Charlotte

 

Ingénieur directeur de projet


 

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Oui, depuis mon plus jeune âge, j’aime porter des vêtements féminins alors qu’on m’a déclarée garçon à la naissance. 

J’avoue la faute, j’ai commencé à l’âge de 1 ans. Pour fêter mes premiers pas ma maman a fait plusieurs photos photo, frange, chignon, robe.

Je suis donc un pervers, un malade, un déglingué et ce depuis le plus jeune âge. Plus tard je me suis laissé pousser des seins, c’était vers 11 ans. Des seins que les copains auraient bien aimer toucher mais moi je ne voulais pas. 

Alors on m’a battue, on m’a montré des choses qui peuvent choquer un gosse encore nubile, on a dit les pires âneries sur moi et quarante ans plus tard, j’ai toujours du mal à supporter la présence d’un homme à moins d’un mètre de moi. C’est compliqué, j’aime vivre en femme, au milieu de femmes et je ne suis pas attirée du tout par les hommes !

Encore plus compliqué. J’aime vivre au milieu de femmes, qu’on me dise naturellement « madame » mais en même temps je suis très à l’aise avec mon équipement intime masculin. Je n’envisage pas du tout de m’en débarrasser !

Alors que suis-je ? A quoi voulez-vous m’associer ? Moi même j’avoue que j’ai bien intériorisé toutes les idées reçues sur les trans. Comme tout le monde, il m’arrive de détester ce que je suis, surtout quand mes particularités blessent quelqu’un.

Pourtant les choses sont très simples, un jean’s moulant, un tee-shirt au dessus de la ceinture, les cheveux sur les oreilles, un élastoc et une queue de cheval et c’est des « bonjour madame » comme une pluie de  pétales. Pas besoin de bijoux, ni de maquillage, ni de talons.

Pourquoi arrive t-il que mon épouse souffre de mon état ?

A treize ans on m’a fait des injections de corticoïdes, à quatorze je suis passée aux testostérone. Rien à faire, mes seins grossissaient encore. Ca excitait les copains du rugby, d’ailleurs ils me violaient.  Chaque fois je croyais mourir, je leur ai même demandé de me tuer. On a préférer penser que je j’étais coupable, alors comme cadeau de Noël à 15 ans le corps médical m’a coupée. Plus de glandes, mastectomie bi-latérale. J’aime pas le père noël.

Les injections de  testostérone jusqu’à 19 ans, puis le père noël (le corps médical) m’a dit tu es Klinéfelter, tu n’auras pas de gosses, tu ne pourras pas te marier et… ton espérance de vie est limitée (35 – 40 ans). Ah, j’oubliais un truc, pas la peine de faire des études supérieures, les Klinéfelter, c’est pas pour eux (1).

Bon, bon, bon… ma fille a 23 ans, mon fils 26 ans, je suis mariée et je suis employée comme ingénieur directeur de projet. Je dirige la construction de grands trucs recevant du public,  de grandes usines, on fait appel à moi pour des trucs assez trapus. Dernier truc, je vais avoir 52 ans.

« Quand tu m’en a parlé, j’ai cru que c’était comme l’appendicite, une fois opéré c’est fini ». Je suis entrée en franc-maçonnerie à 30 ans et lors des entretiens préalables j’ai tenu à leur dire que j’étais opérée car à l’époque je me me disais que j’étais anormal. Je ne savais pas si les anormaux étaient admis en franc-maçonnerie.

Une fois opéré c’est fini ! J’avais une malformation, on me l’a retirée, je suis guérie ! A l’époque je voyais les choses comme ce monsieur qui était venu à la maison pour mieux me connaître avant que je ne sois admise en Franc-Maçonnerie.

J’étais corrigée,  mes « malformations » retirées. Cependant  je continuais à prendre des vêtements féminins. Par crises. D’autres crises faisaient de moi un superman. Rien dans la nuance, tout dans les extrêmes comme dit ma femme qui déteste les excès. Et oui,  j’ai pris l’habitude de vivre à fond, mon temps était compté. De plus quand c’est votre doublure qui est sur scène, vous lui faites faire les trucs les plus audacieux. Jusqu’à la délinquance car nous ne sentez pas les coups, c’est l’autre qui prend.

Au milieu de la quarantaine j’ai commencé à consulter un psy spécialisé, membre de l’équipe officielle de ma région. J’étais arrivé à un tel niveau de haine de ma personne… il fallait que j’en parle à un pro de la question. Je lui ai dit « docteur guérissez-moi. Retirez-moi ces idées de ma tête. C’est nul. Ca incommode mon entourage, je me déteste »

Ben, ça n’a pas marché. Au bout du compte j’ai opté pour une autre solution : cesser d’avoir honte de moi. Je voulais retrouver mes formes d’avant la testo. Il me fallait une hormonothérapie. 

