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Étiquette : Espace militant

Ali Aguado : Historique du mouvement trans et des luttes politiques

Ali Aguado

Militant à OUTRANS

 

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Historique du mouvement trans
et des luttes politiques

OUTrans est une association d’auto support trans fondée en 2009. Notre première action a été une minute de cri contre la transphobie le jour de l’IDAHO. Nous avons depuis mené plusieurs actions dans l’espace militant mais aussi des productions d’auto support, notamment en terme de santé sexuelle. Un guide de prévention et une campagne nationale de dépistage pour les trans et leurs partenaires, un guide sur le b.a BA des opérations. Notre action consiste à offrir des outils aux personnes trans mais aussi à leurs proches dans des questions de vie quotidiennes concrète mais aussi à mener de front une lutte pour participer aux termes du débat sur la questions trans puisque nous estimons être les premières personnes concernées.

Pour nous situer rapidement, nous nous reconnaissons comme des héritiers et héritières des luttes féministes où le féminisme est pour nous une boîte à outils pour penser les rapports de pouvoirs qui nous traversent  en tant que personne trans dans une société profondément sexiste, raciste et par extension homophobe, lesbophobe et transphobe. Le féminisme et le mouvement queer, nous permettent alors d’avoir des outils politiques pour nous affranchir des diktats de la pensée dominante. 

Nous sommes ici aussi parce qu’avant nous d’autres trans se sont mobilisé.es et ont réussit à imposer la question trans à force de luttes dans l’agenda politique à l’échelle nationale et internationale. Après de nombreuses années de lutte nous avons  réussi à imposer notre présence dans différents espaces. 

Je pense notamment à l’espace universitaire français où il n’aurait pas été question il y a 10 ans de cela que des trans prennent la parole pour discuter et proposer des pistes de réflexions sur les enjeux politiques et sociaux que révèlent ou soulèvent nos identités, pas plus qu’il aurait été possible d’avoir un espace pour que les trans eux et elles-mêmes fassent une analyse critique de la médecine, de la psychiatrie et de tenter de questionner nos  représentations sur le genre. 

Ce que je voudrais aborder aujourd’hui c’est donc l’émergence du discours trans dans l’espace militant mais aussi et surtout ce que ce discours produit lorsque le sujet parle lui-même.  On réalise alors que la transidentité au singulier n’existe pas mais qu’il serait plus juste de penser les transidentités dans tous ces possibles dépassements. Au même titre que le sujet “femme” qu’un universalisme aveugle défendrait peut on dire qu’il n’existe qu’un sujet trans au singulier ?

I. Historique du mouvement trans et des luttes politiques

 

1989-1997

1989 : Une circulaire interne au Ministère de la Santé établit que seules les personnes entrant dans le protocole établit par les équipes médicales « spécialisées » et gérer par les hôpitaux publics pourront être remboursés des frais médicaux relatifs à leur transition.

1992 :  La CEDH condamne la France, elle met en évidence que le droit français place les requérants dans un non respect de la vie privée (article 8 de la CEDH)

1997 : Première EXISTRANS à l’initiative de l’ASB (Association du Syndrome de Benjamin)

2003-2007

2003 : Premières revendications portées par le GAT : 

1- La déclassification du transsexualisme de la nosographie psychiatrique au même titre que l’homosexualité qui a été retirée par décision politique de l’A.P.A (association des psychiatres américains); la transsexualité, compte tenu de la méconnaissance du corps médical après des dizaines d’années de “recherches”, doit être sortie du diagnostic psychiatrique préalable. La dépsychiatrisation impliquant une aide, un accompagnement à l’AUTO-DIAGNOSTIC.

2- L’abrogation ou la révision du protocole pour que les équipes médicales se réfèrent à un protocole adapté à chaque individu et non plus sur l’entité «   transsexuelle   ».

3- Le libre choix du médecin par un principe affirmé de l’aide à l’AUTO-DIAGNOSTIC. (respect de l’article R4127-6 du code de Sécurité Sociale). Et non plus la toute puissance médicale d’une équipe hospitalière auto-proclamée spécialiste qui se ferait gardienne de notre identité/corps.

4- Une meilleure adaptation des dispositifs juridiques et administratifs dans la période transitoire ne nous condamnant ainsi plus à la clandestinité.

