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Étiquette : Méghan Murphy

« A trans-inclusive feminism as a progressive sensibility »

« A trans-inclusive feminism as a progressive sensibility » (28)

Héloïse Guimin-Fati

Meghan Murphy, Sheila Jeffreys, Cathy Brennan, les sites « Feminist Current », « Sisyphe », « TRADFEM », quelques blogs, des groupes Facebook et un tas d’échanges  acrimonieux sur les réseaux sociaux nous feraient croire que, pour une partie de la planisphère féministe, un nouvel ennemi est né, se substituant à l’ancien, plus dangereux que celui-ci et, pourtant, circonscris à une infime minorité de la population ; à savoir les Femmes trans*.  A les lire et à analyser la violence avec laquelle les deux communautés s’affrontent on penserait que le péril est plus alarmant car insidieux et qu’il sonnerait le glas des luttes féministes contre le patriarcat.

Les arguments et modes de « défense » de ce que d’aucuns appellent les TERFS(1) sont récurrents : opposition antinomique entre les « porteurs de pénis » et les « femmes », instrumentalisation de faits divers et de la violence des réactions de la part de certain.e.s personnes trans., sur-légitimité cissexuelle, mythification des trans*, accusation de liquidation des luttes féministes, le tout mêlant ignorance et mauvaise-foi surréalistes.

La multiplication des interventions et des altercations nous a poussées à réagir. Je vais donc prendre le temps de penser ces méthodes pour y apporter un début de réponse, non pas dans l’espoir de vider la querelle, mais pour offrir à celles-ceux qui se retrouvent confronté.e.s à ce genre d’attaques des pistes de réflexions ou des arguments pour se défendre. La médiatisation de plus en plus grande, qui jette sur nos destins un projecteur cru et déformant, ne fera que braquer celles qui voient en nous des ennemi.e.s. Il est donc utopique de croire que la publication de ce dossier mette fin aux conflits. Comme me l’a dit une amie « souffle sur le feu, il y aura toujours des braises ! »

Cela étant dit, penchons-nous sur l’argumentaire déployé. Et d’abord sur la division corporelle de l’humanité entre « porteurs de pénis » et « femmes ». J’use à dessein de ces deux expressions qui sont souvent opposées sur un pied de non-égalité. De même que lorsque Kathy Brennan se fait photographier en exhibant une figurine affichant « Sorry about your dick » (2) ou que Jules Falquet décrit le sort des recrues masculines du service militaire turc (3), il y a ce besoin de partager et de déshumaniser une partie de l’humanité en, d’un côté, la ramenant à un organe de son corps, le définissant irrémissiblement et de l’opposer à des figures (« les femmes ») dont l’existence individuelle est un construit conscient, une victoire sur leur corps, le plus souvent objectivé, et les injonctions au silence dont elles sont souvent victimes. D’un côté un objet confronté à un sujet. Dans le cas qui nous intéresse ici, cela renvoie les Femmes trans* à ce que beaucoup tentent de dépasser et de transcender (l’assignation à la naissance). C’est simple et souvent, avouons-le, efficace, nous laissant avec une meurtrissure insondable, surtout que l’acte posé l’est avec un plaisir non déguisé, souvent sadique, appuyé sur une foi quasi religieuse. Certain.e.s d’entre nous ne sachant y répondre que par l’agressivité et les excès.  Sans excuser ceux-ci, allons un peu plus loin.

Le féminisme radical se défend d’être essentialiste, il ne s’attaquerait qu’à « La » racine du patriarcat pour libérer les femmes de l’oppression des hommes. A les entendre il n’y aurait donc qu’une seule racine à ce système inique, un seul axe d’oppression et de classification qui expliquerait tout et où tout serait soluble. Cette idée du « tout » explicable par un seul schème me fait furieusement penser à la doctrine psychanalytique où ce « tout » est explicable, entre autre, par le concept de « résistance ». Résister c’est la preuve de la névrose et donc du refus d’être soigné.e. Sous entendre qu’à l’axe oppressif homme-femme, peuvent se substituer (ou se superposer) d’autres axes est, sur le même mode, une preuve de misogynie patriarcale et le dossier que vous lisez, qui met en question ces doctrines radicales, le serait tout autant. Dans les deux cas soit vous acceptez soit vous êtes un.e ennemi.e. Il vous faut donc laisser votre libre arbitre et votre conscience aux portes de ces cabinets d’analyse.

L’appartenance à un corps est le juge ultime qui fait de vous soit une victime du patriarcat soit un de ses privilégiés. Kate Louise Gould (4) nous dit qu’elle est «  une femme natale. Un être humain femelle adulte » qu’elle a « un vagin et, jusqu’à la ménopause, un cycle menstruel » que « ce ne sont pas des opinions ; ce sont des états de faits biologiques » que «  cette biologie peut ne pas définir une femme dans son intégralité — elle a un vagin, elle n’est pas un vagin —, mais elle est essentielle à ce qu’est une femme », pour elle  « notre biologie et notre être féminin sont entremêlés » et elle finit par « comme la biologie des hommes avec leur être masculin : un pénis et des testicules sont les marqueurs biologiques de la masculinité ».

Que nous apprend, ou ne nous apprend pas, cette profession de foi ? D’abord, une première chose, assez étonnante pour une personne prédicant la dualité des sexes et des genres, c’est qu’il y aurait des femmes « natales » et donc, à contrario, qu’il y en aurait qui ne le soit pas.

Elle se désigne elle-même comme « femelle humaine », discernant pourtant les corps par leurs seuls organes et caractéristiques procréatrices, atténuant à peine le fait que nous soyons tous.tes des mammifères, en effleurant notre humanité consciente pour finir par lier sexe et « façon d’être au monde » ; le genre, qu’elle ne nomme pas. Parler de « femelles humaines » c’est supposer la « pré-existence de groupes à leur hiérarchisation [en laissant] de côté la question de [leur] constitution » (5). C’est aussi penser les corps en soulignant leur animalité tout en coupant ceux-ci de la perception que nous pouvons en avoir. Que l’oppression des femmes en tant que classe repose en partie sur deux construits reliés : la capacité de reproduction et la capacité sexuelle est une chose facilement vérifiable. Mais pour que cette oppression aie pu s’installer et perdurer il a fallu, d’abord, que TOUS les corps soient pensés selon l’axiome hétérosexualité-procréation.

Ramener la différence des sexes à la seule réalité biologique c’est ; ne pas prendre en compte le construit perceptif de cette réalité. C’est ramener les corps à des « machines » dont le rôle social et singulier est la permanence de l’Humanité.  C’est faire croire que le corps est un assemblage d’organes indépendants les uns des autres alors que c’est une intégration, les uns n’ayant d’existence qu’en rapport aux autres, la fonction procréatrice n’en étant qu’une des qualités, ne définissant chaque corps singulier qu’en partie. De plus, « Ce qui permet d’affirmer que ce corps est le mien, c’est le sentiment de propriété lui-même » (6), que seul le point de vue d’une subjectivité ou d’une conscience peut isoler de la masse des autres corps. Et là où il y a conscience, il y a dépassement du stade limitatif de l’animalité darwinienne et possibilité de se libérer du cadre oppressif du contrôle des corps par le patriarcat et de leurs définitions biologiques. L’idée comme quoi les humains seraient déterminables selon leurs caractéristiques sexuelles primaires et secondaires et leur flux d’hormones indépendamment de leurs mises en combinaisons et de la possibilité de penser et la finitude de ces caractéristiques et la modélisation des divers vécus est s’offrir, une fois encore, en offrande à la toute puissante supposée de la Nature. Lors, réduire les corps à quelques organes c’est les vider de ce qui leur donne vie et perspective, c’est, somme toute, tuer ces corps que l’on prétend définir.

