Entretien avec Estelle Beauvais

Réalisatrice et cinéaste


 

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Étant un tant soit peu en décalage par rapport au paysage vidéographique actuel, dont le rythme est de plus en plus soutenu, et qui représente des choses de plus en plus violentes, j’ai décidé que ma démarche devait privilégier un cinéma de proximité, sensible, modeste, qu’elle devait être construite dans un souci d’échange direct avec les personnes et les paysages que j’affectionne, que je filme, que je présente.

Source : http://www.estelle-beauvais.com/estelle_beauvais/biography.html

ODT : La genèse du projet ?

E.B. : L’impulsion première vient du fait que je n’ai jamais supporté la notion de normalité, je ne l’ai jamais comprise. Les notions de normalité et de perfection sont illusions. Elles nuisent à notre bonheur, à l’existence.

 

À mon sens, renouer avec sa propre fragilité permet de dépasser l’illusion de la perfection humaine. J’ai la conviction qu’accepter sa fragilité, c’est se donner les moyens d’exister et d’avancer. J’ai décidé de réaliser ce projet afin de mettre en valeur une notion refoulée, perçue comme négative dans nos sociétés et qui, assumée, représente pourtant (à mon sens) une grande qualité et même une force.

 

Il s’agit donc, à travers cette série de films, de soutenir une notion qui existe malgré nous et dont je suis persuadée que nous avons besoin pour nous accomplir en tant qu’humains. Il s’agit de s’avouer que pour avancer, il faut assumer et dépasser le fait que nous sommes ontologiquement fragiles.

Ce projet est une façon de participer et tenter d’aider ce processus de dépassement.

 

ODT : Comment t’es-tu donnée les moyens de le mener à bien ?

E.B. : J’ai commencé à dresser de façon organique une carte, la « Fragility Map » afin d’organiser le projet. Y sont inscrits mes lectures, les livres sources, les auteurs qui m’ont inspirés. Par ailleurs, il s’en dégagent les grandes thématiques que j’aimerais aborder à travers ce projet, les personnes (connues ou anonymes) et les lieux que j’aimerais filmer. En lien avec tout cela, j’y ai également posé les intentions de réalisation ainsi que les intentions plastiques.

 http://www.flickr.com/photos/daseinprojekt/6895567398/sizes/l/in/set-72157628717679039/

A partir de cette carte, j’ai commencé à prendre des rendez vous et organiser les premiers tournages.

Il s’agit d’un projet empirique, il se construit au fur et à mesure de la quête et des rencontres. La carte évolue en parallèle, au fil du projet.

 

ODT : Le rôle de ton entourage, de tes amies, des réseaux, etc., dans l’aide qui t’a éventuellement été apportée ?

E.B. : Très important ! J’ai des amis merveilleux qui me soutiennent tant dans ma vie personnelle que dans mon travail. Mon activité est très solitaire. Il y a toujours des moments où on a envie de baisser les bras, ou plus rien ne nous supporte, où on se sent très seul. Un sourire, une rencontre, une belle parole, un indice, et la motivation reprend.

Rencontrer mes amis, ma famille, les personnes qui me sont chers afin d’échanger est un moteur indéniable dans tout ce que je réalise.

Je suis entourée par des personnes issus de milieux, de communautés, de classes sociales très différents, ce qui représente à mon sens grande richesse.

Je tiens à remercier tout particulièrement Jef Guillon pour les réalisation musicales sur mesure et Bernard Zirnheld pour la réalisation des sous titres des films vers l’anglais.

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ODT : Quelles retombées ? Audience ? Succès d’estime ? 

E.B. : Il s’agit d’un projet de 24 épisodes, et j’aimerais aussi beaucoup réaliser un long métrage à l’issus de la série. Il s’agit donc d’un projet à long terme. Aujourd’hui, les retombées se font de façon progressive.

Le premier episode a beaucoup tourné en festival et lors d’événements divers, en Europe et dans le monde entier.

Pour l’instant 4 épisodes sont sortis et sont maintenant disponibles sur le site du projet. Les épisodes 5 et 6 sortiront  à la rentrée 2013 

ODT : Des projets ?

E.B. : Je réalise actuellement une série de portraits, des films courts. Il s’agit ici d’aller à la rencontre de personnes issues de milieux divers, sans contrainte de thématique. Ces portraits sont réalisés sur l’idée de mettre en valeur « le meilleur de chacun».

Je travaille aussi actuellement sur la réalisation d’un blog vidéo sur au CINEMA

Et puis je rêve, un peu secrètement, de réaliser un film d’anticipation…

ODT : Le concept de départ ?

E.B. : L’idée dans ce projet est de proposer au public de suivre la réalisation d’un documentaire en cours de création. Aussi ai-je décidé de l’articuler à travers une double lecture :

« La Fragilité » est tout d’abord une série de 24 films courts. Les films seront présentés régulièrement, dès leur production, dans des cinémas ou des événements publics divers et seront aussi intégralement mis en ligne sur le site internet dédié au projet.

En parallèle de cette série j’aimerais également réaliser un film long. Le montage rassemblerait de façon organique tout ce qui se sera passé durant la réalisation de la série. Il en emergera une nouvelle interprétation.

La série est divisée en deux parties.

 

Il y a tout d’abord ce que j’appelle « Les Histoires ».

Il s’agit de 12 films. Dans ces films vous rencontrerez des personnes dont l’expression de la fragilité et de des différences m’ont particulièrement touchée. En effet, ces personnes expriment à travers leurs histoires toute la beauté de la précarité de nos vies. Ces êtres ont fait le pari d’aller au fond d’eux-mêmes.

 

Il y a ensuite ce que je nomme « Les Clefs ». Il s’agit d’une deuxième série de 12 films.

Les philosophes et les penseurs aident à changer le monde. Ils utilisent les mots comme matériau et nous aident à formuler et rendre intelligibles nos idées. Il est nécessaire de leur réserver une place importante au sein de ce projet. Chaque film relatera d’une rencontre avec un auteur, un chercheur, philosophe, sociologue, physicien, psychanalyste, cinéaste… ayant un intérêt profond pour le domaine de la fragilité ou des notions voisines. Dans chacun de ces films seront apportés des outils de réflexion pour mieux intégrer la notion de fragilité aujourd’hui.

« Les Histoires » et « les clés » sont présentées au public de manière alternative.

 

 

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ODT :  Pourquoi ce titre ?

E.B. : Pour aller à l’essentiel. La simplicité. Le titre c’est le sujet, le sujet c’est le titre !

ODT : Questions trans ? De genre ou bien au-delà ?

E.B. : La réflexion trans nous appartient à tous. Elle permet une lecture significative de notre société et également de nos propres identités. Il était pour moi nécessaire d’aborder ce sujet, de l’intégrer dans un projet global tel que La Fragilité.

Le premier épisode de la série « La Lumière n’est ni juste ni injuste » a été réalisé en collaboration avec Jayrôme C. Robinet, jeune homme trans basé à Berlin.

L’épisode 6 est une rencontre avec la philosophe Françoise Brugère qui a notamment écrit « La Sexe de La sollicitude ». La question du genre y est largement abordée.

Dans la série « La Fragilité », la question du genre n’est pas une thématique en soi. Elle s’intègre naturellement dans le projet.

ODT : Merci Estelle.

 


Sites :

http://www.estelle-beauvais.com/estelle_beauvais/HOME.html

 http://www.la-fragilite.com/La_Fragilite/HOME.html