Maria Rita de Assis César 

UFPR-Brésil/CNPq[1]


Scolarisation Trans au Brésil 

 

Entre le 20/11/2011 et le 31/10/2013, 95 personnes ont été assassinés au Brésil. Qu’avaient-elles en commun ? Le fait d’être des personnes travesties et transsexuelles.[2] Le Brésil présente des taux très hauts d’assassinats des personnes travesties et transsexuelles, même en dépit de problèmes très sérieux dans le système de notification de tels méfaits, et en dépit de l’absence d’études plus approfondis sur le sujet. Il y a des nombreuses hypothèses pour essayer d’expliquer l’importance de ces chiffres, et les informations ainsi que des réflexions critiques, viennent des mouvements sociaux LGBTT (Lesbiennes, Gays, Bissexuels, Travesties et Transsexuels). La vulnérabilité sociale, économique et juridique dans laquelle se trouvent les personnes travesties et transsexuelles, aussi bien que la violence sociale brésilienne envers la population LGBTT, et les très faible indice de scolarisation, constituent des facteurs importants. Due à l’absence de reconnaissance de leurs droits, manifesté par la négation de leur identité sociale, par la violence fréquemment dirigée envers la population LGBTT, et par l’absence d’une loi qui criminalise l’homo-phobie (trans-phobie et lesbo-phobie y comprises)[3], leurs vies sont tuées à même les rues, les bars, les trottoirs ou chez-eux. Au Brésil, les papiers d’identification officiels ne reconnaissent pas l’identité civile en concordance avec leur genre choisi. Par ailleurs, le changement de l’identité civile est un processus juridique presque impossible, il est onéreux et dure des années, l’identification des victimes de la violence contre les personnes travesties et transsexuelles se montre très difficile, et fréquemment elles sont comptées sans distinction dans les statistiques générales des assassinats.

Paradoxalement, il y a au Brésil un nombre substantiel de mouvements sociaux qui représentent les personnes trans, en général des mouvements liés à d’autres mouvements LGBTT. Dans la dernière décennie, surtout durant le gouvernement du président Luis Inácio Lula da Silva (2003-2009), une importante relation de partenariat s’est établie entre le gouvernement et les mouvements sociaux LGBTT. Certains dirigeants de ces mouvements ont étés placés à des postes dans des ministères et secrétariats, de même qu’ils étaient aussi reconnus et consultés pour l’élaboration de politiques publiques d’éducation, de santé et de justice. Un secrétariat spécial pour les droits humains a été institué et doté du statut de Ministère, et il a incorporé un important nombre des revendications LGBTT. En partenariat avec le ministère de la santé, le secrétariat spécial pour les droits humains a produit un document politique interdisciplinaire appelé « Brésil sans homo-phobie – Programme de Combat à la violence et à la discrimination contre les GLBT et pour la promotion de la citoyenneté homosexuelle ». [4]

Dans le champ de la Santé publique, des avancées ont eut lieu pour la population trans. Les rapports déjà existants avec d’autres groupes LGBTT, surtout ceux concernés au combat du HIV/SIDA, ont rendu possible un dialogue entre le ministère de la santé et les mouvements trans. Ces rapports ont produit un protocole d’accueil et d’attention dirigé à cette population spécifique. Le système public de santé a été ouvert pour que les personnes trans puissent réaliser leurs processus de transsexualisation, comme les traitements hormonaux et des chirurgies de redéfinition sexuelle, surtout pour les femmes trans (BRASIL, 2009)[5]. Il est important de signaler que l’accueil aux personnes trans dans le système public de santé, aussi bien que leur accès au programme de transsexualisation, est encore réalisé de manière très faible et inégal selon les régions du Brésil. Il est aussi important de remarquer que les mouvements élaborent des nombreuses critiques à cause de l’inclusion des personnes trans dans des protocoles médico-psychiatriques de nature pathologique. L’accueil par des professionnels qui n’ont pas reçu une formation spécifique et dirigée aux thématiques LGBTT est aussi fortement critiqué.

