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Droits des femmes, droits des trans

Droits des femmes, droits des trans : CEC et Droit à l’avortement

Karine Espineira

Crédit : Sophie Labelle

Préambule

La contribution suivante contient des extraits d’une étude menée depuis 2016 sur les politiques transféministes dans plusieurs régions du monde. Cette étude est en attente de publication, elle est soumise à droit d’auteur.

L’intérêt de publier cet extrait dans le dossier de l’ODT consacré au fondationnalisme biojuridique, n’est pas d’opposer « un camp » par rapport à un autre ou de jouer la carte du groupe le plus discriminé, voire même de jouer contre son propre camp, mais de montrer que les luttes pour les droits sont et créent des tensions selon les contextes sociaux appréhendés. Droits des femmes et droits des trans sembleraient se concurrencer si l’on se contente d’une lecture rapide des événements et l’on passerait ainsi côté des effets des dispositifs de contrôle des corps et des identités, qu’ils soient législatifs, juridiques, moraux, religieux, etc. Pour comprendre une partie des conflits entre des groupes opprimés, dont la logique voudrait qu’ils soient alliés, la question à poser est : « à qui profite le conflit ? ». Celle-ci n’est pas dénuée de sens, aussi triviale puisse-t-elle paraître au plus fort des tensions.

S’il semble aisé de pointer en direction du quidam anti-avortement et/ou anti-trans, comment presser là où ça fait mal, sans provocations et violences gratuites, si nous nous recentrons dans nos relations inter-groupes ? Il semble nécessaire de pointer en direction des membres de groupes eux-mêmes opprimés et de parvenir à accepter qu’il existe des « anti-quelque-chose » ou des « anti-ce-qui-n’est-pas-comme-eux » partout. Comment expliquer les débordements de féminismes radicaux anti-trans par exemple ? Peut-être faut-il aussi envisager des débordements lexicaux du côté des trans sous prétexte de légitime défense ? Qui fait donc ici le jeu du patriarcat ? Un camp ou l’autre ? Ou plus simplement, le patriarcat bénéficie-t-il de l’existence même d’un tel conflit ? Nous parlons de tensions entre des personnes opprimées ou en lutte pour leurs droits au sein d’une organisation sociale, ou plutôt un système socio-politique (lire Christine Delphy), dans lequel les pouvoirs sont cumulés, favorisant la domination d’une classe de genre sur l’autre. Dans un système binaire, nous parlons de l’oppression des femmes. Dans un système débinarisé, nous pouvons inclure d’autres populations, dont les personnes trans qui en refusant l’assignation, certes font et défont du genre, mais contestent avec force le même système d’oppression tout en souhaitant apporter leurs analyses à la pensée féministe. Certaines féministes approuvent cet engagement à leurs côtés, d’autres pas. Tout comme il existe des personnes trans féministes et d’autres pas.

Osons les mots des conflits à décrire, car nous parlons de griefs et de reproches, de rancœurs et de rancunes, de haines et de dégoûts viscéraux, de violences physiques et symboliques envers les personnes dont les demandes de droits bousculent des conceptions naturalistes, essentialistes, normatives, rigoristes, religieuses, morales, traditionalistes et nationalistes, des corps, des identités et des sexualités.

CEC et Droit à l’avortement

Nous ne pouvons pas aborder tous les droits pour chaque partie mais deux s’imposent tant dans l’actualité internationale que dans des questionnements entres féministes et personnes trans : le droit à l’avortement et le droit au changement d’état civil. Depuis la loi en Argentine, une question à multiples facettes nous a souvent été posée : pourquoi les droits des trans avec le CEC[1], des gays et des lesbiennes avec le mariage et l’adoption, mais pas le droit des femmes à l’avortement ? On verra aussi que la visibilité actuelle des questions trans, dans les médias comme dans l’agenda politique LGBTIQ[2], est parfois considérée comme se réalisant aux dépens de la visibilité ou de l’intérêt pour les luttes féministes, et des lesbiennes féministes particulièrement. Cette idée nous conduit à envisager l’exercice suivant : comparer de façon empirique l’évolution des droits des personnes transgenres et les droits des femmes. D’emblée, il semblerait que les droits de ces dernières progressent moins vite. Du droit de vote à l’égalité salariale en passant par la parité, le droit à l’avortement et à la contraception, on doit constater que les femmes luttent depuis la fin du XIXsiècle [pour faire court] et ces droits ont été acquis progressivement et de façons inégales selon les régions du monde. Il semble qu’il n’existe aucun pays respectant strictement l’ensemble de leurs droits.

