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Étiquette : Revendications

EXISTRANS : REVUE DE PRESSE

M-Y. Thomas, A.Alessandrin, K. Espineira

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EXISTRANS : REVUE DE PRESSE

 

 

Introduction

Le mois d’octobre rime avec l’Existrans. Fondée en 1997 par un groupe au sein de l’ASB[1], l’Existrans est la marche des trans’ et de celles et ceux qui les soutiennent[2]. L’affiche signale la présence de STP (Stop Trans Pathologisation), mouvement international de dépathologisation des trans.

Cette année, la marche s’est effectuée derrière le slogan « TRANS, INTERSEXES : UNE LOI, DES DROITS ! » et s’accompagne de 13 revendications[3]. Le contenu visuel des affiches et des revendications indiquent la progression d’un fait mineur en fait de société, de l’individu vers le collectif, une dépathologisation vers le droit. La marche 2006 focalisait déjà sur l’égalité et postulait une Liberté-Egalité-Transidentité : 2007, quel.le candidatE pour la cause trans ?

 

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Affiche Existrans 2007

L’ODT s’est penché sur la presse quotidienne afin de proposer une revue de presse liée à l’évènement. Il faut bien le dire, peu de médias papiers se font l’écho de la marche (tout particulièrement les journaux de droite). Même constat chez les militant.e.s avec Coline Neves. En revanche, internet joue tout son rôle de mise en débats. Notons néanmoins quelques articles. Libération ouvre le bal avec un article d’Anne-Claire Genthialon intitulé « Les trans veulent pouvoir disposer de leur état civil »[4] et publié le 13 octobre dans les pages du quotidien. Le 18, la veille de la marche, l’AFP (Agence France Presse) poursuit avec un reportage autour de l’Existrans. Coline Neves de l’association OUTrans (que la journaliste nomme toujours « transsexuelle ») est interviewée dans une vidéo de 18 minutes intitulée « Transsexuels : le long chemin vers la reconnaissance »[5]. La même date, L’humanité rappelle dans sa version web, son engagement aux côtés des revendications de l’Existrans[6]. Enfin, toujours dans libération, c’est Hélène Hazera qui prend la parole en cette veille de marche, pour un article intitulé « Une trans à libé c’était hier », dans les pages « rebonds » du quotidien. L’article, s’il ne porte pas réellement sur la marche se conclue tout de même par « Comme tous les ans, j’irai demain à l’Existrans ». Le jour même de la marche, c’est encore Libération qui revient sur le nombre de participant.e.s et sur les mots d’ordre. L’article est intitulé « Des ‘trans’ défilent à Paris pour réclament des droits » (initialement publié par l’AFP). A travers ces articles, nous proposons de revenir sur deux points : 1- la presse traduit-elle correctement les revendications de l’Existrans ? 2- quelle monstration fait-elle des corps en présence dans la manifestation ?

Conscient.e.s que les médias actuels ne se limitent pas au format papier, nous tenterons un bref retour sur ce qui a été dit, lu, sur Internet, notamment sur les sites « Txy », « Yagg » et « Barbiturix » (tiens : rien sur Têtu ?…). Nous avons aussi demandé à Coline Neves son analyse de la situation.


 

Entretien avec Coline Neves*

 1- Bonjour Coline, tu étais en charge de la relation presse pour l’Existrans, peux-tu nous dire si cette édition a attiré les médias ? 

Non cette édition n’a pas attiré énormément les médias Le bilan de la revue de presse est assez maigre, mis à part un dossier assez complet de l’AFP avant la marche, suivi d’une dépêche pour relater de la marche, et un bon article publié dans Libération le lundi précédant la marche. Certains journaux ont apparemment repris les dépêches AFP, au moins dans leur version en ligne, mais je n’ai pas de bilan précis des articles publiés dans les versions imprimées de la presse papier. Des sites d’information comme Yagg ou Barbieturix ont également bien relayé l’événement.

Il y a eu aussi un reportage par l’AFP vidéo, diffusé au moins par BFM TV, et un long entretien sur radio pluriel à Lyon le mercredi 22 octobre dans l’émission « pluriel gay » avec également Vincent Guillot de l’OII.

2- Quelles ont été les limites de cet exercice face aux médias ? Y a t-il eu des incompréhensions de leur part ou au contraire des approches bienveillantes, ouvertes ?

La journaliste de Libération qui a proposé un article dans le dossier « sexe et genre » du lundi a fait un travail consciencieux et respectueux. Elle a respecté les demandes concernant le vocabulaire utilisé, n’a pas cherché à aller vers la biographie et le témoignage personnel, et a proposé une relecture de mes citations et la prise en compte de mes corrections suite à cette relecture. Elle était visiblement bien informée et avait bien compris les enjeux avant de s’entretenir avec moi.

La journaliste de l’AFP (article) a été un peu moins précise, mais a fait un dossier plutôt correct qui n’évite pas le recours à de nombreux témoignages personnels. Par ailleurs, si je suis citée, c’est au nom de l’association OUTrans et pas du collectif Existrans qu’elle n’a pas souhaité interviewer (l’entretien au nom d’OUTrans a été fait avant que je ne sois désignée comme contact presse de l’Existrans).

Les journalistes de l’AFP vidéo ont été globalement beaucoup moins respectueuses. D’abord elles ont essayé de me pousser de manière intensive vers un témoignage autobiographique, par mille moyens directs ou indirects. Pire, malgré mes exigences très claires rappelées juste avant la finalisation de leur reportage suite à une demande insistante de leur part, elles m’ont désignée dans le commentaire du reportage non seulement comme porte-parole du collectif Existrans, mais aussi en me mêlant insidieusement à leur vocabulaire stigmatisant (« changer de sexe, pour elle, comme pour beaucoup de transsexuelLEs »). Elles se sont d’ailleurs excusées après mes protestations furieuses ! Ensuite elles se sont obstinées à utiliser un vocabulaire que j’avais désigné comme non pertinent, pathologisant et irrespectueux du point de vue de l’Existrans (« changer de sexe » « transsexuelles ») tout au long de leur reportage. Pour autant leur reportage, très court, parvient à retranscrire plutôt bien les idées fortes défendues par l’Existrans et respecte assez mes propos.

La journaliste de Barbieturix qui m’avait demandé un entretien a été très respectueuse et bienveillante dans son approche, et elle a bien retranscrit les enjeux dans son article.

Pour finir, si l’ensemble des revendications n’ont clairement pas été abordées, il y a surtout une nette invisibilité dans tous les articles et reportages autour de cette édition des revendications Intersexe, à commencer par l’arrêt des mutilations des enfants Intersexes à la naissance qui n’a jamais été citée…

3- Du point de vue de la réception, comment juges-tu les papiers sortis autour de cette manifestation ?

Je crois que j’ai un peu répondu déjà dans la question précédente, désolée…

Surtout je pense que nous aurions dû faire un travail de communication plus efficace, notamment avec une conférence de presse par exemple, et un dossier de presse plus fourni, de plus nombreuses relances, et de meilleures consignes aussi pour d’éventuelles demandes de la presse en cours de manifestation (quelques journalistes ont interrogé des personnes au hasard sans s’intéresser spécialement au collectif Existrans et à ses représentantEs.

Il y a au final très peu d’articles, et pas assez complets. La télévision a relativement pu suivi l’évènement, et ni le Monde ni le Figaro n’ont rien publié dans leurs pages, ce qui montre un certain désintérêt de la part de la presse nationale… D’après mes informations, l’Existrans a été bien mieux couverte à l’occasion d’éditions précédentes.

