. Bonierbale : « les opinions ne nous intéressent pas ». Superbe affirmation d’un pouvoir masqué derrière du savoir, ce « monopole psy ». Nous avons essentiellement travaillé la question de la dépsychiatrisation et reclassification sans démédicalisation en Europe et n’avons pas abordé la question des pays non-occidentaux. Pourtant, la question du contexte culturel est prééminente : les trans’ de pays, considérés comme pauvres vivent mieux que bien des trans’ « occidentaux » et les transsexuelLEs iranienNEs, les trans’ indienNEs ou les thaïlandaiSEs (entre autres) transitionnent avec moins de difficulté que dans bien des pays d’Europe. Mais dans le même temps, dans certains de ces pays comme l’Iran, l’on semble “accepter” le transsexualisme en condamnant l’homosexualité et pourchassant les changements de genre. Ici comme en France, le changement de genre ne semble vouloir être toléré que sous conditions de psychiatrisation et changement de sexe, ce qui tend à produire plus de transsexe qu’il n’y en a. Cette réalité est connue et bien repérée : pourquoi aucune proposition n’émane de cette analyse ? Le recul de la France en ce qui concerne le changement de papiers pour les transgenres donne le ton de ce conservatiste social, suivant là le déni d’existence envers la population homosexuelle. Nous notons également que la question trans’ est une question de classe : UnE trans’ bien né n’aura pas de problème hormis dans certains pays que ceux-ci aient ou non ratifié la charte de l’OMS. Il s’agit donc bien d’une problématique d’émancipation. Ce qui démontre que c’est la culture d’un pays qui fait la différence et non une quelconque théorie médicale et pathologisante sur certains types d’identités.

Nous n’avons évidemment pas tout dit faute de temps mais au moins avons-nous souligné ce climat de camps retranchés, jamais en dialogue alors que, dans le contexte annoncé d’un « suivi thérapeutique » il est nécessaire et surtout, selon les termes mêmes de la psychanalyse, constituant la condition première d’une résolution humaine. Pour l’essentiel, cette absence de dialogue et ce conflit désormais permanent (C. Chiland ne cesse désormais d’opposer « trans anonymes » vs « trans militants ») composant un « bouclier thérapeutique » (K. Espineira). Cela dit (toujours dans les termes de la psychanalyse) le contre-transfert subjectif et culturel. En un mot, une transphobie niée pour la défense d’un poste. Pendant que l’Europe et les USA continuent à pathologiser ces identités, le Népal vient de créer un précédent culturel majeur en créant un « troisième genre » administratif (http://yagg.com/2011/01/12/le-nepal-cree-un-troisieme-genre/). Une autre solution est donc possible mais cela engage une décision politique.

Faire perdurer la classification sous ce prétexte est un danger pour tout les trans’ quelle que soit leur origine et n’est qu’une vision ethnocentrique, raciste de la question trans’ ou nous, les bons blancs, apporterions LA solution à la protection des trans’ des pays pauvres.

 

Propositions

1. Le cadre général.

Essentiellement, ce travail de dépsychiatrisation/déstigmatisation et les besoins de soins et accompagnements éventuels demandés par les personnes et non imposés dans un cadre (psychiatrie ou autre). L’ouverture manifeste du représentant de l’OMS représenté par Mr Geoff Reed, (Chef de Mission pour la Révision de la CIMX, Dpt. de Santé Mentale et des Abus des Substances – OMS, Genève), incluant les associations et représentants trans’ a permis d’élargir le débat pour une prise en charge dans un cadre de la « santé globale de la personne », distinct du contexte des « maladies et troubles mentaux du comportement et de la sexualité » tel que le CIM-10 et le DSM-4 l’ont inscrit explicitement ;

Dr Geoffrey Reed, psychologue clinicien, a dit dans son intervention de clôture en résumé :

– Plusieurs possibilités de classifications sont possibles (en dehors de la psychiatrie) pour l’identité de genre et la sexualité : les placer dans d’autres chapitres ou en créer un nouveau afin de maintenir une prise en charge des soins et un remboursement.

Il n’est pas possible pour l’OMS de ne pas tenir compte du rapport de Thomas HAMMARBERG, Droit de l’Homme et identité de genre, octobre 2009, traitant de la question du respect des personnes (https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH/IssuePaper(2009)2), qui représente l’avis de l’Europe. L’OMS n’a aucun intérêt à maintenir le système tel qu’il est, elle attend des propositions.

1-    Qui ? la plupart des personnes sont suivis par des praticiens hors-équipe hospitalière, trans’ et intersexes : comment les intégrer dans un dispositif large ?

2-    La prise en charge. Ces suivis hors-équipe doivent pourvoir bénéficier des mêmes accords avec les CPAM, ce qui peut faire l’objet d’une consultation générale ;

3-    Les changement de prénom, nom et mention de sexe, trans’ et intersexes, voire simplement de genre ou la création administrative d’une « troisième genre »  : tribunal des Affaires Familiales ? Étendue à toutes les personnes transidentitaires à leur demande et à l’appui de leur suivi (quel qu’il soit) ;

Le groupe de travail en synergie avec le CCOMS et CERMES3 fera donc remonter des propositions à l’OMS début 2011.

Proposition du DSM IV disponible sur le site de l’APA (www.dsm5.org  – traduction, Arnaud Alessandrin)

 « Trouble de l’identité de genre »

  •  Une non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues d’au moins 6mois et qui se manifeste par au moins deux des indicateurs suivants :
  •  Une non concordance de genre marquée entre les expériences de genre vécues et les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires.
  • Un désir fort de se débarrasser des caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’un des deux sexes du fait d’une non concordance marquée entre l’expérience de genre vécue et le genre assigné.
  • Une attirance forte pour les caractéristiques de l’autre sexe.
  • Un désir fort d’appartenir à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné
  • Une volonté forte d’être reconnu comme appartenant à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné
  •   La conviction d’avoir des réactions et des sentiments appartenant à l’autre genre ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné 

L’ODT publiera fin janvier les articles des intervenantEs : Eric Macé, Tom Reucher, Vincent Guillot, Maud-Yeuse Thomas, Arnaud Alessandrin. Cette journée fera l’objet d’une publication d’un numéro spécial de l’Information psychiatrique qui publiera, outre les auteurEs citées, les interventions des autres membres de cette journée, Colette Chiland, Karine Espineira (Transidentité : de la théorie à la politique), Alain Giami.

Rédaction : l’équipe de l’ODT avec la lecture des intervenantEs. Nous notons que nous n’avons pas demandé l’avis aux membres de la Sofect.