Septembre 2004: Première AG des trans organisée par le GAT. 

1-  L’Assemblée Générale demande la dépsychiatrisation de la question Trans.

2- L’Assemblée générale demande aux associations, groupes et organisations Trans’ présents le 27 septembre à l’ANAES de proposer collectivement un accès aux soins sans diagnostic psychiatrique préalable.

3- L’Assemblée Générale demande le changement du numéro de sécurité sociale et du prénom sans acte chirurgical préalable.

 

Octobre 2004: Existrans : PSYCHIATRISATION= TRANSPHOBIE

30 décembre 2004: Création de la Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’égalité.La HALDE n’a jamais reconnu  la transphobie comme une discrimination. Le Défenseurs des Droits et des libertés non plus.

2007- aujourd’hui

Octobre 2007 : Première organisation Européenne de l’Existrans.  CONTRE LA PSYCHIATRISATION= RESISTRANS. Manifestations conjointes à Barcelone, Paris et Lisbonne.

Avril 2009 :  La Haute Autorité en Santé (HAS) publie son rapport sur la « prise en charge du transexualisme » en France.

Ce document, publié en avril 2009, traite de l’ensemble de la prise en charge du « transsexualisme » par le système de santé français. Il aborde la prise en charge médicale – diagnostic, hormonothérapie et chirurgie de réassignation – mais également les questions socio-culturelles et juridiques. Il résulte d’une analyse de la situation au cours de laquelle la HAS a rencontré des transsexuels, des professionnels de santé et des institutionnels.

 

Mai 2009 : Création d’OUTrans.

16 mai 2009 Roselyne Bachelot Narquin (ministre de la santé, de la jeunesse et des sports) déclare publiquement qu’elle vient de saisir la HAS « afin de publier un décret déclassifiant la transsexualité des affections psychiatriques de longue durée. »

Cependant cette déclaration ne va pas dans le sens d’une dépsychiatrisation de la transidentité, il s’agit simplement dans le code de la sécurité sociale français d’une reclassification de l’ALD 23 (affections psychiatriques de longue durée) vers une autre ALD. Une ALD est une Allocation de Longue Durée pour la prise en charge médicale et financière de personnes malades… Il ne s’agit que d’un changement de termes employés a des fins moins pathologisantes. Cependant, le ministère ne s’oppose pas à l’évaluation psychiatrique humiliante destinée à déterminer si une personne trans peut avoir accès au traitement hormonal. C’est pourtant un des problèmes les plus importants rencontré par les personnes trans, qui a un impact concret sur leur vie quotidienne, leur estime d’elles-mêmes, et qui est révélateur de la transphobie du système de santé.

Juillet 2009:  Publication des 12 recommandations du document Gender Identity and Human Rights de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits humains du conseil de l’Europe.

Février 2010 Le Ministère de la Santé vient de publier le décret qui reclasse la transidentité des ALD 23 (affections psychiatriques longue durée) à l’ALD 31. Ce décret ne va pas dans le sens d’une dépsychiatrisation de la transidentité. En pratique, rien ne change pour les personnes trans qui restent considérées comme des malades devant être soumises à un suivi psychiatrique.

Mai 2010:  La ministère de la Justice, Michèle Alliot Marie rend public sa réponse à une question posée par un sénateur socialiste (Roger Madec) traitant de l’opération chirurgicale obligatoire pour procéder au changements d’état civil pour les trans.  Dans sa réponse elle rappelle des arrêts de la Cour de cassation datant de 1992 justifie que «le principe du respect dû à la vie privée justifie que l’état-civil indique le sexe dont la personne a l’apparence» et rappelle «qu’il appartient aux tribunaux d’apprécier au cas par cas les demandes de changement de sexe, au regard du caractère irréversible de celui-ci». 

Dans le même temps elle annonce cette précision que quelques associations trans françaises portent depuis des années: : «L’opération de réassignation sexuelle ne doit pas être systématiquement exigée dès lors que le demandeur apporte la preuve qu’il a suivi des traitements médico-chirurgicaux (hormonothérapie, chirurgie plastique…) ayant pour effet de rendre irréversible le changement de sexe et de lui conférer une apparence physique et un comportement social correspondant au sexe qu’il revendique.» 

