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Étiquette : Transgenre

Entretien avec Miguel Missé – STP 2012

MIGUEL

Miguel Missé
Activiste, essayiste
STP-2012, Espai Obert Trans/Intersex (Barcelone)


 

Bonjour Miguel,

Cet entretien va s’organiser autour de  trois grands axes : le regard de l’activiste espagnol, la synthèse d’un des membres de la coordination internationale STP 2012 et enfin l’essayiste du « El genero desordenado » préfacé par Judith Butler.

Première partie : le regard de l’activiste espagnol

En guise de présentation, sur quoi insisterais-tu dans ta biographie pour te présenter ?

Je suis un garçon trans intéressé par les questions sociales et concrètement par la défense des droits du collectif trans.
Soy un chico trans al que le interesan las cuestiones sociales y concretamente la defensa de los derechos del colectivo trans.

 

On sait que les UEEH et la première Existrans à laquelle tu as participé ont été deux choses importantes dans ton parcours personnel comme celui d’activiste. Peux-tu développer 

Sortir de mon contexte local, connaître d’autres formes pour faire de la politique et de l’activisme ainsi que connaître d’autres formes pour vivre l’identité trans, ce qui m’a fait beaucoup penser sur ma propre vie et mes idées. En juillet 2006je suis aux UEEH à Marseille. On était plus de 500 personnes de différents pays. C’est là-bas que j’ai entendu parlé de l’Existrans et cette même année j’ai fait le voyage à Paris pour connaître la marche. Une année plus tard on a organisé la première manifestation trans en Espagne, à Barcelone. Sans doute, l’activisme français m’a beaucoup influencé dans divers aspects.
Salir de mi contexto local y conocer otras formas de hacer política y activismo así como otras maneras de vivir la identidad trans me hizo reflexionar mucho sobre mi propia vida y mis ideas. En julio del 2006 estuve en Marsella en las UEEH donde eramos mas de 500 personas de distintos países. Allí me hablaron de la Existrans, y ese mismo octubre viajé a Paris para conocer la marcha. Un año más tarde organizamos aquí la primera manifestación trans de España. Sin duda, el activismo trans francés me ha influenciado en diversos aspectos.

 

On parle beaucoup de lois sur l’« identité de genre depuis le Gender Act (G.B.) de 2004, suivi par la loi en Espagne de 2007 jusqu’à l’Argentine récemment. Dans les grandes lignes, qualités et défauts de la loi espagnole ?

Je pense que la réponse à cette question varie selon les générations. La loi espagnole permet le changement de la mention du sexe dans les documents officiels à toutes les personnes avec exception des mineurs, des personnes avec un handicap mental et des étrangers, trois exigences très douteux. En plus, pour pouvoir accéder à ce parcours, on doit présenter un diagnostic de dysphorie de genre et un certificat médical qui atteste que la personne sollicite ce changement et suit un traitement médical (hormonal) depuis plus de deux ans. Beaucoup de personnes trans pensent que c’est une évolution que l’État n’exige pas une chirurgie génitale. Moi, qui reconnais qu’il y a une certaine évolution, je pense qu’obliger un citoyen à se reconnaître en tant que malade mental et à modifier son corps pour reconnaître son identité de genre est une très grave atteinte aux droits individuels de personnes. Même si la loi a rendu le changement du prénom et du sexe dans les documents officiels plus facile, elle continue à utiliser un paradigme stigmatisant. Il faut continuer le travail.

J’aimerais une fois de plus féliciter l’activisme trans argentin pour avoir réussi à obtenir une loi sur l’identité de genre. Elle est devenue une très important référence pour comprendre l’identité et l’expression de genre d’un point de vue juridique.

Creo que la respuesta a esta pregunta varia según las generaciones. La ley española permite el cambio de la mención registral del sexo en los documentos oficiales a todas las personas excepto a menores de edad, personas con una discapacidad mental y extranjeros, tres requisitos muy cuestionables. Además, para poder acceder al trámite se deben presentar un diagnóstico de disforia de género y un informe médico que certifique que la persona solicitante lleva más de dos años de tratamiento médico (hormonal). Muchas personas trans entienden que es un avance que el Estado no exija una cirugía genital. Yo, aunque reconozco ese avance, pienso que es obligar a un ciudadano a reconocerse como enfermo mental y a modificar su cuerpo para reconocer su identidad de género es una gravísima vulneración de los derechos individuales de las personas. Creo que aunque es cierto que esta ley ha hecho el cambio de nombre y sexo más fácil sigue partiendo de un paradigma estigmatizante. Hay que seguir trabajando.

Por otro lado, quisiera una vez mas felicitar al activismo trans argentino por conseguir sin duda una ley que genera un precedente importantísimo en la forma de entender la identidad y la expresión de género jurídicamente.

 

L’activisme avec Espai Trans, c’est qui, quoi et comment ? On aime beaucoup l’idée de Culture Trans et semble-t-il tu la portes aussi avec conviction. Parfois nous avons la vision que l’activisme ne doit par laisser la place aux sentiments, que le militant doit être un soldat et ne pas se retourner sur les pions tombés. A Barcelone, nous avons eu le sentiment d’un activisme novateur qui mais qui laisse la place à l’affect et vous nous avez paru très soudéEs. Notre regard est-il trop utopique ?

Merci beaucoup. Je crois que après un temps dans l’activisme, la meilleur chose que l’on puisse dire nous dire est que dans notre travail politique, il y a de la place pour l’affect. Je ne sais pas si c’est utopique, mais en tout cas, ces valeurs forment partie de nos utopies. La qualité du travail est plus importante que la quantité et ceci est quelque chose que j’ai eu beaucoup de mal à apprendre. Souvent dans les relations entre activistes dans les mouvements sociaux se produisent des situations graves de conflit que nous ne dénonçons pas publiquement pour ne pas blesser le mouvement et je pense que nous nous trompons en faisant ça. Nous devrions dénoncer avec la même force les inégalités et les abus de pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur des mouvements sociaux. Être un peu moins soldats et un peu plus humains. Prendre soin des personnes avec lesquelles on travaille et valoriser les apports de chacun.e dans chaque projet.

Espai Trans est un espace de rencontre entre personnes trans et leur entourage qui a lieu une fois par mois à Barcelone. C’est un espace hétérogène et inattendu. Avec un petit groupe de volontaires, nous coordonnons les activités de l’espace. L’objectif ce ces rencontres n’est pas tellement de générer un discours politique mais de consolider un espace en dehors du circuit médical pour que les personnes trans puissent parler de ce dont ils ont besoin (et souvent il ne s’agit pas de questions politiques). En même temps, Espai Trans est un projet en construction, qui se forme en même temps avec les personnes et qui donnent vie aux rencontres. Je ne sais pas qu’est-ce qu’il se passera dans un an, en tout cas même il a un sens et c’est pour cela qu’on le mène à terme.

D’un autre côté, Culture Trans est un évènement que nous menons à terme en coïncidant avec la mobilisation internationale pour la dépathologisation trans. Après des années en organisant la manifestation trans de Barcelone, nous avons décidé de miser sur un projet moins ambitieux et plus accessible pour le petit groupe de personnes que nous sommes. Et surtout, un projet plus connecté à la vie quotidienne des personnes trans. Je veux dire par là que je suis fatigué d’organiser des activités trans auxquelles assistent des chercheurs/chercheuses, des activistes (lesbiennes, gais, bi, féministes, queer), mais aucune personne trans (avec tout mon respect vers les apports des autres). Culture Trans cherche à être un espace qui interpelle spécialement les personnes trans et même si on ne le réussit pas toujours, on essaye ! Cette année on fait une sortie sportive, un ciné forum, une journée de santé trans et un cabaret d’artistes trans.

Muchas gracias. Creo que después de un tiempo en el activismo, lo mejor que le pueden decir a uno es que en su trabajo político caben los afectos. No sé si es utópico, en todo caso, esos valores forman parte de nuestras utopías. La calidad del trabajo es más importante que la cantidad, y eso es algo que me ha costado mucho aprender. Creo que a veces en las relaciones entre activistas dentro del movimiento social se producen situaciones muy graves de conflicto que no denunciamos públicamente para no dañar al movimiento y creo que nos equivocamos cuando hacemos eso. Deberíamos denunciar con la misma contundencia la desigualdad y el abuso de poder dentro y fuera de los movimientos sociales. Ser un poco menos soldados y algo más humanos. Cuidar a las personas con las que trabajamos y valorar la aportación de tod*s en cada proyecto.

Contestando a tu pregunta, el Espai Trans es un espacio de encuentro para personas trans y su entorno que tiene lugar una vez al mes en Barcelona. Es un espacio heterogéneo e imprevisible. Un pequeño grupo de voluntarios coordinamos el espacio y sus actividades. El objetivo de este espacio no es tanto generar un discurso político sino consolidar un espacio fuera del circuito médico para que las personas trans puedan hablar de sus necesidades (que en muchos casos no pasan por la política). Al mismo el Espai Trans es un proyecto en construcción, que se forma sobre la marcha con la gente que le da vida. No sé que será dentro de un año, en todo caso ahora tiene sentido y por eso lo llevamos a cabo.

Por otro lado, Cultura Trans es un evento que celebramos coincidiendo con la movilización internacional por la despatologización trans. Tras años celebrando la manifestación trans de Barcelona decidimos apostar por un proyecto menos ambicioso y más asumible para el pequeño grupo de personas que somos y sobretodo un proyecto más conectado a la vida cotidiana de las personas trans. Quiero decir que estoy cansado de organizar actividades trans a las que vienen investigadores, activistas (gays, lesbianas, feminista, queer), pero ninguna persona trans (con todo mi respeto hacia sus aportaciones). Cultura Trans busca ser un lugar que interpele a las personas trans especialmente y aunque no siempre lo conseguimos, creo que estamos consiguiendo cosas. Este año realizamos una salida deportiva, un cineforum, una jornada sobre salud trans y un cabaret de artistas trans.

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L’activisme espagnol te semble-t-il différent de l’activisme français par exemple ?

Je peux seulement parler de l’activisme LGBT que je connais dans ces deux pays. De mon point de vue, l’activisme espagnole est très différent de l’activisme français. La culture politique et la tradition de mobilisation sociale en France n’est pas la même que celle en Espagne. Cela peut s’observer dans le fonctionnement des assemblées ou des réunions des collectifs, ou de la façon que les gens interviennent pour exprimer leurs idées. Quand j’ai participé à quelques débats en France, j’ai toujours été surpris de la dureté avec laquelle les personnes commentaient et questionnaient les propos des autres et personne ne se fâchaient. C’es§t peut-être une idéalisation mais il me semble qu’ici, nous avons moins cette culture du débat et il nous coûte beaucoup plus d dialoguer sur les différences et argumenter tout en étant à l’écouted e l’autre. Je crois qu’ici, il n’est pas facile d’être en désaccord. Cela génère beaucoup de conflit personnel entre les gens. Mais, d’un autre côté, je dirai que nous sommes moins rigides et moins passionnés qu’en France, ce qui me plait aussi. Peut-être penserons-t-on que tout ceci ne sont que des stérétotypes sans réalité…

Quant aux différences sur l’activisme trans, il faut aussi le lier à la question historique. Ici l’activisme trans est plus récent.

Solo puedo hablar del activismo que conozco en los dos países, el LGTB. Desde mi punto de vista, el activismo español es muy distinto al activismo francés. La cultura política y la tradición de movilización social que se tiene en Francia no es la misma que la que se tiene en España. Y eso puede observarse en el funcionamiento de las asambleas o las reuniones de los colectivos, o la forma con la que intervienen las personas para expresar sus ideas. Cuando he participado de algún debate en Francia siempre me ha sorprendido como la gente cuestionaba con dureza lo que otras personas habían dicho y nadie se enfadaba. Quizás es una idealización pero a menudo siento que aquí tenemos menos cultura de debate y nos cuesta más dialogar desde la diferencia y argumentar escuchando al otro. Creo que aquí no es nada fácil estar en desacuerdo, genera muchos conflictos personales entre las personas. Por otro lado, diría que aquí somos menos rígidos y más apasionados que en Francia, lo cual también me gusta. Aunque quizás alguien pueda pensar que todo esto no son más que estereotipos sin trasfondo real…

En cuanto a las diferencias en el activismo trans concretamente, hay que sumarle también la cuestión histórica. Aquí el activismo trans es más reciente.

Deuxième partie : STP


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La question des origines de STP est incontournable. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Les racines de la champagne STP2012 se trouvent dans les premirèes mbilisations de l’année 2007 que certains activistas trans portions à terme à Barcelone et dans d’autres villes en Espagne, inspirées par le modèle français de l’Existrans. (curieusement, malgré l’inspiration de l’activisme français, la champagne est beaucoup plus suivie dans d’autres pays). La mobilisation s’est répandue en Europe en 2008 et, en 2009, nous avons posé les bases de l’organisation d’une campagne internationale nommée Stop Trans Pathologisation avec l’objectif de visibiliser et de dénoncer la pathologisation des identités trans. La date de 2012 exprime l’urgence qu’il y a ait à se mobiliser sachant que 2012 était l’année prévue pour la versión V du DSM. Nous savons désormais que le manuel sortira en 2013.

Las raíces de la campaña STP-2012 se encuentra en esas primeras movilizaciones en el año 2007 que algunos activistas trans llevamos a cabo en Barcelona y en otras ciudades del Estado español, inspiradas en el modelo francés de la EXISTRANS. (Curiosamente, a pesar del fuerte vínculo con el activismo francés, la campaña tiene mucho mayor seguimiento en otros territorios). La movilización se traslado a Europa en el 2008 y en el 2009 planteamos organizar una campaña internacional llamada Stop Trans Pathologization con el objetivo de visibilizar y denunciar la patologización de las identidades trans. La fecha de 2012 la pusimos para explicitar que había una urgencia en salir a la calle dado que el 2012 era el año en que estaba previsto saliera el nuevo DSM-V. Ahora sabemos que el manual saldrá en el 2013.

 

Un point sur les revendications ?

Les objectifs sont toujours les mêmes qu’aux origines. Vous pouverz les consulter à l’adresse suivante : http://stp2012.info/old/fr/objectifs. Je crois que nous pouvons dire que la champagne a joué un rôle très important en générant un discours critique partout dans le monde et dénonçant la pathologisation trans. Des mouvements sociaux aux organismes internationaux, parlements et divers institutions se sont prononcés sur le question partout dans le monde. La campagne a joué un rôle de réveil, une alarme pour réveiller les consciences sur cette discrimination. Je crois que STP a eu une fonction très concrète qui a consisté dans la création d’un grand réseau d’activistes trans partout dans le monde. C’est le plus succès de la campagne : faire entendre nos voix pour dire que nous sommes contre le système actuel et argumenter. Nous sommes à un moment où les organismes médicaux internationaux questionnent : comment voulez-vous être traités ? Quelles sont vos propositions ? Mais plus que de la dénonciation, nous voulons désormais poser des solutions et susciter une profonde réflexion sur la façon dont nous, personnes trans, voulons être pris en charge par les systèmes de santé. Il est nécessaire de créer de nouveaux outils, de nouveaux mouvements pour entrer dans une seconde phase de propositions : quel modèle proposons-nous en lieu et place du modèle actuel pathologisant ; dans ce débat, il faut être extrêmement prudent parce que les conséquences du changement de diagnostic ou de la disparition totale du diagnostic auront des implications dans les pays aux systèmes de santé très différent les uns des autres.