En dépit de ces problèmes, l’accueil à des personnes trans dans le champ de la santé publique est devenu progressivement meilleur, et les demandes des mouvements sociaux LGBTT commencent à être entendues. Cependant, dans le champ éducationnel les progrès sont encore peu significatifs et des recherches récentes démontrent que l’éducation reste encore une immense barrière à franchir. Des données de recherches réalisées dans les universités brésiliennes, aussi bien que des recherches informatives réalisées par les mouvements sociaux, démontrent que la population travestie et transsexuelle reste encore à des très bas niveaux de scolarisation. Ce déficit de scolarisation est directement associé aux préjugés dont les personnes trans souffrent dans les institutions scolaires brésiliennes, ce qui constitue un des principaux motifs de leur abandon de l’école[6]

L’accès à des institutions d’enseignement et le droit à l’éducation sont des importantes revendications des mouvements trans. L’accès et la permanence à l’école constituent un défi à affronter aussi bien par les mouvements que par l’institution scolaire. Dans les dernières années, avec les gouvernements Lula et Dilma Roussef (2010-2014), le système éducationnel brésilien a été grandement élargi dans tous les niveaux du processus de scolarisation et les taux de scolarisation aux niveaux secondaires et universitaires, comme jamais dans l’histoire brésilienne. En plus de l’augmentation significative de l’offre éducative, notons l’implémentation des politiques affirmatives et de soutien à la population la plus pauvre, comme l’attribution des ressources financières à des familles dont les enfants fréquentent l’école (bourse famille). Finalement, le droit à l’éducation a été considéré comme un droit fondamental assuré par la constitution et par des moyens financiers qui ont permis à la population pauvre d’aller et de rester à l’école.

Au cours de l’année 2008, la première conference nationale LGBTT a été réalisée par le secrétariat spécial pour les droits humains qui a été promue par le programme « Brésil sans Homo-phobie » (Brasil, 2004)[7]. Dans cette conference, une attention spéciale a été dédiée au thème de l’éducation, et des relations conflictuelles entre l’école et la population LGBTT. Concernant l’éducation, beaucoup de délibérations ont étés formulées, et, parmi elles, une d’elle, spécifiquement vouée à la difficulté de l’accès et de la permanence de la population trans dans les institutions scolaires. La proposition numéro 4 a délibéré sur la nécessité de « proposer et d’adopter des mesures législatives, administratives et organisationnelles considérées nécessaires pour assurer aux étudiants l’accès et la permanence dans tous les niveaux et modalités de l’enseignement, sans aucune discrimination pour des motifs d’orientation sexuelle et de l’identité de genre » (Brasil, 2008, p. 209).

Profitant des récentes politiques d’inclusion sociale et éducationnelle, en plus de revendiquer le droit constitutionnel à l’éducation, les mouvements LGBTT se concentrent aujourd’hui sur le déficit de scolarisation de la population trans et parfois associent ce problème aux sujets de la prostitution et de la vulnérabilité qui s’ensuit. Selon quelques mouvements, l’éducation serait l’alternative pour placer les personnes travesties et transsexuelles dans le marché formel de travail, en les sortant des rues. D’autre part, il y a aussi des mouvements sociaux plus récents qui, prenant appui sur des recherches universitaires, développent des réflexions moins moralisatrices sur la prostitution, questionnant aussi les relations entre prostitution, baisse de scolarité et manque d’opportunité dans le marché de travail. Comme la prostitution est une expérience significative pour une partie importante de la population travestie et transsexuelle, l’attribution d’autres significations à cette pratique constitue une stratégie visant à affronter les préjugés. Des recherches montrent que, même scolarisées et insérées dans le marché formel de travail, un certain nombre de travesties et de transsexuels continuent à exercer la prostitution. Il s’agit d’un thème qui requiert encore des études plus approfondies.

« L’école a été le pire lieu de ma vie, beaucoup plus pire que les rues. » C’est une phrase prononcée dans une recherche réalisée avec des travesties et des transsexuel(e)s autour de leurs histoires de scolarisation (SANTOS, 2010). Cette phrase n’est pas du tout exceptionnelle dans la narration des personnes trans. Le trauma que l’école a produit démontre clairement le décalage actuel entre les politiques d’inclusion scolaire et les pratiques de discrimination qui sont quotidiennes. L’accès à l’école est un droit assuré par la constitution et la permanence dans l’univers scolaire devrait être garantie par des politiques d’inclusion. Cependant, l’école demeure un lieu de violence et d’exclusion. Pourquoi ? Certainement parce que l’institution scolaire demeure un lieu disciplinaire, normalisateur et moralisateur des corps et des conduites. S’agissant des identités de genre et des orientations sexuelles non normatives, les préjugés et la violence à l’école sont très bien documentés dans des recherches et des statistiques.

