Observatoire Des Transidentités

Alessandrin Arnaud, Karine Espineira et Maud Yeuse Thomas

 

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Droit des trans :
La CNCDH pousse la France à avancer

 

Ce mois-ci, l’Observatoire Des Transidentités chamboule un peu son programme habituel pour faire un retour sur l’avis rendu par la CNCDH concernant les personnes trans. Saisie par le ministère du droit des femmes et le ministère de la justice, la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) vient de remettre un avis sur la question trans. Dans un rapport remis le 27/06/2013 au gouvernement, la CNCDH [1] incite la France à faire entrer dans le droit la notion « d’identité de genre » et à prendre des mesures facilitant les démarches juridiques de changement d’état civil pour les personnes trans. Le communiqué est sans appel : « Consciente de la situation extrêmement précaire et des discriminations notoires dont font l’objet les personnes transidentitaires, la CNCDH s’inquiète tout d’abord de la grande vulnérabilité sociale de cette catégorie de la population, trop souvent stigmatisée. ».

Résumons les propositions de la CNCDH :

1- L’introduction dans la loi du critère d’« identité de genre »

2- Une démédicalisation totale de la procédure de modification de la mention de sexe dans l’état civil.

3- Une déjudiciarisation partielle de la procédure.

Retrouvez l’ensemble de l’avis sur :
http://www.cncdh.fr/sites/default/files/avis_cncdh_identite_de_genre_27_juin_2013_1.pdf

 

La reconnaissance de l’identité de genre comme motif de discrimination

Après un long débat concernant le mariage pour tous, la question trans sera-t-elle, elle aussi, défendue par le gouvernement ? C’est du moins ce que demande la CNCDH qui préconise d’abord de faire entrer la notion « d’identité de genre » dans le droit français. Les principes de Jogjakarta (http://www.yogyakartaprinciples.org/principles_fr.pdf), définissent l’identité de genre comme « faisant référence à l’expérience intime et personnelle de son genre » qu’elle « corresponde ou non au sexe assigné à la naissance ». C’est-à-dire qu’on se construit tou(te)(s) une identité en fonction du sexe auquel on s’identifie mais aussi en fonction du genre qui nous correspond le mieux. Cette « identité de genre » doit être distinguée de la sexualité, souligne l’avis de la CNCDH et ne peut se résumer sous la forme « il existe des garçons masculins et des filles féminines » mais plutôt « qu’il existe autant de formes et d’expressions singulières de son genre qu’il y a d’individus ». En Juillet 2012, la loi française reconnaissait le critère de « l’identité sexuelle » comme motif de discrimination [2]. Fortement contestée, cette notion est remplacée, dans l’avis de la CNCDH, par le terme d’identité de genre, reconnu dans le droit international [3]. Ce faisant, le conseil ne met pas en avant une position théorique mais éthique, dans la droite ligne d’un droit des personnes et d’une lutte contre les discriminations.

Un changement d’état civil facilité

Jusqu’à présent, et sauf exception jurisprudentielle, les requérants au changement d’état civil devaient apporter la preuve d’un syndrome de « dysphorie de genre » et d’une modification corporelle définitive. Cette dernière était souvent entendue par les tribunaux comme révélant d’une opération de réassignation chirurgicale. Cette injonction à la psychiatrisation et à la stérilisation pour l’obtention d’un changement d’état civil est, elle aussi, mise en cause dans le rapport de la CNCDH qui préconise un changement simplifié d’état civil pour les personnes trans. Ainsi, propose-t-elle que le changement d’état civil se fasse en présence de témoins et non plus sur un argumentaire médical. De plus, elle préconise que ce changement d’état civil ne soit plus corrélé à une exigence de modification chirurgicale, soit de stérilisation. Ce faisant, la CNCDH retient l’une des principales revendications du mouvement trans [4], qui réclame la démédicalisation du changement d’état civil depuis bien longtemps [5]. Elle écrit : « Le système repose en son entier sur une construction jurisprudentielle, ce qui contribue à rendre la situation des personnes trans identitaires souhaitant obtenir une modification de leur état civil particulièrement précaire et difficile » (p.4), soulignant par là même la nécessité d’harmoniser le traitement des justiciables trans sur l’ensemble du territoire et de lutter contre la précarité des personnes trans face au logement ou à l’emploi. Notons aussi que pour légitimer sa demande de démédicalisation de la démarche de changement d’état civil, la CNCDH reconnait l’ambiguïté du terme d’ « irréversibilité de l’apparence », tant d’un point de vue social que médical, qui laisse une trop grande pat de jugement subjectif des cours face aux requérant.e.s.

Les associations restent vigilantes

Néanmoins les associations trans restent vigilantes. Le précédent, en 2009, de l’annonce de dépsychiatrisation par Roselyne Bachelot, reste dans les mémoires [6]. De plus, la déjudiciarisation du changement d’état civil reste incomplète, là où certaines associations auraient souhaité que le changement de la mention du sexe sur l’état civil puisse simplement être réalisé en mairie. En effet la CNCDH, parmi les diverses options envisagées (dont celle de la déjudiciarisation totale), souligne que le changement d’état civil pourrait s’effectuer en deux temps : « d’abord une déclaration auprès d’un officier d’état civil, avec production d’au moins deux témoignages attestant de la bonne foi du requérant, la qualité de ces témoignages devant faire l’objet d’une attention particulière. Ainsi, ils ne devront pas émaner de personnes ayant un lien d’alliance, de parenté ou de subordination avec le requérant. Cette première démarche devrait ensuite être contrôlée et validée par un juge du siège grâce à une procédure d’homologation. La législation encadrant le changement de sexe à l’état civil devrait alors spécifier deux éléments : d’une part, les délais dans lesquels l’homologation doivent avoir lieu, afin de garantir la rapidité de la procédure; d’autre part, les motifs pour lesquels le juge est en mesure de refuser l’homologation pour ce genre de requête, ces motifs devant être explicitement limités au caractère manifestement frauduleux de la demande et au manque de discernement du requérant ».