Los objetivos siguen siendo los mismos que en sus inicios. Podéis leerlos aquí (http://stp2012.info/old/fr/objectifs). Creo que hoy podemos decir que la campaña ha jugado un papel muy importante por generar un discurso crítico y en todo el mundo de denuncia de la patologización trans. Desde los movimientos sociales hasta organismos internacionales, parlamentos y diversas instituciones se han pronunciado sobre el tema en todo el mundo. La campaña ha sido como un despertador, una alarma para despertar la consciencia sobre esta discriminación. Creo que STP ha tenido una función muy concreta que ha sido crear una gran red de activistas trans en todo el mundo por la despatologización trans y consolidar un día de lucha internacional sobre esta cuestión en todo el mundo. Es el mayor éxito de la campaña: levantar la voz para decir que estamos en contra del modelo actual por diversas razones. Pero ahora llega el momento en que los organismos médicos internacionales preguntan, de acuerdo, y entonces como quieren ser tratados, cuales son sus propuestas. Más allá de la denuncia, ahora tenemos el reto de plantear soluciones e impulsar una profunda reflexión sobre como queremos ser tratadas, las personas trans, por los sistemas de salud. Es necesario crear nuevas herramientas políticas, nuevos movimientos para entrar en una segunda fase más propositiva: que modelo proponemos para sustituir al actual modelo patologizador. Y en ese debate hay que ser extremadamente cuidadoso porque las consecuencias de un cambio de diagnóstico o de una desaparición total del diagnóstico tendrán implicaciones en territorios con sistemas de salud muy distintos.

 

Est-ce que STP ne va s’autonomiser dans l’avenir et que chaque groupes, dans chaque pays va s’imposer de l’idée de la dépsychiatrisation, de la dépathologisation en fonction de son contexte sociale et culturel ?

Plus que s’autonomiser, je crois que la campagne est la base d’une grande pyramide. Pour atteindre le sommet, des nouveaux processus sont nécessaires. La campagne n’a pas la structure suffisante comme par exemple traduire l’idée de la dépathologisation trans dans chaque contexte culturel et social (je ne suis pas sûr non plus que c’est à la champagne d’effectuer cette démarche). ‘est un travail qui a commencé à réaliser par des activistes trans au niveau local dans divers pays. C’est dire qu’il existe un réseau d’activistes qui se spécialisent dans la traduction de ce changement de paradigme en direction des organismes internationaux et des institutions locales. Sans doute commence une période qui pourrait être historique pour la population trans, celui de définir et de proposer ce que doit être notre accompagnement médical.

Más que autonomizarse, creo que la campaña es el piso de una gran pirámide. Y para subir al piso de arriba, el propositivo, son necesarios nuevos procesos. La campaña no tiene la estructura suficiente como para traducir la idea de la despatologización trans a cada contexto cultural y social (y tampoco estoy seguro de que sea esta campaña la que deba hacer ese paso). Eso es un trabajo que ya han empezado a hacer los activistas trans locales de diversos territorios. Es decir, existe ya una red de activistas que se están especializando en como trasladar este cambio de paradigma a los organismos internacionales y a las instituciones locales. Sin duda, empieza ahora un momento que creo que puede ser histórico para la población trans y es el de definir y proponer como debe ser nuestro acompañamiento médico.

 

Dans « Mon sexe n’est pas mon genre » tu as cette phrase qui dit approximativement : « Est-ce qu’on demande à une femme qui subit le sexisme si elle souffre d’être une femme ? Non. C’est le sexisme qu’on inculpe. Alors pourquoi demande t-on aux trans s’ils souffrent d’être trans ? C’est la transphobie qui fait souffrir ». Se rendre visible, comme vous le faites avec STP est une manière de lutter contre la force des préjugés, contre la transphobie. Mais, selon toi, la pathologisation n’est elle pas aussi, surtout, dans les esprits, au moins autant que dans l’institution médicale ? Et donc : comment lutter contre ceci ? Quelles actions concrète vous menez ?

Sans aucun doute, la pathologisation a des conséquences au-delà des consultations médicales. La culture d’une transsexualité médicale est présente dans l’imaginaire collectif, dans la majorité des représentations sociales que nous connaissons. Précisément sur cette question, je viens de publier un essai (http://cositextualitat.uab.cat/?p=1632&lang=en) qui aborde l’impact de la pathologisation sur l’imaginaire collectif et la subjectivité des personnes trans dans la construction de notre identité. Je considère que ces deux travails sont très importants à réaliser en parallèle. Le changement de paradigme passe par la modification des lois des protocoles et des manuels de médecine et, à la fois, par la transformation de l’imaginaire collectif. Quand je parle de culture trans, je me réfère précisément à cela : générer des références trans en-dehors de la perspective médicale dans l’art, la littérature, le cinéma, les moyens de communication, le sport, la politique, l’éducation. La visibilité de nouveaux modèles est fondamentale pour combattre la stigmatisation de notre collectif.

Sin ninguna duda, la patologización opera mucho más allá de las consultas médicas. La cultura de la transexualidad médica está presente en el imaginario colectivo, en la mayoría de representaciones sociales que conocemos. Precisamente sobre esta cuestión acabo de publicar un pequeño libro (http://cositextualitat.uab.cat/?p=1632&lang=en) que trata sobre el impacto de la patologización en el imaginario colectivo y en la subjetividad de las personas trans, en la construcción de nuestra identidad. Pienso que son dos trabajos muy importantes que hay que realizar en paralelo. El cambio de paradigma pasa por modificar las leyes, los protocolos y los manuales de medicina y a la vez por transformar el imaginario colectivo. Cuando hablo de cultura trans me refiero precisamente a eso: generar referentes trans fuera de la mirada médica en el arte, la literatura, el cine, los medios de comunicación, en el deporte, en la política, en el sistema educativo. La visibilidad de nuevos modelos es fundamental para combatir la estigmatziación de nuestro colectivo.

 

On sait que la question de la représentation dans les médias est un fait que tu considères avec sérieux. Peux-tu dire pourquoi ?

L’impact des représentations médiatiques dans notre imaginaire social est très puissant et les représentations médiatiques des trans est toujours marginal et stigmatisante. Si on demandait à n’importe quel adolescent s’il connait une personne transsexuelle personnellement, il nous dira probablement que non. Si on lui demande s’il connaît l’existence d’une personne transsexuelle, il dira probablement que oui  et il nous parlera du cinéma d’Almodovar dans lequel les transsexuel.les sont majoritairement prostitué.es, accrocs à la drogue, où il nous parlera d’un personnage du cirque télévisuel. Les personnes apprennent ce qu’est la transsexualité par le biais de la télévision. Pour autant, il faut conquérir les moyens de communication et subvertir ces discours. Les réseaux sociaux ont médiatisé des campagnes de visibilité trans très intéressantes. Il faut savoir les utiliser sachant leur fort impact dans l’imaginaire pour développer des messages transformateurs et critiques.

El impacto de las representaciones mediáticas en nuestro imaginario social es muy potente. Y la representación mediática de lo trans sigue siendo muy marginal y estigmatizante. Si le preguntamos a cualquier adolescente si conoce a alguna persona transexual personalmente nos dirá muy probablemente que no, y si le preguntamos si sabe de la existencia de alguna persona transexual muy probablemente dirá que si y nos hablará de alguna película de Almodovar donde las transexuales son mayoritariamente prostitutas y drogodependientes o de algún personaje del circo televisivo. Las personas aprenden lo que es la transexualidad a través de la televisión. Y por lo tanto, hay que conquistar los medios de comunicación y subvertir esos discursos. Las redes sociales han mediatizados campañas de visibilidad trans muy interesantes. Hay que saber utilizarlas conociendo su fuerte impacto en el imaginario  para desarrollar mensajes transformadores y críticos.

 

Troisième partie : El genero desordenado

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Tu viens diriger un livre collectif, « el genero desordenado », préfacé par J. Butler. Peux-tu nous en fait un résumé ? Du moins nous en dire les grandes lignes ?

Plus que diriger un livre, j’ai coordonné une série d’article avec mon ami Gerard Coll-Planas, une sociologue exceptionnel. L’idée était de commencer à faire circuler des textes et des discours sur la question trans depuis un point de vue distinct de celui de la pathologisation. En langue espagnole, il n’y a pratiquement aucun livre sur le thème qui ne soit pas écrit par des médecins. Ainsi, nous avons demandé à diverses personnes qu’elles rédigent un texte sur la question et ce fut réellement une expérience très intéressante et très riche émotionnellement. Le livre compte trois parties : le regard des professionnels de la santé, le regard des sciences sociales et le regard depuis l’expérience trans.

Más que dirigir un libro, he coordinado una serie de artículos con mi amigo Gerard Coll-Planas, un sociólogo excepcional por cierto. La idea era empezar a hacer circular textos y discursos sobre la cuestión trans que hablaran desde un lugar distinto al de patologización. En lengua castellana no hay prácticamente libros que hablen de transexualidad y no estén escritos por médicos. Así que pedimos a diversas personas que escribieran un texto sobre la cuestión y fue realmente una experiencia muy interesante y emocionante a la vez. El libro consta de tres apartados: la mirada desde los profesionales de la salud, la mirada de las ciencias sociales, y la mirada desde la experiencia trans.

 

Un projet de traduction pour ce livre ou devrons-nous toujours le lire en espagnol ?

Pour être sincère, nous serions enchantés qu’il soit traduit en français et dans d’autres langues mais nous n’avons aucun financement ni n’avons eu de propositions de traducteurs spécialisés qui soient intéressés et volontaires. En dehors de cela, nous n’écartons pas la possibilité qu’il soit traduit un jour.

Seré sincero. Nos encantaría que se tradujera al francés y a otros idiomas. Pero no tenemos fondos, ni hemos tenido propuestas de traductores especializados que estén interesados en hacerlo o puedan hacerlo voluntariamente. A pesar de ello, no descartamos la posibilidad de que sean traducidos algún día.

 

Tes projets personnels Miguel ?

La question la plus difficile de l’entrevue ! La vérité, c’est que je suis dans une période où je m’interroge sur cette question. Quels sont mes projets personnels ? Est-ce que je veux poursuivre l’activisme ? Pourquoi et pour quoi ? Pour qui ? Faire un bon travail d’activiste, ce n’est pas facile. J’essaie de me limiter et de m’impliquer dans peu de projets pour les développer au mieux et en faisant attention aux relations au maximum (et parfois une réussite, parfois un échec). Au-delà, j’explore d’autres d’univers qui m’intéresse et pour lesquels il me manque du temps : la musique, les voyages, la technologie, la sociologie, le sport, la communication, la politique.

Uf…la pregunta más difícil de la entrevista. La verdad es que estoy en un momento de inflexión en el que me interrogo precisamente acerca de esa pregunta: cuales son mis proyectos personales? Quiero seguir haciendo activismo? Porque? Para que? Para quien? Hacer un buen trabajo como activista no es nada fácil, así que intento limitarme mucho e implicarme en pocas cosas para desarrollarlas con la mayor calidad posible y cuidando las relaciones al máximo (a veces lo consigo y otras fracaso). Más allá de esto, estoy explorando otros ámbitos que me interesan y para los que me falta tiempo: la música, los viajes, la tecnología, la sociología, el deporte, la comunicación, la política.


Liens :

Espai Obert Trans/Intersex
http://espaitransintersex.blogspot.fr
– 
http://fr.scribd.com/doc/109570240/Espai-Boletin-Oct-Ok

STP-2012
http://www.stp2012.info/old/fr
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http://www.stp2012.info/old/fr/objectifs
– 
http://www.stp2012.info/old/fr/a-propos-de-nous

El genero desordenado
http://elgenerodesordenado.wordpress.com

Entretien avec Abdellah Taïa

Jean Zaganiaris

Enseignant-chercheur au CERAM/ EGE
Chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne

 

 Infidèles


Auteur de Une mélancolie arabe (Seuil, 2008) et Le jour du roi (Seuil, 2012, Prix de Flore), Abdellah Taïa vient de publier son dernier roman Infidèles aux éditions du Seuil. Connu pour avoir fait son coming out au Maroc et pour revendiquer publiquement son homosexualité, Abdellah Taïa est un écrivain important du champ littéraire contemporain.

Interview effectuée par Jean Zaganiaris

 


 

Quel est le sujet de votre dernier roman ?

Mon nouveau livre,  Infidèles  (Editions du Seuil), vient de sortir en France. Et très bientôt au Maroc. Il parle d’une mère marocaine. Elle s’appelle Slima. Elle est prostituée à Salé. Elle assume pleinement ce métier. Elle porte sur ses épaules toutes les contradictions et les frustrations des Marocains. Elle a un fils, Jallal. Celui-ci n’a pas du tout honte de sa mère. Il est avec elle, en elle. Ils sont un cœur seul, unique. Ils sont deux en un seul corps. Ils sont des parias mais, malgré le rejet permanent de la société, ils résistent. A leur manière. La politique menée par le roi Hassan II durant les années 80 va les séparer. Les obliger à envisager l’avenir l’un sans l’autre. Être contre le Maroc. Rejeter le Maroc. Durant cette transformation, un lien demeurera fort entre eux : l’islam. Ils sont considérés comme impurs par les autres. Cela ne les empêche pas, tout au long de ce livre, de cultiver un rapport libre avec les signes de la culture musulmane dans l’espace et l’imaginaire arabes. Et quand je dis libre, j’entends par cela : transgressif. Le livre les mènera dans des zones où la compréhension s’arrête et où la fusion avec l’autre (le ciel, un prophète, une icône du cinéma mondial, une chanson) devient une urgence vitale. La fin renvoie au début. Et cet éternel recommencement des choses,  de nos erreurs, de notre incapacité  être libre sur cette terre, c’est une de mes plus grandes obsessions… 

 

Dans Le jour du roi, quelles sont les raisons qui vous ont amené à écrire sur le transgenre ?

Écrire, c’est tout mélanger. Se mélanger. S’évaporer dans l’autre, les autres. Dans la même lumière, celle qui nous a fait naître. Je suis homosexuel assumé, mais je ne peux absolument pas vivre mon homosexualité uniquement avec des homosexuels. Le rapport à l’autre (ma mère, mes amies, mon grand frère, mes ennemis), même quand il persiste à me renier, est important à mes yeux. Très important.

 

Est-ce qu’il y a un message que vous souhaitez faire passer sur « l’identité trans » ?

Un message ? Nous sommes tous le fruit d’un mariage explosif entre les cultures et les différentes natures humaines. Cela me paraît une évidence. Quelque chose d’assez simple à comprendre. Rejeter l’autre qui, soi-disant, ne nous ressemble pas est une énorme erreur. Parce que, en faisant cela, c’est nous-mêmes que nous rejetons, que nous tuons.

  

Comment vous vous positionniez par rapport à la queer theory ?

Je ne connais pas très bien la « Queer Theory ». Mais je sais qu’elle joue, depuis quelques années, un rôle fondamentale pour réveiller les êtres humains d’aujourd’hui, les empêcher de glisser petit à petit (et de nouveau) vers le fascisme.

 

Est-ce que ces corps soufis « androgynes » et « transsexuels » dont parle par exemple Khatibi dans Le livre du sang ont pu vous inspirer, notamment lors de l’écriture du Jour du roi ?