Je voudrais aborder aussi la question particulière des illustrations choisies par l’AFP ou par les journaux directement qui posent souvent les même problèmes : utilisation de photos des années précédentes (avec par exemple la banderole de tête et son slogan de 2012 au lieu de la photo de la banderole et du slogan de 2013), choix souvent folklorisants et voyeuristes de personnes les plus « excentriques » et/ou « visiblement trans », choix de mise en avant de slogans et pancartes pas très représentatives des revendications les plus importantes (« c’est moi qui décide comment je m’habille »), légendes transphobes avec par exemple un mauvais genrage d’une personne trans visiblement MTF appelée « un trans » transmise par l’AFP et reprise par plusieurs journaux dans leurs versions en ligne (corrigée sur le site de Libération suite à mon signalement).

Du côté de Yagg, je trouve qu’il y aurait pu avoir un dossier bien plus poussé que la seule reprise du communiqué de presse de l’Existrans et un reportage photo à peine commenté. Si la presse communautaire ne fait pas un travail pédagogique plus ambitieux, qui va le faire ?

*Coline Neves, chargée des contacts avec la presse au nom du collectif Existrans pour la marche du 19 octobre 2013 


1° Que dit la presse ?

1.1° Définitions et rappel des revendications 

C’est l’article de L’Humanité, dans sa version électronique, qui rappelle le mieux les revendications de l’Existrans. L’article en signale d’ailleurs un bon nombre. Dans une mise en ligne austère, l’article revient l’engagement communiste aux côtés des personnes trans :

Nous soutenons donc les principales revendications de cette Marche […] L’ambition communiste d’émancipation humaine et d’épanouissement des personnes est universelle. A l’heure où un pas significatif a été franchi pour l’égalité des personnes homosexuelles et lesbiennes, nous refusons d’en mettre à l’écart les personnes Transsexuelles et/ou Transgenres. Il s’agit maintenant de franchir un nouveau cap sur le chemin de l’égalité des droits. Nous exprimons notre solidarité à la Marche Existrans et souhaitons par notre participation contribuer à son succès.

Dans son article du 13 octobre, Libération revient aussi sur les revendications à l’occasion de la marche. C’est l’occasion pour le journal de revenir brièvement sur l’histoire de l’Existrans :

« Elle était de la première marche en 1996. A l’époque, Camille Barré était encore «un garçon androgyne» qui, avec une trentaine de transsexuelles, manifestait pour plus de visibilité. Elle a vu les cortèges s’étoffer, d’une poignée à quelques milliers, et le mouvement Trans évoluer vers plus de diversité. Samedi à Paris, Camille Barré, 54 ans, désormais une des doyennes de la manif, marchera pour la 17e édition de l’Existrans, «la marche des trans, des intersexes et de celles et ceux qui les soutiennent». Et elle scandera encore et encore, des Invalides à l’Hôtel de Ville : «Trans, intersexes : une loi, des droits !

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Lors de la 16e marche Existrans, le 20 octobre 2012, à Paris.

(Photo François Guillot. AFP)[7]

L’article s’accompagne d’une promesse de débat : le corps, quel engin !, programmé par Libération le 8 et 9 nombre à Montpellier et animé par  des « personnalités aux profils variés et aux parcours étonnants »[8]. Toutefois, entre essayistes célèbres et scientifiques rompus à l’exercice de production/transmission des savoirs, Olivia Chaumont est invitée à « témoigner de son passage d’un corps à l’autre ». L’AFP est, quant à elle, plus timide sur les revendications : « Certaines de ces personnes [trans] réclament aujourd’hui un état civil plus « conforme » à leur genre. « Un état-civil conforme à mon genre », « la transphobie tue », « mon sexe n’est pas mon genre », pouvait-on lire sur les banderoles déployées dans le cortège. » L’agence met beaucoup de guillemets et de distance. Peut-être est-ce dû à un sujet non maitrisé. Pour preuve, une définition essentialiste critiquable et une formulation maladroite :

« Trans, kezaco ? On appelle communément « transgenre » une personne dont le genre « intérieur » diffère du sexe biologique. Une personne transsexuelle a opéré une transformation physique. Plus globalement, « trans » regroupe ces catégories, et ceux dont le genre est « fluide », oscillant entre masculin et féminin. Les personnes « intersexes » sont les personnes pour lesquelles il est difficile de dire si leurs organes génitaux sont mâles ou femelles. »

A ce drôle de kezaco naturaliste fortement réducteur, accompagné par une photo (ci-dessous), l’on répond avec les termes et discours de leur pathologisation sociale, identité vs sexe, même si la photo propose manifestement un message de fierté par la sourire et (signe des temps), l’exposition de leurs corps à l’instar des Femen : le corps prouve.

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Photo : BORIS HORVAT, AFP[9]

On soulignera la fin de l’article de Libération (du 13/10) qui revient sur les récents éléments juridiques en la matière : « En juin, pourtant, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis dans lequel elle préconisait une démédicalisation complète de la procédure de changement d’état civil. Mais le Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’égalité hommes-femmes, a rejeté l’ensemble des amendements traitant du sujet ». L’AFP concluera de même :

« En France, le changement d’identité repose sur la jurisprudence. Les tribunaux exigent de nombreuses expertises médicales, et souvent la preuve de la transformation physique donc de la stérilisation. Seule une centaine de demandes sont faites chaque année en France, pour quelque 15.000 personnes trans selon les associations (en comptant les transgenres, qui ont l’apparence du sexe opposé mais sans modifier le corps, et les transsexuels, qui vont au bout de la transformation). L’arrivée de la gauche au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir mais les dispositions tant attendues par les trans viennent d’être de nouveau reportées au premier semestre 2014 dans un projet de loi de simplification du droit. »

Notons que la question intersexe n’apparait pas. Sur trois papiers, Libération ne reviendra jamais dessus alors même que cette dimension était partie prenante des revendications et l’OII signait le communiqué de presse commun en 2006[10].

1.2° Paroles de trans :

Au-delà de l’article d’Hélène Hazera, écrit à la première personne du singulier, c’est l’ensemble de la presse qui traite du sujet en donnant la parole aux trans. C’est bien évidemment le cas du reportage de l’AFP (même si une juriste vient, à juste titre, rappeler aussi que les procédures sont longues, sur-médicalisées, et aléatoires d’un tribunal à l’autre), mais aussi de Libération qui, pour son édition du 13, laisse à parole à de nombreuses trans (Camille Barré, Coline Neves, Karine Espineira…).

«Les premières marches étaient très graves : quelques participants portaient des masques de peur d’être reconnus», rappelle Karine Espineira, coresponsable de l’ODT. «Mais si, depuis, nous avons inspiré d’autres pays et gagné en visibilité, globalement, rien n’a changé pour nous.» L’ambiance cette année risque d’être morose. «Bien sûr que le mariage pour tous a été une avancée concrète et importante pour les LGBT, et nous nous en réjouissons», explique Coline Neves, porte-parole du collectif Existrans 2013 qui rassemble une quarantaine d’associations et organise la marche. «Mais ça ne résout pas les problèmes des personnes trans et intersexes, qui attendent toujours…» La revendication principale du collectif, celle pour laquelle ils bataillent depuis des années ? Le changement d’état civil «libre et gratuit, sans condition médicale, sans homologation par un juge». »

2° Que montre la presse :

            2.1° La dimension biographique

Si les articles reviennent, en général, sur la dimension politique de l’évènement, l’AFP biographise le propos avec l’exemple de Natacha et Lola en interview dans le texte :

« Je travaille en garçon, mais dans le privé je suis une fille« . Dans le cortège, Natacha, 38 ans, cheveux mi-longs auburn, jupe noire et talons, veut une « reconnaissance sociale et professionnelle« . « Je suis bloquée pour trouver un emploi, en fille c’est impossible », raconte cette ex-sommelière, qui n’a pas encore commencé de traitement hormonal. « Comment vit-on si on ne veut pas être au RSA et se prostituer ? », interroge-t-elle. Son amie Lola acquiesce : « On n’a pas envie d’aller travailler, on se retranche chez nous car on ne se sent pas dans le bon corps ». « Même pour aller retirer un colis à la Poste c’est compliqué », témoigne de son côté Maria, 28 ans, réceptionniste dans un hôtel, qui « travaille en garçon« . »

C’est ce que va aussi reprendre Libération dans son édition du 19/10, avec les mêmes témoignages, pris dans le texte de l’AFP. Dans son reportage aussi, l’AFP pousse souvent le propos de Coline vers les filets biographiques : « Pour Coline comme pour les autres ‘transsexuels’… »

            2.2 La problématique des corps montrés

Dans le « libé » du 19 octobre, une personne trans illustre l’article. La photo, en contre plongée, est sous-titrée de la sorte : « Un trans participe à la manifestation Existrans à Paris le 20 octobre 2012 ». Un trans ? Mais rien sur la photo ne donne prise à du masculin, rien !