L’histoire du droit à l’avortement, à elle seule, montre qu’un droit n’est jamais un acquis ad vitam æternam et que des sociétés qui légifèrent en faveur des transidentités sont encore intransigeantes vis-à-vis du droit à l’avortement. Trois exemples : le 2 avril 2015, Malte adopte une loi progressiste sur l’identité de genre (Gender Identity, Gender Expression and Sex Characteristics Act)[3] mais le pays interdit totalement l’interruption volontaire de grossesse ; le 15 juillet 2015, l’Irlande fait de même avec la loi Gender Recognition Bill tandis que l’avortement n’est envisagé que sur demande et accordé dans certains cas ; le 9 mai 2012 la loi Argentine (Ley de Identidad de Género), première de ce type, faisait les titres de la presse mondiale ; pourtant, quatre ans plus tard, dans l’Argentine de 2016, les femmes luttent toujours pour obtenir le droit à l’avortement, encore interdit ou restreint dans la zone Amérique Latine et Caraïbes.

Pour autant, la situation des personnes trans n’est pas enviable partout et les trois cas de lois progressistes soulignés ne doivent en aucun cas laisser penser que la situation est devenue idéale du jour au lendemain. Par exemple, en 2015 l’Argentine comptait toujours de nombreux exemples d’agressions et de meurtres de personnes trans (Marcela Chocobar, Fernanda Olmos, ou Diana Sacayán l’une des figures historiques du mouvement trans argentin). Notons que le pays voisin, le Brésil, est par ailleurs le pays où l’on compte le plus d’assassinats de femmes comme de femmes trans (486 entre 2008 et 2013 selon l’organisation non gouvernementale Transgender Europe[4]). En 2014, la sociologue Berenice Bento a d’ailleurs proposé le terme de transféminicide pour désigner la politique généralisée et intentionnelle d’élimination de femmes trans dans un pays où le parlement a fini par reconnaître le féminicide le 3 mars 2015 ; l’Institut Sangari[5] et la Faculté latino-américaine de sciences sociales (FLACSO) indiquent que 43 654 femmes ont été assassinées au Brésil entre 2000 et 2010[6]. La « carte de la violence » (Waiselfisz, 2011 : 1) au Brésil indiquait un taux d’homicide de 4,25 pour 100 femmes, et qu’entre 1998 et 2008 plus de 42 000 femmes avait été assassinées (entre 3500 et 4000 par an). Dans son article Brésil, pays du transféminicide : une expression de la place du féminin dans nos sociétés (2014), Bérénice Bento parle d’une « violence plus cruelle à l’égard du féminin » car « le féminin représente ce qui est dévalorisé socialement », précisant : « quand ce féminin est incarné dans des corps nés avec un pénis, il se produit un débordement de la conscience collective, structurée autour de la croyance que l’identité de genre est l’expression du désir de chromosomes et d’hormones ». Femmes et femmes trans sont tuées par des individus pour lesquels le féminin est dévalorisé et pour lesquels il vaudra toujours moins que le masculin.

Du côté des femmes trans dont on ne finit de leur reprocher d’être nées « mâle » ou « avec un pénis », on sait qu’elles ont fait appel aux techniques médicales depuis le début du XXe siècle avec les références à Dora Dorchen ou Lili Elbe, qui toutes deux furent suivies à des degrés divers par Magnus Hirschfeld, et que les politiques trans sont récentes (1990 et 2000). De plus, si l’on retient le critère du changement d’état civil comme la clé des accès à la santé, à la prévention, au logement ou encore à l’emploi, les mouvements trans ont obtenu leur principale revendication dans un certain nombre de pays depuis 2012 : Argentine (2012), Belgique (2017), Bolivie (2016), Canada (2016), Colombie (2015), Danemark (2014), Grèce (2017), Irlande (2015), Malte (2015), Mexique (2015). Certaines avancées, probablement à relativiser, remontent au début des années 2000 avec le Gender Act au Royaume-Uni (2004), la Ley de identitad de genéro en Espagne (2007), la Loi relative à la transsexualité en Belgique (2007), la Lei de identidade de gênero au Portugal (2009), la Ley derecho a la identidad de género en Uruguay (2009). Si l’on prend ces mêmes pays aux mêmes périodes sur la question de l’avortement, nous obtenons :

Argentine : L’avortement est considéré comme un délit sauf en cas de viol, de danger pour la santé de la mère ou de malformation du fœtus. Comme dans d’autres pays, la pénalisation oblige les femmes à s’engager dans l’avortement clandestin[7].

