Interview : l’association OUTrans


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Pouvez-vous nous présenter Outrans ? 

Sur l’héritage militant et culturel et la « mémoire trans »

* Avez -vous bénéficiez, en tant que groupe et individus, d’un héritage et d’une mémoire ?
* La création d’Outrans est-elle liée à une absence d’héritage et de mémoire ou une autre raison ?

La création d’OUTrans n’est pas tant liée à une absence d’héritage qu’à une façon de militer dans laquelle les membres fondateurs d’OUTrans ne se reconnaissaient pas. On était encore trop souvent confronté à un discours relativement pathologisant, binaire et centré sur les questions liées à la transidentité uniquement, quand il ne s’agissait pas de personnes non-trans qui s’emparaient de ces questions sans réelle concertation ou prise en compte de ce que les trans pouvaient exiger eux mêmes. Que ce soit sur la reconnaissance de nos droits et le respect de nos propres stratégies face au gouvernement, mais aussi nos représentations, la remise en question des « rapports sociaux de sexe » depuis notre propre parole avec notre expérience et expertise.

OUTrans est aussi née au moment de l’IDAHO qui s’emparait subitement de la question trans en 2009, sans personne trans comme porte parole à l’époque , et surtout sans T à cet acronyme (toujours absent par ailleurs, même si Louis Georges Tin a maintenant dans « ses » rangs une personne trans pour parler publiquement du travail qu’ils-elles mènent au sein de l’IDAHO) . 

En créant OUTrans les membres fondateurs ont voulu à la fois mettre en place un réseau d’ auto support par et pour des trans en offrant de nouveaux outils que les militants créaient eux mêmes et dans lesquels ils pouvaient se reconnaitre, mais aussi concentrer leurs forces dans leurs propres revendications tant auprès des ministères que des acteurs sociaux, ou des autres associations (notamment les associations de santé sexuelle).

Si on doit parler d’héritage, concernant les questions trans et leurs enjeux socio politiques, on peut dire qu’OUTrans s’inscrit dans la continuité d’une lutte et de l’émergence d’un mouvement organisé, qui a commencé en France avec l’ASB , jusqu’au GAT . Si nous nous inspirons de cet héritage qui a fortement marqué le mouvement trans, pour autant nous tendons à créer une forme de militantisme qui ne soit pas un erzatz d’ACT UP ou du GAT et nous nous efforçons de créer, ré-inventer nos propres outils et stratégies en conservant une vraie reconnaissance pour cette transmission.

 Les discours ont changé et continuent d’évoluer sur la question de la pathologisation des transidentités, les représentations genrées liées aux identités qu’elles soient trans ou non. En cela, nous nous inscrivons aussi dans une tradition politique héritée du mouvement féministe et plus particulièrement le féminisme radical : dans l’exigence politique à disposer librement de son corps d’une part, mais aussi contre l’injonction aux rôles sociaux attribués et distribués selon le sexe et le genre. Donc, oui, nos pouvons nous prévaloir de l’héritage du féminisme radical dans ce sens: pas « extrême » ou « extrémiste » mais bien plutôt qui remet en question « à la racine » les catégories politiques que sont le sexe, le genre, la classe, la « race » etc…

Cela se retrouve dans la façon même dont nous nous organisons. Malgré les conflits, qui sont des conflits politiques enrichissants en terme de réflexion et de stratégies politiques, l’organisation du mouvement trans (peut être aussi parce qu’il est relativement petit et émergent) est assez horizontale dans l’échange de savoirs et surtout foisonnante et bouillonnante de nouvelles possibilités, de nouvelles réalités, de nouvelles utopies. Les exigences politiques que nous avons au sein du mouvement trans français sont fédératrices : dépathologisation, meilleur accès aux soins, éducation sur la question des transidentités, visibilité de nos parcours, de nos multiplicités, de l’injustice dont nous sommes « victimes » (obligation à la stérilisation pour le changement de papier pour ne citer que celle là), éducation sur les questions de sexualité et de réduction des risques VIH/hépatites/IST (auprès de trans, de leurs partenaires, aux associations de lutte contre le sida…). En somme pour reprendre des termes outre manche que nous aurions du mal à traduire autrement nous travaillons sur l’EMPOWERMENT et l’EMBODIEMENT. Nous ne sommes donc pas que trans. Nous sommes des militant-e-s trans, engagé-e-s et politiquement situé-e-s.

 

* Travaillez-vous avec d’autres structures/groupe/associations ? Pourquoi ? Sur quel type de projet/manifestation, autres ?

Nous essayons au maximum depuis la création d’OUTrans de travailler avec d’autres groupes (notre 1ère action publique : minute de cri à Paris au moment de l’iDAHO 2009, avait d’ailleurs été co-organisée avec l’association Etudions Gayment, http://etudionsgayment.blogspot.com/) sur le modèle de ce qui avait été initié à Montpellier par le collectif Pink Freakx (http://pinkfreakx.e-monsite.com/).