Si le reportage de l’AFS montre des garçons et des filles trans (sans dire qui l’est ou qui ne l’est pas), le papier du l’agence, daté du 18/10, est illustré par deux personnes trans, dont un transboy (c’est assez rare pour être noté). Pour le reste, c’est en immense majorité des filles trans qui servent d’illustration. La thèse de Karine Espineira porte précisément sur cette monstration sociale et ses logiques et apories, survisibilisant une MtF qu’incarnera Christine Jorgensen depuis les années 50 et, en France, une Coccinelle. Courant de la décennie 1990, la télévision recentre son propos avec la présence des « experts ». La narration des histoires trans est parlée par autrui et objectifiée. Dès lors, le mode de narration insiste sur une biographisation typique d’un trajet de vie résumé dans l’instant d’un changement de sexe. Le retrait des experts à la télévision après 2000 ne s’accompagne nullement d’un regard vers la politisation du mouvement trans mais poursuit sa modélisation propre en insistant sur le déterminant sexuel et sa supposée rupture avec le genre. Au total, la télévision jusqu’à présent ne montrera jamais qu’elle-même, tel que Debord l’avait théorisé dans les années 60-70 : la société du spectacle. Mais il ne s’agit plus ici des scènes du cabaret ou du cinéma abordant ce sujet mais de la scène ordinaire de notre société telle qu’elle est : inégalitaire, sexiste, homophobe et encore raciste. L’item de la transphobie vient donc s’ajouter à une transition de société telle que nous la montre le « mariage pour tous » (ignorant ou oubliant les femmes) : brutale.

3° Et sur Internet ?

3.1 Lecture tout azimut des blogs

La lecture tous azimuts des blogs, forums, profil Facebook et autres, nous emmène dans une profusion de positions alimentant un horizon des conflits résumé ici[11], rappelant l’avis de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme et du groupe de travail du Défenseur des Droits. Certes, ceux-ci rendent le fait T médiatiquement très visible. Mais est-ce là l’effet d’une reconnaissance ? Ainsi : « Le gouvernement a bien envie de contribuer à leur démarche de bouleversement sociétal… Mais il n’est pas chaud pour affronter une seconde fois les manifestations rencontrées ce printemps et d’autant plus dans un contexte de crise sociale. Il préfère temporiser, mais pour combien de temps ? » (M-M. Courtial).

Un mot d’ordre structure l’aspect contextuel et le débat de fond depuis ses origines, en appelant aux gouvernements à réagir : la Gauche doit tenir ses engagements[12] contre la frilosité et brutalité ambiantes. Le focus sur les personnes intersexe et la stérilisation, commune à la régulation du fait trans et intersexe, va dans ce sens mais la presse, on l’a vu, ne connaît pas les intersexes et spectacularise les trans. Les Panthères roses en feront une campagne vivifiante mais peu vue hors d’internet et milieux militants[13].

Politisation des terrains et des débats, intérêt porté à la réflexion plus large qu’un groupe particulier. Le site Barbieturix va en ce sens en proposant lui aussi un papier sur l’Existrans[14].

3.2 Une avancée ou l’inverse ?

Faute d’une couverture médiatique prenant son temps, Internet joue un rôle d’espace de représentation, communication et médiatisation des contres-publics subalternes. Non sans bousculade. TXY publie une nouvelle chronique du temps-qui-passe : « Pourquoi je n’irai pas à l’Existrans… »[15]. Tout un programme par la négative (le je-n’irai-pas, faisant résonner le Nous n’irons plus au Bois de J. Dayan), à l’ombre de la société normée. Loin de la rue, les débats sur internet, lieu de production et diffusion très intense des politiques trans, font réfléchir la condition trans comme étant une condition marginalisée, discriminée et paradoxalement, sollicitée de maints endroits et autant de pouvoirs minuscules mais décisifs sur le cours de leurs existences.

Le propos de la revendication : faire advenir un individu trans intégré par la porte du droit. Ce qui est une bonne idée. L’égalité tant attendue entre femmes et hommes, homos et hétéro ne doit pas faire oublier les trans. Frileux, oublieux ou méprisant de la question trans, les promesses de campagne du candidat Hollande, la revendication d’égalité et de respect de la vie privée, vont (de nouveau) tomber dans les oubliettes, laissant toute la place aux pathologisations et exotisations, largement représentés dans les médias. Combien de responsables associatifs trans aux JT pour porter des revendications d’égalité et dénoncer un discours méprisant ? Extrait de l’article sur Txy :

« Si la prostitution reste l’unique solution de survie pour certaines, elle ne l’est plus pour le plus grand nombre, celles qui composent la majorité invisible et silencieuse. »

La question Trans, dépolitisée par la théorie de l’individu anonyme, silencieux et conforme n’est pas nouvelle. Tous les groupes minoritaires, la France catholique de C. Boutin en tête, s’inspire de ce mythe public. Elle pose ici la question politique, toujours ouverte, des papiers d’identité, des conditions de vie ordinaire, des discriminations exercées sur le faciès ou l’habit ou encore à l’isolement, la vulnérabilité des parias désignés et la pauvreté. Deux positions : l’une intégrationniste, validant une transition médicale strictement individuelle. L’autre, tenant du débat de société, faisant rejoindre le fait intersexe au fait trans et au bouillonnement queer. Pourquoi dois-je changer de sexe pour avoir des papiers, enfiler jupe ou pantalon ? Pourquoi place-t-on le champ médical en amont du champ juridique, le changement de sexe en amont du changement d’état civil ? Ne peut-on légiférer afin de faire advenir la réponse sociopolitique de l’Argentine ? En l’état des conflits et du silence des médias, la réponse est nette. La France peut refuser ce changement de fond, préférant gérer des changements corporels au goutte-à-goutte, quitte à la qualifier de castration pathologique et glosant sur les boites-de-Pandore pour faire oublier les placards-de-la-République.

Faute de penser, on dénonce. Exit la pathologisation ordinaire et l’oubli institutionnel ayant conduit au Bois. Le sujet trans se veut intégré, invisible dans la société « qui l’accueille ». La prostitution et le travesti, condition d’hier et infamies d’aujourd’hui sont l’ennemi avancé, cette « mauvaise image ». Une bataille des chiffres est avancée pour être entièrement définie : la majorité doit être invisible et silencieuse. Selon quelle étude, quels chiffres ? Quelle philosophie ? La populace trans serait-elle, une classe sociale indûment distinguée ? Invisible et silencieuse : c’est précisément cette logique qui en avait permis l’arraisonnement par le pouvoir policier au XIXe et médical au XXe via une « pensée sexologique » qui de Kraff-Ebbing à la Sofect[16] contrôle les représentations et émotions, avance dans médias et les ministères en « experts », exerce un lobbying envers le DSM et la CIM. Celle-là qui, précisément, nous fait admettre qu’il n’y a, pour les trans, d’autre solution que celle individuelle de la réassignation sexuelle quand elle doit d’abord être sociojuridique.