Avec un programme d’études et des pratiques scolaires hétéronormatives, l’école devient un lieu insupportable pour la population LGBTT. Les actions éducationnelles qui abordent la diversité sexuelle sont encore très timides, et aujourd’hui les politiques publiques d’éducation sont confrontées à l’action de nombreux députés d’orientation religieuse fondamentaliste, issus surtout des sectes évangéliques, lesquels empêchent et bloquent les politiques vouées au combat contre la violence envers la population LGBTT. Pendant le gouvernement Dilma Roussef, le nombre de députés d’orientation religieuse a augmenté et on observe une diminution des politiques de combat aux préjugés envers la population LGBTT.

Mais d’autre part, par le moyen des partenariats entre les mouvements LGBTT, les secrétariats de gouvernement et les ministères, quelques avancées ont étés obtenues. Le ministère de l’éducation a crée un secrétariat spécial qui aborde l’alphabétisation des adultes, des questions ethnico-raciales et des questions de genre et de diversité sexuelle. Ce secrétariat a également crée des politiques de formation continue pour des professeurs de l’enseignement autour des relations de genre et de diversité sexuelle, comme le cours Genre et Diversité à l’École – GDE -, lequel est en train d’être offert dans plusieurs villes brésiliennes.[8] Au Brésil, l’éducation basique, c’est-à-dire le processus initié dans l’éducation infantile jusqu’à la fin de l’enseignement secondaire, est sous la responsabilité des provinces brésiliennes[9]. Dans les trois dernières années, les partenariats entre les mouvements sociaux et les états brésiliens ont aussi produit un ensemble des lois provinciales qui visent à assurer l’entrée et la permanence des personnes trans dans l’institution scolaire.

Dans certains états brésiliens, parmi lesquels les états du Paraná, Rio Grande do Sul, Paraíba, Piauí, São Paulo, Sergipe, Espírito Santo et Rio de Janeiro, il y a déjà des législations provinciales qui assurent le registre des élèves sous leur “nom et prénom social”, c’est-à-dire en accord avec l’identité de genre, dans la documentation scolaire (GAZETA DO POVO, 2009). Il y a aussi des normes et des lois qui orientent l’utilisation des toilettes en accord avec l’identité de genre. Le registre scolaire sous le “nom et prénom social”[10], aussi bien que l’usage des toilettes en accord avec l’identité de genre, sont une des principales demandes des mouvements trans concernant l’école. L’utilisation du prénom civil au détriment du “prénom social” est reconnue comme un important facteur d’embarras des personnes trans dans l’univers scolaire. L’usage des toilettes est aussi mentionné dans les récits des personnes trans comme un élément d’angoisse et de violence. « Je suis femme, comment est-ce que je peux utiliser les toilettes masculines ? » Ou alors, « Moi, je me sens très embarrassée et en plus il y a le risque d’être un cible de la violence ». (Santos, 2010). En face de la présence de la population trans à l’école, et dans l’absence d’une législation concernée à la question, parfois se produisent des fausses solutions, comme l’utilisation des toilettes des professeurs et fonctionnaires ou même la confection des toilettes spécifiques pour la population trans.

Il est important d’observer qu’à l’intérieur de l’institution scolaire l’usage du “prénom social” apparaît comme un facteur de perturbation de l’ordre, et en l’absence d’une législation adéquate, les autorités scolaires concervant le fonctionnement ordinaire des normes de genre ne permettent pas leur emploi. Le prénom dans l’institution scolaire est une identité fondamentale, il est l’objet constant de scrutation et d’attention, aussi bien pour les professeurs et les équipes institutionnelles que pour les élèves eux-mêmes. Des récits provenant de sources diverses autour de l’expérience transsexuelle à l’école démontrent que le refus de la part des professeurs et directeurs d’accepter l’usage du prénom social est une des raisons principales de l’évasion scolaire de la population trans. Face à l’impossibilité d’effectuer le changement du nom et du prénom civil, la reconnaissance du prénom social est vue comme la principale forme de constitution subjective dans l’expérience contemporaine de la transsexualité. Des documents scolaires, tels que les listes de présence, les examens et même le simple appel dans la salle des classes, emploient des prénoms qui se trouvent toujours déjà placés à l’intérieur du système des règles normatives concernant les relations entre corps-sexe-genre. Comme l’expérience transsexuelle et travestie sont justement celles qui mettent en échec ce système normatif, elles ne peuvent pas avoir lieu dans des institutions comme l’école, et cela en dépit des transformations dont elle a récemment été l’objet. Ainsi, l’école ne peut reconnaître que les subjectivités qui se sont engendrées à l’intérieur de ce système normatif associant corps-sexe-genre et les replace dans des positions strictement binaires (Cesar, 2010).