Canada : L’avortement est illégal jusqu’en 1969, puis permis en cas de danger pour la vie de la femme. En 1988, l’arrêt Morgentaler dépénalise l’avortement à l’échelle fédérale. Depuis, plusieurs tentatives de restreindre le droit à l’avortement ont échoué comme avec le projet de loi Mulroney en 1989.

Colombie : L’avortement est partiellement autorisé, depuis sa dépénalisation en 2006 après cinq tentatives de loi depuis 1979. On retient encore trois situations connues : le viol, la malformation du fœtus et le pronostic vital ou la grossesse mettant en danger la santé et/ou la vie de la femme[8].

Danemark : L’avortement est légalisé en 1986, jusqu’à 12 semaines d’aménorrhée ; c’est-à-dire en l’absence de règles, ce qui correspond à 10 semaines de grossesse.
Au-delà, l’avortement est autorisé si la vie ou la santé physique ou psychologique de la femme sont menacées.

Irlande : En 1983, le pays a adopté un article dans sa constitution pour protéger la vie de l’embryon et de la femme. Lors du traité de Maastricht en 1992), l’Irlande a négocié une mention garantissant qu’aucune disposition des traités européens n’affecterait l’application de l’article de la constitution sur le droit à la vie des êtres à naître.

Malte : l’avortement est illégal. Considéré comme un délit, il est passible de 18 mois à 3 ans de prison.

Mexique : L’avortement dépend des différents États. Si depuis 2007, la ville de Mexico a légalisé l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse, plusieurs états interdisent l’avortement (comme la Basse Caroline depuis 2008, rejoignant les états du Sonora, et de Chihuahua). En 2009, l’État de Colima rejette pour sa part une tentative de légalisation.

Royaume-Uni : l’avortement est légalisé avec l’Abortion Act en 1967 avant de se voir restreint en 1990 avec le Human Fertilisation and Embryologie Act. Comme en Italie, au Luxembourg et en Finlande, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de viol, sur indications médicales ou difficultés socio-économiques.

Espagne : l’avortement a été légalisé en 2010. En 2015, le pays interdit l’avortement aux mineurs après avoir risqué un recul significatif en 2014 et un retour à la situation d’avant 1985 et 2010. L’Espagne, comme Chypre et la Pologne n’autorisent l’avortement qu’en cas de risque pour la santé ou la vie de la femme et en cas de viol.

Belgique : Depuis 1990, la loi dite « loi Lallemand-Michielsen » a dépénalisé l’avortement sous conditions dont le délai maximum de la 12e semaine, l’état de détresse constaté, etc.

Portugal : Suite au référendum de 2007, les femmes obtenaient le droit d’avorter aux frais de l’État jusqu’à la dixième semaine de la grossesse, mais en 2015, le parlement restreint à nouveau le droit à l’avortement tandis que la loi sur l’identité de genre de 2009 se voit améliorée.

Uruguay : Il faut attendre 2012 pour que le Sénat propose un projet de loi dépénalisant l’avortement (jusqu’à douze semaines et sous certaines conditions) ; le pays rejoint Cuba et la Guyane qui étaient jusqu’alors les seuls pays à avoir dépénalisé l’avortement dans la zone Amérique Latine et Caraïbes[9].

Ce comparatif ne prend pas en compte de nombreux pays dans le monde[10]. En France par exemple, malgré des velléités de mouvements conservateurs, le droit à l’avortement a toujours été très défendu depuis la Loi Veil de 1975. En revanche, le pays est réticent à légiférer sur la question de l’état civil depuis les propositions du Sénateur Caillavet dans les années 1980. La loi « Justice du XXIe siècle », votée le 12 octobre 2016 et décrite comme facilitant le changement d’état civil pour les « trans » et son décret d’application (n° 2017-450 du 29 mars 2017), est très loin des lois promulguées en Argentine, en Irlande, à Malte ou encore au Canada. Le cas de la Pologne est aussi intéressant, car le pays a failli suivre le mouvement des lois progressistes pour les transgenres le 7 août 2015, mais le veto du président Andrzej Duda a stoppé net la promulgation d’une loi pourtant votée par le parlement. On retiendra que le pays a restreint l’avortement en 1993 après l’avoir autorisé sous certaines conditions durant le régime communiste (depuis 1956). Le débat s’est à nouveau enflammé depuis 6 octobre 2016 avec le rejet de la proposition de loi visant à interdire totalement l’avortement.

