Maëlle Chabert
Chargée de projet – Prévention santé
L’antenne Jeunes d’Amnesty International a été porteuse de projet les vendredi 10 et samedi 11 juin 2011 dernier.
Cela faisait 2 ans qu’il n’existait plus d’antenne jeunes à Nice. Scarlett Pizzetta et moi-même, Maëlle Chabert, avons donc entrepris les démarches pour recréer le groupe et recruter de jeunes bénévoles comme nous, afin de défendre les droits humains en ce qu’il est à notre portée de promouvoir.
Nous avons orienté nos actions de l’année 2011 vers la campagne « Dignité » d’Amnesty International France. C’est alors que j’ai proposé d’aborder un sujet encore mal connu, fantasmé tant que diabolisé : l’intersexuation. Cyrielle N’Diaye étudiant les questions de genre depuis plusieurs années m’a rejointe pour élaborer le projet.
Quelle inspiration en est à l’origine? Celle faisant de tout être une entité ayant droit à la singularité sans être stigmatisé-e et considéré-e comme mystique ou cobaye.
Qu’est-ce que l’intersexuation ?
« Aussi appelée « hermaphrodisme » ou « ambiguïté sexuelle », l’intersexuation est une variation du développement sexuel. C’est-à-dire que les organes génitaux de la personne ne correspondent pas aux standards mâle et femelle.
L’intersexuation est parfois due à une variation génétique comme pour les personnes porteuses des chromosomes sexuels XXY, XYY, XO… mais certaines variations ne sont pas génétiques et restent inexpliquées. De même si certains enfants ont une intersexuation clairement visible à la naissance, d’autres ne la développeront que plus tard (souvent à l’adolescence).
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, beaucoup de personnes sont « tout simplement » XX ou XY alors que leurs organes génitaux ne sont pas dans les normes correspondant à leur caryotype. Quand on parle de chromosomes, il est très facile de penser à des maladies lourdes voire incurables mais l’intersexuation n’est pas une maladie, même si elle peut parfois engendrer des problèmes de santé plus ou moins graves.
Dans notre société, tout ce qui concerne le développement génital et l’identité sexuée est tabou et mal connu mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’intersexuation a toujours existé et n’est pas si rare que ça par contre elle est facilement passée sous silence. »[1]
Pourquoi mener une action de sensibilisation ?
Parce qu’au nom de la « difficulté pour un enfant d’être ‘sans étiquette’ », autrement dit ni complètement un homme ni complètement une femme, la plupart des situations d’intersexuations sont traitées dès la naissance avec une urgence sans rapport avec l’état de santé :
– Les parents doivent déclarer le sexe de l’enfant sur l’acte de naissance. C’est-à-dire qu’un enfant qui nait avec une variation du développement sexuel et qui ne peut pas être défini dans une des deux cases, féminin versus masculin, n’existe pas juridiquement donc il « doit être assigné » à une identité sociale normalisée (qui n’est donc pas la sienne véritable)…
– Sans qu’aucun pronostic vital n’ait été prononcé, et le plus souvent en l’espace de 48h, l’assignation sexuelle (opération chirurgicale normalisant l’anatomie) d’un nouveau-né est décidée par une équipe pluridisciplinaire de médecins.
« On ne « blanchit » pas la peau des noirs parce qu’il existe des racistes.
On ne soumet pas un enfant obèse à une liposuccion parce qu’on ne trouve aucune boutique de vêtements dont les tailles ne dépassent le 44. ».
Se pose ici la question de l’assignation d’un genre social et d’une anatomie, choisis par des tiers sans consentement ni revendication identitaire de l’individu lui-même.
Autrement dit, il s’agit d’une atteinte à l’intégrité physique et psychologique d’un être humain qui né pourtant avec des organes totalement sains (sachant que l’on ne parle pas ici des personnes dont les cas nécessitent une intervention vitale).
En rapport à l’appartenance sexuelle, deux notions doivent être posées :
– « sexe » désigne ici la dimension biologique,
– « genre » désigne la dimension sociale, culturelle, affective, morale… avec des rapports toujours changeants au cours de l’histoire.
D’après la plupart des membres du corps médical pratiquant la réassignation sexuelle, « sans sexe identifié, la société est beaucoup plus cruelle car il n’y a pas de visibilité officielle donc ce n’est pas viable pour un individu». Mais c’est justement le bistouri qui invisibilise les intersexué-e-s.
Sans oublier que la chirurgie lourde implique des risques pour la santé : perdre des sensations, traitement hormonal de substitution à vie, stérilité…
De plus, le développement de l’identité de genre n’est pas toujours en accord avec ce qu’ont choisi les médecins / les parents.