Dans « Infidèles », le fils s’appelle Jallal. Ce tout sauf une coïncidence. Ce livre intègre les images d’un film-monde (La rivière sans retour  d’Otto Preminger, avec la déesse Marilyn Monroe et Robert Mitchum) à sa propre écriture et suit le souffle amoureux révolutionnaire du très grand poète Jallal Dine Rumi. Il faut relire ce grand soufi et voir à quel point il était, bien avant tout le monde, dans le dépassement des frontières des corps, des sexes et des identités.

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Mis en ligne, 10.06.2012.

Histoire des transsexuels en France, Maxime Foerster

Maxime Foerster

Professeur assistant à SMU, Dallas

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Maxime Foerster est docteur en lettres. Il travaille aux États Unis et réédite ce mois-ci son « Histoire des transsexuels en France » chez La Musardine, livre ré-intitulé pour l’occasion « Elle ou lui » (222p). Il propose une histoire des transidentités en trois temps que nous pourrions restituer ainsi : 1- La « naissance » des transidentités, 2- Les répressions transphobes, 3- Les résistance trans’.

Pour Foerster, la « naissance » des transidentités telles qu’on les connait aujourd’hui, est à chercher du côté de trois éléments successifs.

Premièrement, l’invention, par la psychiatrie et l’endocrinologie, du « trouble de l’identité sexuelle » suivie des réponses qui vont lui être proposées (opérations, protocoles psychiatriques…). L’auteur y parle notamment des médecins, Hirschfeld et Benjamin, tous deux connus pour leurs travaux sur « le transsexualisme ».

Second lieu d’éclosion de la question trans’ : les associations. A travers les premières figures militantes comme Marie-André Schwindenhammer, Maxime Foerster montre la manière dont la question trans’ glisse des expériences individuelles aux combats collectifs, et donc politiques.

Dans ce mouvement pour la visibilité, l’auteur insiste sur un troisième espace, celui du cabaret, autour, notamment, de la figure de Bambi, célèbre actrice trans’.

Mais comme le souligne cette « histoire des transsexuels en France », cette visibilité, ces expressions trans’, vont de pair avec une répression. C’est autour du concept de « transphobie » que l’auteur articule les deux dernières grandes étapes de son histoire, avec deux focus sur le Pasteur Doucé et sur l’association du GAT, deux figures individuelles ou collectives du combat contre la transphobie, à plusieurs années d’écart.

A l’occasion de cette réédition, nous avons souhaité rencontrer Maxime Foerster pour lui poser quelques questions autour de cette « histoire » dont l’actualité n’est plus à prouver (projets de lois, médiatisation accrue, rapports récent de l’Inspection Générale des Affaires Sociales et, deux ans auparavant, de la Haute Autorité de Santé…)

 


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Édition H&O 2006

 

ODT- Bonjour Maxime. Tu peux te présenter ?

M.F.- Bonne question ! Ce que je trouve de particulièrement stimulant et prometteur dans la pensée queer, c’est justement le projet de s’exprimer à travers la résistance au devoir de se définir et d’être défini par les autres et les institutions. Devenir ce que l’on est, c’est explorer la fluidité et la diversité de nos facettes, ce qui revient à considérer l’identité comme mouvante et irréductible à une essence. Ceci étant dit, au niveau factuel, je viens de soutenir une thèse sur le thème de la réinvention de l’amour dans la littérature romantique française et espagnole et à partir de septembre j’enseignerai la littérature espagnole à l’Université du Michigan, dans la ville d’Ann Arbor aux États-Unis.

ODT- Comment résumerais-tu ton histoire des transidentités ? Pouvons-nous nous accorder sur le fait que cette histoire est celle d’une « inversion » en cours (pour reprendre les termes de Fassin), de la question « transsexuelle » à la question de la « transphobie ». Pour le dire autrement : la question n’est plus de savoir pourquoi est-on Trans mais pourquoi est-on transphobe ?

M.F.- Oui, ma stratégie a consisté à présenter un aperçu de l’histoire des transsexuels en France en ciblant non pas les transidentités comme problématiques mais au contraire l’existence et les conséquences de la transphobie comme fléau social. L’histoire de la transphobie est liée à celle du concept de la différence des sexes, concept que j’ai analysé dans mon premier livre La différence des sexes à l’épreuve de la République. Cette histoire reste largement à écrire : j’ai mis en valeur une poignée d’archives et de témoignages oraux mais c’est infime au regard de tout ce qui peut être recueilli et analysé. Quand bien même j’ai essayé de rester fidèle aux événements, puisqu’il s’agit de s’appuyer ce qui a eu lieu, j’ai écrit cette histoire en étant fasciné par le fait que le réel dépasse souvent la fiction : mon livre n’est pas seulement un engagement militant, c’est aussi une galerie de portraits qui met à l’honneur des parcours exceptionnels (Michel-Marie Poulain, Marie-André, Coccinelle, Bambi, le pasteur Doucé, Henri Caillavet, etc). Ces parcours ont eu un impact qui s’inscrit dans une histoire collective. J’ai écrit ce livre avec amour, admiration et inspiration.

 

ODT- Tu insistes longuement sur Coccinelle, sur la culture du cabaret. N’y a-t-il pas un risque d’exotisation de la question Trans à traiter cette histoire par ce bout-là ? En même temps, comme le montre Susan Stryker dans son reportage « copton’s cafétaria », c’est aussi ça, et la rue, qui participent de cette histoire et l’on sait que la culture LBGTQ passe très souvent par des manifestations puisant dans le répertoire artistique…

M.F.- Oui, je comprends que l’on puisse s’agacer du côté paillettes et glamour de la culture cabaret transgenre car elle retient beaucoup de lumière et éclipse l’attention qui doit aussi se porter sur les transidentités au quotidien, vécues loin de cette aura et mobilisant un autre contexte. Suite à ma rencontre avec Bambi, j’ai été et je reste fasciné par cette aura, cette culture, et cela se retrouve dans mon écriture avec un certain déséquilibre qui résulte peut-être de mon enthousiasme personnel. Cela rejoint d’ailleurs ce que je disais dans ma réponse précédente, à savoir qu’il faut compléter et rééquilibrer mon histoire que j’assume comme partielle.

 

ODT- Tu cites beaucoup le GAT : comment, vu de loin, la question de la militance te semble avoir évoluée ? Le GAT n’est plus, il y a parfois un « backclash » pathologisant dans certaines associations… Y a t-il, à tes yeux, un successeur au GAT dans le paysage associatif Trans actuel ? On pense par exemple à OUTrans qui se dit « association féministe et trans »…

M.F.- Le radicalisme du GAT me séduit, c’est un militantisme radical qui associait une intelligence pratique vis-à-vis de l’action politique à une vision fine et sans compromis des identités trans. Le GAT n’est plus, mais une belle leçon de militantisme a été donnée et cela pourrait, je l’espère, inspirer le militantisme d’aujourd’hui dans la lutte contre la transphobie. Il reste encore bien des raisons d’être en colère.  

 

ODT- Depuis la parution de ton livre, sa première édition en tout cas, un front s’est largement ouvert : celui du droit (en Argentine récemment). Crois-tu qu’il soit à même de bousculer cette histoire des transidentités ?

M.F.- Oui, l’Espagne puis l’Argentine ont voté des lois qui vont dans le bon sens en facilitant le changement d’état-civil et en reconnaissant le droit de choisir son identité de genre. Là aussi, l’inversion a eu lieu : la priorité, c’est la lutte contre la transphobie. J’espère que l’élection de François Hollande change également la donne en France puisqu’il s’est engagé à agir dans la lutte contre la transphobie. Il faut bien sûr rester méfiant face aux promesses politiques mais le climat semble propice à la consultation et l’action pour faciliter les procédures de changement d’état civil, réformer les protocoles, améliorer la qualité des interventions chirurgicales, mener un travail de prévention contre le sida et autres IST qui touchent particulièrement les trans en France.

ODT- Du point de vue de la méthode, que réponds-tu aux remarques selon lesquelles « la question Trans c’est la question des Trans » (un peu comme celle du féminisme d’ailleurs…) ?

M.F.- Je réponds que nous sommes tous concernés, et de façon très intime, par la dialectique du masculin et du féminin. La question Trans nous interpelle tous car elle nous invite à remettre en question nos préjugés sur l’identité de genre : celles des autres, mais aussi la nôtre.

 

ODT- Ta réédition est ajoutée d’images, peu de texte. Pourquoi ce choix ?

M.F.- Les illustrations donnent un peu plus de chair au texte et rendent la lecture plus agréable : je voulais que le livre soit accessible par-delà un public de militants et de chercheurs sur les questions du genre. Quant au texte, je n’ai pas voulu surcharger la version originale et je me suis contenté d’une postface comme supplément pour indiquer qu’en six ans, le contexte semblait avoir évolué vers une meilleure configuration pour s’attaquer à la transphobie.

ODT- Auparavant tu avais aussi travaillé sur « la république » face « aux sexes » : crois-tu qu’en France la république puisse (ou doive) assimiler les Trans sans en référer obligatoirement à l’utopie Cisgenre ?

M.F.- Je suis favorable à la réécriture du droit de telle sorte que le sexe du sujet de droit soit sans effet juridique. De même que la notion obsolète de « race », que la République n’utilise plus pour définir ses citoyens, je milite pour que la notion de « sexe » devienne également une catégorie inopérante dans l’approche du sujet de droit. De fait, cela rendrait tous les citoyens trans puisque cela les priverait de la référence à l’ordre symbolique de la différence des sexes. Ce projet est une mesure de justice sociale.

ODT- Merci Maxime. Pour finir, dernière question : quels sont tes projets maintenant ?

Merci à vous pour votre attention. Mon projet actuel, c’est de co-écrire avec un ami, Marcelino Viera, un livre sur l’anarchisme.

 


Mis en ligne : 17.06.2012.

Karine Espineira : Eléments de méthodologie

Karine Espineira

Université de Nice Sophia Antipolis
Cofondatrice et coresponsable de l’Observatoire des Transidentités


 

Couverture : La Transidentité, de l'espace médiaque à l'espace public

Avant de vos présenter un montage susceptible d’illustrer les propos de Maud-Yeuse Thomas, Ali Aguado et Éric Macé, je vais présenter la cadre de ma recherche.

J’achève une thèse de doctorat en Sciences  l’Information et de la Communication à l’Université de Nice. Je suis familiarisée avec le terrain transidentitaire depuis 1996, avec un engagement associatif qui a débuté à l’ASB. Dans la même période, je participe avec Maud-Yeuse Thomas aux « séminaires Q comme Queer » (1998). Mon parcours associatifs prend une nouvelle direction en 2005 avec la fondation, de l’association Sans Contrefaçon, et en 2010 avec la création de l’Observatoire Des transidentités (ODT) avec M.-Y. Thomas et Arnaud Alessandrin.

Cette observatoire qui est une sorte de revue en ligne a été pensé  comme un espace de théorisation et de réflexion, comme une plateforme établissant un lien entre le terrain trans et l’académie, entre trans et non trans, de tous les acteurs de la culture, du terrain de l’information, du support  et de la prévention. Ainsi nous publions aussi des universitaires et des non-universitaires, dans le cadre des études de Genre et des Trans Studies. Autant dire que nous sommes dans la diversité des points de vue, les médiacultures la multiculturalité.

Pour ma part, je travaille sur les modélisations sociales et culturelles des transidentités dans le média audiovisuel : la télévision. J’ai publié un essai en 2008 sur cette question, cet ouvrage est un prémisse à ma recherche actuelle.

J’inscris cette recherche dans les études de genre ainsi que dans de possibles Transgender Studies en France. Je me place dans la perspective ouverte par de Marie-Joseph Bertini qui souligne que les sciences de l’information et de la communication après avoir considéré les signes, les symboles, ou encore les dispositifs techniques, ne peuvent ignorer le rôle de la variable genrée dans les processus de communication.

Je m’intéresse à l’institutionnalisation des relations trans et instance médico-légale, trans et média, à travers les imaginaires sociaux. Bien entendu je renvoie à la pensée de Castoriadis. Je considère aussi les imaginaires médiatiques et je renvoie aux apports des Cultural Studies avec Stuart Hall, Éric Maigret, Éric Macé, entre autres.

Ma grille conceptuelle se décrit très brièvement ainsi :

Standing point, épistémologie du positionnement, des savoirs situés (Donna Haraway, Elsa Dorlin)

– Orthopédie sociale, Savoir et Pouvoir (Foucault, French theory)

– Médiologie : effets symboliques des effets techniques, et efficacité symbolique (Régis Debray, Daniel Bougnoux)

Je pourrais encore vous dire que ma recherche est qualitative, action, observante et dans mon cas précis – je parle de mon appartenance au terrain, à mon expérience du changement de sexe, du changement de genre, c’est-à-dire en me référant à la notion de « transsexualisme » comme concept et pratique – comme auto et rétro-observante. On voit l’intérêt que je trouve dans l’épistémologie du positionnement.

 Mon terrain on l’a compris c’est les communautés trans. Je m’appuie aussi un corpus forme sur les bases archives de l’Institut National de l’Audiovisuel, mais je considère désormais ce corpus comme un second terrain après trois ans de visionnage de ce qui me paraît être un champ de fouille archéologique.

 Je vais vous présenter un document, ou plutôt un montage d’un quart d’heure environ qui retrace quelques étapes de l’histoire de ce concept et de cette pratique qu’est le changement de genre oblitéré par le « changement de sexe » si cher au public, aux médias, et à certaines institutions garante de l’ordre symbolique.

Je n’ai pas choisi les extraits au hasard mais avec l’idée d’illustrer les présentations qui vont se succéder, et notamment l’invisibilité des FtMs.

Lien vers le montage :

http://www.dailymotion.com/KEUniversite#video=xpccu9

 

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Mis en ligne : 18 mai 2012.

Maud-Yeuse Thomas : Conditions actuelles des protocoles médico-légaux

Maud-Yeuse Thomas

Chercheuse indépendante,
Cofondatrice et coresponsable de l’Observatoire des Transidentités


Conditions actuelles
des protocoles médico-légaux
(1)

La question liminaire était formulée ainsi : Deux ans presque jour pour jour après le retrait officiel des « troubles de l’identité de genre » de la liste des affections mentales de longue durée, qu’en est-il de la représentation française des transidentités ? Réponse, rien n’a changé et rien ne changera sans nous. Roselyne Bachelot n’a rien dépsychiatrisé sur le terrain. Des siècles d’indifférence ou d’oppression à l’égard des minoritaires ont permis l’escalade des pathologisations tout au long d’un XXème siècle rationnaliste. Aussi, le problème dépasse très largement le seul champ psychiatrique puisque celui-ci dépend en fait d’un contexte social que le « médicolégal » vient ordonner sur des critères rationalisables et quantitatifs (2).

L’OMS, à la suite de la proposition de réécriture du DSM V, a lancé une invitation pour une réécriture programmée de la CIM. Elle s’est déroulée à la Sorbonne en décembre 2010 (3) en présence entre autre de responsables d’asssociations et de représentantes de la Sofect. Retour analytique sur les conditions de prise en charge et leur critères au regard d’une contextualisation d’époque.