Si nous relevons des tendances et conjuguons les moindres constats au conditionnel, il nous paraît éclairant d’engager ce comparatif. Nous savons aussi qu’il y a aussi des pays où les droits des trans et des femmes sont quasi inexistants. En Malaisie, au Koweït et au Nigeria par exemple, l’avortement est soit illégal soit très restreint et l’on pénalise aussi le fait « d’imiter »[11], ce qui revient à pénaliser toute expression de transidentité.

Le leurre des ultimes frontières ou derniers tabous

Un tel panorama ne doit pas laisser penser que les droits des trans effacent les droits des femmes, quoique l’argument soit central dans les conflits entre des mouvements transgenres, transféministes et féministes radicaux. Dans nos précédentes études sur la construction médiatique des transidentités, il n’a pas été rare de rencontrer les expressions « derniers tabous » et « ultime frontière » pour parler du changement de sexe, de l’atteinte aux lois de la nature (la sexuation) ou d’éthique en rapport avec la question de la libre disposition du corps. Les « opérations des transsexuels » paraissaient ainsi limite indépassable quant à ce qui pouvait être pensé comme transformation corporelle ou atteinte à l’intégrité corporelle. Au-delà des effets symboliques et des effets de médiatisation, il nous semble qu’au final « la question transsexuelle » a été plutôt banalisée malgré l’aspect spectaculaire toujours lié aux opérations chirurgicales dans les imaginaires sociaux et médiatiques. En revanche, il semble que les questions liées à la procréation et la filiation (contraception, avortement, PMA, AMP, GPA) semblent être toujours des enjeux civilisationnels plus importants qui convergent vers le corps de la femme. Si pour faire usage de discours médiatiques nous devions adopter les expressions d’ultime frontière ou de dernier tabou, ce serait pour parler du corps des femmes et non du corps des trans au regard des outils législatifs que de nombreuses sociétés mettent en place et en œuvre pour contrôler la procréation et la filiation. De nos jours, les corps trans qui défraient encore la chronique sont ceux qui procréent[12] à l’image de Thomas Beatie, sacré « premier homme enceint » dans les médias[13].

L’évidence du constat accompagne aussi le schéma risqué de faire des personnes et de leurs conditions de vie des objets dont on ne dessine plus que les contours. Si on comprend qu’à l’échelle d’une vie les personnes trans considèrent que le droit n’avance jamais assez vite, à l’échelle de l’histoire de telles prises de hauteur semblent aussi nécessaires pour contextualiser et analyser des événements de cette même histoire.

Avec Paisley Currah nous avons cette approche en commun. Dans l’introduction du volume III de la revue Transgender Studies Quaterly intitulé Trans/Feminism (n° 1-2, 2016 : 1), l’auteur indique que ces dernières décennies, les mouvements transgenres et leurs revendications semblent avoir avancé à une vitesse étonnante quand d’autres questions comme celles des mouvements des femmes avancent plus lentement (égalité salariale), voire connaissent des régressions comme l’accès à l’avortement. Dans l’opinion publique, les « transgender rights » sont perçus comme avançant rapidement et dans le bon sens mais ils sont aussi souvent compris (à tort) comme étant aussi des « woman rights ». Dans le contexte états-unien, Paisley Currah analyse ce phénomène comme la conclusion de luttes culturelles au cours de ces quarante dernières années. Les discours libéraux des années 1970, valorisant l’inséparabilité entre les mouvements pour la liberté sexuelle et de genre, ont été mis en pièces et ont été reconstitués suivant la logique d’une identité politique affirmant et revendiquant la reconnaissance de minorités sexuelle et de genre, mais pour lesquelles la misogynie qui structure la vie des femmes reste en grande partie inintelligible, car à l’extérieur du périmètre du projet libéral d’inclusion[14]. S’appuyant sur les travaux de Jones & Cox (2015 : 42, 3), Paisley Currah indique qu’aux États-Unis, 72 % de la génération du millénaire (années 1980-2000) est favorable aux lois anti-discriminations en faveur des transgenres et que près de 73 % de cette génération est favorable aux gays et lesbiennes, mais que seulement 55 % de cette génération estime que l’avortement devrait être légal (22 %) ou autorisé dans certains cas (33 %).

