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Étiquette : Post porno

Post’ porno & porno trans : introduction

Arnaud Alessandrin et Maud Yeuse Thomas


 

POST’ PORNO & PORNO TRANS
Introduction

 

Ce mois-ci, l’O.D.T. met en lien la question trans et les productions porno. Au travers des textes de Karine Espineira sur le porno trans’ et de Rachele Borghi sur le post’ porno, nous découvrirons la manière dont l’usage et la production de pornos participe d’une réappropriation du corps et de l’espace public [1].

Dans son texte, Karine Espineira montre bien l’impensé d’une sexualité trans’ [2] et, de fait, d’un porno trans’. Ou tout du moins d’un porno par et pour les trans’, comme il existe des productions intellectuelles et artistiques qui brisent et renversent l’imagerie psychiatrique hégémonique sur cette question. Cette réappropriation du corps autour des notions de plaisir et de désir, rompt aussi avec l’idée d’une répartition morale entre des « bonnes » et des « mauvaises » transitions ; les « bonnes » transitions étant animées par la souffrance, les « mauvaises » par des visées sexuelles (la prostitution ou la pornographie). A tel point que l’imagerie trans s’est longtemps trouvée être « sursexualisée » dans l’imaginaire « cis » et « asexualisé » dans l’imaginaire et les représentations trans’. Le porno donne à voir des corps et sexes trans et plus encore des trans avec leurs corps modifiés et leurs désirs.

Dans la continuité avec notre dossier précédent sur le « transféminisme » [3], on peut dire que l’apparition des figures trans’ dans le porno n’est pas sans lien avec l’émergence d’un porno féministe et queer. Comme le rappelle Rachele Borghi, le porno féminisme est à la rencontre d’un mouvement pro sexe et d’un féminisme qui, au lieu d’envisager l’abolition de « l’exploitation de la femme » dans le porno, tente de mettre sur pieds un autre porno [4]. Ainsi, d’un féminisme anti-porno [5], né un porno féminisme [6]. 

Depuis Linda Williams (« Hardcore », 1999, ou « Porn Studies », 2004), les porn studies complexifient notre vision du porno, des sexualités et des rapports de genre. Pour Williams, le porno est « une forme culturelle qui influence la vie d’une large variété d’américains, et qui doit être prise en compte dans l’évaluation que nous faisons nous-même de notre culture ». Le porno passe alors de l’obscène à l’on/scène (Bourcier, 2001). Et dans cette prise en compte des expressivités sexuelles et identitaires, le porno (gay, lesbien puis trans) se développe. En France, des festivals trans et queer voient le jour aux côtés des festivals LGBT déjà existants. On y voit un nouveau cinéma, de nouveaux corps. On y voit aussi la multiplication des pratiques qui, comme pour le cinéma hétéro ou mainstream, se « ghettoïsent » et donnent à voir dans l’espace collectif une construction des normes et des désirs hétérosexuels [7] et cisgenres tenant compte de cette présence.

Enfin, le porno devient aussi un nouveau support de militance en France comme à l’étranger, et notamment du côté des campagnes de prévention contre le VIH et de lutte contre la transphobie (voir à ce sujet le fascicule « La transidentité et la réduction des risques » de l’association lyonnaise Chrysalide, p.43, 2010). Montrer ces corps modifiés tels qu’ils sont permet de les représenter et d’en confronter les images et pratiques dans l’espace public.

 


– ET DANS LA BD ?
http://www.nbmpub.com/eurotica/ebaldazzini/baldhome.html

– ET LES FtM DANS TOUT CA ?
http://www.txy.fr/blog/2012/08/15/transkind-n-2/
http://cmbq.jimdo.com/chroniques/chronique-des-queerissons/20-10-11/


[1] Nous remercions Florian Voros pour la relecture et les suggestions portées à cette introduction.