DSM IV

Identification intense et persistante à l’autre sexe (ne concernant pas exclusivement le désir d’obtenir les bénéfices culturels dévolus à l’autre sexe)

Sentiment persistant d’inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d’inadéquation par rapport à l’identité de rôle correspondante

L’affection n’est pas concomitante d’un phénotype hermaphrodite

L’affection est à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

Cette définition est entièrement centrée sur 1/un individu atypique et isolé ; 2/ neutralisée par rapport à un contexte de société. La « société » est le modèle dominant sous la forme d’une binarité psychosociologique postulant une identité biosociologique rationalisant a priori et après coup des comportements, rôles et places. Le cadre normatif n’est jamais présenté alors qu’il isole la personne et fracture son unicité d’existence via ces deux caractéristiques socialement et culturellement antagoniques : « identification au « sexe opposé » » ; « souffrance, malaise ou inadaptation par rapport à son sexe anatomique ».

Il n’y a plus d’individu mais une affection reposant sur l’équation de la souffrance, norme médicale justifiant et légitimant le contrôle scellant l’individu dans une contrainte au déni de soi-même ou la contrainte à la transition transsexe. L’on a scellé cet individu d’autant plus aisément que l’enfant l’a été, fabriquant une condition et un fonctionnement solitaire en lieu et place de son développement ritualisé ; situation que l’on pourra d’autant plus aisément « diagnostiquer ». Mais que se passe-t-il si l’individu ne souffre pas ou plus ? D’emblée, cette question est écartée.

Le « transsexualisme » ou « process transsexe » est résumé et cantonné à l’addition de deux facteurs dans la CIM-10 : « Trouble de l’identité sexuelle de l’enfance » (F64.1) et « transvestisme bivalent » et (F64.2) présentés comme étant deux états différents se superposant en raison d’un trouble désorganisant –et non pas organisant- la vie psychique. On ne précise jamais ce qui le désorganise : la seule explication d’une « identification au sexe opposé » se suffit.

CIM-F64.1 –  Travestisme bivalent

Ce terme désigne le fait de porter des vêtements du sexe opposé (…), de façon à se satisfaire de l’expérience d’appartenir au sexe opposé, mais sans désir de changement de sexe (…); le changement de vêtements ne s’accompagne d’aucune excitation sexuelle

CIM-F65.1 – Travestisme fétichiste

Port de vêtements du sexe opposé, principalement dans le but d’obtenir une excitation sexuelle et de créer l’apparence d’une personne du sexe opposé. Le travestisme fétichiste se distingue du travestisme transsexuel par sa nette association avec une excitation sexuelle et par le besoin de se débarrasser des vêtements une fois l’orgasme atteint et l’excitation sexuelle retombée. Il peut survenir en tant que phase précoce du développement d’un transsexualisme.

L’un de ces facteurs désorganisant est précisément le désir, corolaire d’une identification non pas à un « sexe » mais à un groupe de genre via une appartenance et adhésion de genre ritualisée ; le qualifier de sexuel et le caractériser de transvestisme permet cette prépathologisation, de sortir le désir de l’équation pour se centrer sur une souffrance individuelle. On voit en F65.1 que le travestisme fétichiste, à peine distingué du « bivalent », a été pathologisé dans ce collage travestissement-sexualité. Cette architecture trie et typifie ces deux types de transvestismes, organise une différence dans le lien entre une désexualisation (« bivalent ») et une sursexualisation (« fétichiste »). Ce qui a eu pour conséquence la production d’un récit trans désexualisé qualifiant le « transsexualisme vrai » et « faux » que reprennent nombre d’associations. D’où cette distinction primaire/secondaire, voire ternaire. Pourquoi donc les « trans » ne peuvent-ils pas obtenir des « bénéfices culturels » ? Peut-on les séparer de ce qui constituerait de l’être ?

Architecture du classement dans la CIM10

(F00-F99) Troubles mentaux et du comportement

F60-F69 Troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte

F64 Troubles de l’identité sexuelle

F64.0 Transsexualisme

Il s’agit d’un désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation par rapport à son sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré.

 

•F64.2 Trouble de l’identité sexuelle de l’enfance

•Trouble se manifestant habituellement pour la première fois dans la première enfance (et toujours bien avant la puberté), caractérisé par une souffrance intense et persistante relative au sexe assigné accompagné d’un désir d’appartenir à l’autre sexe (ou d’une affirmation d’en faire partie). Les vêtements et les activités propres au sexe opposé et un rejet de son propre sexe sont des préoccupations persistantes. Il faut qu’il existe une perturbation profonde de l’identité sexuelle normale pour porter ce diagnostic; il ne suffit pas qu’une fille soit simplement un « garçon manqué » ou qu’un garçon soit une « fille manquée ». Les troubles de l’identité sexuelle chez les individus pubères ou pré-pubères ne doivent pas être classés ici, mais en F66.-.

L’on a donc un trouble spécifique dans l’enfance (F64.2), frontalement distingué du « trouble du transsexualisme » (F.64) spécifique à l’âge adulte. Ils sont classés et constitués de telle manière à :

1/ reconstruire le prédicat naturaliste dissimulant le prédicat culturaliste ;

2/ qu’ils ne puissent être immédiatement placés sur un même plan comparatif, rendant là ainsi le rapprochement et la comparaison difficile et spéculative ;

3/ permettant une réfutation aisée et dissimulant la forclusion des franchissements de genre composant la binarité cisgenre.

Cette distinction dans l’architecture classificatoire a une conséquence cruciale : chaque individu doit reconstituer (péniblement, on le sait) le lien unitaire entre son enfance et l’âge adulte, ce qui ajoute encore à son isolement et sa détresse Situation qui favorise la nécessité d’un « suivi » et donc d’un « diagnostic » alors que cette distinction est performative en cloisonnant les périodes d’existence et alors même que le prédicat psychanalytique prétend au déterminisme vécu dans l’enfance ; périodes présentés comme étant deux états distincts, deux personnes différentes, en affirmant que l’identité de genre subjective se noue avant l’âge de deux ans et est irréversible. Sauf ici donc. Sujet béat, sujet béant dont on a masqué la forclusion culturelle sous l’imposition d’un universalisme naturaliste abstrait.

Ce modèle d’identité sexuelle organise entièrement une fois admis que le changement peut-être sinon thérapeutique, du moins la « moins mauvaise solution » :

– une transition de sexe subordonnant une transition préalable de genre alignée sur la conception cisgenre (6);

– une transition de changement de sexe suivi du changement juridique qui lui est subordonné impliquant 1/ une stérilisation de fait ; 2/ un divorce pour les personnes mariées afin d’éviter le précédent d’un mariage « homosexuel ».

Parmi les conséquences systémiques désengageant l’individu dans sa dimension privée pour sa dimension sociale :

1/ d’aligner la transition transsexe sur le modèle cisgenre essentialiste (process transsexe) :

2/ de distinguer transsexualisme et intersexuation alors qu’ils procèdent de la même matrice essentialiste et constructiviste : dans les deux cas, on fabrique des hommes et des femmes via la double technique médico-sociale et juridique ;

3/ de rejeter tous les franchissements non-binaires.

Maintien politique de la réponse clinique intersexe et trans, fabrique de corps normés via l’ancrage du corps, ce « roc du sexe » fondationnel (F. Héritier) ou constructiviste (toute la tradition « psy » depuis Freud).

La neutralité affichée du DSM et de la CIM synthétise ce contexte surplombant et invisibilisant maintenant la typologie sain/pathologique et s’alignant sur une division sociopolique en plaçant tout arbitraire à distance.

Arnaud Alessandrin (7) propose cette lecture des attendus du DSM :

1. La permanence du changement (et donc du désir de changement) doit être avérée

2. La binarité est la règle (l’autre sexe ayant plus ou moins de « bénéfices culturels »)

3. Le changement ne peut être ludique : il est issu d’une souffrance et d’un inconfort

4. Cette souffrance est une des conditions cliniques à l’obtention d’une opération remboursée

5. Le genre est abandonné au profit du sexe.

Prise en charge économique et médicalisante vont de pair pour juguler/contrôler les individus minoritaires recaractérisés dans cette architecture psychiatrique protégeant l’architecture juridique. Le diagnostic n’est plus que l’écart genre vécu/observance normative et non un genre vécu vs sexe biologique.

Comme indiqué, une réécriture du DSM a été programmée sous le nom de « non concordance de genre » (en anglais Gender incongruence) et l’OMS a proposé de même pour la CIM10, proposition à laquelle nous avons été convié.es (décembre 2010 (8)).

Une non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues d’au moins 6 mois et qui se manifeste par au moins deux des indicateurs suivants :

 

– Une non concordance de genre marquée entre les expériences de genre vécues et les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires ;

– Un désir fort de se débarrasser des caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’un des deux sexes du fait d’une non concordance marquée entre l’expérience de genre vécue et le genre assigné ;

– Une attirance forte pour les caractéristiques de l’autre sexe ;

– Un désir d’appartenir à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné.

Quelques remarques : 1/ on passe du schème de l’opposition à celui de non concordance ; 2/La primauté absolue du sexe fait place à une relationalité du sexe et du genre 3/ dès le premier attendu, le contexte culturel est prééminent. La gestion des « bénéfices culturels » disparaît du tableau annulant ainsi le tri entre des individus transsexe et transgenre.

La notion de « l’autre genre » compris comme étant le « genre opposé » mue en un « tout autre genre alternatif », non seulement comme corolaire (et au sens) du genre assigné mais également de sa relationalité avec le sexe. Nous ne sommes plus dans l’hypothèse spéculative d’un 3e sexe ou genre mais dans cette multiplicité ouverte. Bref, le « Gender » pointe. Cela est beaucoup plus fidèle des transidentitaires, en particulier dans la confluence trans, queer et féministe, sans oublier la dimension de la sexualité en lien avec une identité de genre mouvante (7). L’on dégénitalise le genre en dissociant le sexe du genre tout en gardant le lien rituel entre genre et identité sexuelle. La neutralité de la définition est abandonnée pour le vécu et l’interrogation contextuelle des assignations. On parle toutefois de désir fort, d’attirance forte, de volonté forte, de conviction. On porte l’attention sur le vécu de l’individu mais il doit être plus fort que l’adhésion aux normes sensée être la « moyenne » et surtout la « population globale ». De fait, très vite l’on est revenu à la clinique d’une « dysphorie de genre », remédicalisant tout passage et redonnant au psychiatre, la haute main sur ceux-ci. De fait, la raison économique gouverne ce dossier.

Le critère de « non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues » est pourtant très révélateur des déconstructions et recompositions non-binaires et non naturaliste (8). Cette conception s’appuie sur une trajectoire d’existence acceptant l’aléa et la contrainte à l’assignation dans l’articulation sexe-genre. Le sujet sous-jacent n’est autre que le développement de l’enfance à l’âge adulte et où le critère de « maturité sexuelle » est corrélé à l’équilibre affectif et relationnel et non à la capacité de procréer. L’impensé radical est ici est la stérilisation dans la condition de passage légalisée. Thomas Beatie l’a replacé au cœur du désir d’enfant. A coup sur, un « bénéfice culturel ». 

Tous ces critères organisent ce clivage culturel, Nous/les Autres, sain/pathologique. Le transsexualisme moderne est lié au fait qu’il ne sont pas tenus en compte les tiers identitaires et donc de médiations tiers. D’où ma question, suis-je humain si je ne suis ni un homme ni une femme ? (9) Quelle est cette identité non fixée ? Comment puis-je la médier ? Quel lien dois-je constituer ? Qui puis-je aimer et qui peut ou veux m’aimer ? La réponse s’est imposée en l’absence de régulation sociale. C’est cela qui est en train de changer actuellement dans la confluence trans, féministe et queer dans les lieux de sociabilité incluant l’identité de genre trans. La diversité des parcours trans’ ou proches est liée à l’émergence d’une subculture trans’ au sein du foisonnement actuel sur la notion de multiplicité appliquée au genre ; au renversement épistémologique que cette notion provoque.

Pour conclure, une illustration de la question trans avec le film d’Alain Berliner Ma vie en rose. Ludovic s’identifie au féminin et, parce qu’il suit les normes de genre social, il veut l’éprouver en société. Berliner, comme Céline Sciamma avec Tomboy, situe son propos dans l’enfance en reposant la question au cœur du développement, avant le transsexualisme compris invention médicale et désir de vivre dans l’autre genre social. Nous sommes en amont du scellement « trans-sexuel ». Rien n’est encore fixé. Cela peut se résoudre dans l’articulation d’une identité « trans-genre » : Alain Berliner ne nous donne pas de prénom féminin pour cet enfant. Au terme d’un parcours éprouvant, la famille doit fuir et déménager. Nous sommes en aval de ce scellement : Ludovic va bientôt s’emmurer vivant, va devoir rêver sa vie aux couleurs du rose, se choisir un prénom opposé, un prénom féminin. La rencontre avec son aller ego se rêvant au masculin à la fin du film constitue le dernier trait d’union. Avant, il est dans l’identification à son genre propre, il peut ne pas vouloir changer de prénom, sa trajectoire peut aller et venir dans l’espace culturel des genres non opposés. Après, il est dans le désir de changement de sexe, de vouloir ce prénom féminin au lieu d’un prénom-identité mixte, androgyne, pluriel…

Donna Haraway écrit dans le Manifeste cyborg, les théories ont une valeur et cette valeur est déterminée par l’histoire. La construction même du sexe et du genre en objets d’étude contribue d’ailleurs à reproduire le problème, nommément celui de la genèse et de l’origine. Si le sexe est cette origine et le genre cette genèse, que restait-il donc à ces gens pour raconter leur histoire ? Comment des gens dont l’histoire est celle de la butée d’une pathologie pouvaient-ils dénouer ce nœud ? La réponse est diverse et cette diversité organise les rapports, soumis ou conflictuels, avec l’instance nouante.

En travaillant en articulation avec les questions trans et intersexué.es, la question déplacée au centre des débats se pose ainsi : peut-on  aménager des passages et franchissements de genre avant les modifications corporelles ? La réponse administrative au cas par cas peut-être une réponse. C’est la solution administrative proposée par l’Australie, un X pour les intersexes et trans’ et la proposition de loi en Argentine en 2011 à la Commission du Congrès argentin par le tissu associatif(10) pour ritualiser les transitions à partir de l’état civil et non des corps, transformés ou non. La solution proposée par le Népal en 2010 reconnaissant l’existence d’un troisième sexe-genre constitue une réponse sociopolitique à moyen terme et une réponse philosophique sur le long temps culturel. Elle n’inclut pas des exceptions et des minorités, elle inclut une population et avec elle, des personnes.


1. La conférence peut être écoutée sur le site de Queer Week, http://queerweek.com, Mercredi 07/03, Conférence, Réflexions sur la transidentité.

2. Autant le contexte du transsexualisme était limité, autant le contexte des transidentités s’ouvre à des espaces de mixité pluri-identitaire. Je ne ferai pas de distinction entre les différentes formes de transidentités sauf précision et surtout pas ce qui constitue le conflit actuel de vrais et faux trans que l’idéologie cisgenre a véhiculé.

3. Attendus de cette Journée d’Etudes, CIM, Dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/

4. Alignement du genre au sexe par assignation fixe : mâle-homme-masculinité, femelle-femme-féminité.

5. CIM 11 et DSM V : faut-il déclassifier les variations de genre ?, Dossier CIM : dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com.