25 avril 2010:  2ème AG des trans à l’appel d’OUTrans. Vote majoritaire contre les Centres de Référence.

   

Les revendications portées par l’AG des trans sont les suivantes :

 

-absence de test de vie réelle.

-libre choix du médecin, possibilité de parcours hors-centre de référence et remboursements assurés.

-élargissement des catégories professionnelles réunies dans ces centre par rapport aux équipes hospitalières existantes

-non-obligation de l’hormonothérapie réversible.

-obligations des praticiens à contribuer à la communauté scientifique internationale

-changement d’état civil facilité

-place décisionnaire des associations de personnes concernées dans les centres de référence.

-individualisation des parcours, y compris sur le plan corporel

-prise de modèle sur les Plannings Familiaux.

 

Par ailleurs l’Assemblée Générale des Trans a voté la résolution suivante :

– Pour mettre en oeuvre la dépsychiatrisation des transidentités, la prise en charge de la transition doit exclusivement se fonder sur une déclaration de consentement éclairé sans aucune forme d’évaluation ou de diagnostic.

19 mai 2010: Roselyne Bachelot a annoncé publiquement son intention de demander à l’Organisation Mondiale de la Santé de retirer le transsexualisme de la liste des maladies mentales, comme l’OMS l’avait fait pour l’homosexualité auparavant (1992 pour la CIM). Il aura fallu plus de 5 ans pour que le gouvernement prenne au sérieux le travail et les revendications portées par les diverses associations trans françaises. Pourtant, le ministère de la santé soutient le projet des Centre de référence qui consiste au final à légitimer l’installation des équipes hospitalières actuelles. Il y a visiblement une volonté de l’Etat français de se caler sur le modèle espagnol.

Juillet 2010: Création de la SOFECT : La SOciété Française d’Etude et de prise en Charge du Transexualisme  qui estime que « travailler ensemble est particulièrement important à un moment où les classifications et les concepts qui sont en jeu dans l’évaluation des patients que nous prenons en charge sont en cours de modification. A travers ces changements, l’action des médias, de politiques politiciennes, et d’associations d’usagers, peuvent obscurcir ce qui en France est le moteur de notre activité: un but thérapeutique » . La SOFTEC est en réalité les équipes médicales hospitalières qui se sont proclamées elles-même expertes de la « prise en charge » des personnes trans.

Septembre 2010 : Première réunion du groupe de travail DGOS (Direction Générale de l’Offre de Soins). 2/3 des personnes présentes sont membres de la SOFECT, dont Colette Chilland.

Janvier 2011 : OUTrans sort un guide à destination des pd/gay trans qui font du sexe avec des gay/pd cisgenres.

Mars 2011 : Appel d’offre de l’INPES pour des projets liés à la santé sexuelle des Trans.

Avril 2011 : Le ministre du travail de l’emploi et de la santé commande un rapport à l’IGAS qui doit aider entre autre à « évaluer l’opportunité de la création d’un centre de référence pour la prise en charge médicale du transsexualisme.». Tout le tissu associatif français travaillant activement sur la question trans est auditionné ainsi que certaines associations de lutte contre le sida. Nous n’avons aujourd’hui toujours pas le rendu de cette enquête alors que le rapport de l’IGAS a été rendu au ministre de la santé et des sports.

Décembre 2011 : OUTrans diffuse la première campagne d’incitation au dépistage à destination des personnes trans. Au même moment, une enquête de l’INSERM menée sur la santé sexuelle des trans est publiée. Le taux de séroprévalence chez les Femmes Trans migrantes et travailleuses du sexe est 3 à 4 fois plus élevée que la moyenne.

 

Chrysalide, association trans d’auto support à Lyon a mené elles même une autre enquête sur l’accueil de la population trans par le corps médical et le rapport des trans à leur propre santé (sexuelle et générale).

 

  1. II.Quand le sujet parle…

Comme on peut le voir, l’émergence des luttes pour les droits des personnes trans a opéré en premier lieu un déplacement de la question trans du champs psychiatrique vers le champs politique. 

Dans la lignée des mouvements féministes, nous questionnons les catégories qui produisent les rapports de pouvoirs qui structurent notre société en même temps qu’elles en émanent.

