Tom Reucher
Psychologue clinicien, trans FtM,
Transidentité:
http://syndromedebenjamin.free.fr


 

Dépsychiatriser sans démédicaliser,
une solution pragmatique

 

1. Petit lexique

La médecine puis la société désigne les trans’ par des termes inadaptés: “transsexualisme”, “transsexualité”, “transsexuel”, qui renvoient à une question de sexualité. Ces termes sont issus d’une confusion entre l’attirance amoureuse et sexuelle et l’identité de genre en prenant comme modèle homosexualité et hétérosexualité.

Nous préférons parler de “transidentité” car c’est une identité. Transidentité au sens des identités trans’, qu’elles soient transsexes (plutôt que “transsexuelles”) ou transgenres. Le terme “transsexe” est construit sur le modèle “transgenre”. Nous disons les “personnes trans’” ou “les trans’” (avec une apostrophe) quand nous parlons des “personnes transsexes et transgenres”. Comme vous le savez, les trans’ peuvent être hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, asexuels… Nous n’utilisons plus “transsexualité” ni si possible “transsexualisme”, les deux étant remplacés par “transidentité”.

2. Problématique de l’identité de genre

Il s’agit d’un développement atypique ou d’une variation de l’identité de genre, non d’un trouble. Si seule une minorité de personnes présente cette variation du développement identitaire, cela n’en constitue pas pour autant une pathologie. Pas plus que la minorité des gauchers n’a un trouble de l’habileté sous prétexte qu’elle est moins nombreuse que la majorité droitière.

3. Dépsychiatriser la transidentité

Après la sortie de l’affection psychiatrique de longue durée pour une ALD hors liste, la France avait prévu de demander à l’OMS de dépsychiatriser la transidentité. Toutefois, avec le changement de gouvernement, nous ne savons pas si cette démarche sera poursuivie.

 3.1. Dépsychiatriser et démédicaliser

Dépsychiatriser ne suffit à pas à nombre de trans’ qui voudraient aussi la dépathologisation ou démédicalisation, c’est à dire la sortie de la Classification Internationale des Maladies et de tout autre manuel. Ils pensent que la prise en charge n’a pas besoin de lister la transidentité dans une quelconque classification de maladies, son remboursement ne devant être qu’une volonté politique. Si je suis d’accord sur le fond (ce n’est pas une maladie), je suis conscient que nombre de pays ne sont pas politiquement prêts à prendre en charge des problématiques qui ne sont pas considérées par l’OMS comme ayant besoin de soins (les traitements hormonaux et chirurgicaux sont des soins). La sortie de la CIM entraînerait la suppression de la prise en charge par les systèmes d’assurances maladies dans de nombreux pays alors que les traitements hormonaux et chirurgicaux sont très coûteux. C’est pourquoi je propose une solution pragmatique permettant l’accès aux traitements hormonaux et chirurgicaux pour les trans’ qui le souhaitent et qui n’ont pas les moyens de les financer. Rien n’empêchera les personnes qui veulent tout payer de continuer à le faire.

      3.2. Pourquoi dépsychiatriser

Depuis qu’elle existe, la psychiatrie a été utilisée par les états pour définir ce qui est “normal” ou pathologique, ce qui acceptable ou inacceptable. On a donc pathologisé ce qui ne convient pas à la morale, à la majorité, ce qu’on ne comprend pas et qui dérange, afin maintenir un certain ordre. L’homosexualité, l’autisme, la transidentité, certaines formes de pratiques sexuelles qui n’aboutissent pas à la procréation (BDSM [bondage, domination, soumission, masochisme], sodomie, jeux sexuels…), etc.

Cette fâcheuse habitude de classer dans les maladies mentales tout ce que l’on ne comprend pas ou qui dérange est à interroger.

Déclassifier la transidentité de la liste des maladies mentales ne veut pas dire démédicaliser. Les trans’ ont besoin de soins (hormones, épilation définitive, chirurgie…), d’accompagnement psychologique, ça ne veut pas dire qu’ils ont une maladie mentale. Par ailleurs, il est plus facile de faire un travail psychologique avec une personne quand elle n’est pas contrainte à consulter. Un travail psychologique sur la déconstruction des “normes”, de la honte de soi, du sentiment d’être une mauvaise personne, de ne pas être digne d’être aimé… est souvent utile. Une fois le problème de l’accès au traitement hormonal résolu, de nombreux trans’ n’hésitent pas à faire cette démarche.