[2] Thomas M-Y, Alessandrin A, Espineira K, « Du ‘horsexe’ au DTC : la déprogrammation trans’ », revue Ganymede, en ligne, janvier 2013.

[3] Dossier transféminisme, https://www.observatoire-des-transidentites.com/pages/introduction-le-renouveau-transfeminisme-8613838.html

[4] Marie-Hélène Bourcier « Red Light district et porno durable ! », Revue Multitudes 3/2010 (n° 42), p. 82-93.

[5] Dworkin Andréa, Pornography – Men possessing women, 1981. Lire aussi : C. Delphy “In memoriam Andréa Dworkin”, sisyphe, consultable sur : http://sisyphe.org/spip.php?article1758

[6] Taormino Tristan et al. The feminist porno book, 2013. Voir notamment : « The power of my vagina » Buck Angel p.284 ; “Knowing dick : penetration and the pleasures of feminist porn’s trans men” Bobby Nobble p.303. 

[7] Mathieu Trachman, Le travail porno-graphique, La découverte, 2013.


Mise en ligne, 2 mai 2013.

Rachele’s adventure in Sexland

Rachele Borghi
Géographe, Université de Rennes


Rachele’s adventure in Sexland 

 

Introduction : Sexland

Dans les aventures d’Alice au pays des merveilles, Alice entre dans le terrier du lapin et elle se trouve confrontée au paradoxe, à l’absurde et au bizarre. Ce que je vous propose aujourd’hui c’est d’entrer dans les aventures de Rachele in « sexland ». http://vimeo.com/18938067  

Rachele (retranscription des Queer Days 8 février 2013)

« Bienvenue dans ma chatte »

Quand j’ai rencontré pour la première fois les productions post-pornographiques, j’y ai vu la concrétisation en images de la théorie queer et en particulier des références à Butler, Preciado, Despentes, etc.. La base de cette post-pornographie, c’est le féminisme pro-sexe (la célèbre « sex war » initiée aux Etats-Unis dans les années 1990). S’oppose alors un féminisme abolitionniste à des féministes qui désirent porter leur attention sur les sexualités,  ainsi que des alliances, avec les sex workers notamment.

Annie Sprinkle fut une des premières à porter son regard sur la sexualité d’un point de vue féministe. D’actrice du porno mainstream, elle devient productrice de ces propres films et éducatrice sexuelle. Son discours se développe  autour de la sexualité mais aussi du désir et du plaisir. Selon elle, la solution à une pornographie de mauvaise qualité, ce n’est pas l’abolition de la pornographie mais produire une autre pornographie, c’est-à-dire celle qu’on désire

En 1991, Annie Sprinkle présente un show dans lequel elle propose une performance : « the public cervix annuncement ». Dans cette performance, elle saisit un des objets se trouvant sur scène dont une pancarte sur laquelle étaient dessinés les organes sexuels féminins. Elle explique : « voici les trompes de Fallope » et elle le fait répéter au public… Puis elle prend un spéculum qu’elle introduit dans son vagin afin d’inviter tout le monde à observer l’intérieur de son vagin. C’est une des premières performance que on peut nommer « post-porn’ ». Elle avait d’ailleurs nommé son show « post-porn’ show » qui deviendra aussi le titre d’un de ces livres : « Post-porn modernist » (1998). Dans cette performance on retrouve bien tous les éléments du post-porno. A la demande du porno mainstream de voir la chatte elle répond « je vous la montre !». Elle utilise aussi le pouvoir performatif du langage à cet instant précis où elle demande à tout le monde de répéter les noms puisque par leur répétition, elle fait exister ces éléments. Et puis elle rompt avec l’idée qu’il y aurait d’un côté le public et de l’autre le privé en utilisant des outils comme le spéculum, outil notamment chargé d’une médicalisation. Il y a donc déjà cette réappropriation du corps et du discours sur les corps dans cette performance. Le discours médical est retiré aux experts. Lorsque les personnes regardent dans sa chatte, elle les accueille en leur souhaitant la « bienvenue » venant rompre alors la division entre une pratique publique et une pratique privée propre de la sphère de la sexualité. Le spéculum symbolise les prothèses, qui deviendront des outils très présents dans la production post-porn. Important aussi, la place de l’ironie et de la rupture des binômes (public/privé; subjet/objet; spectateur.e/artist.e; culture élevée/culture populaire; théorie/pratique).

