Marcel Nuss

Chris Gerbaud

Appas

Source : http://www.appas-asso.fr


Entretien avec Marcel Nuss

 

Tu as créé avec d’autres personnes l’association l’APPAS dont je suis membre, mais j’aimerai bien savoir où en sont les choses, comment cela avance et comment une personne transidentitaire peut s’inscrire dans les processus de construction de cette association » avant-gardiste. »  

Elle s’inscrit très simplement dans notre processus de construction puisque, parmi nos accompagnant(e)s sexuel(le)s, nous avons à Strasbourg Cornélia qui est transgenre. Personnellement, cette inscription me semble normale et essentielle dans la mesure où nous revendiquons la reconnaissance de l’accompagnement sexuel pour toutes les personnes « handicapées », quelle que soit leur orientation sexuelle. De ce fait, cette question n’a même jamais été débattue dans l’association, tant la réponse est évidente pour nous. Par contre, nous n’estimons pas être d’avant-gardes, nous ne faisons que militer pour faire accepter ce qui est en place dans plusieurs pays d’Europe (Pays-Bas, Danemark, Allemagne, Suisse, Autriche, Italie, etc.), parfois depuis plus de 30 ans.

–           Qu’est-ce que l’APPAS ?

l’APPAS a pour but de promouvoir, par des actions concrètes allant à l’encontre de la loi actuelle, la reconnaissance et la mise en place de l’accompagnement sexuel en France. Pour ce faire, nous sommes conseillés par plusieurs juristes, dont une avocate en situation de dépendance vitale. C’est-à-dire que nous assumons clairement une opposition frontale à la législation actuellement en vigueur en France en matière de proxénétisme et de prostitution. Nous réclamons ouvertement le respect du droit-liberté, mais aussi du libre choix. En nous appuyant, entre autres, sur des droits à la santé sexuelle, édictés notamment par l’OMS.

 

–            Qu’entendre par l’expression que l’on entend souvent « assistance sexuelle » ?

Tout d’abord, nous ne parlons pas d’assistance sexuelle, désignation d’origine anglo-saxonne, qui, pour les personnes « handicapées », dans notre culture, a une connotation stigmatisante. Nous parlons « d’accompagnement sexuel » et d’accompagnant(e)s sexuel(le)s. En effet, il s’agit d’accompagner et non d’assister ces personnes dans la quête d’une réappropriation, d’une reconnexion et d’une (ré)incarnation de leur corporéité, de leur charnalité et de leurs sens. De ce fait, l’accompagnement sexuel peut aller de simples massages, travail sur le toucher, sur le contact peau à peau, jusqu’à l’expérience de rapports sexuels. Dans les deux cas, les séances sont limitées en nombre. Car il ne s’agit pas de pallier à un manque qui n’est pas spécifique aux personnes « handicapées » – loin s’en faut, puisque plus de 3 millions de personnes souffrent de misère affective et sexuelle, en France -, mais de leur redonner de l’estime de soi et donc de la conscience en eux, leur offrant ainsi les outils pour recréer du lien et entrer en relation par leurs propres moyens. L’accompagnement sexuel, sous cette optique, est une forme de thérapie. C’est une réponse à une demande légitime mais pas la réponse, la seule réponse possible. À nous de nous adapter aux demandes et de proposer un cadre contractuel dès le départ, offrant une sécurité et un confort maximums à toutes les parties prenantes d’un accompagnement sexuel. Ce cadre sera néanmoins assez souple pour offrir une latitude suffisante pour permettre l’expression des individualités et des sensibilités en présence.

 

–          Comment pourrait évoluer l’accompagnement sexuel par rapport  aux avancées des autres pays ?

     Notre objectif est d’importer en France ce qui se pratique déjà chez nos voisins européens avec succès. Mais cela suppose que nous assumions une opposition frontale avec la législation en vigueur dans l’Hexagone. Ce que nous allons faire, et que nous avons déjà commencé à faire, en ayant prévenu le gouvernement et les pouvoirs publics de nos intentions et de nos objectifs. À ce titre, nous avons commencé à mettre, dans plusieurs régions, en relation des personnes « handicapées » et des accompagnant(e)s sexuel(le)s provenant d’horizons différents (médico-social, prostitution, etc.). Et, parallèlement, nous allons proposer d’ici le printemps des formations à l’accompagnement sexuel pour les postulants à ce travail, mais également pour les professionnels travaillant en milieu institutionnel. Enfin, nous sommes en train de mettre en place des partenariats avec des partenaires associatifs européens militant pour la même cause.

     Et, évidemment, nous sommes entourés de juristes qui nous conseillent car il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, n’importe comment.

 

–          Connais-tu les avancées en matière associative sexe et handicap dans les pays Anglos-Saxons ?

    À ma connaissance, côté anglo-saxon, ils ont les mêmes difficultés que nous en France, et ils essaient d’avancer comme nous, c’est-à-dire en passant par une certaine transgression, en Angleterre par exemple. À ma connaissance également, aux États-Unis, seuls deux Etats permettent la pratique de l’accompagnement sexuel, au Canada c’est impossible pour le moment ; par contre, en Australie et en Nouvelle-Zélande, l’accompagnement sexuel est pratiqué.

     Quoi qu’il en soit, la reconnaissance de l’accompagnement sexuel dépend principalement du contexte culturel. Les blocages sont bien plus d’ordre moral qu’éthique, malheureusement.

–          Si est envisagé un accompagnement sexuel par des personnes transidentitaires, quelles pourraient être les obstacles de représentations possibles à briser selon toi ?

    Au niveau de l’association, il n’y a aucun obstacle. Que des personnes trans nous rejoignent, cela signifie d’offrir aux personnes « handicapées », quelle que soit leurs orientations sexuelles, de trouver leur compte, de trouver une réponse adaptée à leur demande et à leurs besoins. Ce qui est primordial, dans une association qui défend le respect du libre choix et du droit-liberté. Je refuse toute forme de discrimination et de rejet, la seule frontière à ne pas dépasser, c’est le respect des limites et des choix de son prochain.

 

–       Peux-tu voir et concevoir des liens d’engagement (un « espace » commun) politique  entre les personnes transidentitaires et les personnes handicapées, le terrain militant peut-il être le même ?

Oui, il peut y avoir un espace commun d’engagement politique même si, par ailleurs, notre militantisme réciproque n’est pas nécessairement identique mais complémentaire. Là où nous nous rejoignons pleinement, c’est sur la défense du respect des droits et des libertés, dans quelque domaine que ce soit et, particulièrement, dans celui de disposer librement de son corps et de notre vie.

 

Propos recueillis par Chris Gerbaud


Mise en ligne, 1 mars 2014