Mais ce n’est pas tout. Comment continuer à lier sexe et genre lorsque Christine Delphy, elle-même (5), avance que, « la différence est la façon dont […] on justifie l’inégalité entre les groupes.[…] ces différences ne sont pas seulement des différences, mais aussi des hiérarchies. La société s’en sert pour justifier son traitement « différentiel » – en réalité inégal et hiérarchique- des groupes et individus. […] une « vraie » différence est d’une part réciproque et d’autre part n’implique pas de comparaison au détriment de l’un des termes. Or la différence invoquée sans arrêt à propos des femmes, mais aussi des homosexuel.les, des « arabes », des « noirs, n’est pas réciproque, bien au contraire. […] Cette différence est un stigmate. », plus loin elle ajoute, « cet implicite d’une préexistence des groupes à leur hiérarchisation laisse de côté la question de la constitution des groupes en groupes […] L’impossibilité de rendre compte de leur constitution par autre chose que la volonté de hiérarchiser les individus (de les rassembler en groupes d’inégale valeur) est la clé de toute de ma théorie […] une fois que les groupes sont constitués, on ne se demande plus comment ils ont été constitués. On se demande en quoi ils diffèrent, comme si l’opération par laquelle ils ont été nommés différents, puis traités différemment, était sans rapport avec leurs différences actuelles », enfin, « la biologie est un regard sur la réalité  […] il ne peut exister de « vérité biologique ». Et elle termine par ceci ; « le sexe est conceptualisé comme une division naturelle de l’humanité – la division mâles/femelles- division dans laquelle la société met son grain de sel […] si le genre n’existait pas, ce qu’on appelle le sexe serait dénué de signification, et ne serait pas perçu comme important : ce ne serait qu’une différence physique parmi d’autres. […]  Je conclus que le genre n’ [a]  pas de substrat physique […] qu’au contraire c’ [est] le genre qui [crée] le sexe : autrement dit, qui [donne] un sens à des traits physiques qui, pas plus que le reste de l’univers physique, ne possèdent de sens intrinsèque. […] La plupart des féministes continuent de penser à l’intérieur du paradigme précédent [le sexe comme une division naturelle de l’humanité]. Beaucoup certes font une place au genre : admettent qu’une bonne part, sinon la totalité de ce qu’on appelle « féminité » ou « masculinité » sont des construits sociaux, et se défendent d’appartenir à l’école essentialiste qui postule une différence ontologique et irréductible et totale entre les femmes et les hommes. Néanmoins, elles gardent l’idée que le genre est assis sur un sexe physique, dichotomique et réel : que les catégories de sexe nous sont données par la « nature ». Toujours Delphy ; « les défenses sans cesse renouvelées de « la différence sexuelle » ne font que confirmer l’importance du genre dans nos sociétés : une importance sociale telle qu’elle est apparemment le fondement de notre appréhension du monde. […] Tout se passe comme si la différence des sexes était ce qui donne sens au monde […] cette croyance est si ancrée dans la conscience de chacun.e, qu’elle déborde largement le domaine du genre lui-même, affecte la perception du monde et même la capacité à le percevoir  […] La croyance que le « différence sexuelle » est une différence fondamentale, un socle naturel produisant deux principes, féminin et masculin, sur lesquels la société peut et doit s’appuyer, est aussi vieille que notre civilisation historique. ».

Les deux cas de « changement » chirurgical de sexe au II° siècle avant notre ère décris par Jean Lascaratos et Stavros Perentidis (7) confirment que la naturalisation des sexes sur des modèles déterminés est ancienne et un des fondés sur lequel toute la perception du normal et du pathologique reposent quand il s’agit de corps hors du schéma naturaliste. Tout agit comme si nous devions rendre à notre mort le corps que nous avons reçu en l’état et que l’appel à la technique, réputée changer la nature, doit être neutraliser par l’édification de lois (morales ou institutionnelles) pour rétablir les droits de la Nature mise en danger.  Le simple désir de modifier les paramètres et les apparences morphologiques ne peut alors qu’être le symptôme d’une déréliction de la raison.

« L’identité du normal et du pathologique est affirmée au bénéfice de la correction du pathologique » (8) sur l’idéologie que toute atteinte à la « Nature » est inconcevable tant celle-ci est réputée saine, indivisible et bienfaitrice. Ce qui permet dès le début du XIX° à la médecine d’apporter son concours savant à une morale qui, au Moyen-Age par exemple, ne parlait que de dégradation de l’âme (9). Les inverti.e.s vont passer des flammes de l’Enfer à l’enfermement pour cause de maladie et de prétentions thérapeutiques. L’idée étant de soigner et qu’au trouble succède l’apaisement. La psychiatrie, et ensuite la psychanalyse, vont être les bras armés de cette normalisation forcée des identités sexuelles déviantes et des expressions « transsexuelles », mettant allégrement le tout dans le même sac en suivant en cela l’exemple de Magnus Hirschfeld, inventeur du  terme « transsexualismus » et ayant classifié les identités-attirances en quelques 80  catégories « d’intermédiaires sexuel.le.s » (10). C’est sur ces bases (Harry Benjamin rencontra Hirshfeld au début de sa carrière) que « le modèle transsexuel » s’édifiera, vu comme une réparation d’erreurs successives et dont beaucoup de trans* feront l’expérimentation douloureuse. Car, que se soit dans l’acceptation d’un complexe œdipien « mal » vécu, d’un refus de choix d’objet hétérocentré, que se soit dans la certitude d’un corps-prison, d’un appel, ou d’une condamnation des interventions chirurgicales ou des traitements hormonaux, que se soit dans l’imposition de thérapies réparatrices ou d’acceptation d’un destin donné, ce qui importe à la Société est le retour à la norme de parcours de vie pervertis pas la perversion, la névrose ou le mensonge. Au final quelque soit le point de départ de la projection des vies transidentitaires à la lumière de la naturalité des corps, c’est le destin pathologique funeste qui en est la qualité pernicieuse et finie.  Tout est fait, même après « normalisation », pour qui nous n’oublions jamais l’abjection qui est la nôtre.

C’est ce que Meghan Murphy va s’attacher à faire dans son article incendiaire du 21 septembre 2017 traduit pour le site RADFEMS (11). En fait cet article nous en apprend bien plus sur la vision hallucinée que les féministes radicales transphobes ont des personnes trans. que sur l’intégration de celles-ci dans la société civile, intégration qui ne sera de toute façon vue qu’à la lumière d’une invasion-soumission patriarcale.

Cette diatribe part d’un fait déplorable ; l’agression dont a été victime, au Speaker Point d’Hyde Park, une oratrice féministe de la part de trois activistes trans (12). Quel que soit le fossé qui nous sépare, il est hors de question de légitimer la violence. La violence patriarcale, qui est une réalité commune, est ce qui devrait nous unir tous.tes dans une même volonté de combat, et non pas en nous écharpant entre nous.  Mais, les condamnations doivent aussi se faire dans les deux sens. Murphy a beau jeu de souligner les tweets détestables adressés, par des activistes trans* et alli.é.s, à celles qui pensent comme elle en omettant, bien entendu, ceux qu’elles sont tout aussi capables d’envoyer en retour ou en amont. Une rapide recherche sur les réseaux sociaux aura vite fait de montrer l’ampleur des dégâts (13). La violence et les invectives sont réciproques mais l’objectif des féministes transphobes est d’exclure les personnes transidentitaites des droits les plus élémentaires en faisant flèches de tout bois.

Car, il ne faut pas se leurrer, que ce soit dans son allocution de mai 2017 devant le comité sénatorial canadien, son contre-rendu de la conférence donnée à Conway Hall, Londres en 2016 ou le texte du 21 septembre, ce qui intéresse Meghan Murphy est de refuser que les droits humains soient appliqués à une partie de la population sous couvert d’un féminisme essentialiste qui aurait seul valeur de loi en instrumentalisant les actes d’une minorité d’entre nous. Son discours ne doit pas cacher l’obédience de certaines féministes radicales aux thèses de Janyce Raymond, dont le rapport de 1980 servit aux autorités américaines et aux diverses assurances pour exclure les « transsexuel.le.s » de toute une série de remboursement de soins de santé entraînant des décès en cascade (14), et à celles de Sheila Jeffreys qui appelle à l’arrêt des chirurgies et des traitements hormonaux considérére.e.s comme contraires aux droits humains (15) et dont l’un des faits d’armes aura été de se fendre de commentaires racistes condamnés par la communauté aborigène australienne (16). Tout le réquisitoire de cette branche du féministe est axé sur la partition « naturelle » des humains et sur l’idée que nous serions atteint.e.s d’une psychopathologie nommée en ce moment « dysphorie de genre », soumis.e.s au patriarcat capitaliste, voir, comme le prétend Jeffreys, parce que c’est une excitation sexuelle qui « fait » de nous des malades. Quant aux hommes trans*, ils sont ravalés au rang de traîtres à la cause des femmes et, parfois, avec paternalisme, de simples brebis égarées éveillant de la commisération, mais le plus régulièrement ils sont ignorés (17).

