Jean Zaganiaris

Enseignant-chercheur au CERAM/ EGE
Chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne

 

 Infidèles


Auteur de Une mélancolie arabe (Seuil, 2008) et Le jour du roi (Seuil, 2012, Prix de Flore), Abdellah Taïa vient de publier son dernier roman Infidèles aux éditions du Seuil. Connu pour avoir fait son coming out au Maroc et pour revendiquer publiquement son homosexualité, Abdellah Taïa est un écrivain important du champ littéraire contemporain.

Interview effectuée par Jean Zaganiaris

 


 

Quel est le sujet de votre dernier roman ?

Mon nouveau livre,  Infidèles  (Editions du Seuil), vient de sortir en France. Et très bientôt au Maroc. Il parle d’une mère marocaine. Elle s’appelle Slima. Elle est prostituée à Salé. Elle assume pleinement ce métier. Elle porte sur ses épaules toutes les contradictions et les frustrations des Marocains. Elle a un fils, Jallal. Celui-ci n’a pas du tout honte de sa mère. Il est avec elle, en elle. Ils sont un cœur seul, unique. Ils sont deux en un seul corps. Ils sont des parias mais, malgré le rejet permanent de la société, ils résistent. A leur manière. La politique menée par le roi Hassan II durant les années 80 va les séparer. Les obliger à envisager l’avenir l’un sans l’autre. Être contre le Maroc. Rejeter le Maroc. Durant cette transformation, un lien demeurera fort entre eux : l’islam. Ils sont considérés comme impurs par les autres. Cela ne les empêche pas, tout au long de ce livre, de cultiver un rapport libre avec les signes de la culture musulmane dans l’espace et l’imaginaire arabes. Et quand je dis libre, j’entends par cela : transgressif. Le livre les mènera dans des zones où la compréhension s’arrête et où la fusion avec l’autre (le ciel, un prophète, une icône du cinéma mondial, une chanson) devient une urgence vitale. La fin renvoie au début. Et cet éternel recommencement des choses,  de nos erreurs, de notre incapacité  être libre sur cette terre, c’est une de mes plus grandes obsessions… 

 

Dans Le jour du roi, quelles sont les raisons qui vous ont amené à écrire sur le transgenre ?

Écrire, c’est tout mélanger. Se mélanger. S’évaporer dans l’autre, les autres. Dans la même lumière, celle qui nous a fait naître. Je suis homosexuel assumé, mais je ne peux absolument pas vivre mon homosexualité uniquement avec des homosexuels. Le rapport à l’autre (ma mère, mes amies, mon grand frère, mes ennemis), même quand il persiste à me renier, est important à mes yeux. Très important.

 

Est-ce qu’il y a un message que vous souhaitez faire passer sur « l’identité trans » ?

Un message ? Nous sommes tous le fruit d’un mariage explosif entre les cultures et les différentes natures humaines. Cela me paraît une évidence. Quelque chose d’assez simple à comprendre. Rejeter l’autre qui, soi-disant, ne nous ressemble pas est une énorme erreur. Parce que, en faisant cela, c’est nous-mêmes que nous rejetons, que nous tuons.

  

Comment vous vous positionniez par rapport à la queer theory ?

Je ne connais pas très bien la « Queer Theory ». Mais je sais qu’elle joue, depuis quelques années, un rôle fondamentale pour réveiller les êtres humains d’aujourd’hui, les empêcher de glisser petit à petit (et de nouveau) vers le fascisme.

 

Est-ce que ces corps soufis « androgynes » et « transsexuels » dont parle par exemple Khatibi dans Le livre du sang ont pu vous inspirer, notamment lors de l’écriture du Jour du roi ?

Dans « Infidèles », le fils s’appelle Jallal. Ce tout sauf une coïncidence. Ce livre intègre les images d’un film-monde (La rivière sans retour  d’Otto Preminger, avec la déesse Marilyn Monroe et Robert Mitchum) à sa propre écriture et suit le souffle amoureux révolutionnaire du très grand poète Jallal Dine Rumi. Il faut relire ce grand soufi et voir à quel point il était, bien avant tout le monde, dans le dépassement des frontières des corps, des sexes et des identités.

TAAAUL~1


Mis en ligne, 10.06.2012.