Miche Riquelme, de l’association transféministe chilienne OTD Chile, donne un autre exemple : « Il ne s’agit pas tant des pays qui ont adopté des lois progressistes concernant l’identité de genre en Amérique latine, mais je crois en effet qu’il y a plus d’ouverture à légiférer sur ce thème que sur l’avortement. Je peux parler de la réalité chilienne. Ici il y a effectivement plus d’ouverture sur la question trans que sur l’avortement. Tu peux même rencontrer des personnes trans contre l’avortement. C’est dément, mais elles existent et elles ne sont pas rares »[15]. Les rapports annuels de Amnesty International sont prolifiques en statistiques dont celle des personnes favorables à l’interdiction de l’avortement. On pense à l’Irlande ou encore à l’Argentine, deux pays ayant légiféré aussi bien sur le mariage gay (ou pour tous et toutes), l’adoption ou encore le changement d’état civil déclaratif, et dont les populations étaient encore en 2013 et 2014, majoritairement opposées à la légalisation de l’avortement. Mais il semblerait que la tendance s’inverse concernant l’Irlande d’après le rapport 2015 d’Amnesty. Au Chili par exemple, le législateur a débordé son opinion publique en avançant vers la dépénalisation partielle de l’avortement en 2017.

La question de l’évolution des droits est centrale car si des solidarités vont de soi, des concurrences semblent pourtant émerger du sentiment de dépossession de la critique féministe des rapport sociaux de sexe (le genre), des différents groupes d’action collective, en lutte et mobilisés.

Ce que nous proposons, c’est d’engager une réflexion sans violences sur les droits de tou.te.s, d’éclairer les alliances et les solidarités comme les malentendus et les conflits qui prennent parfois la forme de « guerres de territoires ». Les lignes suivantes constituent un aperçu de cette réflexion qu’il faut resituer dans un contexte plus large, celui de l’existence de personnes et de leurs droits face aux imaginaires institués tels la non-disposition des corps et des états-civils. Il ne faut lire nulle provocation « intellectuelle » dans l’idée qu’on ne doit pas cantonner la notion de « non-disposition » à la seule question trans d’une part ou à la seule question de l’avortement d’autre part. Puisque, pour nous inspirer de Cornelius Castoriadis, c’est l’institution imaginaire de la société (1975) que nous devons interroger collectivement, tout en indiquant que ce travail d’interrogation est aussi un processus très intime.

Tel un inventaire à la Prévert, proposons quelques questions : Comment expliquer que l’on puisse être un homme ou une femme politique et mépriser les classes dites populaires ? Être un migrant discriminé et être xénophobe envers d’autres nationalités de réfugiés ? Être trans et être homophobe ou anti-avortement ? Être homosexuel.le et être transphobe ? Être ouvrier-ouvrière et être fan des têtes couronnées ou des puissant.e.s de ce monde ? Être médecin et se laisser aller à un refus de soin ? Être croyant.e et adhérer à l’idée que des gens n’ont pas le droit d’exister ? Être une personne cumulant le plus de privilèges possibles et imaginables et pourtant mépriser l’ensemble des personnes et des être vivants de la planète ? De cette liste de questions ou d’interminables exclamations, plus ou moins triviales, il ressort une montagne de contradictions entre ce que nous croyons être, ce que nous pensons devoir être, et ce que nous sommes dans la somme de nos actions. Sommes-nous condamné.e.s à être à la fois discriminé.e.s et discriminant.e.s ?

 

Notes :

[1] Changement d’État Civil.

[2] Lesbienne, Gays, Bis, Trans, Intersexes, Queers.

[3] Le changement d’état civil est accepté sur auto déclaration. La loi supprime toute obligation d’opération de réassignation sexuelle, de traitement hormonal, de stérilisation, d’évaluation psychiatrique.

[4] [En ligne], http://tgeu.org/. « Voir » notamment la page Trans Murder Monitoring, http://tgeu.org/tmm-idahot-update-2015/. (Consulté le 13.09.2016)

[5] Julio Jacobo Waiselfisz, « Caderno Complementar 2 – Mapa da violência 2011: homicídios de mulheres no Brasil », Mapa da Violência 2011. Os Jovens do Brasil, J. J. Waiselfisz, Brasília: Ministério da Justiça, Instituto Sangari, 2011, [En ligne], http://mapadaviolencia.org.br/pdf2011/homicidio_mulheres.pdf. (Consulté le 11.09.2016)

[6] Roger Flores Ceccon, Lilian Zielke Hesler, Stela Nazareth Meneghel, « Femicídios: Narrativas de crimes de Gênero », Seminário Internacional Fazendo Gênero 10 (Anais Eletrônicos) , Florianópolis , 2013, [En ligne], http://www.fazendogenero.ufsc.br/10/resources/anais/20/1387481817_ARQUIVO_RogerFloresCeccon.pdf. (Consulté le 11.09.2016)

[7] Felitti Karina, « L’avortement en Argentine : politique, religion et droits humains », Autrepart, n° 70, vol. 2, 2014, p. 73-90.