Dans les derniers mois de 2013, les mouvements sociaux trans revendiquent une modification dans la législation qui assure l’utilisation du “prénom social” où elle existe. Dans les états disposant de cette législation, ce droit est encore restrictif à des citoyens qui ont 18 ans ou plus. Les mouvements argumentent qu’une partie significative de la population trans est composée par des jeunes gens entre 14 et 17 ans, et en conséquence, ne sont pas considérés par la loi. Ainsi, dans divers états brésiliens, ces mouvements formulent des demandes pour le changement de cet aspect de la loi. Cette nouvelle demande est bloquée par ceux qui, dans les parlements et dans le système judiciaire, défendent une conception plutôt asexuée de l’enfance. Le débat vient de s’installer et il apportera certainement des conséquences importantes pour la réflexion sur les relations entre école, transsexualité, enfance et jeunesse. Il est certain que la législation essaie aujourd’hui de considérer la population trans qui vient de retourner à l’institution scolaire après de nombreuses d’années, à cause de la violence, de l’exclusion et de la discrimination. Tout cela est dû aux effets des revendications des jeunes et des mouvements LGBTT pour une éducation libérée des préjugés, contre les discriminations envers l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et les législateurs ne peuvent plus les ignorer. De ce point de vue, on attend d’importants changements en ce qui concerne les vieilles idées autour de l’enfance, de la jeunesse et de l’école. Et tous ces changements sont vraiment bienvenus…

 


BIBLIOGRAPHIE :

BRASIL. SECRETARIA ESPECIAL DOS DIREITOS HUMANOS. Anais da Conferência Nacional de gays, lésbicas, bissexuais, travestis e transexuais – GLBT. Direitos Humanos e Políticas Públicas. O caminho para garantir a cidadania GLBT. Brasília, 2008.

BRASIL. MINISTÉRIO DA SAÚDE. SECRETARIA DE GESTÃO ESTRATÉGIA E PARTICIPATIVA. Saúde da população de gays, lésbicas, bissexuais, travestis e transexuais. Brasília, 2008b. Disponível em: <http://oglobo.globo.com/pais/arquivos/GLBTT.pdf>. Acesso em 02 mar. 2009.

Alves, 1983.

BRASIL. Conselho Nacional de Combate à Discriminação. Brasil sem homofobia. Programa de combate à violência e à discriminação contra GLTB e promoção da cidadania homossexual. Brasília: Ministério da Saúde, 2004.

CESAR, Maria Rita de Assis. (Des)governos… biopolítica, governamentalidade e educação contemporânea. In:  ETD – Educação Temática Digital, Campinas, n.12, p. 224-241, 2010. 

GAZETA DO Povo. Travestis pedem o uso de nome social nas escolas. Disponível em:<http://portal.rpc.com.br/gazetadopovo/vidaecidadania/conteudo.phtml?tl=1&id=851892&tit=Travestis-pedem-uso-de-nome-social-nas-escolas>. Acesso em: 03 mar. 2009.

SANTOS, Dayana Brunetto Carlin. Cartografias da transexualidade: a experiência escolar e outras tramas. Curitiba: Programa de Pós-Graduação em Educação/UFPR, 2010. Dissertação (Mestrado em Educação).


[1] Professeur à la Faculté d’Éducation et au Programme de Post-graduation en Éducation de l’Université Fédérale du Paraná – UFPR. Coordinatrice du LABIN – Laboratoire de l’investigation des corps, genre et subjectivité en Éducation. Chercheuse du CNPq – Conseil National de la Recherche Scientifique.

[3] Il y a un Projet de Loi – PLC no. 122, de 2006, qui vise à criminaliser la discrimination due à l’orientation sexuelle et l’identité de genre.Voir : http://www.plc122.com.br/entenda-plc122/#axzz2neqIUKzo

[4] Pour en savoir plus, voire : http://bvsms.saude.gov.br/bvs/publicacoes/brasil_sem_homofobia.pdf

[5] Voire : http://bvsms.saude.gov.br/bvs/saudelegis/sas/2008/prt0457_19_08_2008.html

[8] Voire : http://gde.virtual.ufc.br

[9] Politiquement, le Brésil est organisé comme une république fédérative composée par des provinces ou des états. Chaque état a un ensemble de responsabilités politico-administratives, parmi lesquelles l’éducation basique. Le financement, la réglementation et les professeurs sont sous la responsabilité des états et chaque état a un ensemble de lois et des normes qui régissent l’éducation.    

[10] Ici, on nomme « prénom social » le prénom socialement utilisé par l’élève.


Mise en ligne : 31 janvier 2014.