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Karine Espineira, entretien sur la construction médiatique des trans

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Karine Espineira,
entretien sur la construction médiatique des trans

Co-fondatrice de l’Observatoire des Transidentités et Sans Contrefaçon
Université de Nice – Sophia Antipolis

Bonjour Karine. Tu t’apprêtes à soutenir ta thèse sur la construction médiatique des transidentités. Peux-tu nous résumer ton propos ?

Mon étude porte sur la représentation des trans à la télévision. Représentations qui forcent ou aspirent au modèle. Autrement dit, je m’intéresse au processus de modélisation. Comment créé-t-on des figures archétypales ? Peut-on établir des typologies « télévisuelles » ou « médiatiques » ? Au départ était la mesure d’une fracture, d’une dichotomie entre la représentation des trans par le terrain transidentitaire lui-même. A l’égal de nombreux autres groupes, les trans se sont exclamés qu’ils ne se reconnaissaient pas dans les images véhiculées par les médias. Souvenons qu’une grande partie des personnes trans médiatisées ont tenu ce propos. Le premier exemple qui me vient à l’esprit est celui d’Andréa Colliaux chez  Fogiel en 2005 : « Je suis là pour changer l’image des trans dans les médias » avait-elle dit. Propos réitérés à maintes reprises par elle-même et d’autres personnes chez Mireille Dumas, Christophe Dechavanne, Jean-Luc Delarue ou Sophie Davant.

Militants et non-militants dénoncent les termes de la représentation. Cela questionne. Pas d’effet miroir. Quelle est donc cette transidentité représentée dans les médias ? Existe-t-il des modèles ? Sont-ils hégémoniques, construits, voire coconstruits ? La question ultime étant à mon avis : « mais comment sont donc imaginés les trans par le jeu du social, par les techniques et les grammaticalités médiatiques ? Faisons entrer dans la danse la culture inhérente aux deux sphères (médiatique et sociale) et l’on obtient ce que l’on nomme une problématique.

Le concept de médiaculture proposé par Maigret et Macé (2005) a été essentiel. Je propose à mon tour de parler de modélisation médiaculturelle pour décrire la figure culturelle transidentitaire au sein des médias. Les trans sont des objets de la culture de la « culture populaire », de la « culture de masse ». A la suite de Morin et de Macé, on parle non pas d’une « culture de tous » (universelle), mais d’une culture « connue de tous ». Comment les imagine-t-on ces trans faut-il insister ? J’aime donner un exemple certes réducteur à certains égards mais parlant. Combien d’entre nous ont déjà rencontré des papous de Nouvelle Guinée, des chamans d’Amazonie ? Peu, on s’en doute. Pourtant, pour la majorité d’entre nous ils sont « connus ». Nous en avons une représentation mentale, dans certains cas : une connaissance. De quelle nature est cette modélisation ? Sommes-nous en mesure d’expliciter plus avant ? Cette représentation et cette connaissance sont-elles issues d‘écrits de voyageurs plus ou moins romancés, plus ou moins occidentaux  et occidentalisant, culture coloniale ou post-coloniale ? Connaissance sur la base de croquis, de bandes dessinées, de dessins animés, de films, de documentaires, de reportages ? Comment trier ? Il n’y a pas une seule représentation qui puisse se targuer d’une autonomie totale face à l’industrie culturelle médiatique. Cette grande soupe confronte et mélange nos imaginaires.

Une dernière note pour parler du terme « travgenre » apparu pour dénigrer des trans et même des homos remplaçant en quelque sorte le terme « folle ». On voit que le Genre est ici chargé du préfix trav’. J’y vois l’expression de la modélisation de la figure travestie sans cesse ramenée à une forme de sexualité « amorale » alors que les premières femmes habillées en homme démontraient que le « travestissement » était déjà un premier et spectaculaire changement de Genre. Les « conservateurs » défont eux aussi le Genre en tentant symboliquement de le cantonner à une sexualité trouble et honteuse. Pour ma part, j’ai souhaite anoblir le terme « travesti » en le plaçant  du côté du Genre.

Ta thèse est amorcée dès ton premier livre « la transidentité : de l’espace médiatique à l’espace public » (2008) : qu’est-ce qui a changé sur cette période ?

L’institué transgenre perce. Bien qu’encore très confidentielle, on voit une représentation transgenre émerger avec des documentaires comme L’Ordre des motsFille ou garçon, mon sexe n’est pas mon genre, Diagnosing difference, Nous n’irons plus au bois, entre autres productions depuis 2007-2008. On peut noter le rôle des télévisions locales à ce sujet. Les France 3 Régions par exemple ou les chaines du câble, couvrent ces représentations avec plus d’intérêt et d’application. Le travail d’associations et de collectifs sur le terrain se mesure ainsi, même si la télévision demeure encore très maladroite en se « croyant » obligée de faire intervenir une parole « experte » dont elle pourrait pourtant aisément se passer si les journalistes démontraient plus de confiance en leurs interlocuteurs trans, en peut-être en se questionnant plus franchement sur ce que les trans produisent comme « effets identitaires » sur eux et l’ensemble de la société.

La motivation des documentaristes change particulièrement la donne : soit ils veulent du fond de culotte, avec des récits d’opérations plus ou moins réussis, reproduire avec une ou deux nouvelles médiatiques le énième documentaire sur les trans, ou bien se mettre en danger intimement et professionnellement en donnant la parole à ces trans qui dénoncent l’ordre des Genres, d’inspiration féministes, qui souhaitent proposer de nouvelles formes de masculinités et de féminités croisées et non oppositionnelles, et ne pas venir renforcer l’ordre symbolique de la différence des sexes. J’ai une approche spécifique, une sorte de mix entre Foucault et Castoriadis pour décrire le phénomène : tous les trans ne veulent pas être des sujets dociles et utiles à une société qui fait de la différence (de genre, d’ethnie, de confession, d’orientation affective et sexuelle, de classe…) une inégalité instituée et instituante.   

Cette entreprise de recherche est particulière à plus d’un titre. C’est la première en Sciences de l’Information et de la communication sur le sujet mais surtout, c’est la première thèse sur les trans soutenue par une trans. On sent bien la question de la double légitimité : peut-on être chercheuse et militante ? Peut-on prendre part et prendre parti ? Comment contre attaques-tu ?

Pour donner un cadre à mon propos sur ce point, je dois préciser que j’ai mené des études en Sciences de l’Information et de la Communication dans les années 80 et 90, de l’université de Grenoble et à la Universidad Autonoma de Barcelone. J’ai « lâché l’affaire » en  3eme cycle pour des raisons de financement notamment. Je travaillais précisément sur les mises en scène du discours politique à la télévision. J’ai bossé dans le ménage industriel (je tenais le balai !) comme dans la formation multimédia dans le domaine de l’insertion sociale et professionnelle. En 2006, j’ai pu reprendre un master 2 Recherche à Aix-en-Provence dans le dispositif de la formation continue. Poursuivre en thèse de Doctorat à l’Université de Nice a été une suite logique. Je dois beaucoup à deux chercheures, à Françoise Bernard pour sa confiance qui a été un grand encouragement, et à Marie-Joseph Bertini qui a accepté de diriger une thèse dont le sujet « exotique » sur le papier n’aurait pas été assumé par beaucoup d’autres en raison notamment de la résistance de certaines disciplines tant aux études de Genre qu’aux études culturelles, sans même parler de Trans Studies qui n’en sont qu’à leur balbutiements dans la perspective la plus optimiste.

La nouveauté de la recherche comme la question de l’appartenance au terrain ont été des enjeux méthodologiques. A tel point d’ailleurs que très rapidement, je me suis mise à parler de « défense théorique ». Je vais passer sur les lieux communs bien qu’ils aient des raisons d’être, par exemple ne serait-il pas gênant d’interdire aux femmes à d’étudier le sexisme et le patriarcat, aux blacks la colonisation ou l’esclavagisme, les beurres l’intégration, etc… A l’énoncer, je flirte avec la caricature mais c’est pourtant cette caricature qui nous est opposée. N’oublions pas que les chercheures dites « de sensibilité féministe » étaient fortement suspectées au sein de l’université, celles-là même qui ont introduit les études de Genre.  

J’ai interrogé l’observation participante et la recherche qualitative avec Bogdan et Taylor. On parle de mon immersion dans le terrain on est d’accord. Mais je suis déjà immergée et jusqu’au cou si l’on peut dire. Toutefois, avec Guillemette et Anadon la recherche produit de la connaissance dans certaines conditions que je ne vais pas détailler pour ne pas réécrire ma thèse, mais pour moi cela se résumait  ainsi : la question de la mise à distance  du terrain dans une proportion acceptable : expérience propre du « fait transidentitaire » (le changement de Genre), sa pratique sociale, son inscription dans la vie émotionnelle, sa conceptualisation et sa théorisation « post-transition ». Où chercher la neutralité analytique ? Ai-je cherché à tester (valider/invalider) des hypothèses ou des intuitions ? L’adoption d’une orientation déductive m’est impossible mais en recherche qualitative je peux articuler induction et déduction. On voit que le chemin va être tortueux !

Suivant Lassiter, j’ai préfère parler de participation observante. Avec Soulé et Tedlock, j’écarte l’expérience déstabilisante du chaud (l’implication émotionnelle) et du froid (le détachement de l’analyse). Pour ne pas être suspectée par l’académie, démontrer une observation rigoureuse et faire valoir d’une distanciation objectivée, il m’aurait fallu renoncer à mes compétences sociales au sein du terrain pour expérimenter à la fois la transformation de l’appartenance et l’intimité du terrain. On ne doit pas renoncer à la difficulté de l’intrication du chercheurE qui est source de richesses. J’ai porté mon regard in vivo mais aussi beaucoup a posteriori. Évidemment, je me suis appuyée sur Haraway avec l’épistémologie du positionnement et ses développements avec Dorlin et Sanna. Castoriadis explique que « ce n’est jamais le logos que vous écoutez, c’est toujours quelqu’un, tel qu’il est, de là où il est, qui parle à ses risques et périls, mais aussi aux vôtres. » Avec Haraway, il faut reconnaître le caractère socialement et historiquement situé de toute connaissance. J’ai dois assumer un cadre épistémologique constructionniste et interprétationniste. 

Il y a un passage que j’aime dans ma thèse, un passage aussi modeste que gonflé dans un certain sens, je le retranscris ici : « Notre expérience est antécédente à la recherche, à l’instar du fait transidentitaire remontant si souvent à la petite enfance. Le monde social transidentitaire, depuis la culture cabaret-transgenre, comprend aujourd’hui ces données essentielles que sont le sentiment d’anormalité et de clandestinité durant une partie de l’existence. L’habitus trans’ combine ces vécus individuels et collectifs, électrons vibrionnant autour de l’atome : non pas née, dois-je dire, mais bel et bien devenue irréversiblement. Le « hasard » ici importe peu. Avoir vécu le fait transidentitaire c’est avoir appris l’institution de la différence des sexes. Aussi qualifierions-nous volontiers notre recherche comme participation « auto et retro-observante ». En appeler en effet à l’histoire propre, ressentir et résister, imaginer et supputer, percevoir et se faire déborder, lâcher prise et expérimenter la réalité transidentitaire – voilà ce qui fait antécédence ici, de l’habitus « trans » sur la socialité « ordinaire ». On ne devient outsider  au terrain transidentitaire que parce qu’on a choisi de faire de la recherche. Et de même, on ne devient insider à ce même terrain que parce que le changement de genre a précédé cette recherche ».

Ma posture m’a autorisé une récolte de données difficilement égalable par d’autres moyens méthodologiques : « Être affecté» par son terrain a permis à Favret-Saada d’élaborer l’essentiel de son ethnographie, condition sine qua non des adeptes de la participation observante selon Soulé. Être affecté « par nature » veut dire par la force des choses car on ne choisit pas son lieu de naissance, la couleur de ses yeux ou de sa peau par exemple. Cela implique l’individu dans ce que je vais appeler une posture auto-retro-observante à considérer comme relation (affects, engagements intellectuels, contaminations diverses) antécédente à l’élection du terrain pour les chercheurEs dans un cas similaire au mien.

Toujours sur la recherche en général, quel regard portes-tu sur le traitement universitaire cette fois-ci de la question trans aujourd’hui en France ?

Pour le dire franchement, nous sommes aux frontières de l’innovation et du foutage de gueule. Je m’explique. C’est très intéressant d’étudier les questions de genre. Mais laisser les expertises trans au placard c’est pas la meilleure méthodologie pour produire de la connaissance. Le terrain trans suscite de l’intérêt chez de jeunes chercheurEs. Le nombre d’étudiantEs reçus cette année venant de sciences politiques, de sociologie, ou même de journalisme en dit long sur l’intérêt pour les questions trans et inter. Ce public ne vient pas chercher des patients et se montre généralement respectueux des personnes. Peut-être certains gagneraient-ils à mieux expliciter leur sujet et prendre le temps de détailler ne serait-ce qu’une esquisse de problématique. Mais globalement ça va dans le bon sens.

Le foutage de gueule serait plutôt dans des sphères plus confirmées. J’ai quelques souvenirs de sourires condescendants, quand ce ne sont pas des marques d’irrespect comme de mépris affiché. Un chercheur qui vous « tacle » sur une voix tremblante attribuée à « une rupture  épistémologique » (genre : « mais vous êtes trans ! ») alors qu’il est juste question d’un simple trac ; une autre vous dit en tête-à-tête qu’elle n’aime pas s’afficher avec des trans ; d’autres semblent aimer « dominer intellectuellement » leurs sujets et ne pas oser affronter la véritable expertise issue du terrain.

C’est clair, ce n’est pas avec ce discours que je vais me faire plus d’amis mais sérieusement je ne tiens pas non plus à sympathiser avec quelqu’un qui me considère comme un singe savant. Cela n’est pas sans me rappeler le regard que j’avais comme immigrée chilienne sur la façon dont les gens parlaient à mes parents arrivés en France en 1974. Ta couleur de peau ou ta langue suffit à provoquer une disqualification sur l’échelle des savoirs et de la reconnaissance. Tu es un sujet exotique, une singularité, mais pas un être pensant à leurs yeux. De là aussi une grande motivation à m’approprier d’autres savoirs et à me donner les outils me permettant d’investir d’autres terrains, d’acquérir les compétences d’autres disciplines. 

C’est quelque chose que je répète souvent désormais sur l’étiquetage et le « desétiquetage » : on m’a qualifié d’ennemie des trans pour être « passée de l’autre côté », comme quand d’autres ont bien vu ma volonté d’empowerment. Pour avoir pu l’apprécier, une génération de jeune trans ne renonce pas à ses études et semble motivée à hausser le niveau de parole. Ce sont en grande majorité des FtM et je me sens très proche d’eux dans leur désir d’autonomiser nos théories et nos points de vue ; Je crois que nous seront d’ici peu intelligibles, crédibles et peut-être même audibles. Il serait temps quand on sait le travail accomplit il y a déjà deux décennies par des Kate Bornstein, Leslie Feinberg, Pat Califia, James Green, Susan Stryker, Riki Wilchins et j’en passe et des meilleurs. A l’image d’un pays qui ne s’avoue pas qu’il est xénophobe, qu’il est conservateur et sexiste, qu’il « se la pète » depuis plus de deux cents ans sur les Lumières, nous devons nous-mêmes avouer que nous sommes « en retard » sur « le nord » et sur « le sud », et qu’il nous incombe un examen de conscience sans honte mais avec la motivation de vouloir changer cela. Car, ce qui nous arrive il est devenu trop commode de l’imputer toujours et uniquement aux autres. Pour suivre Califia, une bonne allumette dans l’institut de beauté nous ferait le plus grand bien.

Sur la thèse plus particulièrement, après une première partie sous forme d’état des lieux, tu proposes de revenir sur tes hypothèses et ton (tes) terrain(s)s : pourrais-tu nous les décrire ? Je pense notamment à la question que tu soulèves sur les descripteurs, ces mots clés dans la recherche de documents visuels ?

Parlons des hypothèses. Prenons l’imaginaire social de Castoriadis (1975), un imaginaire construit par chaque groupe humain en se distinguant de tout autre. Je suis la pensée de Castoriadis quand il explique que les institutions sont l’incarnation des significations sociales. Doublons ce premier imaginaire d’un second que nous nommons médiatique (Macé, 2006) et à considérer comme un imaginaire connu de tous grâce à un ensemble de « conditions économiques, politiques, sociales et culturelles propres à la modernité l’a rendu possible ».

Pour paraphraser Castoriadis, je dirais qu’il y eu une institution imaginaire de la « transsexualité » comme concept et pratique médicale dont la télévision s’est emparée à son tour et participant du même coup à son institution en « transsexualisme ». Simplifions, l’institution « transsexualisme » est le « déjà-là » de la transSexualité. L’institué est la figure du transsexuel ou de la transsexuelle et de son récit biographique. Ce modèle remonte aux années cinquante si l’on considère la télévision. Le modèle est hégémonique.

Sur le terrain trans, existe un autre institution : le transGenre et son institué se retrouve dans les figures : travestis, transgenres, transvariants, genderqueer, androgynes, identités alternatives, etc. Étonnamment remarquons  que l’instituant transGENRE a été longtemps chargé du « sexuel » tandis que l’instituant transSEXUALITE a été chargé du Genre si l’on s’en réfère aux centaines d’émissions où trans et psychiatres déploient maints efforts pour mettre en avant la question d’identité d’un terme renvoyant sans cesse à la sexualité et la sexuation. Mais ici le Genre est à entendre comme sex role. Le modèle hégémonique porte l’appartenance à l’ordre symbolique d’une société donnée. Nous concernant, il s’agit de celui d’une société patriarcale, régie par « la différence des sexes » et l’hétérosexualité.

Dans mon étude, on voit que la télévision aborde l’institué « transsexe » (la représentation dominante) au détriment  de l’institué « transgenre » (encore minoritaire), auquel est accordée cependant une représentation tardive et confidentielle. On pourrait donc parler d’une modélisation plus ou moins souple, entretenant une forte adéquation avec l’ordre social et historique (ici celui du Genre), en faisant place à une certaine perturbation (le « trouble » dans le genre et à l’ordre public) sur le plan de  l’ordre symbolique. Ce trouble « contenu » peut ainsi mettre en valeur la représentation dominante. Voilà qui semble bien convenir si on ne précisait pas que l’institué transgenre est tout sauf minoritaire et confidentiel sur le terrain. Il est même très largement majoritaire dans le monde associatif et les collectifs visibles.

Au tour du terrain et du corpus. Mon terrain était les associations et collectifs transidentitaires en France, les personnes transsexes et transgenres dans le contexte français.  Je parle ici de « transsexe » et de « transgenre » car je traduis une distinction qui est le fait  d’une partie du terrain et non le mien. C’est aussi une distinction de fait dans la société. Outre la question des papiers d’identité que ne peuvent obtenir les transgenres, on nous demande sans cesse si l’on est opéré. La question de l’opération est un évènement qui concerne tout le monde, non les seuls trans. C’est un événement symbolique instituant considérable. Comme si la marque d’une identité « morpho-graphico-cognitive » serait dans l’entrejambe…

J’ai aussi formé un corpus à partir des bases archives de l’Institut National de l’Audiovisuel : bases Imago (ce qui a été produit depuis les origines de la télévision et de la radio), les bases dépôt légal (loi de 1995) : DL Télévision, DL Câble-Satellite, DL Région. Comme je ne voulais pas à avoir à réaliser des extrapolations de mon corpus, j’ai doublé ce corpus d’un autre indépendant. Il a été formé de façon totalement subjective à partir de matériaux pointés par l’actualité comme par le terrain : séries américaines, documentaires récents, diffusions sur Youtube, Dailymotion, etc.

Pour le corpus INA, je suis partie sur sept mots clés dont j’ai motivé le choix sur la base de définitions et de leurs inscriptions autant du côté de la médecine, de la psychiatrie, que de la justice, la police, les médias et le terrain trans dans sa grande diversité. Ces mots clés sont : travesti, transsexualisme, transsexualité, transsexuel, transsexuelle, transgenre, transidentité.

J’ai obtenu 886 occurrences hors rediffusions, de 1946 à 2009. Pour donner une idée des résultats, quelques chiffres : J’ai obtenu 534 occurrences pour travesti, 384 pour transsexualité, 2 pour transsexualisme, 2 pour transsexuel, 7 pour transsexuelle, 4 pour transgenre, aucune pour transidentité sur un total de 971 occurrences avant retrait des rediffusions.

On le voit, le terme travesti est le descripteur « par défaut » ou « spontané » pour parler des trans, que l’approche soit synchronique ou diachronique. Les fiches de l’INA sont un trésor qui demande des fouilles archéologiques. Elles sont ainsi les traces d’un « Esprit du temps » comme dirait Morin.  C’est ainsi que ce corpus est devenu un terrain. Les fiches INA pourraient par exemple être étudiées sans conduire au visionnage des œuvres qu’elles décrivent. Par ailleurs, le corpus formé a été d’une telle ampleur, que je le qualifie de corpus « pour la vie ». Parler de terrain me paraît adéquat.

Tu suggères aussi un découpage de la représentation des trans à la télé, « les grands temps » dis-tu de cette médiatisation. Pourrais-tu nous raconter cette histoire et ses périodes ?

J’avais « pressenti » ce découpage possible dans mon essai de 2008. Je n’avais pas encore ce corpus fabuleux pour le confirmer ou l’infirmer. C’est chose faite. Les tendances du corpus m’ont même dépassée. Le croisement des définitions, de l’évolution des concepts, des techniques, des effets techniques et symboliques, l’évolution du terrain ou encore ce que révèle le corpus conduisent ni plus ni moins qu’à une analyse sociohistorique de la représentation des trans et de leur modélisation.

Les années 1970 sont très riches. Elles marquent un esprit du temps, un air du temps, cette bulle de la « libération sexuelle » et de mouvements libertaires. La télévision, on le sait était sous tutelle, elle n’en était pas moins audacieuse dans ses thématiques et ses dispositifs.

Première période : celle de la marginalité et du fait divers. Un document de 1956 parle de « changement de sexe fréquents à notre époque », en 1977 la prostitution trans est qualifiée de prostitution masculine par la voix d’un Cavada jeune, fringant, et d’une rare prudence dans les termes employés et l’adresse lancée aux téléspectateurs afin qu’ils ouvrent « les écoutilles » avant de juger. Les plateaux d’Aujourd’hui magazine ou d’Aujourd’hui madame de 1977 à 1980 invitent des trans, ils et elles ont des noms et prénoms, ils et elles sont placéEs dans le dispositif de mise en scène aux côtés des autres intervenantEs. On le verra dans les deux décennies qui vont suivre que les noms et parfois les prénoms disparaitrons au profit d’insert du type : « Claire transsexuel », « Claude transsexuelle » ou « père de transsexuel », « mère de transsexuel ». Ce que TF1 et les études de marché nommeront plus tard les « ménagères de moins de 50 ans » sont dans ces dispositifs qui nous font parfois sourire à tort aujourd’hui, des femmes qui ne cachent pas leurs sensibilités féministes, qui interrogent le Genre et prennent les trans à témoin. Un autre documentaire « les fils d’Ève » met en scène la discussion entre deux travestis comme le dit le résumé, discussion bien plus politique et subversive que le discours des trans des émissions des années 80 comme si le contexte de la prise en charge avait vidé le réservoir politique. Au-delà du fait divers, la cause marginale était politique. Le modèle français est loin du modèle de Christine Jorgensen descendant de son avion en 1953 sous les crépitements des flashs des photographes, et qui donneront l’image de l’inscription de la « transsexualité » via le moule des femmes américaines des années  1950. De notre côté nous avions Coccinelle. Je rejoins la vision de Foerster et de Bambi à son sujet. Elle avait l’éclat de la féminité de son époque mais ne donnait pas pour autant toutes les garanties d’une « normalité post-transition ». Elle a été la femme qu’elle voulait être, glamour mais scandaleuse. Je crois qu’elle mérite d’être traduite et ses actes éclairés par une approche postcritique et non seulement abordés par une approche dénonciatrice. Cela vaut aussi pour des acteurs de la télévision en général sur le sujet. Dumas, Ardisson, Dechavanne, Ruquier ou Bravo par exemple vont contribuer à inscrire la transidentité dans le mouvement d’égalité des droits dans les années 1990 et 2000 derrière des formats ne semblant être axés que sur le personnel et l’intime. Parfois derrière l’habit du spectacle, des messages plus subversifs et engagés.

La transidentité s’inscrit comme fait de société avec la convergence de l’élaboration des outils de prise en charge, les premiers plateaux de débat à plusieurs voix et l’intronisation de l’expert en télévision. Avec les matériaux des années 1980 les fiches INA font apparaître de nouveau descripteurs : transsexualité, transsexuel, transsexualisme. Précisons, ce n’est pas l’INA qui les invente ou les impose. Elle garde trace de leur émergence et de leur usage. Ainsi Jacques Breton et René Küss vont-ils énoncer le « transsexualisme » comme « concept et pratique » : les faux et vrais trans, les règles du protocole et leur diffusion massive dans les médias (ce que j’ai conceptualisé à mon tour comme la mise en place du « bouclier thérapeutique »), la médicalisation, la valorisation des opérations tout en « déplorant » cette unique solution, la légitimité scientifique et « l’utilité sociétale ». Les plateaux vont s’étoffer de la présence de chirurgiens, de juristes, d’avocats. La mise en scène table dès 1987 avec les Dossiers de l’Écran sur la confrontation trans et experts sachant que la controverse bioéthique est telle un surplomb. La science interfère sur l’engendrement, et elle se met  aussi à interférer sur la sexuation, voilà qui peut résumer un autre esprit du temps.

Dominique Mehl relie le début de la controverse bioéthique aux naissances de Louise Brown (1978) et d’Amandine (1982), deux enfants conçues in vitro. Elle écrit dans La bonne parole (2003) : « Ces deux naissances ouvrent l’ère de la procréation artificielle qui vient véritablement déranger les représentations de la fécondité, de l’engendrement, de la gestation, de la naissance ». La sociologue illustre ainsi – pour demeurer dans le registre et l’analogie de la naissance – l’enfantement d’un fait de société : « L’ensemble de ces techniques médicales et biologiques configure une nouvelle spécialité, la procréation médicalement assistée, destinée à une population particulière, celle qui souffre d’infécondité. À ce titre, elle ne concerne qu’une petite partie de la population, évaluée à environ 3% (…) Pourtant, la procréation médicalement assistée, par les séismes qu’elle opère dans les représentations de la nature, de la sexualité, de la procréation, de la parenté, concerne en réalité l’ensemble de la société, tout individu qu’il soit personnellement ou non confronté à une difficulté de concevoir, toute personne conduite à réfléchir à une difficulté de concevoir, toute personne conduite à réfléchir sur l’engendrement et les relations familiales ». Approprions ce propos à notre sujet et là patatras on réalise que les « transsexuels » représentent moins de 0,01% de la population en occultant les identités transgenres qui elles fracasseraient le compteur mais je m’engage déjà-là dans l’esprit du temps suivant. 

Envisageons le « transsexualisme » (comme concept et pratique), puis le « transgenre » (comme expression identitaire multiple et transversale) comme des phénomènes venant bousculer les représentations de la nature, de l’ordre et de l’agencement des genres masculin et féminin, l’hétérosexualité, les homosexualités, la bisexualité. Est concerné en réalité l’ensemble de la société, tout individu qu’il soit ou non confronté à une difficulté d’honorer son genre d’assignation, toute personne conduite à réfléchir sur le Genre et les relations de Genre dans un système un binaire, qu’il soit ou non inégalitaire.

On n’oublie pas le rôle des psys dont Dominique Mehl explique qu’ils ont depuis le tout début de la controverse bioéthique « pris une large part à ce débat public. Inspirés par leur expérience auprès des couples stériles, au nom de leur conception de la famille et de la parenté nouée dans une longue tradition de réflexion théorique, ils se sont emparés de leur plume pour mettre en garde, toujours, et critiquer, souvent ». Il est étonnant de constater à quel point la littérature scientifique manque de ce type de questionnements, parfois aux apparences de constat, sur la question trans, sans jamais remettre en cause l’expertise psy -ou à de rares exceptions récentes. On a laissé longtemps cette seule parole aux trans sans jamais leur donner les moyens de l’exprimer dans les espaces publics, médiatiques et universitaires.