Le discours médical, réputé exact parce que scientifique, prétend exister en dehors et au dessus des rapports sociaux. Ce discours scientifique produit alors des catégories en dehors de toute réalité sociale, en dehors de rapport de lutte et les inscrit alors dans une vérité qui se voudrait universelle et naturelle.

En réalité, ces dispositifs créent et classent des catégories d’êtres : qui est un homme ? Qui est une femme ? Qui est trans ? Qui est malade ? Qui doit être guéri-e ?

 

Ces catégories deviennent alors naturalisées et maintiennent la catégorie femme et la catégorie trans dans un état de subordination.

S’émanciper des discours médicaux et psychiatriques hégémoniques, c’est revendiquer le droit de choisir nous-mêmes les corps et les identités de genre que nous voulons. C’est refuser qu’une normes présentée comme naturelle et allant de soit alors qu’elle n’est que la production et le reflets de rapports de domination, nous soit imposée et puisse dicter ce que nous sommes et ce que nous devrions devenir.

 

Ainsi, nous pensons nos  transidentités au pluriel et nous revendiquons la diversité de nos parcours trans. Le respect de l’auto-définition de chacun-e est à la base de notre pratique militante à OUTrans.  Pour autant passer du refus d’une binarité obligatoire à l’obligation de se situer en dehors des catégories de genre hégémoniques serait substituer un discours imposé à un autre. C’est pouruqoi nous restons vigilants quant au discours qui se voudrait «   queer   » et qui refuse le droit aux personnes trans de se penser et d’advenir dans des catégories  de genre dominante sous prétexte que ce serait se faire le jeu de la «   différences des sexes   » et d’un certain retour à l’essentialisme. Notre discours militant se situe sur ces deux fronts de lutte   : contre les contraintes sociales qui nous voudraient hommes ou femmes dans les stéréotypes les plus crasses et contre la contrainte d’un discours queer au delà de nos réalités sociales qui voudraient que nous ne soyons ni homme ni femme.

 

  1. II.… Le discours suit…

Pour que nos identités ne soit pas le jeu d’une instrumentalisation politique et normative de part et d’autre, dans OUTrans nous estimons qu’il est urgent que nous prenions la parole , que nous créions nous-mêmes les conditions d’émergence de notre lutte et de notre discours, que nous revendiquions notre appartenance au mouvement féministe comme sa possible prolongation réflexive sans en accepter pour autant les dérives transphobes.  Il est tout aussi important pour nous de nous inscrire dans le mouvement queer sans  sans renoncer à nous définir hommes ou femmes comme nous le voulons, quand nous le voulons et où nous le voulons. L’importance de la définition de soi réside en cela même qu’elle fluctue selon les espaces où elle est affirmée et relève notamment de notre sécurité dans une société profondément sexiste et transphobe et globalement ignorante sur les enjeux liés à la vie des trans. Ainsi, nous venons perturber à notre façon, le système de production des savoirs en nous positionnant nous mêmes comme nos propres experts, des experts profanes dans la vue de dépassé la catégorie nosographique qui nous a été assignée. Nos transidentités sont politiques et notre lutte est une lutte d’émancipation.

 

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Pour s’appuyer sur des exemples de discours que OUTrans a pu produire on peut par exemple s’appuyer sur cette affiche réalisée à l’occasion du Tdor en 2011. Le T DOR est le jour de commémoration des personnes trans victimes d’assassinat. Nous ne voulions pas ce jour là pleurer les morts de notre communauté mais bien plutôt exprimer notre rage et exiger des revendications concrètes qui peuvent endiguer les agressions transphobes. Nous avions donc choisit ce slogan «   En rage plutôt qu’en deuil   » pour nous défaire entre autre d’un positionnement attendu de la part de la communauté trans   : montrer notre souffrance comme pour montrer patte blanche. (mettre affiche Tdord+cp et/ou lien)