On peut étudier que la partition du sain et du pathologique se retrouve déjà chez Aristote et sert de modèle classificateur et hiérarchique à une société qui, ailleurs, subordonne sur fond de sexes et aura interdit aux femmes l’accès du domaine public pour des raisons soi-disant « naturelles ». L’agencement du pathologique est une hiérarchie patriarcale, y faire appel pour exclure une part de la population ne peut que réifier une oppression en se faisant les allié.e.s objectif.ive.s de l’oppresseur.  On peut dès lors raisonnablement se demander ce qui fait qu’une partie du féminisme radicale aie décidé que les personnes trans* seraient les ennemies à abattre de quelques manières que se soit, en usant d’artifices et de désinformations et en s’appuyant sur des thèses psychiatriques données par le patriarcat lui-même.

Mais en définitive, la question est de savoir, au-delà des arrogances et invectives et des quelques échauffourées ici et là, comment cela se déroule t’il au niveau du terrain ? Là où féministes et personnes trans. se croisent ? Comment cela se déroule t’il dans les lieux LGBTQI, lors des événements communs, des drinks, des actions, des soirées et des festivités ?

Puisque Meghan Murphy parle de différences selon les territoires (le terme de territoire n’est pas anodin, j’en reparlerai plus loin), parlons donc du « territoire » belge où je milite.
En fait, cela se passe bien et de manière tout à fait cordiale et pacifique.

En tant qu’administratrice de l’association Genres Pluriels et responsable de deux de nos permanences, je suis amenée à fréquenter et à accueillir énormément de personnes.  Que se soit à Bruxelles, Liège ou Verviers, cis*, trans*, gays, lesbiennes, hétéros, féministes, queers, hommes, femmes, inters., non-binaires etc se croisent, se saluent, échangent des propos, s’organisent ensemble, se soutiennent sans que cela ne posent le moindre problème.  Ces derniers mois, notre association s’est associée avec le L-Festival (18) et le festival Pink Screens (19), comme chaque année. Dans le cadre de notre festival, nous avons mis sur pied plusieurs soirées avec une autre association qui accueille les réfugié.e.s et les migrant.e.s afin de parler de la situation des personnes transidentitaires venant de ces pays (20).  Enfin, nous avons organisé un colloque transféministe pour parler de la trans-sectionnalité des oppressions et où en collaboration avec des personnes de tout horizon, entre autres de l’ASBL Garance (21), nous pourrons questionner l’auto-santé, l’appréhension des corps dit hors-norme, parler des attitudes de réappropriation de nos identités multiples et complexes,  de la pathologisation et de tant d’autres injonctions patriarcales (22).

Dès lors comment doit-ont, interpréter leur attitude et les demandes de formations à l’accueil des personne trans* par une association comme Liège Gay Sport, dont la majeure partie des affilié.e.s  sont des gays et des lesbiennes et qui désire nous accueillir et pouvoir réagir contre les réactions transphobes lors de leurs événements sportifs? Comment interpréter que le L-Festival et d’autres associations lesbiennes ne se sentent pas agressées par la simple présence de F Trans*, qui contrairement à ce qu’en a dit JJ Barnes, dans un autre article  des plus surréalistes, relayé par Christine Delphy (via TRADFEMS) et publié au départ sur Feminist Current (le chemin pris par ce texte n’est pas innocent) (23), ne cherchent pas à obliger les lesbiennes à avoir des relations sexuelles avec des « femmes à pénis » qui n’ont guère peur des viols correctifs dont nous serions les nouvelles portes-drapeau  (24) ?

Je me pose donc cette question, si toutes ces femmes « natales », pour reprendre l’expression de Kate Louise Gould, ne se sentent pas en danger, est-donc parce qu’elles se sont soumises aux lois du patriarcat ? Est-ce que, lorsque Mirabal Belgium invite notre association à participer à « la manifestation féministe nationale » contre le féminicide, les organisatrices trahissent la cause des seules « vraies » femmes ? Et, quand le festival Cinéffable poste ce message sur son Facebook :  « Nous regrettons d’apprendre ce qui s’est passé avant 2008. A ce moment-là, le positionnement de l’association Cineffable n’était peut-être pas suffisamment clair en ce qui concerne l’accès au Festival. Nous avons désormais clarifié ce positionnement. Le Festival est un espace ouvert à toute personne s’identifiant en tant que femme. Le choix de venir ou non de participer au festival appartient à chacunE. Nous sensibiliserons également les personnes qui assurent la sécurité à l’entrée du Festival afin qu’un tel événement ne se reproduise pas. En cas de problème, n’hésitez pas à solliciter une membre de l’équipe organisatrice. » (25), devons-nous supposer que ce festival renie la cause des femmes « biologiques » et se soumet aux invectives et à la violence des personnes transidentitaires, agentes infiltrées du patriarcat honni en abandonnant les luttes féministes et lesbiennes ? Et que dire des excuses de Gloria Steinem,  qui a longtemps professer les idées de Raymond (26) mais qui en octobre 2013 expliquait : « Alors maintenant je veux être sans équivoque dans mes mots: Je crois que les personnes transgenres, y compris celles qui ont fait la transition, vivent des vies réelles et authentiques. Ces vies devraient être célébrées, pas questionnées. Leurs décisions en matière de soins de santé devraient être les leurs et être les seules à en décider. Et ce que j’ai écris il y a des décennies ne reflète pas ce que nous savons aujourd’hui, puisque nous nous éloignons seulement des cases binaires du «masculin» ou du «féminin» et que nous commençons à vivre sur le continuum humain de l’identité et de l’expression. » (27)

En conclusion, et si tout cela n’était rien d’autres qu’une question de territoire et de la perte d’un illusoire monopole dans l’action politique contre le patriarcat ?   Et si au final, la multiplicité des luttes et les glissements des diverses oppressions et stigmatisations dues à cette organisation sociétale millénaire, capable de se régénérer tel une hydre, ne déstabilisaient pas une certaine idéologie radicale qui en est obligée à défendre un essentialisme abscons, usant du genre comme d’un outil contraignant à une partition de plus en plus abstraite pour combattre plus aisément un ennemi bien défini quitte a condamner toutes celles.ceux qui ne se contenteraient pas d’une seule grille d’analyse, ou refuseraient de ne penser la lutte contre le dit patriarcat que comme l’affaire des seules femmes « natales » adhérentes aux dogmes de Janice Raymond et Sheila Jeffreys?

Fort heureusement, le féminisme est riche de possibilités et l’on peut sans problème penser son investissement en liant Christine Delphy, malgré ses errances contemporaines, Michel Foucault et Judith Butler. Car, la masse des savoirs est telle qu’il serait bien dommage de se priver des possibilités qu’ils nous offrent afin de penser et actionner d’une manière personnelle et commune nos investissements à défaire le genre, à en refuser le dogmatisme et, au-delà, à récuser au patriarcat le poids qu’il s’arroge dans nos existences, nos éducations et nos luttes.

NOTES

1 Le terme Trans-Exclusionary Radical Feminism, TERFS, est devenu au fil du temps une insulte jetée en réponses aux diverses agressions et conflits entre certaine.e.s activistes trans., leurs allié.e.s et une partie des féministes radicales. En ce qui me concerne je l’utilise assez peu, lui préférant le terme « féministes radicales transphobes », voir « féministes transphobes ». Dans ce cadre-ci, j’en use, pour poser et délimiter l’objet de mon article.