6. Dossier CIM : dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com.

7. LG… BT? Bisexualité, transidentité : invisibilité(s), http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/article-lg-bt-bisexualite-transidentite-invisibilite-s-87645849.html

8. Sujet sous-tendant de nombre de fictions XXY de L. Puenzo, Tomboy dfe C. Sciamma) et de documentaire (Mon sexe n’est pas mon genre, V. Mitteaux; L’ordre des mots, C. et M. Arra).

9. L’ordre des mots, C. et M. Arra.

 10. Association de travestis, transsexuell,es et transgenre d’Argentine ; FALGBT, fédération argentine Lesbienne, gay, bi et trans.


Mis en ligne : 18 mai 2012.

Maëlle Chabert : Les identités plurielles

Maëlle Chabert
Chargée de projet – Prévention santé


L’antenne Jeunes d’Amnesty International a été porteuse de projet les vendredi 10 et samedi 11 juin 2011 dernier.


 

Cela faisait 2 ans qu’il n’existait plus d’antenne jeunes à Nice. Scarlett Pizzetta et moi-même, Maëlle Chabert, avons donc entrepris les démarches pour recréer le groupe et recruter de jeunes bénévoles comme nous, afin de défendre les droits humains en ce qu’il est à notre portée de promouvoir.

Nous avons orienté nos actions de l’année 2011 vers la campagne « Dignité » d’Amnesty International France. C’est alors que j’ai proposé d’aborder un sujet encore mal connu, fantasmé tant que diabolisé : l’intersexuation. Cyrielle N’Diaye étudiant les questions de genre depuis plusieurs années m’a rejointe pour élaborer le projet.

Quelle inspiration en est à l’origine? Celle faisant de tout être une entité ayant droit à la singularité sans être stigmatisé-e et considéré-e comme mystique ou cobaye.

Qu’est-ce que l’intersexuation ?

« Aussi appelée « hermaphrodisme » ou « ambiguïté sexuelle », l’intersexuation est une variation du développement sexuel. C’est-à-dire que les organes génitaux de la personne ne correspondent pas aux standards mâle et femelle.

L’intersexuation est parfois due à une variation génétique comme pour les personnes porteuses des chromosomes sexuels XXY, XYY, XO… mais certaines variations ne sont pas génétiques et restent inexpliquées. De même si certains enfants ont une intersexuation clairement visible à la naissance, d’autres ne la développeront que plus tard (souvent à l’adolescence).

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, beaucoup de personnes sont « tout simplement » XX ou XY alors que leurs organes génitaux ne sont pas dans les normes correspondant à leur caryotype. Quand on parle de chromosomes, il est très facile de penser à des maladies lourdes voire incurables mais l’intersexuation n’est pas une maladie, même si elle peut parfois engendrer des problèmes de santé plus ou moins graves.

Dans notre société, tout ce qui concerne le développement génital et l’identité sexuée est tabou et mal connu mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’intersexuation a toujours existé et n’est pas si rare que ça par contre elle est facilement passée sous silence. »[1]

 

Pourquoi mener une action de sensibilisation ?

Parce qu’au nom de la « difficulté pour un enfant d’être ‘sans étiquette’ », autrement dit ni complètement un homme ni complètement une femme, la plupart des situations d’intersexuations sont traitées dès la naissance avec une urgence sans rapport avec l’état de santé :

– Les parents doivent déclarer le sexe de l’enfant sur l’acte de naissance. C’est-à-dire qu’un enfant qui nait avec une variation du développement sexuel et qui ne peut pas être défini dans une des deux cases, féminin versus masculin, n’existe pas juridiquement donc il « doit être assigné » à une identité sociale normalisée (qui n’est donc pas la sienne véritable)…

– Sans qu’aucun pronostic vital n’ait été prononcé, et le plus souvent en l’espace de 48h, l’assignation sexuelle (opération chirurgicale normalisant l’anatomie) d’un nouveau-né est décidée par une équipe pluridisciplinaire de médecins.

« On ne « blanchit » pas la peau des noirs parce qu’il existe des racistes.

On ne soumet pas un enfant obèse à une liposuccion parce qu’on ne trouve aucune boutique de vêtements dont les tailles ne dépassent le 44. ».

Se pose ici la question de l’assignation d’un genre social et d’une anatomie, choisis par des tiers sans consentement ni revendication identitaire de l’individu lui-même.

Autrement dit, il s’agit d’une atteinte à l’intégrité physique et psychologique d’un être humain qui né pourtant avec des organes totalement sains (sachant que l’on ne parle pas ici des personnes dont les cas nécessitent une intervention vitale).

En rapport à l’appartenance sexuelle, deux notions doivent être posées :
– « sexe » désigne ici la dimension biologique,
– « genre » désigne la dimension sociale, culturelle, affective, morale… avec des rapports toujours changeants au cours de l’histoire.

D’après la plupart des membres du corps médical pratiquant la réassignation sexuelle, « sans sexe identifié, la société est beaucoup plus cruelle car il n’y a pas de visibilité officielle donc ce n’est pas viable pour un individu». Mais c’est justement le bistouri qui invisibilise les intersexué-e-s.

Sans oublier que la chirurgie lourde implique des risques pour la santé : perdre des sensations, traitement hormonal de substitution à vie, stérilité…

De plus, le développement de l’identité de genre n’est pas toujours en accord avec ce qu’ont choisi les médecins / les parents.

Enfin, il est rare qu’il y ait un suivi postopératoire. Or il existe une chance sur deux pour que la décision soit mauvaise : dans ce cas, les erreurs sont très graves mais considérées comme résiduelles.

Au sein d’Amnesty International, la commission LGBT défend les droits des personnes Lesbiennes, Bisexuelles, Gays, et transsexuelles. L’orientation sexuelle et l’identité sexuée doivent être bien distinguées et constituent des dimensions de l’identité humaine qui doivent être considérées comme des droits fondamentaux. Amnesty International s’appuie sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme votée en 1948 en particulier les articles mentionnant le principe de non discrimination et de respect de la vie privée. C’est cependant la toute première fois que le thème de l’intersexuation est abordé.

Nous avons donc proposé à des professionnels et associations spécialisé-e-s dans les questions de genre, ainsi qu’à des personnes concernées par les identités plurielles, de travailler sur la base de films et documentaires. L’association Orféo, plusieurs directeurs de thèse et doctorants de l’UNS travaillant sur les conceptions des genres, les transidentités, les intersexualités et transexualités, ainsi qu’une avocate à la Cour pénale Internationale spécialisée dans les crimes contre l’Humanité ont ainsi constitué le noyau dur des interventions.

Le « grand public » a ensuite été convié à se réunir autour des projections suivies de débats. Grace aux 50 participants présents durant les deux journées, nos objectifs ont pu être atteints : témoigner, informer, faire s’interroger.

Parce que l’inconnu n’offre, par définition, aucun repère et que s’orienter dans un labyrinthe d’ignorance engendre la peur et légitimise le rejet, nous avons basé notre travail sur l’échange, la verbalisation et la parole libre.


 Programme des projections-débats – INTERSEXUATION-S – Contre les discriminations faites aux intersexué-e-s

Organisé par : Maëlle Chabert Co-responsable Antenne Jeunes Nice Amnesty International et Cyrielle N’Diaye

9h30 – 13h30 au Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi 06300 Nice

Comment aborder les intersexualité-s et les identités de Genres dans notre réalité ?

Projection du film « XXY » réalisé par Lucia Puenzo – 2007.

Débat en présence de : Karine Lambert – Historienne, Maîtresse de Conférence, Chargée de mission égalité (IUFM Célestin Freinet, UNS), Maria Stefania Cataleta – Avocate à la Cour Pénale Internationale, Sergio Sarmiento – Maître de Conférence (UNS).

Vendredi 10 juin 2011

15h00 – 18h30 à Amnesty International – 36 rue Gioffredo 06000 Nice

Transexualité-s – Quelle(s) identité(s) ? Genres, Transidentités et Intersexualités.

Court-métrages de Karine Espineira et Maud-Yeuse Thomas

En présence de : Karine Espineira – Doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication,

Maud-Yeuse Thomas – Chercheure indépendante.

 

Samedi 11 juin 2011

9h30 – 13h00 au Cinéma Mercury

Intersexualité-s – Quelles réponses aux discrimations ?

Projection montage – témoignages intersexes – documentaire.

Extraits de « L’ordre des mots » de Cynthia Arra et Mélissa Arra.

En présence de : Ollie Ricart – Co-fondateur de l’Association Orféo – Paris et Perpignan,

Raphaël – Étudiant Master Recherche à l’EHESS, mention ‘santé, populations et politique sociale’ Recherches : ‘Le corps médical face aux corps intersexués’.


La plus grande réussite de ces journées de projections-débats sur les Intersexuations est d’avoir pu mener à terme un projet au sujet complexe et peu connu.

Cela a été rendu possible par la mise en réseau de personnes profondément humanistes, curieuses et respectueuses, ainsi que par la présentation de thèmes abordées sans ambages.

Notre souhaitons que nos travaux et associations futur-e-s ouvrent une réflexion sur l’altérité.

« Pourquoi le physique qui sort de la norme est montré, stigmatisé et rejeté, entre fascination et dégoût ? » [La compagnie des Délices, Le Monstre en trope].

Je suis intimement convaincue que la méconnaissance et l’ignorance sont des vecteurs de peur donc de préjugés et qu’avant de s’insurger ou de vouloir changer le monde, il est important de commencer par parler, informer, échanger, s’interroger, démystifier. Déconstruire certaines représentations et les affects qu’elles mobilisent pour reconstruire ensemble avec des repères tout neufs.


[1] http://asso.orfeo.free.fr

La Transidentité en 2011

 LA TRANSIDENTITÉ EN 2011 :

TOUT BOUGE ET RIEN NE CHANGE
(pour l’instant…)


 

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Cela fait très longtemps que tous les fronts de la contestation trans’ n’avaient pas été actifs en même temps. Ou pour ainsi dire : jamais. Associations, universités, médias, tribunaux… Tout s’empare de la question trans’, ou plutôt « les trans’ s’emparent de toutes ces questions ». Cependant, rien n’a encore réellement changé ; tout du moins pas encore. Tour d’horizon de cette année 2011.

 

L’OUVERTURE DE NOUVEAUX FRONTS

            – Le front juridico-politique : du local à l’Européen

Avec les déclinaisons françaises de la résolution 1728 du Conseil de l’Europe, par Michèle Delaunay à l’assemblée nationale ou François Hollande dans son programme, le front juridique est dés plus actifs. Le lien local-Européen sur cette question, n’avait pas été ouvert depuis la condamnation de la France par la Cours Européenne des Droits de l’Homme en 92. Quant au débat politique, il avait été tout simplement torpillé par l’UMP lors d’un remaniement ministériel sonnant le glas des discussions avec les associations trans’ concernant d’improbables « centres de référence ». Mariage, adoption, stérilisation : les militants trans’ se sont emparés des estrades de visibilité juridiques au-delà même de la question trans’ (le mariage homosexuel par exemple).

– Le front médiatique : des individus et des collectifs

Mais cette visibilité ne s’est pas faite uniformément. D’un côté, des actions individuelles, médiatiquement couvertes (le mariage de Stéphanie Nicot ou celui de Chloé Avrillon) et de l’autre des actions plus collectives, dont la médiatisation a parfois été plus faible, comme lors du T.dor ou de l’Existrans par exemple. Évidemment les médias restent friands d’une transidentité susceptible de faire monter l’audimat. Se succèdent alors des reportages rediffusés (« c’est quoi l’amour ? ») et des tentatives plus abouties, plus généralement saluées par les trans’ eux-mêmes (« mes questions sur les trans’ » de S. Moati). Le « cas » trans’ et la « cause » trans’ se superposent alors pour, avec plus ou moins de succès, imposer médiatiquement des revendications.

– Le maintien d’un fort élan associatif

L’année 2010 fut lourde en événements, notamment avec les réunions ministérielles autour des centres de références proposés par Roselyne Bachelot. Cette année, les associations de terrain n’ont pour autant pas perdu de leur verve militante. Au-delà des cas individuels mis en avant par les associations, le mouvement trans’ a su proposer de nouveaux supports. L’association Chrysalide reste pionnière en la matière avec un site sur la prévention et le VIH («Gare à tes fesses ») poursuivant ainsi le travail d’OUTRANS avec le fascicule « DTC : dicklit et t claques ». En cette fin d’année on notera la publication de la recherche effectuée par Chrysalide et le travail de Mutatis Mutandis qui propose le livre collectif : « La transidentité : des changements individuels au débat de société » (l’Harmattan).

– L’université et les savoirs trans’

Les chercheurs et les militants ont proposé quelques alliances cette année, chose peu fréquente depuis le « ZOO » de Marie Helene Bourcier, notamment avec une série de colloques sur les futurs DSM ET CIM à Bordeaux et Paris (dont l’ODT s’est largement fait l’écho). L’ODT justement, devient aussi une nouvelle plateforme de savoirs et d’informations alliant monde universitaire et monde associatif. Et ces alliances, ces rencontres, trouvent un terrain d’entende dans la dénonciation des monopoles psychiatrisants et excluants, comme on peut le lire dans la conclusion de l’enquête d’Alain Giami :

« Ces résultats, qui font apparaître l’inadéquation relative de l’offre de soins, témoignent égale­ment de l’urgence d’une réflexion sur le protocole public « officiel » de prise en charge des trans en France, notamment en le mettant en regard avec l’offre de soins proposée dans d’autres pays. »

 

LES ANGLES MORTS DES AGENDAS POLITIQUES ET MILITANTS

– L’invisibilité des F/M T X

Mais tous les fronts ne sont pas aussi actifs. La question trans’, toujours dominée par la question « transsexuelle », ne fait que peu de place aux altérités de genre nouvelles telles qu’on les voit dans le reportage « mon sexe n’est pas mon genre » (V. Mitteaux) ou telles qu’elles s’expriment aux UEEH. Avec les associations OUTRANS et Chrysalide une nouvelle génération de militants s’est rendue visible : plus jeunes, MtF autant que FtM, pas forcément suivis par des protocoles ; ils promettaient une visibilité aux nouveaux profils transidentitaires. Pourtant, force est de constater qu’il persiste une zone d’ombre du côté des identités et des corps FT* MTU FTW ou MTX, que l’on n’entend parfois, rarement, dans les subcultures trans’ et queer, mais qui restent inaudibles pour le plus grand nombre.

– La question intersex’…

Aux côtés de la question trans’, la question intersex’ est, elle aussi, souvent évoquée. Pourtant, le mouvement militant intersex’ ne parvient pas, comme commence à le faire le mouvement trans’ et comme a su si bien le faire le mouvement homosexuel, à s’inscrire dans les agendas politiques. Quelques figures et associations intersex’ fournissent néanmoins des éléments vitaux au débat sur la libre disposition de son corps, sur le choix des formes et des fonctions désirées de ce dernier (« Vincent Guillot » ou l’association « Orféo » pour ne citer qu’eux). Alors que quelques partis politiques prennent clairement position sur la question trans’, nous regrettons le silence existant concernant le question intersex’.