Alors un samedi matin pluvieux nous avons été reçues avec ma femme par le grand psy officiel régional. Il ne nous a pas offert le café mais il a dit que deux personnes de même sexe ne pouvant pas être mariées, si nous persistions dans la demande il fallait d’abord divorcer. 

Des amis militants et militantes m’on donné un coup de main pour trouver des soignants non pervers (certains entretiennent la souffrance). Maintenant que j’ai fait monter le taux d’œstrogènes, je suis enfin bien dans ma peau. Les choses sont enfin simples. Je n’ai plus honte car on me dit « madame ». J’avais honte quand j’entendais des « monsieur » que je ne méritais pas, j’avais l’impression de mentir. D’être dans le faux.

Alors que suis-je ? Femme ? Homme ?

Quand je fais de la provoc, je dis « je suis bien depuis que je ne pose plus la question ».

Ca n’est pas faux mais le problème n’est pas là. Pour être bien il faut aussi que votre entourage soit bien avec vous, qu’il ne vous subisse pas. Que l’attrait soit sincère et réciproque. Que l’un des membres du couple ne porte pas les « écarts » de l’autre comme un secret de famille inavouable.

De ce coté-là j’avoue que c’est fluctuant. L’image que nous avons de nous est issue de l’image supposée que les autres on de nous. Hé oui, on ne vit pas sans le regard des autres ! 

« Bonjour mesdames », nous disent les commerçantes et les inconnues. Je suis flattée mais mon épouse vit très mal que nous soyons considérées comme un couple féminin. J’avoue que je ne sais pas quoi faire face à cette situation. Ca serait plus simple si je n’étais pas convaincue d’être une femme !

La place du genre est peut-être trop grande dans nos jugements. Mais comment relativiser la place du genre dans l’idée que nous avons des autres, donc de nous-mêmes ?

On peut aller très loin dans la mise en cause du genre et dire qu’il n’y a qu’un genre, le genre humain. Cependant on ne fait qu’esquiver la question fondamentale, peut-on choisir soi-même son genre? 

De mon coté je ne pense pas qu’on puisse être « hors-genre », comme on serait « hors la loi ». Je penserais plutôt que le genre est une conviction. Comme toutes les convictions, celle-ci doit être acceptée. C’est le principe de la laïcité, pas d’intrusion dans les convictions. A condition bien-sûr que  celles-ci ne s’imposent pas aux autres. Rassurez-vous, on n’a jamais vu des trans, cutter en main, découper les seins et les pénis, contrairement à d’autres (ceux qui ne veulent qu’un sexe par personne) !

Je suis toujours surprise qu’un homme en jupes ça choque. Pourquoi est-ce plus choquant qu’une femme pantalons ? Je n’ai toujours pas compris pourquoi il est socialement admis qu’une femme puisse s’habiller e homme, alors que l’inverse est péjaurant. Pourtant quand il fait chaud  comme en ce moment, porter une jupe c’est super (sur des jambes lisses).

Enfin, je ne règle rien je l’avoue. Beaucoup  de questions restent sans réponses. Cependant j’espère que la prochaine fois que vous croiserez une personne qui sur-joue un rôle de mec,  demandez vous si derrière tout ça il n’y a pas une petite fille qui aimait jouer à la mariée quand elle était petite. Etait-ce alors un monstre ? un pervers ? un problème d’éducation ? une bonne correction aurait-elle suffit ?

A toutes ces questions vous savez maintenant que la réponse est non.

Dernier petit messages pour les mamans et les papas d’un gosse muni d’organes « ambigus » ou qui ont des « malformations » qui apparaissent à l’adolescence:

N’opérez pas ! Tout ou tard il manquera quelque chose à votre enfant. Demandez-vous au contraire comment lui permettre de s’épanouir dans le genre de son choix. Permettez-lui de choisir, achetez lui des jupes ET des pantalons.

Dernier-dernier truc… si votre garçon n’a pas d’organes ambigus, s’il n’a pas de « malformations » à l’adolescence… offrez lui une jupe tous les ans. Il la portera ou ne la portera pas. C’est à lui de voir. Pas à vous.

(1) : pour ceux qui se demandent si tout ça est bien possible, j’ai la chance inouïe d’avoir une maman qui a tout gardé. Analyse, biopsie des glandes, courriers médicaux, cartons d’emballage des doses de testos et des corticoïdes.

 ANNEXES ET EN VRAC

 

Historique de mon accompagnement médical

 

– de 11 à 13 ans :  conseils du médecin de famille: « il faut faire plus de sport » (pour éviter que les seins grossissent encore). Prise de « fortifiants » en injections de Revitalose. Suivi par un guérisseur, acuponcteur et un prêtre exorciste. Opération de l’appareil génital.