2 http://planettransgender.com/sorry-about-your-dick-an-interview-with-cathy-brennan/

http://planettransgender.com/cathy-brennan-made-a-name-outing-transkids-now-suing-after-ellen-for-reveal/

3 Jules FALQUET. « Au delà des larmes des hommes : l’institution du service militaire en Turquie » in « pax neoliberalia » Edts racine de iXe. 2017. Quelques précisons s’imposent tout de même. Si dans ce texte Falquet articule son discours dans une séparation biologique sexo-centrée, elle évoque l’idée (sans l’approfondir) que la soumission à une attitude de « type » masculine opposée à une attitude de « type » féminine est la condition essentielle pour être accueilli dans la communauté des « mâles » effectuant leur service militaire en Turquie. Elle évacue trop facilement à mon goût cet acte de soumission porteur en lui-même de discriminations et d’oppressions pour faire valoir une analyse très juste du masculinisme militaire, fondateur et fédérateur d’une identité virile. Elle base son analyse du destin trans* au sein des corps d’armée sur un seul exemple qui, cependant, démontre bien le caractère inique de l’injonction genrée imposée à la f trans* dont il est question dans l’étude sur laquelle elle se base. Tout porte à croire que pour ne pas déforcer son discours, mais je ne vois pas en quoi, que du contraire, elle avait besoin de taire une oppression spécifique, basée sur la binarité des sexe-genres, alors que c’est justement cette oppression duale qui est l’objet de son travail. On peut aussi se demander pourquoi elle tend à minimiser l’exclusion dont les gays sont victimes au sein même des rangs de l’Armée turque ? Mais le titre donne, je pense, la réponse.

4 https://tradfem.wordpress.com/2017/10/27/transfemmes-les-nouveaux-misogynes/

5 Christine Delphy «L’ennemi principal : 2 Penser le Genre » Edts Syllepse 2013

6.Maine de Biran « Essai sur les fondateurs de la psychologie » Edts Tisserand. 1982

7 Jean Lascaratos et Stavros Perenditis « Deux cas de changement chirurgical de sexe au II° siècle avant notre ère : approche historique » in « Les assises du corps transformé ». Edts Les Etudes Hospitalières . 2010

8 Georges Canguilhem « Le normal et le pathologique » Edts Puf 2017

9.Jean Verdon « Le plaisir au Moyen Age » Edts Tempus 2010

10 https://fr.scribd.com/doc/32692115/Hommage-to-Magnus-Hirschfeld-FR

11 https://tradfem.wordpress.com/2017/09/24/traiter-quelquune-de-terf-nest-pas-seulement-une-insulte-cest-de-la-propagande-haineuse/

12 http://www.newnownext.com/terf-hyde-park-transgender/09/2017/. Dans cet article vous pourrez voir que, contrairement à ce qu’avance Meghan Murphy, l’association Trans Health London a condamné l’agression de Maria MacLachlan par trois activistes se revendiquant être de ses membres.

13 http://www.pinknews.co.uk/2017/09/25/daily-mail-and-the-times-wrongly-accuse-action-for-trans-health-of-condoning-violent-protests/

https://twitter.com/hashtag/terfs?lang=fr

14.http://transadvocate.com/fact-checking-janice-raymond-the-nchct-report_n_14554.htm http://transgriot.blogspot.be/2010/09/why-trans-community-hates-dr-janice-g.html. Pour être complète voici la défense de Raymond sur son propre site, vous pourrez ainsi vous faire votre propre opinion : http://janiceraymond.com/fictions-and-facts-about-the-transsexual-empire/

15.http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1363460715583452 https://www.newyorker.com/magazine/2014/08/04/woman-2

16.http://www.starobserver.com.au/news/national-news/leading-feminist-launches-bizarre-racist-attack-on-trans-community/118883

17 https://monsieursilvousplait.wordpress.com/2017/02/17/mecs-trans-et-feminisme/

18 http://rainbowhouse.be/fr/projet/l-festival/

19 http://www.gdac.org/

20 http://www.merhaba.be/fr

21 http://www.garance.be/

22 https://www.genrespluriels.be/18-11-17-Colloque-Transfeminisme-s-et-Intersectionnalite-s

23 https://christinedelphy.wordpress.com/2017/08/01/le-lesbianisme-est-la-cible-dattaques-mais-pas-de-la-part-de-ses-adversaires-habituels/#more-717

24 https://reflexionstrans.wordpress.com/2017/08/03/premier-article-de-blog/

25 https://www.facebook.com/pg/Cineffable-101128133261457/reviews/ . Voir le commentaire du 26 juin 2016 et sa réponse du 28 par l’organisation du festival.

26 http://transgriot.blogspot.be/2012/09/gloria-steinem-transphobe.html

27 https://www.advocate.com/commentary/2013/10/02/op-ed-working-together-over-time

28 Le titre de mon texte est inspiré d’un article paru sur le site Progress Queen dont je partage le lien ci-après: http://www.progressqueens.com/news/2017/10/2/some-feminists-embrace-oppression-by-continuing-to-exclude-trans-women-from-language-of-legal-protections-activists. Pour continuer, et penser globalement, les deux liens suivants émanent d’une redneck-hippie végétarienne comme elle se définit et démontre qu’on peut être féministe radicale et citer Andrea Dworkin sans pour autant être transphobe  http://daisysdeadair.blogspot.be/2009/08/andrea-dworkin-on-transgender.html# , http://daisysdeadair.blogspot.be/2009/05/censorship-and-radical-feminist.html

29  Je ne peux m’empêcher de terminer mon article sans citer ce très beau texte d’une association féministe américaine ayant fêté ses 50 ans d’existence il y a peu. http://www.radicalwomen.org/transphobia.shtml

Du retour du fondationnalisme biojuridique

Meghan Murphy ou le retour du fondationnalisme biojuridique

Maud-Yeuse Thomas

Crédit : Sophie Labelle, http://assigneegarcon.tumblr.com

Cadre juridique, faits, propos et conséquences

Commençons avec la première phrase :

« Un problème majeur avec ce projet de loi est qu’il propose de modifier quelque chose d’aussi important que la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel pour inclure quelque chose qui n’est même pas définissable. »[1]

Phrase importante s’il en est : partout dans le monde, le conflit et les revendications trans se sont déplacées dans le champ politico-juridique et impacte la manière de réguler le fait trans comme fait social et non plus comme fait médico-psychiatrique. L’obstacle principal devient le droit. Les « droits de la personne » sont en effet liés à la définition qu’une société (se) donne et que la loi ratifie –ou non. Ainsi, les questions trans, intersexe, non binaire, neuroatypies, ne sont-elles pas « définissables » (intelligibles selon P-H. Castel) pour une partie de la société et n’auraient (ainsi) pas vocation à être proposées et adoptées. On ne peut qu’exprimer ici un étonnement de fond. Pourquoi ces groupes ne seraient représentés nulle part, n’auraient droit à aucune politique, fut-elle compensatrice ? Quel serait l’avantage social de cette décision pour tous ces groupes minorés et pathologisés ? Toutes ces questions méritent-elles que la loi revienne sur le principe d’une binarité naturaliste et essentialiste ? Si oui, pourquoi ? L’Argentine y a répondu à sa manière et à sa suite, Malte, Irlande, Portugal et d’autres pays. La ville d’Amsterdam, après celle de Londres, réécrit son glossaire administratif[2] tandis que l’Europe produit un glossaire [3]. Ces glossaires tentent de rendre intelligible ce qui ne l’est pas au regard d’une culture ou ontologie en revenant sur l’effacement historique et le déficit culturel de médiations trans. La loi permet de réguler les identités et expressions de genre en considérant que le « genre » est une donnée complexe débordant la seule population trans et donc la binarité (sexuelle et de genre) elle-même[4]. Elle permet de revenir sur les leviers d’émancipation personnelle, culturelle et politique et aux démocraties de revenir sur les conflits entre une majorité politiquement représentée et des minorités stigmatisées non représentées. En sus, le champ juridique répond à l’évolution de la société dans son ensemble, minorités comprises, contre les propagandes de haine :

« Le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel, a été déposé à la Chambre des communes le 17 mai 2016 par la ministre de la Justice, l’honorable Jody Wilson-Raybould1. Le projet de loi vise à protéger les personnes contre la discrimination dans les champs de compétence fédérale et contre la propagande haineuse, quand celles-ci mettent en cause l’identité ou l’expression de genre2. Ainsi, il ajoute l’identité et l’expression de genre à la liste des motifs de distinction illicite prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne3 et à la liste des caractéristiques des groupes identifiables auxquels le Code criminel4 confère une protection contre la propagande haineuse. Il prévoit également que les éléments de preuve établissant qu’une infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur l’identité ou l’expression de genre constituent une circonstance aggravante qu’un tribunal doit prendre en compte lorsqu’il détermine la peine à infliger. »

Murphy entendait s’opposer à cette proposition de loi et donc à ce qui allait permettre de protéger cette population. Sur le genre, Murphy tente cette comparaison :

« L’idée qu’il suffirait simplement aux femmes de changer leur expression de genre ou de s’identifier différemment pour échapper à l’oppression patriarcale est insultante et évidemment fausse. Cependant, c’est cette arnaque que véhiculent les notions d’«identité de genre» et d’«expression de genre». ».