[8] Fabiola Miranda-Pérez, Angélica Gómez-Medina , « Quelle reconnaissance des droits sexuels et reproductifs au Chili et en Colombie ? », Autrepart, n° 70, vol. 2, 2014, p. 23-39, [En ligne], http://www.cairn.info/revue-autrepart-2014-2-page-23.htm. (Consulté le 25.08.2016)

[9] Lire : Niki Johnson, Alejandra López Gómez, Graciela Sapriza, Alicia Castro y Gualberto Arribeltz, “(Des)Penalizacion Del aborto en Uruguay:  Practicas, actores y discursos, Abordaje interdisciplinario  sobre una realidad compleja”, 2011, [En ligne], http://209.177.156.169/libreria_cm/archivos/pdf_31.pdf. (Consulté le 19.09.2016)

[10] Lire entre autres ouvrages :  Les droits reproductifs 20 ans après le Caire, Autrepart, Revue de sciences sociales du Sud, n° 70, vol. 2, 2014.

[11] Neela Ghostal, Kyle Knight, « Droits en transition », Human Right Watchs, Rapport mondial 2016, [En ligne], https://www.hrw.org/fr/world-report/2016/country-chapters/285171. (Consulté le 16/09-2016)

[12] Laurence Hérault (dir.) L’expérience transgenre de la parenté, P.U.P., 2014.

[13] Lire : Laurence Hérault (dir.), L’expérience transgenre de la parenté, P.U.P., 2014. Karine Espineira, « Étude comparative des traitements médiatiques de Thomas Beatie et Rubén Noé Coronado : Enfanter en homme », p. 27-39.

[14] Paisley Currah, « General Editor’s Introduction », Trans/Feminism, Talia M. Bettcher & Susan Stryker (ed.), TSQ: Transgender Studies Quaterly, Duke University Press, vol. 3, n° 1-2, 2016, p. 1-4, p. 1. (Ma traduction)

[15] Entretien du 3 mars 2016. « Entrevista/Entretien con Michel Riquelme y OTD Chile », traduit de l’espagnol par Karine Espineira, Observatoire des transidentités, publié le 01.05.2016, [En ligne], https://www.observatoire-des-transidentites.com/2016/05/entrevista-entretien-con-michel-riquelme-y-otd-chile.html.

Droit des trans : La CNCDH pousse la France à avancer

Observatoire Des Transidentités

Alessandrin Arnaud, Karine Espineira et Maud Yeuse Thomas

 

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Droit des trans :
La CNCDH pousse la France à avancer

 

Ce mois-ci, l’Observatoire Des Transidentités chamboule un peu son programme habituel pour faire un retour sur l’avis rendu par la CNCDH concernant les personnes trans. Saisie par le ministère du droit des femmes et le ministère de la justice, la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) vient de remettre un avis sur la question trans. Dans un rapport remis le 27/06/2013 au gouvernement, la CNCDH [1] incite la France à faire entrer dans le droit la notion « d’identité de genre » et à prendre des mesures facilitant les démarches juridiques de changement d’état civil pour les personnes trans. Le communiqué est sans appel : « Consciente de la situation extrêmement précaire et des discriminations notoires dont font l’objet les personnes transidentitaires, la CNCDH s’inquiète tout d’abord de la grande vulnérabilité sociale de cette catégorie de la population, trop souvent stigmatisée. ».

Résumons les propositions de la CNCDH :

1- L’introduction dans la loi du critère d’« identité de genre »

2- Une démédicalisation totale de la procédure de modification de la mention de sexe dans l’état civil.

3- Une déjudiciarisation partielle de la procédure.

Retrouvez l’ensemble de l’avis sur :
http://www.cncdh.fr/sites/default/files/avis_cncdh_identite_de_genre_27_juin_2013_1.pdf

 

La reconnaissance de l’identité de genre comme motif de discrimination

Après un long débat concernant le mariage pour tous, la question trans sera-t-elle, elle aussi, défendue par le gouvernement ? C’est du moins ce que demande la CNCDH qui préconise d’abord de faire entrer la notion « d’identité de genre » dans le droit français. Les principes de Jogjakarta (http://www.yogyakartaprinciples.org/principles_fr.pdf), définissent l’identité de genre comme « faisant référence à l’expérience intime et personnelle de son genre » qu’elle « corresponde ou non au sexe assigné à la naissance ». C’est-à-dire qu’on se construit tou(te)(s) une identité en fonction du sexe auquel on s’identifie mais aussi en fonction du genre qui nous correspond le mieux. Cette « identité de genre » doit être distinguée de la sexualité, souligne l’avis de la CNCDH et ne peut se résumer sous la forme « il existe des garçons masculins et des filles féminines » mais plutôt « qu’il existe autant de formes et d’expressions singulières de son genre qu’il y a d’individus ». En Juillet 2012, la loi française reconnaissait le critère de « l’identité sexuelle » comme motif de discrimination [2]. Fortement contestée, cette notion est remplacée, dans l’avis de la CNCDH, par le terme d’identité de genre, reconnu dans le droit international [3]. Ce faisant, le conseil ne met pas en avant une position théorique mais éthique, dans la droite ligne d’un droit des personnes et d’une lutte contre les discriminations.