Réponse qui, à son tour, donne le ton d’une contre-réponse[17] : le sujet intégré n’est, au mieux, qu’un sujet normé, apportant sans cesse des gages à la normalité. Or, c’est précisément ce qu’est devenu le sujet-du-transsexualisme normé. L’on oublie que théoriser un individu silencieux, c’est accepter un contrôle fort. Face à la militance politique pour une dépathologisation, l’individu ne peut que valider par adhésion au lobbying de la Sofect.

 

Conclusion

Faut-il une loi ? Peut-on vraiment dépathologiser sans démédicaliser ? Les divergences atteignent leur acmé maximum sur ces questions intriquées l’une à l’autre, simplifiées par un discours médiatique modélisé quand il ne s’agit pas d’impasses discriminantes.

L’opposition au mariage pour tou.te.s et son traitement médiatique nous donne de précieux enseignements. L’ancienne majorité silencieuse, ces « normaux » autoproclamés, sont descendus dans la rue pour revendiquer. Non pas pour un droit mais un refus de droit, contre un principe d’égalité toujours diffusé et régulé par les institutions. Dans cette bataille des images, la droite catholique s’est révélée comme une minorité parmi d’autres minorités mais elle exige et obtient des médias une surreprésentation télévisuelle. Aussi et plus que jamais, la loi apparaît comme l’ultime recours et refuge.

Ce que la médiatisation autour du mariage nous suggère aussi, c’est la nécessité d’une visibilité multiple, donc forcément polémique. Durant les six mois de sur-médiatisation des débats autour du mariage, où sont passées les figures folles, butch, minoritaires ? Le montrable, le médiatisable était devenu l’intégrable. La mobilisation trans procède des mêmes questions et des mêmes écueils (même si son impact médiatique est largement plus limité). Nous serions donc en mesure de poser la question d’une reconnaissance inclusive à l’intérieur et à l’extérieur de la « communauté » trans, c’est-à-dire, pour faire simple, non seulement « d’être admis dans ce que l’on est, ou de demander un droit à exister tel que l’on est, mais aussi de solliciter une vie humaine vivable aux côtés d’autres vies humaines.»[18]. On retrouve ici Nancy Fraser et son concept central la parité de participation selon lequel « être privé de reconnaissance, c’est être interdit de participation bien davantage que de ne pas être valorisé dans une part de son identité »[19]. 


[1] Association du Syndrome de Benjamin.

[2] http://karineespineira.wordpress.com/tag/existrans/

[3] http://www.existrans.org/

[4] http://www.liberation.fr/vous/2013/10/13/les-trans-veulent-pouvoir-disposer-de-leur-etat-civil_939216

[5] http://www.afp.com/fr/search/site/transsexuel/

[6] http://www.humanite.fr/fil-rouge/soutien-a-la-marche-existrans-2013-pcf

[7] http://www.liberation.fr/vous/2013/10/13/les-trans-veulent-pouvoir-disposer-de-leur-etat-civil_939216

[8] http://www.liberation.fr/evenements-libe/2013/10/16/forum-de-montpellier-le-programme_939682

[9] http://actu.orange.fr/une/existrans-2013-des-trans-defilent-pour-un-etat-civil-conforme-a-leur-genre-afp-s_2625482.html

[10] URL : http://existrans.free.fr/#CP. L’Organisation mondiale des Intersexes (OII) était représentée par Vincent Guillot.

[11] Marie-Madeleine Courtial, « La marche Existrans du 19 octobre », 25.10.2013,  URL : http://medias-presse.info/?p=380

[12] Maëlle Le Corre, Yagg : http://yagg.com/2013/10/16/existrans-2013-le-gouvernement-doit-tenir-ses-engagements/

[13] http://www.pantheresroses.org/Pancartes-Existrans-2008.html

[14] http://www.barbieturix.com/2013/10/16/existrans-rendez-vous-samedi-pour-la-17e-edition/

[16] Notre article du mois dernier.

[17] http://no-life.info/blog/2013/10/17/pourquoi-la-prise-en-compte-des-trans-sans-papiers-est-importante/

[18] Bellebeau Brigitte, « A quelle condition puis-je faire quelque chose de ce qui est fait de moi ? », Actes de la journée d’étude, Le désir de reconnaissance, entre vulnérabilité et performativité (B. Bellebeau et A. Alessandrin dir.), en ligne.

[19] Ansey Pierre, « Nancy Fraser, Luttes culturelles et luttes de redistribution, Politique, (en ligne).


Mise en ligne : 30 octobre 2013.

Ali Aguado : Historique du mouvement trans et des luttes politiques

Ali Aguado

Militant à OUTRANS

 

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Historique du mouvement trans
et des luttes politiques

OUTrans est une association d’auto support trans fondée en 2009. Notre première action a été une minute de cri contre la transphobie le jour de l’IDAHO. Nous avons depuis mené plusieurs actions dans l’espace militant mais aussi des productions d’auto support, notamment en terme de santé sexuelle. Un guide de prévention et une campagne nationale de dépistage pour les trans et leurs partenaires, un guide sur le b.a BA des opérations. Notre action consiste à offrir des outils aux personnes trans mais aussi à leurs proches dans des questions de vie quotidiennes concrète mais aussi à mener de front une lutte pour participer aux termes du débat sur la questions trans puisque nous estimons être les premières personnes concernées.

Pour nous situer rapidement, nous nous reconnaissons comme des héritiers et héritières des luttes féministes où le féminisme est pour nous une boîte à outils pour penser les rapports de pouvoirs qui nous traversent  en tant que personne trans dans une société profondément sexiste, raciste et par extension homophobe, lesbophobe et transphobe. Le féminisme et le mouvement queer, nous permettent alors d’avoir des outils politiques pour nous affranchir des diktats de la pensée dominante. 

Nous sommes ici aussi parce qu’avant nous d’autres trans se sont mobilisé.es et ont réussit à imposer la question trans à force de luttes dans l’agenda politique à l’échelle nationale et internationale. Après de nombreuses années de lutte nous avons  réussi à imposer notre présence dans différents espaces. 

Je pense notamment à l’espace universitaire français où il n’aurait pas été question il y a 10 ans de cela que des trans prennent la parole pour discuter et proposer des pistes de réflexions sur les enjeux politiques et sociaux que révèlent ou soulèvent nos identités, pas plus qu’il aurait été possible d’avoir un espace pour que les trans eux et elles-mêmes fassent une analyse critique de la médecine, de la psychiatrie et de tenter de questionner nos  représentations sur le genre. 

Ce que je voudrais aborder aujourd’hui c’est donc l’émergence du discours trans dans l’espace militant mais aussi et surtout ce que ce discours produit lorsque le sujet parle lui-même.  On réalise alors que la transidentité au singulier n’existe pas mais qu’il serait plus juste de penser les transidentités dans tous ces possibles dépassements. Au même titre que le sujet “femme” qu’un universalisme aveugle défendrait peut on dire qu’il n’existe qu’un sujet trans au singulier ?

I. Historique du mouvement trans et des luttes politiques

 

1989-1997

1989 : Une circulaire interne au Ministère de la Santé établit que seules les personnes entrant dans le protocole établit par les équipes médicales « spécialisées » et gérer par les hôpitaux publics pourront être remboursés des frais médicaux relatifs à leur transition.