– Autour des transidentités

Parler des transidentités c’est aussi parler des questions qui gravitent autour. Celles qui ont touché la question trans’ une fois comme celles qui sont devenues au fil du temps des compagnons de route. Chaque année, les sujets marronniers proposent pour le 01 décembre une action ou un reportage sur le sida. Cette année, entre la recherche d’Alain Giami et celle publiée en ligne par Chrysalide, la question trans’ et celle du VIH se sont affichées côte à côté. On espère que la question ne soit pas aussitôt oubliée. De même pour le sujet de la prostitution, porté par des projets de lois liberticides, dont l’actualité a permis de rappeler les combats (et donc aussi celui des trans’ prostitué.e.s.).

C’est l’occasion pour nous de faire un focus sur la militance théorique depuis la position du chercheur-militant dans sa quête et requête d’une visibilité institutionnelle à la fois en tant que personne et citoyen qu’en tant que chercheur sur un terrain colonisé et dilapidé par une idéologie maltraitante et malhonnête.

 DU DÉBAT ET SON ORDRE 

Quand changer de sexe nécessite un syndrome (L. Hérault)

Les trans attendaient une ouverture du rapport de la HAS et une suite à la déclaration de R. Bachelot en 2009 régulant les pratiques et reconsidérant le sujet trans’. Elle n’a pas eu lieu. Par ailleurs, la trajectoire transsexe, comme trajectoire d’identité essentialisée, vient à écraser les autres trajectoires d’existence non essentialisée qui ne reçoivent aucune attention et proposition, notamment juridique, en reconduisant une violence transsexe vs transgenre. L’initiative du CCOMS dirigé par J-L. Roelandt proposait une table ronde en 2007 où la question trans, co-organisée par M-J. Bertini et P. Desmons pouvait être portée par les trans eux-mêmes, mais n’a pu trouver un espace qu’à la marge de cette rencontre. En ligne de mire, la stigmatisation dans la prise en charge totalement inabordée dans la question trans. Les termes en étaient pourtant clairs : « La lutte contre la stigmatisation doit reposer sur des objectifs définis à partir du vécu même des 
victimes de la stigmatisation et non uniquement à partir des représentations des autres membres 
de la société ou d’hypothèses théoriques. ».

Annonce généreuse mais sans effet car le sujet n’est jamais énoncé et respecté. Décembre 2010, le CCOMS reprend l’initiative dont nous avons rendu compte à l’ODT[19]. Une rencontre a également lieu à Bordeaux le mars 2011[20]. Cette fois, nous sommes partie prenante directe mais le débat n’a lieu que par/dans le retour de ces stigmatisations sur les lieux de la prise en charge, d’une dénonciation des maltraitances et violences et une demande de dépathologisation. En questionnement, le statut de la discipline en charge d’une étude et réflexion dont la Sofect se voulait le nouveau porte-parole coordonné avec C. Chiland et M. Bonierbale[21]. Qu’en est-il de cette frontière, dure ou floue, entre normalité et pathologisation ? Sur quoi repose-t-elle réellement ? Les arguments de la modélisation universaliste et la preuve clinique d’une affection tombés, ne reste que le truchement de relativismes normatifs dont cette population, après d’autres, est victime. Les gender studies ont largement participé à l’ouverture de ce débat, non sans heurts. Tout se passe ici non seulement comme une refermeture sur une exception isolée dont l’hégémonie pratique de la psychiatrie serait la garante, mais encore un déni culturel de l’évolution de la société mettant en branle des subjectivités non essentialistes.

Le débat sur la dépsychiatrisation se voulait être une double réflexion ;

1/ sur le statut paradoxal d’une discipline abordant ce sujet via des normes historiques datées et pensées comme cadre indépassable ;

2/ d’un partage des expertises et connaissances du terrain mobilisées dans son contexte par les trans’ et disqualifiées par un contexte de contrôle étatique via la procédure de changement juridique de « sexe ».

Une réflexion largement oblitérée par le statut même d’une affection mentale inconnue et le rôle qu’on lui fait tenir, attenante à la transgression de normes décrétées « collectives » et non à un trouble mental qui n’existe pas plus que celui de l’homosexualité. Il est manifeste ici que l’on s’ancre sur un historique moral des normes et des discriminations culturellement partagées dans notre société et y sacrifie l’évolution de la société, la demande de reconnaissance pour une égalité concrète.

Soulignons donc le statut et rôle particulier de surveillance d’une pensée et pratique maltraitantes comme hier avec celle de l’homosexualité. La prise en charge, d’abord économique via la Sécurité sociale, s’effectue non sur l’individu trans’ que des passions, rejets et dénis, que ce sujet suscite depuis une conception datée de « rapports sociaux de sexe » où cette forme particulière de psychiatrisation apparaît comme un mode de gestion des transgressions suivant là les précédents historiques du travestissement et de l’homosexualité. La thèse de la relativisation culturelle se heurte en effet de plein fouet avec la conception d’une unicité et cohérence de société partout battue en brèche, d’où ces soubresauts passionnels, dénis et rejets, lorsqu’il s’agit de réformer une conception, voire simplement de la nuancer. Au total, un débat de fond qui n’a jamais été mené, notamment pour des raisons morales, mais également de représentations où les normes de genre joue un rôle de régulation dans un mixte passionnel de tabou, discrimination, pouvoir sur autrui débouchant toujours sur des dénis et rejets violents. Toutes choses qu’il fallait dégager d’une gangue ordinaire.

 L’ordre des mots

Les documentaires de C. et M. Arra (L’ordre des mots) et V. Mitteaux (Mon sexe n’est pas mon genre) traduisent la prise de parole, la brutalité des heurts avec le tri entre les différents types de transidentités survisibilisant le process transsexe contre les autres identités-trajectoires, lequel apparaît dans sa liaison avec le statut de la normalité et non de santé psychique, sous-tendant une classification politicosexuelle arbitraire sous le couvert de médicalité, promu nouvel ordonnateur de la régulation normée des genres dans leur différence. Plutôt que d’instaurer un dialogue entre des trajectoires d’existence non alignées sur les normes sociales de genre (du travestissement comme franchissements permanents ou temporaires au transsexualisme entendu comme transition juridico-chirurgicale), l’on spécule sur une affection que la clinique ne constate pas mais avalise tant le sujet provoque la croyance ordinaire pour reformer -sans le reformuler- un invariant anthropologique majeur, la différence de sexes en tant qu’instance et réel de l’humain, ainsi que les tensions ordinaires de l’ordre binaire.

Comment devient-on ce que l’on est ? Comment devient-on homme ou femme ? Le sexe est-il toujours le genre ? Quelle est la fonction psychique d’un franchissement de genre ? Cette question s’est déplacée aujourd’hui en direction de l’humain lui-même. Comment accède-t-on à l’humanité ? Le sujet qui pouvait éclairer, du fait même de sa situation paradoxale en prise sur le devenir et la condition humaine, ne reçoit qu’une réponse technique et une gestion de l’exception pathologique faute de régulation socioculturelle et de décision politique. Or celle-ci était à même d’apporter une partie de la solution dans son rôle d’accueil des situations difficiles et stigmatisantes ; situations propres à détruire un développement harmonieux lors de l’enfance. En préférant la limitation volontaire via les normes de genre, l’on a créé artificiellement un transsexualisme médico-chirurgical. Ce faisant, l’on a créé un problème de santé psychique et un appel à une résolution technique et non sociale où le care est subordonné à une théorie du développement psychosocial d’un individu donné dans une société donnée. Si la stigmatisation est partie liée à la différenciation des comportements et donc des individus dans une société, elle est ici le biais destructeur que la notion d’affection mentale vient ancrer dans un fantasme de médicalisation de l’identité faisant ordre en fisant taire les subjectivités minoritaires.

Tout cela devait faire l’occasion de débats, entre ce groupe culturellement inattendu (du moins en Occident), la société dans son ensemble et avec les tenants du dossier, l’Etat en tête. Comment régule-t-on cette situation dans les pays voisins d’Occident et dans les sociétés non-occidentales que l’anthropologie questionne depuis maintenant un siècle ?  Aussi, devant l’impasse manifeste et la possession de ce sujet par une discipline, la psychiatrisation (entendue comme processus de tri moral), le changement vient, à l’instar de l’homosexualité et des questions féministes, des intéressé.es eux/elles-mêmes.

Nous sommes bien loin de passeurs de monde des sociétés chamaniques régulant par le rituel les franchissements de genre. De même du cadre global des Droits de l’Homme dont Thomas Hammerberg rappelle l’enjeu. Reconfiguré et re-théorisé à l’instar des problématiques homosexuelles et identitaire postféministe, c’est la société hétérosexuelle dans son figement normatif qui est interrogée depuis la reformulation politique de M. Foucault, philosophique, psychanalytique et anthropologique. Autonomisé de fait, mais toujours psychiatrisé dans son nouement à l’assignation administrative et juridique, le sujet n’est plus ce changement chirurgico-médical de sexe, mais le sujet éclairant tout ce qui, du social et du culturel s’est dogmatisé dans un rejet et déni d’un Autre.

 

Conclusion : Quid du privilège cisgenre ?  

En réalité, si la question trans’ parvient à faire bouger les lignes, ce n’est pas uniquement du côté du transsexualisme ou plus généralement dans les subcultures transidentitaires que devrait se faire sentir les conséquences de ces changements, mais, plus généralement, sur l’ensemble des normes sociales qui rigidifient les corps et les identités. Mais il est encore trop tôt pour véritablement voir l’impact de ces actions et de ces propositions sur la culture cisgenre. Car s’il existe un horizon au débat, c’est bien celui-ci : comment faire en sorte de déstabiliser les privilèges cisgenres de manière à desserrer le carcan qu’ils imposent sur les vies excentriques ?


http://www.michele-delaunay.net/assemblee/index.php/post/2011/12/28/CP-Identit%C3%A9-de-genre,-changement-de-sexe-%C3%A0-l-%C3%A9tat-civil-%3A-la-proposition-de-loi-de-Mich%C3%A8le-Delaunay-marque-un-pas-d%C3%A9cisif

http://francoishollande.fr/communiques/une-proposition-de-loi-pour-sortir-les-personnes-trans-de-l-impasse/

Le site de l’association dont elle est porte parole : http://www.trans-aide.com/ta2-lor/ta2-lor-accueil.htm

http://www.transgenderdor.org/

http://existrans.org/

http://chrysalidelyon.free.fr/

http://chrysalidelyon.free.fr/gatf/

http://outrans.org/

http://chrysalidelyon.free.fr/sondage_sante2011.php

http://www.mutatismutandis.info/

BOURCIER Marie Helene, Q comme queer, éditions GKQ, 1997.

GIAMI Alain, BEAUBATIE Emmanuelle, LE BAIL Jonas, « Caractéristiques sociodémographiques, identifications de genre, parcours de transition médicopsychologiques et VIH/sida dans la population trans. Premiers résultats d’une enquête menée en France en 2010 » BEH (Bulletin d’épidémiologie hebdomadaire), 42, novembre 2011.

http://www.ueeh.net/

http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/article-identite-intersexe-et-identites-plurielles-en-debat-80167789.html

http://asso.orfeo.free.fr/topic/index.html

  Vaincre les discriminations en santé mentale, http://www.jle.com/fr/revues/medecine/ipe/e-docs/00/04/36/7F/article.phtml

Interventions : Karine Espineira, Tom Reucher, Maud-Yeuse Thomas, http://natamauve.free.fr/Stima-queer/Stigma-q-thomas.html

Troisièmes rencontres internationales du Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS) : « STIGMA ! Vaincre les discriminations en santé mentale », Nice du 12 au 15 juin 2007, http://amades.revues.org/index79.html

Dossier CIM : dépsychiatriser !, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/

Le transsexualisme et après : le normal et le pathologique du genre en question, Université Bordeaux Ségalen, Centre Emile Durkheim, Bordeaux.

Respectivement présidente d’honneur et présidente de la Sofect.

CIM10, Chap..V, Troubles mentaux et du comportement, F64.0 transsexualisme énoncé comme suit : Il s’agit d’un désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation par rapport à son sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré.

CIM10, Chap..V, Troubles mentaux et du comportement, F64.1. Travestisme bivalent énoncé comme suit : Ce terme désigne le fait de porter des vêtements du sexe opposé pendant une partie de son existence, de façon à se satisfaire de l’expérience d’appartenir au sexe opposé, mais sans désir de changement de sexe plus permanent moyennant une transformation chirurgicale; le changement de vêtements ne s’accompagne d’aucune excitation sexuelle. Trouble de l’identité sexuelle chez l’adulte ou l’adolescent, type non transsexuel.

L’ordre des mots, documentaire de C. et M. Arra, 2007.

C’est le fil rouge du film Ma vie en rose, d’Alain Berliner.

Marie-Antoinette Czaplicka, Aboriginal Siberia. A study in Social Anthropology, 1914, Oxford, Clarendon Press, cité par B. Saladin d’Anglure, Réflexions anthropologiques à propos d’un «3e sexe social» chez les Inuit (2006), http://classiques.uqac.ca.

Thomas Hammarberg, Droits de l’Homme et identité de genre, http://www.acthe.fr/information/viewartrub.php?a=115.

Judith Butler, Défaire le genre, Ed. Amsterdam, 2009.

  S. Prokhoris, Chemins vicinaux. Transmettre : verrouiller l’identité ou laisser jouer l’aléatoire, http://www.lrdb.fr/articles.php?lng=fr&pg=1184

L. Hérault, Constituer des hommes et des femmes : la procédure de transsexualisation, Terrain n°42, 2004, http://terrain.revues.org/1756

Maud-Yeuse Thomas : De la transphobie étatique

De la transphobie étatique
Maud-Yeuse Thomas
Chercheure indépendante

 

    Logo Trans

 

Ma question porte sur la notion de transphobie étatique et en quoi celle-ci est caractérisée. La liste des discriminations, stigmatisations et justifications d’exclusion, est assez conséquente. La France résiste à inscrire la discrimination sur l’identité de genre malgré les harcèlements et licenciements abusifs, agressions et meurtres, oblige à une psychiatrisation et aux THC[1]. Le préalable à la question des papiers d’identité, distingue les différentes types de transidentités, oblige à un divorce lorsqu’une personne trans est mariée et désire modifier son état civil. A cela, il faut ajouter le volet juridique, le changement d’identité ne s’effectue que sous la condition d’opérations de conversion sexuée alors même qu’on prétend les empêcher au nom de valeurs et de savoirs et cette sorte de surplomb qualifié aujourd’hui d’anthropologique : il n’y a que des hommes et des femmes et ce fait est naturel et culturel mais surtout et universel. Or pourquoi parle-t-on aujourd’hui des trans ? Parce que cette forme d’identité est universelle. Toutes les sociétés ont eu à y répondre et la réguler.

    En Occident, fort de la médicalisation jointoyée de la dimension légale de nos identités, on a fait croire qu’il y a une maladie mentale, d’où cette psychiatrisation. Si le sexe est plus petit dénominateur commun pour nous définir en tant qu’individu et entre individus, changer de sexe est-il pathologique ? Ce n’est pas une définition médicale que je vous donne là mais une définition de nature culturelle. S’il y a un « état de normalité » universel d’être un homme ou une femme (quelle que soit la définition culturelle de la normalité), tout ce qui s’en distingue relève, dans cette médicalisation, d’un « état de pathologie ». Les déviants remplaçants les fous d’antan, les pathologies remplaçant les transgressions d’autrefois. Les trans remplaçant les homosexuels dans cette hiérarchie et fabrique de déviants.