Le dernier temps est celui du glissement dans le mouvement d’égalité des droits. L’égalité des droits s’inscrit dans une histoire des idées, des mentalités et des diverses politisations des groupes dits minoritaires. Mobilisation des associations dans le cadre de la pandémie du Sida dans les années 1980, Pacs, PMA, homoparentalité, sans-papiers, dans les années 1990 et 2000 etc. On ne saurait privilégier tel ou tel commencement, période, idée ou correspondance, mais l’enchaînement s’impose, au sein d’une progression asymptotique.

Dans mon étude, je le date dans la moitié des années 2000 si je considère mon seul corpus. Sur le terrain, il a commencé dès les années 1997-1998. Je pense au Zoo de Bourcier, l’inscription des trans dans d’autres tissus associatifs que l’on dira LGBT plus tard, à l’action du GAT ou de STS. A la télévision cette inscription est visible par des productions locales comme des reportages des France 3 Régions. On parle des trans à l’occasion des Marches des Fiertés et de la journée Idaho plus qu’à l’occasion de l’Existrans ou du T-Dor (jour du souvenirs des victimes de transphobie), en télévision je précise. Il y a aussi les affaires qui font du bruit. Je crois que le procès Clarisse qui a gagné son procès pour licenciement abusif participe de cette inscription. De même les coups médiatiques de l’ANT (anciennement Trans Aides) qui finalement illustre une sorte de guérilla contre les contradictions institutionnelles en matière d’état-civil. STS, Chrysalide et OUTrans ont eu aussi des discours portés en de telles occasions. En rapport cette fois au terrain, une question demeure : pourquoi la Pride ou Idaho font-ils plus parler des trans que le T-Dor ou l’Existrans ?

Cette inscription dans le mouvement d’égalité des droits se traduit aussi ainsi : transition et trajet  trans sont vite qualifiés de « parcours de combattant », quand le regard médiatique s’intéresse aux institutions. Les conséquences familiales et socioprofessionnelles sont aussi abordées, confirmant la pertinence d’une « écologie du milieu ». L’idée que la télévision veut « défaire les mentalités » et « défaire des inégalités » fait son chemin dans la perspective tant du traitement d’une marginalité, d’un fait de société, d’individus ou  de mouvements engagés dans l’égalité des droits.

Si tu devais retenir une émission, ou un moment télévisé, qui te semble symptomatique de la figure trans visible aujourd’hui sur nos écrans, laquelle choisirais-tu et pourquoi?

Si je voulais illustrer l’idée d’un « transsexualisme » d’une modélisation hégémonique des trans, je pourrais citer certainement non pas une dizaine mais plusieurs centaines de documents, en prenant telle ou telle phrase, telle ou telle définition, etc. Si je devais en revanche illustrer ce que j’appelle l’institué transgenre, majoritaire sur le terrain trans observable, j’aurais en revanche plus de mal. La télévision produit constamment le Genre tel que l’ordre symbolique en exercice le prescrit. La télévision est parfois transgressive mais pas subversive sur les questions de Genre.

Ceci explique en partie un certain conservatisme, un immobilisme de la représentation des trans. En s’intéressant aux trans, la télévision ne produit pas que de la matière télévisuel à vocation de divertissement et de spectacle. La carte de la transgression est un leurre désormais.

De mon corpus, je retiens la prestation de René Küss en 1982, quatre minutes de télévision qui racontent ce que seront 20 années de protocole. J’ai à l’esprit les prestations de Grafeille ou Bonierbale chez Dechavanne, Dumas ou Bercoff : quand la psychiatrie se double de sexologie en plateau. D’autres constats et pistes : le traitement des FtMs, de leur invisibilité à leur visibilité ; l’anoblissement et la popularisation du cabaret transgenre avec les figures de Coccinelle, Bambi ou Marie France médiatisées comme égéries et muses à la fois ; les festivités et les spectacles de cabarets avec Michou et ses artistes,  les émissions estivales de Caroline Tresca faisant la promotion des cabarets de province ; les émissions humoristiques issus du « travestissement de nécessité » depuis La cage aux folles ; le traitement compréhensif puis moraliste de la prostitution des trottoirs de la rue Curiol dans le Marseille des années 1970 jusqu’au bois de Boulogne du Paris des années 1980-1990 ; l’actualité offre encore bien d’autres ouvertures comme le traitement spécifique des « tests de féminité » à l’occasion des Jeux Olympiques, ou la « transsexualité dans le sport » ; les figures médiatiques spécifiques depuis Marie-André parlant des camps à Andréa Colliaux commentant Kafka, en passant par l’histoire de la médiatisation particulièrement intense de Dana International, figure « exotique » et LGBT, égérie de la tolérance et icône d’une trans contemporaine. La présence de Tom Reucher interroge encore le statut des trans comme experts, comme représentants compétents et légitimes voire charismatiques. Avant lui, toute une génération de personnalités MtFs : Marie-Ange Grenier (médecin), Maud Marin (avocate), Sylviane Dullak (médecin), Coccinelle (artiste). On sait que Maud Marin sera aussi étiquetée ancienne prostituée et Coccinelle parée de l’insouciance de l’artiste, sinon bohème.

Grâce au corpus on constate que les trans sont hétérosexuel-le-s et qu’ils donnent de nombreux gages à la normalité (des garanties). Ils ont donc bien été bien présents à la télévision qui semble avoir nettement privilégié cette représentation, l’établissant en modélisation sociale et médiaculturelle (l’institutionnalisation). De là un certain modèle trans : hétérocentré,  « glamour » ou « freak », un institué fort peu politique et encore moins théorique pour l’instant.

Et si tu devais nous restituer une découverte faite durant tes recherches à l’INA (Institut National d’Audiovisuel), quelque chose d’inédit, que choisirais-tu de nous dévoiler ?

Beaucoup d’émissions méritent le statut de découvertes. Je vais ici donner l’exemple d’un échange entre une historienne et une présentatrice de la chaîne « Histoire ».  Pas de trans à l’horizon. On parle au nom « de » (valeurs, avis, choix personnels), autorisant une telle spéculation nous donnant à voir un aveuglement où la fabrique ordinaire d’une performativité, à l’inverse de ce qu’énonce J. Butler : non pas un acte subversif et politique à même d’éclairer ce que le pouvoir plie un savoir mais une mise en scène de cette spéculation et exemplification symbolique.

Le titre propre de l’émission est « Le chevalier d’Eon et la duchesse de Berry, dans la collection « Le Forum de l’Histoire » de  la chaîne de diffusion Histoire sur la câble. Je passe les informations de types heure et fin de diffusion, etc. Le résumé est le suivant : « Magazine présenté par Diane Ducret composé d’un débat thématique entre Evelyne Lever et Grégoire Kauffmann consacré à deux intrigantes de l’histoire, le chevalier d’Eon et la duchesse de Berry », diffusé le  13 mars 2009.

Evelyne Lever vient de publier « le chevalier d’Eon, une vie sans queue ni tête ». Le titre m’interpelle sans m’éclairer. Je visionne l’émission. Bref aperçu (time code : 19 :30 :33 :19) :

– Evelyne Lever précise que dans la première partie du livre, elle fait son travail d’historienne, puis précise : Quand je suis arrivée au moment où mon héros / héroïne devient une femme. Et là, je me suis posée d’autres questions. Je me suis dit mes connaissances historiques ne sont pas suffisantes. Il faut que j’aille plus loin car j’ai à faire à un cas psychologique, psychiatrique assez délirant, assez exceptionnel. Alors là, j’ai du faire appel à quelques amis psychiatres, à me documenter sur les problèmes de la transsexualité et de l’identité sexuelle.

– Diane Ducret (la présentatrice) : oui c’est un personnage par son refus de trancher entre une identité masculine et une identité féminine est très contemporaine en somme, je suppose que c’est pas la mode transgenre qui a suscité votre intérêt sur ce personnage ? [rires].

Sans partager ici l’analyse longue et précise que ce document exige, on peut prendre le temps d’être surpris par la convocation du nom et de l’institué de la psychiatrie puisqu’il est avéré qu’il n’a ni affection et encore moins maladie mentale mais un regard moral sur une différence. Et l’on peut comprendre l’hésitation d’Evelyne Lever, historienne, faisant appel à ses « amis psychiatres ». L’héritage d’une classification stricte entre « disciplines » lui rappelle que des « connaissances » peuvent en effet, ne pas être « suffisantes ». Une approche dénonciatrice se bornerait à critiquer l’ambiguïté des discours tenus tandis que l’approche postcritique y verrait la scène de rencontre de subcultures ou quand la transidentité devient un objet médiaculturel.

Des questions s’imposent donc quand on sait que cela fait désormais 50 ans que les études de genre insistent sur les institués que sont la différence des sexes, le devenir et en particulier le devenir de genre minoritaire. Comment peut-on croire que l’on peut psychiatriser quelqu’un au-delà des siècles ? Deux hypothèses se présentent, se complétant mutuellement : l’inintérêt des autres hypothèses dans le champ scientifique ; l’indifférence au sort des trans permet cette transphobie et une spéculation sans frein. Dans ces premiers travaux Dominique Mehl en indiquait déjà les grandes lignes de cet arraisonnement et exercice de cette falsification. Pourquoi acceptons-nous une telle affirmation ? Sa présentation traduit son ambivalence : elle passe d’une connaissance historique dans son domaine au champ subjectif où elle croit devoir se poser « d’autres questions ». Lesquels croient se pencher sur un « cas psychologique, psychiatrique assez délirant, assez exceptionnel ». Elle n’a pas assez de mot ou sa formation est imprécise pour dire ce qu’elle voit et traduit immédiatement sur le mode subjectif et non plus historique. Rappelons ici l’indication de Castoriadis : chaque parole indique la position de celui-celle qui l’émet et l’engage. Quel est cet engagement et surtout quelle sa légitimité faute de validité ? Nous sommes sortis du médical pour le plain-pied d’un regard moral. L’on présente ici un objet (le « transsexualisme ») totalement départi des sujets trans et faisant comme s’ils n’existaient pas. Ce cas précis nous enseigne sur les falsifications de l’histoire et l’usage immodéré de la lucarne psychiatrisante. Viendrait-il à quelqu’un l’idée de convoquer une expertise trans pour éclairer l’histoire du Chevalier d’Eon ? L’éclairage des études de Genre serait ici plus approprié et en quoi ? Sinon, pourquoi ? Après tout, d’autres historiens et en particulier des historiennes se sont penchées sur le Chevalier d’Eon à la lumière des études de Genre dans une optique féministe. Nous pensons à Sylvie Steinberg et surtout Laure Murat, « La loi du genre, une histoire culturelle du « ‘troisième sexe’ » en 2006. Là où Murat pointe le système symbolique régulant les rapports et relations, Lever voit l’individu-écharde. Laure Murat met précisément en exergue un avis, valant pour maxime et surtout pour « pensée » d’Alfred Delvau : « Troisième sexe : celui qui déshonore les deux autres ». Le déshonneur serait tel qu’on en appelle aujourd’hui encore la psychiatrie au secours d’un honneur historique qu’un seul individu frapperait de mal-heurt (au sens ancien du français) ?

Et maintenant, en plus de ta soutenance, quels sont tes projets ?

J’ai des publications en attente. Dont trois avec mes consœurs de l’Observatoire : La Transyclopédie, et les deux premiers volumes des publications augmentées et corrigées de l’ODT pour 2010-2011.

Je travaille avec Maud-Yeuse Thomas sur un ouvrage sur les théories transidentitaires à la lumière de l’évolution et de la politisation du terrain trans. Je prépare aussi deux autres essais liés  à la thèse. Comme Macé un ouvrage théorique suivi d’un autre ouvrage relatant plus amplement mes analyses de corpus. Côté publication, je suis servie si tout va bien.  Je travaille également à un projet d’écriture de deux documentaires. Mais il est encore trop tôt pour détailler.

Je dépose bien entendu une demande de qualification pour le statut de maître de conférence. Après ce sera au petit bonheur la chance espérant que mes travaux si jugés crédibles et valides retiendront l’attention. Mon trip ? Donner des cours sur l‘image et les représentations de Genre à la lumière des études culturelles et des études de Genre. On verra bien, à 45 ans je n’ai pas à proprement parler de plan de carrière.

Tu nous rappelles la date ; le lieu et l’heure de ta soutenance pour ceux/celles qui voudraient venir ?

La soutenance se déroulera le 26 novembre prochain à l’Université de Nice – Sophia Antipolis à 13 heures, Lettres, Arts, Sciences Humaines et Sociales (98, Boulevard Herriot). J’attends des nouvelles de l’École doctorale pour connaître la salle. Je communiquerai en temps voulu. 

Je tiens à ajouter une liste de mes publications comme exemple de ce que le terrain peut produire car je ne suis pas seule à publier. j’insiste sur ce point car nous avons pu voir récemment avec Maud comment la reconnaissance d’une expertise venue du terrain reste invisible et j’ajouterais même à quel point elle est marginalisée. Par exemple, nous sommes trois personnes engagées et solidaires à avoir fondé cet outil innovant qu’est l’Observatoire au regard de la théorisation et de la politisation du terrain trans, bien que nous ayons un retard spectaculaire sur le monde anglo-saxon de ce point de vue.

Trois personnes pourrait-on dire, ou plus précisément faudrait-il énoncer : deux trans et un cigenre ? On sait avec un travail universitaire récent, que seul le « cisgenre » est crédité et reconnu comme acteur scientifique du terrain à l’ODT. La modélisation dont je parle est ici à l’oeuvre. Il convient de la défaire. Enoncer ce constat ne doit mener à la disqualification du propos sous l’accusation : « militance ! ».   


Entretien avec Miguel Missé – STP 2012

MIGUEL

Miguel Missé
Activiste, essayiste
STP-2012, Espai Obert Trans/Intersex (Barcelone)


 

Bonjour Miguel,

Cet entretien va s’organiser autour de  trois grands axes : le regard de l’activiste espagnol, la synthèse d’un des membres de la coordination internationale STP 2012 et enfin l’essayiste du « El genero desordenado » préfacé par Judith Butler.

Première partie : le regard de l’activiste espagnol

En guise de présentation, sur quoi insisterais-tu dans ta biographie pour te présenter ?

Je suis un garçon trans intéressé par les questions sociales et concrètement par la défense des droits du collectif trans.
Soy un chico trans al que le interesan las cuestiones sociales y concretamente la defensa de los derechos del colectivo trans.

 

On sait que les UEEH et la première Existrans à laquelle tu as participé ont été deux choses importantes dans ton parcours personnel comme celui d’activiste. Peux-tu développer 

Sortir de mon contexte local, connaître d’autres formes pour faire de la politique et de l’activisme ainsi que connaître d’autres formes pour vivre l’identité trans, ce qui m’a fait beaucoup penser sur ma propre vie et mes idées. En juillet 2006je suis aux UEEH à Marseille. On était plus de 500 personnes de différents pays. C’est là-bas que j’ai entendu parlé de l’Existrans et cette même année j’ai fait le voyage à Paris pour connaître la marche. Une année plus tard on a organisé la première manifestation trans en Espagne, à Barcelone. Sans doute, l’activisme français m’a beaucoup influencé dans divers aspects.
Salir de mi contexto local y conocer otras formas de hacer política y activismo así como otras maneras de vivir la identidad trans me hizo reflexionar mucho sobre mi propia vida y mis ideas. En julio del 2006 estuve en Marsella en las UEEH donde eramos mas de 500 personas de distintos países. Allí me hablaron de la Existrans, y ese mismo octubre viajé a Paris para conocer la marcha. Un año más tarde organizamos aquí la primera manifestación trans de España. Sin duda, el activismo trans francés me ha influenciado en diversos aspectos.

 

On parle beaucoup de lois sur l’« identité de genre depuis le Gender Act (G.B.) de 2004, suivi par la loi en Espagne de 2007 jusqu’à l’Argentine récemment. Dans les grandes lignes, qualités et défauts de la loi espagnole ?

Je pense que la réponse à cette question varie selon les générations. La loi espagnole permet le changement de la mention du sexe dans les documents officiels à toutes les personnes avec exception des mineurs, des personnes avec un handicap mental et des étrangers, trois exigences très douteux. En plus, pour pouvoir accéder à ce parcours, on doit présenter un diagnostic de dysphorie de genre et un certificat médical qui atteste que la personne sollicite ce changement et suit un traitement médical (hormonal) depuis plus de deux ans. Beaucoup de personnes trans pensent que c’est une évolution que l’État n’exige pas une chirurgie génitale. Moi, qui reconnais qu’il y a une certaine évolution, je pense qu’obliger un citoyen à se reconnaître en tant que malade mental et à modifier son corps pour reconnaître son identité de genre est une très grave atteinte aux droits individuels de personnes. Même si la loi a rendu le changement du prénom et du sexe dans les documents officiels plus facile, elle continue à utiliser un paradigme stigmatisant. Il faut continuer le travail.

J’aimerais une fois de plus féliciter l’activisme trans argentin pour avoir réussi à obtenir une loi sur l’identité de genre. Elle est devenue une très important référence pour comprendre l’identité et l’expression de genre d’un point de vue juridique.

Creo que la respuesta a esta pregunta varia según las generaciones. La ley española permite el cambio de la mención registral del sexo en los documentos oficiales a todas las personas excepto a menores de edad, personas con una discapacidad mental y extranjeros, tres requisitos muy cuestionables. Además, para poder acceder al trámite se deben presentar un diagnóstico de disforia de género y un informe médico que certifique que la persona solicitante lleva más de dos años de tratamiento médico (hormonal). Muchas personas trans entienden que es un avance que el Estado no exija una cirugía genital. Yo, aunque reconozco ese avance, pienso que es obligar a un ciudadano a reconocerse como enfermo mental y a modificar su cuerpo para reconocer su identidad de género es una gravísima vulneración de los derechos individuales de las personas. Creo que aunque es cierto que esta ley ha hecho el cambio de nombre y sexo más fácil sigue partiendo de un paradigma estigmatizante. Hay que seguir trabajando.

Por otro lado, quisiera una vez mas felicitar al activismo trans argentino por conseguir sin duda una ley que genera un precedente importantísimo en la forma de entender la identidad y la expresión de género jurídicamente.

 

L’activisme avec Espai Trans, c’est qui, quoi et comment ? On aime beaucoup l’idée de Culture Trans et semble-t-il tu la portes aussi avec conviction. Parfois nous avons la vision que l’activisme ne doit par laisser la place aux sentiments, que le militant doit être un soldat et ne pas se retourner sur les pions tombés. A Barcelone, nous avons eu le sentiment d’un activisme novateur qui mais qui laisse la place à l’affect et vous nous avez paru très soudéEs. Notre regard est-il trop utopique ?

Merci beaucoup. Je crois que après un temps dans l’activisme, la meilleur chose que l’on puisse dire nous dire est que dans notre travail politique, il y a de la place pour l’affect. Je ne sais pas si c’est utopique, mais en tout cas, ces valeurs forment partie de nos utopies. La qualité du travail est plus importante que la quantité et ceci est quelque chose que j’ai eu beaucoup de mal à apprendre. Souvent dans les relations entre activistes dans les mouvements sociaux se produisent des situations graves de conflit que nous ne dénonçons pas publiquement pour ne pas blesser le mouvement et je pense que nous nous trompons en faisant ça. Nous devrions dénoncer avec la même force les inégalités et les abus de pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur des mouvements sociaux. Être un peu moins soldats et un peu plus humains. Prendre soin des personnes avec lesquelles on travaille et valoriser les apports de chacun.e dans chaque projet.

Espai Trans est un espace de rencontre entre personnes trans et leur entourage qui a lieu une fois par mois à Barcelone. C’est un espace hétérogène et inattendu. Avec un petit groupe de volontaires, nous coordonnons les activités de l’espace. L’objectif ce ces rencontres n’est pas tellement de générer un discours politique mais de consolider un espace en dehors du circuit médical pour que les personnes trans puissent parler de ce dont ils ont besoin (et souvent il ne s’agit pas de questions politiques). En même temps, Espai Trans est un projet en construction, qui se forme en même temps avec les personnes et qui donnent vie aux rencontres. Je ne sais pas qu’est-ce qu’il se passera dans un an, en tout cas même il a un sens et c’est pour cela qu’on le mène à terme.

D’un autre côté, Culture Trans est un évènement que nous menons à terme en coïncidant avec la mobilisation internationale pour la dépathologisation trans. Après des années en organisant la manifestation trans de Barcelone, nous avons décidé de miser sur un projet moins ambitieux et plus accessible pour le petit groupe de personnes que nous sommes. Et surtout, un projet plus connecté à la vie quotidienne des personnes trans. Je veux dire par là que je suis fatigué d’organiser des activités trans auxquelles assistent des chercheurs/chercheuses, des activistes (lesbiennes, gais, bi, féministes, queer), mais aucune personne trans (avec tout mon respect vers les apports des autres). Culture Trans cherche à être un espace qui interpelle spécialement les personnes trans et même si on ne le réussit pas toujours, on essaye ! Cette année on fait une sortie sportive, un ciné forum, une journée de santé trans et un cabaret d’artistes trans.

Muchas gracias. Creo que después de un tiempo en el activismo, lo mejor que le pueden decir a uno es que en su trabajo político caben los afectos. No sé si es utópico, en todo caso, esos valores forman parte de nuestras utopías. La calidad del trabajo es más importante que la cantidad, y eso es algo que me ha costado mucho aprender. Creo que a veces en las relaciones entre activistas dentro del movimiento social se producen situaciones muy graves de conflicto que no denunciamos públicamente para no dañar al movimiento y creo que nos equivocamos cuando hacemos eso. Deberíamos denunciar con la misma contundencia la desigualdad y el abuso de poder dentro y fuera de los movimientos sociales. Ser un poco menos soldados y algo más humanos. Cuidar a las personas con las que trabajamos y valorar la aportación de tod*s en cada proyecto.

Contestando a tu pregunta, el Espai Trans es un espacio de encuentro para personas trans y su entorno que tiene lugar una vez al mes en Barcelona. Es un espacio heterogéneo e imprevisible. Un pequeño grupo de voluntarios coordinamos el espacio y sus actividades. El objetivo de este espacio no es tanto generar un discurso político sino consolidar un espacio fuera del circuito médico para que las personas trans puedan hablar de sus necesidades (que en muchos casos no pasan por la política). Al mismo el Espai Trans es un proyecto en construcción, que se forma sobre la marcha con la gente que le da vida. No sé que será dentro de un año, en todo caso ahora tiene sentido y por eso lo llevamos a cabo.

Por otro lado, Cultura Trans es un evento que celebramos coincidiendo con la movilización internacional por la despatologización trans. Tras años celebrando la manifestación trans de Barcelona decidimos apostar por un proyecto menos ambicioso y más asumible para el pequeño grupo de personas que somos y sobretodo un proyecto más conectado a la vida cotidiana de las personas trans. Quiero decir que estoy cansado de organizar actividades trans a las que vienen investigadores, activistas (gays, lesbianas, feminista, queer), pero ninguna persona trans (con todo mi respeto hacia sus aportaciones). Cultura Trans busca ser un lugar que interpele a las personas trans especialmente y aunque no siempre lo conseguimos, creo que estamos consiguiendo cosas. Este año realizamos una salida deportiva, un cineforum, una jornada sobre salud trans y un cabaret de artistas trans.

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L’activisme espagnol te semble-t-il différent de l’activisme français par exemple ?

Je peux seulement parler de l’activisme LGBT que je connais dans ces deux pays. De mon point de vue, l’activisme espagnole est très différent de l’activisme français. La culture politique et la tradition de mobilisation sociale en France n’est pas la même que celle en Espagne. Cela peut s’observer dans le fonctionnement des assemblées ou des réunions des collectifs, ou de la façon que les gens interviennent pour exprimer leurs idées. Quand j’ai participé à quelques débats en France, j’ai toujours été surpris de la dureté avec laquelle les personnes commentaient et questionnaient les propos des autres et personne ne se fâchaient. C’es§t peut-être une idéalisation mais il me semble qu’ici, nous avons moins cette culture du débat et il nous coûte beaucoup plus d dialoguer sur les différences et argumenter tout en étant à l’écouted e l’autre. Je crois qu’ici, il n’est pas facile d’être en désaccord. Cela génère beaucoup de conflit personnel entre les gens. Mais, d’un autre côté, je dirai que nous sommes moins rigides et moins passionnés qu’en France, ce qui me plait aussi. Peut-être penserons-t-on que tout ceci ne sont que des stérétotypes sans réalité…

Quant aux différences sur l’activisme trans, il faut aussi le lier à la question historique. Ici l’activisme trans est plus récent.

Solo puedo hablar del activismo que conozco en los dos países, el LGTB. Desde mi punto de vista, el activismo español es muy distinto al activismo francés. La cultura política y la tradición de movilización social que se tiene en Francia no es la misma que la que se tiene en España. Y eso puede observarse en el funcionamiento de las asambleas o las reuniones de los colectivos, o la forma con la que intervienen las personas para expresar sus ideas. Cuando he participado de algún debate en Francia siempre me ha sorprendido como la gente cuestionaba con dureza lo que otras personas habían dicho y nadie se enfadaba. Quizás es una idealización pero a menudo siento que aquí tenemos menos cultura de debate y nos cuesta más dialogar desde la diferencia y argumentar escuchando al otro. Creo que aquí no es nada fácil estar en desacuerdo, genera muchos conflictos personales entre las personas. Por otro lado, diría que aquí somos menos rígidos y más apasionados que en Francia, lo cual también me gusta. Aunque quizás alguien pueda pensar que todo esto no son más que estereotipos sin trasfondo real…

En cuanto a las diferencias en el activismo trans concretamente, hay que sumarle también la cuestión histórica. Aquí el activismo trans es más reciente.

Deuxième partie : STP


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La question des origines de STP est incontournable. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Les racines de la champagne STP2012 se trouvent dans les premirèes mbilisations de l’année 2007 que certains activistas trans portions à terme à Barcelone et dans d’autres villes en Espagne, inspirées par le modèle français de l’Existrans. (curieusement, malgré l’inspiration de l’activisme français, la champagne est beaucoup plus suivie dans d’autres pays). La mobilisation s’est répandue en Europe en 2008 et, en 2009, nous avons posé les bases de l’organisation d’une campagne internationale nommée Stop Trans Pathologisation avec l’objectif de visibiliser et de dénoncer la pathologisation des identités trans. La date de 2012 exprime l’urgence qu’il y a ait à se mobiliser sachant que 2012 était l’année prévue pour la versión V du DSM. Nous savons désormais que le manuel sortira en 2013.

Las raíces de la campaña STP-2012 se encuentra en esas primeras movilizaciones en el año 2007 que algunos activistas trans llevamos a cabo en Barcelona y en otras ciudades del Estado español, inspiradas en el modelo francés de la EXISTRANS. (Curiosamente, a pesar del fuerte vínculo con el activismo francés, la campaña tiene mucho mayor seguimiento en otros territorios). La movilización se traslado a Europa en el 2008 y en el 2009 planteamos organizar una campaña internacional llamada Stop Trans Pathologization con el objetivo de visibilizar y denunciar la patologización de las identidades trans. La fecha de 2012 la pusimos para explicitar que había una urgencia en salir a la calle dado que el 2012 era el año en que estaba previsto saliera el nuevo DSM-V. Ahora sabemos que el manual saldrá en el 2013.

 

Un point sur les revendications ?

Les objectifs sont toujours les mêmes qu’aux origines. Vous pouverz les consulter à l’adresse suivante : http://stp2012.info/old/fr/objectifs. Je crois que nous pouvons dire que la champagne a joué un rôle très important en générant un discours critique partout dans le monde et dénonçant la pathologisation trans. Des mouvements sociaux aux organismes internationaux, parlements et divers institutions se sont prononcés sur le question partout dans le monde. La campagne a joué un rôle de réveil, une alarme pour réveiller les consciences sur cette discrimination. Je crois que STP a eu une fonction très concrète qui a consisté dans la création d’un grand réseau d’activistes trans partout dans le monde. C’est le plus succès de la campagne : faire entendre nos voix pour dire que nous sommes contre le système actuel et argumenter. Nous sommes à un moment où les organismes médicaux internationaux questionnent : comment voulez-vous être traités ? Quelles sont vos propositions ? Mais plus que de la dénonciation, nous voulons désormais poser des solutions et susciter une profonde réflexion sur la façon dont nous, personnes trans, voulons être pris en charge par les systèmes de santé. Il est nécessaire de créer de nouveaux outils, de nouveaux mouvements pour entrer dans une seconde phase de propositions : quel modèle proposons-nous en lieu et place du modèle actuel pathologisant ; dans ce débat, il faut être extrêmement prudent parce que les conséquences du changement de diagnostic ou de la disparition totale du diagnostic auront des implications dans les pays aux systèmes de santé très différent les uns des autres.