Nous voulons dans OUTrans produire non seulement un savoir qui nous est propre mais aussi une grammaire pour nous penser davantage dans la puissance d’agir, l’empowerment, que de renouveler sans cesse la position victimisante qu’un système inégalement distribué attends de nous, fait de nous des individuEs acceptables. Le communiqué de presse qui accompagnait cette affiche ne pouvait pas être plus explicite. Nous voulions célébrer notre force, notre puissance et notre résilience. Nous voulions aussi visibiliser (et continuons de le faire) que la transphobie n’est pas seulement le jeu de certainEs individuEs violentEs qui ne supporteraient pas  la visibilité des trans dans l’espace public, mais qu’il s’agit bien d’un dispositif global et incorporé par chacunE. Les discours faisant encore une différenciation entre les sujet trans  , transgenres et transexuels (qui s’appuient donc sur la psychiatrie et donne alors plus ou moins de valeur à nos vies) , créant une échelle de souffrance face aux situations de discriminations auxquelles nous pouvons être confrontés, une échelle de catégories qui nous divise valide et participe à rendre la transphobie licite  ; un appareil d’Etat qui s’entête à freiner l’accès à nos droits en les niant fonctionnant au cas par cas pour les questions de changement d’Etat civil sans opération chirurgicale, etc….

 

 

En conclusion, c’est à nous, trans, de repenser le sens politique que l’on veut donner à nos vies, à nos parcours et surtout à nos différentes représentations. Nous n’avons pas à laisser d’autres parler pour nous et nous mettre à une place de victimes passives. Si dans nos esprits, si dans la représentation de la majorité des individus trans, la transidentité rime avec souffrance ça n’est pas parce qu’il s’agit d’une « maladie », mais parce que les dispositifs transphobes qui nous asphyxient et régissent nos vies nous empêchent de nous déployer socialement comme nous le désirons. Les trans sont aussi et avant tout une catégorie éminemment politique (et non une catégorie psychiatrique), nos luttes revendiquent une égalité radicale qui touche au corps, à l’identité, au plaisir, à la santé, au travail, au savoir, au pouvoir de définir d’autres normes de vie.

 


Mis en ligne : 18 mai 2012.

Interview : l’association OUTrans

Interview : l’association OUTrans


Logo outrans


 

Pouvez-vous nous présenter Outrans ? 

Sur l’héritage militant et culturel et la « mémoire trans »

* Avez -vous bénéficiez, en tant que groupe et individus, d’un héritage et d’une mémoire ?
* La création d’Outrans est-elle liée à une absence d’héritage et de mémoire ou une autre raison ?

La création d’OUTrans n’est pas tant liée à une absence d’héritage qu’à une façon de militer dans laquelle les membres fondateurs d’OUTrans ne se reconnaissaient pas. On était encore trop souvent confronté à un discours relativement pathologisant, binaire et centré sur les questions liées à la transidentité uniquement, quand il ne s’agissait pas de personnes non-trans qui s’emparaient de ces questions sans réelle concertation ou prise en compte de ce que les trans pouvaient exiger eux mêmes. Que ce soit sur la reconnaissance de nos droits et le respect de nos propres stratégies face au gouvernement, mais aussi nos représentations, la remise en question des « rapports sociaux de sexe » depuis notre propre parole avec notre expérience et expertise.

OUTrans est aussi née au moment de l’IDAHO qui s’emparait subitement de la question trans en 2009, sans personne trans comme porte parole à l’époque , et surtout sans T à cet acronyme (toujours absent par ailleurs, même si Louis Georges Tin a maintenant dans « ses » rangs une personne trans pour parler publiquement du travail qu’ils-elles mènent au sein de l’IDAHO) . 

En créant OUTrans les membres fondateurs ont voulu à la fois mettre en place un réseau d’ auto support par et pour des trans en offrant de nouveaux outils que les militants créaient eux mêmes et dans lesquels ils pouvaient se reconnaitre, mais aussi concentrer leurs forces dans leurs propres revendications tant auprès des ministères que des acteurs sociaux, ou des autres associations (notamment les associations de santé sexuelle).

Si on doit parler d’héritage, concernant les questions trans et leurs enjeux socio politiques, on peut dire qu’OUTrans s’inscrit dans la continuité d’une lutte et de l’émergence d’un mouvement organisé, qui a commencé en France avec l’ASB , jusqu’au GAT . Si nous nous inspirons de cet héritage qui a fortement marqué le mouvement trans, pour autant nous tendons à créer une forme de militantisme qui ne soit pas un erzatz d’ACT UP ou du GAT et nous nous efforçons de créer, ré-inventer nos propres outils et stratégies en conservant une vraie reconnaissance pour cette transmission.