1992 :  La CEDH condamne la France, elle met en évidence que le droit français place les requérants dans un non respect de la vie privée (article 8 de la CEDH)

1997 : Première EXISTRANS à l’initiative de l’ASB (Association du Syndrome de Benjamin)

2003-2007

2003 : Premières revendications portées par le GAT : 

1- La déclassification du transsexualisme de la nosographie psychiatrique au même titre que l’homosexualité qui a été retirée par décision politique de l’A.P.A (association des psychiatres américains); la transsexualité, compte tenu de la méconnaissance du corps médical après des dizaines d’années de “recherches”, doit être sortie du diagnostic psychiatrique préalable. La dépsychiatrisation impliquant une aide, un accompagnement à l’AUTO-DIAGNOSTIC.

2- L’abrogation ou la révision du protocole pour que les équipes médicales se réfèrent à un protocole adapté à chaque individu et non plus sur l’entité «   transsexuelle   ».

3- Le libre choix du médecin par un principe affirmé de l’aide à l’AUTO-DIAGNOSTIC. (respect de l’article R4127-6 du code de Sécurité Sociale). Et non plus la toute puissance médicale d’une équipe hospitalière auto-proclamée spécialiste qui se ferait gardienne de notre identité/corps.

4- Une meilleure adaptation des dispositifs juridiques et administratifs dans la période transitoire ne nous condamnant ainsi plus à la clandestinité.

Septembre 2004: Première AG des trans organisée par le GAT. 

1-  L’Assemblée Générale demande la dépsychiatrisation de la question Trans.

2- L’Assemblée générale demande aux associations, groupes et organisations Trans’ présents le 27 septembre à l’ANAES de proposer collectivement un accès aux soins sans diagnostic psychiatrique préalable.

3- L’Assemblée Générale demande le changement du numéro de sécurité sociale et du prénom sans acte chirurgical préalable.

 

Octobre 2004: Existrans : PSYCHIATRISATION= TRANSPHOBIE

30 décembre 2004: Création de la Haute Autorité de Lutte contre les discriminations et pour l’égalité.La HALDE n’a jamais reconnu  la transphobie comme une discrimination. Le Défenseurs des Droits et des libertés non plus.

2007- aujourd’hui

Octobre 2007 : Première organisation Européenne de l’Existrans.  CONTRE LA PSYCHIATRISATION= RESISTRANS. Manifestations conjointes à Barcelone, Paris et Lisbonne.

Avril 2009 :  La Haute Autorité en Santé (HAS) publie son rapport sur la « prise en charge du transexualisme » en France.

Ce document, publié en avril 2009, traite de l’ensemble de la prise en charge du « transsexualisme » par le système de santé français. Il aborde la prise en charge médicale – diagnostic, hormonothérapie et chirurgie de réassignation – mais également les questions socio-culturelles et juridiques. Il résulte d’une analyse de la situation au cours de laquelle la HAS a rencontré des transsexuels, des professionnels de santé et des institutionnels.

 

Mai 2009 : Création d’OUTrans.

16 mai 2009 Roselyne Bachelot Narquin (ministre de la santé, de la jeunesse et des sports) déclare publiquement qu’elle vient de saisir la HAS « afin de publier un décret déclassifiant la transsexualité des affections psychiatriques de longue durée. »

Cependant cette déclaration ne va pas dans le sens d’une dépsychiatrisation de la transidentité, il s’agit simplement dans le code de la sécurité sociale français d’une reclassification de l’ALD 23 (affections psychiatriques de longue durée) vers une autre ALD. Une ALD est une Allocation de Longue Durée pour la prise en charge médicale et financière de personnes malades… Il ne s’agit que d’un changement de termes employés a des fins moins pathologisantes. Cependant, le ministère ne s’oppose pas à l’évaluation psychiatrique humiliante destinée à déterminer si une personne trans peut avoir accès au traitement hormonal. C’est pourtant un des problèmes les plus importants rencontré par les personnes trans, qui a un impact concret sur leur vie quotidienne, leur estime d’elles-mêmes, et qui est révélateur de la transphobie du système de santé.

Juillet 2009:  Publication des 12 recommandations du document Gender Identity and Human Rights de Thomas Hammarberg, commissaire aux droits humains du conseil de l’Europe.

Février 2010 Le Ministère de la Santé vient de publier le décret qui reclasse la transidentité des ALD 23 (affections psychiatriques longue durée) à l’ALD 31. Ce décret ne va pas dans le sens d’une dépsychiatrisation de la transidentité. En pratique, rien ne change pour les personnes trans qui restent considérées comme des malades devant être soumises à un suivi psychiatrique.

Mai 2010:  La ministère de la Justice, Michèle Alliot Marie rend public sa réponse à une question posée par un sénateur socialiste (Roger Madec) traitant de l’opération chirurgicale obligatoire pour procéder au changements d’état civil pour les trans.  Dans sa réponse elle rappelle des arrêts de la Cour de cassation datant de 1992 justifie que «le principe du respect dû à la vie privée justifie que l’état-civil indique le sexe dont la personne a l’apparence» et rappelle «qu’il appartient aux tribunaux d’apprécier au cas par cas les demandes de changement de sexe, au regard du caractère irréversible de celui-ci». 

Dans le même temps elle annonce cette précision que quelques associations trans françaises portent depuis des années: : «L’opération de réassignation sexuelle ne doit pas être systématiquement exigée dès lors que le demandeur apporte la preuve qu’il a suivi des traitements médico-chirurgicaux (hormonothérapie, chirurgie plastique…) ayant pour effet de rendre irréversible le changement de sexe et de lui conférer une apparence physique et un comportement social correspondant au sexe qu’il revendique.» 

25 avril 2010:  2ème AG des trans à l’appel d’OUTrans. Vote majoritaire contre les Centres de Référence.

   

Les revendications portées par l’AG des trans sont les suivantes :

 

-absence de test de vie réelle.

-libre choix du médecin, possibilité de parcours hors-centre de référence et remboursements assurés.

-élargissement des catégories professionnelles réunies dans ces centre par rapport aux équipes hospitalières existantes

-non-obligation de l’hormonothérapie réversible.

-obligations des praticiens à contribuer à la communauté scientifique internationale

-changement d’état civil facilité

-place décisionnaire des associations de personnes concernées dans les centres de référence.

-individualisation des parcours, y compris sur le plan corporel

-prise de modèle sur les Plannings Familiaux.

 

Par ailleurs l’Assemblée Générale des Trans a voté la résolution suivante :

– Pour mettre en oeuvre la dépsychiatrisation des transidentités, la prise en charge de la transition doit exclusivement se fonder sur une déclaration de consentement éclairé sans aucune forme d’évaluation ou de diagnostic.

19 mai 2010: Roselyne Bachelot a annoncé publiquement son intention de demander à l’Organisation Mondiale de la Santé de retirer le transsexualisme de la liste des maladies mentales, comme l’OMS l’avait fait pour l’homosexualité auparavant (1992 pour la CIM). Il aura fallu plus de 5 ans pour que le gouvernement prenne au sérieux le travail et les revendications portées par les diverses associations trans françaises. Pourtant, le ministère de la santé soutient le projet des Centre de référence qui consiste au final à légitimer l’installation des équipes hospitalières actuelles. Il y a visiblement une volonté de l’Etat français de se caler sur le modèle espagnol.

Juillet 2010: Création de la SOFECT : La SOciété Française d’Etude et de prise en Charge du Transexualisme  qui estime que « travailler ensemble est particulièrement important à un moment où les classifications et les concepts qui sont en jeu dans l’évaluation des patients que nous prenons en charge sont en cours de modification. A travers ces changements, l’action des médias, de politiques politiciennes, et d’associations d’usagers, peuvent obscurcir ce qui en France est le moteur de notre activité: un but thérapeutique » . La SOFTEC est en réalité les équipes médicales hospitalières qui se sont proclamées elles-même expertes de la « prise en charge » des personnes trans.