Tout d’abord en partenariat avec d’autres associations trans sur certains projets puisqu’il y beaucoup à faire et peu de forces. Par exemple nous entamons en ce moment même une collaboration sur plusieurs projets avec l’association lyonnaise Chrysalide (http://chrysalidelyon.free.fr/), association trans avec laquelle nous avons déjà à plusieurs reprises cosigné des CP et avec laquelle nous échangeons régulièrement sur nos expériences et notre travail. Mais nous essayons également de créer des ponts avec des associations LGBT / transpédégouines et des collectifs féministes.

Nous avons organisé un bloc trans à la marche des fiertés de Paris en juin 2009, nous faisons partie depuis sa création de la campagne égalité des droits ( http://www.egalitedesdroits.fr/), nous participons aux 1er mai, 8 mars, et plus généralement aux pink blocks régulièrement présents dans les manifestations. (http://outrans.org/spip.php?article111)

Nous avons aussi organisé un bloc trans au sein de la marche du 1er décembre 2009 (http://outrans.org/spip.php?article83) alors que nous sortions peu de temps après la brochure DTC (http://transetvih.org/dtc/). 

La commission santé d’OUTrans a dispensé une formation auprès des écoutants de Sida Info Service afin d’introduire une base de réflexion sur les questions de genre et plus spécifiquement sur les questions trans afin qu’ielles soient plus à même d’accueillir et accompagner les personnes trans qui les appellent. Nous envisageons de continuer à former d’autres militant-e-s ou acteurs-rices de terrain ainsi que de nous former nous mêmes davantage sur les questions liées à la santé et à la sexualité et avons entamé des discussions dans ce sens avec AIDES et FRISSE (http://www.i-lyon1.com/assos-99.html).   

Il nous paraît nécessaire de nous allier avec l’ensemble du tissu associatif français qui partagent nos ambitions et revendications politiques. D’une part, parce qu’OUTrans est une petite association avec peu de membres actifs sur le long terme, mais aussi et surtout parce qu’il est important d’êtres nombreux-ses et de faire bloc pour atteindre nos objectifs politiques. Nous voulons rendre accessible à un maximum d’individu-e-s nos outils politiques et ce que nous avons travaillé, pensé et fabriqué sans pour autant faire de compromis sur notre engagement. Nous avons tout à gagner à partager nos forces sur différentes actions en collaboration et en alliance avec d’autres groupes ou associations avec qui nous avons des revendications communes et qui concernent aussi les trans et qui sont généralement les revendications des groupes minorisés sur différentes déclinaisons.


* Vous avez participé à l’Existrans 2010 ? Qu’en tirez-vous politiquement, culturellement ? Qu’en attendez-vous ? 

Nous sommes impliqués dans l’organisation de la marche Existrans, bien que cette année nous n’ayons pu nous investir comme nous l’aurions souhaité, nous restons en outre signataires des revendications portées par la marche ainsi que par le STP 2012 (http://www.stp2012.info/old/)

Nous sommes persuadés qu’il est indispensable que les associations trans discutent entre elles et fassent bloc malgré les dissensions et les oppositions qui peuvent exister. C’est d’ailleurs ce que nous avons souhaité amorcer en organisant une Assemblée Générale des trans en avril 2010. Le ministère de la santé avait fait part de son intention de créer un ou plusieurs centre(s) de référence pour la prise en charge des personnes trans en France, et souhaitait n’intégrer au maximum que 2 représentantEs de la communauté trans au groupe de travail sur le sujet. Il nous a donc semblé que c’était le moment de tenter de réunir le plus d’associations et de personnes trans pour adopter une stratégie commune face à ce gros chantier, et éventuellement d’élire ensemble des représentantEs qui iraient au Ministère. Une vingtaine d’associations et une cinquantaine de personnes ont répondu présents à notre appel et des représentants ont été élus avec un mandat (http://outrans.org/spip.php?article117).

Beaucoup d’associations, de collectifs et même d’individus isoléEs travaillent dans leur coin sur les questions de la transidentité mais il existe malheureusement très peu d’occasions et d’espaces où nous rassembler et discuter ensemble de notre travail et de nos revendications. L’Existrans pourrait, pourquoi pas, être ce moment si des temps de rencontre et de débat y étaient pensés et organisés.

 

Vos représentations

* Quelles représentations faites-vous de vous-mêmes ? De vos actions ?
* Du rapport de notre communauté avec la société ?

Vous vous sentez dans une identité « trans » ou dans une identité homme et femme, voire « autre » ? (cette question s’adresse tant aux personnes qu’à une éventuelle ligne (de rupture, culturelle, sociale, théorique… d’Outrans)

A OUTrans, nous avons depuis le début, adopté le mot « trans », refusant d’entrer dans le débat transgenres-transsexuel(le)s qui pour nous est un faux débat. C’est une mise en pratique dans nos vies privées de ce que fabrique le discours médical, c’est à dire selon nous une division inutile entre les trans parce qu’ils auraient choisi certaines « options » dans leur transition : avec ou sans hormones, avec ou sans bite/vagin, avec ou sans changement de papiers qui est quand même très fortement lié avec des opérations lourdes: de sens (stérilisation et interdiction morale de se reproduire), économiquement et psychologiquement, physiquement…) etc… 