 Les discours ont changé et continuent d’évoluer sur la question de la pathologisation des transidentités, les représentations genrées liées aux identités qu’elles soient trans ou non. En cela, nous nous inscrivons aussi dans une tradition politique héritée du mouvement féministe et plus particulièrement le féminisme radical : dans l’exigence politique à disposer librement de son corps d’une part, mais aussi contre l’injonction aux rôles sociaux attribués et distribués selon le sexe et le genre. Donc, oui, nos pouvons nous prévaloir de l’héritage du féminisme radical dans ce sens: pas « extrême » ou « extrémiste » mais bien plutôt qui remet en question « à la racine » les catégories politiques que sont le sexe, le genre, la classe, la « race » etc…

Cela se retrouve dans la façon même dont nous nous organisons. Malgré les conflits, qui sont des conflits politiques enrichissants en terme de réflexion et de stratégies politiques, l’organisation du mouvement trans (peut être aussi parce qu’il est relativement petit et émergent) est assez horizontale dans l’échange de savoirs et surtout foisonnante et bouillonnante de nouvelles possibilités, de nouvelles réalités, de nouvelles utopies. Les exigences politiques que nous avons au sein du mouvement trans français sont fédératrices : dépathologisation, meilleur accès aux soins, éducation sur la question des transidentités, visibilité de nos parcours, de nos multiplicités, de l’injustice dont nous sommes « victimes » (obligation à la stérilisation pour le changement de papier pour ne citer que celle là), éducation sur les questions de sexualité et de réduction des risques VIH/hépatites/IST (auprès de trans, de leurs partenaires, aux associations de lutte contre le sida…). En somme pour reprendre des termes outre manche que nous aurions du mal à traduire autrement nous travaillons sur l’EMPOWERMENT et l’EMBODIEMENT. Nous ne sommes donc pas que trans. Nous sommes des militant-e-s trans, engagé-e-s et politiquement situé-e-s.

 

* Travaillez-vous avec d’autres structures/groupe/associations ? Pourquoi ? Sur quel type de projet/manifestation, autres ?

Nous essayons au maximum depuis la création d’OUTrans de travailler avec d’autres groupes (notre 1ère action publique : minute de cri à Paris au moment de l’iDAHO 2009, avait d’ailleurs été co-organisée avec l’association Etudions Gayment, http://etudionsgayment.blogspot.com/) sur le modèle de ce qui avait été initié à Montpellier par le collectif Pink Freakx (http://pinkfreakx.e-monsite.com/).

Tout d’abord en partenariat avec d’autres associations trans sur certains projets puisqu’il y beaucoup à faire et peu de forces. Par exemple nous entamons en ce moment même une collaboration sur plusieurs projets avec l’association lyonnaise Chrysalide (http://chrysalidelyon.free.fr/), association trans avec laquelle nous avons déjà à plusieurs reprises cosigné des CP et avec laquelle nous échangeons régulièrement sur nos expériences et notre travail. Mais nous essayons également de créer des ponts avec des associations LGBT / transpédégouines et des collectifs féministes.

Nous avons organisé un bloc trans à la marche des fiertés de Paris en juin 2009, nous faisons partie depuis sa création de la campagne égalité des droits ( http://www.egalitedesdroits.fr/), nous participons aux 1er mai, 8 mars, et plus généralement aux pink blocks régulièrement présents dans les manifestations. (http://outrans.org/spip.php?article111)

Nous avons aussi organisé un bloc trans au sein de la marche du 1er décembre 2009 (http://outrans.org/spip.php?article83) alors que nous sortions peu de temps après la brochure DTC (http://transetvih.org/dtc/). 

La commission santé d’OUTrans a dispensé une formation auprès des écoutants de Sida Info Service afin d’introduire une base de réflexion sur les questions de genre et plus spécifiquement sur les questions trans afin qu’ielles soient plus à même d’accueillir et accompagner les personnes trans qui les appellent. Nous envisageons de continuer à former d’autres militant-e-s ou acteurs-rices de terrain ainsi que de nous former nous mêmes davantage sur les questions liées à la santé et à la sexualité et avons entamé des discussions dans ce sens avec AIDES et FRISSE (http://www.i-lyon1.com/assos-99.html).   