Septembre 2010 : Première réunion du groupe de travail DGOS (Direction Générale de l’Offre de Soins). 2/3 des personnes présentes sont membres de la SOFECT, dont Colette Chilland.

Janvier 2011 : OUTrans sort un guide à destination des pd/gay trans qui font du sexe avec des gay/pd cisgenres.

Mars 2011 : Appel d’offre de l’INPES pour des projets liés à la santé sexuelle des Trans.

Avril 2011 : Le ministre du travail de l’emploi et de la santé commande un rapport à l’IGAS qui doit aider entre autre à « évaluer l’opportunité de la création d’un centre de référence pour la prise en charge médicale du transsexualisme.». Tout le tissu associatif français travaillant activement sur la question trans est auditionné ainsi que certaines associations de lutte contre le sida. Nous n’avons aujourd’hui toujours pas le rendu de cette enquête alors que le rapport de l’IGAS a été rendu au ministre de la santé et des sports.

Décembre 2011 : OUTrans diffuse la première campagne d’incitation au dépistage à destination des personnes trans. Au même moment, une enquête de l’INSERM menée sur la santé sexuelle des trans est publiée. Le taux de séroprévalence chez les Femmes Trans migrantes et travailleuses du sexe est 3 à 4 fois plus élevée que la moyenne.

 

Chrysalide, association trans d’auto support à Lyon a mené elles même une autre enquête sur l’accueil de la population trans par le corps médical et le rapport des trans à leur propre santé (sexuelle et générale).

 

  1. II.Quand le sujet parle…

Comme on peut le voir, l’émergence des luttes pour les droits des personnes trans a opéré en premier lieu un déplacement de la question trans du champs psychiatrique vers le champs politique. 

Dans la lignée des mouvements féministes, nous questionnons les catégories qui produisent les rapports de pouvoirs qui structurent notre société en même temps qu’elles en émanent.

Le discours médical, réputé exact parce que scientifique, prétend exister en dehors et au dessus des rapports sociaux. Ce discours scientifique produit alors des catégories en dehors de toute réalité sociale, en dehors de rapport de lutte et les inscrit alors dans une vérité qui se voudrait universelle et naturelle.

En réalité, ces dispositifs créent et classent des catégories d’êtres : qui est un homme ? Qui est une femme ? Qui est trans ? Qui est malade ? Qui doit être guéri-e ?

 

Ces catégories deviennent alors naturalisées et maintiennent la catégorie femme et la catégorie trans dans un état de subordination.

S’émanciper des discours médicaux et psychiatriques hégémoniques, c’est revendiquer le droit de choisir nous-mêmes les corps et les identités de genre que nous voulons. C’est refuser qu’une normes présentée comme naturelle et allant de soit alors qu’elle n’est que la production et le reflets de rapports de domination, nous soit imposée et puisse dicter ce que nous sommes et ce que nous devrions devenir.

 

Ainsi, nous pensons nos  transidentités au pluriel et nous revendiquons la diversité de nos parcours trans. Le respect de l’auto-définition de chacun-e est à la base de notre pratique militante à OUTrans.  Pour autant passer du refus d’une binarité obligatoire à l’obligation de se situer en dehors des catégories de genre hégémoniques serait substituer un discours imposé à un autre. C’est pouruqoi nous restons vigilants quant au discours qui se voudrait «   queer   » et qui refuse le droit aux personnes trans de se penser et d’advenir dans des catégories  de genre dominante sous prétexte que ce serait se faire le jeu de la «   différences des sexes   » et d’un certain retour à l’essentialisme. Notre discours militant se situe sur ces deux fronts de lutte   : contre les contraintes sociales qui nous voudraient hommes ou femmes dans les stéréotypes les plus crasses et contre la contrainte d’un discours queer au delà de nos réalités sociales qui voudraient que nous ne soyons ni homme ni femme.

 

  1. II.… Le discours suit…

Pour que nos identités ne soit pas le jeu d’une instrumentalisation politique et normative de part et d’autre, dans OUTrans nous estimons qu’il est urgent que nous prenions la parole , que nous créions nous-mêmes les conditions d’émergence de notre lutte et de notre discours, que nous revendiquions notre appartenance au mouvement féministe comme sa possible prolongation réflexive sans en accepter pour autant les dérives transphobes.  Il est tout aussi important pour nous de nous inscrire dans le mouvement queer sans  sans renoncer à nous définir hommes ou femmes comme nous le voulons, quand nous le voulons et où nous le voulons. L’importance de la définition de soi réside en cela même qu’elle fluctue selon les espaces où elle est affirmée et relève notamment de notre sécurité dans une société profondément sexiste et transphobe et globalement ignorante sur les enjeux liés à la vie des trans. Ainsi, nous venons perturber à notre façon, le système de production des savoirs en nous positionnant nous mêmes comme nos propres experts, des experts profanes dans la vue de dépassé la catégorie nosographique qui nous a été assignée. Nos transidentités sont politiques et notre lutte est une lutte d’émancipation.

 

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Pour s’appuyer sur des exemples de discours que OUTrans a pu produire on peut par exemple s’appuyer sur cette affiche réalisée à l’occasion du Tdor en 2011. Le T DOR est le jour de commémoration des personnes trans victimes d’assassinat. Nous ne voulions pas ce jour là pleurer les morts de notre communauté mais bien plutôt exprimer notre rage et exiger des revendications concrètes qui peuvent endiguer les agressions transphobes. Nous avions donc choisit ce slogan «   En rage plutôt qu’en deuil   » pour nous défaire entre autre d’un positionnement attendu de la part de la communauté trans   : montrer notre souffrance comme pour montrer patte blanche. (mettre affiche Tdord+cp et/ou lien)

Nous voulons dans OUTrans produire non seulement un savoir qui nous est propre mais aussi une grammaire pour nous penser davantage dans la puissance d’agir, l’empowerment, que de renouveler sans cesse la position victimisante qu’un système inégalement distribué attends de nous, fait de nous des individuEs acceptables. Le communiqué de presse qui accompagnait cette affiche ne pouvait pas être plus explicite. Nous voulions célébrer notre force, notre puissance et notre résilience. Nous voulions aussi visibiliser (et continuons de le faire) que la transphobie n’est pas seulement le jeu de certainEs individuEs violentEs qui ne supporteraient pas  la visibilité des trans dans l’espace public, mais qu’il s’agit bien d’un dispositif global et incorporé par chacunE. Les discours faisant encore une différenciation entre les sujet trans  , transgenres et transexuels (qui s’appuient donc sur la psychiatrie et donne alors plus ou moins de valeur à nos vies) , créant une échelle de souffrance face aux situations de discriminations auxquelles nous pouvons être confrontés, une échelle de catégories qui nous divise valide et participe à rendre la transphobie licite  ; un appareil d’Etat qui s’entête à freiner l’accès à nos droits en les niant fonctionnant au cas par cas pour les questions de changement d’Etat civil sans opération chirurgicale, etc….

 

 

En conclusion, c’est à nous, trans, de repenser le sens politique que l’on veut donner à nos vies, à nos parcours et surtout à nos différentes représentations. Nous n’avons pas à laisser d’autres parler pour nous et nous mettre à une place de victimes passives. Si dans nos esprits, si dans la représentation de la majorité des individus trans, la transidentité rime avec souffrance ça n’est pas parce qu’il s’agit d’une « maladie », mais parce que les dispositifs transphobes qui nous asphyxient et régissent nos vies nous empêchent de nous déployer socialement comme nous le désirons. Les trans sont aussi et avant tout une catégorie éminemment politique (et non une catégorie psychiatrique), nos luttes revendiquent une égalité radicale qui touche au corps, à l’identité, au plaisir, à la santé, au travail, au savoir, au pouvoir de définir d’autres normes de vie.