L’identité de genre n’est ainsi plus qu’une vague et fausse notion, faisant oublier les termes de bispirituels ou two spirit pour désigner les variances de genre et les réassignations des enfants trans dans les nations amérindiennes du Canada. Dans l’article relayé par Sisyphe, l’auteure écrit :

« Prévenir la discrimination est une chose que la plupart d’entre nous appuient, mais incorporer des notions d’« identité de genre » et d’« expression de genre » dans la législation canadienne n’est pas une mesure progressiste. Dans notre désir de faire preuve d’ouverture et d’inclusion, nous n’avons pas réfléchi à la façon dont cette décision met en danger les mesures de protection basées sur le sexe qui sont accordées aux femmes et aux filles. »[5]

« Prévenir la discrimination (…) mais »… La psychiatrisation des trans après l’homosexualité, fort du contexte de société patriarcale ne fonctionne pas autrement qu’en les stigmatisant. Notons que la loi de l’identité de genre en Argentine ainsi que les pays qui l’ont suivi, sont un démenti à l’auteure. Sur la loi dite « de genre » (en Argentine et ailleurs), deux ambiguïtés de taille subsistent dans les débats : ce pays a légiféré non sur une identité de genre de fait (en bref, toutes les personnes ne se vivant et ne se définissant pas sur le régime d’assignation juridique) mais sur une vulnérabilité systémique due aux oppressions de la société patriarcale. Secondement, ces identités que nous nommons trans ou non binaire en Occident sont présentes dans maintes ontologies dont celles dans les nations amérindiennes colonisées. Cette oppression dépasse de très loin la population trans, est à placer sur le régime d’un déni généralisé envers les « différences » d’expressions (quelles qu’elles soient) : la traduction des two spirit remaniée conceptuellement en homosexualité, sous le nom de « berdache », par deux siècles de violences colonisatrices et de « science », n’a pas fonctionné autrement. La notion de genre est une donnée essentielle, non seulement pour comprendre comment le pouvoir divise, mais maintient la partition binaire, y compris sous le terme d’identités de genre appliquée à l’identité des personnes trans et non comme un concept s’appliquant aux modalités d’identification dans le développement de l’enfant trans (Stoller).

En témoigne, l’instrumentalisation de la question des prisons :

« Les femmes détenues dans les prisons canadiennes devront bientôt, si ce n’est déjà fait, cohabiter avec des hommes qui, au nom de leur « identité de genre », réclament d’être transférés dans des prisons correspondant à leur « genre ». »[6].

La distribution binaire et inégalitaire des espaces et privilèges selon le sexe (traduisons, l’idéologie du sexe), au centre des préoccupations féministes, se trouve brusquement confrontée au tiers des transgenres, jusque-là totalement ignorés, psychiatrisés et mégenrés. On est loin ici de l’univers d’Orange in the new black.

La débinarisation des identifications, identités et socialisations n’a pas suivi la dépsychiatrisation, y compris dans la population trans mainstream rejetant la pensée queer à l’instar du féminisme matérialiste. Repathologisée, l’identité « de genre » y serait immédiatement dissoute contre le terme de transidentité. Les vindictes en France contre le mariage pour tous et autour des manuels SVT en sont d’autres exemples des controverses traversant la société française, niant les concepts apportés par la recherche et les terrains dans un contexte de domination et de conflits.

La réponse féministe, désormais classique, à la question du genre est « le genre est une construction sociale », traversant de part en part les significations permettant de parler d’identité. Mais si ce dernier fonctionne comme une résistance au naturalisme patriarcal, il n’en revient pas moins à l’ancrage sexué : une femme est une femme parce qu’elle a un sexe féminin, tranche Murphy, postulant un fondationnaliste naturaliste et faisant du champ juridique, une simple chambre d’enregistrement de la croyance naturaliste-patriarcale. A ce stade de la réflexion, Delphy et d’autres affirment que le genre est un excès inutile, voire nocif, aux luttes féministes. Et ces dernières ne s’en privent pas, dénonçant un permanent « effacement du féminisme ». Or, sur l’essentiel, il s’agit bien de priver les personnes trans l’accès au droit et, par là, aux mêmes droits. Vivre avec des papiers dont le genre ne correspond plus revient à être sans papiers et sans cesse mégenré. Ce que pratiquent féministes séparatistes et psychiatres en niant mépris et insulte.

Le cœur d’intervention de Murphy se centre sur les oppressions systémiques, faisant des femmes les éternelles oubliées et battues, y compris de la part des « transfemmes ». Sa réponse consiste donc en une mise en accusation générique du patriarcat et du mouvement trans, comme si leurs poids respectifs dans les discriminations étaient comparables et surtout leurs intérêts convergents. Enfin, au refus d’octroyer des avantages estimés indus en faveur des transfemmes avec, en ligne de mire, l’interdiction aux trans de fréquenter les toilettes réservées à un « sexe », au motif qu’il représente un espace dédié au dit « sexe »[7]. Sur le plan pratique, on en revient à une instrumentalisation des conflits où la non mixité rejoint la séparation des sexes.  De fait, on ne parle jamais tant de vagin et de pénis que dans ces conflits. Sur le plan de la théorie, Murphy incarne un retour au naturalisme sexué et à un essentialisme occidental sans complexe où le genre est le sexe, validant l’assignation juridique et sa légitimation, la différence naturelle binaire des sexes. Murphy fait peser l’entièreté de son intervention et de ses articles sur les transfemmes, oubliant au passage les FtM (les transhommes ?) et surtout les conditions structurelles ayant conduit l’Argentine puis d’autres pays à légiférer en renversant les savoirs médicaux. Elle s’attaque par ailleurs à la notion de fluidité de genre ou variance de genre, pourtant à la base du régime sexe/genre amérindien faisant que nous parlons d’une société à/de « cinq sexes ».

Ignorant les travaux de Robert Stoller et trente ans de mouvement trans, elle conclue : « quelque chose qui n’est même pas définissable. » sur le motif de « l’expérience intérieure et personnelle ». Par ce détour, Murphy rejoint la psychopathologie pour qui l’usage du terme de genre revient à parler du vécu subjectif coupé de tout ancrage culturel et toute racine symbolique et historique. Or, si c’est lecas, c’est en raison de l’effacement structurel des variances de genre et de l’écriture des identités femmes par un patriarcat dominant. Il est encore aujourd’hui difficile d’oublier pour une femme la culture de viol s’ajoutant à la culture de l’infériorité du féminin. Comment alors accepter cette féminité sans femmes ou cette féminité des trans MtF dans une culture binaire ? Et surtout pourquoi l’accepter quand féminité rime avec apparence et frivolité ? Là encore, les variances de genre dans les peuples non occidentaux et non binaires sont oubliées. Rappelons que c’est ce même descriptif surplombant qui est à l’origine des oppressions transphobes et de sa psychiatrisation :

« Selon le ministère de la justice canadien et le Code des droits de la personne de l’Ontario, « l’identité de genre » est définie comme « l’expérience intérieure et personnelle que chaque personne a de son genre ». (Murphy)

