Maxime Foerster
Professeur assistant à SMU, Dallas
Maxime Foerster est docteur en lettres. Il travaille aux États Unis et réédite ce mois-ci son « Histoire des transsexuels en France » chez La Musardine, livre ré-intitulé pour l’occasion « Elle ou lui » (222p). Il propose une histoire des transidentités en trois temps que nous pourrions restituer ainsi : 1- La « naissance » des transidentités, 2- Les répressions transphobes, 3- Les résistance trans’.
Pour Foerster, la « naissance » des transidentités telles qu’on les connait aujourd’hui, est à chercher du côté de trois éléments successifs.
Premièrement, l’invention, par la psychiatrie et l’endocrinologie, du « trouble de l’identité sexuelle » suivie des réponses qui vont lui être proposées (opérations, protocoles psychiatriques…). L’auteur y parle notamment des médecins, Hirschfeld et Benjamin, tous deux connus pour leurs travaux sur « le transsexualisme ».
Second lieu d’éclosion de la question trans’ : les associations. A travers les premières figures militantes comme Marie-André Schwindenhammer, Maxime Foerster montre la manière dont la question trans’ glisse des expériences individuelles aux combats collectifs, et donc politiques.
Dans ce mouvement pour la visibilité, l’auteur insiste sur un troisième espace, celui du cabaret, autour, notamment, de la figure de Bambi, célèbre actrice trans’.
Mais comme le souligne cette « histoire des transsexuels en France », cette visibilité, ces expressions trans’, vont de pair avec une répression. C’est autour du concept de « transphobie » que l’auteur articule les deux dernières grandes étapes de son histoire, avec deux focus sur le Pasteur Doucé et sur l’association du GAT, deux figures individuelles ou collectives du combat contre la transphobie, à plusieurs années d’écart.
A l’occasion de cette réédition, nous avons souhaité rencontrer Maxime Foerster pour lui poser quelques questions autour de cette « histoire » dont l’actualité n’est plus à prouver (projets de lois, médiatisation accrue, rapports récent de l’Inspection Générale des Affaires Sociales et, deux ans auparavant, de la Haute Autorité de Santé…)
Édition H&O 2006
ODT- Bonjour Maxime. Tu peux te présenter ?
M.F.- Bonne question ! Ce que je trouve de particulièrement stimulant et prometteur dans la pensée queer, c’est justement le projet de s’exprimer à travers la résistance au devoir de se définir et d’être défini par les autres et les institutions. Devenir ce que l’on est, c’est explorer la fluidité et la diversité de nos facettes, ce qui revient à considérer l’identité comme mouvante et irréductible à une essence. Ceci étant dit, au niveau factuel, je viens de soutenir une thèse sur le thème de la réinvention de l’amour dans la littérature romantique française et espagnole et à partir de septembre j’enseignerai la littérature espagnole à l’Université du Michigan, dans la ville d’Ann Arbor aux États-Unis.
ODT- Comment résumerais-tu ton histoire des transidentités ? Pouvons-nous nous accorder sur le fait que cette histoire est celle d’une « inversion » en cours (pour reprendre les termes de Fassin), de la question « transsexuelle » à la question de la « transphobie ». Pour le dire autrement : la question n’est plus de savoir pourquoi est-on Trans mais pourquoi est-on transphobe ?
M.F.- Oui, ma stratégie a consisté à présenter un aperçu de l’histoire des transsexuels en France en ciblant non pas les transidentités comme problématiques mais au contraire l’existence et les conséquences de la transphobie comme fléau social. L’histoire de la transphobie est liée à celle du concept de la différence des sexes, concept que j’ai analysé dans mon premier livre La différence des sexes à l’épreuve de la République. Cette histoire reste largement à écrire : j’ai mis en valeur une poignée d’archives et de témoignages oraux mais c’est infime au regard de tout ce qui peut être recueilli et analysé. Quand bien même j’ai essayé de rester fidèle aux événements, puisqu’il s’agit de s’appuyer ce qui a eu lieu, j’ai écrit cette histoire en étant fasciné par le fait que le réel dépasse souvent la fiction : mon livre n’est pas seulement un engagement militant, c’est aussi une galerie de portraits qui met à l’honneur des parcours exceptionnels (Michel-Marie Poulain, Marie-André, Coccinelle, Bambi, le pasteur Doucé, Henri Caillavet, etc). Ces parcours ont eu un impact qui s’inscrit dans une histoire collective. J’ai écrit ce livre avec amour, admiration et inspiration.