 


Mis en ligne : 18 mai 2012.

Vincent Guillot, Accompagner ou stigmatiser

Vincent Guillot


Accompagner ou stigmatiser

Depuis que les trans’ ont pris la parole en France, ils/elles n’ont eu de cesse de dénoncer la stigmatisation dont ils/elles font l’objet de la part de quelques psy (psychiatres, psychanalystes, psychologues) qui se sont érigés en spécialistes de la transsexualité, assénant chaque fois que possible leur vérité. Deux positions s’affrontent, celle d’une poignée de spécialistes et celle des personnes concernées, sans que jamais les uns et les autres ne puissent s’entendre.

Pour les psy, la transsexualité est une affaire médicale, pour les trans’ c’est une question de société, une question politique qui remet en cause les fondement du système car touchant au juridique et au social, au religieux et au philosophique.

Je porterai aujourd’hui un regard sur l’évolution de la question trans’ et sur l’accès aux droits des personnes concernées qui me semble essentielle.

Lorsque les médecins, les psy se sont penché sur la question trans’, il y a déjà quelques décennies, les homosexuels/homosexuelles prenaient la parole et se sortaient de la pathologisation et de la criminalisation; C’était le temps du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, puis de l’émergence des associations gay et lesbiennes qui firent évoluer le regard sociétal passant de la déviance à l’orientation sexuelle revendiquée. Jusque là les trans’ faisaient peu parler d’eux/d’elles et se débrouillaient tout/toutes seuls/seules pour faire leur transition. Les rares fois où l’on parlait de la question trans’, ce n’était que sous la forme du scandale et plus rarement encore de la victimisation.

Passé cette période à leurs tour les trans’ s’organisèrent et prirent la parole, rejoints bien plus tard par les intersexes, qui en France ont fait le choix de se battre au sein des groupes de lesbiennes, gay, bi et trans’ pour faire converger l’ensemble des luttes des diverses associations. De fait le FAHR rassemblait déjà toutes ces composantes, de même que le reste de la société qui confondait, au sens littéral du terme, toutes ces populations sous divers vocables, tel que les invertis. La boucle est bouclée et les luttes trans’ ne peuvent plus être séparées des autres luttes des minorités de genre et sexualité d’autant plus que les théories queers sont venues renforcer l’idée que ce n’est au fond qu’un combat féministe constructiviste, basé sur les luttes de sexe de classe et de race.

Durant toutes ces décennies, les quelques médecins qui se positionnent en spécialiste des trans’ campent sur leurs positions binaires, une transsexuelle est un homme qui désire de façon délirante se vivre en femme et vice versa; au delà point de salut, la question trans’ n’est et ne peut être selon eux que médicale et avant tout psychiatrique, il faut tout verrouiller afin que nul n’échappe à leur main mise.

Heureusement pour les trans’ le choix du médecin est libre en France et il y a de nombreux praticiens compétents dans chacune des disciplines concernées qui les accompagnent discrètement. Les techniques médicales ont évolué et des réseaux se sont créés, permettant aux personnes concernées de transitionner dans de bonnes conditions tant psychologiques que médicales (il faut aussi noter la création du RMI, puis du RSA et de la CMU ainsi que le développement d’internet qui ont notoirement changé le quotidien des populations stigmatisées en général).

Ce faisant la question trans’ a pu évoluer et chacun/chacune peut avancer vers la personne qu’il/elle est avec ou sans modifications corporelles, ou plus généralement avec certaines modifications corporelles, sans faire nécessairement le « parcours complet » d’homme vers femme ou vice versa.

Si au cours de la préhistoire puis de la protohistoire de la question trans’ ceux-ci/celles-ci se construisaient généralement dans la plainte du fait d’une absence d’altérité, de repère pour partager ce drôle de sentiment de ne pas être né dans le bon corps, les choses ont radicalement changé grâce aux actions des associations historiques, puis plus récemment, avec l’émergence d’internet, des forums, groupes et associations que l’on vit fleurir au cours de la décennie passée.

Je milite depuis une dizaine d’année au sein de groupes trans’ et intersexes et à titre professionnel accompagne en tant que travailleur social ces population et peut donc témoigner de la réalité de ce changement de paradigme: De la plainte à la revendication, les trans’ ont gagné en sérénité car ils/elles ont la possibilité de se dire, de se rencontrer et de faire chacun/chacune son parcours personnel correspondant au mieux de son identité.

Bien sûr un tel parcours amène forcement des questionnements importants, parfois mais pas nécessairement des passages difficiles, nécessitant un accompagnement social et psychologique bienveillant et sans jugement que n’offrent pas les praticiens hospitaliers spécialisés. Bien au contraire, ceux-ci ralentissent sciemment l’épanouissement des patients suivis au sein de leurs équipes pluridisciplinaires, en les enfermant dans des carcans dogmatiques et passéiste qu’ils nomment protocoles. Or tout comme les intersexes, mais aussi certains/certaines homosexuel/homosexuelles, ce qui serait nécessaire est non pas ce qui est proposé mais serait un accompagnement à l’auto détermination afin que chacun/chacune puisse s’accepter et choisir sereinement les modifications corporelles souhaitées ou alors abandonner l’idée de telle ou telle modification.

Si il y a une dizaine d’année, avant la généralisation d’internet, lors des réunions du Centre d’Aide de Recherche et d’Information sur la Transsexualité et l’Identité de Genre que je co-animais la souffrance était prégnante, il n’en est pas de même lorsque je rencontre les jeunes générations de trans’. Il était alors normal de traverser la France pour venir à nos réunions trimestrielles et la plupart des personnes arrivaient avec le poids de leurs souffrances. Je me rappelle bien des nombreuses personnes qui n’osaient pas engager la parole, venues habillées avec les codes vestimentaires de leur sexe administratif avec tout au plus un accessoire du genre désiré mais discret ou encore de futures MTF maquillées à outrance, essayant de cacher leur barbe et se présentant avec leur état civil masculin. Notre rôle consistait outre les conseils d’usage, les mille et un trucs et astuces, les bonnes adresses, à demander à la personne le prénom qu’ils/elle s’étaient choisies pour les soulager et leur permettre de se dire. Parfois, des femmes ou des hommes viennent me voir en me demandant si je me rappelle d’eux, tout en sachant que c’est impossible puisqu’ils/elles ont fini leur transition, et me remercient. Aujourd’hui, il n’en est rien et à chaque rencontre, je mesure le chemin parcouru en rencontrant des jeunes épanouis, souvent accompagnés/ées de leur ami/e, de leurs parents et parfois même de leurs enfants.

La grande majorité de ces personnes sont suivies en ville, elles ont choisi leurs médecins et sont généralement satisfaites de leur accompagnement. A l’opposé, celles qui on choisi le parcours auprès d’équipes hospitalières souffrent et bien souvent lorsque cela leur est possible abandonnent à plus ou moins longue échéance ce circuit pour rejoindre la médecine de ville. Les demandes ont donc bien changé et au delà d’internet qui permet d’obtenir des informations précieuses qui ne circulaient qu’au sein des associations, les demandes portent actuellement bien plus sur un accompagnement juridique et social. En ce sens les trans’ sont passés/es de population stigmatisée à population minoritaire, rencontrant les mêmes soucis que tout autre minorité au sujet de l’accès aux droits, droit au travail, droit au logement, droit aux papiers, droit à l’égalité de traitement. On retrouve parmi ces populations les mêmes clivages sociaux que dans le reste de la population, les plus favorisés s’en sortent très bien, occupent des fonctions professionnelles à responsabilité et « transitionnent » sans trop de problème dans leur emploi, les plus défavorisés galèrent et cumulent les difficultés, comme les jeunes de moins de vingt cinq ans qui n’ont pas de famille pour les soutenir financièrement ou les étrangers/ères sans papiers réduits/tes généralement à la prostitution. En corolaire à leur position sociale, ceux/celles qui en auront les moyens et désireront des modifications corporelles se feront opérer à l’étranger pour la qualité des soins et de l’accueil, sans commune mesure avec celle des chirurgiens hospitaliers français n’en déplaise au lobby des spécialistes hospitaliers, les moins favorisés rejoindront quant à eux les équipes hospitalières françaises.