Los objetivos siguen siendo los mismos que en sus inicios. Podéis leerlos aquí (http://stp2012.info/old/fr/objectifs). Creo que hoy podemos decir que la campaña ha jugado un papel muy importante por generar un discurso crítico y en todo el mundo de denuncia de la patologización trans. Desde los movimientos sociales hasta organismos internacionales, parlamentos y diversas instituciones se han pronunciado sobre el tema en todo el mundo. La campaña ha sido como un despertador, una alarma para despertar la consciencia sobre esta discriminación. Creo que STP ha tenido una función muy concreta que ha sido crear una gran red de activistas trans en todo el mundo por la despatologización trans y consolidar un día de lucha internacional sobre esta cuestión en todo el mundo. Es el mayor éxito de la campaña: levantar la voz para decir que estamos en contra del modelo actual por diversas razones. Pero ahora llega el momento en que los organismos médicos internacionales preguntan, de acuerdo, y entonces como quieren ser tratados, cuales son sus propuestas. Más allá de la denuncia, ahora tenemos el reto de plantear soluciones e impulsar una profunda reflexión sobre como queremos ser tratadas, las personas trans, por los sistemas de salud. Es necesario crear nuevas herramientas políticas, nuevos movimientos para entrar en una segunda fase más propositiva: que modelo proponemos para sustituir al actual modelo patologizador. Y en ese debate hay que ser extremadamente cuidadoso porque las consecuencias de un cambio de diagnóstico o de una desaparición total del diagnóstico tendrán implicaciones en territorios con sistemas de salud muy distintos.

 

Est-ce que STP ne va s’autonomiser dans l’avenir et que chaque groupes, dans chaque pays va s’imposer de l’idée de la dépsychiatrisation, de la dépathologisation en fonction de son contexte sociale et culturel ?

Plus que s’autonomiser, je crois que la campagne est la base d’une grande pyramide. Pour atteindre le sommet, des nouveaux processus sont nécessaires. La campagne n’a pas la structure suffisante comme par exemple traduire l’idée de la dépathologisation trans dans chaque contexte culturel et social (je ne suis pas sûr non plus que c’est à la champagne d’effectuer cette démarche). ‘est un travail qui a commencé à réaliser par des activistes trans au niveau local dans divers pays. C’est dire qu’il existe un réseau d’activistes qui se spécialisent dans la traduction de ce changement de paradigme en direction des organismes internationaux et des institutions locales. Sans doute commence une période qui pourrait être historique pour la population trans, celui de définir et de proposer ce que doit être notre accompagnement médical.

Más que autonomizarse, creo que la campaña es el piso de una gran pirámide. Y para subir al piso de arriba, el propositivo, son necesarios nuevos procesos. La campaña no tiene la estructura suficiente como para traducir la idea de la despatologización trans a cada contexto cultural y social (y tampoco estoy seguro de que sea esta campaña la que deba hacer ese paso). Eso es un trabajo que ya han empezado a hacer los activistas trans locales de diversos territorios. Es decir, existe ya una red de activistas que se están especializando en como trasladar este cambio de paradigma a los organismos internacionales y a las instituciones locales. Sin duda, empieza ahora un momento que creo que puede ser histórico para la población trans y es el de definir y proponer como debe ser nuestro acompañamiento médico.

 

Dans « Mon sexe n’est pas mon genre » tu as cette phrase qui dit approximativement : « Est-ce qu’on demande à une femme qui subit le sexisme si elle souffre d’être une femme ? Non. C’est le sexisme qu’on inculpe. Alors pourquoi demande t-on aux trans s’ils souffrent d’être trans ? C’est la transphobie qui fait souffrir ». Se rendre visible, comme vous le faites avec STP est une manière de lutter contre la force des préjugés, contre la transphobie. Mais, selon toi, la pathologisation n’est elle pas aussi, surtout, dans les esprits, au moins autant que dans l’institution médicale ? Et donc : comment lutter contre ceci ? Quelles actions concrète vous menez ?

Sans aucun doute, la pathologisation a des conséquences au-delà des consultations médicales. La culture d’une transsexualité médicale est présente dans l’imaginaire collectif, dans la majorité des représentations sociales que nous connaissons. Précisément sur cette question, je viens de publier un essai (http://cositextualitat.uab.cat/?p=1632&lang=en) qui aborde l’impact de la pathologisation sur l’imaginaire collectif et la subjectivité des personnes trans dans la construction de notre identité. Je considère que ces deux travails sont très importants à réaliser en parallèle. Le changement de paradigme passe par la modification des lois des protocoles et des manuels de médecine et, à la fois, par la transformation de l’imaginaire collectif. Quand je parle de culture trans, je me réfère précisément à cela : générer des références trans en-dehors de la perspective médicale dans l’art, la littérature, le cinéma, les moyens de communication, le sport, la politique, l’éducation. La visibilité de nouveaux modèles est fondamentale pour combattre la stigmatisation de notre collectif.

Sin ninguna duda, la patologización opera mucho más allá de las consultas médicas. La cultura de la transexualidad médica está presente en el imaginario colectivo, en la mayoría de representaciones sociales que conocemos. Precisamente sobre esta cuestión acabo de publicar un pequeño libro (http://cositextualitat.uab.cat/?p=1632&lang=en) que trata sobre el impacto de la patologización en el imaginario colectivo y en la subjetividad de las personas trans, en la construcción de nuestra identidad. Pienso que son dos trabajos muy importantes que hay que realizar en paralelo. El cambio de paradigma pasa por modificar las leyes, los protocolos y los manuales de medicina y a la vez por transformar el imaginario colectivo. Cuando hablo de cultura trans me refiero precisamente a eso: generar referentes trans fuera de la mirada médica en el arte, la literatura, el cine, los medios de comunicación, en el deporte, en la política, en el sistema educativo. La visibilidad de nuevos modelos es fundamental para combatir la estigmatziación de nuestro colectivo.

 

On sait que la question de la représentation dans les médias est un fait que tu considères avec sérieux. Peux-tu dire pourquoi ?

L’impact des représentations médiatiques dans notre imaginaire social est très puissant et les représentations médiatiques des trans est toujours marginal et stigmatisante. Si on demandait à n’importe quel adolescent s’il connait une personne transsexuelle personnellement, il nous dira probablement que non. Si on lui demande s’il connaît l’existence d’une personne transsexuelle, il dira probablement que oui  et il nous parlera du cinéma d’Almodovar dans lequel les transsexuel.les sont majoritairement prostitué.es, accrocs à la drogue, où il nous parlera d’un personnage du cirque télévisuel. Les personnes apprennent ce qu’est la transsexualité par le biais de la télévision. Pour autant, il faut conquérir les moyens de communication et subvertir ces discours. Les réseaux sociaux ont médiatisé des campagnes de visibilité trans très intéressantes. Il faut savoir les utiliser sachant leur fort impact dans l’imaginaire pour développer des messages transformateurs et critiques.

El impacto de las representaciones mediáticas en nuestro imaginario social es muy potente. Y la representación mediática de lo trans sigue siendo muy marginal y estigmatizante. Si le preguntamos a cualquier adolescente si conoce a alguna persona transexual personalmente nos dirá muy probablemente que no, y si le preguntamos si sabe de la existencia de alguna persona transexual muy probablemente dirá que si y nos hablará de alguna película de Almodovar donde las transexuales son mayoritariamente prostitutas y drogodependientes o de algún personaje del circo televisivo. Las personas aprenden lo que es la transexualidad a través de la televisión. Y por lo tanto, hay que conquistar los medios de comunicación y subvertir esos discursos. Las redes sociales han mediatizados campañas de visibilidad trans muy interesantes. Hay que saber utilizarlas conociendo su fuerte impacto en el imaginario  para desarrollar mensajes transformadores y críticos.

 

Troisième partie : El genero desordenado

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Tu viens diriger un livre collectif, « el genero desordenado », préfacé par J. Butler. Peux-tu nous en fait un résumé ? Du moins nous en dire les grandes lignes ?

Plus que diriger un livre, j’ai coordonné une série d’article avec mon ami Gerard Coll-Planas, une sociologue exceptionnel. L’idée était de commencer à faire circuler des textes et des discours sur la question trans depuis un point de vue distinct de celui de la pathologisation. En langue espagnole, il n’y a pratiquement aucun livre sur le thème qui ne soit pas écrit par des médecins. Ainsi, nous avons demandé à diverses personnes qu’elles rédigent un texte sur la question et ce fut réellement une expérience très intéressante et très riche émotionnellement. Le livre compte trois parties : le regard des professionnels de la santé, le regard des sciences sociales et le regard depuis l’expérience trans.

Más que dirigir un libro, he coordinado una serie de artículos con mi amigo Gerard Coll-Planas, un sociólogo excepcional por cierto. La idea era empezar a hacer circular textos y discursos sobre la cuestión trans que hablaran desde un lugar distinto al de patologización. En lengua castellana no hay prácticamente libros que hablen de transexualidad y no estén escritos por médicos. Así que pedimos a diversas personas que escribieran un texto sobre la cuestión y fue realmente una experiencia muy interesante y emocionante a la vez. El libro consta de tres apartados: la mirada desde los profesionales de la salud, la mirada de las ciencias sociales, y la mirada desde la experiencia trans.

 

Un projet de traduction pour ce livre ou devrons-nous toujours le lire en espagnol ?

Pour être sincère, nous serions enchantés qu’il soit traduit en français et dans d’autres langues mais nous n’avons aucun financement ni n’avons eu de propositions de traducteurs spécialisés qui soient intéressés et volontaires. En dehors de cela, nous n’écartons pas la possibilité qu’il soit traduit un jour.

Seré sincero. Nos encantaría que se tradujera al francés y a otros idiomas. Pero no tenemos fondos, ni hemos tenido propuestas de traductores especializados que estén interesados en hacerlo o puedan hacerlo voluntariamente. A pesar de ello, no descartamos la posibilidad de que sean traducidos algún día.

 

Tes projets personnels Miguel ?

La question la plus difficile de l’entrevue ! La vérité, c’est que je suis dans une période où je m’interroge sur cette question. Quels sont mes projets personnels ? Est-ce que je veux poursuivre l’activisme ? Pourquoi et pour quoi ? Pour qui ? Faire un bon travail d’activiste, ce n’est pas facile. J’essaie de me limiter et de m’impliquer dans peu de projets pour les développer au mieux et en faisant attention aux relations au maximum (et parfois une réussite, parfois un échec). Au-delà, j’explore d’autres d’univers qui m’intéresse et pour lesquels il me manque du temps : la musique, les voyages, la technologie, la sociologie, le sport, la communication, la politique.

Uf…la pregunta más difícil de la entrevista. La verdad es que estoy en un momento de inflexión en el que me interrogo precisamente acerca de esa pregunta: cuales son mis proyectos personales? Quiero seguir haciendo activismo? Porque? Para que? Para quien? Hacer un buen trabajo como activista no es nada fácil, así que intento limitarme mucho e implicarme en pocas cosas para desarrollarlas con la mayor calidad posible y cuidando las relaciones al máximo (a veces lo consigo y otras fracaso). Más allá de esto, estoy explorando otros ámbitos que me interesan y para los que me falta tiempo: la música, los viajes, la tecnología, la sociología, el deporte, la comunicación, la política.


Liens :

Espai Obert Trans/Intersex
http://espaitransintersex.blogspot.fr
– 
http://fr.scribd.com/doc/109570240/Espai-Boletin-Oct-Ok

STP-2012
http://www.stp2012.info/old/fr
– 
http://www.stp2012.info/old/fr/objectifs
– 
http://www.stp2012.info/old/fr/a-propos-de-nous

El genero desordenado
http://elgenerodesordenado.wordpress.com

Entretien avec Naiel Lemoine, photographe

Naiel Lemoine

Photographe

 

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 » Je suis avant tout unE individuE qui aime et utilise la photographie comme moyen d’expression et de résistance; politiquement comme Trans  FTU ( AssignéE Female To Unknown) féministE, militantE, Queer, et plein d’autres choses… »


 

1- Bonjour Naïel. Peux-tu te présenter ?

Me présenter, oui/

 je peux / essayer

Dans les marges de /

cette humanité, j’erre/

multiples visages/

d’un par/ëtre qu’on /

étiquette

J’ai 15 codes-barre tatoués/

au fer rouge scintillant

éclaboussures / en strass doré

De tous les Égos/

militants

Me situer, c’était avant

Des images pour/

crier

pas pour/

classifier

pas pour/

imposer

juste pour/

 Hurler/

 l’indicible

Des instantanés/ datés

d’identités éclatées

d’êtres humains/

 en rupture

éclatant/

 toutes les évidences

Système hétéropatriarcal

un peu, vacillant

Machine à fabriquer

impitoyablement/

LA Femme/

L’Homme

parés si possible/

 de longs filaments dorés

habillés si possible

d’un paraître /

laiteux

si translucide que/

douteux

Des Hommes/Des Femmes

complémentaires /

et surtout/

inégalitaires

Machine à fabriquer de l’Essence

résistes-tu

au paradigme de nos Existences?

Dame Nature/

entends tu les voix

de tous les ratés de/

ta production?

Lis tu parfois/

les traces/

 que nous laissons/

ces quelques mots/ces quelques images/

qui/juste/

exposent au grand jour ton

Historicité…

Me présenter/ me situer/

Maintenant?

RatéE du système de production

Du rêve tu veux/

me vendre?

À grand coup

d’intégration-assimilation/

de mariage et de papiers/

pour me valider/

pour me /

récupérer…

mais, la quête

de la reconnaissance/

bien que longtemps/ pratiquée

porte en soi

l’échec /

de toutes les militances

la reconnaissance /

 abandonnée/

les sous-droits que tu veux/

nous concéder/

sous prétexte de

modernité

pour mieux

coloniser

pour mieux nous instrumentaliser

et nous intégrer

dans ton

État-Nation

Penses tu encore vraiment/

que j’ai envie

d’exister

par et dans

ton système sexiste,

raciste

classiste,

âgiste et validiste…..

 Naïel le 22/08/2012

 

 

2- Si tu es connuE pour ton travail, c’est surtout pour sa dimension « queer » (avec GenderFucking) : Que mets-tu derrière ce mot ?

Dimension queer/
vécu queer/
ou juste
posture queer/
queer as God?

Queer comme /
empowerment
ou comme/
piétinant/
les ditEs « straight »?

Queer, ce mot sonne juste comme/
un rappel/
d’une possibilité de
pouvoir/
se penser/se panser/ sans se
victimiser

Étrange/
comme, le retournement de l’insulte/
comme la contrainte à la/
Normalité
qu’on soit homoE
ou
hétéroE

Queer/
comme mes luttes incessantes/
récurrentes/
contre toute tentative
d’intégration-assimilation

Queer comme profusion/
des genres/
qui devrait juste
être
mais qui n’est qu’une infime résistance/
rattrapéEs que nous sommes par/
le par/Être

queer comme
identité politique/
sans
identité originelle/
qui se construirait
au gré des luttes/
qui jamais ne/
serait fixée.

Queer comme gosses du
blackfeminism/ de Deleuze/
Derrida, Foucault et bien d’autrEs
queer comme les possibles infinis/
de lutter ensemble sans/
se faire homogénéiser/
queer comme/
post identitaire/
sans nier les
identités/
et leur historicité

Queer comme/
un rêve brisé/
par des Égos
/démesurés/
par le refus ou l’oubli de /
mesurer/
le poids de l’asymétrie /
de la construction /
du genre /
dans notre/
société.

Queer comme/
une grille de lecture/
trop souvent utilisée sans/
les apports /
des grilles/ féministes

Queer comme faisant peur/
car
portant en lui/
les germes de/
résistances infinies/
individuelles/
collectives/
car poussant à repenser/
juste
notre façon de penser/
si bien formatée/
si bien /
intégrée.

Queer comme/
blackfeminism
comme/
intersectionnalité
comme analyse /
en terme de
rapports sociaux/
consubstantiels et coextensifs…

Mais à /
Queer En Théorie/
c’est le queer des noms/
le Queer des idées qui naissent /
sur les chaires des universités/
certes, souvent intéressantes/
mais qui oublie que/
la beauté du concept est facile
quand/
on ne fait pas partie
de /
multiples minorités/
quand on n’est pas /
parfois à soi /seulE/
la cible /
des dynamiques des /
rapports sociaux
que sont/
le genre, la classe,/
la race, la validité..;

 

Queer à paillettes/ aussi
Injonctions à la/
baise
injonctions à de nouvelles/
normes
Queer sonne alors comme
bien nantiE…

Alors, queer /
comme une désillusion?
Ou
juste /
comme des théories/des pratiques/
à requestionner/ à critiquer
à réinventer/ à dépasser…

Queer comme
redonner la parole/
queer , comme une chandelle/
au loin
pour construire des vies/
de solidarités
pour détruire les antagonismes/
pour abolir toutes
les frontières/
queer, pour faire exploser/
le genre/ la classe/ la race
et tous les autres rapports sociaux…

Queer as/
Fuck you
but /
especially /
Queer as/
I love you….

Naïel 22/08/2012

 

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3- On te connait aussi pour ton travail sur la question trans : qu’est ce qu’une militance trans par l’art selon toi ?

Tout d’abord, je ne pense pas qu’il y ait LA question trans, étant donnée l’hétérogénéité de ce qu’on appelle communément « le monde trans », mais DES questions trans.

Et je tiens aussi à rappeler que n’ai jamais spécifiquement travaillé sur les questions trans mais sur les questions relatives au genre ( avec « Destroy genders or Fucking genders: pour une société non binaire, « A la recherche de mon identité », « Fighting sexism is fighting gender », « Désa-corps/corps non normés » » Cyborgs’ Land », « Dépasser les identités » « Gender’s illusion », « No gender », la dernière en date » Trans/jections » et des portraits divers de copain-e-s qui transgressent le genre ou pas…).

De plus, si jamais j’ai été connu-e un tant soi peu, c’est tout d’abord pour mon travail sur et dans le milieu lesbien/gouinE, suivant les significations variables de ces deux termes dans l’histoire, et parce que j’ai exposé de 2003 à 2007 à Cinéffable (festival lesbien et féministe international non mixte de cinéma)

Ceci dit, je vais quand même essayer de répondre à ta question, mais celle ci pose en creux trois autres questions qu’on ne peut ignorer pour tenter d’apporter des esquisses de réponses qui font sens :

  • Qu’est-ce qu’être Trans?
  • Qu’est-ce que la/les militances? Pour quoi? Pour qui? Comment?..
  • Qu’est que l’Art?

Sans les coucher sur le papier, on présuppose que ces trois thèmes font l’objet d’un consensus au niveau de leur contenu, ce qui est loin d’être le cas.

Que signifie Trans?

On peut tout d’abord souligner qu’il est une réappropriation par les activistes trans, du terme transsexuel-le, étiquette mise par la psychiatrie, et donc un refus d’être défini par des instances psychiatriques surplombantes et toutes puissantes dans leur pratiques. Cette réappropriation faite dans les années 2000 en (f)rance, (terme repris ou pris par le G.A.T). Dans un tract en 2003, pour mettre fin à la guerre interne transexuelLE/transgenre http://transencolere.free.fr/), marque un tournant dans les histoires trans, dans le sens où en refusant et en dénonçant la psychiatrisation de leurs identités, les trans ont pris la parole (parole, qui, quand on est « malade mentalE », n’a aucune validité) et ont politisé ce qui jusque là relevait du domaine psychiatrico-médical et donc de la sphère du privé.

De victimes, les trans sont passé-e-s à acteurEs (même si le système protocolaire français les contraint toujours) de leurs vies, en dénonçant entre autres le système binaire hétérosexiste et sa machine à fabriquer l’Homme et la Femme.

Par ce terme « trans », les trans se sont auto proclamé-e-s trans, refusant par là même le système protocolaire français, qui définit qui est trans ou non, suivant des critères de stéréotypes de genre datant d’un autre temps, et suivant un parcours à sens unique, imposé, qui doit être complet même si à chaque étape, il est  toujours remis en question par le bon vouloir des psychiatres (pseudo-entretiens avec un-e psychiatre–définition du psychiatre– test de vie réelle–>T.H.R– T.H.S–opération de réassignation sexuelle).

Iels ont donc commencé à refuser les définitions, les discours faits par de pseudo-experts sur eux/elles.

IlLEs se sont iel-mêmes défini-e-s comme expertEs, acteurEs et décideurEs de leur propre existence contre un système médico-juridique qui les contraint toujours actuellement.

Juridique car, après ce parcours qui doit être “complet” suivant les normes des protocoles français, (protocoles eux mêmes proclamés officiels par les équipes psychiatrico-médicales dites « équipes off »), se pose la question de l’état civil (sans papiers quelque peu en adéquation avec votre « apparence », il reste difficile de se loger, de faire des études, de travailler, et donc d’avoir un semblant de vie et ne pas être précaire).

En (f)rance, cela relève de la jurisprudence et du bon vouloir des Tribunaux de Grande Instance, qui peuvent selon leur envie demander des expertises dites « médicales » très coûteuses, aux frais des personnes trans bien sur, en plus de tous les papiers “montrant le caractère irréversible de la transition”, qui sont totalement irrespectueuses  des droits humains (pratiques qui peuvent être des viols..).

Après un très rapide survol de l’apparition du terme trans et des contraintes à la normalité en (f)rance, qui n’est qu’une histoire des trans parmi tant d’autres, une fois l’autoproclamation faite et pratiquée dans les milieux activistes trans, que recouvre ce mot?

Je ne vais pas, ici, donner une définition de « trans », car il en existe, à mon avis, autant que de personnes trans, mais pointer les limites et conflits que pose toute tentative de définition :

Il existe de fait, une diversité importante des identités Trans, qui dans les pays anglo-saxons ont été regroupées sous la “transgender umbrella”, qui inclue toute personne qui ne correspond pas au stéréotype de genre attendus dans sa société.

Il est d’ailleurs intéressant, avant de parler de “transgender umbrella”, de noter  que l’apparition du terme “transgender” est due à un psychiatre ( encore) John F. Olivien de l’université de Columbia, en 1965, lors de la deuxième édition de son « Book Reviews and Notices: Sexual Hygiene and Pathology ». American Journal of the Medical Sciences, écrit pour les professionnels de santé aux Etats-Unis. Il utilise ce terme pour définir ce que la psychiatrie française appelle les “transsexuel-le-s primaires”, dans le sens où la sexualité n’est pas un facteur important.

Puis il semble qu’au milieu des années 70, toujours dans un contexte anglo-saxon, les termes “transgender” et “trans” aient été utilisées comme terme générique.

En (f)rance, comme dans beaucoup de pays, il a pu et est toujours source de luttes communes mais, aussi et surtout, de beaucoup de conflits, avec, toujours reprise cette fois ci par les personnes trans elles mêmes, la distinction entre vraiEs trans/ fausSEs trans déclinée de manières différentes suivant le temps.

Bref, le terme trans, polysémique et autoproclamé, pose notamment comme questions, comme toute « identité », dans une perspective de luttes :

  • L’inclusion /exclusion; sur quels critères; définis par qui?
  • Existe -t-il des spécificités communes à toutes les personnes transidentitaires, qui pourraient servir de socle commun pour des luttes?
  • La question de la hiérarchisation des vécus trans différents et des oppressions différentes (qui ne sont pas comparables et donc à priori pas hiérarchisables), et ceux qui sont mis en avant dans les différents sous-groupes trans.
  • La question de la porosité des frontières entre diverses “identités” et donc des “identités” qui se trouvent dans les marges (celles qui n’ont pas de nom).
  • La question de la non fixité de certaines “identités”, de leur fluidité, de leur variations dans le temps et l’espace…

Ceci est un listing très succinct, j’oublie certainement beaucoup de questions, et celui-ci ne concerne, de plus, qu’une infime minorité de personnes trans : celles qui se disent « trans ».

Qu’est ce que la/les militances?

J’aborderai cette question de façon succincte et de manière un peu schématique, sur un mode binaire, sachant que ces deux types de luttes peuvent s’entrecroiser, se chevaucher et aussi s’entretuer, ou tout du moins pour l’une d’entre elles piétiner l’autre.

La première est une militance pour l’égalité des droits : lutte essentielle pour toute minorité et qui ne devrait pas avoir lieu puisque les êtres humains ne naissent-ils pas égaux en droits dans ce beau pays???

Mais non, ce sont : “Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits” ( Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 1)…

Cette forme de militance contient en elle-même ses propres limites, dans le sens où elle postule que les personnes qui les réclament, à juste titre, souhaitent “s’intégrer” à minima dans le système hétéropatriarcal pour la (f)rance.

Celle-ci, dans ses formes extrêmes, devient une lutte pour la sur/intégration/assimilation en piétinant les minorités à côté ou juste en dessous. C’est un petit peu ce qu’on peut voir à l’heure actuelle au sein du mouvement dit “LGBT”, avec les revendications du mariage, l’oubli total pendant une longue période des personnes trans puis une récupération des luttes trans depuis l’IDAHO 2009, avec le mépris pour les folles et les butchs dans les prides, et avec la montée de l’homonationalisme.

Mais sans ces luttes, pas de vie pour les minorités en question, seulement une survie. Ces luttes se font, essentiellement, au moyen de créations d’associations et de lobbying auprès des pouvoirs publics… Les plus grosses associations sont subventionnées par les pouvoirs publics et-ou sont affiliées à des partis politiques.

La deuxième est une militance qui conteste tout le système, qui ne souhaite pas s’y intégrer et souhaite le changer. Ces militances  sont généralement menées par des groupements d’individu-es ou collectifs, qui croisent diverses luttes, s’organisent souvent avec des méthodes D.I.Y. et qui ne sont pas subventionnées par les pouvoirs publics. Elle sont souvent fortement liées aux mouvement anarchistes et libertaires et fonctionnent avec des réseaux plus souterrains. Ce type de militance peut avoir comme limites la création d’un « entre-soi » qui tourne parfois en rond, et la faible diffusion dans l’espace public des actions.

Qu’est-ce que l’Art?

L’“art” est ce qui est reconnu comme art par le biais de la valeur marchande. Ni plus ni moins. En ce qui concerne la photographie plus précisément, elle n’échappe pas à cette définition, et de plus a été tardivement reconnue comme pratique artistique (années 1970) en (f)rance.

La photographie reconnue est celle qui percute, celle de l’image-choc et donc ce médium, utilisé seul, peut difficilement délivrer des messages politiques précis, puisque la photographie, de fait est polysémique.

Je vais donc, après tout cela, essayer de répondre brièvement à ta question : “qu’est ce qu’une militance trans par l’art selon toi ?”