– de 13 ans à 14 ans : injections hebdomadaires altérnées de Gonadotrophine chorionique ISH 1000 et Gonadotrophine sérique « endo »

– de 14 ans à 19 ans : injections mensuelles de Percutacrine Androgénique Forte et Androtardyl

– 15 ans : mastectomie bilatérale

– 19 ans à 22 ans suivi psychologique suite à plusieurs actes de délinquance

– 30 ans réapparition du besoin d’être considérée comme femme, par les autres femmes

– 30 ans à 35 ans une vingtaine de RDV chez des psys généralistes locaux, classement de ces besoins comme étant des fantasmes courants.

– de 35 ans à 42 ans période d’enfouissement et d’oubli total, prise de charge pondérale + 33 kg

– 42 ans troubles profonds de la mémoire, accompagnement par un service spécialisé au CHR. 

– 44 à 48 ans douleurs testiculaires aigues, plusieurs hospitalisations

– 46 à 49 ans accompagnement psychologique par le professeur ML Bourgeois, puis 1 rendez-vous au CHR avec M Sophie Boulon (clash)

– 49 ans à 51 ans : épilation laser du visage par un « médecin de l’esthétique » – 300 € la séance

– 50 ans à ce jour ( bientôt 52 ans), suivi psy par Tom Reucher

– 50 ans à ce jour, hormonothérapie (prise d’œstrogènes) – Œtrodose – 6 pressions par jour

– 51 ans : orchitectomie (j’avais déjà oublié !) Précision : la libido est ses suites fonctionnent impeccable malgré l’orchitectomie et les 6 doses d’hormone.  Le seul changement est la disparition des érections intempestives nocturnes (presque toutes).

– 51 ans à ce jour : rééducation de la voix (phoniatre),

– 51 ans à ce jour : épilation laser du visage (poils noirs) électrolyse des poils blancs  (dermatologue)

– 51 ans à ce jour : consultation d’un neurologue pour  traitement des douleurs chroniques de la poitrine (apparues 35 ans avant, depuis la mastectomie). Prise de Lyrica lors des crises, efficace en 30 minutes. Mais pourquoi on ne m’a pas prescrit ces trucs avant ????? Les monstres comme moi doivent souffrir jusqu’au bout ?

 

 

 

Perception de mon identité féminine par des tiers inconnus

 

Pas facile de théoriser, le mieux est de raconter

Même à 113 kg (au sommet de ma gloire), j’entendais plusieurs fois par an des « bonjour madame » alors que j’avais les cheveux coupés en homme, costume de cadre masculin et parfois la barbe.  

Moins d’un mois après  le début de l’hormonothérapie les « madame » sont apparus régulièrement, seul ou avec mon épouse. Sur le marché au restaurant, dans les bars. J’étais alors encore à 98-100kg

Après 2 mois d’hormonothérapie (vers 90 kg), deux serveuses se sont adressées à moi au féminin (en présence de ma femme), pendant 1h30.  Elles se sont adressées à moi au masculin après le paiement par carte bleue (où il y a mon nom)

Au cours des  6 mois qui suivirent  il m’est arrivé de rentrer volontairement dans des supermarchés pour avoir ma dose quotidienne de « madame »

Malaise ressenti lorsque les caissières accentuent les « monsieur », en employant parfois plusieurs fois le mot « monsieur » dans la même phrase ou en accentuant la prononciation.  C’est ce qui a accéléré la décision de consulter une phoniatre. Ma femme et les soignantes qui m’accompagnent m’ont expliqué que les dames qui pensent  s’être trompées sur mon identité lorsqu’elles ont d’abord dit « madame », essaient de rattraper leur erreur. Je ne percevait pas les choses comme ça, je ressentais de la haine à mon égard.

Aujourd’hui à moins de 80 kg, les « madame » sont systématiques. Je vis les situations les plus cocasses, comme celles-ci: Une vendeuse de la Mie-caline me dit d’abord Monsieur est généres et me dit des  « Madame » (malgré ma voix). Un chef de chantier s’adresse à moi avec des « madame », malgré ma tenue masculine, casque cachant les cheveux, gilet fluo, chaussures de sécurité, voix lourde (je lui ai fait un rappel à l’ordre de 5 minutes)  et ma voiture de fonction hyper macho (un gros ML-MB de voyou).

Il m’arrive souvent de me retourner quand une personne face à moi me dit « madame » (j’ai le réflexe de penser qu’on s’adresse à quelqu’un derrière moi)

Je commence à prendre du plaisir à voir le visage  déconfit des hommes qui entendent ma voix alors que depuis 10 minutes ils pensaient avoir une femme assise à la table d’à coté. Je me sens comme un punk dans les années 70 : la provoc.

Je n’essaie pas d’éclaircir ma voix, je ne triche pas. Ca vient naturellement ou pas. 

