Ali Aguado

Militant à OUTRANS

 

affiche-Campagne-FinaleOuttrans.jpg


 

 

Historique du mouvement trans
et des luttes politiques

OUTrans est une association d’auto support trans fondée en 2009. Notre première action a été une minute de cri contre la transphobie le jour de l’IDAHO. Nous avons depuis mené plusieurs actions dans l’espace militant mais aussi des productions d’auto support, notamment en terme de santé sexuelle. Un guide de prévention et une campagne nationale de dépistage pour les trans et leurs partenaires, un guide sur le b.a BA des opérations. Notre action consiste à offrir des outils aux personnes trans mais aussi à leurs proches dans des questions de vie quotidiennes concrète mais aussi à mener de front une lutte pour participer aux termes du débat sur la questions trans puisque nous estimons être les premières personnes concernées.

Pour nous situer rapidement, nous nous reconnaissons comme des héritiers et héritières des luttes féministes où le féminisme est pour nous une boîte à outils pour penser les rapports de pouvoirs qui nous traversent  en tant que personne trans dans une société profondément sexiste, raciste et par extension homophobe, lesbophobe et transphobe. Le féminisme et le mouvement queer, nous permettent alors d’avoir des outils politiques pour nous affranchir des diktats de la pensée dominante. 

Nous sommes ici aussi parce qu’avant nous d’autres trans se sont mobilisé.es et ont réussit à imposer la question trans à force de luttes dans l’agenda politique à l’échelle nationale et internationale. Après de nombreuses années de lutte nous avons  réussi à imposer notre présence dans différents espaces. 

Je pense notamment à l’espace universitaire français où il n’aurait pas été question il y a 10 ans de cela que des trans prennent la parole pour discuter et proposer des pistes de réflexions sur les enjeux politiques et sociaux que révèlent ou soulèvent nos identités, pas plus qu’il aurait été possible d’avoir un espace pour que les trans eux et elles-mêmes fassent une analyse critique de la médecine, de la psychiatrie et de tenter de questionner nos  représentations sur le genre. 

Ce que je voudrais aborder aujourd’hui c’est donc l’émergence du discours trans dans l’espace militant mais aussi et surtout ce que ce discours produit lorsque le sujet parle lui-même.  On réalise alors que la transidentité au singulier n’existe pas mais qu’il serait plus juste de penser les transidentités dans tous ces possibles dépassements. Au même titre que le sujet “femme” qu’un universalisme aveugle défendrait peut on dire qu’il n’existe qu’un sujet trans au singulier ?

I. Historique du mouvement trans et des luttes politiques

 

1989-1997

1989 : Une circulaire interne au Ministère de la Santé établit que seules les personnes entrant dans le protocole établit par les équipes médicales « spécialisées » et gérer par les hôpitaux publics pourront être remboursés des frais médicaux relatifs à leur transition.

1992 :  La CEDH condamne la France, elle met en évidence que le droit français place les requérants dans un non respect de la vie privée (article 8 de la CEDH)

1997 : Première EXISTRANS à l’initiative de l’ASB (Association du Syndrome de Benjamin)

2003-2007

2003 : Premières revendications portées par le GAT : 

1- La déclassification du transsexualisme de la nosographie psychiatrique au même titre que l’homosexualité qui a été retirée par décision politique de l’A.P.A (association des psychiatres américains); la transsexualité, compte tenu de la méconnaissance du corps médical après des dizaines d’années de “recherches”, doit être sortie du diagnostic psychiatrique préalable. La dépsychiatrisation impliquant une aide, un accompagnement à l’AUTO-DIAGNOSTIC.

2- L’abrogation ou la révision du protocole pour que les équipes médicales se réfèrent à un protocole adapté à chaque individu et non plus sur l’entité «   transsexuelle   ».

3- Le libre choix du médecin par un principe affirmé de l’aide à l’AUTO-DIAGNOSTIC. (respect de l’article R4127-6 du code de Sécurité Sociale). Et non plus la toute puissance médicale d’une équipe hospitalière auto-proclamée spécialiste qui se ferait gardienne de notre identité/corps.

4- Une meilleure adaptation des dispositifs juridiques et administratifs dans la période transitoire ne nous condamnant ainsi plus à la clandestinité.

Septembre 2004: Première AG des trans organisée par le GAT. 

1-  L’Assemblée Générale demande la dépsychiatrisation de la question Trans.

2- L’Assemblée générale demande aux associations, groupes et organisations Trans’ présents le 27 septembre à l’ANAES de proposer collectivement un accès aux soins sans diagnostic psychiatrique préalable.

3- L’Assemblée Générale demande le changement du numéro de sécurité sociale et du prénom sans acte chirurgical préalable.