Corps-technologie et critique du capitalisme

Ce qui me semble important de relever, c’est la place du corps : ce dernier est au centre, un « champs de bataille », un outil de résistance qui met en valeur le sujets « hors norme ». Dans la performance collective « Oh – Kaña »  (http://www.youtube.com/watch?v=I3hcXumYjUs)  nous ne pouvons pas faire la différence entre « la femme », « l’homme », qui est trans et qui ne l’est pas car tous les corps de cette performance viennent casser ces binômes. Aussi, la réappropriation du corps est une réappropriation de l’espace (dans cette vidéo, de l’espace urbain) qui met à la marge les corps « hors normes ». Diana Torres (« pornoterrorisme », 2012) est une autre figure du post-porn, notamment de la scène espagnole. Elle affirme: « à la violence de la société, je réponds avec le pornoterrorisme ». On retrouve là une critique forte du capitalisme. Comme on peut le voir dans cette vidéo le mouvement post-porno est en lien direct avec le mouvement anarcho-queer et anarcho-punk qui critique fortement le capitalisme. Dans ces vidéos, on aperçoit une « corporéisation » de tous les combats contre le capitalisme. Dans une réappropriation de la technologie, on lit à la fois une critique des médias mainstream qui servent à porter des messages codifiés et fonctionnels au système dominant mais aussi la production d’un message avec la technologie. Voilà pourquoi de nombreuses performeuses et militantes sont aussi des bloggeuses ou des réalisatrices.

Ce que j’ai vu dans le Sexland (et que je pense avoir compris…)

Est-ce que il y a des dénominateurs communs dans les productions se définissant post porn ? Bien que soit contradictoire parler de caractéristiques pour un mouvement qui se caractérise pour sa non-codification, je me lance dans l’énumération des certains éléments présents dans beaucoup de performances post-porn.

Les prothèses et le BDSM. L’usage des prothèses et aussi lié à l’image du sadomasochisme et en particulier du BDSM. Le BDSM a toujours été vu comme une pratique dégénérée, féministes inclues. L’usage de l’esthétique du BDSM permet ici une réappropriation de la pratique. Au même temps, l’usage de l’esthétique BDSM « Do It Yourself » porte l’accent sur la question de la « classe », en critiquant implicitement le SM mainstream. Beaucoup de production restent « Do It Yourself », et cela contribue a éliminer la division entre spectateurs et public (http://vimeo.com/28740729).

Refus du discours médical sur les corps. On pourra aussi lire cette réappropriation du corps comme un retournement du discours médical, un refus des expertises comme le montre le travail de Lazlo Pearlman (https://www.observatoire-des-transidentites.com/article-queer-arts-109808877.html) d’où la visibilisation des corps trans.

Langage. Un autre élément, c’est la réappropriation de l’insulte à travers un langage performatif créateur d’une nouvelle réalité. L’utilisation des mots comme « gouine » ou « pute », « salope », « chienne » apparaît, à l’image du titre du séminaire organisé par Marie Helene Bourcier : « Fuck my brain ». En même temps qu’il y a réappropriation par les mots, il y a réappropriation par le corps car le corps est au centre et notamment des pratiques comme le « squirting »  ou l’éjaculation féminine. De ce point de vue, ne jamais parler de l’éjaculation féminine est aussi vécu comme une violence du patriarcat à l’égard de cette possibilité des bio-femmes.