Depuis toujours je fonctionne par mimétisme. Avec les femmes, je suis une femme et avec les hommes je suis un homme.

Genre administratif

 

Je ne suis pas encore confrontée à ce problème. 

Je suis pour l’auto détermination du genre, le libre choix du prénom et la suppression du genre sur les documents administratifs ( CNI et le n° insée). 

Quand ma femme m’appellera Charlotte (ou tout autre prénom féminin de son choix), j’essaierai alors de régulariser la situation chez les bleus.  La lutte contre des législateurs cul-culs est toujours un plaisir, comme à chaque fois que je milite.

En septembre dernier l’andocrinologue a préparé une demande ALD avec en tête de la demande « transsexualisme ». J’ai beaucoup pleuré dans le TGV en relisant ça. 

Je ne voulais pas admettre que je suis transsexuel. Puis j’ai fini par comprendre que je suis devenu trans-sexuel le jour où on a m’a assignée en homme et non pas dans ma démarche actuelle de vouloir redevenir dans mon genre de naissance : double. 

Contre l’identitarisme

 

Curieux cette affaire. Je ne me sens pas « ni l’un ni l’autre », mais LES DEUX.

Puis comment savoir ce qu’est l’Un et ce qu’est l’Autre ? 

Je n’ai pas de réponse.

C’est aussi compliqué que la conviction de l’existence d’un dieu, de plusieurs, d’une force suprême…. pour que ça se dégonfle, il faut pouvoir adhérer à une idée, il faut pouvoir la critiquer, la contester, se rétracter, ou pratiquer…. ça s’appelle la laïcité.

L’expression la plus aigüe de ma féminité, elle est irréfléchie et je l’ai découverte il y a peu. En sortant du restau l’autre soir avec ma femme et ma fille (juillet 2011), nous sommes allées nous faire voir devant les terrasses bondées des restaus et des bars… Quel plaisir de se sentir regardée, désirée ou jalousée pour son audace. Plaisir aussi de faire les sopranos toutes les trois dans la bagnole ou à la maison (hé-hé, la phoniatre dit que je suis contre-ut, c’est rigolo).

J’ai accepté de faire la demande ALD sous le titre de TRANSSEXUALISME pour que cette reconnaissance puisse me permettre de solliciter des rendez-vous auprès de soignants sans devoir faire légitimer ma demande à chaque fois par un psychiatre. Prendre un RDV franco, ne pas être obligé de pleurnicher et de baisser les yeux pour entamer une série de séances laser etc..

Pour moi l’identité de trans-sexuel(le) est très péjorante. Je ne veux pas trans-former mes organes génitaux. Je veux seulement être considérée comme femme par les femmes en général et ma femme en particulier.

Pourquoi péjorante ? Parce que j’ai été éduquée dans un monde qui considère tout ce qui est différent appartient à la catégorie des sous-merdes. Il faut faire un effort intellectuel réel pour surmonter cette éducation, la classification, l’identitarisme. J’y arrive pas de souci, mais même en étant passé par les douleurs que j’ai connues, j’avoue que parfois je suis aussi con que le dernier beauf (encore une catégorie).

On m’a déjà trans-formée par la mastectomie et  les hormonothérapies à l’adolescence.  Cette transformation était  une dissimulation de ma double appartenance.  On m’avait éduquée pour avoir honte d’une partie de moi. J’étais tellement conditionnée dans ce sens qu’il m’arrivait de demander aux médecins et à mes parents de m’opérer au plus vite.  

Je voulais être « comme tout le monde ». Mais en même temps je rêvais que m’a mère me dise « t’emmerdes pas, tu es très bien en fille, tiens voilà la jupe que je t’ai achetée, on va te changer de collège etc… », et qu’elle recommence à me faire des tresses comme quand j’étais petite. 

Si on ne m’avait pas fait honte avec des « t’as pas honte d’être une fille », si on ne m’avait pas appris « la honte » (d’être double), si j’avais pu choisir selon mes humeurs irréfléchies ou réfléchies de porter un pantalon ou une robe… je pense que je n’aurais jamais souffert, je ne me serais jamais détestée et considérée comme une sous-merde. 

Ainsi, je pense que ne me respectant pas (car j’en étais incapable avec le regard que j’avais sur les gens différents), il était logique que les autres ne me respectent pas.

Je ne me respectais pas car j’étais LA FAUTE, l’erreur de la nature, le malheur de mes parents. On disait de moi que j’avais des malformations etc…

Je m’en suis voulu de ne pas être comme les autres ( F ou G) en même temps je m’en voulais de ne pas avoir le courage d’affirmer ma double nationalité.

Voilà pourquoi la classification de la population fait des ravages (F, G, H, T, L, I, etc…): ça crée des sentiments fascistes de supériorité.