Un changement d’état civil facilité

Jusqu’à présent, et sauf exception jurisprudentielle, les requérants au changement d’état civil devaient apporter la preuve d’un syndrome de « dysphorie de genre » et d’une modification corporelle définitive. Cette dernière était souvent entendue par les tribunaux comme révélant d’une opération de réassignation chirurgicale. Cette injonction à la psychiatrisation et à la stérilisation pour l’obtention d’un changement d’état civil est, elle aussi, mise en cause dans le rapport de la CNCDH qui préconise un changement simplifié d’état civil pour les personnes trans. Ainsi, propose-t-elle que le changement d’état civil se fasse en présence de témoins et non plus sur un argumentaire médical. De plus, elle préconise que ce changement d’état civil ne soit plus corrélé à une exigence de modification chirurgicale, soit de stérilisation. Ce faisant, la CNCDH retient l’une des principales revendications du mouvement trans [4], qui réclame la démédicalisation du changement d’état civil depuis bien longtemps [5]. Elle écrit : « Le système repose en son entier sur une construction jurisprudentielle, ce qui contribue à rendre la situation des personnes trans identitaires souhaitant obtenir une modification de leur état civil particulièrement précaire et difficile » (p.4), soulignant par là même la nécessité d’harmoniser le traitement des justiciables trans sur l’ensemble du territoire et de lutter contre la précarité des personnes trans face au logement ou à l’emploi. Notons aussi que pour légitimer sa demande de démédicalisation de la démarche de changement d’état civil, la CNCDH reconnait l’ambiguïté du terme d’ « irréversibilité de l’apparence », tant d’un point de vue social que médical, qui laisse une trop grande pat de jugement subjectif des cours face aux requérant.e.s.

Les associations restent vigilantes

Néanmoins les associations trans restent vigilantes. Le précédent, en 2009, de l’annonce de dépsychiatrisation par Roselyne Bachelot, reste dans les mémoires [6]. De plus, la déjudiciarisation du changement d’état civil reste incomplète, là où certaines associations auraient souhaité que le changement de la mention du sexe sur l’état civil puisse simplement être réalisé en mairie. En effet la CNCDH, parmi les diverses options envisagées (dont celle de la déjudiciarisation totale), souligne que le changement d’état civil pourrait s’effectuer en deux temps : « d’abord une déclaration auprès d’un officier d’état civil, avec production d’au moins deux témoignages attestant de la bonne foi du requérant, la qualité de ces témoignages devant faire l’objet d’une attention particulière. Ainsi, ils ne devront pas émaner de personnes ayant un lien d’alliance, de parenté ou de subordination avec le requérant. Cette première démarche devrait ensuite être contrôlée et validée par un juge du siège grâce à une procédure d’homologation. La législation encadrant le changement de sexe à l’état civil devrait alors spécifier deux éléments : d’une part, les délais dans lesquels l’homologation doivent avoir lieu, afin de garantir la rapidité de la procédure; d’autre part, les motifs pour lesquels le juge est en mesure de refuser l’homologation pour ce genre de requête, ces motifs devant être explicitement limités au caractère manifestement frauduleux de la demande et au manque de discernement du requérant ».

A ce stade, nous sommes en mesure de ce demander où se placera le curseur du « manque de discernement du requérant ». C’est pourquoi certains militant.e.s restent vigilants quant à l’application concrète de ces avis. Aussi, ces avancées ne concernent nullement la question médicale : en France, aujourd’hui, les protocoles de changement de sexe ont toujours des pratiques excessivement controversées. L’avis ne retient pas l’option d’une désexuation, non pas de l’Etat Civil des personnes, mais des papiers d’identités. En ce sens, de nouveaux débats tendent à être réouverts.