    Pour y répondre de manière plus précise, je vais faire un détour par un état des savoirs confronté à notre tradition. Précisons le cadre juridique. L’article 57 du Code Civil énonce les attendus suivants :

« l’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et les prénoms qui lui seront donnés… ». C’est l’examen des organes génitaux externes du nouveau-né qui détermine :  

– l’appartenance à l’un ou l’autre sexe,

– la reconnaissance de cet état par la société (Etat Civil),

– l’attribution de prénoms, le plus souvent sans ambiguïté quant au sexe de celui qui le porte.

     Le point le plus important réside dans une double indisponibilité, celle de l’état de la personne et l’acte de naissance. Répondre à cette demande impliquait de répondre à l’état civil où sexe et genre sont indissolublement liés et surtout, culturellement et socialement inextricables. On le voit avec la mention du prénom sans ambiguité… Quelle est sa signification ? Vous êtes assignés à une identité dès votre naissance et celle-ci est réputée fixe et unitaire. Distinguer le sexe du genre comme le fait les Gender studies implique trois faits majeurs :

1/ notre société, nos représentations sont binaires, oppositionnelles et matérialistes et exclut toute identité tiers et tout passage ritualisé d’un sexe social à l’autre comme dans d’autres sociétés ;

2/ notre intégration quotidienne implique d’être tout l’un ou tout l’autre, ce qui va induit ce tiers dans une marginalité culturelle réinterprétée en trouble mental ;

3/ l’indisponibilité de l’état de la personne et l’acte de naissance créé une obligation des THC.

Trois exemples de savoirs :

    L’ethnologie-anthropologie a introduit le premier un doute sur la constitution des identités et le statut de l’universalisme. Margaret Mead montre la première que si le féminin et le masculin, l’homme et la femme sont universels, ce qui est féminin ou masculin change d’une société à l’autre, ne sont pas articulés culturellement de la même façon et n’appartiennent pas aux mêmes champs de significations. On ne peut donc se référer à un universalisme abstrait.

    L’endocrinologie-biologie va mettre notre croyance d’une différence naturelle des sexes à mal. Outre les intersexués, certaines femmes sont XY, des hommes XX… Les chromosomes qui devaient apporter avec les hormones la preuve ultime d’une nature et d’une invariabilité invalident l’idée d’exceptions pathologiques (quelle que soit la définition que nous en donnons). Les sciences humaines comme la sociologie invalident aujourd’hui le lien entre pathologie et marginalité en montrant comment les discriminations la produisent.

   Les travaux en neurologie montrent que bipolarisation du cerveau distinguant hommes et femmes « en nature » est fausse. La plasticité du cerveau indique que la plus grande différenciation ne réside pas entre deux groupes socialement constitués, les hommes et les femmes, mais d’un individu à l’autre, indépendamment de son sexe biologique, sa sexualité, son genre et identité de genre.

Ce débat montre essentiellement :

1/ le devenir n’est nullement inscrit dans la naissance et l’assignation ;

2/ la distinction entre l’éducation dans un genre fixe et unique et le vécu ;

3/ les discriminations fondées en tradition sont remplacées par des « savoirs » protégés par des « expertises ».

   Toutes ces disciplines montrent que plus que la différence des sexes, c’est la généralisation des différenciations qui explique ces différences ordinaires que nous prenons pour normales, et que signifions par les termes de masculin ou féminin, femme ou homme. Normal signifiant commun, ordinaire et non cet indicateur moral/amoral, normal/anormal, sain/pathologique. Or ces savoirs sont mobilisés pour maintenir un état de la tradition en violant ses propres principes et valeurs (et notamment la lutte contre les discriminations), en triant un groupe social de la population au motif d’une maladie qui n’existe pas ou d’une exception qui viole le principe même d’une éthique médicale. Dans d’autres cieux, nous appellerions cela une ethnicisation.

   La résolution 1720 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe porte justement sur les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre[2]. L’article 3 note :  

Parmi les principaux sujets de préoccupation figurent les violences physique et verbale (crimes et/ou discours de haine), les restrictions injustifiées de la liberté d’expression, de réunion et d’association, les violations du droit au respect de la vie privée et familiale, les violations des droits à l’éducation, au travail et à la santé, ainsi que la stigmatisation récurrente.

    La tradition est devenue le lieu d’un conflit avec les savoirs eux-mêmes que la matrice médicale et juridique protégeaient jusque là.

Retour sur la prise en charge en France

    En France, la première équipe hospitalière est montée et les premières opérations sont effectuées à partir de 1979. Celles-ci ne sont pas accompagnées par le changement juridique jusqu’en 1992. A cette date, la Cour européenne demande aux Etats européens de permettre le changement juridique dans les cas de changement de sexe sur le motif du respect de la vie privée (art.8)[3]. La Cour de cassation en France y répond d’abord par le principe d’indisponibilité de l’état de la personne (vous ne pouvez disposez de vous-même) puis elle répond que l’on ne peut « attribuer au transsexuel un sexe qui n’est pas en réalité le sien » sur le motif d’arguments endocrinologiques que la discipline a elle-même invalidé. Puis la France change d’avis en accordant ces changements sous condition de cette psychiatrisation qu’elle avalise sur un état des savoirs. En fait, un simple transfert des discours pathologisants sur l’homosexualité comme inversion sexuelle au transsexualisme compris comme inversion de l’identité sexuelle que l’on appelle désormais dysphorie de genre. Bref, la prise en charge s’accompagne de cette fabrique de discours nullement médicaux mais de cette violence légale des normes que l’Etat moderne veut voir respecter au nom d’une tradition historique. La pathologie n’existe que pour sauvegarder l’idée d’une normalité et naturalité du fait humain et donc de l’homme et de la femme.

   Le transsexualisme se trouve désormais inextricablement liée à une pratique de changement de sexe incluant un changement administratif de papiers d’identité qui vient après alors qu’il fallait l’aménager avant. Se trouve ainsi reformée la co-dépendance médicale et légale d’une normalité et une anormalité psychomédicales se substituant à une régulation sociale démocratique et/ou sacrée. Bref, on régule une tradition, des rapports sociaux traditionnels avec des critères et outils de la modernité.

   La France, comme d’autres pays, délègue entièrement à l’instance médico-légale la question de savoir ce qu’il est de cette demande, de ce qu’est le « sexe ». C’est une psychiatrie sociale et légale qui y répond et non une psychiatrie clinique qui, d’ailleurs, ne veut pas y répondre et reste muette. Rien de médical ni de légal ici, uniquement des avis et théories reposant sur des ignorances et des discriminations, voire des discours de haine, au nom d’une tradition. L’important ici tenant en trois faits :

1/ l’apport thérapeutique échoue à répondre au sentiment de soi des personnes trans et intersexe ;
2/ ce sentiment de soi est le même que tout un chacun-e ;
3/ les intéressé-es se trouvent nettement mieux après transition (quelle qu’elle soit).

    Devant le moratoire engagé par nombre de pays en Europe concernant la question intersexe, la France continue à les opérer. En 2007, L’Espagne adopte une loi pour les transidentitaires en permettant aux transgenres et transsexes d’obtenir des papiers d’identité dans leur genre vécu sans la chirurgie de conversion sexuée, la France s’abstient link. Début 2010, Roselyne Bachelot alors Ministre de la Santé, veut dépsychiatriser la question trans mais reçoit de la part des praticiens un désaveu total. Une psychiatre a même créé une société, la Sofect, pour reprendre la main Réponse à la SOFECT. On a là un curieux détour de l’Etat français a qui a délégué à ces psychiatres une gestion officieuse de l’exception en fermant les yeux sur les violences, en maintenant l’idée d’un principe d’indisponibilité de l’état de la personne et de l’acte de naissance. C’est peu dire que notre société est victime de ses propres croyances et le transsexualisme est un exemple parmi beaucoup d’autres.

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Quelques mots de conclusion

    L’État veut pouvoir s’appuyer pour son administration des états  sur les démonstrations de savoirs médicaux et scientifiques qu’il mobilise. Or, ceux-ci ont progressivement invalidé l’idée d’une pathologie. Ils font apparaître une contradiction avec la tradition et le devenir humain. Bref, l’administration fixe contre la philosophie du devenir. On défend là cette tradition fixiste et non le fait humain, des rapports sociaux de sexe et non un épanouissement dans une société mature. Notre société veut pouvoir s’appuyer sur un ou des invariants au nom de cette tradition dans un porte-à-faux avec la modernité. Nous-mêmes, nous voulons nous assurer de cette invariabilité, de cette certitude que la différence des sexes ne bouge pas. D’où ce chassé-croisé, cette fascination-répulsion sur les trans après les homosexuels et les travestis.

   Les questions connexes du racisme, du sexisme, de l’homophobie et la transphobie pose cette question : puis-je vivre paisiblement comme chacun-e d’entre vous ?


Références bibliographiques :

 Mead M.,« Adolescence à Samoa », 1928, et « Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée », 1935, traduits et rassemblés en France sous le titre Moeurs et sexualité en Océanie, 1963, rééd. Pocket, coll. «Terre humaine », 1993.

Vidal C. (2006), dir. Féminin Masculin, Mythes et idéologie, Berlin, Paris.


[1]  Traitements hormono-chirurgicaux.

[2] http://assembly.coe.int/mainf.asp?Link=/documents/adoptedtext/ta10/fres1728.htm

[3] « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance… ».

Tom Reucher Dépsychiatriser sans démédicaliser

Tom Reucher
Psychologue clinicien, trans FtM,
Transidentité:
http://syndromedebenjamin.free.fr


 

Dépsychiatriser sans démédicaliser,
une solution pragmatique

 

1. Petit lexique

La médecine puis la société désigne les trans’ par des termes inadaptés: “transsexualisme”, “transsexualité”, “transsexuel”, qui renvoient à une question de sexualité. Ces termes sont issus d’une confusion entre l’attirance amoureuse et sexuelle et l’identité de genre en prenant comme modèle homosexualité et hétérosexualité.

Nous préférons parler de “transidentité” car c’est une identité. Transidentité au sens des identités trans’, qu’elles soient transsexes (plutôt que “transsexuelles”) ou transgenres. Le terme “transsexe” est construit sur le modèle “transgenre”. Nous disons les “personnes trans’” ou “les trans’” (avec une apostrophe) quand nous parlons des “personnes transsexes et transgenres”. Comme vous le savez, les trans’ peuvent être hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, asexuels… Nous n’utilisons plus “transsexualité” ni si possible “transsexualisme”, les deux étant remplacés par “transidentité”.

2. Problématique de l’identité de genre

Il s’agit d’un développement atypique ou d’une variation de l’identité de genre, non d’un trouble. Si seule une minorité de personnes présente cette variation du développement identitaire, cela n’en constitue pas pour autant une pathologie. Pas plus que la minorité des gauchers n’a un trouble de l’habileté sous prétexte qu’elle est moins nombreuse que la majorité droitière.

3. Dépsychiatriser la transidentité

Après la sortie de l’affection psychiatrique de longue durée pour une ALD hors liste, la France avait prévu de demander à l’OMS de dépsychiatriser la transidentité. Toutefois, avec le changement de gouvernement, nous ne savons pas si cette démarche sera poursuivie.

 3.1. Dépsychiatriser et démédicaliser

Dépsychiatriser ne suffit à pas à nombre de trans’ qui voudraient aussi la dépathologisation ou démédicalisation, c’est à dire la sortie de la Classification Internationale des Maladies et de tout autre manuel. Ils pensent que la prise en charge n’a pas besoin de lister la transidentité dans une quelconque classification de maladies, son remboursement ne devant être qu’une volonté politique. Si je suis d’accord sur le fond (ce n’est pas une maladie), je suis conscient que nombre de pays ne sont pas politiquement prêts à prendre en charge des problématiques qui ne sont pas considérées par l’OMS comme ayant besoin de soins (les traitements hormonaux et chirurgicaux sont des soins). La sortie de la CIM entraînerait la suppression de la prise en charge par les systèmes d’assurances maladies dans de nombreux pays alors que les traitements hormonaux et chirurgicaux sont très coûteux. C’est pourquoi je propose une solution pragmatique permettant l’accès aux traitements hormonaux et chirurgicaux pour les trans’ qui le souhaitent et qui n’ont pas les moyens de les financer. Rien n’empêchera les personnes qui veulent tout payer de continuer à le faire.

      3.2. Pourquoi dépsychiatriser

Depuis qu’elle existe, la psychiatrie a été utilisée par les états pour définir ce qui est “normal” ou pathologique, ce qui acceptable ou inacceptable. On a donc pathologisé ce qui ne convient pas à la morale, à la majorité, ce qu’on ne comprend pas et qui dérange, afin maintenir un certain ordre. L’homosexualité, l’autisme, la transidentité, certaines formes de pratiques sexuelles qui n’aboutissent pas à la procréation (BDSM [bondage, domination, soumission, masochisme], sodomie, jeux sexuels…), etc.

Cette fâcheuse habitude de classer dans les maladies mentales tout ce que l’on ne comprend pas ou qui dérange est à interroger.

Déclassifier la transidentité de la liste des maladies mentales ne veut pas dire démédicaliser. Les trans’ ont besoin de soins (hormones, épilation définitive, chirurgie…), d’accompagnement psychologique, ça ne veut pas dire qu’ils ont une maladie mentale. Par ailleurs, il est plus facile de faire un travail psychologique avec une personne quand elle n’est pas contrainte à consulter. Un travail psychologique sur la déconstruction des “normes”, de la honte de soi, du sentiment d’être une mauvaise personne, de ne pas être digne d’être aimé… est souvent utile. Une fois le problème de l’accès au traitement hormonal résolu, de nombreux trans’ n’hésitent pas à faire cette démarche.

Depuis plus d’un siècle, la psychiatrie n’a eu de cesse de trouver une réponse contre la transidentité. Après avoir essayé tous les traitements disponibles (cure de Sakel, comas insuliniques, électrochocs appelés maintenant sismothérapie ou encore électro-narcose, lobotomie, molécules neuroleptiques et neurochimiques, psychothérapies diverses y compris les aversives…) en combinaison ou en association, aucune piste causale ni thérapeutique ne se dégage. Si aucune thérapie psy n’a guéri une variation de l’identité de genre, les hormones et la chirurgie (pour les trans’ qui le souhaitent) améliorent considérablement leur vie depuis plus de 60 ans. Pourquoi leur refuser ce qui les aide le plus? Pourquoi vouloir contrôler les corps et les identités trans’?

Transférer la responsabilité de la décision du traitement à la personne trans’ plutôt qu’à un psy me semble être la piste la plus efficace. Quand les patients concernés sont mis en situation de décider de commencer le traitement qu’ils demandent dès qu’ils le souhaitent, ils ne se précipitent pas tous chez l’endocrinologue. Certains vont temporiser et commencer un travail psychologique ou attendre que leur situation personnelle ou professionnelle soit plus favorable.

Il reste qu’on ne peut pas exiger que les trans’ aient un meilleur équilibre psychologique que le reste de la population pour avoir accès aux soins dont ils ont besoin. On n’en demande pas tant aux couples stériles qui demandent une procréation médicalement assistée. Pourtant, ils vont avoir à éduquer un enfant.

Sortir la transidentité de la liste des maladies mentales est fondamental pour l’évolution des droits des trans’. Où en seraient les droits des lesbiennes et gays si l’homosexualité était toujours psychiatrisée? Pour les mêmes raisons, ne pas y faire entrer les intersexuations est tout aussi fondamental pour les intersexes.