Depuis plus d’un siècle, la psychiatrie n’a eu de cesse de trouver une réponse contre la transidentité. Après avoir essayé tous les traitements disponibles (cure de Sakel, comas insuliniques, électrochocs appelés maintenant sismothérapie ou encore électro-narcose, lobotomie, molécules neuroleptiques et neurochimiques, psychothérapies diverses y compris les aversives…) en combinaison ou en association, aucune piste causale ni thérapeutique ne se dégage. Si aucune thérapie psy n’a guéri une variation de l’identité de genre, les hormones et la chirurgie (pour les trans’ qui le souhaitent) améliorent considérablement leur vie depuis plus de 60 ans. Pourquoi leur refuser ce qui les aide le plus? Pourquoi vouloir contrôler les corps et les identités trans’?

Transférer la responsabilité de la décision du traitement à la personne trans’ plutôt qu’à un psy me semble être la piste la plus efficace. Quand les patients concernés sont mis en situation de décider de commencer le traitement qu’ils demandent dès qu’ils le souhaitent, ils ne se précipitent pas tous chez l’endocrinologue. Certains vont temporiser et commencer un travail psychologique ou attendre que leur situation personnelle ou professionnelle soit plus favorable.

Il reste qu’on ne peut pas exiger que les trans’ aient un meilleur équilibre psychologique que le reste de la population pour avoir accès aux soins dont ils ont besoin. On n’en demande pas tant aux couples stériles qui demandent une procréation médicalement assistée. Pourtant, ils vont avoir à éduquer un enfant.

Sortir la transidentité de la liste des maladies mentales est fondamental pour l’évolution des droits des trans’. Où en seraient les droits des lesbiennes et gays si l’homosexualité était toujours psychiatrisée? Pour les mêmes raisons, ne pas y faire entrer les intersexuations est tout aussi fondamental pour les intersexes.

Dépsychiatriser la transidentité, c’est permettre que la transphobie soit reconnue comme une discrimination. On ne discrimine pas des malades mentaux. Comment être pris au sérieux avec cette étiquette? C’est connu, les malades mentaux n’ont pas toute leur tête! On en conclu donc qu’ils ne sont pas capables de décider de ce qui est bon pour eux. Tant que la transidentité sera une maladie mentale, les trans’ seront des personnes sans droit qu’on pourra discriminer en toute impunité. N’oublions pas qu’il y a des trans’ qui se font agresséEs, assassinéEs uniquement à cause de leur identité de genre atypique.

Quand on se rappelle comment étaient traités les enfants gauchers ou les enfants adultérins dans les années 50, par manque d’information ou pour des raisons morales et comment on considère ces mêmes personnes dans les années 2000, on peut mesurer l’évolution de la société, de ses mœurs et de ses connaissances. C’est la même histoire qui se répète avec les trans’. Beaucoup de chemin reste à faire pour qu’ils soient considérés aussi bien que les gauchers aujourd’hui.

Aucune majorité n’a raison et ne constitue une “norme” uniquement parce qu’elle est majoritaire. Le degré de civilisation d’une société se mesure à sa capacité à intégrer les populations situées aux marges d’une courbe de gausse (en cloche) par rapport à la majorité. Ce sont ces populations qui font évoluer les “normes” d’une société. En conséquence, nous avons tout intérêt à connaître et respecter les populations et cultures marginales, c’est à dire minoritaires. Je pense à une société libertaire, une société qui permette à chacun d’y avoir une place, une société sans domination ni discrimination.