Reste l’inconnue manifeste de deux exceptions que ne manquent pas de souligner le texte, soit le  « caractère manifestement frauduleux de la demande » et le « manque de discernement du requérant ». Quelles pourraient être ces fraudes ? Que place-t-on sous le terme de manque de discernement ? Qui le dit ? Va-t-on transférer le contrôle du médecin-psychiatre au juge sans rien changer de ce qui sous-tend le contrôle des franchissements de genre en en maintenant la catégorisation en affection du travestissement bivalent (que le terrain a renommé transgenre) et  fétichiste ? Il est désormais patent que l’on contrôlait là les expressions identitaires dans ces franchissements de genre par le prisme des sexualités classées en normalité/déviance. Qu’en sera-t-il aujourd’hui ?

Catégories juridiques / catégories de vies

On notera enfin l’ouverture de la question sémantique concernant l’avis de la CNCDH qui rappelle au début de son rapport que : « Le terme de « transidentité » exprime le décalage que ressentent les personnes transidentitaires entre leur sexe biologique et leur identité psychosociale ou « identité de genre ». Cette notion englobe plusieurs réalités, parmi  lesquelles celle des transsexuels qui ont bénéficié d’une chirurgie ou d’un traitement hormonal de réassignation  sexuelle, celle des transgenres pour lesquels l’identité de genre ne correspond pas au sexe biologique et qui n’ont  pas entamé de processus médical de réassignation sexuelle ; celle enfin des queer qui refusent la caractérisation binaire homme/femme. Pour désigner l’ensemble de ces personnes, la CNCDH a choisi d’employer les termes génériques de «transidentité » et de « personnes transidentitaires », sauf quand sont cités des documents officiels (décisions de la cour de Cassation, circulaires, textes européens ou rapport de la Haute Autorité de Santé) qui emploient eux-mêmes les termes plus spécifiques de « transsexuels » ou « transgenres ».

Si l’on ne saurait se satisfaire de catégories divisantes, on est agréablement surpris de l’emploi du terme de « transidentité », que l’observatoire utilise par ailleurs.

 


Note à l’usage des lecteurs et lectrices ou de l’importance de la terminologie et de la citation comme des usages journalistiques.

La citation doit être reproduite textuellement, ce qui veut dire qu’on doit aussi retranscrire tel quel la ponctuation, les majuscules, les fautes, les coquilles ainsi que la mise en forme (gras, italique, souligné). Elle doit être entre guillemets (« ») ou en retrait. 

Quand nous utilisons le terme « transsexuel » et non celui de « transgenre » par exemple, c’est en respect de cette règle. Dans le cas présent, quand la CNCDH rend public ses recommandations relayées par un article du Huffington Post, nous citons « leurs » termes, c’est-à-dire ceux que ces sources mettent en avant. Suite à une tribune sur le NouvelObs.fr, il nous a été reproché l’emploi du terme « transsexuel », et en nous attribuant un éventuel acte de discrimination.

Deux choses entrent en ligne de compte. Les contributions de ce type voient les titres et les chapeaux modifiés par les journalistes maison. On devine que le mot « transsexuel » est bien plus accrocheurs et vendeur que « trans ». Dans quelques rares cas, une demande changement est acceptée et l’on s’en réjouit. Dans d’autres cas, c’est la sourde oreille qui est de rigueur.

Sur le fond du texte pour ce qui nous occupe ici, nous pouvons sous le format article ou auto-publication revenir sur ces aspects comme présentement. Dans le cas précédent, le lecteur et la lectrice doivent avoir à l’esprit que nous relatons des discours qui ne sont pas nôtre et interroger la source. Notre travail, pour le voir ainsi, consiste à tenter d’éclairer des faits et des discours avec des moyens qui ont leur propre grammaticalité et les règles de citation sont ce qu’elles sont avec ne l’oublions pas : l’objectif de protéger a source de toute déformation et altération.

Il est vrai que durant les deux jours qui ont suivi l’annonce des recommandations de la CNCDH, nous avons beaucoup lu le mot « transsexuel ». Interroger la source pourrait être une démarche de lecture appropriée et à interroger. 


Les principes de Jogjakarta (http://www.yogyakartaprinciples.org/principles_fr.pdf),

[1] http://www.cncdh.fr/fr/publications/concept-de-genre-la-cncdh-donne-son-avis

[2] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/593405-penalisation-de-la-transphobie-un-premier-pas-en-faveur-des-trans.html

[3] https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1498499

[4] http://outrans.org/lassociation/revendications

[5] http://karineespineira.wordpress.com/tag/existrans/

[6] http://www.citegay.fr/associations/254609@ceci-n-est-pas-une-depsychiatrisation.htm


Mise en ligne : 02/07/2013.

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