 

Octobre 2004: Existrans : PSYCHIATRISATION= TRANSPHOBIE

30 décembre 2004: Création de la Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’égalité.La HALDE n’a jamais reconnu  la transphobie comme une discrimination. Le Défenseurs des Droits et des libertés non plus.

2007- aujourd’hui

Octobre 2007 : Première organisation Européenne de l’Existrans.  CONTRE LA PSYCHIATRISATION= RESISTRANS. Manifestations conjointes à Barcelone, Paris et Lisbonne.

Avril 2009 :  La Haute Autorité en Santé (HAS) publie son rapport sur la « prise en charge du transexualisme » en France.

Ce document, publié en avril 2009, traite de l’ensemble de la prise en charge du « transsexualisme » par le système de santé français. Il aborde la prise en charge médicale – diagnostic, hormonothérapie et chirurgie de réassignation – mais également les questions socio-culturelles et juridiques. Il résulte d’une analyse de la situation au cours de laquelle la HAS a rencontré des transsexuels, des professionnels de santé et des institutionnels.

 

Mai 2009 : Création d’OUTrans.

16 mai 2009 Roselyne Bachelot Narquin (ministre de la santé, de la jeunesse et des sports) déclare publiquement qu’elle vient de saisir la HAS « afin de publier un décret déclassifiant la transsexualité des affections psychiatriques de longue durée. »

Cependant cette déclaration ne va pas dans le sens d’une dépsychiatrisation de la transidentité, il s’agit simplement dans le code de la sécurité sociale français d’une reclassification de l’ALD 23 (affections psychiatriques de longue durée) vers une autre ALD. Une ALD est une Allocation de Longue Durée pour la prise en charge médicale et financière de personnes malades… Il ne s’agit que d’un changement de termes employés a des fins moins pathologisantes. Cependant, le ministère ne s’oppose pas à l’évaluation psychiatrique humiliante destinée à déterminer si une personne trans peut avoir accès au traitement hormonal. C’est pourtant un des problèmes les plus importants rencontré par les personnes trans, qui a un impact concret sur leur vie quotidienne, leur estime d’elles-mêmes, et qui est révélateur de la transphobie du système de santé.

Juillet 2009:  Publication des 12 recommandations du document Gender Identity and Human Rights de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits humains du conseil de l’Europe.

Février 2010 Le Ministère de la Santé vient de publier le décret qui reclasse la transidentité des ALD 23 (affections psychiatriques longue durée) à l’ALD 31. Ce décret ne va pas dans le sens d’une dépsychiatrisation de la transidentité. En pratique, rien ne change pour les personnes trans qui restent considérées comme des malades devant être soumises à un suivi psychiatrique.

Mai 2010:  La ministère de la Justice, Michèle Alliot Marie rend public sa réponse à une question posée par un sénateur socialiste (Roger Madec) traitant de l’opération chirurgicale obligatoire pour procéder au changements d’état civil pour les trans.  Dans sa réponse elle rappelle des arrêts de la Cour de cassation datant de 1992 justifie que «le principe du respect dû à la vie privée justifie que l’état-civil indique le sexe dont la personne a l’apparence» et rappelle «qu’il appartient aux tribunaux d’apprécier au cas par cas les demandes de changement de sexe, au regard du caractère irréversible de celui-ci». 

Dans le même temps elle annonce cette précision que quelques associations trans françaises portent depuis des années: : «L’opération de réassignation sexuelle ne doit pas être systématiquement exigée dès lors que le demandeur apporte la preuve qu’il a suivi des traitements médico-chirurgicaux (hormonothérapie, chirurgie plastique…) ayant pour effet de rendre irréversible le changement de sexe et de lui conférer une apparence physique et un comportement social correspondant au sexe qu’il revendique.» 

25 avril 2010:  2ème AG des trans à l’appel d’OUTrans. Vote majoritaire contre les Centres de Référence.

   

Les revendications portées par l’AG des trans sont les suivantes :

 

-absence de test de vie réelle.

-libre choix du médecin, possibilité de parcours hors-centre de référence et remboursements assurés.

-élargissement des catégories professionnelles réunies dans ces centre par rapport aux équipes hospitalières existantes

-non-obligation de l’hormonothérapie réversible.

-obligations des praticiens à contribuer à la communauté scientifique internationale

-changement d’état civil facilité

-place décisionnaire des associations de personnes concernées dans les centres de référence.

-individualisation des parcours, y compris sur le plan corporel

-prise de modèle sur les Plannings Familiaux.

 

Par ailleurs l’Assemblée Générale des Trans a voté la résolution suivante :

– Pour mettre en oeuvre la dépsychiatrisation des transidentités, la prise en charge de la transition doit exclusivement se fonder sur une déclaration de consentement éclairé sans aucune forme d’évaluation ou de diagnostic.