Alors que la culture occidentale tente de repenser l’expérience subjective du genre ressenti aux côtés de l’identité générique donnée dans l’assignation, Murphy la rejette. Comme les autres nations occidentales, le Canada peine à reconnaitre les peuples premiers et leur régime sexe/genre plus complexe et plus large que le régime binaire occidental, malgré des travaux et synthèses sur leur culture[8]. Murphy renverse la preuve en faisant croire à un octroi de droits indus (une démarche très banale sur le fond), voire à un surcroit de privilèges et protections. Puisqu’il n’existe pas d’autre définition que celle donnée par la loi à propos de l’assignation, la tentation de recourir à une « expérience intérieure et personnelle » a été grande et semble s’opposer à la définition féministe matérialiste : le genre est une construction sociale où l’ordre patriarcal des genres impose une hiérarchie inégalitaire. Il s’ensuit que la demande trans est perçue comme indue :

« Traiter le genre comme s’il s’agissait d’un choix intérieur ou individuel est dangereux car cela occulte complètement comment et pourquoi les femmes sont opprimées, en tant que classe, sous le patriarcat. »

Murphy ignore le contexte d’oppressions intersectionnelles. Pour elle comme d’autres, la psychiatrisation n’est pas une oppression mais une attention indue. Comme tant d’autres commentateurs, Murphy ignore le rôle des identifications dans la genèse du développement, veut ignorer l’oppression des trans. Son ennemie, Caitlyn Jenner. Son tort : avoir été élue femme de l’année par le magazine Glamour et ressasser les vieilles lunes irritant –parfois avec raison- les féministes[9] :

« Hier, l’actrice Rose McGowan a publié sur Facebook un message de colère à propos de Caitlyn Jenner et de sa nomination en tant que Femme de l’Année par le magazine Glamour. Durant la cérémonie, Jenner a pris plaisir à dire que « l’un des aspects les plus difficiles d’être une femme consistait à choisir quoi porter ». »

Le monde ultralibéraliste et élitiste de Jenner va de pair avec la spectaculaire médiatisation intéressée de sa transition, largement critiquée par les militants trans partout dans le monde. Plus grave est son soutien à un traditionalisme couplé au capitalisme par lequel le patriarcat reproduit un monde et modèle inégalitaire dont l’article de Murphy se fait écho : « Personne n’est en droit d’échapper à la critique. Et certainement pas de riches républicain.e.s ou l’industrie oppressante et capitaliste de la mode et de la beauté. » Exit le « genre » comme concept sociopolitique pour un genre comme esthétique, choix intérieur…

Le « genre » comme grille de lecture des conflits

Sirois et al. donnent le ton :

« Précisons que le sexe renvoie aux caractéristiques physiques de l’homme et de la femme, tandis que le genre renvoie aux attributs dits masculins ou féminins, soit les stéréotypes associés à chacun des sexes. Avec la reconnaissance par la loi et les chartes de ces nouveaux concepts, un homme sera considéré « transgenre » sur sa seule affirmation, sur son « ressenti ». S’il se sent de l’autre « genre », il faut le reconnaître comme femme. Aucune balise pour cadrer quoi que ce soit. Ce faisant, on redéfinit la notion de femme. Ce n’est plus une question de biologie, mais une question d’apparence externe. »[10]

Christine Delphy enfonce le clou :

« Mais il existe aujourd’hui une nouvelle forme d’attaque menée contre les droits des lesbiennes, à savoir le message adressé à ces femmes par le mouvement queer, pour qui refuser d’envisager des rapports sexuels avec une personne munie d’un pénis serait une forme d’intolérance. »[11]

Ce propos est inexact. L’intolérance réside dans le refus et le rejet, non dans une relation consentie. Delphy parle de sa perspective féministe-lesbienne, refusant à bon droit l’organe mâle et le comportement masculin. Comme Murphy, Delphy ramène le conflit sur le terrain de l’orientation sexuelle lesbienne vs MtF, vagin vs pénis. L’ennemi principal s’est adjoint un ennemi secondaire : les MtF. Les auteures versent dans le même mégenrage à la base des objectivations que nous connaissons bien. Le genre est compris ici comme un critère d’apparence : ce même critère qui a permis au patriarcat de réduire les femmes aux vêtures avant de la réduire son corps à sa capacité de procréation. Historiquement, les bénéficiaires de cette « expérience intérieure » (je fais l’hypothèse que l’on parle de la subjectivité) justifiant entre autre de la liberté de voyager, de travailler, de se définir, etc., était donnée aux seuls hommes. Comment pourrait-elle être octroyée aux transfemmes (Murphy et Sirois ne parlent que d’elles) alors que les femmes assignées ou AFAB[12] n’en bénéficieraient pas, les rejetant plus que jamais dans l’ombre ? On comprend le pourquoi d’une telle affirmation qui, validant le concept de genre (ou plutôt l’antécédence du genre dans la construction de l’identité personnelle et relationnelle, selon Mathieu[13]), validerait une loi positive en faveur d’un groupe social minoritaire, non opprimé, voire favorisé par le droit. Le « genre » tantôt est pris au sens de vécu, serait en tant que tel « individuel » voire au sens de l’ego, « non définissable ». C’est la thèse d’un Castel en France (2005) qui utilise le terme d’autoconstruction ; tantôt au sens d’ordre des genres (binaire et constructiviste ou binaire et naturaliste) et serait en tant que tel un concept politique, tantôt comme un régime déclinant telle ou telle conception de l’identité dans telle ou telle société et serait, en tant que tel, un concept anthropologique. Murphy veut pouvoir trancher entre les trois sans l’expliciter.

Les personnes trans ont adopté le glossaire biobinaire pour maintes raisons. Citons : 1/ l’oppression systémique les désignant aux agressions et le recours obligé pour les pauvres aux équipes hospitalières dirigés par un.e psychiatre ; 2/ faute d’un autre glossaire ; 3/ l’absence de réforme dans le système juridique correspondant aux sociétés de type patriarcales et binaires ; 4/les contraintes du passing cisgenre. Plus largement, faute d’un autre modèle de société de type de non binaire qui se dessine depuis une dizaine d’années sous l’expression « société non binaire », incluant les variances de régime sexe/genre.

Mettons en perspective les deux conceptions, matérialiste et transidentitaire :

  1. le genre est une construction sociale : le genre est le sexe ; l’individu est le résultat de la hiérarchie
  2. le genre est une construction sociale : le genre n’est pas le sexe. L’individu doit se construire sur des contraintes.

La proposition de Sirois et al. est typique du naturalisme hiérarchique en ce qu’elle se caractérise par une distinction binaire nature/culture où le genre est confiné à une apparence de surface lorsque l’on parle des trans, de pouvoir de définition permettant de définir l’identité sexuelle lorsqu’on parle des « femmes » en les opposant aux « hommes » : cette version défend à la fois une vision naturaliste de la différence des sexes et une vision politique très critique de type féministe de cette même division.

L’opposition binaire ne pouvait que se résoudre dans une suite de conflits inaugurés par Janice Raymond avec son ouvrage, L’empire transsexuel (1979) quand l’opposition hétérosexuel/homosexuel invisibilisait les variances et changements de genre, où l’on parlait d’efféminisation et de masculinisation. Dans les deux cas, une déconstruction et émancipation au travers de la même question, qu’est-ce que le genre ?, a été nécessaire et a abouti à questionner le régime sexe-genre du patriarcat, à le remettre en cause et proposer d’autres modèles de régime (notamment Mathieu). Affirmer que les femmes trans ne peuvent pas être féministes (Chiland[14]) et donc ne luttent pas contre le régime sexe-genre patriarcal est de la désinformation : toutes les femmes sont-elles féministes ? On est là dans une forme connue et congrue de la guerre de sexes, nommant et classant en fonction de leurs oppositions et non en fonction de la reformulation de leurs identités réelles. La question trans comme cible collatérale est désormais placée en plein champ.

Murphy affirme que « Les stéréotypes de genre n’ont rien à voir avec le sexe biologique mais plutôt avec la définition de la masculinité et de la féminité. ». En effet. Ce qui ne l’empêche pas de parler de sexe féminin et de sexe masculin tout en brandissant le bouclier matérialiste dès qu’il s’agit des trans. Ce qui est masculin en Occident pourrait être du côté des femmes ailleurs. Autrement dit, le « genre » est d’abord un pouvoir (d’assignation selon un principe de de division sexuelle binaire, de structuration inégalitaire, etc.) et adopte partiellement la définition 2. Dans un second temps, elle écrit que « les femmes ne se reconnaissent pas en tant que telles parce qu’elles portent des hauts-talons ou qu’elles aiment le rose, elles se reconnaissent en tant que femmes parce qu’elles sont de sexe biologique féminin. ». Elle adopte là la définition 1.