      3.2.1. Stigmatisation

Les malades mentaux ont mauvaise réputation et sont marginalisés par la psychiatrisation. Pourtant ils n’ont pas choisi d’être malades, ils n’ont pas d’emprise sur leur pathologie. Reproche t-on à quelqu’un d’être cardiaque ou diabétique? Pourquoi en vouloir aux malades mentaux? Parce qu’ils sont trop différents, trop étranges! C’est aussi une forme de racisme. Quant aux personnes qui se développent d’une façon “marginale”, c’est à dire d’une façon non conforme aux habitudes d’une majorité, c’est la société qui a “fabriqué” leur marginalisation, elle se doit donc de ne pas les exclure, de ne pas les juger. Il faudrait sans doute changer le vocabulaire et aussi diffuser des informations à destination du grand public via des documentaires, des fictions…

Les mots ont leur importance. Pour prendre un exemple récent, parler de “désordre du développement sexuel” me semble péjoratif. Pourquoi toujours penser en terme de déficit ou de manque alors que, quelles qu’en soient les causes, il s’agit d’une “variation du développement sexuel”. Cela ne veut pas dire que le porteur de cette variation ne pourrait pas obtenir une correction ou modification s’il le souhaitait.

Les variations du développement sexuel ne devraient pas relever des procédures de la transidentité, les dites variations étant suffisantes à mes yeux pour permettre aux personnes intersexuées de s’orienter dans un genre ou l’autre si elles le demandent. Les divers tests (biologiques, génétiques…) devraient donc être faits en première intention avant toute orientation dans un processus de soins.

Quelle que soit l’origine de la transidentité, on ne choisit pas d’être trans’, pas plus que d’être homosexuel ou gaucher. On a tendance à oublier que ce sont d’abord des enfants qui ont ce problème identitaire. A force d’être rejetés et discriminés parce qu’ils sont différents, les trans’ ont souvent une mauvaise image d’eux-mêmes. Ils ont intégré le fait d’être une mauvaise personne dès l’enfance. C’est la transphobie intériorisé. Les conséquences de la stigmatisation influent sur l’équilibre psychologique des personnes concernées. S’il y a besoin d’une aide psychologique, elle concerne les conséquences de la discrimination subie à cause d’une identité de genre atypique. Je ne note pas ces difficultés d’estime de soi chez les personnes dont la culture permet cette variation de l’identité de genre.

D’autre part, pourquoi faudrait-il avoir une anatomie conforme à l’autre sexe alors que l’on ne sait pas vraiment bien faire? Les intersexes existent. Il ne devrait pas y avoir de contrainte artificielle à la “normalité” sociale ou médicale. Ce ne serait pas grave s’il y avait plus de personnes ne correspondant pas aux 2 anatomies habituelles ou majoritaires. Le corps médical ne devrait pas être dérangé par ces variations anatomiques. Tant que la santé n’est pas en jeu, il n’y a pas lieu d’imposer une voie ou une autre s’il n’y a pas de demande de la personne concernée. Ceci est fondamental et est en droite ligne des recommandations de Thomas HAMMARBERG.

4. Propositions pour une nouvelle classification

Pour acter la dépsychiatrisation des transidentités, il faut partir sur une nouvelle organisation des soins et inventer une procédure simple, permettant de rassurer les professionnels de santé. En France, les usagers proposent de partir sur le modèle de l’interruption de grossesse dans ses débuts. Certes, l’interruption de grossesse ne modifie pas le corps de la femme mais ce n’est pas un acte anodin et il peut avoir autant de conséquence qu’un traitement hormonal chez une personne transidentitaire.

L’idée, c’est la libre disposition de son corps. Si une personne ne désire pas procréer, pourquoi n’aurait-elle pas le droit de se faire stériliser? On opère sans difficulté le nez qui est un aspect majeur du visage alors qu’on prend beaucoup de précaution pour les parties génitales qui, elles, ne se voient pas. Si cela lui convient, l’aspect génital d’une personne ne l’empêche pas de fonctionner socialement, professionnellement et familialement. C’est sur le plan sexuel et conjugal que le problème peut se poser.

      4.1. Résumé du parcours de soins proposé par les usagers en France

— Première procédure de consentement éclairé en 1 mois (Centre de planning familial).

— Traitement hormonal et test de vie réelle avec les hormones. Epilation, rééducation vocale, chirurgie non génitale à la demande (FFS, pomme d’Adam, mastectomie). Accompagnement psychologique si souhaité à tout moment.

— Pour la chirurgie génitale, seconde procédure de consentement éclairé en 1 semaine un an après le premier consentement éclairé (au minimum).

— Changement d’état civil dès que la personne l’estime nécessaire et au plus tôt 6 mois après le premier consentement éclairé. Changement de prénom dès le premier consentement éclairé.