19 mai 2010: Roselyne Bachelot a annoncé publiquement son intention de demander à l’Organisation Mondiale de la Santé de retirer le transsexualisme de la liste des maladies mentales, comme l’OMS l’avait fait pour l’homosexualité auparavant (1992 pour la CIM). Il aura fallu plus de 5 ans pour que le gouvernement prenne au sérieux le travail et les revendications portées par les diverses associations trans françaises. Pourtant, le ministère de la santé soutient le projet des Centre de référence qui consiste au final à légitimer l’installation des équipes hospitalières actuelles. Il y a visiblement une volonté de l’Etat français de se caler sur le modèle espagnol.

Juillet 2010: Création de la SOFECT : La SOciété Française d’Etude et de prise en Charge du Transexualisme  qui estime que « travailler ensemble est particulièrement important à un moment où les classifications et les concepts qui sont en jeu dans l’évaluation des patients que nous prenons en charge sont en cours de modification. A travers ces changements, l’action des médias, de politiques politiciennes, et d’associations d’usagers, peuvent obscurcir ce qui en France est le moteur de notre activité: un but thérapeutique » . La SOFTEC est en réalité les équipes médicales hospitalières qui se sont proclamées elles-même expertes de la « prise en charge » des personnes trans.

Septembre 2010 : Première réunion du groupe de travail DGOS (Direction Générale de l’Offre de Soins). 2/3 des personnes présentes sont membres de la SOFECT, dont Colette Chilland.

Janvier 2011 : OUTrans sort un guide à destination des pd/gay trans qui font du sexe avec des gay/pd cisgenres.

Mars 2011 : Appel d’offre de l’INPES pour des projets liés à la santé sexuelle des Trans.

Avril 2011 : Le ministre du travail de l’emploi et de la santé commande un rapport à l’IGAS qui doit aider entre autre à « évaluer l’opportunité de la création d’un centre de référence pour la prise en charge médicale du transsexualisme.». Tout le tissu associatif français travaillant activement sur la question trans est auditionné ainsi que certaines associations de lutte contre le sida. Nous n’avons aujourd’hui toujours pas le rendu de cette enquête alors que le rapport de l’IGAS a été rendu au ministre de la santé et des sports.

Décembre 2011 : OUTrans diffuse la première campagne d’incitation au dépistage à destination des personnes trans. Au même moment, une enquête de l’INSERM menée sur la santé sexuelle des trans est publiée. Le taux de séroprévalence chez les Femmes Trans migrantes et travailleuses du sexe est 3 à 4 fois plus élevée que la moyenne.

 

Chrysalide, association trans d’auto support à Lyon a mené elles même une autre enquête sur l’accueil de la population trans par le corps médical et le rapport des trans à leur propre santé (sexuelle et générale).

 

  1. II.Quand le sujet parle…

Comme on peut le voir, l’émergence des luttes pour les droits des personnes trans a opéré en premier lieu un déplacement de la question trans du champs psychiatrique vers le champs politique. 

Dans la lignée des mouvements féministes, nous questionnons les catégories qui produisent les rapports de pouvoirs qui structurent notre société en même temps qu’elles en émanent.

Le discours médical, réputé exact parce que scientifique, prétend exister en dehors et au dessus des rapports sociaux. Ce discours scientifique produit alors des catégories en dehors de toute réalité sociale, en dehors de rapport de lutte et les inscrit alors dans une vérité qui se voudrait universelle et naturelle.

En réalité, ces dispositifs créent et classent des catégories d’êtres : qui est un homme ? Qui est une femme ? Qui est trans ? Qui est malade ? Qui doit être guéri-e ?

 

Ces catégories deviennent alors naturalisées et maintiennent la catégorie femme et la catégorie trans dans un état de subordination.

S’émanciper des discours médicaux et psychiatriques hégémoniques, c’est revendiquer le droit de choisir nous-mêmes les corps et les identités de genre que nous voulons. C’est refuser qu’une normes présentée comme naturelle et allant de soit alors qu’elle n’est que la production et le reflets de rapports de domination, nous soit imposée et puisse dicter ce que nous sommes et ce que nous devrions devenir.