Si j’étais trans au sens de “je suis/souhaite devenir ou et / passer pour homme”, j’essayerai, dans une perspective de militance pour des droits mais aussi dans une perspective de militance contre un système tout entier :

  • De montrer la diversité Trans sous la forme d’une série infinies de portraits/ espaces temps précis, accompagnées de la parole des personnes prises en photos;
  • D’ aborder les questions des corporalités trans (en intégrant « l’incorporation » au traditionnel concept de corps), tout en sachant que travailler sur les corporalités trans a deux écueils qui sont : réduire les trans à des corps (ce qui est déjà l’objet des reportages sur les trans dans les médias) et l’exotisation des corps trans;
  • De travailler sur l’empowerment de certaines populations trans/ réalité des vies trans sous un angle non victimisant;
  • De questionner la question de générations dans le « monde trans »;
  • De travailler sur l’intersectionnalité des oppressions sur un mode non victimisant;
  • Et surtout je questionnerai l’invisibilité trans dans la société, puisque « le passing » produit des hommes et des femmes différentEs ou pas, mais seulement des hommes et des femmes au niveau de la lecture que les autres peuvent avoir dans la rue;
  • Je pense que mes photographies seraient toujours accompagnées des mots des personnes;

Ces différents travaux seraient dans un objectif de plus grande visibilité,  de changement des stéréotypes toujours accolés au terme trans (« MTF, pute au bois de Boulogne » ou « MTF en cabaret ») et d’acceptation des personnes transidentitaires avec la problématique des conséquences du « montrer »:

-montrer/ s’habituer/ acceptation/ « intégration »/

mais aussi le risque:

montrer/ exotiser/ stigmatiser…

Mais, je suis juste “trans genderqueer”, je ne souhaite pas “passer” dans le genre tout court, et en même temps je suis lu-e comme un mec depuis quasiment un an à 100%. Cette nouvelle expérience de lecture de moi, me conduit encore vers d’autres réflexions, dans d’autres impasses personnelles à dépasser…

Si j’avais encore une quelconque espérance dans les luttes trans, je réaliserais peut être, en prenant la légitimité que personne n’est en droit de me refuser, ce que j’ai évoqué ci-dessus mais j’y ajouterai :

  • Des questionnements sur la notion même d’identité : son utilité politique, ses limites et son nécessaire dépassement (projet cases et normes).
  • Je continuerai à attaquer le système hétéropatriarcal, même si je n’ai guère plus d’illusions:

(j’ai un vieux projet écrit et dessiné bien avant « fucking genders » sur l’éducation, le formatage et la rééducation à l’hétérosexualité en tant que régime politique , inspiré par un film comme « orange mécanique »–> projet)

  • La question de la création de nouvelles normes, qui subvertissent les normes en cours dans la société, mais qui finissent par devenir des injonctions dans certains sous-groupes.
  • “Réfractaires au genre” (projet écrit en même temps que “fucking genders”): pourquoi, comment, qui sont ces personnes qui refusent le genre?
  • Un travail plus global sur l’antipsychiatrie, la question de l’enfermement des personnes en lien avec des questions trans….
  • et bien d’autres sur ce monde inhumain…

Je pense que ma pratique photographique ne pourrait être seulement photographique, elle s’accompagnerait de vidéos, de textes, et les formes seraient différentes…

Je parle au conditionnel, car pour l’instant les projets restent bien sagement écrits ou dessinés sur mes carnets, parce que j’ai oublié un élément essentiel à respecter pendant ces dernières années de ma vie:

Ne jamais mélanger créations/expositions militantes avec participation active à une militance de terrain.

Suite de l’entretien

Suite entretien avec Naiel Lemoine, photographe

Naiel Lemoine

Photographe

 

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4- On te connait moins pour ton travail sur l’urbain, ou l’urbanité, sur les paysages aussi que tu photographies : peux-tu nous en dire deux mots ? (sont-ils en lien avec tes revendications ?)

Les photographies réalisées sur le thème de l’urbain et des paysages autres, sont, en tout premier lieu, liées à une pratique photographique particulière, elle même induite par les conséquences d’une maladie.

En effet , les premières années vécues avec la fibromyalgie ont été des années, quasi sans sommeil, de douleurs incompréhensibles, de perte d’autonomie physique et de folie provoquée par le monde médical.

Après être sorti-e de l’enfer asilaire et hospitalier, deux problématiques se sont imposées à moi:

– La question du corps “enfermé” triplement (dans mon corps, dans le monde médical et la psychiatrie) qui se heurte brutalement aux normes de la toute puissante médecine française. Cette médecine qui dit quelle maladie est validée en tant que telle ou non, et qui range tout le reste dans de la psychiatrie de comptoir… Cette première problématique a d’ailleurs donné lieu, à ma première exposition, qui porte sur les questions du  corps indicible au regard des normes du monde médical, de la société, puis en lien avec le genre..).

Elle est visible ici: http://www.naiel.net/identite_cadre.htm

– La deuxième est celle, du rapport particulier au temps, qui se créé. Quand on ne dort plus, le temps s’étire à l’infini et devient un long couloir sans fenêtres, sans arrêts. Il est partout et nulle part.

Se pose alors de manière très pragmatique, la question “que faire de ce temps” quand à 4h du matin on n’est pas réveilléE mais juste encore  éveillé-e?; couplée à la nécessité d’essayer de s’échapper quelques minutes de “ce corps anarchique”, de soi.

Un matin, je suis sorti-e avec mon appareil et pendant les premières années, où que je sois, je partais dans la nuit, seul-e en essayant juste de regarder, d’écouter puis de shooter.

Cette double injonction à échapper à un corps malade et au temps infini ont fait de cette pratique, une habitude et une évasion indispensable à ma survie; comme une drogue qui vous ouvre d’autres chemins qui étaient là mais inaudibles, invisibles, inodores, impalpables dans le brouhaha du temps dit  » normal », du temps qui rime avec  boulot/ métro/boulot/dodo…

Cette pratique quotidienne a donné lieu à une première exposition ( « Errances » http://www.naiel.net/Errances_cadre.htm) puis à une autre:

(terre des humains / terre des non humains »http://www.naiel.net/hnhcadre.htm ).

La plupart des clichés pris, pendant cette période, ne sont pas sur le net, ils sont dans des cd, des dvd, des disques durs, parfois accompagnés de mots ou non, parfois sur mon blog (http://blog.naiel.net/).

Les thèmes récurrents sont l’errance, l’absence qui exacerbe la présence, les traces, les voyages dans tous les sens du terme….

J’ai une prédilection pour les gares, les lieux désaffectés, l’architecture d’un espace/temps; d’un moment, les barreaux, les chaines…

J’interroge ainsi, les traces de l’urbain dans la nature et de la nature dans l’urbain et donc les traces de ce qu’ un être humain a, à un moment donné, construit, consommé puis jeté…

Je pense que le texte de présentation de « terre des humains/ terre des non humains » en parle mieux que les quelques mots que je peux poser ici.

J’interroge aussi, comment ces lieux consommable/jetables  résistent/ se métamorphosent par et pour des personnes qu’on a bannies ou qui refusent les diktats d’une société capitaliste qui accélère son autodestruction programmée.

Donc, pour répondre à la deuxième question: oui, ces shoots sont en lien avec mes aspirations/revendications…

Ces photos témoignent de l’horreur ordinaire, de la course frénétique de ce système inhumain que j’essaye de combattre.

naiel_triptyque_villeneve_les_M.jpg

5- On a pu t’entendre dans des conférences et tu dis toi même qu’il n’y a pas la question du genre, toute seule, mais en lien avec d’autres. Le féminisme par exemple. Pour toi, c’est quoi être féministe ?

Quand je dis, je suis féministE, je me dois d’expliquer ce qu’est pour moi le féminisme, parmi tous les féminismes existants. Et pour cela, je vais tout d’abord tenter d’expliquer brièvement quelle est ma grille d’analyse pour penser le monde et résister dans ce monde.

C’est une grille de lecture matérialiste, féministe, post-marxiste, dynamique, qui utilise les concepts de rapports sociaux pour penser les modes de production, de reproduction et les possibilités de changements des groupes sociaux (autrefois analysés comme séparés, immuables, naturels).

“Le rapport social peut être assimilé à une tension qui traverse la société; cette tension se cristallise peu à peu en enjeux autour desquels, pour produire de la société, pour la reproduire ou pour inventer de nouvelles façons de penser et d’agir, les êtres humains sont en confrontation permanente. Ce sont ces enjeux qui sont constitutifs des groupes sociaux. Ces derniers ne sont pas donnés au départ, ils se créent autour de ces enjeux par la dynamique des groupes sociaux.”

 (Danièle Kergoat, “Penser la différence des sexes : rapports sociaux et division du travail entre les sexes »”in Margaret Maruani, Femmes, genre et société,  Editions la découverte, 2005).

Les rapports sociaux que sont le genre, la classe , la racisation, la génération… s’articulent les uns avec les autres , s’entrecroisent ( ils ne sont pas simplement additifs), ils sont, dit D Kergoat, « consubstantiels et co-extensifs »: « consubstantiels : ils forment un nœud qui ne peut être séquencé au niveau des pratiques sociales(..) et co-extensifs:  » en se déployant les rapports sociaux de classe , de genre, de race se reproduisent et se co-produisent mutuellement ».(…) » Ils interagissent les uns sur les autres et structurent ensemble la réalité du champ social ».

 (« Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux », in sexe, race, classe ; pour une épistemologie de la domination, Paris, PUF, 2009)

En ce qui concerne le genre (rapports sociaux de sexe) et donc les féminismes (mais pas que), je vais essayer d’être plus précisE:

Je tiens d’abord à préciser que le genre n’est pas, pour moi, la construction sociale du sexe biologique (le genre est un concept créé dans les années 50 aux États-Unis par Stoller et Money, deux psychiatres et psychologues travaillant sur le “transsexualisme” et la réassignation des enfants intersexuéEs.

Le genre préexiste au sexe et le produit en lui donnant l’illusion du naturel (tout en invisibilisant cette production).

C’est un rapport social de pouvoir qui produit et entretient le système hétéronormatif (2 genres, 2 sexes, relation hétérosexuelle avec pour but la reproduction).

Dans ce sens il fonde la société en tant qu’hétérosexuelle (cf Wittig).

En tant que dispositif créé et au service du pouvoir biopolitique, il est à détruire car il maintient l’oppression d’une catégorie sur une autre, exerce un contrôle permanent des individuEs via une grille de lecture normative qui définit ce qui est “humain” de ce qui ne l’est pas. Il exclut donc du domaine du “pensable” toute personne ne pouvant être identifiée clairement par cette grille.

Le genre (en tant que dispositif de régulation au service du pouvoir) au même titre que le sexe n’a pas de caractère naturel, rien ne préexiste à sa production.

Dans ce sens, le féminisme a pour objectif final la destruction du genre; ce qui ne veut pas dire qu’il faut ignorer ou nier la réalité des catégories sociales de genre et leur relations.

Ma conception du féminisme est matérialiste et « Wittigienne », dans ce sens « être féministE, c’est lutter pour les femmes en tant que classe et pour la disparition de cette classe » ; alors que « pour de nombreuses autres cela veut dire quelqu’une qui lutte pour la femme et pour sa défense, pour le mythe donc et son renforcement » ( On ne nait pas femme, M. WITTIG, in “questions Féministes” N°8, mai 1980).

Les rapports sociaux de sexe devraient produire autant de sexes que d’individuEs, si ce système hétérosexiste ne réifiait pas en permanence, comme fait de nature, deux sexes et tout ce qui en découle.

(C’est une des limite des grilles d’analyse féministes (exceptée Wittig, le corps lesbien) de n’analyser que les constructions de « LA masculinité » et de « LA féminité » de groupes sociaux hétérosexuels. Qu’en est -il DES constructions « Des masculinités », « Des féminités » chez les pédés, les gouines…, et ce même si le mouvement homosexuel tend à s’homonormativiser sur le modèle hétérosexuel et aussi à s’homonationaliser).

C’est un prolongement des grilles d’analyses féministes, qui au sein des contraintes qui nous font advenir comme sujet, laisse à celui-ci, des marges de résistance (notamment au niveau du genre, mais qui n’est plus du genre, car le genre est binaire) dans et non pas hors du champ social.

Qui, d’ailleurs,  pourrait prétendre y échapper?

Ce prolongement peut permettre aux individuEs, dans des relations sociales (D. Kergoat distingue notamment rapports sociaux et relations sociales, dans le sens où les antagonismes ne sont pas forcement à l’œuvre dans toutes les rencontres interpersonnelles), et je pense notamment à ma construction personnelle, de créer d’autres réalités visibles et violemment  sanctionnées, mais qui peinent à entrer dans le champ social en raison du système de fabrication asymétrique du genre nécessaire au fonctionnement de la société dans la quelle nous vivons.

 

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6- La question de l’intersectionnalité revient souvent dans tes propos : “races”, classes… de futurs projets autour de ça?

Non, car je n’ai actuellement pas de projet tout court.

De plus, même si je suis questionné-e par ces entremêlements d’oppressions, je le suis en tant que personne blanche, transwhatever, de classe moyenne (si elle existe encore), avec une validité variable dans le temps et d’une génération différente de celles que je suis amené-e à croiser.

Je fréquente dans mon quotidien, des personnes précaires et de classe moyenne, valides, des lesbiennes, gouinEs, un pédé, des hétéroEs et biEs et quelques “blacks” et “arabes” (je reprends les “auto-nominations” des personnes), mais mon univers reste, je le constate, assez blanc.

De ce fait, aller piocher dans chaque catégorie, sans participer pleinement aux luttes, vies, ne fait pas partie de mes pratiques.

Cette année, je souhaitais amorcer un projet, qui me tient à cœur depuis longtemps, qui est de questionner “la validité présumée et la situation de handicap présumée” dans nos milieux, mais je n’ai pas eu l’énergie suffisante ni les contacts pour le réaliser.

Donc, si j’ai un projet à mettre en œuvre dans le futur, ce sera prioritairement celui-ci.

7- Tous les ans, ou souvent tout du moins, tu te rends aux UEEH : quel témoignage t’inspirent-elles?

Ueeh, comme/

 nostalgie/

espace/temps/ inimaginable

offert/

 à nos envies

à nos/

réalités impensables

Ueeh comme

 partages/

plaisir des rencontres/

discussions/réfle(ct)ions/

Ancrage

sur le sol d’un

patio

sur le verre/brisé

de nos montres

Découvertes/ateliers/plaisir

aller juste/

vers l’autre.

Solidarité/ la main tendue/

pour oublier/ réécrire et

Dépasser/

ensemble/

les coups et blessures reçues

d’une société

qui nous a laisséEs/

NuEs

Ueeh comme/

être

cet être qu’on ne peut

par/être

dans le quotidien de nos vies/

contraintes/

par la normalité/l’ individualité

et le profit

Comme être/

avec d’autres êtres en/

dé/construction/

en re/construction

en dé/formatage de nos/

cerveaux

re/significations de

nos corps

quand les paroles/

d’autres

résonnent en toi/

comme un /

possible

jamais imaginé car/

impensable/

 jusqu’à ces rencontres /

juste

véritables.

Ueeh comme/

 être ensemble

dans des soirées débridées

dans des ateliers passionnés

dans les gestes esquissés/

sans ambiguïté/

sur les matelas

 affalés/

d’un /calinodrome

comme des possibles/

avec vue/

 sur les calanques

comme un arrêt/

 brutal/

qui vous change à jamais /

et vous laisse

le gout du manque

Être et co-êtreS,

pour et ensemble/

construire

nos rêves et nos luttes

Ueeh pour partager /

nos vécus/ nos idées/

nos douleurs / nos cris/

nos joies/ nos amours

Ueeh comme /

populaires

comme/

 politisation

sans agressions/ sans

silences génés

comme

se repenser/

se déconstruire sans

jugements

sans peur de se perdre/

Ueeh,comme /

Nous repenser

dans la joie/

dans les conflits/

mais avec /

cette bienveillance

qui a déserté

tes dernières années…

Naïel, 29 aout 2012

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8- Je crois que tu participes aussi à l’Existrans… Tes photos disent quoi de ce moment de visibilité ?

J’ai participé à l’Existrans de 2005 à 2010, avec des motivations, des rôles et un enthousiasme différents selon les années.

Que disent mes photos de ce moment de visibilité?

Je pense tout d’abord que ce n’est pas à moi de dire ce qu’elles peuvent dire mais aux gentes qui les regardent.

Ce dont je peux parler, par contre, sont :  ma manière d’aborder les Existrans et les manifestations avec mon appareil et  ce que m’évoquent ces traces quelques années plus tard.

En ce qui concerne ma façon d’aborder les Existrans et les manifestations, elle tient plus de l’ordre du reportage; pas du reportage avec des clichés chocs, mais plus du reportage qui essaye de relayer les messages politiques de ces manifestations par le médium de la photographie.

Elle se différencie aussi du reportage dit classique, dans le sens où c’est un reportage « de l’intérieur »: je me trouve à chaque fois confrontéE à la double difficulté d’être acteurE de la manifestation et dans le même temps spectateurE attentivE. Ce sont des photographies qui sont situées, elles viennent du « dedans-dehors ».

De manière plus générale (mais je l’ai très peu pratiqué, de fait, pour les Existrans), je parcours la manifestation une première fois, en étant toujours dedans-dehors, pour essayer de shooter les pancartes, les banderoles, les slogans, les associations, groupes présentEs, les messages politiques délivrés.

Puis la seconde partie se passe au gré du déroulement de la manifestation , mais usuellement  je prends des portraits, des expressions, des moments d’humanité….

En ce qui concerne l’Existrans, de 2005 ( ma première) à 2010 ( ma dernière), je me suis apercu-e que je prenais de moins en moins de photos et que je ne prenais plus les mêmes photos:

Après 2009, je n’avais plus envie de continuer d’essayer de montrer cette apparence de pseudo-unité/ cette apparence de « communauté trans ». Il devient à un certain moment impossible de photographier côte à côte des personnes qui se sourient en se haïssant profondément.

Au fur et à mesure des années et de mes implications diverses dans ce qui est communément appelé » le monde trans », dans ses divers strates et sous groupes; quand les batailles, politiques ou non, internes déchirent les groupes, les amitiés,quand ont disparu la joie d’être ensemble pour cet unique jour de visibilité trans, la solidarité, la liberté de s’exprimer, la possibilité d’être soi tout simplement; que reste-t-il à photographier ?

 

Un charnier d’Égos démesurés drapés des immaculés Trans ou Rainbow flag ? Des sourires figés qui construisent la muselière du dicible ! La flamboyance du pseudo consensus ?….

Pour cette interview, je me suis obligé-e à rechercher dans mes cd, dvd puis disques durs, les photos prises lors des différentes Existrans et autres manifestations trans ( celles-ci ayant disparu du net, suite à la fermeture de slide.com en janvier 2012), avec une certaine nostalgie mais surtout avec un sentiment de pesanteur intense..

Que m’évoquent-elles, là, ce 24 aout 2012, soit 7 ans après la première et 1 an et demie après la dernière à laquelle  j’ai participé?

Ce regard est le regard situé d’une personne transidentitaire, sur son propre regard passé et avec sa double, voire triple, position au sein des Existrans, suivant les années ( j’expliquerai plus loin, la question des multiples positions/situations).

En 2007, j’ai réalisé très peu de photos pour cause de double  » appartenance » à l’organisation de l’Existrans et à un groupe informel.

Celles que j’ai pu réaliser à l’aide d’un petit bridge numérique, montraient , je crois, mes illusions de l’époque: l’espoir de la convergence des luttes; avec des banderoles , des pancartes, qui re-politisaient les luttes trans au sein / en les croisant avec d’autres luttes comme l’anti psychiatrie, la colonisation des minorités, le système binaire hétéropatriarcal et donc les féminismes, les questions du fichage des déviantEs de toutes sortes…

Pour résumer, il ne s’agissait pas de lutter seulement  pour des droits pour les trans ( et avec la difficile question de l’intégration-assimilation) mais contre un système politique qui attaque touTEs les anormaLEs, toutes les minorités. Il faut rappeler que 2007, c’est Sarkozy élu président en (f)rance!

C’était aussi la première fois, à ma connaissance, que se déroulaient de manière simultanée et avec les mêmes mots d’ordre, 3 Existrans, à Barcelone,Madrid et Paris ( le 07/10/2007). Cette « première » a été rendue possible grâce aux rencontres entres activistes trans castillan-ne-s, catalan-e-s et français-e-s lors des UEEH en juillet 2007 ( http://www.ueeh.net/).

Depuis, cela a conduit petit à petit à la création du réseau STP 2012 ( Stop trans pathologization, 2012 pour la sortie du DSM V prévue en 2012 mais qui finalement n’arrivera qu’en 2013) , officiellement créé en juin 2009.

 

STP 2012 regroupe à l’heure actuelle plus de 300 groupes et réseaux dans le monde et coordonne tous les ans un « international day of action for transdepathologzation », qui aura lieu cette année le 20 octobre 2012. « Le dernier octobre 2011, des groupes activistes de 70 villes d’Amerique Latine, Amérique du Nord, Asie, Europe et Oceania ont organisé des marches et d’autres actions sous la campagne STP-2012 » ( http://www.stp2012.info/old/fr).

Pour en revenir à la photographie, mes quelques shoots de 2007 disent cela: l’empowerment, la joie d’être là, la solidarité avec comme banderole de tête » contre la psychiatrisation, Résistrans » et avec une banderole d’un groupe informel  » Les normes sont trop étroites pour penser Nos réalités » qui restera gravée dans beaucoup d’esprits. Elles ne disent pas les guerres internes.

En 2008 et 2009, mes photographies m’ évoquent la rage , la joie d’être ensemble, de hurler, la fierté juste d’être, la diversité, les possibilités de convergences de luttes encore présentes  ( un croisement avec une manifestation de soutien à des sans papierEs, qui donne lieu à un die-in commun),  des revendications sans frontières ( En 2008, 11 ville européennes se sont mobilisées pour la dépathologisation trans , le même jour avec comme mot d’ordre: « Ni homme, ni femme, le binarisme nous rend malade »), l’appropriation de l’espace public, la diversité, le partage, les copain-e-s..

Il y avait encore tout cela en 2008, malgré les tensions internes qui s’intensifiaient et se cristallisaient.

2009, montre l’apparition de nouvelles associations ( Outrans, et d’autres que je ne souhaite pas citer), Bachelot et sa fausse dépsychiatrisation (et où, malgré les divers communiqués de presse des diverses associations pour expliquer, qu’en (f)rance, les trans étaient toujours soumis-e-s à la toute puissance de la psychiatrie et de ses équipes off et que rien n’avait changé, cette annonce de changement d’ALD a eu pour conséquence directe une désinformation de masse qui court encore aujourd’hui), la présence d’une association féministe ( les tumulutueuses) , la joie de se retrouver, les amourEs passagères ou durables, les générations qui se mêlent, mes amiEs, les amitiés qui se sont éteintes ou fracassées, les personnes qui changent et quittent votre quotidien, celles qui restent et vous le rendent insupportables, de nouveaux visages…la vie , quoi ! Et toujours, comme dans toutes les Existrans auxquelles j’ai participé, l’interpellation sur le VIH, la situation des séropoEs qu’on expulse et les travailleusEs du sexe.

En 2010, je n’ai quasiment pas pris de photographies (une dizaine) en raison d’une lassitude, et « d’un ciel si bas qu’un canal s’est pendu »…

Voilà ce que je peux dire aujourd’hui, de mon regard délavé sur mes regards passés sur les divers Existrans.

9- Pour finir, de manière plus personnelle peut-être, pourrais-tu nous parler de ton regard d’artiste et de militant.e sur le mouvement LGBTIQ ?

De L.G.B.T.Q.I./

ne restent que

trop souvent/

 une majorité qui décrie

ceulLEs /

encore trop/

 déviantEs

Du L et du G/

enfin/

surtout du G

dans les saunas du Marais

dans les prides/

 de juin à juillet/

la beauté/

conventionnelle/

dégouline quelque  peu

sur /stonewall

de revendications

 bien frêles

la techno a remplacé le music hall

En 2012, je

vote?

pour continuer /

d’expulser

celLes qui sont néEs

avec la peau/

 un peu trop foncée

Mariage et égalité

comme ultime/

 révolte

folles butchs et T

trop visibles

trop radicalEs

s’abstenir

quand leur avez vous

fermé /

votre porte

à grand coups de

normalité?

Et pourtant, jamais/

je n’oublie/

que du L, je suis néE/

que dans les quelques bars

de/ Paris

j’ai commencé à aimer

sans me/

haïr.

Mais, aujourd’hui/

dans les poubelles de l’oubli/

côte à côte/

 le F.H.A.R.

les Gouines Rouges et le G.A.T.

Gisent /

sous l’étendard de l’homonormativité

Pour des sous-droits obtenir/

il semble que

doivent mourir/

le souvenir du DSM

et, de touTes les déportéEs

les luttes conte un système

le féminisme/

 oublié

Et pourtant, jamais/

je n’oublie/

que du L, je suis néE/

que dans les quelques bars

de /Paris

j’ai commencé à aimer

sans me

haïr.

Mais quand , dans les journaux

les paroles de vos ennemiEs vous/

 reprenez/

parce qu’un mec trans a osé/

enfanter

quand dame Nature vous/

convoquez

pour votre dégoût et votre haine

légitimer/

Quand de vos centres, vous chassez

des séropoEs parce que

putEs, trans, gouinEs,

pédés et précaires

car /dans les vitrines de beaubourg

ça fait un peu tâche

ces gentes/

 qui viennent se réfugier

ça manque/ un peu de panache

ces gentes encore

psychiatriséEs/ stériliséEs

violéEs / expulséEs…

Vos paillettes ne peuvent-elles supporter

d’ètre un peu/

 ensanglantées/

juste/ par nos réalités?

Quand vos discours d’intégration

sous le régime de l’état-Nation/

prennent le pas /

sur la solidarité

et écrasent d’autres

minorités…

Alors oui , aujourd’hui/

j’ai envie d’oublier/

que dans cette communauté/

je suis néE

tellement j’ai envie de

gerber.

 

naiel i had a dream


*Ce texte ne concerne qu’une majorité d’homosexuelLEs et pointe les dérives des luttes pour les droits pour une  majorité et non des droits pour ToustEs.

Naïel, 30 aout 2012.

 


Mis en ligne : 6 septembre 2012.

Karine Espineira : Eléments de méthodologie

Karine Espineira

Université de Nice Sophia Antipolis
Cofondatrice et coresponsable de l’Observatoire des Transidentités


 

Couverture : La Transidentité, de l'espace médiaque à l'espace public

Avant de vos présenter un montage susceptible d’illustrer les propos de Maud-Yeuse Thomas, Ali Aguado et Éric Macé, je vais présenter la cadre de ma recherche.

J’achève une thèse de doctorat en Sciences  l’Information et de la Communication à l’Université de Nice. Je suis familiarisée avec le terrain transidentitaire depuis 1996, avec un engagement associatif qui a débuté à l’ASB. Dans la même période, je participe avec Maud-Yeuse Thomas aux « séminaires Q comme Queer » (1998). Mon parcours associatifs prend une nouvelle direction en 2005 avec la fondation, de l’association Sans Contrefaçon, et en 2010 avec la création de l’Observatoire Des transidentités (ODT) avec M.-Y. Thomas et Arnaud Alessandrin.

Cette observatoire qui est une sorte de revue en ligne a été pensé  comme un espace de théorisation et de réflexion, comme une plateforme établissant un lien entre le terrain trans et l’académie, entre trans et non trans, de tous les acteurs de la culture, du terrain de l’information, du support  et de la prévention. Ainsi nous publions aussi des universitaires et des non-universitaires, dans le cadre des études de Genre et des Trans Studies. Autant dire que nous sommes dans la diversité des points de vue, les médiacultures la multiculturalité.

Pour ma part, je travaille sur les modélisations sociales et culturelles des transidentités dans le média audiovisuel : la télévision. J’ai publié un essai en 2008 sur cette question, cet ouvrage est un prémisse à ma recherche actuelle.

J’inscris cette recherche dans les études de genre ainsi que dans de possibles Transgender Studies en France. Je me place dans la perspective ouverte par de Marie-Joseph Bertini qui souligne que les sciences de l’information et de la communication après avoir considéré les signes, les symboles, ou encore les dispositifs techniques, ne peuvent ignorer le rôle de la variable genrée dans les processus de communication.

Je m’intéresse à l’institutionnalisation des relations trans et instance médico-légale, trans et média, à travers les imaginaires sociaux. Bien entendu je renvoie à la pensée de Castoriadis. Je considère aussi les imaginaires médiatiques et je renvoie aux apports des Cultural Studies avec Stuart Hall, Éric Maigret, Éric Macé, entre autres.

Ma grille conceptuelle se décrit très brièvement ainsi :

Standing point, épistémologie du positionnement, des savoirs situés (Donna Haraway, Elsa Dorlin)

– Orthopédie sociale, Savoir et Pouvoir (Foucault, French theory)

– Médiologie : effets symboliques des effets techniques, et efficacité symbolique (Régis Debray, Daniel Bougnoux)

Je pourrais encore vous dire que ma recherche est qualitative, action, observante et dans mon cas précis – je parle de mon appartenance au terrain, à mon expérience du changement de sexe, du changement de genre, c’est-à-dire en me référant à la notion de « transsexualisme » comme concept et pratique – comme auto et rétro-observante. On voit l’intérêt que je trouve dans l’épistémologie du positionnement.