L’assignation juridique a disparu pour une redéfinition naturaliste. En bref, le sexe n’est pas le genre lorsqu’il s’agit de lutter contre le structuralisme patriarcal mais il l’est quand il s’agit de lutter contre les trans. Elle contraint la définition 2 à revenir sur la définition 1 et, par là à refonder le lien sexe-genre comme une construction sociale et juridique dont l’ancrage est le sexe biologique.

Murphy revient à un fondationnalisme biologique (Baril, 2013[15]) qu’elle situe dans le système sexe-genre binaire à l’instar de l’ensemble de la psychanalyse freudo-lacanienne, contre l’approche postféminisme et transféministe redéfinissant les liens sexe/genre selon le type de régime d’antécédence.

D’une lutte politique à l’autre

D’emblée, ce qui marque est sa propre inscription de féministe radicale et son propos est sans ambiguïté : elle s’oppose à une réforme et répond au maintien du régime d’assignation binaire (fille/garçon ; homme/femme) sans pourtant répondre ou même esquisser une réponse sur les enfants trans et intersexes. Quelle réponse sociojuridique autonome de la réponse psychiatrique ? En féministe, elle dit lutter contre les oppressions du patriarcat mais dans ce texte, elle lutte avant tout contre les droits attachés à la personne trans. Cette lutte n’est pas nouvelle et s’inscrit dans le conflit généré entre radicalité féministe envers la société inégalitaire et les minorités assujetties, accusées d’être passives et au service du patriarcat.

A son encontre, Janice Raymond (1979) a suscité des réponses à la hauteur de sa véhémence et a permis le sursaut politique trans, non pas contre son féminisme mais son radicalisme et son isolationnisme. Elle a constamment invoqué « le féminisme » -et Murphy fait de même- que maintes féministes ne partagent pas comme en témoigne la confiance de Christine Bard ou de Karine Bergès en France sur notre travail[16]. Il ne s’agit pas d’un « féminisme radical » mais d’un radicalisme tout court. Depuis Raymond, tout s’est passé comme s’il ne s’agissait pas de violence, mais d’une lutte féministe (pouvant inclure potentiellement toutes les personnes victimes du patriarcat comme système totalisant à l’exception des personnes trans) et l’on retrouve le même type de textes s’opposant aux droits des trans et comme dans de nombreux textes, des femmes trans vues comme des « anciens hommes » opprimant la « classe des femmes ». Secondement, dans la thèse de Raymond, les MtF sont vues comme des « femmes-fabriquées », ce qui renvoie à la thèse propre à tous les féminismes du monde entier affirmant que « la femme » est un produit (une production ou une fabrication) du patriarcat, traditionnel ou moderne, ce que nous partageons nous-mêmes en tant que transféminismes sur (au moins) quatre abords :

1/ nous n’avons pas ou peu bénéficié des privilèges épistémiques des hommes (ce qui peut exister chez les MtF dominantes) ; 2/ post-transition, nous ne bénéficions bien souvent pas ou peu des privilèges des hommes (pour les FtM et Ft’) ni des privilèges des femmes (pour les MtF et Mt’) contre lesquels nous nous élevons en pointant la charge sexiste et le binarisme fondationnel ; 3/ la situation est très différente selon que l’on soit MtF ou FtM ; Ft’ ou Mt’ ; 4/ en tant que transféministes conceptualisant des définitions non binaires et non essentialistes de l’identité à partir des épistémologies féministes.

A titre personnel, je rajouterai un 5e item : l’acronyme MtF est le fait des récits pathologisants et réfute cet usage. Je n’ai jamais été un homme et ne suis pas une femme (au sens où les hommes et femmes le sont socialement, juridiquement et subjectivement : cette fumeuse « expérience intérieure » selon Murphy).

Murphy en vient à défendre une identité « femme » qui n’existe pas dans le passé, s’est forgée du fait des luttes depuis le XIXe en réaction au type de société, d’oppressions, d’exploitation et d’invisibilisation des vécus femmes en dehors du regard phallogocentrique. Toutes choses dans l’épaisseur du temps que nous nommons aujourd’hui le féminisme historique. De fait, nous manquons d’historien.ne.s reformulant nos histoires. De manière constante et à l’instar des récits pathologisants, les féministes radicales en viennent à homogénéiser à outrance ce qu’elles nomment les « transfemmes ». Elles ignorent la diversité des formes d’identité, des positions et autodéfinitions ; plus encore, des analyses « posttrans » et transféministes, dans un but de dénonciation univoque : les trans se soumettraient en reproduisant les stéréotypes de genre et essentialisant ces derniers, les faisant passer pour de « l’identité de genre ». Vu ainsi, le concept apparait comme un coquille vide, un simple chapeau sur un porte-manteau. En bref, une décontextualisation pour une déshistoricisation de la culture trans largement antérieure aux équipes hospitalières et son instrumentalisation par la quasi-totalité des récits pathologisants.

A l’examen, maints commentateurs/trices ont immédiatement noté que Murphy, à l’instar de Raymond et Delphy, en viennent à reconstruire un essentialisme (ou fondationnalisme) réécrivant sans cesse l’être et son rapport à la sexuation. Or, elles n’ont ni le soutien des femmes ni même la portée souhaitée, d’où ce constat d’un « effacement du féminisme » qui court dans presque tous les textes féministes, séparatrices ou non. Certes, maint.es trans reproduisent les normes binaires… à l’instar de plus de 90 % de la population. Murphy se dit « mal à l’aise avec la féminité » tout en arborant les codes de celle-ci. De manière assez surprenante et pourtant très banalement, elle ne semble pas (vouloir) distinguer ce qui, par gout et personnalité fait que nous arborons telle parure, nous plaçant dans le spectre binaire masculin/féminin ou, à l’inverse, nous plaçant dans un écart non binaire ; d’autre part, ce qui dans notre culture, peut provoquer un réflexe de dégenration, ce qui est le cas chez maintes féministes et transféministes pour échapper aux oppressions, sans pour autant avoir théoriser ce type de stratégies et ses conséquences sur le « genre » comme construction sociale dépassant le binarisme.

Elle en vient très logiquement à revenir sur ce qui est « définissable », maillant le contexte patriarcal qu’elle dit combattre et la société telle qu’elle est, binaire, essentialiste et inégalitaire, où l’assignation est réputée intangible, sans jamais souligner les critères de ce qui est définissable, sauf à invoquer une tradition (hélas, patriarcale et hétéronormée) de définition sociale des identités sexuelles et elles seules. Il s’ensuit cette accointance inédite entre Murphy et les masculinistes : ce qui est définissable et intelligible l’est dans un cadre, contexte, ontologie et lois, composant la trame du « Réel » de notre société. Mais, dans ce texte, pas un mot. De son côté, Delphy revient sur les luttes nécessaires des lesbiennes dans la société globale et dans la plateforme LGBT en prônant un séparatisme. Pour elle, tout tourne autour du refus (légitime) des lesbiennes envers le patriarcat… et le pénis des transfemmes.