Enfin, il est rare qu’il y ait un suivi postopératoire. Or il existe une chance sur deux pour que la décision soit mauvaise : dans ce cas, les erreurs sont très graves mais considérées comme résiduelles.
Au sein d’Amnesty International, la commission LGBT défend les droits des personnes Lesbiennes, Bisexuelles, Gays, et transsexuelles. L’orientation sexuelle et l’identité sexuée doivent être bien distinguées et constituent des dimensions de l’identité humaine qui doivent être considérées comme des droits fondamentaux. Amnesty International s’appuie sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme votée en 1948 en particulier les articles mentionnant le principe de non discrimination et de respect de la vie privée. C’est cependant la toute première fois que le thème de l’intersexuation est abordé.
Nous avons donc proposé à des professionnels et associations spécialisé-e-s dans les questions de genre, ainsi qu’à des personnes concernées par les identités plurielles, de travailler sur la base de films et documentaires. L’association Orféo, plusieurs directeurs de thèse et doctorants de l’UNS travaillant sur les conceptions des genres, les transidentités, les intersexualités et transexualités, ainsi qu’une avocate à la Cour pénale Internationale spécialisée dans les crimes contre l’Humanité ont ainsi constitué le noyau dur des interventions.
Le « grand public » a ensuite été convié à se réunir autour des projections suivies de débats. Grace aux 50 participants présents durant les deux journées, nos objectifs ont pu être atteints : témoigner, informer, faire s’interroger.
Parce que l’inconnu n’offre, par définition, aucun repère et que s’orienter dans un labyrinthe d’ignorance engendre la peur et légitimise le rejet, nous avons basé notre travail sur l’échange, la verbalisation et la parole libre.
Programme des projections-débats – INTERSEXUATION-S – Contre les discriminations faites aux intersexué-e-s
Organisé par : Maëlle Chabert Co-responsable Antenne Jeunes Nice Amnesty International et Cyrielle N’Diaye
9h30 – 13h30 au Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi 06300 Nice
Comment aborder les intersexualité-s et les identités de Genres dans notre réalité ?
Projection du film « XXY » réalisé par Lucia Puenzo – 2007.
Débat en présence de : Karine Lambert – Historienne, Maîtresse de Conférence, Chargée de mission égalité (IUFM Célestin Freinet, UNS), Maria Stefania Cataleta – Avocate à la Cour Pénale Internationale, Sergio Sarmiento – Maître de Conférence (UNS).
Vendredi 10 juin 2011
15h00 – 18h30 à Amnesty International – 36 rue Gioffredo 06000 Nice
Transexualité-s – Quelle(s) identité(s) ? Genres, Transidentités et Intersexualités.
Court-métrages de Karine Espineira et Maud-Yeuse Thomas
En présence de : Karine Espineira – Doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication,
Maud-Yeuse Thomas – Chercheure indépendante.
Samedi 11 juin 2011
9h30 – 13h00 au Cinéma Mercury
Intersexualité-s – Quelles réponses aux discrimations ?
Projection montage – témoignages intersexes – documentaire.
Extraits de « L’ordre des mots » de Cynthia Arra et Mélissa Arra.
En présence de : Ollie Ricart – Co-fondateur de l’Association Orféo – Paris et Perpignan,
Raphaël – Étudiant Master Recherche à l’EHESS, mention ‘santé, populations et politique sociale’ Recherches : ‘Le corps médical face aux corps intersexués’.
La plus grande réussite de ces journées de projections-débats sur les Intersexuations est d’avoir pu mener à terme un projet au sujet complexe et peu connu.
Cela a été rendu possible par la mise en réseau de personnes profondément humanistes, curieuses et respectueuses, ainsi que par la présentation de thèmes abordées sans ambages.
Notre souhaitons que nos travaux et associations futur-e-s ouvrent une réflexion sur l’altérité.
« Pourquoi le physique qui sort de la norme est montré, stigmatisé et rejeté, entre fascination et dégoût ? » [La compagnie des Délices, Le Monstre en trope].
Je suis intimement convaincue que la méconnaissance et l’ignorance sont des vecteurs de peur donc de préjugés et qu’avant de s’insurger ou de vouloir changer le monde, il est important de commencer par parler, informer, échanger, s’interroger, démystifier. Déconstruire certaines représentations et les affects qu’elles mobilisent pour reconstruire ensemble avec des repères tout neufs.
[1] http://asso.orfeo.free.fr