 Mon terrain on l’a compris c’est les communautés trans. Je m’appuie aussi un corpus forme sur les bases archives de l’Institut National de l’Audiovisuel, mais je considère désormais ce corpus comme un second terrain après trois ans de visionnage de ce qui me paraît être un champ de fouille archéologique.

 Je vais vous présenter un document, ou plutôt un montage d’un quart d’heure environ qui retrace quelques étapes de l’histoire de ce concept et de cette pratique qu’est le changement de genre oblitéré par le « changement de sexe » si cher au public, aux médias, et à certaines institutions garante de l’ordre symbolique.

Je n’ai pas choisi les extraits au hasard mais avec l’idée d’illustrer les présentations qui vont se succéder, et notamment l’invisibilité des FtMs.

Lien vers le montage :

http://www.dailymotion.com/KEUniversite#video=xpccu9

 

illustration-karine-queerweek.jpg

 


Mis en ligne : 18 mai 2012.

Maud-Yeuse Thomas : Conditions actuelles des protocoles médico-légaux

Maud-Yeuse Thomas

Chercheuse indépendante,
Cofondatrice et coresponsable de l’Observatoire des Transidentités


Conditions actuelles
des protocoles médico-légaux
(1)

La question liminaire était formulée ainsi : Deux ans presque jour pour jour après le retrait officiel des « troubles de l’identité de genre » de la liste des affections mentales de longue durée, qu’en est-il de la représentation française des transidentités ? Réponse, rien n’a changé et rien ne changera sans nous. Roselyne Bachelot n’a rien dépsychiatrisé sur le terrain. Des siècles d’indifférence ou d’oppression à l’égard des minoritaires ont permis l’escalade des pathologisations tout au long d’un XXème siècle rationnaliste. Aussi, le problème dépasse très largement le seul champ psychiatrique puisque celui-ci dépend en fait d’un contexte social que le « médicolégal » vient ordonner sur des critères rationalisables et quantitatifs (2).

L’OMS, à la suite de la proposition de réécriture du DSM V, a lancé une invitation pour une réécriture programmée de la CIM. Elle s’est déroulée à la Sorbonne en décembre 2010 (3) en présence entre autre de responsables d’asssociations et de représentantes de la Sofect. Retour analytique sur les conditions de prise en charge et leur critères au regard d’une contextualisation d’époque.

DSM IV

Identification intense et persistante à l’autre sexe (ne concernant pas exclusivement le désir d’obtenir les bénéfices culturels dévolus à l’autre sexe)

Sentiment persistant d’inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d’inadéquation par rapport à l’identité de rôle correspondante

L’affection n’est pas concomitante d’un phénotype hermaphrodite

L’affection est à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

Cette définition est entièrement centrée sur 1/un individu atypique et isolé ; 2/ neutralisée par rapport à un contexte de société. La « société » est le modèle dominant sous la forme d’une binarité psychosociologique postulant une identité biosociologique rationalisant a priori et après coup des comportements, rôles et places. Le cadre normatif n’est jamais présenté alors qu’il isole la personne et fracture son unicité d’existence via ces deux caractéristiques socialement et culturellement antagoniques : « identification au « sexe opposé » » ; « souffrance, malaise ou inadaptation par rapport à son sexe anatomique ».

Il n’y a plus d’individu mais une affection reposant sur l’équation de la souffrance, norme médicale justifiant et légitimant le contrôle scellant l’individu dans une contrainte au déni de soi-même ou la contrainte à la transition transsexe. L’on a scellé cet individu d’autant plus aisément que l’enfant l’a été, fabriquant une condition et un fonctionnement solitaire en lieu et place de son développement ritualisé ; situation que l’on pourra d’autant plus aisément « diagnostiquer ». Mais que se passe-t-il si l’individu ne souffre pas ou plus ? D’emblée, cette question est écartée.

Le « transsexualisme » ou « process transsexe » est résumé et cantonné à l’addition de deux facteurs dans la CIM-10 : « Trouble de l’identité sexuelle de l’enfance » (F64.1) et « transvestisme bivalent » et (F64.2) présentés comme étant deux états différents se superposant en raison d’un trouble désorganisant –et non pas organisant- la vie psychique. On ne précise jamais ce qui le désorganise : la seule explication d’une « identification au sexe opposé » se suffit.

CIM-F64.1 –  Travestisme bivalent

Ce terme désigne le fait de porter des vêtements du sexe opposé (…), de façon à se satisfaire de l’expérience d’appartenir au sexe opposé, mais sans désir de changement de sexe (…); le changement de vêtements ne s’accompagne d’aucune excitation sexuelle

CIM-F65.1 – Travestisme fétichiste

Port de vêtements du sexe opposé, principalement dans le but d’obtenir une excitation sexuelle et de créer l’apparence d’une personne du sexe opposé. Le travestisme fétichiste se distingue du travestisme transsexuel par sa nette association avec une excitation sexuelle et par le besoin de se débarrasser des vêtements une fois l’orgasme atteint et l’excitation sexuelle retombée. Il peut survenir en tant que phase précoce du développement d’un transsexualisme.

L’un de ces facteurs désorganisant est précisément le désir, corolaire d’une identification non pas à un « sexe » mais à un groupe de genre via une appartenance et adhésion de genre ritualisée ; le qualifier de sexuel et le caractériser de transvestisme permet cette prépathologisation, de sortir le désir de l’équation pour se centrer sur une souffrance individuelle. On voit en F65.1 que le travestisme fétichiste, à peine distingué du « bivalent », a été pathologisé dans ce collage travestissement-sexualité. Cette architecture trie et typifie ces deux types de transvestismes, organise une différence dans le lien entre une désexualisation (« bivalent ») et une sursexualisation (« fétichiste »). Ce qui a eu pour conséquence la production d’un récit trans désexualisé qualifiant le « transsexualisme vrai » et « faux » que reprennent nombre d’associations. D’où cette distinction primaire/secondaire, voire ternaire. Pourquoi donc les « trans » ne peuvent-ils pas obtenir des « bénéfices culturels » ? Peut-on les séparer de ce qui constituerait de l’être ?

Architecture du classement dans la CIM10

(F00-F99) Troubles mentaux et du comportement

F60-F69 Troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte

F64 Troubles de l’identité sexuelle

F64.0 Transsexualisme

Il s’agit d’un désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation par rapport à son sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré.

 

•F64.2 Trouble de l’identité sexuelle de l’enfance

•Trouble se manifestant habituellement pour la première fois dans la première enfance (et toujours bien avant la puberté), caractérisé par une souffrance intense et persistante relative au sexe assigné accompagné d’un désir d’appartenir à l’autre sexe (ou d’une affirmation d’en faire partie). Les vêtements et les activités propres au sexe opposé et un rejet de son propre sexe sont des préoccupations persistantes. Il faut qu’il existe une perturbation profonde de l’identité sexuelle normale pour porter ce diagnostic; il ne suffit pas qu’une fille soit simplement un « garçon manqué » ou qu’un garçon soit une « fille manquée ». Les troubles de l’identité sexuelle chez les individus pubères ou pré-pubères ne doivent pas être classés ici, mais en F66.-.

L’on a donc un trouble spécifique dans l’enfance (F64.2), frontalement distingué du « trouble du transsexualisme » (F.64) spécifique à l’âge adulte. Ils sont classés et constitués de telle manière à :

1/ reconstruire le prédicat naturaliste dissimulant le prédicat culturaliste ;

2/ qu’ils ne puissent être immédiatement placés sur un même plan comparatif, rendant là ainsi le rapprochement et la comparaison difficile et spéculative ;

3/ permettant une réfutation aisée et dissimulant la forclusion des franchissements de genre composant la binarité cisgenre.

Cette distinction dans l’architecture classificatoire a une conséquence cruciale : chaque individu doit reconstituer (péniblement, on le sait) le lien unitaire entre son enfance et l’âge adulte, ce qui ajoute encore à son isolement et sa détresse Situation qui favorise la nécessité d’un « suivi » et donc d’un « diagnostic » alors que cette distinction est performative en cloisonnant les périodes d’existence et alors même que le prédicat psychanalytique prétend au déterminisme vécu dans l’enfance ; périodes présentés comme étant deux états distincts, deux personnes différentes, en affirmant que l’identité de genre subjective se noue avant l’âge de deux ans et est irréversible. Sauf ici donc. Sujet béat, sujet béant dont on a masqué la forclusion culturelle sous l’imposition d’un universalisme naturaliste abstrait.

Ce modèle d’identité sexuelle organise entièrement une fois admis que le changement peut-être sinon thérapeutique, du moins la « moins mauvaise solution » :

– une transition de sexe subordonnant une transition préalable de genre alignée sur la conception cisgenre (6);

– une transition de changement de sexe suivi du changement juridique qui lui est subordonné impliquant 1/ une stérilisation de fait ; 2/ un divorce pour les personnes mariées afin d’éviter le précédent d’un mariage « homosexuel ».

Parmi les conséquences systémiques désengageant l’individu dans sa dimension privée pour sa dimension sociale :

1/ d’aligner la transition transsexe sur le modèle cisgenre essentialiste (process transsexe) :

2/ de distinguer transsexualisme et intersexuation alors qu’ils procèdent de la même matrice essentialiste et constructiviste : dans les deux cas, on fabrique des hommes et des femmes via la double technique médico-sociale et juridique ;

3/ de rejeter tous les franchissements non-binaires.

Maintien politique de la réponse clinique intersexe et trans, fabrique de corps normés via l’ancrage du corps, ce « roc du sexe » fondationnel (F. Héritier) ou constructiviste (toute la tradition « psy » depuis Freud).

La neutralité affichée du DSM et de la CIM synthétise ce contexte surplombant et invisibilisant maintenant la typologie sain/pathologique et s’alignant sur une division sociopolique en plaçant tout arbitraire à distance.

Arnaud Alessandrin (7) propose cette lecture des attendus du DSM :

1. La permanence du changement (et donc du désir de changement) doit être avérée

2. La binarité est la règle (l’autre sexe ayant plus ou moins de « bénéfices culturels »)

3. Le changement ne peut être ludique : il est issu d’une souffrance et d’un inconfort

4. Cette souffrance est une des conditions cliniques à l’obtention d’une opération remboursée

5. Le genre est abandonné au profit du sexe.

Prise en charge économique et médicalisante vont de pair pour juguler/contrôler les individus minoritaires recaractérisés dans cette architecture psychiatrique protégeant l’architecture juridique. Le diagnostic n’est plus que l’écart genre vécu/observance normative et non un genre vécu vs sexe biologique.

Comme indiqué, une réécriture du DSM a été programmée sous le nom de « non concordance de genre » (en anglais Gender incongruence) et l’OMS a proposé de même pour la CIM10, proposition à laquelle nous avons été convié.es (décembre 2010 (8)).

Une non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues d’au moins 6 mois et qui se manifeste par au moins deux des indicateurs suivants :

 

– Une non concordance de genre marquée entre les expériences de genre vécues et les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires ;

– Un désir fort de se débarrasser des caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’un des deux sexes du fait d’une non concordance marquée entre l’expérience de genre vécue et le genre assigné ;

– Une attirance forte pour les caractéristiques de l’autre sexe ;

– Un désir d’appartenir à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné.

Quelques remarques : 1/ on passe du schème de l’opposition à celui de non concordance ; 2/La primauté absolue du sexe fait place à une relationalité du sexe et du genre 3/ dès le premier attendu, le contexte culturel est prééminent. La gestion des « bénéfices culturels » disparaît du tableau annulant ainsi le tri entre des individus transsexe et transgenre.

La notion de « l’autre genre » compris comme étant le « genre opposé » mue en un « tout autre genre alternatif », non seulement comme corolaire (et au sens) du genre assigné mais également de sa relationalité avec le sexe. Nous ne sommes plus dans l’hypothèse spéculative d’un 3e sexe ou genre mais dans cette multiplicité ouverte. Bref, le « Gender » pointe. Cela est beaucoup plus fidèle des transidentitaires, en particulier dans la confluence trans, queer et féministe, sans oublier la dimension de la sexualité en lien avec une identité de genre mouvante (7). L’on dégénitalise le genre en dissociant le sexe du genre tout en gardant le lien rituel entre genre et identité sexuelle. La neutralité de la définition est abandonnée pour le vécu et l’interrogation contextuelle des assignations. On parle toutefois de désir fort, d’attirance forte, de volonté forte, de conviction. On porte l’attention sur le vécu de l’individu mais il doit être plus fort que l’adhésion aux normes sensée être la « moyenne » et surtout la « population globale ». De fait, très vite l’on est revenu à la clinique d’une « dysphorie de genre », remédicalisant tout passage et redonnant au psychiatre, la haute main sur ceux-ci. De fait, la raison économique gouverne ce dossier.

Le critère de « non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues » est pourtant très révélateur des déconstructions et recompositions non-binaires et non naturaliste (8). Cette conception s’appuie sur une trajectoire d’existence acceptant l’aléa et la contrainte à l’assignation dans l’articulation sexe-genre. Le sujet sous-jacent n’est autre que le développement de l’enfance à l’âge adulte et où le critère de « maturité sexuelle » est corrélé à l’équilibre affectif et relationnel et non à la capacité de procréer. L’impensé radical est ici est la stérilisation dans la condition de passage légalisée. Thomas Beatie l’a replacé au cœur du désir d’enfant. A coup sur, un « bénéfice culturel ». 

Tous ces critères organisent ce clivage culturel, Nous/les Autres, sain/pathologique. Le transsexualisme moderne est lié au fait qu’il ne sont pas tenus en compte les tiers identitaires et donc de médiations tiers. D’où ma question, suis-je humain si je ne suis ni un homme ni une femme ? (9) Quelle est cette identité non fixée ? Comment puis-je la médier ? Quel lien dois-je constituer ? Qui puis-je aimer et qui peut ou veux m’aimer ? La réponse s’est imposée en l’absence de régulation sociale. C’est cela qui est en train de changer actuellement dans la confluence trans, féministe et queer dans les lieux de sociabilité incluant l’identité de genre trans. La diversité des parcours trans’ ou proches est liée à l’émergence d’une subculture trans’ au sein du foisonnement actuel sur la notion de multiplicité appliquée au genre ; au renversement épistémologique que cette notion provoque.

Pour conclure, une illustration de la question trans avec le film d’Alain Berliner Ma vie en rose. Ludovic s’identifie au féminin et, parce qu’il suit les normes de genre social, il veut l’éprouver en société. Berliner, comme Céline Sciamma avec Tomboy, situe son propos dans l’enfance en reposant la question au cœur du développement, avant le transsexualisme compris invention médicale et désir de vivre dans l’autre genre social. Nous sommes en amont du scellement « trans-sexuel ». Rien n’est encore fixé. Cela peut se résoudre dans l’articulation d’une identité « trans-genre » : Alain Berliner ne nous donne pas de prénom féminin pour cet enfant. Au terme d’un parcours éprouvant, la famille doit fuir et déménager. Nous sommes en aval de ce scellement : Ludovic va bientôt s’emmurer vivant, va devoir rêver sa vie aux couleurs du rose, se choisir un prénom opposé, un prénom féminin. La rencontre avec son aller ego se rêvant au masculin à la fin du film constitue le dernier trait d’union. Avant, il est dans l’identification à son genre propre, il peut ne pas vouloir changer de prénom, sa trajectoire peut aller et venir dans l’espace culturel des genres non opposés. Après, il est dans le désir de changement de sexe, de vouloir ce prénom féminin au lieu d’un prénom-identité mixte, androgyne, pluriel…

Donna Haraway écrit dans le Manifeste cyborg, les théories ont une valeur et cette valeur est déterminée par l’histoire. La construction même du sexe et du genre en objets d’étude contribue d’ailleurs à reproduire le problème, nommément celui de la genèse et de l’origine. Si le sexe est cette origine et le genre cette genèse, que restait-il donc à ces gens pour raconter leur histoire ? Comment des gens dont l’histoire est celle de la butée d’une pathologie pouvaient-ils dénouer ce nœud ? La réponse est diverse et cette diversité organise les rapports, soumis ou conflictuels, avec l’instance nouante.

En travaillant en articulation avec les questions trans et intersexué.es, la question déplacée au centre des débats se pose ainsi : peut-on  aménager des passages et franchissements de genre avant les modifications corporelles ? La réponse administrative au cas par cas peut-être une réponse. C’est la solution administrative proposée par l’Australie, un X pour les intersexes et trans’ et la proposition de loi en Argentine en 2011 à la Commission du Congrès argentin par le tissu associatif(10) pour ritualiser les transitions à partir de l’état civil et non des corps, transformés ou non. La solution proposée par le Népal en 2010 reconnaissant l’existence d’un troisième sexe-genre constitue une réponse sociopolitique à moyen terme et une réponse philosophique sur le long temps culturel. Elle n’inclut pas des exceptions et des minorités, elle inclut une population et avec elle, des personnes.


1. La conférence peut être écoutée sur le site de Queer Week, http://queerweek.com, Mercredi 07/03, Conférence, Réflexions sur la transidentité.

2. Autant le contexte du transsexualisme était limité, autant le contexte des transidentités s’ouvre à des espaces de mixité pluri-identitaire. Je ne ferai pas de distinction entre les différentes formes de transidentités sauf précision et surtout pas ce qui constitue le conflit actuel de vrais et faux trans que l’idéologie cisgenre a véhiculé.

3. Attendus de cette Journée d’Etudes, CIM, Dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/

4. Alignement du genre au sexe par assignation fixe : mâle-homme-masculinité, femelle-femme-féminité.

5. CIM 11 et DSM V : faut-il déclassifier les variations de genre ?, Dossier CIM : dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com.

6. Dossier CIM : dépsychiatriser, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com.

7. LG… BT? Bisexualité, transidentité : invisibilité(s), http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/article-lg-bt-bisexualite-transidentite-invisibilite-s-87645849.html

8. Sujet sous-tendant de nombre de fictions XXY de L. Puenzo, Tomboy dfe C. Sciamma) et de documentaire (Mon sexe n’est pas mon genre, V. Mitteaux; L’ordre des mots, C. et M. Arra).

9. L’ordre des mots, C. et M. Arra.

 10. Association de travestis, transsexuell,es et transgenre d’Argentine ; FALGBT, fédération argentine Lesbienne, gay, bi et trans.


Mis en ligne : 18 mai 2012.

Charlotte : Lettre à celles et ceux qui n’aiment pas les trans et les inters

Charlotte

 

Ingénieur directeur de projet


 

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Oui, depuis mon plus jeune âge, j’aime porter des vêtements féminins alors qu’on m’a déclarée garçon à la naissance. 

J’avoue la faute, j’ai commencé à l’âge de 1 ans. Pour fêter mes premiers pas ma maman a fait plusieurs photos photo, frange, chignon, robe.

Je suis donc un pervers, un malade, un déglingué et ce depuis le plus jeune âge. Plus tard je me suis laissé pousser des seins, c’était vers 11 ans. Des seins que les copains auraient bien aimer toucher mais moi je ne voulais pas. 

Alors on m’a battue, on m’a montré des choses qui peuvent choquer un gosse encore nubile, on a dit les pires âneries sur moi et quarante ans plus tard, j’ai toujours du mal à supporter la présence d’un homme à moins d’un mètre de moi. C’est compliqué, j’aime vivre en femme, au milieu de femmes et je ne suis pas attirée du tout par les hommes !

Encore plus compliqué. J’aime vivre au milieu de femmes, qu’on me dise naturellement « madame » mais en même temps je suis très à l’aise avec mon équipement intime masculin. Je n’envisage pas du tout de m’en débarrasser !

Alors que suis-je ? A quoi voulez-vous m’associer ? Moi même j’avoue que j’ai bien intériorisé toutes les idées reçues sur les trans. Comme tout le monde, il m’arrive de détester ce que je suis, surtout quand mes particularités blessent quelqu’un.

Pourtant les choses sont très simples, un jean’s moulant, un tee-shirt au dessus de la ceinture, les cheveux sur les oreilles, un élastoc et une queue de cheval et c’est des « bonjour madame » comme une pluie de  pétales. Pas besoin de bijoux, ni de maquillage, ni de talons.

Pourquoi arrive t-il que mon épouse souffre de mon état ?

A treize ans on m’a fait des injections de corticoïdes, à quatorze je suis passée aux testostérone. Rien à faire, mes seins grossissaient encore. Ca excitait les copains du rugby, d’ailleurs ils me violaient.  Chaque fois je croyais mourir, je leur ai même demandé de me tuer. On a préférer penser que je j’étais coupable, alors comme cadeau de Noël à 15 ans le corps médical m’a coupée. Plus de glandes, mastectomie bi-latérale. J’aime pas le père noël.

Les injections de  testostérone jusqu’à 19 ans, puis le père noël (le corps médical) m’a dit tu es Klinéfelter, tu n’auras pas de gosses, tu ne pourras pas te marier et… ton espérance de vie est limitée (35 – 40 ans). Ah, j’oubliais un truc, pas la peine de faire des études supérieures, les Klinéfelter, c’est pas pour eux (1).

Bon, bon, bon… ma fille a 23 ans, mon fils 26 ans, je suis mariée et je suis employée comme ingénieur directeur de projet. Je dirige la construction de grands trucs recevant du public,  de grandes usines, on fait appel à moi pour des trucs assez trapus. Dernier truc, je vais avoir 52 ans.

« Quand tu m’en a parlé, j’ai cru que c’était comme l’appendicite, une fois opéré c’est fini ». Je suis entrée en franc-maçonnerie à 30 ans et lors des entretiens préalables j’ai tenu à leur dire que j’étais opérée car à l’époque je me me disais que j’étais anormal. Je ne savais pas si les anormaux étaient admis en franc-maçonnerie.

Une fois opéré c’est fini ! J’avais une malformation, on me l’a retirée, je suis guérie ! A l’époque je voyais les choses comme ce monsieur qui était venu à la maison pour mieux me connaître avant que je ne sois admise en Franc-Maçonnerie.

J’étais corrigée,  mes « malformations » retirées. Cependant  je continuais à prendre des vêtements féminins. Par crises. D’autres crises faisaient de moi un superman. Rien dans la nuance, tout dans les extrêmes comme dit ma femme qui déteste les excès. Et oui,  j’ai pris l’habitude de vivre à fond, mon temps était compté. De plus quand c’est votre doublure qui est sur scène, vous lui faites faire les trucs les plus audacieux. Jusqu’à la délinquance car nous ne sentez pas les coups, c’est l’autre qui prend.

Au milieu de la quarantaine j’ai commencé à consulter un psy spécialisé, membre de l’équipe officielle de ma région. J’étais arrivé à un tel niveau de haine de ma personne… il fallait que j’en parle à un pro de la question. Je lui ai dit « docteur guérissez-moi. Retirez-moi ces idées de ma tête. C’est nul. Ca incommode mon entourage, je me déteste »

Ben, ça n’a pas marché. Au bout du compte j’ai opté pour une autre solution : cesser d’avoir honte de moi. Je voulais retrouver mes formes d’avant la testo. Il me fallait une hormonothérapie. 

Alors un samedi matin pluvieux nous avons été reçues avec ma femme par le grand psy officiel régional. Il ne nous a pas offert le café mais il a dit que deux personnes de même sexe ne pouvant pas être mariées, si nous persistions dans la demande il fallait d’abord divorcer. 

Des amis militants et militantes m’on donné un coup de main pour trouver des soignants non pervers (certains entretiennent la souffrance). Maintenant que j’ai fait monter le taux d’œstrogènes, je suis enfin bien dans ma peau. Les choses sont enfin simples. Je n’ai plus honte car on me dit « madame ». J’avais honte quand j’entendais des « monsieur » que je ne méritais pas, j’avais l’impression de mentir. D’être dans le faux.

Alors que suis-je ? Femme ? Homme ?

Quand je fais de la provoc, je dis « je suis bien depuis que je ne pose plus la question ».

Ca n’est pas faux mais le problème n’est pas là. Pour être bien il faut aussi que votre entourage soit bien avec vous, qu’il ne vous subisse pas. Que l’attrait soit sincère et réciproque. Que l’un des membres du couple ne porte pas les « écarts » de l’autre comme un secret de famille inavouable.

De ce coté-là j’avoue que c’est fluctuant. L’image que nous avons de nous est issue de l’image supposée que les autres on de nous. Hé oui, on ne vit pas sans le regard des autres ! 

« Bonjour mesdames », nous disent les commerçantes et les inconnues. Je suis flattée mais mon épouse vit très mal que nous soyons considérées comme un couple féminin. J’avoue que je ne sais pas quoi faire face à cette situation. Ca serait plus simple si je n’étais pas convaincue d’être une femme !

La place du genre est peut-être trop grande dans nos jugements. Mais comment relativiser la place du genre dans l’idée que nous avons des autres, donc de nous-mêmes ?

On peut aller très loin dans la mise en cause du genre et dire qu’il n’y a qu’un genre, le genre humain. Cependant on ne fait qu’esquiver la question fondamentale, peut-on choisir soi-même son genre? 

De mon coté je ne pense pas qu’on puisse être « hors-genre », comme on serait « hors la loi ». Je penserais plutôt que le genre est une conviction. Comme toutes les convictions, celle-ci doit être acceptée. C’est le principe de la laïcité, pas d’intrusion dans les convictions. A condition bien-sûr que  celles-ci ne s’imposent pas aux autres. Rassurez-vous, on n’a jamais vu des trans, cutter en main, découper les seins et les pénis, contrairement à d’autres (ceux qui ne veulent qu’un sexe par personne) !

Je suis toujours surprise qu’un homme en jupes ça choque. Pourquoi est-ce plus choquant qu’une femme pantalons ? Je n’ai toujours pas compris pourquoi il est socialement admis qu’une femme puisse s’habiller e homme, alors que l’inverse est péjaurant. Pourtant quand il fait chaud  comme en ce moment, porter une jupe c’est super (sur des jambes lisses).

Enfin, je ne règle rien je l’avoue. Beaucoup  de questions restent sans réponses. Cependant j’espère que la prochaine fois que vous croiserez une personne qui sur-joue un rôle de mec,  demandez vous si derrière tout ça il n’y a pas une petite fille qui aimait jouer à la mariée quand elle était petite. Etait-ce alors un monstre ? un pervers ? un problème d’éducation ? une bonne correction aurait-elle suffit ?

A toutes ces questions vous savez maintenant que la réponse est non.

Dernier petit messages pour les mamans et les papas d’un gosse muni d’organes « ambigus » ou qui ont des « malformations » qui apparaissent à l’adolescence:

N’opérez pas ! Tout ou tard il manquera quelque chose à votre enfant. Demandez-vous au contraire comment lui permettre de s’épanouir dans le genre de son choix. Permettez-lui de choisir, achetez lui des jupes ET des pantalons.

Dernier-dernier truc… si votre garçon n’a pas d’organes ambigus, s’il n’a pas de « malformations » à l’adolescence… offrez lui une jupe tous les ans. Il la portera ou ne la portera pas. C’est à lui de voir. Pas à vous.

(1) : pour ceux qui se demandent si tout ça est bien possible, j’ai la chance inouïe d’avoir une maman qui a tout gardé. Analyse, biopsie des glandes, courriers médicaux, cartons d’emballage des doses de testos et des corticoïdes.

 ANNEXES ET EN VRAC

 

Historique de mon accompagnement médical

 

– de 11 à 13 ans :  conseils du médecin de famille: « il faut faire plus de sport » (pour éviter que les seins grossissent encore). Prise de « fortifiants » en injections de Revitalose. Suivi par un guérisseur, acuponcteur et un prêtre exorciste. Opération de l’appareil génital.

– de 13 ans à 14 ans : injections hebdomadaires altérnées de Gonadotrophine chorionique ISH 1000 et Gonadotrophine sérique « endo »

– de 14 ans à 19 ans : injections mensuelles de Percutacrine Androgénique Forte et Androtardyl

– 15 ans : mastectomie bilatérale

– 19 ans à 22 ans suivi psychologique suite à plusieurs actes de délinquance

– 30 ans réapparition du besoin d’être considérée comme femme, par les autres femmes

– 30 ans à 35 ans une vingtaine de RDV chez des psys généralistes locaux, classement de ces besoins comme étant des fantasmes courants.