A ce stade, nous sommes en mesure de ce demander où se placera le curseur du « manque de discernement du requérant ». C’est pourquoi certains militant.e.s restent vigilants quant à l’application concrète de ces avis. Aussi, ces avancées ne concernent nullement la question médicale : en France, aujourd’hui, les protocoles de changement de sexe ont toujours des pratiques excessivement controversées. L’avis ne retient pas l’option d’une désexuation, non pas de l’Etat Civil des personnes, mais des papiers d’identités. En ce sens, de nouveaux débats tendent à être réouverts.

Reste l’inconnue manifeste de deux exceptions que ne manquent pas de souligner le texte, soit le  « caractère manifestement frauduleux de la demande » et le « manque de discernement du requérant ». Quelles pourraient être ces fraudes ? Que place-t-on sous le terme de manque de discernement ? Qui le dit ? Va-t-on transférer le contrôle du médecin-psychiatre au juge sans rien changer de ce qui sous-tend le contrôle des franchissements de genre en en maintenant la catégorisation en affection du travestissement bivalent (que le terrain a renommé transgenre) et  fétichiste ? Il est désormais patent que l’on contrôlait là les expressions identitaires dans ces franchissements de genre par le prisme des sexualités classées en normalité/déviance. Qu’en sera-t-il aujourd’hui ?

Catégories juridiques / catégories de vies

On notera enfin l’ouverture de la question sémantique concernant l’avis de la CNCDH qui rappelle au début de son rapport que : « Le terme de « transidentité » exprime le décalage que ressentent les personnes transidentitaires entre leur sexe biologique et leur identité psychosociale ou « identité de genre ». Cette notion englobe plusieurs réalités, parmi  lesquelles celle des transsexuels qui ont bénéficié d’une chirurgie ou d’un traitement hormonal de réassignation  sexuelle, celle des transgenres pour lesquels l’identité de genre ne correspond pas au sexe biologique et qui n’ont  pas entamé de processus médical de réassignation sexuelle ; celle enfin des queer qui refusent la caractérisation binaire homme/femme. Pour désigner l’ensemble de ces personnes, la CNCDH a choisi d’employer les termes génériques de «transidentité » et de « personnes transidentitaires », sauf quand sont cités des documents officiels (décisions de la cour de Cassation, circulaires, textes européens ou rapport de la Haute Autorité de Santé) qui emploient eux-mêmes les termes plus spécifiques de « transsexuels » ou « transgenres ».

Si l’on ne saurait se satisfaire de catégories divisantes, on est agréablement surpris de l’emploi du terme de « transidentité », que l’observatoire utilise par ailleurs.

 


Note à l’usage des lecteurs et lectrices ou de l’importance de la terminologie et de la citation comme des usages journalistiques.

La citation doit être reproduite textuellement, ce qui veut dire qu’on doit aussi retranscrire tel quel la ponctuation, les majuscules, les fautes, les coquilles ainsi que la mise en forme (gras, italique, souligné). Elle doit être entre guillemets (« ») ou en retrait. 

Quand nous utilisons le terme « transsexuel » et non celui de « transgenre » par exemple, c’est en respect de cette règle. Dans le cas présent, quand la CNCDH rend public ses recommandations relayées par un article du Huffington Post, nous citons « leurs » termes, c’est-à-dire ceux que ces sources mettent en avant. Suite à une tribune sur le NouvelObs.fr, il nous a été reproché l’emploi du terme « transsexuel », et en nous attribuant un éventuel acte de discrimination.

Deux choses entrent en ligne de compte. Les contributions de ce type voient les titres et les chapeaux modifiés par les journalistes maison. On devine que le mot « transsexuel » est bien plus accrocheurs et vendeur que « trans ». Dans quelques rares cas, une demande changement est acceptée et l’on s’en réjouit. Dans d’autres cas, c’est la sourde oreille qui est de rigueur.

Sur le fond du texte pour ce qui nous occupe ici, nous pouvons sous le format article ou auto-publication revenir sur ces aspects comme présentement. Dans le cas précédent, le lecteur et la lectrice doivent avoir à l’esprit que nous relatons des discours qui ne sont pas nôtre et interroger la source. Notre travail, pour le voir ainsi, consiste à tenter d’éclairer des faits et des discours avec des moyens qui ont leur propre grammaticalité et les règles de citation sont ce qu’elles sont avec ne l’oublions pas : l’objectif de protéger a source de toute déformation et altération.

Il est vrai que durant les deux jours qui ont suivi l’annonce des recommandations de la CNCDH, nous avons beaucoup lu le mot « transsexuel ». Interroger la source pourrait être une démarche de lecture appropriée et à interroger. 


Les principes de Jogjakarta (http://www.yogyakartaprinciples.org/principles_fr.pdf),

[1] http://www.cncdh.fr/fr/publications/concept-de-genre-la-cncdh-donne-son-avis

[2] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/593405-penalisation-de-la-transphobie-un-premier-pas-en-faveur-des-trans.html

[3] https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1498499

[4] http://outrans.org/lassociation/revendications

[5] http://karineespineira.wordpress.com/tag/existrans/

[6] http://www.citegay.fr/associations/254609@ceci-n-est-pas-une-depsychiatrisation.htm


Mise en ligne : 02/07/2013.