Dépsychiatriser la transidentité, c’est permettre que la transphobie soit reconnue comme une discrimination. On ne discrimine pas des malades mentaux. Comment être pris au sérieux avec cette étiquette? C’est connu, les malades mentaux n’ont pas toute leur tête! On en conclu donc qu’ils ne sont pas capables de décider de ce qui est bon pour eux. Tant que la transidentité sera une maladie mentale, les trans’ seront des personnes sans droit qu’on pourra discriminer en toute impunité. N’oublions pas qu’il y a des trans’ qui se font agresséEs, assassinéEs uniquement à cause de leur identité de genre atypique.

Quand on se rappelle comment étaient traités les enfants gauchers ou les enfants adultérins dans les années 50, par manque d’information ou pour des raisons morales et comment on considère ces mêmes personnes dans les années 2000, on peut mesurer l’évolution de la société, de ses mœurs et de ses connaissances. C’est la même histoire qui se répète avec les trans’. Beaucoup de chemin reste à faire pour qu’ils soient considérés aussi bien que les gauchers aujourd’hui.

Aucune majorité n’a raison et ne constitue une “norme” uniquement parce qu’elle est majoritaire. Le degré de civilisation d’une société se mesure à sa capacité à intégrer les populations situées aux marges d’une courbe de gausse (en cloche) par rapport à la majorité. Ce sont ces populations qui font évoluer les “normes” d’une société. En conséquence, nous avons tout intérêt à connaître et respecter les populations et cultures marginales, c’est à dire minoritaires. Je pense à une société libertaire, une société qui permette à chacun d’y avoir une place, une société sans domination ni discrimination.

      3.2.1. Stigmatisation

Les malades mentaux ont mauvaise réputation et sont marginalisés par la psychiatrisation. Pourtant ils n’ont pas choisi d’être malades, ils n’ont pas d’emprise sur leur pathologie. Reproche t-on à quelqu’un d’être cardiaque ou diabétique? Pourquoi en vouloir aux malades mentaux? Parce qu’ils sont trop différents, trop étranges! C’est aussi une forme de racisme. Quant aux personnes qui se développent d’une façon “marginale”, c’est à dire d’une façon non conforme aux habitudes d’une majorité, c’est la société qui a “fabriqué” leur marginalisation, elle se doit donc de ne pas les exclure, de ne pas les juger. Il faudrait sans doute changer le vocabulaire et aussi diffuser des informations à destination du grand public via des documentaires, des fictions…

Les mots ont leur importance. Pour prendre un exemple récent, parler de “désordre du développement sexuel” me semble péjoratif. Pourquoi toujours penser en terme de déficit ou de manque alors que, quelles qu’en soient les causes, il s’agit d’une “variation du développement sexuel”. Cela ne veut pas dire que le porteur de cette variation ne pourrait pas obtenir une correction ou modification s’il le souhaitait.

Les variations du développement sexuel ne devraient pas relever des procédures de la transidentité, les dites variations étant suffisantes à mes yeux pour permettre aux personnes intersexuées de s’orienter dans un genre ou l’autre si elles le demandent. Les divers tests (biologiques, génétiques…) devraient donc être faits en première intention avant toute orientation dans un processus de soins.

Quelle que soit l’origine de la transidentité, on ne choisit pas d’être trans’, pas plus que d’être homosexuel ou gaucher. On a tendance à oublier que ce sont d’abord des enfants qui ont ce problème identitaire. A force d’être rejetés et discriminés parce qu’ils sont différents, les trans’ ont souvent une mauvaise image d’eux-mêmes. Ils ont intégré le fait d’être une mauvaise personne dès l’enfance. C’est la transphobie intériorisé. Les conséquences de la stigmatisation influent sur l’équilibre psychologique des personnes concernées. S’il y a besoin d’une aide psychologique, elle concerne les conséquences de la discrimination subie à cause d’une identité de genre atypique. Je ne note pas ces difficultés d’estime de soi chez les personnes dont la culture permet cette variation de l’identité de genre.

D’autre part, pourquoi faudrait-il avoir une anatomie conforme à l’autre sexe alors que l’on ne sait pas vraiment bien faire? Les intersexes existent. Il ne devrait pas y avoir de contrainte artificielle à la “normalité” sociale ou médicale. Ce ne serait pas grave s’il y avait plus de personnes ne correspondant pas aux 2 anatomies habituelles ou majoritaires. Le corps médical ne devrait pas être dérangé par ces variations anatomiques. Tant que la santé n’est pas en jeu, il n’y a pas lieu d’imposer une voie ou une autre s’il n’y a pas de demande de la personne concernée. Ceci est fondamental et est en droite ligne des recommandations de Thomas HAMMARBERG.

4. Propositions pour une nouvelle classification

Pour acter la dépsychiatrisation des transidentités, il faut partir sur une nouvelle organisation des soins et inventer une procédure simple, permettant de rassurer les professionnels de santé. En France, les usagers proposent de partir sur le modèle de l’interruption de grossesse dans ses débuts. Certes, l’interruption de grossesse ne modifie pas le corps de la femme mais ce n’est pas un acte anodin et il peut avoir autant de conséquence qu’un traitement hormonal chez une personne transidentitaire.

L’idée, c’est la libre disposition de son corps. Si une personne ne désire pas procréer, pourquoi n’aurait-elle pas le droit de se faire stériliser? On opère sans difficulté le nez qui est un aspect majeur du visage alors qu’on prend beaucoup de précaution pour les parties génitales qui, elles, ne se voient pas. Si cela lui convient, l’aspect génital d’une personne ne l’empêche pas de fonctionner socialement, professionnellement et familialement. C’est sur le plan sexuel et conjugal que le problème peut se poser.

      4.1. Résumé du parcours de soins proposé par les usagers en France

— Première procédure de consentement éclairé en 1 mois (Centre de planning familial).

— Traitement hormonal et test de vie réelle avec les hormones. Epilation, rééducation vocale, chirurgie non génitale à la demande (FFS, pomme d’Adam, mastectomie). Accompagnement psychologique si souhaité à tout moment.

— Pour la chirurgie génitale, seconde procédure de consentement éclairé en 1 semaine un an après le premier consentement éclairé (au minimum).

— Changement d’état civil dès que la personne l’estime nécessaire et au plus tôt 6 mois après le premier consentement éclairé. Changement de prénom dès le premier consentement éclairé.

    4.2. Propositions

La transidentité pourrait être classée (comme le sont la contraception et l’avortement non pathologique Z30.3) dans le CHAPITRE XXI. Voici plusieurs possibilités dans ce chapitre:

1.Z00-Z99 Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé
Z55-Z76 Sujets dont la santé peut être menacée par des conditions

 socio-économiques et psycho-sociales
[…]
Z60.5 Cible d’une discrimination et d’une persécution
 Discrimination ou persécution, réelle ou perçue comme telle, pour des
 raisons d’appartenance à un groupe (défini par la couleur de la peau, la
 religion, l’origine ethnique, l’identité de genre, etc.)
 et non pour des raisons liées à la personne.

Concernant Z60.5, il serait utile d’ajouter à la liste «l’identité de genre» même si le «etc.» laisse le champ libre.

2.Z70-Z76 Sujets ayant recours aux services de santé pour d’autres motifs

qui après ajout d’un point Z77 devient:

Z70-Z77 Sujets ayant recours aux services de santé pour d’autres motifs
[…]
Z77 Variation de l’identité de genre ou «identité de genre atypique»
   ou «transidentité» ou «trans-identité» ou «trans identité»

3.Z40-Z54 Sujets ayant recours aux services de santé pour des actes médicaux et des
 soins spécifiques

Z40 Opération prophylactique
[…]
Z40.1 Traitements prophylactiques pour variation de l’identité de genre
 ou «identité de genre atypique» ou «transidentité» ou «trans-identité»
 ou «trans identité»

Pourquoi en Z40.1: s’il n’y a pas de traitement possible pour la transidentité, il y a des risques de santé publique à cause du désespoir: suicide ou tentative, dépression, hormonothérapie sauvage, prostitution pour se payer les traitements hormonaux et chirurgicaux, abus de substances (drogues, alcool), exposition à des risques de contamination aux IST…

Il ne me semble pas utile de différencier les personnes qui souhaitent seulement un traitement hormonal de celles qui demandent aussi une chirurgie génitale, les avis peuvent changer dans un sens ou dans l’autre en fonction de l’expérience du vécu. Par exemple, un FtM qui souhaitait un phalloplastie peut y renoncer après avoir pris connaissance des difficultés à la réaliser et des risques opératoires. Une MtF peut après plusieurs années de traitement hormonal avoir envie d’aller plus loin dans sa transformation et demander une vaginoplastie. De même, la distinction de l’orientation sexuelle n’est pas pertinente car elle est de nature différente de l’identité de genre.

Je tiens aussi à préciser que le terme “transgenre” ne sera pas utilisable en France dans le domaine médical car il a été déposé par une association comme marque à l’INPI en 2005 dans les classes pharmaceutiques, médias et art.

 

5. Conclusion

On ne peut qu’être d’accord avec cette définition de la santé par l’OMS : «état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.»

Le respect des droits humains tel que définis dans “Les principes de Jogjakarta” et les recommandations de Thomas HAMMARBERG, “Droit de l’Homme et identité de genre” est essentiel et ces principes ne peuvent/doivent pas être ignorés par l’Organisation Mondiale de la Santé.

En conclusion, les trans’, les pervers et les psychotiques, même combat? Oui! pour le respect des droits humains les concernant.


Bibliographie

FOERSTER Maxime, (2006), Histoire des transsexuels en France, (essai), Béziers: H&O éditions, 186 p. Préface de Henri Caillavet.

HAMMARBERG Thomas, Droit de l’Homme et identité de genre, octobre 2009, https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH/IssuePaper(2009)2, (Commissaire européen aux droits de l’Homme).

MARCHAND L., RONDEPIERRE J., HIVERT P. et LEROY P., (1952), Examen anatomo-pathologique de l’encéphale d’un dément précoce mort au cours d’une électronarcose 23 mois après une lobotomie, in Annales médico-psychologiques, février 1952, pp. 175-179. Société médico-psychologique, séance du 14 janvier 1952.

Panel international d’experts en législation internationale des droits humains, de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, (2007), Les principes de Jogjakarta. Principes sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, www.yogyakartaprinciples.org.

OMS, (1993a), Chapitre XXI: Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé (Z00-Z99), in CIM-10/ICD-10, http://www.med.univ-rennes1.fr/ noment/cim10/.

12e Journee Internationale de la Memoire Transgenre (TDoR)

English version below –  Ce texte peut être rediffusé librement

 


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Support Transgenre Strasbourg ( www.sts67.org )appelle à un rassemblement à l’occasion de la 12e Journée Internationale de la Mémoire Transgenre, le samedi 20 novembre 2010 à 15 h place Kléber à Strasbourg.


COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Le 20 novembre 2010 sera célébrée, dans des dizaines de pays, la 12ème Journée Internationale de la Mémoire Transgenre (voir www.transgenderdor.org et www.rememberingourdead.org )

Cette journée rappelle :

– que partout dans ce monde, chaque jour, par milliers, les personnes transgenre sont exclues, persécutées, haïes, maltraitées, violentées et souvent assassinées ou poussées au suicide, uniquement à cause de leur soi-disant « différence » de la soi-disant « norme » des sexes et des genres ;

– que le nombre de ces crimes ne recule pas, mais au contraire augmente de façon vertigineuse : si par le passé les victimes connues se comptaient par dizaines, maintenant c’est par centaines que nous les comptons ;

– que la haine qui aboutit aux crimes transphobes n’est pas le fruit du hasard ou de quelques individus « méchants », mais qu’elle est l’un des piliers d’un système politique et de la société et culture que celui-ci crée, produisant un cortège de discriminations qui gangrènent la société entière : hétéropatriarcat, sexisme, homophobie, transphobie… ;

– que ce système politique sert à garantir, par le cynisme, la haine, la ségrégation sociale et la violence, le confort des classes dominantes et exploiteuses aux frais des classes opprimées et exploitées, dont font aussi partie les personnes transgenre ;

– que ce système politique mortifère n’est pas acceptable et doit être combattu sans concession, au nom de ses victimes passées et présentes, mais aussi au nom des victimes potentielles que sont toutes les personnes transgenre de par le monde.

Support Transgenre Strasbourg appelle donc toutes les personnes transgenre et celles qui sont solidaires avec elles à se rassembler le 

SAMEDI 20 NOVEMBRE 2010 À 15h00 PLACE KLÉBER À STRASBOURG

afin d’honorer la mémoire des victimes de la haine transphobe et afin de renforcer la lutte contre la transphobie, d’où qu’elle provienne, et contre son système politique.

Le même soir, Support Transgenre Strasbourg tiendra son dîner mensuel (« stammtisch ») à 20 h au restaurant Cappadoce au 15 rue Kuhn à Strasbourg. Toute personnne désirant en savoir plus sur nos luttes y sera la bienvenue.

LA TRANSPHOBIE TUE, COMBATTONS-LA !
NOS MORTS SONT POLITIQUES, NOS VIES AUSSI !

Support Transgenre Strasbourg, le 15 novembre 2010

contact téléphone : 06 12 32 47 64 (Cornelia Schneider)
contact e-mail : sts67@sts67.org
site Web : www.sts67.org


(this press release may be distributed freely)

Support Transgenre Strasbourg ( www.sts67.org ) calls for a gathering to celebrate the 12th International Transgender Day of Remembrance, at 3pm on Saturday 20th November 2010 in place Kléber in Strasbourg, France.

PRESS RELEASE

The 12th International Transgender Day of Remembrance will be celebrated on 20th November 2010 (see www.transgenderdor.org et www.rememberingourdead.org ).

This day reminds us :

– that every day, all over the world, thousands of transgender people are excluded, persecuted, hated, mistreated, aggressed and regularly assassinated or pushed to suicide just because of their so-called « difference » from the so-called sex/gender « norm » ;

– that rather than decreasing, the visible number of transphobic crimes is increasing at a staggering rate: if in the past their
victims were counted in dozens, they are now counted in hundreds ;

– that the hatred leading to transphobic crimes is not the fruit of chance or of a few « nasty individuals », but results from one of the pillars supporting a political system that leads to a culture and social structure producing a hoard of discriminations which rot society to the core: heteropatriarchy, sexism, homophobia, transphobia… ;

– that the cynicism, hatred, social segregation and violence inspired by this political system guarantee the comfort of the dominating and exploiting classes, via the sacrifice of the oppressed and exploited, who include transgender people ;

– that this deadly political system is unacceptable, and must be fought without concession, in the name of its past and present victims, but also in the name of its victims to come: all transgender people worldwide.

Support Transgenre Strasbourg therefore calls for all transgender people and their allies to unite

AT 3pm ON SATURDAY 20th NOVEMBER 2010 IN PLACE KLÉBER IN STRASBOURG

to honour the victims of transphobic hatred and to support the fight against transphobia, its origins and the political system it inspires.

TRANSPHOBIA KILLS, LET’S FIGHT IT!
OUR DEATHS ARE POLITICAL, OUR LIVES TOO !

Support Transgenre Strasbourg, 15th November 2010

Phone contact: +33 (0)6 12 32 47 64 (Cornelia Schneider)
e-mail contact: sts67@sts67.org
Web site: www.sts67.org

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