– de 35 ans à 42 ans période d’enfouissement et d’oubli total, prise de charge pondérale + 33 kg

– 42 ans troubles profonds de la mémoire, accompagnement par un service spécialisé au CHR. 

– 44 à 48 ans douleurs testiculaires aigues, plusieurs hospitalisations

– 46 à 49 ans accompagnement psychologique par le professeur ML Bourgeois, puis 1 rendez-vous au CHR avec M Sophie Boulon (clash)

– 49 ans à 51 ans : épilation laser du visage par un « médecin de l’esthétique » – 300 € la séance

– 50 ans à ce jour ( bientôt 52 ans), suivi psy par Tom Reucher

– 50 ans à ce jour, hormonothérapie (prise d’œstrogènes) – Œtrodose – 6 pressions par jour

– 51 ans : orchitectomie (j’avais déjà oublié !) Précision : la libido est ses suites fonctionnent impeccable malgré l’orchitectomie et les 6 doses d’hormone.  Le seul changement est la disparition des érections intempestives nocturnes (presque toutes).

– 51 ans à ce jour : rééducation de la voix (phoniatre),

– 51 ans à ce jour : épilation laser du visage (poils noirs) électrolyse des poils blancs  (dermatologue)

– 51 ans à ce jour : consultation d’un neurologue pour  traitement des douleurs chroniques de la poitrine (apparues 35 ans avant, depuis la mastectomie). Prise de Lyrica lors des crises, efficace en 30 minutes. Mais pourquoi on ne m’a pas prescrit ces trucs avant ????? Les monstres comme moi doivent souffrir jusqu’au bout ?

 

 

 

Perception de mon identité féminine par des tiers inconnus

 

Pas facile de théoriser, le mieux est de raconter

Même à 113 kg (au sommet de ma gloire), j’entendais plusieurs fois par an des « bonjour madame » alors que j’avais les cheveux coupés en homme, costume de cadre masculin et parfois la barbe.  

Moins d’un mois après  le début de l’hormonothérapie les « madame » sont apparus régulièrement, seul ou avec mon épouse. Sur le marché au restaurant, dans les bars. J’étais alors encore à 98-100kg

Après 2 mois d’hormonothérapie (vers 90 kg), deux serveuses se sont adressées à moi au féminin (en présence de ma femme), pendant 1h30.  Elles se sont adressées à moi au masculin après le paiement par carte bleue (où il y a mon nom)

Au cours des  6 mois qui suivirent  il m’est arrivé de rentrer volontairement dans des supermarchés pour avoir ma dose quotidienne de « madame »

Malaise ressenti lorsque les caissières accentuent les « monsieur », en employant parfois plusieurs fois le mot « monsieur » dans la même phrase ou en accentuant la prononciation.  C’est ce qui a accéléré la décision de consulter une phoniatre. Ma femme et les soignantes qui m’accompagnent m’ont expliqué que les dames qui pensent  s’être trompées sur mon identité lorsqu’elles ont d’abord dit « madame », essaient de rattraper leur erreur. Je ne percevait pas les choses comme ça, je ressentais de la haine à mon égard.

Aujourd’hui à moins de 80 kg, les « madame » sont systématiques. Je vis les situations les plus cocasses, comme celles-ci: Une vendeuse de la Mie-caline me dit d’abord Monsieur est généres et me dit des  « Madame » (malgré ma voix). Un chef de chantier s’adresse à moi avec des « madame », malgré ma tenue masculine, casque cachant les cheveux, gilet fluo, chaussures de sécurité, voix lourde (je lui ai fait un rappel à l’ordre de 5 minutes)  et ma voiture de fonction hyper macho (un gros ML-MB de voyou).

Il m’arrive souvent de me retourner quand une personne face à moi me dit « madame » (j’ai le réflexe de penser qu’on s’adresse à quelqu’un derrière moi)

Je commence à prendre du plaisir à voir le visage  déconfit des hommes qui entendent ma voix alors que depuis 10 minutes ils pensaient avoir une femme assise à la table d’à coté. Je me sens comme un punk dans les années 70 : la provoc.

Je n’essaie pas d’éclaircir ma voix, je ne triche pas. Ca vient naturellement ou pas. 

Depuis toujours je fonctionne par mimétisme. Avec les femmes, je suis une femme et avec les hommes je suis un homme.

Genre administratif

 

Je ne suis pas encore confrontée à ce problème. 

Je suis pour l’auto détermination du genre, le libre choix du prénom et la suppression du genre sur les documents administratifs ( CNI et le n° insée). 

Quand ma femme m’appellera Charlotte (ou tout autre prénom féminin de son choix), j’essaierai alors de régulariser la situation chez les bleus.  La lutte contre des législateurs cul-culs est toujours un plaisir, comme à chaque fois que je milite.

En septembre dernier l’andocrinologue a préparé une demande ALD avec en tête de la demande « transsexualisme ». J’ai beaucoup pleuré dans le TGV en relisant ça. 

Je ne voulais pas admettre que je suis transsexuel. Puis j’ai fini par comprendre que je suis devenu trans-sexuel le jour où on a m’a assignée en homme et non pas dans ma démarche actuelle de vouloir redevenir dans mon genre de naissance : double. 

Contre l’identitarisme

 

Curieux cette affaire. Je ne me sens pas « ni l’un ni l’autre », mais LES DEUX.

Puis comment savoir ce qu’est l’Un et ce qu’est l’Autre ? 

Je n’ai pas de réponse.

C’est aussi compliqué que la conviction de l’existence d’un dieu, de plusieurs, d’une force suprême…. pour que ça se dégonfle, il faut pouvoir adhérer à une idée, il faut pouvoir la critiquer, la contester, se rétracter, ou pratiquer…. ça s’appelle la laïcité.

L’expression la plus aigüe de ma féminité, elle est irréfléchie et je l’ai découverte il y a peu. En sortant du restau l’autre soir avec ma femme et ma fille (juillet 2011), nous sommes allées nous faire voir devant les terrasses bondées des restaus et des bars… Quel plaisir de se sentir regardée, désirée ou jalousée pour son audace. Plaisir aussi de faire les sopranos toutes les trois dans la bagnole ou à la maison (hé-hé, la phoniatre dit que je suis contre-ut, c’est rigolo).

J’ai accepté de faire la demande ALD sous le titre de TRANSSEXUALISME pour que cette reconnaissance puisse me permettre de solliciter des rendez-vous auprès de soignants sans devoir faire légitimer ma demande à chaque fois par un psychiatre. Prendre un RDV franco, ne pas être obligé de pleurnicher et de baisser les yeux pour entamer une série de séances laser etc..

Pour moi l’identité de trans-sexuel(le) est très péjorante. Je ne veux pas trans-former mes organes génitaux. Je veux seulement être considérée comme femme par les femmes en général et ma femme en particulier.

Pourquoi péjorante ? Parce que j’ai été éduquée dans un monde qui considère tout ce qui est différent appartient à la catégorie des sous-merdes. Il faut faire un effort intellectuel réel pour surmonter cette éducation, la classification, l’identitarisme. J’y arrive pas de souci, mais même en étant passé par les douleurs que j’ai connues, j’avoue que parfois je suis aussi con que le dernier beauf (encore une catégorie).

On m’a déjà trans-formée par la mastectomie et  les hormonothérapies à l’adolescence.  Cette transformation était  une dissimulation de ma double appartenance.  On m’avait éduquée pour avoir honte d’une partie de moi. J’étais tellement conditionnée dans ce sens qu’il m’arrivait de demander aux médecins et à mes parents de m’opérer au plus vite.  

Je voulais être « comme tout le monde ». Mais en même temps je rêvais que m’a mère me dise « t’emmerdes pas, tu es très bien en fille, tiens voilà la jupe que je t’ai achetée, on va te changer de collège etc… », et qu’elle recommence à me faire des tresses comme quand j’étais petite. 

Si on ne m’avait pas fait honte avec des « t’as pas honte d’être une fille », si on ne m’avait pas appris « la honte » (d’être double), si j’avais pu choisir selon mes humeurs irréfléchies ou réfléchies de porter un pantalon ou une robe… je pense que je n’aurais jamais souffert, je ne me serais jamais détestée et considérée comme une sous-merde. 

Ainsi, je pense que ne me respectant pas (car j’en étais incapable avec le regard que j’avais sur les gens différents), il était logique que les autres ne me respectent pas.

Je ne me respectais pas car j’étais LA FAUTE, l’erreur de la nature, le malheur de mes parents. On disait de moi que j’avais des malformations etc…

Je m’en suis voulu de ne pas être comme les autres ( F ou G) en même temps je m’en voulais de ne pas avoir le courage d’affirmer ma double nationalité.

Voilà pourquoi la classification de la population fait des ravages (F, G, H, T, L, I, etc…): ça crée des sentiments fascistes de supériorité.

Sexualité et gouvernabilité des corps au Maroc

Jean Zaganiaris

Enseignant-chercheur au CERAM/ EGE

Chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne

 

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Sexualité et gouvernabilité des corps au Maroc :

la question des transidentités au sein des productions artistiques marocaines 

«Je me rappelle avoir parlé de l’éjaculation féminine un jour où j’étais invitée sur le plateau de Tout le monde en parle. Je ne sais plus exactement ce qui avait été dit autour de cette table ronde. Mais je me rappelle de quelques rires un peu moqueurs. Le cycliste Richard Virenque était assis à côté de moi, et avait dit quelque chose du style « Ma femme ne fait pas ça », dans le sens où visiblement elle n’avait pas pour habitude d’éjaculer ».

Ovidie, Osez découvrir le point G. 

L’expression  anglaise « queer » est traduite par Marie-Hélène Bourcier à travers les mots suivants : « ordure, taré, anormal, bizarre, pédé, gouines, malsain »[1]. Elle est fréquemment utilisée comme une insulte visant à stigmatiser les homosexuels ou toute autre catégorie de personnes n’entrant pas clairement dans la division sociale des genres entre masculin et féminin ainsi que dans la normativité hétérosexuelle. L’un des enjeux la queer theory, courant de pensée certes hétérogène, est de prendre la stigmatisation à son compte et de la retourner face à ses agresseurs comme une force émancipatrice capable de déconstruire les identités binaire homme/femme ainsi que les normativités hétérosexuelles. Dans le monde arabe, les débats autour de la place de la sexualité et de ses « déviances » sont d’actualité et ont amené à la production d’un ensemble de travaux sur les homosexualités, les transsexualités et les transgenres[2]. Si l’on représente les pays du Maghreb en insistant sur leur islamité et sur les tabous que le référentiel à l’islam est censé induire au niveau de la sexualité, il n’en demeure pas moins que la gestion politique des pratiques sexuelles et des identités sexuées est plus complexe qu’il n’y paraît. En croisant les problématiques de la queer theory au sujet de la déconstruction de la binarité des genres avec les présupposés de Michel Foucault  sur le bio-pouvoir, il nous semble possible de poser quelques pistes pour penser cette complexité. A partir d’un terrain d’enquête constitué par certains discours de la littérature ou du cinéma marocains, il s’agit de montrer de quelle façon la production artistique permet de rendre compte d’un trouble concernant non seulement le « genre » mais aussi cette « identité arabo-musulmane », exaltée comme « spectre » menaçant « l’Occident démocratique »[3].

 

Queer, biopouvoir et subversion des identités sexuelles

La Queer Theory est issue initialement des  États-Unis. Elle est apparue au début des années 90 à partir d’un certain nombre de circonstances : renforcement des études gays et lesbiennes sur les campus américains, clivages au sein des différents mouvements féministes (notamment entre féministes lesbienne et non lesbienne, entre féministes pro-sexe et féminisme puritain[4]), importation de la French Theory  par des intellectuels américains, fortement marqués par certaines formes de transdisciplinarité[5]. L’un de ses principaux objectifs est de retourner le stigmate homophobe d’un hétérosexisme normatif à prétention universaliste et de s’inscrire dans un positionnement subversif, en considérant que les identités dominantes et majoritaires ne doivent pas empoisonner les manières d’être des minorités sexuelles majeures et consentantes. Il s’agit donc de rompre avec les normes dominantes et de privilégier une hétérogénéité de discours à vocation performative visant à « troubler le genre » et à y inscrire une « dissidence sexuelle ».  

La queer theory invite à subvertir les identités de sexe et de genre qui se sont imposées socialement et à en construire des nouvelles, en adéquation avec les pratiques sociales réelles que vivent les gens : « C’est cette pseudo-naturalité de l’alignement sexe/genre que vient révéler, surexposer la drag queen (mais on pourrait aussi bien dire le drag king). En effet, si la féminité ne doit pas être nécessairement et naturellement la construction culturelle d’un corps féminin (exemple de la drag queen), si la masculinité ne doit pas nécessairement et naturellement être la construction culturelle d’un corps masculin (les female masculinities, les drag king, les butchs, les transgenres…), si la masculinité n’est pas attachée aux hommes, si elle n’est pas le privilège des hommes biologiquement définis, c’est que le sexe ne limite pas le genre et que le genre peut excéder les limites du binarisme sexe féminin/sexe masculin »[6] . Les identités sexuées ou genrées sont loin de se limiter à la traditionnelle opposition entre le masculin et le féminin. Comme l’avaient énoncé Gilles Deleuze et Félix Guattari, la réalité sociale échappe aux binarités et est constituée d’un pluralisme susceptible de briser les normativismes identitaires : « L’amour lui-même est une machine de guerre douée de pouvoir étranges et quasi-terrifiants. La sexualité est une production de mille sexes, qui sont autant de devenirs incontrôlables. La sexualité passe par le devenir-femme de l’homme et le devenir-animal de l’humain : émission de particules »[7]. L’expérimentation nous fait sortir du surcodage de tous ces énoncés tyranniques qui, dès notre enfance, s’ancrent dans notre chair et notre esprit. L’inconscient est une substance à fabriquer et non pas quelque chose que l’on doive enfermer dans des symboles, dans des dogmes. Même si la queer theory est constituée d’une hétérogénéité de courants, elle part de l’idée que les identités sexuées ne sont pas des normes transcendantes auxquelles il faut se soumettre mais des  modes d’existence à conquérir. La série des American Pie peut illustrer ce point. Dans ces films, les pratiques sexuelles des protagonistes sont l’occasion pour chacun d’expérimenter librement une infinité de plaisirs, de fantasmes, de sensations, d’identités. Les personnages peuvent être à deux, à plusieurs, faire l’amour avec des gadgets (le 5e épisode va très loin dans ce domaine, en montrant – certes pudiquement – l’un des protagonistes se faire introduire un gode dans l’anus par une femme et aimer cela), avec des gens plus âgés (Finch et la maman de Stifler) ou devant des films pornos. La scène mythique du premier American Pie, où l’on voit Jim surpris par ses parents alors qu’il a introduit son sexe dans une tarte aux pommes et simule l’acte de pénétration, doit être prise au sérieux. Elle montre que ces adolescents de la série sont à la fois aliénés par des modèles préfabriqués de la sexualité, érigés en impératif kantien qu’il s’agit d’atteindre, et attirés par des expérimentations sexuelles inédites, qui les amènent à transgresser le normativisme hétérosexué qui est pourtant le leur. Là est l’intérêt sociologique mais aussi philosophique de la série des American Pie en tant que matériau empirique utilisé pour penser le rapport complexe à la sexualité que l’on est susceptible de retrouver dans les produits culturels marocains[8]. Les pratiques homosexuelles et la bissexualité sont également très présentes dans la série des American Pie. Dans le 2e épisode, lorsque les garçons sont pris en flagrant délit de voyeurisme par les deux lesbiennes qu’ils épiaient dans leur appartement, un jeu érotique s’introduit entre les protagonistes et permet de bien saisir les représentations symboliques sur les différents types d’homosexualité qui sont construites par la fiction[9]. Les filles veulent bien continuer leurs jeux érotiques entre elles à condition que les garçons s’embrassent également sur la bouche et acceptent de se caresser sous leur regard. Le film nous montre que les pratiques gays ne sont pas construites et présentées socialement de la même manière que les pratiques lesbiennes. Les premières renvoient à une stigmatisation alors que les secondes sont le fruit de fantasmes hétérosexuels. Toutefois, les rapports entre les différentes sexualités, elles-mêmes hybrides, ne sont pas vécus sous l’angle de la conflictualité. Dans le 3e épisode, nous voyons que les rapports entre gays et hétéros peuvent être sources d’enrichissements réciproques dans l’expérimentation des plaisirs. Ce sont les amis homosexuels de Stifler, incarnation de la virilité masculine et hétérosexuelle exhibée à outrance, qui amènent les deux strip-teaseuses pour un show SM à l’occasion d’une soirée. Même si les structures sociales ne sont pas remises en question, il existe toujours une possibilité ou bien un moment où les protagonistes du film échappent à toutes les conventions hétéro-centrées ou puritaines.

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American Pie 2

Ces films dépassent tout normativisme moralisateur à connotation religieuse ou machiste. Ils montrent que les identités de genre ou de sexe peuvent être très facilement déconstruites dans les flux incontrôlés des expériences sexuelles. Dans un même espace, il y a la co-existence de ceux qui vont avoir des relations sexuelles sans aucun sentiment affectif (recherche de la simple jouissance) et ceux qui décident simplement de passer le reste de la nuit l’un dans les bras de l’autre (pur amour platonique, à l’image du footballeur romantique et de la chanteuse du 1er épisode). Il n’y a pas de bonnes manières de faire ou d’être ensemble. Juste des singularités, des différences, des devenirs, des modes d’expérimentations, des identités singulières qui se construisent dans l’acte sexuel ou dans le rapport à l’autre. Il ne s’agit pas tant de rejeter ou de critiquer l’hétérosexualité mais de remettre en cause l’édification hégémonique qui en est faîtes par les pouvoirs politiques ou religieux. Les pratiques hétérosexuelles ne sont qu’un mode de sexualité, lui-même hétérogène, au sein de la pluralité des expériences sexuelles. Là encore, comme le rappellent Deleuze et Guattari, « les multiplicités de la production désirante peuvent faire sauter les formes sociales dominantes et majoritaires »[10]. Les multiplicités sont ces flux qui échappent aux transcendances qui empoisonnent la vie. Leur existence est liée au respect des libertés fondamentales auxquelles chaque individu a droit, que cela ait trait à son corps ou sa conscience.

Selon Judith Butler, le genre (masculin/féminin) est différent du sexe (homme/femme) : « Le genre est culturellement construit indépendamment de l’irréductibilité biologique qui semble attachée au sexe : c’est pourquoi le genre n’est ni la conséquence directe du sexe, ni aussi fixe que ce dernier ne paraît. Une telle distinction, qui admet que le genre est une interprétation plurielle du sexe, contient déjà en elle-même la possibilité de contester l’unité du sujet»[11]. Pour Butler, la catégorie « masculin » peut désigner autant un corps de femme qu’un corps d’homme. Comme l’indique Audrey Baril, « le masculin et le féminin n’existent pas préalablement mais ce sont l’énonciation et la répétition des genres normatifs qui leur permettent d’exister »[12]. C’est en regardant l’histoire que l’on comprend de quelle façon les catégories de sexes et de genre ont été arbitrairement édifiées[13]. Parmi ses sources, Judith Butler cite L’histoire de la sexualité de Michel Foucault, montrant de quelle façon les discours construits par différents types de pouvoir sont parvenus à imposer certaines formes de savoirs et à les faire reconnaître comme vrai. Michel Foucault décrit la façon dont le bio-pouvoir, qui est cette façon de gérer et de réguler la vie des populations en rendant les corps dociles et productifs, s’applique sur la sexualité. Depuis le XVIIIe siècle, le sexe n’est plus quelque chose qu’il faut censurer. Au contraire, il s’agit de le rendre publique afin de mieux de le contrôler. La sexualité et les rapports entre les sexes font l’objet de savoirs visant à inscrire les populations dans des optiques qui sont celles de la reproductibilité et de l’hygiène publique[14]. Comme l’ont montré un certain nombre de travaux ayant repris les thèses de Michel Foucault pour penser les pays du Maghreb, les corps sont des objets de la gouvernabilité et la sexualité s’inscrit dans une « économie politique du pouvoir »[15].

Pour Michel Foucault, le contrôle sur les sexualités n’existe pas sans une résistance portant sur la « désexualisation » que les corps peuvent avoir entre eux. Certains savoirs, produits par les pouvoirs politiques, religieux, médicaux, ont historiquement posé la norme hétérosexuelle comme dominante, « normale »  et ont renvoyé l’homosexualité, le transsexualisme, l’hermaphrodisme à « l’anormalité »[16]. Pour Foucault, les savoirs sur la sexualité sont le fruit d’un combat où une vérité dominante s’est imposée face à d’autres discours minoritaires. L’optique militante de Foucault est de s’affranchir des savoirs sur la sexualité et les identités sexuelles qui nous sont imposés arbitrairement. Ces savoirs sont des marqueurs identitaires produits par le pouvoir et greffé arbitrairement sur nos corps. Il s’agit de « sortir » de ces enfermements normatifs du pouvoir et de produire ses propres modes de subjectivité, de chercher ses propres formes de plaisir. Comme le rappelle James Miller en analysant les idées de Foucault, l’identité du sujet, notamment l’identité sexuelle, « n’est pas quelque chose qui existerait et qu’il s’agit de trouver, de découvrir mais quelque chose qu’il faut créer »[17]. De nombreuses personnes s’inscrivent dans les normes majoritaires qui façonnent l’identité sexuelle. Toutefois, celle-ci reste socialement et historiquement construite et s’impose aux individus sous la forme d’une naturalisation que certains ne peuvent prendre pour argent comptant. Ces identités peuvent très bien ne pas convenir à des personnes qui décident de s’orienter soit vers une construction propre de leur subjectivité, par-delà des normes et les valeurs majoritaires au sein d’une société, soit vers une désidentification de ce que les différents univers sociaux imposent aux individus.

 

« Dis maman, pourquoi je suis pas un garçon ?»

Judith Butler reprend cette désubjectivation chère à Foucault et l’applique au genre en affirmant que les identités genrées peuvent être multiples, construites et rendu réelles par la performativité des acteurs. Les constructions identitaires peuvent être dépassées dans un processus qui éradique la notion même « d’identité » en tant que telle[18]. Si nous partons de l’idée que l’universalisme néo-colonialisme à visée impérialiste n’est pas la même chose que l’universalité à portée humaniste, respectant la pluralité mais partant de l’idée que certaines valeurs tels que le respect, la dignité ou la liberté sont intrinsèques au genre humain,  il est possible de penser le lien entre certaines questions posées par la queer theory sur la subjectivation des identités sexuées et les dénonciations publiques d’injustice, notamment au niveau des libertés sexuelles, qui existent au sein du champ de la littérature marocaine de langue française[19]. Un écrivain tel que Abdellah Taïa, connu pour avoir dévoilé publiquement son homosexualité, se réclame d’une écriture « transgenre » en n’étant pas ignorant des propos sur la queer theory[20].  Loin de limiter les questions sur les subjectivations sexuelles à cette fiction que l’on nomme « l’Occident », le fait de déconstruire la binarité des genres masculin et féminin concerne plusieurs aires géographiques et culturelles. Ce savoir sur les identités masculine et féminine, historiquement construites par les pouvoirs et imposées comme vrai ou comme norme aux populations, peut être déconstruit par d’autres discours existant au sein de l’espace public, susceptibles de remettre en cause cette opposition. Au Maroc, les paroles orales et écrites des écrivains de la littérature marocaine de langue française constitue un terrain privilégié pour analyser ce processus de déconstruction.

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Abdellah Taïa

L’exemple le plus significatif est incarné par le roman de Abdelkébir Khatibi Le livre du sang (1979), au sein duquel nous voyons, la figure de « l’androgyne » qui s’élève « avec ses ailes azurés » du haut du « minaret » et qui symbolise le moment où « le Féminin se noie dans le Masculin » :

« J’appelle Androgyne ce contour extatique de l’être, apparence dans l’apparence de l’homme et de la femme en un effacement infini. Oui, l’Androgyne est éternellement le fiancé de toutes les femmes et la fiancée de tous les hommes. Notre ange n’est-il pas semblable à une jeune adolescente masculine […] En courbant les hanches, il avance un ventre et un bas ventre de femme où se cache cependant un sexe viril, petit et tout arrondi, paré de visions angéliques. »[21]

Cette figure est également présente au sein de certains romans de Mohamed Leftah. Dans Au bonheur des Limbes (2006), racontant la liberté sexuelle de certains êtres au sein de la « fosse » du bar casablancais le « Don Quichotte », Mohamed Leftah évoque « l’androgynie spirituelle » du soufi Hassan Al Basri : « Je restai une nuit et un jour auprès de Rabi’a, discourant avec elle avec tant d’ardeur sur la vie spirituelle et les mystères de la vérité que nous ne savions plus, moi, si j’étais un homme, et elle, si c’était une femme »[22]. Dans cette fosse du bar, qui est un « havre de liberté» contre« les nouveaux barbares qui veulent interdire le vin, la musique, la caresse des vagues sur les corps dénudés des femmes, le jeu, l’érotisme, le rêve »[23], l’un des personnages s’appelle Jeanne le travesti. Mohamed Leftah parle de son visage « sur lequel est plaqué un masque représentant un aigle bicéphale, ambisexué et toute ailes déployées »[24]. Jeanne incarne une remise en cause radicale de la séparation entre masculin et féminin, tant au niveau du sexe que du genre. Si la biologisation des sexes tend à naturaliser l’assignation sexuelle séparant les femmes et les hommes, la perception sociologique des corps hybrides, transsexuées et transgenrées, montre l’artificialité de la frontière normative séparant ce que l’on nomme socialement « sexe masculin » et « sexe féminin ». La bicatégorisation homme/femme est symbiotiquement liée à une infinité de sexe et de genre, construits par les marges de liberté dont disposent certains individus au sein de l’océan de contraintes qui constitue leur environnement. Le personnage de Jeanne incarne cette volonté subversive à travers laquelle l’individu remet en cause les assignations de sexe et de genre que lui imposent les structures sociales. Jeanne se réclame des rites d’une tribu indienne, qui l’a initiée à des rites festifs au sein desquelles tout le monde se travestit afin de devenir « un étranger pour les autres et à lui-même ». Il y a chez Leftah des formes de « romantisme révolutionnaire »[25]. Celui-ci se reporte bien souvent aux savoirs du passé, empruntant tant aux écrits soufis qu’à ceux de la littérature européenne du XIXe siècle, pour subvertir les normes moralisatrices et arbitraires du présent. Pour Leftah, Jeanne le travesti est cette figure antique rappelant l’être hybride de l’époque des origines. Dans Le banquet, Platon évoquait en effet cet être suprême capable de défier les dieux et au sein duquel l’homme n’était pas séparé de la femme. Jeanne incarne la « virilité mutilée », thème cher à Mohamed Leftah. Cette virilité masculine exhibée socialement est le corollaire des principales dominations existant au sein de notre société. Il s’agit de pouvoir exister en dehors de ces figures majoritaires, qui sont aussi des formes d’oppressions normatives de la pluralité des modes de vie et de pensée. La liberté d’être soi et de vivre en harmonie avec ce que l’on a envie d’être, par-delà le normativisme religieux ou étatique au sujet de l’identité est sans doute le bien le plus précieux qui peut nous être accordé ici bas. Il s’agit dès lors d’avoir la volonté et le courage de conquérir cette liberté, quitte à rester dans les marges de la société ou d’être un individu atypique. C’est cela qu’incarne le personnage de Jeanne, à la fois transsexuel(le) et travesti(e) :

« Jeanne n’a pas signé de livres, mais son propre corps. Elle y a cisaillé avec l’acide et le verre, la béance centrale de la féminité, en donnant l’une des formes les plus pures de la géométrie, le triangle équilatéral sphérique, à la toison autrefois frisée et informe de son pubis. Elle a travaillé sur le rêche, l’anguleux, le pointu pour aboutir pour aboutir à cet « amas d’ombre et d’abandon » chanté par le poète. Mais quant elle y parvint, une volonté contraire, soudaine, s’érigea farouchement en elle et fit bander tout son corps. Son destin, elle désormais femme accomplie, de son propre vouloir encore une fois, elle allait faire un simulacre. Ayant vécu l’enfer et la transfiguration du transsexuel, elle allait parcourir un autre enfer, moins brulant, moins tragique mais plus dégradé : celui du travesti. Femme réalisée, elle allait jouer le simulacre de la femme. Elle vivrait sur le fil du rasoir de la frontière des sexes, serait simulacre démultiplié. Dans les night club des villes repues et insolentes, elle ferait revivre les fêtes qui avaient illuminé sa vie d’une sagesse noire »[26]    

Le personnage de Jeanne subvertit les identités de genre et de sexe. D’une part, il s’inscrit dans le transsexualisme et incarne le souhait d’une personne de changer de sexe en recourant à une opération chirurgicale. Certes, Mohamed Leftah parle de mutilation alors que le changement de sexe peut aussi être une forme de libération pour des personnes qui parviennent ainsi à rendre adéquat l’aspect biologique de leur corps avec leurs dispositions mentales[27]. Toutefois, il semble rendre un hommage implicite à ces hommes qui ont décidé non seulement de changer de sexe mais de retirer le membre masculin et le remplacer par cette forme pure qu’est « la béance centrale de la féminité ». D’autre part, le personnage de Jeanne se réclame également du transgenre puisqu’il va également se travestir et jouer « le simulacre de la femme ». Il ne s’agit pas uniquement de changer biologiquement de sexe mais également de montrer l’ambiguïté des frontières entre le masculin et le féminin. Face aux identités normatives que nous impose la société, il existe des gens qui passent au « travers » et construisent leurs transidentités. Face aux arbitraires culturels de toutes sortes, il reste la volonté des êtres humains, qui peuvent décider de créer eux-mêmes leur forme de subjectivation malgré les contraintes sociales avec lesquelles elles doivent composer. Jeanne est sur le « fil du rasoir de la frontière des sexes » et n’existe qu’en tant que « simulacre ». Comme l’avait souligné Gilles Deleuze,  la répétition ne consiste pas à reproduire le semblable par rapport à un original ou bien à rechercher à travers elle des filiations entre un modèle et ses imitations[28]. La répétition produit des différences et non pas des ressemblances. Jeanne est une incarnation de la multiplicité des sexes et des genres. Comme tout être humain, elle fait partie la pluralité des manières d’être existant au sein de la société composite du Maroc.