 

Ainsi, nous pensons nos  transidentités au pluriel et nous revendiquons la diversité de nos parcours trans. Le respect de l’auto-définition de chacun-e est à la base de notre pratique militante à OUTrans.  Pour autant passer du refus d’une binarité obligatoire à l’obligation de se situer en dehors des catégories de genre hégémoniques serait substituer un discours imposé à un autre. C’est pouruqoi nous restons vigilants quant au discours qui se voudrait «   queer   » et qui refuse le droit aux personnes trans de se penser et d’advenir dans des catégories  de genre dominante sous prétexte que ce serait se faire le jeu de la «   différences des sexes   » et d’un certain retour à l’essentialisme. Notre discours militant se situe sur ces deux fronts de lutte   : contre les contraintes sociales qui nous voudraient hommes ou femmes dans les stéréotypes les plus crasses et contre la contrainte d’un discours queer au delà de nos réalités sociales qui voudraient que nous ne soyons ni homme ni femme.

 

  1. II.… Le discours suit…

Pour que nos identités ne soit pas le jeu d’une instrumentalisation politique et normative de part et d’autre, dans OUTrans nous estimons qu’il est urgent que nous prenions la parole , que nous créions nous-mêmes les conditions d’émergence de notre lutte et de notre discours, que nous revendiquions notre appartenance au mouvement féministe comme sa possible prolongation réflexive sans en accepter pour autant les dérives transphobes.  Il est tout aussi important pour nous de nous inscrire dans le mouvement queer sans  sans renoncer à nous définir hommes ou femmes comme nous le voulons, quand nous le voulons et où nous le voulons. L’importance de la définition de soi réside en cela même qu’elle fluctue selon les espaces où elle est affirmée et relève notamment de notre sécurité dans une société profondément sexiste et transphobe et globalement ignorante sur les enjeux liés à la vie des trans. Ainsi, nous venons perturber à notre façon, le système de production des savoirs en nous positionnant nous mêmes comme nos propres experts, des experts profanes dans la vue de dépassé la catégorie nosographique qui nous a été assignée. Nos transidentités sont politiques et notre lutte est une lutte d’émancipation.

 

TDOR-2011-5Outrans.jpg

 

Pour s’appuyer sur des exemples de discours que OUTrans a pu produire on peut par exemple s’appuyer sur cette affiche réalisée à l’occasion du Tdor en 2011. Le T DOR est le jour de commémoration des personnes trans victimes d’assassinat. Nous ne voulions pas ce jour là pleurer les morts de notre communauté mais bien plutôt exprimer notre rage et exiger des revendications concrètes qui peuvent endiguer les agressions transphobes. Nous avions donc choisit ce slogan «   En rage plutôt qu’en deuil   » pour nous défaire entre autre d’un positionnement attendu de la part de la communauté trans   : montrer notre souffrance comme pour montrer patte blanche. (mettre affiche Tdord+cp et/ou lien)

Nous voulons dans OUTrans produire non seulement un savoir qui nous est propre mais aussi une grammaire pour nous penser davantage dans la puissance d’agir, l’empowerment, que de renouveler sans cesse la position victimisante qu’un système inégalement distribué attends de nous, fait de nous des individuEs acceptables. Le communiqué de presse qui accompagnait cette affiche ne pouvait pas être plus explicite. Nous voulions célébrer notre force, notre puissance et notre résilience. Nous voulions aussi visibiliser (et continuons de le faire) que la transphobie n’est pas seulement le jeu de certainEs individuEs violentEs qui ne supporteraient pas  la visibilité des trans dans l’espace public, mais qu’il s’agit bien d’un dispositif global et incorporé par chacunE. Les discours faisant encore une différenciation entre les sujet trans  , transgenres et transexuels (qui s’appuient donc sur la psychiatrie et donne alors plus ou moins de valeur à nos vies) , créant une échelle de souffrance face aux situations de discriminations auxquelles nous pouvons être confrontés, une échelle de catégories qui nous divise valide et participe à rendre la transphobie licite  ; un appareil d’Etat qui s’entête à freiner l’accès à nos droits en les niant fonctionnant au cas par cas pour les questions de changement d’Etat civil sans opération chirurgicale, etc….

 

 

En conclusion, c’est à nous, trans, de repenser le sens politique que l’on veut donner à nos vies, à nos parcours et surtout à nos différentes représentations. Nous n’avons pas à laisser d’autres parler pour nous et nous mettre à une place de victimes passives. Si dans nos esprits, si dans la représentation de la majorité des individus trans, la transidentité rime avec souffrance ça n’est pas parce qu’il s’agit d’une « maladie », mais parce que les dispositifs transphobes qui nous asphyxient et régissent nos vies nous empêchent de nous déployer socialement comme nous le désirons. Les trans sont aussi et avant tout une catégorie éminemment politique (et non une catégorie psychiatrique), nos luttes revendiquent une égalité radicale qui touche au corps, à l’identité, au plaisir, à la santé, au travail, au savoir, au pouvoir de définir d’autres normes de vie.

 


Mis en ligne : 18 mai 2012.