Murphy adopte un essentialisme sexué, parlant de « sexe féminin » et de « sexe masculin » comme d’une évidence ou preuve scientifique, reposant sur un fondationnalisme biologique réaffirmé, tout en ayant ancré sa démonstration par l’héritage féministe : « les sexes » sont un construit sociohistorique… et juridique… et symbolique… et économique… et scientifique… reposant sur une profusion d’oppressions hiérarchisées binairement et naturalisées. Otons ces oppressions : les femmes et les hommes « sont » un/leur sexe ou ce que leurs expériences sociales et sexuelles sont ? Murphy propose cette définition : « Les stéréotypes de genre n’ont rien à voir avec le sexe biologique mais plutôt avec la définition de la masculinité et de la féminité. ». L’Occident veut ignorer qu’il existe trois types de sexe : mâle, femelle et intersexué, deux types de genration par assignation, homme ou femme et deux types d’orientation (ou identité) sexuelle : homo/hétérosexuelle. Dans d’autres sociétés (amérindiennes notamment), il existe cinq genres sociaux et, a minima, deux identités sexuelles et trois identités de genre. L’exacte définition de l’identité de genre en Occident est contextuelle et conditionnelle : elle doit composer avec la norme ne connaissant que les identités sexuelles (concept datant de Freud et non de la nuit-des-temps). Murphy en donne un exemple historique précis et contextualisé : « Il y a un siècle, le système de genre dictait que les femmes ne devaient pas voter ou être considérées comme des personnes à part entière selon la loi canadienne.». Elle met en avant une déconstruction de la norme patriarcale et une reconstruction sociale des identités « femme » mais intervient pour que ladite « loi » ne permette pas cette réponse pour la raison qu’elle invoque : « nous régressons ». L’invocation d’un nous-les-femmes se suffit. Il s’ensuit le délibéré féministe : « Personne ne nait avec un « genre » et « le genre nous est imposé par la socialisation ». En effet mais elle oublie que la socialisation est binaire, hétérocentrée et cisgenriste, composant là une triade intersectionnelle s’opposant à la redéfinition trans. L’assignation à la naissance est oubliée et l’identification à un genre formant une seconde trame du développement psychique de l’enfant, congruent ou non à l’assignation, disparaît pour faire apparaître cette « expérience intérieure » inassimilable et/car défigurée en l’état des maltraitances, psychiatrisations, conflits et rejets.

Finalement, on en revient à ce « roc du sexe » défendu en France par Héritier (1992[17]) et Agasinsky (2002[18]). Pour Murphy et l’OLF en France, la profusion d’oppressions ne concernerait pas les trans trop occupé.es par leur définition reposant sur leur « conviction » (comme on parle de la croyance en un.e dieu.e ou aux fées) et leur individualisme sensé être typique de notre époque. L’ire justifiée contre Jenner permet d’oublier la pauvreté et précarisation des vies trans à moindre frais. Les trans sont invité.es à abandonner leurs « désirs » et « illusions de changement de sexe » ; pour Delphy, la solution est le retour à un séparatisme sur les terrains LGBT. Après « l’homosexualité ce douloureux problème », le transsexualisme, cette « idée folle » (Chiland). Tout cela est (très) fidèle à notre époque : en conflit permanent de tout le monde contre tout le monde. Comme la Manif pour tous, les « Terfs » militent pour empêcher les personnes trans d’accéder à des droits indument volés. L’acronyme de terf est en effet une insulte. Insulte aux féminismes qui se sont succédé tout au long des XIX et XX. Mais cette insulte se double de l’insulte faite aux trans. Ce n’est pas une simple et banale transphobie mais, bien plus profondément un déni de l’autre et un déni de démocratie s’ajustant sur un déni de scientificité.

De manière globale, il n’a échappé à (presque) personne deux choses essentielles. Leur lutte ne justifie pas de militer contre une minorité et elles rejoignent là bien des récits pathologisants masquant les violences de système entretenant des rapports de domination et d’oppression. En témoignent les récentes positions de Delphy sur la question du genre et de la prostitution, rejoignant Raymond et Murphy[19]. Comment les féministes en sont-elles arrivées à se faire les oppresseures tout en dénonçant les mécanismes sociohistoriques et leur dimension légales ?

Le droit progresse en fonction de l’évolution de la société comme nous l’ont montré les pays qui, après l’Argentine, ont permis une réforme. S’il est un tournant, amorcé depuis longtemps, c’est bien celui du paradigme du genre. Notre ennemi principal n’est pas tant le patriarcat que le régime et système cisgenre qui le constitue en oppresseur hégémonique. Plus que jamais, nous le voyons avec la fronde des radfems retournant les violences et classifications cispatriarcales contre nous. Cela nous rappelle que le régime de violence prend toutes sortes de formes, que ces racines peuvent se présenter avec les couleurs de luttes nécessaires et légitimes dont le but et la finalité reposaient sur l’égalité.

NOTES

[1] « L’identité de genre invisibilise le patriarcat, par Meghan Murphy », 22.06.2017, en ligne : https://feministoclic.olf.site/lidentite-de-genre-invisibilise-patriarcat-meghan-murphy.

[2] Jean-Pierre Stroobants, « Amsterdam veut gommer la notion de genre », 04.08.2017, En ligne : http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2017/08/04/amsterdam-veut-gommer-la-notion-de-genre_5168496_4497186.html.

[3] https://docs.google.com/viewerng/viewer?url=http://www.txy.fr/wp-content/uploads/2012/07/Glossaire_transidentite_FR.pdf?1507033644&hl=fr.

[4] Portail du gouvernement canadien, ministère de la justice, en ligne : https://www.canada.ca/fr/ministere-justice/nouvelles/2016/05/identite-de-genre-et-expression-de-genre.html.

[5] « Le projet de loi C-16 – Le débat sur l’identité de genre ignore la perspective féministe », Meghan Murphy, Feminist Current, et autres signataires, 02.03.2017 ; en ligne : http://sisyphe.org/spip.php?article5362. « Transgenres – Repenser le projet de loi C-16 : parce que le sexe, ça compte ! », par Michèle Sirois et Diane Guilbault, présidente et vice-présidente de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec), 19.06.2017 ; en ligne :  http://sisyphe.org/spip.php?article5394

[6] Sirois et alli, op cit.

[7] « Suivi – Voici pourquoi un spa torontois réservé aux femmes ne devrait pas être forcé de changer sa politique à l’égard des trans », Tradfem, juin 2017, https://tradfem.wordpress.com/2017/06/21/suivi-voici-pourquoi-un-spa-torontois-reserve-aux-femmes-ne-devrait-pas-etre-force-de-changer-sa-politique-a-legard-des-trans.

[8] « Bipiritualité », Micle Filice, 06.21.2016, Encyclopédie canadienne ; en ligne : . http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/m/article/two-spirit/ consulté en juillet 2017).

[9] Meghan Murphy : Être féministe ne devrait jamais vouloir dire « s’asseoir et se taire », 11.01.2016, en ligne : »https://tradfem.wordpress.com/2016/01/11/meghan-murphy-etre-feministe-ne-devrait-jamais-vouloir-dire-sasseoir-et-se-taire/

[10] Sirois et al., op cit.

[11] « Le lesbianisme est la cible d’attaques, mais pas de la part de ses adversaires habituel », https://christinedelphy.wordpress.com/2017/08/01/le-lesbianisme-est-la-cible-dattaques-mais-pas-de-la-part-de-ses-adversaires-habituels/#more-717 (en ligne, consulté le 3 août 2017. Le mot intolérance en gras est de l’auteure.

[12] Assignées femmes à la naissance. En suivant la logique interne de Murphy, il (me) faudrait parler de biofemmes ou cisfemmes.

[13] Nicole-Claude Mathieu, L’anatomie politique, Edition IX, 2013.

[14] C. Chiland, Changer de sexe, , Ed. Odile Jacob, 2011, pp. 66-67

[15] Alexandre Baril, « La normativité corporelle sous le bistouri : (re)penser l’intersectionnalité et les solidarités  entre les études féministes, trans et sur le handicap  à  travers  la transsexualité et la transcapacité », thèse présentée en 2013, Dir. Katryyn Treneven, Institut d’études des femmes, Faculté des sciences sociales, Université d’Otawa.

[16] Christine Bard, Dictionnaire du féminisme, 2017. Karine Bergès, Féminismes du XXIe siècle : une troisième vague ?, Presses universitaires de rennes, 2017.

[17] Françoise Héritier, Masculin-Féminin I. La Pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996 ; rééd. 2002.

[18] Christiane Agasinsky, Politique des Sexes, éd. Le Seuil, 2002.

..[19] « Quand le « féminisme » sert à attaquer les féministes », Interview de Meghan Murphy, 17.04.2016, en ligne : https://revolutionfeministe.wordpress.com/2016/04/17/interview-de-meghan-murphy-quand-le-feminisme-sert-a-attaquer-les-feministes.

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