    4.2. Propositions

La transidentité pourrait être classée (comme le sont la contraception et l’avortement non pathologique Z30.3) dans le CHAPITRE XXI. Voici plusieurs possibilités dans ce chapitre:

1.Z00-Z99 Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé
Z55-Z76 Sujets dont la santé peut être menacée par des conditions

 socio-économiques et psycho-sociales
[…]
Z60.5 Cible d’une discrimination et d’une persécution
 Discrimination ou persécution, réelle ou perçue comme telle, pour des
 raisons d’appartenance à un groupe (défini par la couleur de la peau, la
 religion, l’origine ethnique, l’identité de genre, etc.)
 et non pour des raisons liées à la personne.

Concernant Z60.5, il serait utile d’ajouter à la liste «l’identité de genre» même si le «etc.» laisse le champ libre.

2.Z70-Z76 Sujets ayant recours aux services de santé pour d’autres motifs

qui après ajout d’un point Z77 devient:

Z70-Z77 Sujets ayant recours aux services de santé pour d’autres motifs
[…]
Z77 Variation de l’identité de genre ou «identité de genre atypique»
   ou «transidentité» ou «trans-identité» ou «trans identité»

3.Z40-Z54 Sujets ayant recours aux services de santé pour des actes médicaux et des
 soins spécifiques

Z40 Opération prophylactique
[…]
Z40.1 Traitements prophylactiques pour variation de l’identité de genre
 ou «identité de genre atypique» ou «transidentité» ou «trans-identité»
 ou «trans identité»

Pourquoi en Z40.1: s’il n’y a pas de traitement possible pour la transidentité, il y a des risques de santé publique à cause du désespoir: suicide ou tentative, dépression, hormonothérapie sauvage, prostitution pour se payer les traitements hormonaux et chirurgicaux, abus de substances (drogues, alcool), exposition à des risques de contamination aux IST…

Il ne me semble pas utile de différencier les personnes qui souhaitent seulement un traitement hormonal de celles qui demandent aussi une chirurgie génitale, les avis peuvent changer dans un sens ou dans l’autre en fonction de l’expérience du vécu. Par exemple, un FtM qui souhaitait un phalloplastie peut y renoncer après avoir pris connaissance des difficultés à la réaliser et des risques opératoires. Une MtF peut après plusieurs années de traitement hormonal avoir envie d’aller plus loin dans sa transformation et demander une vaginoplastie. De même, la distinction de l’orientation sexuelle n’est pas pertinente car elle est de nature différente de l’identité de genre.

Je tiens aussi à préciser que le terme “transgenre” ne sera pas utilisable en France dans le domaine médical car il a été déposé par une association comme marque à l’INPI en 2005 dans les classes pharmaceutiques, médias et art.

 

5. Conclusion

On ne peut qu’être d’accord avec cette définition de la santé par l’OMS : «état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.»

Le respect des droits humains tel que définis dans “Les principes de Jogjakarta” et les recommandations de Thomas HAMMARBERG, “Droit de l’Homme et identité de genre” est essentiel et ces principes ne peuvent/doivent pas être ignorés par l’Organisation Mondiale de la Santé.

En conclusion, les trans’, les pervers et les psychotiques, même combat? Oui! pour le respect des droits humains les concernant.


Bibliographie

FOERSTER Maxime, (2006), Histoire des transsexuels en France, (essai), Béziers: H&O éditions, 186 p. Préface de Henri Caillavet.

HAMMARBERG Thomas, Droit de l’Homme et identité de genre, octobre 2009, https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH/IssuePaper(2009)2, (Commissaire européen aux droits de l’Homme).

MARCHAND L., RONDEPIERRE J., HIVERT P. et LEROY P., (1952), Examen anatomo-pathologique de l’encéphale d’un dément précoce mort au cours d’une électronarcose 23 mois après une lobotomie, in Annales médico-psychologiques, février 1952, pp. 175-179. Société médico-psychologique, séance du 14 janvier 1952.

Panel international d’experts en législation internationale des droits humains, de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, (2007), Les principes de Jogjakarta. Principes sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, www.yogyakartaprinciples.org.

OMS, (1993a), Chapitre XXI: Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé (Z00-Z99), in CIM-10/ICD-10, http://www.med.univ-rennes1.fr/ noment/cim10/.