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Outre celle du transsexuel, la figure de l’androgyne est également évoquée par Mohamed Leftah dans Le dernier combat du Capitaine Ni’Mat, roman qui a gagné le prix Mamounia 2011 à Marrakech mais qui est difficilement trouvable au Maroc[29]. Lors des premières pages du livre, le capitaine Ni’Mat, militaire à la retraite, prend conscience de son homosexualité et décide de la vivre pleinement, en assumant la prise de distance avec une société incapable de tenir compte des sensibilités et des attirances individuelles. C’est un rêve qui est le déclencheur de cette orientation sexuelle. Le capitaine Ni’Mat se voit dans la piscine publique qu’il fréquente pour ses exercices sportifs. Le groupe de minimes qu’il a vu s’entraîner la veille est présent dans son songe mais il a changé d’aspect :

« Un maillot moulant étroitement leurs fesses, à l’instar du bonnet leur tête à laquelle il donnait une forme ovoïde, maillot et bonnet couleur bleu ciel comme celle des lunettes à monture d’écaille et aux verres opaques qui masquaient leurs regards, ils étaient comme des créatures célestes chues d’on ne sait quel azur, êtres de grâce ou anges exterminateurs ? Ils se ressemblaient tous, comme s’ils étaient les clones d’un même adolescent d’une beauté androgyne particulièrement froide, glaçante » [30]    

Ces derniers se mettent à le désigner du doigt avec des gestes accusateurs et provoquent chez le capitaine Ni’Mat une certaine angoisse, qui s’estompe avec la vision du corps nu de son jeune servant appelé Islam, qui sort du bassin : « Cette simple mais combattante posture fit se volatiliser, comme par enchantement, la légion de clones androgynes et menaçants »[31]. La figure de l’androgyne est là pour rappeler au capitaine Ni’Mat, dont la vie ne va pas tarder à s’achever, qu’il est illusoire de chercher bonne conscience en respectant les codes hétéro-sexistes de la société, si l’on ne se reconnait pas en leur sein. Le bonheur ne se trouve peut-être pas dans les valeurs dominantes de la société, qui érige la famille hétérosexuelle en tant que structure normative, mais au sein de ces chemins de traverse, proches de ces expérimentations avec l’inconnu dont nous parle Marguerite Duras dans Détruire dit-elle. Le doigt accusateur et sévère des clones androgynes fait prendre conscience au capitaine Ni’Mat de la beauté du corps de son jeune domestique et des plaisirs que l’on peut avoir avec un individu du même sexe une fois que l’on est arrivé à se libérer des asservissements moraux :

« Involontairement, comme si la nudité radieuse qui allait bientôt s’emmêler à nouveau à celle de l’eau, était si puissamment suggestive qu’elle lui dictait ce geste, il fit glisser sur ses jambes le maillot short informe qu’il portait. Quand il plongea, nu, à la suite d’un corps nu qui l’attirait comme un aimant, le monde qu’il découvrit le remplit d’étonnement et de stupeur »[32].

A l’image de Rimbaud, souvent cité par Leftah, qui disait dans sa Lettre à un voyant que la « femme connaîtrait de l’inconnu », le capitaine Ni’Mat expérimente les corps, les figures, les sensations, les mélanges et les jouissances. Par-delà les normativités politiques et sociales, l’individu peut trouver ses propres formes d’existence en dehors de la communauté. C’est en ce sens que nous pensons que la transsexualité et le transgenre ne peuvent être dissociée de ce que nous appelons « la transe-identité ». L’identité ne peut se résumer aux injonctions normatives des pouvoirs politiques, religieux et sociaux. L’art constitue « un espace des possibles » – pour reprendre l’expression de Nathalie Heinich[33] – qui crée autant qu’il décrit ces formes de subjectivation des individus essayant de s’affranchir des normativités identitaires. Une approche comparatiste entre les productions artistiques européenne et marocaine peut nous aider à mettre en perspective certaines analogies dans la manière de représenter le transgenre du côté des deux rives[34]. La représentation des identités et des pratiques gays ou lesbiennes dans le cinéma est un enjeu politique[35]. Il en est de même du travestissement, de la transidentité ou du transgenre. Avec Glen or Glenda (1953), le fait d’être « entre » ou « au travers » des genres est montré au cinéma, avec un parti pris assumé du réalisateur Ed Wood. Au Maroc, au cours des années 60, l’artiste Bouchaib El Bidaoui chantait les ayta  (chansons populaires) en étant souvent habillé en femme[36]. Ces spectacles passaient à la télévision et ne suscitaient pas de remarque ou d’équivoque. Il n’était pas question d’homosexualité ou de stigmatisation péjorative du travestissement[37]. Connu aussi pour ses blagues, Bouchaib el Bidaoui était apprécié par le public, qui était présent en nombre le jour de ses funérailles. A l’époque où les femmes ne pouvaient pas faire partir des troupes artistiques, c’étaient les hommes qui se déguisaient pour interpréter leur personnage. Les photos de El Bidaoui montrent la perfection avec laquelle ce dernier a pris les traits de la féminité : perruque, maquillage, djellaba… Ce dernier n’a jamais été stigmatisé comme étant homosexuel sous prétexte qu’il était habillé en femme. Il est d’ailleurs intéressant de voir aujourd’hui, à la place Jama el Fnaa de Marrakach, la présence de certains hommes déguisés en femme au sein des halka (contes publics).

 Bouchaïb

 

Bouchaïb El Bidaoui déguisé en femme

http://www.selwane.com/expo/displayimage.php?album=39&pos=53

 Ces derniers rendent compte de l’ambiguïté d’une tradition réinventée, où les corps masculins revêtant les apparats féminins pour combler l’absence de femmes au sein des troupes se retrouvent en relation analogique avec les symboliques transgenres, au sein desquelles la construction de sa subjectivité sexualisée est liée au dépassement de la binarité des sexes. Même si nous ne disons pas que les travestis de la place Jama el Fna sont forcément homosexuels ou partisans de la queer theory, l’importation de cette tradition de l’homme travesti dans un monde où l’on peut – avec certaines précautions conceptuelles – parler de « global queering » peut nous amener à réfléchir sur l’ambivalence des représentations de genre au Maroc et du caractère métissé de nos identités sexuées[38].

C’est d’ailleurs en ce sens qu’il serait réducteur de lier le transgenre à l’homosexualité. Le travestissement peut être lié à des jeux érotiques entre homme et femme, comme le montrent d’ailleurs les couples dans 9 semaines et demie d’Adrian Lynn ou bien dans La clé de Tinto Brass. Il y a une érotisation de l’homme déguisé en femme, surtout lorsqu’il est sous l’emprise de sa partenaire féminine. A l’inverse, la femme déguisée en homme peut renverser les représentations dominantes de la masculinité, que ce soit au niveau des positions sociales mais aussi au sein des pratiques sexuelles. Le travestissement est d’ailleurs loin de se limiter à une symbolique érotique et permet d’échapper à son identité de sexe ou de genre dans une situation critique. Dans 37°2 Le matin (1986) de Jean Jacques Beineix, le personnage joué par Jean Hugues Anglade se travestit en une énigmatique femme vêtue d’un tailleur rouge et braque une entreprise de convoyeurs de fond. Une scène analogue est présente dans le film de Faouzi Bensaïdi What a wonderfull world ( 2004). Après avoir exécuté un contrat dans les Twin Center de Casa, le tueur à gage se déguise en femme pour échapper à la police. Il met une robe et porte une perruque avec de longs cheveux blonds. Lorsqu’il se retrouve ainsi face à la femme flic en uniforme dont il est amoureux, le contraste est saisissant. La féminité de la masculinité et la masculinité de la féminité sont l’un en face de l’autre et regardent l’étrange reflet que leur renvoie le miroir de l’ascenseur. Les films de Pedro Almodovar, notamment Tout sur ma mère (1999), ou bien Le baiser de la femme araignée (1985) de Hector Babenco ont évoqué les pratiques quotidiennes de la figure du travesti, présentée sous l’angle de la normalité. C’est également le parti pris de Nabyl Ayouch dans Une minute de soleil en moins (2002). Derrière une histoire policière, le réalisateur montre des personnages aux identités sexuées ambivalentes, que ce soit celle de l’inspecteur Kamal, du travesti qui est son meilleur ami ou bien de Tamia, la femme dont il tombe amoureux. Tout le film semble être résumé par la phrase que le fils de Tamia lance à Kamel : « t’as pas l’air d’un vrai policier ». Les identités ne sont pas tant le révélateur de ce que sont les personnages mais plutôt des masques qui cachent les réalités complexes de leur être. Le déguisement ou l’inversion des rôles genrés est dès lors ce qui nous révèle vraiment, y compris au niveau des pratiques sexuelles.  Sans être « pornographiques », certaines scènes montrent la nudité des personnages et ont amené à l’interdiction du film sur grand écran au Maroc. Mais la véritable transgression  n’est pas tant dans le fait de montrer des personnages nus au sein d’un film marocain mais se trouve plutôt dans l’inversion des genres pleinement assumée par les personnages principaux. Lors des ébats amoureux filmés par Nabyl Ayouch, certains passages laissent deviner que le personnage féminin joue avec les fesses mais aussi l’anus de son partenaire masculin, qui trouve là son plus grand plaisir.A plusieurs reprises, elle met le corps de ce dernier dans les positions occupées traditionnellement par le genre féminin et se comporte comme si elle était un homme. Ces situations où les femmes prennent l’initiative d’inverser les symboliques de genre au sein des pratiques sexuelles sont traitées bien trop rarement par les cinéastes, quelles que soient leurs origines. Récemment, nous en avons eu un aperçu dans le film de Michael Cohen Ca commence par la fin (2009) où l’un des passages montre le personnage masculin se faire masturber l’anus par son amante. Certes, le film reste pudique, voire implicite, sur cette pratique puisque cette scène est tournée à l’extérieur et que l’acteur masculin a gardé son pantalon mais il n’en demeure pas moins que certains « détails » – au sens où l’entend Goffman – de la production cinématographique sont révélateurs de cette ambivalence des identités de sexe et de genre.   

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What a wonderfull world de F. Bensaïdi

Même si elle ne traite pas directement du travestissement, c’est sans doute le roman de Bahaa Trabelsi Une vie à trois qui a le mieux saisi l’ambiguïté de cette transe-identité au Maroc, qu’elle ait trait à la sexualité ou la culturalité des individus. Adam entretient clandestinement une liaison avec Jamal, un jeune homme précaire qu’il contribue à faire vivre. Dès les premières pages du roman, ce dernier rend compte de l’ambivalence affective dont il a été l’objet : « Ma mère m’a aimé au féminin. Au masculin, elle me méprisait »[39]. Il montre également l’ambiguïté des sexualités au sein de la société marocaine. La narration de Jamal au sujet de son lieu de prostitution à Casa est explicite : « Driss est le flic le plus redouté du milieu tapin. C’est un violeur. Je l’affirme parce que j’ai déjà eu affaire à lui. Ce jour là je n’avais pas son bakchich (pot de vin). Il s’est fait payé en nature. Il m’a d’abord fouillé puis m’a passé des menottes en me maintenant les bras levés et appuyés contre le mur. D’un coup de pied, il m’a fait perdre l’équilibre. J’étais à genou, le visage à la hauteur de son sexe. « Suce petite pute », a-t-il soufflé »[40]. Le prostitué mal est appelé « petite pute », « tapette » par un flic qui a recours à des pratiques homosexuelles sans penser qu’il en est un. C’est celui qui pratique la fellation avec sa bouche qui est qualifiée de « tapette » par celui qui en tire le plaisir à travers son sexe. C’est grâce à Adam que Jamal va quitter peu à peu les lieux de prostitution. Celui-ci possède un appartement confortable et gagne très bien sa vie. Incarnation de la transe-identité, il a fait ses études en France, où « Le Paris gay » l’a comblé et lui a permis de se découvrir émotionnellement et sexuellement « avec la sensation d’appartenir à une communauté dotée d’une culture, d’un système de valeurs qui lui est propre, au-delà des frontières et des problèmes »[41]. Adam est amoureux de Christophe mais il est rentré au Maroc sans lui. C’est en revenant au pays qu’il retrouve le caractère oppressif d’une identité hétérosexuelle et islamique, majoritairement adopté par les groupes sociaux qui sont les siens mais dans laquelle il ne se reconnaît pas. Si le transsexualisme et le transgenre, notamment le travestissement, sont les points visibles d’une rupture avec l’hétéro-normativisme, la transe-identité d’Adam évoquée par Bahaa Trabelsi s’inscrit dans le même registre. Déconstruire l’identité sexuelle imposée par les normativités d’une culture nationale est bien souvent lié à la déconstruction de l’identité culturelle à laquelle on est censé appartenir. Jamal n’est pas allé à Paris mais son homosexualité s’est construite au Maroc, avec Abid qui l’a pris sous sa protection lorsqu’il était enfant des rues et avec qui il s’est trouvé sécurisé. Là encore, la transe-identité est présente car le personnage se retrouve en dehors des normes identitaires qui sont majoritaires au Maroc. Son parcours biographique l’a amené à construire une autre subjectivation, qui va fusionner très vite avec celle d’Adam. A travers la relation passionnelle qui va s’installer entre ces deux hommes, le roman de Bahaa Trabelsi montre toutes les stratégies disciplinaires visant à inscrire les corps dans des identités majoritaires, monistes, structurées par l’hétérocentrisme et la perpétuation de la famille. Lors de la nuit de noce entre Adam et Rim, la fille qu’il a été contraint d’épouser pour faire plaisir à ses parents, l’imposition de la famille hétérosexuelle censée convenir à tout le monde montre sa fragilité intrinsèque. Adam est incapable de désirer sexuellement la compagne qu’on lui a imposée et retrouve Jamal dès que possible pour « lui faire l’amour furieusement »[42].

Qu’elles s’affichent publiquement sous le mode du transsexualisme et du transgenre ou qu’elles se vivent de manière existentielle à partir d’une hybridité culturelle assumée, notamment au niveau des pratiques sexuelles, les transidentités sont une réalité sociale dont on n’a pas encore suffisamment objectivé la nature. Elles se distinguent d’ailleurs de l’homosexualité. On peut être transsexuel(le) et ne pas se sentir gay ou lesbienne ; tout comme on peut être travesti et ne pas souhaiter changer chirurgicalement de sexe. Les identités sexuelles déconstruisent la normativité des binarités masculin/féminin ou hétérosexuel/homosexuel de plusieurs façons. Au Maroc, la littérature et la production cinématographique incarnent un matériau empirique important à partir duquel il est possible de comprendre le caractère ambivalent des pratiques sexuelles et des identités sexuées. C’est en ce sens que sans verser dans les apories d’un « global queering » décontextualisé, nous ne pensons pas pour autant que le queer ne puisse exister au sein des pays arabo-musulmans[43].

Si nous avons choisi de faire des rapprochements entre les productions artistiques européenne et marocaine, ce n’est pas tant pour parler d’imitation ou pour souligner les différences culturelles mais plutôt pour attirer l’attention cette « illusion identitaire » nous empêchant de voir la proximité des individus européens, maghrébins ou autres qui essaient d’échapper aux normativismes sexuées et tentent de construire eux-mêmes leur propre subjectivation, quelles que soient leur nationalité et leur culture [44].   

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 Bibliographie

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J. Zaganiaris,  « La question Queer au Maroc : identités sexuées et transgenre au sein de la littérature marocaine de langue française », Confluences Méditerranée, n°80, février-mars 2012


Jean Zaganiaris est enseignant-chercheur au CERAM/ EGE  (Ecole d’Economie et de Gouvernance de Rabat). Il est également chercheur associé au CURAPP/Université de Picardie Jules Verne. Après avoir effectué un ensemble de recherche en théorie politique et en sociologie politique, il travaille actuellement sur les rapports sociaux de genre au Maroc. Il s’intéresse aux enjeux politiques de la sexualité au sein de la littérature marocaine de langue française. Parmi les publications : « La question Queer au Maroc : identités sexuées et transgenre au sein de la littérature marocaine de langue française »,  Confluences Méditerranée, n°80, février-mars 2012 ; Penser l’obscurantisme aujourd’hui, par-delà ombres et lumières, Casablanca, Afrique Orient, 2009 ; « De la démocratie au Maroc, Usages sociaux des normes juridiques et conceptualisation politique des principes de justice », L’année du Maghreb, novembre 2007.


[1] M. H. Bourcier, Queer zones, politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs, Paris, Balland, 2001, p. 177.

[2] K. El Rouayheb, Before homosexuality in the Arab islamic world, 1500-1800, Chicago, Chicago University Press, 2005 ; A. Najmabadi, Women with moustache and men without beard, gender and sexual anxieties of iranian modernity, Berkley, University of California Press, 2005 ; pour un débat sur le référentiel « queer » au Maroc, voir notre texte « La question Queer au Maroc : identités sexuées et transgenre au sein de la littérature marocaine de langue française », Confluences Méditerranée, n°80, février-mars 2012

[3] Pour reprendre le regard critique de N. Picaudou, L’islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane, Paris, Gallimard, 2010 (voir l’introduction) ; sur les représentations islamophobes dans les média, voir T. Deltombe, L’islam imaginaire, la construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, Paris, La Découverte, 2005

[4] D. Courbet, Les féministes pro-sexe et la pornographie, IEP Aix-Marseille, Mémoire Master, sous la direction de Guy Drouot, 2011 (à paraître à La Musardine en 2012).

[5] Sur cette question, B. Preciado, “Multitudes queer. Note pour une politique des anormaux », Multitudes, 12, 2003 ; F. Cusset, French theory, Paris, PUF, 2002, notamment pp. 210-216.

[6] M. H. Bourcier, Sexopolitiques, queer zone 2, Paris, La fabrique, 2005, p. 122.

[7]  G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 341.

[8] Les American Pie ont leur aller ego dans le monde arabe avec Film Thakafi (2003) de Mohamed Amin, racontant l’histoire de trois étudiants égyptiens qui ont clandestinement acquis une cassette porno et n’arrivent pas à trouver un endroit discret pour la visionner. La question de la sexualité et les fantasmes des adolescents sont très présents mais ne vont pas aussi loin que les American Pie.

[9] Comme le rappelle N. Heinich, lorsque le chercheur fait une sociologie de l’art, l’enjeu n’est pas tant de savoir si les scènes de fiction sont liées avec la réalité sociale mais plutôt de comprendre de quelle façon elles engendrent des représentations imaginaires et des systèmes symboliques ; Les ambivalences de l’émancipation féminine, Paris, Albin Michel, 2003, pp. 38-40.

[10] G. Deleuze, F. Guattari, L’Anti-Oedipe, Paris, Minuit, 1972, p. 138.

[11]J. Butler,  Le trouble dans le genre, [1990], Paris, La Découverte, 2005, p. 67

[12] A. Baril, « De la construction du genre à la construction du sexe : les thèses féministes postmodernes dans l’œuvre de J. Butler », Recherches féministes, 20, 2007, p. 65.

[13] B. Ambroise, « Judith Butler et la fabrique discursive du sexe », Raisons politiques, 12, 2003.

[14] M. Foucault, Histoire de la sexualité, volume 1 La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976,  pp. 177-191.

[15] Sur la question du pouvoir dans les sociétés maghrébines pensé à partir des travaux de Michel Foucault, voir l’apport de B. Hibou, La force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006 et Anatomie politique de la domination, Paris, La découverte, 2011 ; sur l’utilisation des travaux de Michel Foucault pour penser les constructions identitaires au sein des sociétés arabes, voir E. Saïd, L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 1997, [1978] ainsi que les développements critiques de R. Lewis, Rethinking Orientalism, women, travel and Ottoman Harem, New York, IB Tauris, 2004.

[16] M. Foucault, Les anormaux, cours au collègue de France – 1975, Paris, Gallimard, 1999. 

[17] J. Miller, La passion Foucault, Paris, Plon, 1995.

[18]Sur les précautions méthodologiques visant à mettre en garde contre un usage trop libertaire des thèses de Judith Butler, voir D. Glover et C. Kaplan, Genders, Londres, Routledge, 2000, pp. 113-114.

[19] Sur cette question, A. Najmabadi, Women with moustache and men without beard, op cit., notamment pp. 3-6.

[20] Sur A. Taïa et son rapport au queer, voir J. Zaganiaris, « La question Queer au Maroc », art. cit..

[21] A. Khatibi, Le livre du sang, Paris, Grasset, 1979, p. 52.

[22] M. Leftah, Au bonheur des limbes, Paris, La différence, 2006, p . 33 ; sur l’œuvre de Leftah, voir A. Baida (dir.), Leftah, ou le bonheur des mots, Casablanca, Editions Tarik, 2009.

[23] M. Leftah, Au bonheur des limbes, op. cit., p.22

[24] Ibid., pp. 68-69

[25] Sur la complexité des composantes du romantisme, définit à partir d’une vision idéale typique et présentée comme un mouvement multiforme ayant produit « une critique de la modernité, c’est-à-dire de la civilisation capitaliste moderne, au nom de valeurs et d’idéaux du passé (pré-capitaliste, pré-moderne) », voir M. Löwy, R. Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, Paris, Payot, 1992, pp. 10-31.

[26] M. Leftah, Au bonheur des limbes, op. cit., pp. 69-70

[27] P. Califia, Le mouvement transgenre. Changer de sexe, Paris, EPEL, 2003.

   [28] G. Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1969, pp. 1-41.

[29] Sur cette question, voir la revue de presse des éditions La différence, http://www.ladifference.fr/Le-dernier-combat-du-capt-ain-Ni,2231.html?id_document=197 Le roman de Mohamed Leftah a pu finalement entrer au Maroc grâce au « combat » de certains acteurs du champ culturel, pour qui l’introduction et la légitimation de cet auteur au sein de la littérature marocaine est d’ailleurs un enjeu politique en soi. La rencontre autour du roman Le dernier combat du capitaine Ni’Mat a eu lieu le 28 janvier 2012 à la librairie La virgule de Tanger, qui a fait commander et a pu ainsi diffuser les exemplaires de l’ouvrage au Maroc ; voir  http://www.lesoir-echos.com/mohamed-leftah%E2%80%89-le-combat-continue/culture/37837/

[30]M. Leftah, Le dernier combat du capitaine Ni’Mat, Paris, La Différence, 2011, p. 20

[31] Ibid., p. 21.

[32] Ibid., p. 22

[33] N. Heinich, Etats de femme. L’identité féminine dans la culture occidentale, Paris, Gallimard, 1996.

[34] L’expression « du côté des deux rives » est empruntée à Z. Daoud, Marocains des deux rives, Paris, Editions de l’atelier, 1997.

[35] Sur cette question, A. Brassart, L’homosexualité dans le cinéma français, Paris, Nouveau Monde éditions, 2007 ; V. Russo, The celluloid closet : homosexuality in the movies, New York, Harper and Row, 1987.  

[37] L’artiste Bouchaib El Bidaoui n’a jamais été considéré comme un homosexuel mais n’avait pas non fait état d’une quelconque homosexualité. Il incarnait ces hommes de troupes qui se déguisaient en femme car ces dernières n’avaient pas accès à la scène.

[38] Peter A. Jackson, « Global queering and global queer theory : Thai transgenders and homosexualities in world history », Autrepart, 49, 2009

[39] B. Trabelsi, Une vie à trois, Casablanca, Eddif, 2000, p. 11.

[40] Ibid., p. 13.

[41] Ibid., p. 21.

[42] Ibid., pp. 97-101.

[43] Selon J. A. Massad, les theses de J. Butler sont inapplicables dans le monde arabe, voir Desiring arabs, Chicago, Chicago University press, 2007, pp. 41-49. 

[44] Sur les apories des approches culturalistes, voir J. F. Bayart, L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996.  

La Transidentité en 2011

 LA TRANSIDENTITÉ EN 2011 :

TOUT BOUGE ET RIEN NE CHANGE
(pour l’instant…)


 

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Cela fait très longtemps que tous les fronts de la contestation trans’ n’avaient pas été actifs en même temps. Ou pour ainsi dire : jamais. Associations, universités, médias, tribunaux… Tout s’empare de la question trans’, ou plutôt « les trans’ s’emparent de toutes ces questions ». Cependant, rien n’a encore réellement changé ; tout du moins pas encore. Tour d’horizon de cette année 2011.

 

L’OUVERTURE DE NOUVEAUX FRONTS

            – Le front juridico-politique : du local à l’Européen

Avec les déclinaisons françaises de la résolution 1728 du Conseil de l’Europe, par Michèle Delaunay à l’assemblée nationale ou François Hollande dans son programme, le front juridique est dés plus actifs. Le lien local-Européen sur cette question, n’avait pas été ouvert depuis la condamnation de la France par la Cours Européenne des Droits de l’Homme en 92. Quant au débat politique, il avait été tout simplement torpillé par l’UMP lors d’un remaniement ministériel sonnant le glas des discussions avec les associations trans’ concernant d’improbables « centres de référence ». Mariage, adoption, stérilisation : les militants trans’ se sont emparés des estrades de visibilité juridiques au-delà même de la question trans’ (le mariage homosexuel par exemple).

– Le front médiatique : des individus et des collectifs

Mais cette visibilité ne s’est pas faite uniformément. D’un côté, des actions individuelles, médiatiquement couvertes (le mariage de Stéphanie Nicot ou celui de Chloé Avrillon) et de l’autre des actions plus collectives, dont la médiatisation a parfois été plus faible, comme lors du T.dor ou de l’Existrans par exemple. Évidemment les médias restent friands d’une transidentité susceptible de faire monter l’audimat. Se succèdent alors des reportages rediffusés (« c’est quoi l’amour ? ») et des tentatives plus abouties, plus généralement saluées par les trans’ eux-mêmes (« mes questions sur les trans’ » de S. Moati). Le « cas » trans’ et la « cause » trans’ se superposent alors pour, avec plus ou moins de succès, imposer médiatiquement des revendications.