Il nous paraît nécessaire de nous allier avec l’ensemble du tissu associatif français qui partagent nos ambitions et revendications politiques. D’une part, parce qu’OUTrans est une petite association avec peu de membres actifs sur le long terme, mais aussi et surtout parce qu’il est important d’êtres nombreux-ses et de faire bloc pour atteindre nos objectifs politiques. Nous voulons rendre accessible à un maximum d’individu-e-s nos outils politiques et ce que nous avons travaillé, pensé et fabriqué sans pour autant faire de compromis sur notre engagement. Nous avons tout à gagner à partager nos forces sur différentes actions en collaboration et en alliance avec d’autres groupes ou associations avec qui nous avons des revendications communes et qui concernent aussi les trans et qui sont généralement les revendications des groupes minorisés sur différentes déclinaisons.


* Vous avez participé à l’Existrans 2010 ? Qu’en tirez-vous politiquement, culturellement ? Qu’en attendez-vous ? 

Nous sommes impliqués dans l’organisation de la marche Existrans, bien que cette année nous n’ayons pu nous investir comme nous l’aurions souhaité, nous restons en outre signataires des revendications portées par la marche ainsi que par le STP 2012 (http://www.stp2012.info/old/)

Nous sommes persuadés qu’il est indispensable que les associations trans discutent entre elles et fassent bloc malgré les dissensions et les oppositions qui peuvent exister. C’est d’ailleurs ce que nous avons souhaité amorcer en organisant une Assemblée Générale des trans en avril 2010. Le ministère de la santé avait fait part de son intention de créer un ou plusieurs centre(s) de référence pour la prise en charge des personnes trans en France, et souhaitait n’intégrer au maximum que 2 représentantEs de la communauté trans au groupe de travail sur le sujet. Il nous a donc semblé que c’était le moment de tenter de réunir le plus d’associations et de personnes trans pour adopter une stratégie commune face à ce gros chantier, et éventuellement d’élire ensemble des représentantEs qui iraient au Ministère. Une vingtaine d’associations et une cinquantaine de personnes ont répondu présents à notre appel et des représentants ont été élus avec un mandat (http://outrans.org/spip.php?article117).

Beaucoup d’associations, de collectifs et même d’individus isoléEs travaillent dans leur coin sur les questions de la transidentité mais il existe malheureusement très peu d’occasions et d’espaces où nous rassembler et discuter ensemble de notre travail et de nos revendications. L’Existrans pourrait, pourquoi pas, être ce moment si des temps de rencontre et de débat y étaient pensés et organisés.

 

Vos représentations

* Quelles représentations faites-vous de vous-mêmes ? De vos actions ?
* Du rapport de notre communauté avec la société ?

Vous vous sentez dans une identité « trans » ou dans une identité homme et femme, voire « autre » ? (cette question s’adresse tant aux personnes qu’à une éventuelle ligne (de rupture, culturelle, sociale, théorique… d’Outrans)

A OUTrans, nous avons depuis le début, adopté le mot « trans », refusant d’entrer dans le débat transgenres-transsexuel(le)s qui pour nous est un faux débat. C’est une mise en pratique dans nos vies privées de ce que fabrique le discours médical, c’est à dire selon nous une division inutile entre les trans parce qu’ils auraient choisi certaines « options » dans leur transition : avec ou sans hormones, avec ou sans bite/vagin, avec ou sans changement de papiers qui est quand même très fortement lié avec des opérations lourdes: de sens (stérilisation et interdiction morale de se reproduire), économiquement et psychologiquement, physiquement…) etc… 

Il nous semble nécessaire à OUTrans de ne pas se faire le jeu du discours médical qui voudrait diviser les trans en catégories distinctes: les vraiEs des faux/fausses. La question des transidentités n’est pas une lubie pour les personnes qui la vivent, quand bien même émergent aujourd’hui des expériences beaucoup plus vastes que la prise d’ hormones, des opérations, des changements de papiers ou autre chose que le discours dominant de l’enfermement (un homme enfermé dans un corps de femme et inversement) etc… Nous sommes bel et bien dans une identité trans, pas « autre » ou « homme » ou « femme », ou encore « ex-lesbienne/gouine » « ex gay/pédé » etc…