Le regard sociétal a lui aussi bien changé et la transidentité n’est plus seulement « trash »(ou alors dans des médias dédiés) mais porte dorénavant sur un vécu beaucoup plus lisse, plus conventionnel et véhicule le message que les trans’ sont des personnes comme les autres et que l’on peut être trans’  heureux/euses et épanoui. De plus, bon nombre de trans’ se vivent à visage découvert auprès de leur entourage, de leurs collègues et voisins et les ruptures familiales sont beaucoup moins nombreuses qu’auparavant. Somme toute, les trans’ ne rencontrent pas beaucoup plus (mais encore trop) de stigmatisation que les homosexuels/elles, ce qui est une avancée énorme si l’on tient compte de la rapidité de l’évolution du regard sociétal sur les transidentités. Bien sûr, comme au sujet de l’homophobie du sexisme, du racisme, il y a encore énormément de chemin à parcourir, mais les frontières ont bougé.

La question trans’ est donc passée, hormis pour quelques médecins et juges, de la sphère médico-légale à l’acceptation  sociale d’une identité alternative, tout comme l’homosexualité il y a quelques décennies, tout comme la question intersexe est en passe de le faire.

Comme sur la plupart des sujets de société, la population a évolué bien plus vite que le droit et l’une des principales revendication trans’ demeure l’accès au changement d’état civil sans stérilisation et sans expertise médicale conformément à la directive européenne[1]. Le droit évolue a son rythme et nul ne peut ignorer que bientôt les changements d’état civil se conformeront à cette directive, par l’initiative d’un juge ou parce qu’un/une trans’ ira ester auprès des instance européennes.

A contrario, l’évolution d’une petite partie du corps médical français, réfractaire à tout changement pour des raisons corporatistes, ne pourra se faire que par le biais d’un combat politique mené par les personnes concernées et par une dé-classification de la transsexualité des normes européennes et internationales (CIM et DSM) tout comme cela a été fait pour l’homosexualité en son temps. A l’époque, suite au travail d’éveil des consciences des associations homosexuelles et à l’évolution du regard sociétal sur cette question, les psychiatres avaient considéré que l’homosexualité n’est pas une pathologie mentale et nul professionnel sérieux ne remettrait ce choix en cause, il en va de même pour la transsexualité qui comme l’homosexualité doit passer du stigmate psychiatrique au choix individuel.

La question trans’ est et ne saurait être autre chose qu’une question sociétale, qu’une question politique, au même titre que n’importe quelle minorité. Lorsque nous parlons de question trans’, il ne s’agit nullement de savoir si ceux-ci sont ou ne sont pas porteurs d’un quelconque syndrome psychiatrique. La question ne se pose pas au regard des milliers de personnes ayant « transitionné » et menant une vie conforme à ce que la société attend d’elles. L’évolution sociétale au quotidien est actée et comme tout un chacun, selon son statut social, un/une trans’ aura ou pas accès à ses droits selon son statut social et non pas selon son statut de trans’. Cette notion est importante pour comprendre l’évolution incroyable de la question trans’ au sein de la société française (et occidentale en générale). Trouver ou garder un emploi, un logement, accéder à une domiciliation bancaire, obtenir un crédit, étudier, toutes ces choses du quotidien qui étaient quasi impossible aux trans’ il y a quelques années sont désormais possible pour celles et ceux qui ont eu accès à l’éducation de par le statut social de leurs parents. Celles et ceux qui n’ont pas eu cette opportunité se voient encore fermer les portes et restent dans la précarité (parfois extrême) comme n’importe quelle personne issue des classes populaires.  La transidentité n’est plus en soi un facteur excluant mais reste un facteur aggravant de l’exclusion. Être jeune et issu d’un milieu pauvre est un facteur primordial d’exclusion par exemple, que l’on soit trans’ ou que l’on ne le soit pas. Par contre être jeune, pauvre et trans’ est encore plus excluant et obère bien souvent par exemple toute possibilité d’accéder à un foyer et encore plus d’accéder à un emploi.

La nécessité actuelle n’est pas de structurer des réseaux médicaux particuliers pour les trans’ dont ceux-ci ne veulent pas. Cela reviendrait à créer une exception trans’ rendant caduc le droit intangible à choisir son médecin pour les assurés sociaux (et ouvrirait une brèche dans ce droit en créant la possibilité de réseaux obligatoires pour d’autres minorités tels que les étrangers ou les Roms par exemple). L’offre de soins de la part de spécialistes en ville et à l’hôpital est suffisante en France et chaque trans’ peut être suivi près de chez lui nonobstant les intimidations faites par les équipes hospitalières auprès de leurs confrères du privé. Par contre, il n’y a pas de réseau d’accompagnement pour les trans’ tel que les plannings familiaux pour la contraception ou les Centres Médicaux Psychologiques pour l’accompagnement psychologique, il n’y a pas de places en centre d’accueil d’urgence, de structures sociales proposant à la fois un suivi social, psychologique et juridique; Or c’est là que se situent les besoins des trans’ et non pas dans la main mise de quelques praticiens ayant un regard passéiste sur les trans’. La mise en place de réseaux et de soutien de minorités a toujours été consécutive à la prise de conscience de la société de problèmes donnés, tel par exemple les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile qui firent suite au Dispositif National d’Accueil créés et gérés par l’état pour accueillir les réfugiés chilien. Les CADA eux furent ensuite créés pour accueillir les « boat people » dans les années soixante dix et l’organisation en a été faite avec des finances publiques et par les réfugiés politiques chiliens. Ce sont les personnes concernées qui savent mieux que quiconque ce qui est bien pour elles et comment accompagner leurs semblables. Je donne cet exemple car il illustre bien mon propos. La question des réfugiés aurait pu rester dans la sphère du juridique comme elle avait été traitée jusque là avec par exemple les réfugiés espagnols ou les français de Tunisie. Elle aurait pu rester dans la sphère de l’état, autrement dit la sphère administrative du public. Il n’en a rien été car la question des réfugiés était passé de la stigmatisation (républicains espagnols, Français de Tunisie) à la revendication (réfugiés chiliens). A partir du moment où un groupe  revendique son identité et où la société s’en empare, il passe d’un statut de subordonné (patient, délinquant, sujet administratif…) qui n’a pas son mot à dire, au statut d’acteur échappant ainsi aux carcans qui lui étaient jusque là imposés.

C’est ce qui s’est passé pour les trans’, de patients ils/elles sont devenus acteurs/trices et échappent désormais à cette volonté de main mise sur leurs vies, rejoignant ainsi n’importe quel citoyen, dès lors, la psychiatrisation des trans’ n’a plus lieu d’être, c’est un réseau d’accompagnement pour l’accès aux droits qu’il est nécessaire de construire.


[1]. résolution 1728(2010)du conseil de l’Europe

16.11.2. à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale;

16.11.3. à un traitement de conversion sexuelle et à l’égalité de traitement en matière de soins de santé;

16.11.4. à l’égalité d’accès à l’emploi, aux biens, aux services, au logement et autres, sans discrimination;

Infogérance Agence cmultimedia.com