L’anus comme laboratoire. Le post-porno a mis l’accent sur l’anus comme laboratoire des pratiques. Un laboratoire des pratiques démocratiques. En effet, l’anus est cet espace où l’on ne peut pas différencier les individus « assignés femmes » ou « assignés hommes ». Aussi, les pratiques anales viennent défaire l’idée selon laquelle la pénétration est une pratique uniquement hétérosexuelle (homme qui pénètre la femme) et patriarcale. On retrouve toutes les références théoriques de ces pratiques dans le texte de Beatriz Preciado, « terreur anale ».

S’approprier l’espace public

Selon les mots de Diana Torres, le pornoterrorisme devient une « façon de vivre, une façon d’être ». « Le pornoterrorisme est quelque chose de latent qui gicle et dérange. Une impulsion née de désirs et d’imagination ». En cela on retrouve la conception féministe d’un nouveau sujet politique. Le corps devient un laboratoire social et un outil de résistance qui devient très concret dans la pratique des ateliers (mettant ainsi l’accent sur l’importance de la transmission). C’est aussi le cas de certaines performances qui envahissent l’espace public.

 

 R.Borghi.png 

 

Ce travail sur la sexualité, l’espace public et notamment la ville est intéressant car il prend le contre-pied d’un espace neutre ou délaissé en l’envahissant par l’euphorie de la sexualité : de la sexualité non normative. (http://www.cuerposlesbianos.net/?page_id=76  ). L’usage du post porno pour une militance politique entre ainsi au cœur des préoccupations.

Conclusion : une géographie postpornographique

Dans mon cas, je suis géographe, je m’intéresse au post-porno dans ses potentialités de rupture de l’ordre hétéronormatif de l’espace public ainsi que sa visibilisation. Il s’agit aussi d’un travail sur la contamination des milieux de vie et des pratiques. Car le post porno illustre une production de connaissance autre qu’à travers les binômes (par exemple entre une culture légitimée et une culture militante). Ainsi, le post porno repense la rupture entre « théorie » et « pratique » puisque les performeuses produisent aussi un travail écrit, un travail de recherche, un travail traduit dans des blogs ou dans des livres. Et parfois les académiciens produisent des performances.

 

www.zarrabonheur.org ; http://www.zarrabonheur.org/performer/fr/perference-a-quel-corps-appartient-mon-corps/ ; http://www.dailymotion.com/video/xyahnv_rachele-borghi-queer-days-bordeaux-7-8-9-fevrier-2013_webcam#from=embediframe


Mise en ligne, 2 mai 2013.

Post’porno & porno trans

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Post’porno & porno trans : introduction

Ce mois-ci, l’O.D.T. met en lien la question trans et les productions porno. Au travers des textes de Karine Espineira sur le porno trans’ et de Rachele Borghi sur le post’ porno, nous découvrirons la manière dont l’usage et la production de pornos participe d’une réappropriation du corps et de l’espace public

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Rachele’s adventure in Sexland, Rachele Borghi

Dans les aventures d’Alice au pays des merveilles, Alice entre dans le terrier du lapin et elle se trouve confrontée au paradoxe, à l’absurde et au bizarre. Ce que je vous propose aujourd’hui c’est d’entrer dans les aventures de Rachele in « sexland »

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Réflexions sur la pornographie « trans », Karine Espineira

Comment « je » me suis intéressée à la pornographie sur les trans ou dites trans ? Ici, il s’agit du fruit d’un pari, tel un exercice aux allures de défi à relever. Être invisible à moi-même est inenvisageable. En écrivant ces lignes suis-je en train de concentrer de « l’objectif » tout en cantonnant « le subjectif » à tout ce qui trouve au-delà de mon écran et de mon clavier ? Irène Jami (2008) et Elsa Dorlin (2009) rappellent les limites que Donna Haraway (1988) a pointé avec « le témoin modeste » permettant une lecture de l’histoire de la science moderne qui n’occulte pas ses exclusions de genre, ses exclusions sociales, ses exclusions de race.

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Mise en ligne, 2 mai 2013.

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