ODT- Tu insistes longuement sur Coccinelle, sur la culture du cabaret. N’y a-t-il pas un risque d’exotisation de la question Trans à traiter cette histoire par ce bout-là ? En même temps, comme le montre Susan Stryker dans son reportage « copton’s cafétaria », c’est aussi ça, et la rue, qui participent de cette histoire et l’on sait que la culture LBGTQ passe très souvent par des manifestations puisant dans le répertoire artistique…
M.F.- Oui, je comprends que l’on puisse s’agacer du côté paillettes et glamour de la culture cabaret transgenre car elle retient beaucoup de lumière et éclipse l’attention qui doit aussi se porter sur les transidentités au quotidien, vécues loin de cette aura et mobilisant un autre contexte. Suite à ma rencontre avec Bambi, j’ai été et je reste fasciné par cette aura, cette culture, et cela se retrouve dans mon écriture avec un certain déséquilibre qui résulte peut-être de mon enthousiasme personnel. Cela rejoint d’ailleurs ce que je disais dans ma réponse précédente, à savoir qu’il faut compléter et rééquilibrer mon histoire que j’assume comme partielle.
ODT- Tu cites beaucoup le GAT : comment, vu de loin, la question de la militance te semble avoir évoluée ? Le GAT n’est plus, il y a parfois un « backclash » pathologisant dans certaines associations… Y a t-il, à tes yeux, un successeur au GAT dans le paysage associatif Trans actuel ? On pense par exemple à OUTrans qui se dit « association féministe et trans »…
M.F.- Le radicalisme du GAT me séduit, c’est un militantisme radical qui associait une intelligence pratique vis-à-vis de l’action politique à une vision fine et sans compromis des identités trans. Le GAT n’est plus, mais une belle leçon de militantisme a été donnée et cela pourrait, je l’espère, inspirer le militantisme d’aujourd’hui dans la lutte contre la transphobie. Il reste encore bien des raisons d’être en colère.
ODT- Depuis la parution de ton livre, sa première édition en tout cas, un front s’est largement ouvert : celui du droit (en Argentine récemment). Crois-tu qu’il soit à même de bousculer cette histoire des transidentités ?
M.F.- Oui, l’Espagne puis l’Argentine ont voté des lois qui vont dans le bon sens en facilitant le changement d’état-civil et en reconnaissant le droit de choisir son identité de genre. Là aussi, l’inversion a eu lieu : la priorité, c’est la lutte contre la transphobie. J’espère que l’élection de François Hollande change également la donne en France puisqu’il s’est engagé à agir dans la lutte contre la transphobie. Il faut bien sûr rester méfiant face aux promesses politiques mais le climat semble propice à la consultation et l’action pour faciliter les procédures de changement d’état civil, réformer les protocoles, améliorer la qualité des interventions chirurgicales, mener un travail de prévention contre le sida et autres IST qui touchent particulièrement les trans en France.
ODT- Du point de vue de la méthode, que réponds-tu aux remarques selon lesquelles « la question Trans c’est la question des Trans » (un peu comme celle du féminisme d’ailleurs…) ?
M.F.- Je réponds que nous sommes tous concernés, et de façon très intime, par la dialectique du masculin et du féminin. La question Trans nous interpelle tous car elle nous invite à remettre en question nos préjugés sur l’identité de genre : celles des autres, mais aussi la nôtre.
ODT- Ta réédition est ajoutée d’images, peu de texte. Pourquoi ce choix ?
M.F.- Les illustrations donnent un peu plus de chair au texte et rendent la lecture plus agréable : je voulais que le livre soit accessible par-delà un public de militants et de chercheurs sur les questions du genre. Quant au texte, je n’ai pas voulu surcharger la version originale et je me suis contenté d’une postface comme supplément pour indiquer qu’en six ans, le contexte semblait avoir évolué vers une meilleure configuration pour s’attaquer à la transphobie.
ODT- Auparavant tu avais aussi travaillé sur « la république » face « aux sexes » : crois-tu qu’en France la république puisse (ou doive) assimiler les Trans sans en référer obligatoirement à l’utopie Cisgenre ?
M.F.- Je suis favorable à la réécriture du droit de telle sorte que le sexe du sujet de droit soit sans effet juridique. De même que la notion obsolète de « race », que la République n’utilise plus pour définir ses citoyens, je milite pour que la notion de « sexe » devienne également une catégorie inopérante dans l’approche du sujet de droit. De fait, cela rendrait tous les citoyens trans puisque cela les priverait de la référence à l’ordre symbolique de la différence des sexes. Ce projet est une mesure de justice sociale.
ODT- Merci Maxime. Pour finir, dernière question : quels sont tes projets maintenant ?
Merci à vous pour votre attention. Mon projet actuel, c’est de co-écrire avec un ami, Marcelino Viera, un livre sur l’anarchisme.
Mis en ligne : 17.06.2012.