– Le maintien d’un fort élan associatif

L’année 2010 fut lourde en événements, notamment avec les réunions ministérielles autour des centres de références proposés par Roselyne Bachelot. Cette année, les associations de terrain n’ont pour autant pas perdu de leur verve militante. Au-delà des cas individuels mis en avant par les associations, le mouvement trans’ a su proposer de nouveaux supports. L’association Chrysalide reste pionnière en la matière avec un site sur la prévention et le VIH («Gare à tes fesses ») poursuivant ainsi le travail d’OUTRANS avec le fascicule « DTC : dicklit et t claques ». En cette fin d’année on notera la publication de la recherche effectuée par Chrysalide et le travail de Mutatis Mutandis qui propose le livre collectif : « La transidentité : des changements individuels au débat de société » (l’Harmattan).

– L’université et les savoirs trans’

Les chercheurs et les militants ont proposé quelques alliances cette année, chose peu fréquente depuis le « ZOO » de Marie Helene Bourcier, notamment avec une série de colloques sur les futurs DSM ET CIM à Bordeaux et Paris (dont l’ODT s’est largement fait l’écho). L’ODT justement, devient aussi une nouvelle plateforme de savoirs et d’informations alliant monde universitaire et monde associatif. Et ces alliances, ces rencontres, trouvent un terrain d’entende dans la dénonciation des monopoles psychiatrisants et excluants, comme on peut le lire dans la conclusion de l’enquête d’Alain Giami :

« Ces résultats, qui font apparaître l’inadéquation relative de l’offre de soins, témoignent égale­ment de l’urgence d’une réflexion sur le protocole public « officiel » de prise en charge des trans en France, notamment en le mettant en regard avec l’offre de soins proposée dans d’autres pays. »

 

LES ANGLES MORTS DES AGENDAS POLITIQUES ET MILITANTS

– L’invisibilité des F/M T X

Mais tous les fronts ne sont pas aussi actifs. La question trans’, toujours dominée par la question « transsexuelle », ne fait que peu de place aux altérités de genre nouvelles telles qu’on les voit dans le reportage « mon sexe n’est pas mon genre » (V. Mitteaux) ou telles qu’elles s’expriment aux UEEH. Avec les associations OUTRANS et Chrysalide une nouvelle génération de militants s’est rendue visible : plus jeunes, MtF autant que FtM, pas forcément suivis par des protocoles ; ils promettaient une visibilité aux nouveaux profils transidentitaires. Pourtant, force est de constater qu’il persiste une zone d’ombre du côté des identités et des corps FT* MTU FTW ou MTX, que l’on n’entend parfois, rarement, dans les subcultures trans’ et queer, mais qui restent inaudibles pour le plus grand nombre.

– La question intersex’…

Aux côtés de la question trans’, la question intersex’ est, elle aussi, souvent évoquée. Pourtant, le mouvement militant intersex’ ne parvient pas, comme commence à le faire le mouvement trans’ et comme a su si bien le faire le mouvement homosexuel, à s’inscrire dans les agendas politiques. Quelques figures et associations intersex’ fournissent néanmoins des éléments vitaux au débat sur la libre disposition de son corps, sur le choix des formes et des fonctions désirées de ce dernier (« Vincent Guillot » ou l’association « Orféo » pour ne citer qu’eux). Alors que quelques partis politiques prennent clairement position sur la question trans’, nous regrettons le silence existant concernant le question intersex’.

– Autour des transidentités

Parler des transidentités c’est aussi parler des questions qui gravitent autour. Celles qui ont touché la question trans’ une fois comme celles qui sont devenues au fil du temps des compagnons de route. Chaque année, les sujets marronniers proposent pour le 01 décembre une action ou un reportage sur le sida. Cette année, entre la recherche d’Alain Giami et celle publiée en ligne par Chrysalide, la question trans’ et celle du VIH se sont affichées côte à côté. On espère que la question ne soit pas aussitôt oubliée. De même pour le sujet de la prostitution, porté par des projets de lois liberticides, dont l’actualité a permis de rappeler les combats (et donc aussi celui des trans’ prostitué.e.s.).

C’est l’occasion pour nous de faire un focus sur la militance théorique depuis la position du chercheur-militant dans sa quête et requête d’une visibilité institutionnelle à la fois en tant que personne et citoyen qu’en tant que chercheur sur un terrain colonisé et dilapidé par une idéologie maltraitante et malhonnête.

 DU DÉBAT ET SON ORDRE 

Quand changer de sexe nécessite un syndrome (L. Hérault)

Les trans attendaient une ouverture du rapport de la HAS et une suite à la déclaration de R. Bachelot en 2009 régulant les pratiques et reconsidérant le sujet trans’. Elle n’a pas eu lieu. Par ailleurs, la trajectoire transsexe, comme trajectoire d’identité essentialisée, vient à écraser les autres trajectoires d’existence non essentialisée qui ne reçoivent aucune attention et proposition, notamment juridique, en reconduisant une violence transsexe vs transgenre. L’initiative du CCOMS dirigé par J-L. Roelandt proposait une table ronde en 2007 où la question trans, co-organisée par M-J. Bertini et P. Desmons pouvait être portée par les trans eux-mêmes, mais n’a pu trouver un espace qu’à la marge de cette rencontre. En ligne de mire, la stigmatisation dans la prise en charge totalement inabordée dans la question trans. Les termes en étaient pourtant clairs : « La lutte contre la stigmatisation doit reposer sur des objectifs définis à partir du vécu même des 
victimes de la stigmatisation et non uniquement à partir des représentations des autres membres 
de la société ou d’hypothèses théoriques. ».

Annonce généreuse mais sans effet car le sujet n’est jamais énoncé et respecté. Décembre 2010, le CCOMS reprend l’initiative dont nous avons rendu compte à l’ODT[19]. Une rencontre a également lieu à Bordeaux le mars 2011[20]. Cette fois, nous sommes partie prenante directe mais le débat n’a lieu que par/dans le retour de ces stigmatisations sur les lieux de la prise en charge, d’une dénonciation des maltraitances et violences et une demande de dépathologisation. En questionnement, le statut de la discipline en charge d’une étude et réflexion dont la Sofect se voulait le nouveau porte-parole coordonné avec C. Chiland et M. Bonierbale[21]. Qu’en est-il de cette frontière, dure ou floue, entre normalité et pathologisation ? Sur quoi repose-t-elle réellement ? Les arguments de la modélisation universaliste et la preuve clinique d’une affection tombés, ne reste que le truchement de relativismes normatifs dont cette population, après d’autres, est victime. Les gender studies ont largement participé à l’ouverture de ce débat, non sans heurts. Tout se passe ici non seulement comme une refermeture sur une exception isolée dont l’hégémonie pratique de la psychiatrie serait la garante, mais encore un déni culturel de l’évolution de la société mettant en branle des subjectivités non essentialistes.

Le débat sur la dépsychiatrisation se voulait être une double réflexion ;

1/ sur le statut paradoxal d’une discipline abordant ce sujet via des normes historiques datées et pensées comme cadre indépassable ;

2/ d’un partage des expertises et connaissances du terrain mobilisées dans son contexte par les trans’ et disqualifiées par un contexte de contrôle étatique via la procédure de changement juridique de « sexe ».

Une réflexion largement oblitérée par le statut même d’une affection mentale inconnue et le rôle qu’on lui fait tenir, attenante à la transgression de normes décrétées « collectives » et non à un trouble mental qui n’existe pas plus que celui de l’homosexualité. Il est manifeste ici que l’on s’ancre sur un historique moral des normes et des discriminations culturellement partagées dans notre société et y sacrifie l’évolution de la société, la demande de reconnaissance pour une égalité concrète.

Soulignons donc le statut et rôle particulier de surveillance d’une pensée et pratique maltraitantes comme hier avec celle de l’homosexualité. La prise en charge, d’abord économique via la Sécurité sociale, s’effectue non sur l’individu trans’ que des passions, rejets et dénis, que ce sujet suscite depuis une conception datée de « rapports sociaux de sexe » où cette forme particulière de psychiatrisation apparaît comme un mode de gestion des transgressions suivant là les précédents historiques du travestissement et de l’homosexualité. La thèse de la relativisation culturelle se heurte en effet de plein fouet avec la conception d’une unicité et cohérence de société partout battue en brèche, d’où ces soubresauts passionnels, dénis et rejets, lorsqu’il s’agit de réformer une conception, voire simplement de la nuancer. Au total, un débat de fond qui n’a jamais été mené, notamment pour des raisons morales, mais également de représentations où les normes de genre joue un rôle de régulation dans un mixte passionnel de tabou, discrimination, pouvoir sur autrui débouchant toujours sur des dénis et rejets violents. Toutes choses qu’il fallait dégager d’une gangue ordinaire.

 L’ordre des mots

Les documentaires de C. et M. Arra (L’ordre des mots) et V. Mitteaux (Mon sexe n’est pas mon genre) traduisent la prise de parole, la brutalité des heurts avec le tri entre les différents types de transidentités survisibilisant le process transsexe contre les autres identités-trajectoires, lequel apparaît dans sa liaison avec le statut de la normalité et non de santé psychique, sous-tendant une classification politicosexuelle arbitraire sous le couvert de médicalité, promu nouvel ordonnateur de la régulation normée des genres dans leur différence. Plutôt que d’instaurer un dialogue entre des trajectoires d’existence non alignées sur les normes sociales de genre (du travestissement comme franchissements permanents ou temporaires au transsexualisme entendu comme transition juridico-chirurgicale), l’on spécule sur une affection que la clinique ne constate pas mais avalise tant le sujet provoque la croyance ordinaire pour reformer -sans le reformuler- un invariant anthropologique majeur, la différence de sexes en tant qu’instance et réel de l’humain, ainsi que les tensions ordinaires de l’ordre binaire.

Comment devient-on ce que l’on est ? Comment devient-on homme ou femme ? Le sexe est-il toujours le genre ? Quelle est la fonction psychique d’un franchissement de genre ? Cette question s’est déplacée aujourd’hui en direction de l’humain lui-même. Comment accède-t-on à l’humanité ? Le sujet qui pouvait éclairer, du fait même de sa situation paradoxale en prise sur le devenir et la condition humaine, ne reçoit qu’une réponse technique et une gestion de l’exception pathologique faute de régulation socioculturelle et de décision politique. Or celle-ci était à même d’apporter une partie de la solution dans son rôle d’accueil des situations difficiles et stigmatisantes ; situations propres à détruire un développement harmonieux lors de l’enfance. En préférant la limitation volontaire via les normes de genre, l’on a créé artificiellement un transsexualisme médico-chirurgical. Ce faisant, l’on a créé un problème de santé psychique et un appel à une résolution technique et non sociale où le care est subordonné à une théorie du développement psychosocial d’un individu donné dans une société donnée. Si la stigmatisation est partie liée à la différenciation des comportements et donc des individus dans une société, elle est ici le biais destructeur que la notion d’affection mentale vient ancrer dans un fantasme de médicalisation de l’identité faisant ordre en fisant taire les subjectivités minoritaires.

Tout cela devait faire l’occasion de débats, entre ce groupe culturellement inattendu (du moins en Occident), la société dans son ensemble et avec les tenants du dossier, l’Etat en tête. Comment régule-t-on cette situation dans les pays voisins d’Occident et dans les sociétés non-occidentales que l’anthropologie questionne depuis maintenant un siècle ?  Aussi, devant l’impasse manifeste et la possession de ce sujet par une discipline, la psychiatrisation (entendue comme processus de tri moral), le changement vient, à l’instar de l’homosexualité et des questions féministes, des intéressé.es eux/elles-mêmes.

Nous sommes bien loin de passeurs de monde des sociétés chamaniques régulant par le rituel les franchissements de genre. De même du cadre global des Droits de l’Homme dont Thomas Hammerberg rappelle l’enjeu. Reconfiguré et re-théorisé à l’instar des problématiques homosexuelles et identitaire postféministe, c’est la société hétérosexuelle dans son figement normatif qui est interrogée depuis la reformulation politique de M. Foucault, philosophique, psychanalytique et anthropologique. Autonomisé de fait, mais toujours psychiatrisé dans son nouement à l’assignation administrative et juridique, le sujet n’est plus ce changement chirurgico-médical de sexe, mais le sujet éclairant tout ce qui, du social et du culturel s’est dogmatisé dans un rejet et déni d’un Autre.

 

Conclusion : Quid du privilège cisgenre ?  

En réalité, si la question trans’ parvient à faire bouger les lignes, ce n’est pas uniquement du côté du transsexualisme ou plus généralement dans les subcultures transidentitaires que devrait se faire sentir les conséquences de ces changements, mais, plus généralement, sur l’ensemble des normes sociales qui rigidifient les corps et les identités. Mais il est encore trop tôt pour véritablement voir l’impact de ces actions et de ces propositions sur la culture cisgenre. Car s’il existe un horizon au débat, c’est bien celui-ci : comment faire en sorte de déstabiliser les privilèges cisgenres de manière à desserrer le carcan qu’ils imposent sur les vies excentriques ?


http://www.michele-delaunay.net/assemblee/index.php/post/2011/12/28/CP-Identit%C3%A9-de-genre,-changement-de-sexe-%C3%A0-l-%C3%A9tat-civil-%3A-la-proposition-de-loi-de-Mich%C3%A8le-Delaunay-marque-un-pas-d%C3%A9cisif

http://francoishollande.fr/communiques/une-proposition-de-loi-pour-sortir-les-personnes-trans-de-l-impasse/

Le site de l’association dont elle est porte parole : http://www.trans-aide.com/ta2-lor/ta2-lor-accueil.htm

http://www.transgenderdor.org/

http://existrans.org/

http://chrysalidelyon.free.fr/

http://chrysalidelyon.free.fr/gatf/

http://outrans.org/

http://chrysalidelyon.free.fr/sondage_sante2011.php

http://www.mutatismutandis.info/

BOURCIER Marie Helene, Q comme queer, éditions GKQ, 1997.

GIAMI Alain, BEAUBATIE Emmanuelle, LE BAIL Jonas, « Caractéristiques sociodémographiques, identifications de genre, parcours de transition médicopsychologiques et VIH/sida dans la population trans. Premiers résultats d’une enquête menée en France en 2010 » BEH (Bulletin d’épidémiologie hebdomadaire), 42, novembre 2011.

http://www.ueeh.net/

http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/article-identite-intersexe-et-identites-plurielles-en-debat-80167789.html

http://asso.orfeo.free.fr/topic/index.html

  Vaincre les discriminations en santé mentale, http://www.jle.com/fr/revues/medecine/ipe/e-docs/00/04/36/7F/article.phtml

Interventions : Karine Espineira, Tom Reucher, Maud-Yeuse Thomas, http://natamauve.free.fr/Stima-queer/Stigma-q-thomas.html

Troisièmes rencontres internationales du Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (CCOMS) : « STIGMA ! Vaincre les discriminations en santé mentale », Nice du 12 au 15 juin 2007, http://amades.revues.org/index79.html

Dossier CIM : dépsychiatriser !, http://observatoire-des-transidentites.over-blog.com/

Le transsexualisme et après : le normal et le pathologique du genre en question, Université Bordeaux Ségalen, Centre Emile Durkheim, Bordeaux.

Respectivement présidente d’honneur et présidente de la Sofect.

CIM10, Chap..V, Troubles mentaux et du comportement, F64.0 transsexualisme énoncé comme suit : Il s’agit d’un désir de vivre et d’être accepté en tant que personne appartenant au sexe opposé. Ce désir s’accompagne habituellement d’un sentiment de malaise ou d’inadaptation par rapport à son sexe anatomique et du souhait de subir une intervention chirurgicale ou un traitement hormonal afin de rendre son corps aussi conforme que possible au sexe désiré.

CIM10, Chap..V, Troubles mentaux et du comportement, F64.1. Travestisme bivalent énoncé comme suit : Ce terme désigne le fait de porter des vêtements du sexe opposé pendant une partie de son existence, de façon à se satisfaire de l’expérience d’appartenir au sexe opposé, mais sans désir de changement de sexe plus permanent moyennant une transformation chirurgicale; le changement de vêtements ne s’accompagne d’aucune excitation sexuelle. Trouble de l’identité sexuelle chez l’adulte ou l’adolescent, type non transsexuel.

L’ordre des mots, documentaire de C. et M. Arra, 2007.

C’est le fil rouge du film Ma vie en rose, d’Alain Berliner.

Marie-Antoinette Czaplicka, Aboriginal Siberia. A study in Social Anthropology, 1914, Oxford, Clarendon Press, cité par B. Saladin d’Anglure, Réflexions anthropologiques à propos d’un «3e sexe social» chez les Inuit (2006), http://classiques.uqac.ca.

Thomas Hammarberg, Droits de l’Homme et identité de genre, http://www.acthe.fr/information/viewartrub.php?a=115.

Judith Butler, Défaire le genre, Ed. Amsterdam, 2009.

  S. Prokhoris, Chemins vicinaux. Transmettre : verrouiller l’identité ou laisser jouer l’aléatoire, http://www.lrdb.fr/articles.php?lng=fr&pg=1184

L. Hérault, Constituer des hommes et des femmes : la procédure de transsexualisation, Terrain n°42, 2004, http://terrain.revues.org/1756

Maud-Yeuse Thomas : De la transphobie étatique

De la transphobie étatique
Maud-Yeuse Thomas
Chercheure indépendante

 

    Logo Trans

 

Ma question porte sur la notion de transphobie étatique et en quoi celle-ci est caractérisée. La liste des discriminations, stigmatisations et justifications d’exclusion, est assez conséquente. La France résiste à inscrire la discrimination sur l’identité de genre malgré les harcèlements et licenciements abusifs, agressions et meurtres, oblige à une psychiatrisation et aux THC[1]. Le préalable à la question des papiers d’identité, distingue les différentes types de transidentités, oblige à un divorce lorsqu’une personne trans est mariée et désire modifier son état civil. A cela, il faut ajouter le volet juridique, le changement d’identité ne s’effectue que sous la condition d’opérations de conversion sexuée alors même qu’on prétend les empêcher au nom de valeurs et de savoirs et cette sorte de surplomb qualifié aujourd’hui d’anthropologique : il n’y a que des hommes et des femmes et ce fait est naturel et culturel mais surtout et universel. Or pourquoi parle-t-on aujourd’hui des trans ? Parce que cette forme d’identité est universelle. Toutes les sociétés ont eu à y répondre et la réguler.

    En Occident, fort de la médicalisation jointoyée de la dimension légale de nos identités, on a fait croire qu’il y a une maladie mentale, d’où cette psychiatrisation. Si le sexe est plus petit dénominateur commun pour nous définir en tant qu’individu et entre individus, changer de sexe est-il pathologique ? Ce n’est pas une définition médicale que je vous donne là mais une définition de nature culturelle. S’il y a un « état de normalité » universel d’être un homme ou une femme (quelle que soit la définition culturelle de la normalité), tout ce qui s’en distingue relève, dans cette médicalisation, d’un « état de pathologie ». Les déviants remplaçants les fous d’antan, les pathologies remplaçant les transgressions d’autrefois. Les trans remplaçant les homosexuels dans cette hiérarchie et fabrique de déviants.

    Pour y répondre de manière plus précise, je vais faire un détour par un état des savoirs confronté à notre tradition. Précisons le cadre juridique. L’article 57 du Code Civil énonce les attendus suivants :

« l’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et les prénoms qui lui seront donnés… ». C’est l’examen des organes génitaux externes du nouveau-né qui détermine :  

– l’appartenance à l’un ou l’autre sexe,

– la reconnaissance de cet état par la société (Etat Civil),

– l’attribution de prénoms, le plus souvent sans ambiguïté quant au sexe de celui qui le porte.

     Le point le plus important réside dans une double indisponibilité, celle de l’état de la personne et l’acte de naissance. Répondre à cette demande impliquait de répondre à l’état civil où sexe et genre sont indissolublement liés et surtout, culturellement et socialement inextricables. On le voit avec la mention du prénom sans ambiguité… Quelle est sa signification ? Vous êtes assignés à une identité dès votre naissance et celle-ci est réputée fixe et unitaire. Distinguer le sexe du genre comme le fait les Gender studies implique trois faits majeurs :

1/ notre société, nos représentations sont binaires, oppositionnelles et matérialistes et exclut toute identité tiers et tout passage ritualisé d’un sexe social à l’autre comme dans d’autres sociétés ;

2/ notre intégration quotidienne implique d’être tout l’un ou tout l’autre, ce qui va induit ce tiers dans une marginalité culturelle réinterprétée en trouble mental ;

3/ l’indisponibilité de l’état de la personne et l’acte de naissance créé une obligation des THC.

Trois exemples de savoirs :

    L’ethnologie-anthropologie a introduit le premier un doute sur la constitution des identités et le statut de l’universalisme. Margaret Mead montre la première que si le féminin et le masculin, l’homme et la femme sont universels, ce qui est féminin ou masculin change d’une société à l’autre, ne sont pas articulés culturellement de la même façon et n’appartiennent pas aux mêmes champs de significations. On ne peut donc se référer à un universalisme abstrait.

    L’endocrinologie-biologie va mettre notre croyance d’une différence naturelle des sexes à mal. Outre les intersexués, certaines femmes sont XY, des hommes XX… Les chromosomes qui devaient apporter avec les hormones la preuve ultime d’une nature et d’une invariabilité invalident l’idée d’exceptions pathologiques (quelle que soit la définition que nous en donnons). Les sciences humaines comme la sociologie invalident aujourd’hui le lien entre pathologie et marginalité en montrant comment les discriminations la produisent.

   Les travaux en neurologie montrent que bipolarisation du cerveau distinguant hommes et femmes « en nature » est fausse. La plasticité du cerveau indique que la plus grande différenciation ne réside pas entre deux groupes socialement constitués, les hommes et les femmes, mais d’un individu à l’autre, indépendamment de son sexe biologique, sa sexualité, son genre et identité de genre.

Ce débat montre essentiellement :

1/ le devenir n’est nullement inscrit dans la naissance et l’assignation ;

2/ la distinction entre l’éducation dans un genre fixe et unique et le vécu ;

3/ les discriminations fondées en tradition sont remplacées par des « savoirs » protégés par des « expertises ».

   Toutes ces disciplines montrent que plus que la différence des sexes, c’est la généralisation des différenciations qui explique ces différences ordinaires que nous prenons pour normales, et que signifions par les termes de masculin ou féminin, femme ou homme. Normal signifiant commun, ordinaire et non cet indicateur moral/amoral, normal/anormal, sain/pathologique. Or ces savoirs sont mobilisés pour maintenir un état de la tradition en violant ses propres principes et valeurs (et notamment la lutte contre les discriminations), en triant un groupe social de la population au motif d’une maladie qui n’existe pas ou d’une exception qui viole le principe même d’une éthique médicale. Dans d’autres cieux, nous appellerions cela une ethnicisation.

   La résolution 1720 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe porte justement sur les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre[2]. L’article 3 note :  

Parmi les principaux sujets de préoccupation figurent les violences physique et verbale (crimes et/ou discours de haine), les restrictions injustifiées de la liberté d’expression, de réunion et d’association, les violations du droit au respect de la vie privée et familiale, les violations des droits à l’éducation, au travail et à la santé, ainsi que la stigmatisation récurrente.

    La tradition est devenue le lieu d’un conflit avec les savoirs eux-mêmes que la matrice médicale et juridique protégeaient jusque là.

Retour sur la prise en charge en France

    En France, la première équipe hospitalière est montée et les premières opérations sont effectuées à partir de 1979. Celles-ci ne sont pas accompagnées par le changement juridique jusqu’en 1992. A cette date, la Cour européenne demande aux Etats européens de permettre le changement juridique dans les cas de changement de sexe sur le motif du respect de la vie privée (art.8)[3]. La Cour de cassation en France y répond d’abord par le principe d’indisponibilité de l’état de la personne (vous ne pouvez disposez de vous-même) puis elle répond que l’on ne peut « attribuer au transsexuel un sexe qui n’est pas en réalité le sien » sur le motif d’arguments endocrinologiques que la discipline a elle-même invalidé. Puis la France change d’avis en accordant ces changements sous condition de cette psychiatrisation qu’elle avalise sur un état des savoirs. En fait, un simple transfert des discours pathologisants sur l’homosexualité comme inversion sexuelle au transsexualisme compris comme inversion de l’identité sexuelle que l’on appelle désormais dysphorie de genre. Bref, la prise en charge s’accompagne de cette fabrique de discours nullement médicaux mais de cette violence légale des normes que l’Etat moderne veut voir respecter au nom d’une tradition historique. La pathologie n’existe que pour sauvegarder l’idée d’une normalité et naturalité du fait humain et donc de l’homme et de la femme.

   Le transsexualisme se trouve désormais inextricablement liée à une pratique de changement de sexe incluant un changement administratif de papiers d’identité qui vient après alors qu’il fallait l’aménager avant. Se trouve ainsi reformée la co-dépendance médicale et légale d’une normalité et une anormalité psychomédicales se substituant à une régulation sociale démocratique et/ou sacrée. Bref, on régule une tradition, des rapports sociaux traditionnels avec des critères et outils de la modernité.

   La France, comme d’autres pays, délègue entièrement à l’instance médico-légale la question de savoir ce qu’il est de cette demande, de ce qu’est le « sexe ». C’est une psychiatrie sociale et légale qui y répond et non une psychiatrie clinique qui, d’ailleurs, ne veut pas y répondre et reste muette. Rien de médical ni de légal ici, uniquement des avis et théories reposant sur des ignorances et des discriminations, voire des discours de haine, au nom d’une tradition. L’important ici tenant en trois faits :

1/ l’apport thérapeutique échoue à répondre au sentiment de soi des personnes trans et intersexe ;
2/ ce sentiment de soi est le même que tout un chacun-e ;
3/ les intéressé-es se trouvent nettement mieux après transition (quelle qu’elle soit).

    Devant le moratoire engagé par nombre de pays en Europe concernant la question intersexe, la France continue à les opérer. En 2007, L’Espagne adopte une loi pour les transidentitaires en permettant aux transgenres et transsexes d’obtenir des papiers d’identité dans leur genre vécu sans la chirurgie de conversion sexuée, la France s’abstient link. Début 2010, Roselyne Bachelot alors Ministre de la Santé, veut dépsychiatriser la question trans mais reçoit de la part des praticiens un désaveu total. Une psychiatre a même créé une société, la Sofect, pour reprendre la main Réponse à la SOFECT. On a là un curieux détour de l’Etat français a qui a délégué à ces psychiatres une gestion officieuse de l’exception en fermant les yeux sur les violences, en maintenant l’idée d’un principe d’indisponibilité de l’état de la personne et de l’acte de naissance. C’est peu dire que notre société est victime de ses propres croyances et le transsexualisme est un exemple parmi beaucoup d’autres.

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Quelques mots de conclusion

    L’État veut pouvoir s’appuyer pour son administration des états  sur les démonstrations de savoirs médicaux et scientifiques qu’il mobilise. Or, ceux-ci ont progressivement invalidé l’idée d’une pathologie. Ils font apparaître une contradiction avec la tradition et le devenir humain. Bref, l’administration fixe contre la philosophie du devenir. On défend là cette tradition fixiste et non le fait humain, des rapports sociaux de sexe et non un épanouissement dans une société mature. Notre société veut pouvoir s’appuyer sur un ou des invariants au nom de cette tradition dans un porte-à-faux avec la modernité. Nous-mêmes, nous voulons nous assurer de cette invariabilité, de cette certitude que la différence des sexes ne bouge pas. D’où ce chassé-croisé, cette fascination-répulsion sur les trans après les homosexuels et les travestis.

   Les questions connexes du racisme, du sexisme, de l’homophobie et la transphobie pose cette question : puis-je vivre paisiblement comme chacun-e d’entre vous ?


Références bibliographiques :

 Mead M.,« Adolescence à Samoa », 1928, et « Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée », 1935, traduits et rassemblés en France sous le titre Moeurs et sexualité en Océanie, 1963, rééd. Pocket, coll. «Terre humaine », 1993.

Vidal C. (2006), dir. Féminin Masculin, Mythes et idéologie, Berlin, Paris.


[1]  Traitements hormono-chirurgicaux.

[2] http://assembly.coe.int/mainf.asp?Link=/documents/adoptedtext/ta10/fres1728.htm

[3] « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance… ».

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