Il nous semble nécessaire à OUTrans de ne pas se faire le jeu du discours médical qui voudrait diviser les trans en catégories distinctes: les vraiEs des faux/fausses. La question des transidentités n’est pas une lubie pour les personnes qui la vivent, quand bien même émergent aujourd’hui des expériences beaucoup plus vastes que la prise d’ hormones, des opérations, des changements de papiers ou autre chose que le discours dominant de l’enfermement (un homme enfermé dans un corps de femme et inversement) etc… Nous sommes bel et bien dans une identité trans, pas « autre » ou « homme » ou « femme », ou encore « ex-lesbienne/gouine » « ex gay/pédé » etc…

Il ne s’agit pas de catégoriser de nouveau les hommes les femmes et les autres. Ce que mettent en lumière les transidentités, c’est qu’elles sont rattachées à des histoires et des parcours de vies : il s’agit d’une question éminemment politique qui questionne aussi ce qui fait des individuEs des hommes ou des femmes. On demande aux trans s’ils se sentent homme ou femme. Si on posait la question à un homme ou à une femme cisgenre, serait-il/elle en mesure d’y répondre ? Les réponses seraient-elles identiques ? Et si on demandait ce qui fait qu’elles se sentent homme ou femme, les réponses seraient elles aussi restrictives que ce que nous imposent les nosographies psychiatriques relatives à la transidentité ? Le féminisme à déblayé un chemin dans les stéréotypes et les représentations autour des questions de genre, le transinisme (sans faire de retour essentialiste à notre « nature trans ») peut il continuer à travailler et/ou élargir les contours de ce chemin ?

La possibilité de s’autodéfinir est primordiale pour nous. Nous préférons nous rassembler derrière des revendications qui concernent les minorités de manière générale en y apportant un éclairage spécifique aux questions trans, plutôt que derrière la revendication unique de la transidentité tellement fluctuante et certainement pas arrêtée.

Nous préférons d’ailleurs employer les termes ft* et mt* moins restrictifs que ftm et mtf, tout comme un ensemble de termes moins essentialisant et/ou genré que nous avions abordé dans DTC.(par exemple sur l’usage des capotes en retirant « fémidon VS « capote » » pour créer une nouvelle expression « capote interne » et « capote externe »). Avant cette façon d’aborder les transidentités, nous ne l’avions pas spécialement vu ailleurs en France, alors certainement que ça pourra avoir un impact dans les représentations si les trans elleux mêmes s’en emparent.

Ce qui lie les membres d’OUTrans n’est pas tant notre identité, que ce que notre expérience et nos parcours de vie  nous amènent à questionner sur le social et le politique autour des questions trans. Ce qui nous lie est un système d’oppression commun avec d’autres catégories minorisées.

Ainsi tou-te-s les militant-e-s d’OUTrans ne sont pas trans, blanc-he-s et/ou hétérosexuel-le-s. 

 

Y a t-il un héritage spécifique FtM ?

 Outrans apporte-il une spécificité propre ? Dans l’espace militant Trans ? dans le débat public ? Faites-vous des actions de visibilité publique, lesquelles ?

Vu la nouveauté de la visibilité des masculinités trans, il est difficile de répondre à cette question. Il y a des figures historiques des débuts de la visibilisation et de l’activité associaitive des trans Ft*, par exemple Tom Reucher avec l’ASB ou encore Lazz et son forum pour les trans qui était une ressource incroyable pour les trans à la fin des années 90 et les prémisses de la réduction des risques et la visibilité de la question des trans gay/pédés. Certains travaux photographiques ou filmographiques ont participé à fabriquer des icônes dans la communauté qui permet aux trans aujourd’hui plus qu’il y a une dizaine d’années à peine de s’identifier, de se sentir légitime et surtout fier d’être trans. Les trans masculins peuvent aujourdhui avoir d’autres représentations que la seule idée d’un individu en souffrance, replié sur lui même… Pour autant, si l’on pense par exemple aux modèles de Kaël T block on ne peut pas dire que les modèles soient très divers (en terme de normes corporelles par exemple) et plus encore que le projet soit féministe…

Si l’on parle de manifestation, nous n’avons pas fait d’action publique depuis l’Existrans, mais selon nous, toutes les manifestations auxquelles nous participons ou que nous organisons sont en soi des actions publiques et donc des actions de visibilité. Nous ne faisons pas d’action pour représenter OUTrans dans l’espace public mais pour porter un ensemble de revendications liées aux questions trans. Quant à l’organisation d’actions directes, qui viserait un endroit ou un groupe de personnes précises, nous avons tenté d’en faire mais nous sommes bien trop peu pour les mener à bien.

Il est tout aussi difficile de répondre si nous apportons une spécificité propre que ce soit dans l’espace militant trans ou dans le débat public. C’est plutôt le travail des journalistes ou des sociologues, anthropologues de répondre par une enquête de terrain à cette question! Nous sommes bien trop dedans pour prendre le recul nécessaire et pouvoir répondre à cette question avec un minimum d’objectivité et d’humilité.