Il ne s’agit pas de catégoriser de nouveau les hommes les femmes et les autres. Ce que mettent en lumière les transidentités, c’est qu’elles sont rattachées à des histoires et des parcours de vies : il s’agit d’une question éminemment politique qui questionne aussi ce qui fait des individuEs des hommes ou des femmes. On demande aux trans s’ils se sentent homme ou femme. Si on posait la question à un homme ou à une femme cisgenre, serait-il/elle en mesure d’y répondre ? Les réponses seraient-elles identiques ? Et si on demandait ce qui fait qu’elles se sentent homme ou femme, les réponses seraient elles aussi restrictives que ce que nous imposent les nosographies psychiatriques relatives à la transidentité ? Le féminisme à déblayé un chemin dans les stéréotypes et les représentations autour des questions de genre, le transinisme (sans faire de retour essentialiste à notre « nature trans ») peut il continuer à travailler et/ou élargir les contours de ce chemin ?

La possibilité de s’autodéfinir est primordiale pour nous. Nous préférons nous rassembler derrière des revendications qui concernent les minorités de manière générale en y apportant un éclairage spécifique aux questions trans, plutôt que derrière la revendication unique de la transidentité tellement fluctuante et certainement pas arrêtée.

Nous préférons d’ailleurs employer les termes ft* et mt* moins restrictifs que ftm et mtf, tout comme un ensemble de termes moins essentialisant et/ou genré que nous avions abordé dans DTC.(par exemple sur l’usage des capotes en retirant « fémidon VS « capote » » pour créer une nouvelle expression « capote interne » et « capote externe »). Avant cette façon d’aborder les transidentités, nous ne l’avions pas spécialement vu ailleurs en France, alors certainement que ça pourra avoir un impact dans les représentations si les trans elleux mêmes s’en emparent.

Ce qui lie les membres d’OUTrans n’est pas tant notre identité, que ce que notre expérience et nos parcours de vie  nous amènent à questionner sur le social et le politique autour des questions trans. Ce qui nous lie est un système d’oppression commun avec d’autres catégories minorisées.

Ainsi tou-te-s les militant-e-s d’OUTrans ne sont pas trans, blanc-he-s et/ou hétérosexuel-le-s. 

 

Y a t-il un héritage spécifique FtM ?

 Outrans apporte-il une spécificité propre ? Dans l’espace militant Trans ? dans le débat public ? Faites-vous des actions de visibilité publique, lesquelles ?

Vu la nouveauté de la visibilité des masculinités trans, il est difficile de répondre à cette question. Il y a des figures historiques des débuts de la visibilisation et de l’activité associaitive des trans Ft*, par exemple Tom Reucher avec l’ASB ou encore Lazz et son forum pour les trans qui était une ressource incroyable pour les trans à la fin des années 90 et les prémisses de la réduction des risques et la visibilité de la question des trans gay/pédés. Certains travaux photographiques ou filmographiques ont participé à fabriquer des icônes dans la communauté qui permet aux trans aujourd’hui plus qu’il y a une dizaine d’années à peine de s’identifier, de se sentir légitime et surtout fier d’être trans. Les trans masculins peuvent aujourdhui avoir d’autres représentations que la seule idée d’un individu en souffrance, replié sur lui même… Pour autant, si l’on pense par exemple aux modèles de Kaël T block on ne peut pas dire que les modèles soient très divers (en terme de normes corporelles par exemple) et plus encore que le projet soit féministe…

Si l’on parle de manifestation, nous n’avons pas fait d’action publique depuis l’Existrans, mais selon nous, toutes les manifestations auxquelles nous participons ou que nous organisons sont en soi des actions publiques et donc des actions de visibilité. Nous ne faisons pas d’action pour représenter OUTrans dans l’espace public mais pour porter un ensemble de revendications liées aux questions trans. Quant à l’organisation d’actions directes, qui viserait un endroit ou un groupe de personnes précises, nous avons tenté d’en faire mais nous sommes bien trop peu pour les mener à bien.

Il est tout aussi difficile de répondre si nous apportons une spécificité propre que ce soit dans l’espace militant trans ou dans le débat public. C’est plutôt le travail des journalistes ou des sociologues, anthropologues de répondre par une enquête de terrain à cette question! Nous sommes bien trop dedans pour prendre le recul nécessaire et pouvoir répondre à cette question avec un minimum d’objectivité et d’humilité.

Infogérance Agence cmultimedia.com